De la “malbouffe” aux famines – II: le capitalisme empoisonne et affame

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Dans la première partie de cet article, nous avons vu que la bourgeoisie donnait de fausses explications pour justifier la persistance de la malnutrition et des famines. Elle cherche en effet à dédouaner le système capitaliste de toutes les catastrophes alimentaires en culpabilisant les individus ou en pointant du doigt tel ou tel patron, telle ou telle entreprise, usant ici du dérivatif ancestral du bouc-émissaire. Dans ce deuxième article, nous verrons à quel point ce système barbare, favorisant le pillage et le gaspillage, est destructeur.

les crises alimentaires qui marquèrent le développement de la production capitaliste se sont accentuées avec l’entrée en décadence de ce système, et plus encore dans sa phase présente de pourrissement sur pied, de décomposition, prenant souvent des caractères qualitativement différents. Et même si le capitalisme a toujours empoisonné, affamé et détruit l’environnement, aujourd’hui, en cherchant à exploiter à son profit chaque parcelle du monde, son aspect destructeur et ravageur s’est étendu à toute la planète, ce qui fait que ce système menace aujourd’hui la survie même de l’espèce humaine.

L’absurdité de la surproduction

En séparant la valeur d’usage et la valeur marchande des produits, le capitalisme a historiquement coupé l’humanité du but même de l’activité productive. L’agriculture a-t-elle pour objectif la satisfaction de besoins humains ? Eh bien, dans le capitalisme, la réponse est non ! Elle n’est qu’une production de marchandises dont le contenu et la qualité importent peu, pourvu qu’elles s’imposent sur le marché mondial en permettant au passage de reproduire la force de travail à faible coût.

Et avec la décadence du capitalisme, l’intensification de la production s’est systématisé, au détriment de la qualité. C’est ce qui apparaît comme la crue réalité lorsque l’on observe le développement de l’agriculture depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours. Au lendemain de la guerre, le mot d’ordre était : produire, produire et produire ! Dans la plupart des pays développés, l’industrie agricole a vu ses capacités de production augmenter de manière fulgurante. La généralisation des machines agricoles et de produits chimiques y furent pour beaucoup. Dans les années 1960-1980, l’intensification de l’agriculture porta même le nom trompeur de “révolution verte”. Ne voyons-là aucune considération écologique ! Il s’agissait en réalité de produire un maximum et à moindre coût, sans trop regarder la qualité du résultat, pour faire face à une concurrence exacerbée. Mais les contradictions d’un système en déclin ne pouvaient que s’accumuler et accroître ainsi la surproduction. Produire, produire… mais pour vendre à qui ? A ceux qui ont faim ? Certainement pas ! Faute de marchés solvables suffisants, les marchandises sont bien souvent détruites ou pourrissent sur place ([1]).

Des millions de personnes meurent de faim dans les pays d’Afrique ou d’Asie, des masses croissantes ont recours aux associations caritatives dans les pays développés mêmes, alors que de nombreux producteurs sont contraints de détruire une partie de leur production pour respecter des “quotas” ou maintenir artificiellement leurs prix !

L’enfoncement du système capitaliste dans sa crise historique rend le problème pire encore. Sur fond de crise économique chronique, les investisseurs avides de profits cherchent à placer leurs capitaux dans les valeurs de denrées alimentaires rentables (comme les riz ou les céréales), spéculent et jouent au casino sans aucun scrupule, quitte à affamer une partie croissante de la population mondiale : “Pour donner quelques chiffres particulièrement éclairants, le prix du maïs a quadruplé depuis l’été 2007, le prix du blé a doublé depuis le début 2008 et les denrées alimentaires ont globalement augmenté de 60  % en deux ans dans les pays pauvres” ([2]). Pour les populations en situation précaire comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire, en Indonésie ou aux Philippines, cette hausse est devenue tout simplement insupportable et a fini par provoquer des émeutes de la faim lors de ce qui est aujourd’hui appelé “La crise alimentaire de 2007-2008” ([3]). Comme une farce cynique, le même scénario, exacerbé par l’utilisation marquée de récoltes alimentaires pour la production de biocarburants (soja, maïs, colza, canne à sucre), s’est répété en 2010, entraînant à nouveau les plus démunis dans une misère encore plus extrême.

Le capitalisme empoisonne et tue

Parallèlement au sort tragique qu’il réserve à ces populations du “tiers monde”, le capitalisme n’oublie pas les exploités des pays “développés”. S’il est vrai que la production agricole a considérablement augmenté au cours de ces dernières décennies, permettant de réduire globalement le pourcentage de personnes sous-alimentées, il faut voir quel en est le résultat désastreux. L’intensification à outrance de l’agriculture avec utilisation massive et incontrôlée de produits chimiques a considérablement appauvri les sols, à tel point que la valeur nutritive des produits et leur teneur en vitamines le sont également  ([4]). Des études récentes tendent à montrer la corrélation directe qu’il existe entre l’utilisation d’herbicides, insecticides et autre fongicides dans les cultures et l’augmentation patente du nombre de cancers et de maladies neurodégénératives ([5]). Par ailleurs, l’utilisation d’édulcorants comme l’aspartame (E 951 sur les étiquettes), ou le glutamate dans l’industrie agroalimentaire, comme la généralisation des colorants, se révèle très nocif pour la santé. Une expérience menée sur des rats a même révélé qu’ils détruiraient les cellules nerveuses  ([6]). Nous n’allons pas faire ici la liste des différents produits nocifs présents dans nos assiettes, cela prendrait des pages et des pages.

“Tout est une question de doses”, nous dit-on. Mais au fond, aucune étude n’est rendue publique ou menée à terme pour mesurer les effets de ces différentes “doses” additionnées et ingérées dans un même produit jour après jour. On a seulement pu constater certains effets du nucléaire qui irradie nos aliments : comme après l’accident de Tchernobyl, avec l’explosion des cancers de la thyroïde, les malformations dans la population de la région suite à l’ingestion de denrées contaminées. Idem aujourd’hui au Japon depuis Fukushima avec les produits de la mer. Le caractère meurtrier du capitalisme a bel et bien pris une nouvelle dimension. Pour dégager des bénéfices, le capitalisme peut faire avaler n’importe quoi à ses exploités !

En écho au texte d’Engels publié dans ce numéro, rappelons quelques faits contemporains qui montrent de quelle manière le capitalisme se soucie de la santé de ses exploités : “En décembre 2002, l’affaire du ré-étiquetage de boite de lait en poudre Nestlé pour nourrisson, arrivées à leur date de péremption éclate. La multinationale a importé illégalement du lait d’Uruguay pour qu’il soit vendu en Colombie. […] Le journal El Tiempo du samedi 7 décembre fait remarquer “qu’aux 200 tonnes de lait saisies, […] s’ajoutent 120 autres tonnes, saisies alors qu’elles étaient en processus de ré-étiquetage pour simuler avoir été produites à l’intérieur du pays et pour cacher qu’il s’agissait de lait périmé non apte à la consommation humaine”   ([7]).

Parmi les nombreux produits frelatés que produit le capitalisme, on trouve par exemple le saumon de Norvège qui, à l’instar des poulets de batterie, est bourré d’antibiotiques et même de colorants pour répondre aux exigences du marché. La concentration de médicaments dans leur organisme est telle que le saumon d’élevage est devenue une espèce monstrueuse et mutante avec des têtes déformées ou des nageoires échancrées… Mais parce qu’une ministre de ce pays détient plusieurs fermes et maintient fermement l’omerta, des universitaires ont été évincés car ils pointaient le danger cancérigène, voir la toxicité du saumon d’élevage. A quoi il faudrait ajouter les tonnes de polluants qui dérivent dans la mer, les PCB dans les fleuves, les déchets ou les éléments radioactifs enterrés ou non  ([8])… Sans compter les méfaits des métaux lourds, la dioxine, l’amiante transportés dans nos aliments et nos assiettes. L’eau et les produits de la mer, l’air que nous respirons, les produits animaux que nous mangeons et les terres de culture sont profondément imprégnés de toutes ces sources permanentes de contamination.

Il y a de quoi être indigné par cette crise alimentaire permanente qui traverse la planète, affamant certains alors que d’autres sont empoisonnés.

La colère de ceux qui combattent les aberrations de ce système est profondément juste. Mais, en même temps, “contrôler et réduire le niveau de gaspillage est souvent au-delà des capacités du paysan, du distributeur ou du consommateur individuel, car cela dépend de la philosophie des marchés, de la sécurité de l’approvisionnement en énergie, de la qualité des routes et de la présence ou l’absence de centres de transport”  ([9]). En définitive, cela revient à dire que la recherche de solutions au niveau local et individuel mène, à court ou moyen terme, dans une impasse. Agir en tant que “citoyen” responsable et éclairé, c’est-à-dire en tant qu’individu, n’apportera jamais de solutions à l’immense gaspillage que le capitalisme génère. La recherche de solutions “individuelles” ou “locales” porte l’illusion qu’il pourrait exister une réponse immédiate aux contradictions du capitalisme. Comme nous l’avons vu, les raisons en sont profondément historiques et politiques. C’est à ce niveau que le véritable combat doit être mené. “Maintenant les propagandistes du capital appellent à “améliorer les habitudes alimentaires”, à “réduire son poids” pour faire de la prévention, à éliminer la “malbouffe” des écoles... Pas un mot sur l’augmentation salariale ! Rien pour améliorer les conditions matérielles des opprimés ! Ils discourent sur les habitudes, les recettes de saison ou les maux congénitaux... Mais ils cachent la véritable cause de la dégradation alimentaire de l’humanité : la crise d’un système qui ne vit que pour le profit” ([10]).

Enkidu, 25 octobre



[1]) Suite à de mauvaises stratégies commerciales, liées à la levée de l’embargo indien sur son riz : “la Thaïlande a perdu son rang de premier exportateur mondial et le pays a accumulé l’équivalent d’une année de sa consommation. Les hangars de l’ancien aéroport de Bangkok seraient utilisés pour stocker le riz que l’on ne sait plus ou mettre pour qu’il ne pourrisse pas” (“La Thaïlande étouffée par son riz”, Le Monde du 24 juin 2013)

[2]) Revue Internationale 132, Crise alimentaire, émeutes de la faim : seule la lutte du prolétariat peut mettre fin aux famines.

[3]) http ://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_alimentaire_mondiale_de_2007-2008

[4]) “Dans la période de 1961 à 1999, l’utilisation d’engrais azotés et phosphatés a augmenté respectivement de 638  % et de 203  %, alors que la production de pesticides a augmenté de 854%”, Global Food Report, p.13, traduit par nous

[5]) Voir les travaux de la journaliste Marie Monique Robin, Notre poison quotidien.

[6]) Idem.

[7]) Christian Jacquiau, Les coulisses du commerce équitable, p.142.

[8]) “A Fukushima, 300 tonnes d’eau contaminée se déversent chaque jour dans le Pacifique”, Le Monde du 7 août 2013.

[9]) Global food report, p. 18.

[10]) “Mexique : l’obésité, nouveau visage de la misère sous le capitalisme”, sur le site web du CCI, Juin 2010.

 

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De la "malbouffe" aux famines