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Révolution internationale n° 478 - septembre octobre 2019

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Nouvelle récession: Le capital exige davantage de sacrifices pour le prolétariat!

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En dépit de moyens sophistiqués pour masquer la progression du chômage, les mauvaises nouvelles sur ce plan tombent brutalement un peu partout, même si paradoxalement, comme en France, on annonce une baisse des demandeurs d’emploi. Il devient cependant de plus en plus difficile de faire croire que tout cela n’est pas si grave.

Comme chaque année, la période estivale a une nouvelle fois été mise à profit par la classe dominante de tous les pays pour porter de sérieuses attaques contre les conditions d’exploitation et les conditions de vie des salariés.

Mais cette fois, c’est pire. Que ce soit en catimini ou au grand jour, accompagnées ou non d’une propagande anesthésiante, on ne compte plus le nombre de mesures et de réformes qui ont été partout programmées ou mises en œuvre par la bourgeoisie pour faire face à l’accélération de la crise économique.

Les attaques brutales se renforcent

Dans les pays émergents, la situation des prolétaires se dégrade très fortement. En Argentine, la crise du peso et l’inflation galopante sont en train de plonger le pays dans un scénario qui rappelle de manière encore plus dramatique la chute vertigineuse de 2001 avec son lot de misère accrue pour les prolétaires. 1 Au Brésil, les effets de la réforme du travail avec les pertes de salaires se font lourdement sentir tandis que le système des retraites est attaqué. En Turquie, un plan d’austérité est lancé. En avril on notait déjà une hausse des prix des produits alimentaires de 32 % !

En Europe, au cœur du capitalisme, la crise économique commence à frapper durement. En Allemagne, les plans de licenciement se multiplient. La Deutsche Bank a annoncé en juillet la suppression de 18 000 emplois, le plus grand “plan de restructuration” de son histoire (soit 20 % des effectifs). Autre signe inquiétant pour l’emploi, “les commandes de machines-outils, le fer de lance de l’économie, ont ainsi reculé de 22 % sur un an entre avril et juin”. 2 Mais les suppressions d’emploi s’étendent déjà à pratiquement tous les secteurs : la grande distribution (par exemple, la fusion de Karstadt et Kaufhof va entraîner la suppression de 2 600 postes de travail ; cela va toucher entre 4 000 et 5 000 personnes car de nombreux salariés sont à temps partiel), 5 600 chez T-Systems, filiale informatique de Deutsche Telekom, les assurances (700 emplois en moins chez Allianz), dans les conglomérats industriels : Thyssenkrupp (6 000 dans le monde dont 4 000 en Allemagne), Siemens (2700 dans le monde, 1400 en Allemagne), Bayer (12000 d’ici 2021), etc. Dans le secteur automobile, alors que le travail à temps partiel dans le secteur avait disparu depuis cinq ans, il revient en force et touche aujourd’hui 150 000 personnes. 3

Au Royaume-Uni, dans le contexte chaotique du Brexit, la situation s’aggrave également. Ainsi, le géant bancaire britannique HSBC prévoit un plan de restructuration avec la perte de 4 000 postes, sachant qu’il avait déjà annoncé 30 000 départs en 2011 ! Aux États-Unis, la guerre commerciale et la hausse des droits de douanes impactent déjà les entreprises de produits manufacturés : “Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les raisons avancées par les employeurs pour justifier les suppressions d’emplois. Dans le dernier rapport de juillet, les droits de douane étaient l’une des principales raisons. En effet, 1 053 réductions ont été annoncées en un mois en raison des tarifs, pour un total de 1 430 cette année et contre 798 en 2018”. 4

En Inde, une source qui émane de l’industrie a déclaré à l’agence Reuters que les premières estimations suggèrent que les constructeurs automobiles, les fabricants de pièces détachées et les concessionnaires ont licencié environ 350 000 travailleurs depuis avril !

On pourrait encore multiplier les exemples. Pourtant, malgré toutes les annonces de suppressions d’emploi, les chiffres du chômage restent étrangement relativement stables un peu partout. L’explication est simple : tout procède d’un maquillage statistique sophistiqué et de nouveaux modes d’évaluation. Outre les chômeurs de plus en plus nombreux qui ne sont plus comptabilisés, le phénomène a été totalement dilué ces dernières années par une explosion de la précarité et la dégradation de la qualité des emplois. Dans tous les pays, les indemnités du chômage sont réduites en même temps que des emplois à rémunérations et horaires faibles ont été autorisés pour généraliser les “petits boulots”. Ce sont ces “politiques actives” qui permettent artificiellement d’augmenter le taux d’emploi sur le dos des prolétaires et de leur famille.

Ainsi, au Royaume-Uni, l’hyperflexibilité du marché du travail et “l’ubérisation” des emplois ont ainsi boosté les contrats “zéro heure” qui n’offrent aucune garantie en termes de temps de travail. Les employeurs sont libres de puiser, comme bon leur semble, en fonction de leur activité qui se dégrade et des carnets de commande en baisse. En Allemagne, nous l’avons vu, les réformes Harz de 2003-2005, qui avaient permis le développement de “mini-jobs” à 450 euros par mois, sont aujourd’hui en expansion. Dans bien d’autres pays, comme la Suède, les CDD à temps partiel, mal rémunérés, se sont fortement développés. Aux Pays-Bas, des contrats “zéro heure” et les “mini-jobs” à l’allemande sont en forte progression aussi. Au Portugal, les recibos verde et en France le statut des auto-entrepreneurs vont dans le même sens, celui d’accroître la précarité. Partout, pour ceux qui ont encore un CDI, les licenciements sont largement facilités. Aujourd’hui, ces mesures prises dès les années 1990, surtout après la crise de 2008, portent leurs fruits et progressent de plus en plus vite du fait de la crise. Pour limiter la baisse du profit, le capital ne cesse d’accroître l’exploitation de la force de travail, ce qui conduit à une forte dégradation des conditions d’existence de la classe ouvrière : les inégalités s’accroissent et la pauvreté ne cesse ainsi d’augmenter. 5

Cette forte progression s’est accentuée durant l’été. Ceci est en partie visible à travers notamment des mouvements de grèves qui ont touché quelques secteurs comme au sein de l’entreprise Amazon en Europe et aux États-Unis au cours du mois de juillet ou dans différentes compagnies aériennes de plusieurs pays (en Espagne ou en Italie, par exemple). Cela, en opposition au fort “dumping contractuel et salarial”.

Les conditions de travail deviennent donc de moins en moins supportables : “On a tellement de gens privés d’emploi qu’on accepte des conditions de travail délétères dans une dimension sacrificielle”. 6 La peur de perdre son emploi génère diverses pathologies et la terreur au travail provoque des suicides ou des dégâts irréparables : “Nous avons des cadres ‘sup’ dont le cerveau est définitivement abîmé et qui ne pourront jamais retravailler. C’est une usure prématurée de l’organisme due à son utilisation intensive et beaucoup trop folle”. 7 Bien entendu, si de plus en plus de travailleurs laissent leur santé au travail, il est aussi de plus en plus difficile de se soigner quand c’est encore possible ! Et ce ne sont pas les attaques sur le secteur hospitalier, notamment en France avec la réforme “Ma santé 2022” qui permettront d’inverser la tendance. 8

Contrairement aux années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale où la force de travail exsangue devait être remise sur pied pour la reconstruction en développant une “protection sociale”, la main-d’œuvre pléthorique d’aujourd’hui nécessitant un moindre coût pour la “compétitivité” n’exige plus ce “luxe” de maintenir une couverture sociale et de santé digne de ce nom.

D’autre part, la durée d’exploitation de la force de travail ne cesse d’être rallongée. Partout, les régimes de retraites sont violemment attaqués. L’âge de départ à la retraite est en recul partout et les pensions ne cessent de s’éroder. En Allemagne, l’âge de la retraite qui est de 65,5 ans va passer à 69 ans en 2027, au Danemark, l’âge de 65,5 ans va passer à 67 ans cette année et à 68 ans en 2030. Dans les pays nordiques, comme en Suède ou en Norvège, un système dit “flexible” va “encourager” les départs tardifs et c’est ce qui se profile aussi en France. Au Royaume-Uni, la loi encourage même à travailler jusqu’à 70 ans. Dans la pratique, les faibles pensions poussent de plus en plus les anciens à travailler. Aux États-Unis, des vieillards de plus de 80 ans se retrouvent ainsi encore en activité. Bien entendu, face à la nouvelle crise ouverte qui s’annonce, une chose est sûre, les prolétaires du monde entier vont voir leur situation se dégrader fortement et l’avenir ne pourra donc que s’assombrir.

L’entrée en récession

Tout ceci s’est d’autant plus accentué que la situation globale de l’économie mondiale s’est encore dégradée : “Au plan économique, la situation du capitalisme est, depuis début 2018, marquée par un net ralentissement de la croissance mondiale (passée de 4 % en 2017 à 3,3 % en 2019), que la bourgeoisie prévoit comme durable et devant s’aggraver en 2019-20. Ce ralentissement s’est avéré plus rapide que prévu en 2018, le FMI ayant dû revoir à la baisse ses prévisions sur les deux prochaines années, et touche pratiquement simultanément les différentes parties du capitalisme : Chine, États-Unis, zone euro. En 2019, 70 % de l’économie mondiale ralentissent et particulièrement les pays “avancés”, (Allemagne, Royaume-Uni). Certains des pays émergents sont déjà en récession (Brésil, Argentine, Turquie) tandis que la Chine, en ralentissement depuis 2017 et avec une croissance évaluée à 6,2 % pour 2019 encaisse ses plus bas chiffres de croissance des trente dernières années”. 9

La période estivale confirme nettement et accentue cette tendance à l’enfoncement dans la crise. D’une part, les tensions commerciales se sont encore fortement accrues cet été entre la Chine et les États-Unis et d’autre part, les principaux indicateurs économiques restent bien au rouge. Au cœur de l’Europe, l’Allemagne est encore touchée de plein fouet par les effets d’un début de récession, ce qui confirme qu’elle est ainsi devenue le nouveau grand malade de l’Europe et bon nombre de spécialistes soulignent plus globalement la possibilité d’une grande secousse financière à venir, probablement encore plus grave que celle de 2008 du fait du niveau d’endettement record accumulé depuis et de la fragilisation des États sur ce plan. Comme nous le soulignons aussi dans notre résolution concernant la classe ouvrière : “ces nouvelles convulsions ne peuvent que se traduire par des attaques encore plus importantes contre ses conditions de vie et de travail sur tous les plans et dans le monde entier”. Même si tous les États qui portent des attaques ne le font pas à la même intensité ni au même rythme, tous doivent s’adapter dans un même sens aux conditions de la concurrence et à la réalité d’un marché toujours plus saturé du fait de la surproduction. Les États doivent également procéder à des coupes sèches dans leur budget afin de faire à tout prix des économies. 10 En fin de compte, c’est encore et toujours sur le dos des prolétaires que la classe dominante tente désespérément de freiner les effets du déclin historique de son propre mode de production et c’est toujours eux qui doivent payer la note !

Quelles perspectives pour la classe ouvrière ?

Face aux attaques programmées et à venir, le prolétariat est fortement exposé aux coups. Cependant, tôt ou tard, il n’aura pas d’autre choix que de réagir et de mener la lutte de manière massive et déterminée. Mais pour cela, il devra d’une part développer les conditions pour une réflexion en profondeur afin de mieux comprendre la façon dont la bourgeoisie se prépare pour faire face à la lutte de classe et, d’autre part, tenter de cerner la façon de mener efficacement le combat de classe sur et en dehors des lieux de travail. Une telle exigence devra nécessairement revenir sur les leçons des mouvements prolétariens qui se sont déroulés par le passé, notamment durant les années 1980. Cela, pour prendre en compte les pièges et les mystifications orchestrées par l’ennemi de classe afin de mieux pouvoir les identifier à l’avenir et ne pas se laisser surprendre. Outre la nécessité de prendre conscience de sa force, de briser l’isolement en contrant la propagande démocratique de l’État et les agissements du syndicalisme, notamment sous ses formes les plus “radicales” et pernicieuses, le prolétariat devra rester toujours vigilant face aux dangers qui menacent l’autonomie de son combat. Il devra tout particulièrement lutter contre l’influence d’idéologies étrangères propres aux couches intermédiaires, notamment petites-bourgeoises qui sont facteur de dilution, risquant de noyer les prolétaires dans la masse indifférenciée d’une notion abstraite : celle de “peuple”. Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” en France, mêlant des prolétaires égarés aux couches petites-bourgeoises, est à cet égard un des exemples les plus significatifs des dangers croissants qui guettent le prolétariat. Loin d’être un modèle de lutte, ce mouvement monté en épingle en a été l’antithèse par son enfermement sur les valeurs démocratiques du capital et ses préjugés nationalistes, voire xénophobes. 11 A contrario, seules les méthodes de lutte du prolétariat, de la grève aux assemblées de masse, sont les conditions pour un combat réellement autonome et conscient, sur un véritable terrain de classe, qui pourront permettre l’affirmation d’une perspective révolutionnaire en vue de mettre fin aux rapports d’exploitation.

WH, 17 août 2019

 

1) Le peso argentin était à parité avec le dollar au début du siècle ; il ne vaut plus qu’environ 0,02 dollars aujourd’hui. La hausse des prix a été de 50 % sur les douze derniers mois. Le prêt de 57 milliards du FMI en 2018 n’a été consenti qu’en échange d’un plan de rigueur drastique et de sévères coupes budgétaires qui ont déjà provoqué cinq grèves générales depuis le début de l’année. Selon des statistiques reconnues, un tiers des Argentins vivraient déjà en dessous du seuil de pauvreté. (Source : “Argentine : la descente aux enfers de la troisième économie d’Amérique latine”, BFM Business du 13 août 2019).

2) “Allemagne : la croissance marque un coup d’arrêt”, L’Express (17 août 2019).

3) Sans compter le nouveau plan de Volkswagen qui prévoit de supprimer entre 5 000 et 7 000 emplois supplémentaires d’ici 2023 (plus de 30 000 depuis 2017) ou celui de Ford-Allemagne (5 000). En plus d’une réduction d’effectifs de 570 personnes, les contrats d’intérimaires ou à durée déterminée seront supprimés chez Mercedes-Benz.

4) “États-Unis : la guerre commerciale frappe l’emploi de plein fouet !”, Capital (14 août 2019).

5) Depuis 1982, les CDD ont doublé et l’intérim a été multiplié par cinq !

6) “Épuisement professionnel : un tiers des salariés sont en très grande souffrance au travail”, Europe 1 (1er mai 2019).

7) Idem.

8) Déjà en 2012, un tiers de la population a dû renoncer à des soins pour des raisons financières, soit 33 % de plus qu’en 2009 (selon le “baromètre santé et société” d’Europe Assistance-CSA).

9) “Résolution sur la situation internationale du 23e congrès du CCI” disponible sur notre site internet.

10) C’est particulièrement le cas de l’État français comme nous le montrons dans notre article sur les attaques en France : “La bourgeoisie profite des faiblesses du prolétariat pour l’attaquer plus fortement” disponible sur le site internet du CCI.

11) Voir “Bilan du mouvement des “gilets jaunes” : un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe”, supplément à Révolution internationale n° 478.

 

Rubrique: 

Crise économique

Incendies en Amazonie: Le capitalisme brûle la planète

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Cet été, les images de l’Amazonie en flammes ont fait le tour du monde. Cette forêt luxuriante, trésor unique de biodiversité et véritable “poumon vert de la planète”, a été consumée par plus de 40 000 incendies. L’ampleur de la catastrophe est telle que le cours du fleuve Amazone en est lui-même perturbé. Les scientifiques craignent que la baisse de son débit n’engendre des déséquilibres océaniques. 1

Face à ce désastre, les dirigeants de tous les pays ont réagi en multipliant les déclarations pour… mieux s’écharper par la suite dans une véritable foire d’empoigne. Le dernier G7, théâtre d’un affrontement entre l’État brésilien et l’État français, en est un exemple tragi-comique. La planète peut bien brûler, chaque nation capitaliste n’y voit qu’une occasion de porter des coups à ses concurrents dans l’arène économique mondiale, véritable métaphore d’un système en putréfaction.

La destruction par les flammes de l’Amazonie n’est pas un accident naturel ponctuel, ni le fruit d’une politique locale anormalement ir­responsable. Elle est le symbole de ce que réserve le capitalisme à toute la planète, à toutes les espèces et à l’humanité.

Le nombre d’incendies augmente partout sur la planète

Au cours de la seule année 2018, 12 millions d’hectares de canopées ont disparu de la surface de la terre, dont 3,6 millions de forêts tropicales humides. Le système traditionnel de “brûlage” de la forêt pour les cultures vivrières et l’auto-consommation des communautés rurales a cédé la place aux ravages de la déforestation massive et aux incendies à l’échelle industrielle.

Dans toute l’Amérique du Sud, les arbres sont brûlés pour faciliter la pénétration de l’exploitation minière et forestière, pour créer de nouveaux pâturages destinés à nourrir un bétail à faible coût, et pour produire massivement du soja et de l’huile de palme. Cette politique de destruction massive est menée dans tous les pays, quel que soit le parti au pouvoir.

Au Brésil, avant le populiste Bolsonaro, la même politique de déforestation sauvage était pratiquée sous les gouvernements successifs de Lula, Dilma Roussef et Temer. Au Paraguay, au Pérou ou en Bolivie, c’est le même désastre. Le “révolutionnaire” Evo Morales, figure emblématique de toutes les gauches radicales dans le monde, a baissé les contrôles environnementaux et accordé aux entreprises l’autorisation de détruire davantage la forêt. Depuis le début de l’année, 400 000 hectares d’arbres ont ainsi disparu en Bolivie dans la région de la Chiquitanía (20 000 incendies).

Au Venezuela, sous le règne du “socialiste du XXIe siècle” Nicolás Maduro, “l’Arc minier” engendre lui aussi des destructions d’ampleurs : cette vaste région subit une exploitation incontrôlée afin de favoriser l’extraction de l’or et d’autres métaux, ce qui permet aux dirigeants civils et militaires du chavisme de conserver un certain revenu au pouvoir. Depuis l’époque de Chavez, “l’Arc minier” est en effet placé sous le contrôle d’une camarilla militaire.

En Colombie, la guérilla “marxiste” de l’Armée de libération nationale (ELN) est également active dans l’exploitation des ressources minières. Avec la bénédiction du duo Chavez-Maduro, ces mafias, qui occupent des positions élevées dans leur gouvernement, exploitent (sur un territoire beaucoup plus vaste qu’au Brésil, en Équateur et au Pérou) les mines d’or, de diamants et de coltan. 2 Ces activités détruisent les végétaux, la faune et engendrent une pollution élevée des rivières.

Au Mexique, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a également lancé de grands travaux qui vont encore un peu plus grignoter les surfaces boisées : le “train Maya” et la raffinerie Dos Bocas. “Le président a affirmé que pas un seul arbre ne serait abattu pour construire le “train maya”, ce qui semble improbable puisque la péninsule du Yucatán est presque entièrement recouverte d’une végétation tropicale très dense, sans parler des forêts du Chiapas. Les scientifiques évoquent une menace pour la biodiversité, et notamment pour l’immense population de jaguars du Yucatán”. 3

Le même constat peut être établi en Afrique et en Asie. En Angola, gouverné par le MPLA, 130 00 incendies ont déjà eu lieu cette année. En 2015, en Indonésie, les forêts tropicales de Bornéo et Sumatra ont été frappées par de gigantesques feux, principalement à cause de la généralisation des plantations de palmiers (pour obtenir l’huile destinée à la fabrication de biocarburant).

Même en Alaska et dans la zone arctique, les terres grillent. En Sibérie, en un an, 1,3 million d’hectares ont brûlé et des villes comme Novossibirsk ou Krasnoiarsk ont subi des nuages de fumée toxiques qui ont amené des milliers de personnes aux urgences.

En Europe, l’État français, par la bouche de son président, s’est fait donneur de leçon au monde. Lors du récent sommet du G7 à Biarritz, Macron a ainsi brandi la menace de mettre un terme aux accords UE-Mercosur 4 et a dénoncé à grands renforts de trompettes l’incurie du président brésilien, incapable d’éteindre le feu. Mais ces grandes envolées lyriques sont d’une hypocrisie et d’un cynisme sans nom. Rappelons que la France est un des acteurs majeurs de la pollution environnementale (notamment par l’usage massif de pesticides) et détruit également les écosystèmes par son agriculture intensive. Il s’agit également d’un pays amazonien, propriétaire de la seule forêt tropicale européenne : la Guyane française, qui est la deuxième plus vaste région de France. Si pour l’instant son projet criminel de faciliter l’implantation d’opérations minières des multinationales dans ce qu’on appelle la “Montagne d’Or” semble abandonné par le gouvernement du fait de “l’incompatibilité du projet actuel avec les exigences de protection de l’environnement”, le fait d’en programmer désormais “une évaluation complète” ne signifie pas son abandon total et définitif. D’ailleurs, “les récentes annonces n’ont aucune valeur légale tant qu’une demande faite par la société minière n’aura pas été déboutée par les services de l’État”. 5

Toujours est-il qu’un tel projet a bien été envisagé sachant qu’il entraînerait des quantités énormes de déchets toxiques (arsenic, cyanure, etc.). Si aujourd’hui Macron et son gouvernement affirment vouloir laisser tomber le projet afin de se montrer responsables et soucieux de la défense de l’environnement, rappelons qu’en août 2015, le ministre de l’économie Macron était prêt à “tout faire pour qu’un projet de cette envergure puisse voir le jour”.

Le capitalisme entraîne l’humanité vers l’abîme

Ces feux de forêts, qui n’ont donc rien de “naturels”, sont une véritable catastrophe pour la vie. Au-delà des destructions qu’ils causent directement, ils aggravent aussi le réchauffement climatique. Aujourd’hui, la fumée des incendies est responsable d’environ 25 % des émissions mondiales de gaz à “effet de serre”. 6 L’industrie agroalimentaire est aujourd’hui plus polluante que les compagnies pétrolières ! C’est un cercle vicieux : le réchauffement favorise les incendies, ce qui facilite la déforestation, qui à son tour permet la propagation des incendies, qui libèrent plus de carbone, ce qui accroît le réchauffement climatique, dans une spirale infernale.

La pollution de l’air (comme celle qu’on a évoquée en Sibérie ou celle qui a obscurci le ciel de São Paulo, 15 heures après les incendies) est une des principales causes des décès prématurés. Une étude récente de l’ONU estime que 8,8 millions de personnes meurent chaque année de cette pollution. Ce taux est comparativement plus élevé dans les pays les plus “développés”.

Le capitalisme tue. Il détruit la planète et assassine les êtres humains. Voilà la vérité toute crue ! La bourgeoisie veut faire croire à la classe ouvrière qu’un capitalisme plus vert et plus juste est possible, un capitalisme où l’Amazonie ne serait plus considérée comme une entreprise mais comme une “réserve environnementale”, où partout la nature et ses forêts seraient plus raisonnablement cultivées. Mensonges ! Le capitalisme est basé sur l’exploitation par une minorité d’une immense majorité, sur la division de l’humanité en classes, la transformation des ressources naturelles et des êtres humains en marchandises. Le capitalisme est un système dont le moteur est la recherche de profit et l’accumulation. Rien d’autre ! Sa seule autre motivation a pour objet de masquer son exploitation sauvage en la recouvrant d’un voile hypocrite, celui de l’idéologie démocratique. Le capitalisme divise l’humanité en nations prêtes à se livrer une compétition à mort (jusqu’à la guerre).

La planète entière doit cesser d’être prisonnière de la dictature de ce système ; la nature doit être libérée de sa condition de marchandise. Mais cela n’est possible qu’en établissant un nouvel ordre sur toute la planète : le communisme, issu de la révolution internationale de la classe ouvrière.

Valerio, 30 août 2019

 

1) Le fleuve Amazone représente 18 % des eaux douces déversées dans les océans.

2) Minerai très convoité formé par deux minéraux (colombite et tantalite), exploité pour sa grande résistance à la corrosion et notamment utilisé pour la fabrication de composants électroniques (téléphonie mobile) mais également dans l’aéronautique et particulièrement la fabrication des réacteurs.

3) “Au Mexique, le projet présidentiel de train maya sur la voie de la polémique”, France Info (7 mars 2019).

4) Le Marché commun du Sud a d’abord été formé par l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, puis par le Venezuela (maintenant suspendu) et la Bolivie (cette dernière étant en voie d’adhésion).

5) “Montagne d’or : les paroles du gouvernement n’enterrent pas le projet”, Reporterre (19 juin 2019).

6) “Déforestation : anatomie d’un désastre annoncé”, Le Figaro (21 août 2017).

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [2]
  • Brésil [3]

Récent et en cours: 

  • environnement [4]

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Destruction de l’environnement

Brexit: Une impasse pour toutes les factions de la classe dominante

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La formation d’un nouveau gouvernement à Londres sous la direction de Boris Johnson ne résout pas la crise politique et la lutte de pouvoir au sein de la classe dominante britannique, qui est devenue un facteur prépondérant dans la vie politique du pays depuis le référendum sur le Brexit en juin 2016. Au contraire : avec la désignation de Johnson par les conservateurs comme leur nouveau leader et Premier ministre, cette crise a atteint une nouvelle étape et la lutte de pouvoir, un nouveau degré d’intensité. La nouvelle phase de cette lutte de pouvoir n’est ni une lutte entre Johnson et ses soi-disant opposants modérés du parti conservateur, ni entre Johnson et l’opposition travailliste, ou avec le Premier ministre écossais, Nicola Sturgeon, fervente partisane du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Comme le journal du dimanche britannique The Observer et le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung l’ont affirmé, l’opposant que Johnson et les conservateurs essayent principalement de neutraliser est “Mister Brexit” lui-même : Nigel Farage. Le calcul (ou le pari) de Johnson est d’ “assurer la livraison du Brexit” d’ici au 31 octobre, avec ou sans deal (“le faire ou mourir”) et si possible sans avoir, au préalable, recours à des élection s générales. Faute de quoi, afin de pouvoir “livrer” son Brexit, il risquerait d’avoir à former un gouvernement de coalition avec le nouveau Parti du Brexit de Farage. Ce dernier, outsider insouciant de la politique britannique, aurait ainsi un droit de regard direct sur la politique gouvernementale (ce que les soi-disant élites établies veulent éviter). D’autre part, si le Parlement actuel l’empêchait de livrer son Brexit à temps, comme promis, cela donnerait probablement un élan supplémentaire et considérable à la carrière politique comme aux ambitions de Farage. Le problème que cela pose à Johnson (au moment où ces lignes ont été rédigées) est qu’il n’est pas certain que le Parlement actuel accepte le deal (ou le no deal) qu’il est susceptible de présenter. Le Premier ministre pourrait également détourner l’attention du Parlement en le suspendant temporairement, par exemple. Cependant, certains de ses opposants ont d’ores et déjà déclaré que telle procédure serait considérée comme un coup d’État (en français dans le texte), un véritable putsch. En un mot : le désordre de­vient un bourbier. Cette situation est une expression claire de la fragmentation qu’engendre le capitalisme dans sa phase de déclin et du chacun pour soi à tous les niveaux : économique, militaire, social et politique. Les acteurs de ce processus, bien que n’étant pas passifs, sont largement conditionnés par celui-ci.

La situation politique (qui, pour l’instant, est pire que l’économique) va de mal en pis. La paralysie progressive de ces trois dernières années menace d’échapper à tout contrôle. Il est important de souligner que, dans ce contexte, si le nouveau Premier ministre mise tout sur un Brexit rapide et à n’importe quel prix, ce n’est pas parce qu’il pense que cette orientation va forcément dans l’intérêt du capitalisme britannique. En réalité, il est de notoriété publique que Johnson était loin d’être convaincu des bienfaits du Brexit au moment du référendum dont le résultat l’avait à la fois surpris et rempli d’une certaine consternation. La principale raison de son soutien au camp pro-Brexit semble avoir été son désir de construire sa propre base d’influence au sein du Parti conservateur afin de pouvoir défier son leader et Premier ministre d’alors : David Cameron. Coincé par la victoire du camp du Leave au référendum, il a rapidement réalisé que la mise en pratique de ce verdict serait une tâche ingrate. Il a donc momentanément renoncé (ou plutôt : reporté) à briguer la tête du parti, préférant laisser le sale boulot à quelqu’un comme Theresa May. La principale préoccupation de Johnson semble donc n’avoir jamais été le Brexit mais sa propre carrière politique. Trois années plus tard, il a réussi à se placer à la tête du parti et de l’État, ce qui nous éclaire sur les changements qui, depuis 2016, ont bouleversé l’équilibre des forces au sein de la classe dominante. Au moment du référendum, les deux camps qui s’opposaient alors étaient clairement dessinés, chacun derrière leur leader respectif : Cameron et Farage.

Farage était un arriviste, évoluant hors du parti et de l’appareil politique établi. Cameron, par contre, en plus d’être Premier ministre, avait beaucoup d’appuis au sein des instances dirigeantes. Ses soutiens provenaient de son propre parti, du Parti travailliste (le principal parti d’opposition), mais aussi des libéraux-démocrates et des nationalistes écossais, tous deux fervents partisans du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE (Remain). Le résultat semblait donc, à première vue, acquis d’avance. Pourtant, plus la campagne de l’UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni, extrême-droite) de Farage prenait de l’ampleur, plus les conservateurs (Johnson inclus) se mettaient à rejoindre les partisans du Brexit. Pour la plupart, ce n’était sans doute pas parce qu’ils avaient été convaincus par les arguments d’UKIP. Non pas qu’ils n’aient pas partagé le ressentiment de ce dernier à l’égard de l’Europe pour avoir poussé la Grande-Bretagne à tourner le dos à son ancien Empire mais leur principale motivation semble avoir été tactique : celle de couper l’herbe sous le pied de Farage et le détourner vers une voie de garage.

Mais les conservateurs ont fait une erreur de calcul et les partisans du Remain ont perdu. Ce qui, à son tour, a modifié l’équilibre des forces au sein de la politique bourgeoise britannique. Il suffit de rappeler que Theresa May (alias : “le Brexit signifie le Brexit”) 1 qui a succédé à Cameron, était à l’origine partisane du Remain, comme beaucoup de membres du Parti conservateur qui aujourd’hui se disent partisans d’un Brexit pur et dur. D’ailleurs, au sein du Parti conservateur, les partisans du Remain (les “hauts placés” comme Heseltine ou les députés actuels comme Dominic Grieve) passent un mauvais quart d’heure. Pour le moment, les partisans du Brexit ont plus ou moins pris les rênes du parti, mais surtout, ils ont fait main basse sur le gouvernement. En effet, l’un des architectes de la campagne du Brexit, Dominic Cummings, est désormais le conseiller principal du gouvernement.

Un environnement politique bouleversé par le résultat du référendum

Avant le référendum, il fallait choisir entre quitter ou bien rester au sein de l’Union européenne. Tant que c’était le cas, une majorité de la classe dominante était clairement en faveur de cette dernière option. Cependant, après le référendum, ce choix n’était désormais plus possible. Théoriquement, bien entendu, il serait toujours envisageable d’organiser un second référendum dans le but d’obtenir une majorité de voix en faveur du Remain. C’est une manœuvre bien délicate, cependant. En effet, il n’est absolument pas certain que l’issue serait cette fois différente et une telle tentative serait même périlleuse : elle risquerait d’aggraver les dissensions déjà existantes autour du Brexit ainsi que celles présentes au sein de la classe dominante. C’est pourquoi, parmi la classe exploiteuse, cette option n’est actuellement pas très populaire. Aujourd’hui, la dynamique est à un Brexit sans accord, même si, comme l’ont montré les élections européennes, il existe une polarisation entre le no-deal et le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Theresa May, lorsqu’elle était Premier ministre, a passé le plus clair de son temps à essayer de persuader la “classe politique” que son Brexit négocié devait être considéré comme un moindre mal. Sans succès. Du point de vue de la classe dominante, l’accord proposé par May est sans conteste beaucoup moins avantageux que le fait de rester dans l’UE. Un moindre mal ? Pour la plupart des responsables politiques et “faiseurs d’opinion” du pays, cette option n’en est absolument pas une. Pour eux, le Royaume-Uni devait encore suivre la politique de l’UE sur de nombreuses questions même sans avoir son mot à dire.

Ce dilemme a engendré une déso­rientation grandissante au sein de l’appareil d’État. Un des produits de cette désorientation est l’émergence de ce que l’on pourrait appeler les “hésitants”. Leur état d’esprit est mis en lumière par le discours et le comportement électoral de nombreux parlementaires : certains défendent une chose puis son contraire le lendemain, d’autres ne savent tout simplement pas quelle position adopter et semblent vouloir laisser leur indécision en l’état le plus longtemps possible. Impossible de deviner quel camp sera, au final, le leur.

Autre conséquence de cette désorientation : la cristallisation, au sein du Parti conservateur, d’une faction grandissante de partisans d’un véritable Brexit dur. “Véritable” car ils défendent le Brexit sans accord, non par opportunisme ou par considération tactique, mais parce qu’ils sont réellement d’accord avec Nigel Farage. Ce noyau dur se regroupe autour de personnes telles que Jacob Rees-Mogg, qui soutient qu’un no-deal est la meilleure chose qui puisse arriver. Ce groupe a indubitablement joué un rôle prépondérant dans la chute de May (après avoir maintes fois saboté ses tentatives pour que son deal soit accepté) et son remplacement par Johnson. Bien qu’il soit probablement encore minoritaire au sein du parti, il a l’avantage, par rapport aux autres conservateurs, de savoir exactement ce qu’il veut. De fait, leurs opposants au sein du parti sont fortement acculés à la défensive, leur rayon d’action étant limité par la crainte que leur vénérable Parti conservateur ne soit en danger existentiel. En effet, ils craignent que les partisans de la ligne dure, s’ils n’arrivent pas à leur fin, se rebellent et qu’ils rejoignent Farage d’une manière ou d’une autre. Scénarios possibles : une scission au sein du parti, ou son “détournement”, dans l’esprit de ce qu’a pu faire Trump avec le Parti républicain aux États-Unis.

Populisme et manipulation de la grogne sociale

Au moins, une chose ressort clairement : la soi-disant élite établie a sous-estimé le facteur du populisme politique en général et le rôle de Farage en particulier. Nous pouvons facilement convenir que le terme “populisme” n’est pas très précis et requiert d’être approfondi. Cela étant, le terme “populisme” lui-même contient déjà une part de vérité, comme l’illustre clairement la situation actuelle de la Grande-Bretagne. L’une des principales raisons du succès de Farage a été sa capacité à tirer parti du mécontentement populaire, à exacerber un ressentiment diffus et à manipuler les préjugés les plus répandus dans le but de contrer la propagande des factions dominantes de sa propre classe. La Grande-Bretagne était loin d’être le seul pays européen où la classe dirigeante, chaque fois qu’elle le pouvait, imputait à “Bruxelles” les effets de ses attaques contre sa “propre” population ouvrière. Cependant, en Grande-Bretagne, ce stratagème était systématiquement utilisé (sur une très longue période), avec une intensité et un degré d’hystérie qui ne se voyait quasi nulle part ailleurs.

De plus, cette politique a atteint un nouveau cap au début du siècle, lorsque certains pays de l’Europe de l’Est ont rejoint l’Union européenne. Une des conditions de leur intégration était que les États membres d’alors soient autorisés à limiter l’afflux de main-d’œuvre en provenance de l’Est pendant une phase de transition pouvant aller jusqu’à huit ans. Il s’agissait de faire en sorte que la pression à la baisse des salaires en Europe occidentale, que la concurrence de l’Est sur le marché du travail allait inévitablement exercer, puisse être introduite progressivement, afin d’éviter une aggravation trop brutale des tensions sociales. Trois pays seulement ont renoncé à ce mécanisme transitionnel : la Suède, l’Irlande et le Royaume-Uni. La principale raison, dans le cas de ce dernier, était évidente. Des pans entiers de l’industrie anglaise souffraient de la concurrence des entreprises allemandes qui bénéficiaient, entre autres, de salaires extrêmement bas grâce à la politique d’austérité de l’ “Agenda 2010”, mis en place par le gouvernement social-démocrate/vert de Gerhard Schröder. Face à cela, un afflux énorme de main-d’œuvre bon marché d’Europe de l’Est était exactement ce dont le capitalisme britannique avait besoin pour contrer cette offensive allemande. Au niveau de la politique du marché du travail, la mesure était un succès total. De nombreux ouvriers en Grande-Bretagne perdirent alors leur travail, remplacés par des “citoyens importés de l’Union européenne” qui se trouvaient dans une situation de détresse économique plus ou moins importante, obligés de travailler plus pour gagner moins. Ces derniers étaient non seulement “très motivés” (comme aime à le dire l’euphémisme capitaliste) mais nombre d’entre eux étaient également très qualifiés.

Cette politique n’a pas fait qu’aider à baisser les salaires réels. Cela a, au niveau social, entraîné une succession de mesures draconiennes, mieux décrite sous le terme : anarchie capitaliste. Presque rien n’avait été prévu pour faire face à l’afflux de centaines de milliers de nouveaux habitants. L’état déjà critique du logement, de la couverture médicale et des services publics tels que les transports et la santé, était désormais au bord de l’effondrement. Et ce, non seulement dans les environs de Londres, mais aussi dans des régions qui, jusqu’alors, étaient moins impactées par le flux migratoire des travailleurs européens. Afin d’illustrer l’ambiance qui régnait à cette époque, citons l’exemple du National Health Service de Londres, qui, au vu de la sur-affluence d’infirmières étrangères déjà compétentes, envisageait de ne plus en former.

Mais ce n’est pas tout. De manière plus ou moins unitaire, le gouvernement britannique et les médias démocratiques et pluralistes ont présenté cet afflux comme une chose que l’Union européenne avait imposé à la Grande-Bretagne et sur lequel Londres n’avait pas eu son mot à dire : un bel exemple de “fake news” ! Ainsi, lorsque Cameron commit l’erreur capitale d’organiser son référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne au sein de l’UE, Farage savait exactement ce qu’il faisait en plaçant “le contrôle de nos frontières” au centre de sa stratégie. En procédant ainsi, il fit d’une pierre deux coups : en dirigeant la frustration populaire contre ses propres rivaux bourgeois et, en même temps, en dressant les ouvriers les uns contre les autres, sapant ainsi la solidarité de la classe ouvrière. La seule différence, par rapport à ses homologues populistes en Europe tels que Salvini en Italie ou l’AfD (Alternative für Deutschland) en Allemagne, est qu’il s’est davantage mobilisé contre les migrants de l’Union européenne que contre les réfugiés.

Une coopération transatlantique contre l’Union européenne

Néanmoins, un second point a permis à Farage de prendre ses opposants politiques par surprise : le soutien de puissantes factions bourgeoises hors du Royaume-Uni. Beaucoup de choses ont été dites au sujet du rôle de la Russie dans la campagne sur le Brexit. Il est évident que Moscou avait un intérêt à ce que le camp de l’UKIP sorte gagnant du référendum et il a probablement fait tout ce qui était en son pouvoir pour influer sur le résultat. Cependant, il n’est un secret pour personne que la classe dominante britannique aime blâmer la Russie pour tout et n’importe quoi et a, en réalité, un intérêt direct à exagérer son rôle. Non, l’aide étrangère à laquelle nous faisons ici référence vient d’Outre-Atlantique. Ce n’est pas pour rien que les médias américains comparaient le référendum du Brexit à une sorte de répétition générale de la victoire de Trump aux élections présidentielles américaines de 2016. Ces deux événements furent, en grande partie, pris en main par les mêmes structures, telles que les algorithmes électoraux (aujourd’hui disparus) de la firme Cambridge Analytica appartenant au mathématicien et milliardaire américain Robert Mercer, ou l’empire médiatique de l’Australien Rupert Murdoch, fervent partisan de Trump.

Il y a, entre les factions bourgeoises dominantes américaines et britanniques, une longue tradition d’étroite collaboration et ce même sur les questions économiques. Tristement célèbre est le rôle majeur joué par les efforts combinés de Margaret Thatcher (Royaume-Uni) et Ronald Reagan (États-Unis) dans la mise en place d’un ordre économique mondial “néo-libéral”. Plus récemment, précisément face au référendum sur le Brexit, Barack Obama tentait de venir à la rescousse de David Cameron en mettant son poids politique et ses talents d’orateur de son côté. Mais à cette occasion (peut-être pour la première fois à une telle échelle), le soutien “officiel” de l’administration Obama au gouvernement britannique fut contrecarré par un autre soutien transatlantique, “non officiel” celui-ci : celui des futurs “trumpistes” aux partisans du Brexit. Cette dernière collaboration fut motivée par la conviction commune que, dans la phase historique actuelle, “le multilatéralisme”, qu’il se présente sous la forme de l’Union européenne ou, par exemple, sous celle de la Nouvelle route de la soie chinoise, est de plus en plus susceptible d’être utilisé comme bélier contre les intérêts de la plus grande puissance mondiale, les États-Unis, mais également contre ceux de l’ancien leader mondial, le Royaume-Uni. Par dessus-tout, ils soupçonnent des entités comme l’Union européenne d’être sujettes à la manipulation par des rivaux potentiels tels que la Chine et l’Allemagne. Ces deux dernières puissances, en particulier, sont considérées à Londres et à Washington comme profitant du marché unique de l’UE pour étendre leur influence au travers de toute l’Europe continentale. De ce point de vue, partagé par Trump et d’autres, dans un monde plus fragmenté et privé d’une grande partie de sa structure “multilatérale”, les États-Unis s’en sortiraient mieux, étant plus à même de s’imposer aux autres. Mais, d’après les partisans du Brexit, le Royaume-Uni pourrait également tirer avantage d’un (dés-)ordre unilatéral ou bilatéral grâce à son expérience historique, à ses connexions de longue date dans le monde entier et à son statut de puissance financière mondiale.

Dans ce contexte, l’objectif, à long terme, de la droite dure des partisans du Brexit ne saurait se limiter à la seule éviction du Royaume-Uni de l’Union européenne. Comme cela a été maintes et maintes fois dénoncé (déjà par Cameron lors de la campagne sur le référendum), dans un monde dans lequel la Grande-Bretagne coexiste avec l’UE, mais se trouve en dehors de celle-ci, Londres risque de se trouver considérablement désavantagé par rapport à l’UE. Pour cette raison, la droite dure des partisans du Brexit ne peut se satisfaire du retrait du Royaume-Uni de l’UE. Leur but ultime est de contribuer à l’effondrement de l’Union européenne, du moins sous sa forme actuelle. Le Brexit représente donc, à leurs yeux, un premier pas dans cette direction.

Il va de soi que cette stratégie est un pari des plus risqués. Pas étonnant que ce ne soit pas du tout ce que la classe politique traditionnelle voulait. C’est la situation historique mondiale objective (l’effondrement de l’ordre capitaliste existant) qui confère à ce projet improbable une certaine crédibilité.

La réponse de l’UE

Il n’est assurément pas passé inaperçu à Londres que, ces dernières années, l’Allemagne a pris d’importantes mesures dans le but d’affirmer ses ambitions de leader au sein de l’Union européenne. À cette fin, elle a notamment utilisé des moyens économiques. Elle a ainsi largement réussi à transformer l’Europe de l’Est en une sorte de chaîne de montage élargie de l’Europe de l’Ouest, mais surtout de l’industrie allemande. Elle a également profité de son rôle clé de garant de l’Euro (monnaie commune à la majorité des États membres de l’UE) pour imposer, au moins partiellement, ses politiques économiques en Europe du Sud. Ces mesures ont aidé, pendant quelque temps, à contrer les tendances centrifuges au sein de l’Union européenne.

Cependant, ces dernières années, de nombreux événements sont venus menacer cette cohésion. Comme nous l’avons abordé dans cet article, le Brexit ainsi que la politique de Trump représentent, dans une certaine mesure, une attaque contre l’UE. Au sein de l’Union européenne également, en Europe continentale, la cohésion déjà précaire s’est vue de plus en plus fragilisée : par la montée du populisme, par exemple, qui tend en général à être plus ou moins hostile envers Bruxelles, ou encore par le mécontentement croissant des autres États membres à l’égard de la politique économique allemande (dont les deux autres poids lourds que sont la France et, en particulier, l’Italie).

L’interaction entre ces différentes tendances et contre-tendances est compliquée et réserve toujours des surprises. En effet, les 27 pays membres restants de l’Union européenne se sont étonnés d’avoir jusqu’à présent réussi à serrer les rangs lors des négociations autour du Brexit, résistant, jusqu’ici, à toute tentative de Londres de les monter les uns contre les autres. De fait, les turbulences mondiales, comme le Brexit et en particulier l’explosion de guerres commerciales centrées, mais pas seulement, sur les deux géants américain et chinois, ont rappelé aux 27 les avantages de faire partie d’une même zone commerciale qui a un réel poids sur la scène économique mondiale. Cela vaut d’autant plus pour les petits pays membres de l’UE qui, en outre, sont privés des avantages économiques et politiques sur lesquels la bourgeoisie britannique peut au moins placer ses espoirs. De plus, un certain nombre de gouvernements populistes se sont rendu compte à quel point il pouvait être difficile de quitter l’UE, comme c’est le cas actuellement pour le Royaume-Uni, d’où la position intransigeante de l’UE sur la question.

Un autre facteur de la résilience actuelle de l’UE est la préoccupation de beaucoup de ses États membres face aux succès que la Russie rencontre ces dernières années. L’Allemagne, qui ne dispose pas d’un poids militaire suffisant pour s’imposer sur le continent européen, est donc obligée de développer des partenariats et de rechercher des intérêts communs pour accroître sa domination, face à cela, elle a mis au point une politique étrangère extrêmement hostile envers la Russie (avec qui elle pourrait également avoir des intérêts communs). Ce faisant, elle tente de relancer le fameux “moteur” franco-allemand et d’améliorer ses relations tendues avec la Pologne.

Il est évident que l’évolution de la crise politique à Londres sera influencée par des événements qui prendront place en Europe comme aux États-Unis. Les partisans radicaux du Brexit (comme Farage, Cummings, Rees-Mogg) n’ont pas d’autre choix que celui d’espérer la réélection de Trump en 2020. Mais que se passera-t-il s’il n’est pas réélu ? Et même si c’était le cas, comment les partisans du Brexit peuvent-ils être certains que l’homme dans le Bureau Ovale ne finira pas par penser que l’éclatement, pas seulement de l’Union européenne, mais aussi du Royaume-Uni serait dans l’intérêt des États-Unis ?

Le capitalisme a toujours été, dans un sens, un véritable jeu de hasard, une loterie et Londres est l’un de ses chefs-lieux. Aujourd’hui, avec un capitalisme en pleine phase de décomposition, c’est plus que jamais le cas. Un jeu dangereux au détriment de la stabilité et de l’avenir de l’humanité toute entière. Quand ce jeu de hasard devient-il une sorte de “roulette russe” ? Nous ne tenterons nullement de prédire quelle sera l’issue du jeu du “Brexit”. En revanche, ce dont nous pouvons être sûrs, c’est que cette dernière ne sera certainement pas en faveur de la classe ouvrière britannique, ni de celle d’aucun autre pays.

 

Steinklopfer, 6 août 2019

 

1) Le surnom “Brexit means Brexit” a été donné à Theresa May par la presse britannique suite à la conférence de presse du 30 juin 2016 où elle annonçait sa candidature à la tête du Parti conservateur, déclarant : “Le Brexit signifie le Brexit et nous en ferons un succès” et s’opposant fermement à un second référendum. Theresa May a ensuite inlassablement répété et tenté d’appliquer ce mantra, “Brexit means Brexit”, jusqu’à sa démission. (Note du traducteur).

 

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Réunion publique à Marseille sur le centenaire de l’IC: Tirer les leçons du passé, un besoin pour le combat de la classe ouvrière

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Le 6 avril 2019 s’est tenue à Marseille une réunion publique sur le centenaire de la fondation de l’Internationale communiste. Outre la présence de sympathisants du CCI, cette réunion a vu aussi la participation d’un camarade du PCI–Le Prolétaire et d’un camarade de Fil Rouge.

La présence de ces camarades du courant bordiguiste sur un des événements les plus importants de l’histoire du mouvement ouvrier était l’occasion de confronter nos positions car “pour pouvoir construire le futur parti mondial du prolétariat, sans lequel le renversement du capitalisme sera impossible, les minorités révolutionnaires doivent se regrouper, aujourd’hui comme dans le passé. Ils doivent clarifier leurs divergences par le débat, la confrontation des idées et des positions, la réflexion collective et la discussion la plus large possible. Ils doivent être capables de tirer les leçons du passé pour pouvoir comprendre la situation historique présente et permettre aux nouvelles générations d’ouvrir les portes de l’avenir”. 1

Pour la confrontation des idées dans le camp prolétarien

Ce sont les participants à cette réunion publique qui ont interpellé les organisations présentes pour qu’elles développent un débat ouvert dans le milieu politique prolétarien, car comme l’a dit une camarade : “il ne faut pas attendre de grands mouvements prolétariens pour le faire. Aujourd’hui nous sommes dans une situation de faiblesse de la classe, il y a un rouleau compresseur de l’idéologie bourgeoise avec le poids très fort de l’individualisme, un tel débat serait une réaction contre une telle pression”. Pour une autre camarade : “ce serait aussi un pôle d’attraction pour les minorités en recherche et notamment des jeunes. Attendre des grands mouvements du prolétariat contient le risque de reproduire la même erreur que l’IC à savoir qu’elle s’est constituée alors qu’il y avait beaucoup de points à clarifier, sur la question syndicale, le rôle du parti… et une des leçons que met en évidence la fondation de l’IC, c’est que toutes ces questions doivent faire l’objet de débats aujourd’hui”. Tous les participants étaient particulièrement intéressés à connaître les positions de la Gauche communiste, cerner où sont les points d’accord et les divergences. Un tel débat, dans sa dimension internationale, romprait avec l’atomisation des organisations prolétariennes et stimulerait la réfle­xion chez des éléments ou groupes intéressés par la politique révolutionnaire.

Bien évidemment, le CCI a régulièrement soutenu de tels appels et les groupes se réclamant de la Gauche communiste doivent aussi les entendre. Le CCI a toujours défendu le débat dans le milieu révolutionnaire, malheureusement cela a abouti, jusqu’à maintenant, à un échec, en particulier les Conférences initiées par Battaglia comunista (Parti communiste internationaliste) à la fin des années 1970. Pourquoi ? “C’est essentiellement l’incapacité du milieu dans son ensemble à surmonter le sectarisme qui a mené au blocage et finalement au sabotage des conférences. Dès le début, le CCI avait insisté pour que les conférences ne restent pas muettes, mais qu’elles publient, dans la mesure du possible, un minimum de déclarations communes, afin de préciser au reste du mouvement les points d’accords et de désaccords qui ont été atteints, mais aussi face à des événements internationaux majeurs (comme le mouvement de classe en Pologne ou l’invasion russe en Afghanistan) qu’elles fassent des déclarations publiques communes sur des questions qui étaient déjà des critères essentiels pour les conférences, comme l’opposition à une guerre impérialiste”. 2

Un début d’ouverture pour un débat au sein la Gauche communiste ?

Or, lors de cette réunion publique du CCI, nous avons vu les camarades du PCI et de Fil Rouge répondre à cet appel en développant une véritable confrontation des positions politiques. Il est évident que les groupes révolutionnaires présents sont absolument d’accord pour la création d’un parti mondial de la révolution. Une des premières leçons que la réunion a tiré, c’est qu’il ne faut pas commettre l’erreur de l’IC, l’union tardive des forces militantes du prolétariat alors que la vague internationale de luttes révolutionnaires connaissait ses premiers échecs graves, particulièrement en Allemagne en 1919, renforçant l’isolement de la révolution en Russie. Cela dit, le PCI et Fil Rouge ne tirent pas les mêmes leçons que le CCI, et cela a été l’occasion d’un débat très riche.

Comme il a été affirmé dans la discussion, les conditions dans lesquelles va se créer la future Internationale ouvrière seront différentes de celles qui ont prévalu à la fondation de la Troisième Internationale, il serait alors intéressant que le débat puisse se développer sur ce que sont ces conditions différentes, comme le disent les camarades. S’il existe une convergence entre les camarades bordiguistes et le CCI sur la nécessité de regrouper et d’unir les forces révolutionnaires à l’échelle internationale, il s’agit alors de clarifier sur quelles bases. Les camarades bordiguistes rejettent toute politique qui vise à une fusion des différents groupes, ce qui n’est bien sûr en aucune manière la conception du CCI. Cependant, c’est dans cette question (par quel processus ce regroupement doit se faire ?), qu’apparaissent de véritables divergences. Pour le CCI, ce processus ne peut se faire qu’à travers une confrontation des positions de chaque groupe, et ce alors que l’IC a laissé en friche toute une série de questions politiques nécessitant une clarification. En ce sens, pour qu’ait lieu cette confrontation, il est nécessaire de combattre le poids du sectarisme qui a prévalu dans le passé et qui continue à peser dans le milieu politique prolétarien, comme nous l’écrivons dans notre presse. Le CCI a rappelé que lors de la guerre impérialiste au Kosovo, en 1991, il avait lancé un appel aux groupes politiques prolétariens pour réagir à la barbarie bourgeoise en mettant en avant le mot d’ordre : “le prolétariat n’a pas de patrie, prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”, appel qui est resté lettre morte. Pourtant, c’est une des leçons que nous a légué le mouvement ouvrier avec la Conférence de Zimmerwald : alors qu’il existait de nombreuses divergences entre les participants, Zimmerwald a été une lumière pour le prolétariat mondial subissant la barbarie du capitalisme dans les tranchées de la Première Guerre mondiale. Cette Conférence a été le prélude à la création d’une nouvelle Internationale, alors que la Deuxième Internationale avait montré sa faillite en août 1914 en votant les crédits de guerre, entraînant le prolétariat dans la première boucherie impérialiste. Il ne s’agissait pas d’effacer les divergences politiques mais de défendre, face aux guerres impérialistes, un des principes prolétariens fondamental : l’internationalisme.

Cependant, le camarade de Fil Rouge a émis beaucoup de réserves sur les interventions de nos sympathisants et du CCI appelant à la clarification des divergences par la confrontation des positions de chaque groupe. Pour lui, les différentes organisations ont déjà dégagé des leçons et par conséquent un nouveau processus de clarification n’a pas lieu d’être. C’est pour cela que le camarade insiste sur l’idée de rejet de toute “fusion” des organisations prolétariennes et qu’un débat et une confrontation des positions ne sont pas nécessaires. Les deux camarades bordiguistes ont mis en avant ce que leur courant avait dégagé comme leçons : le rôle du parti, la dictature du prolétariat, la caractéristique de la Russie devant opérer une révolution double (comme le rappelait le camarade de Fil Rouge qui est la théorie de Marx en 1848 sur la “Révolution permanente”), ce qui a fait dire au camarade du PCI qu’il existe au sein de chaque pays des spécificités qu’il faut prendre en compte, ce qui était le cas justement de la révolution russe. Pour les camarades bordiguistes, le CCI a tiré d’autres leçons qui se rapprochent des positions conseillistes, notamment vis-à-vis de la question du parti et de la dictature du prolétariat. Nous avons rejeté une telle idée car il est indéniable que le CCI défend la nécessité d’un parti et de la dictature du prolétariat.

Or, ce sont justement sur toutes ces questions, en les élargissant à la question de l’émergence des Conseils ouvriers comme organes du pouvoir de la classe ouvrière, comme le disait Lénine, ou encore sur la question syndicale, que le processus de clarification doit avoir lieu. En ce sens, pour le CCI, toutes les leçons de l’IC, notamment, sur le changement de période historique du capitalisme, celui de la décadence, comme Rosa Luxemburg et Lénine l’avaient mis en évidence, n’ont pas été encore tirée en profondeur. Il reste en effet un gros travail à faire pour saisir les implications induites par la période de décadence en ce qui concerne l’intervention des révolutionnaires dans les luttes ouvrières. En fait, nous considérons qu’il faudrait aussi examiner plus en profondeur l’apport des différentes expressions de la Gauche communiste qui se sont battues contre la dégénérescence de l’IC.

Alors que les différentes organisations de la Gauche communiste devraient pouvoir s’engager dans un débat ouvert et fraternel dans ce sens, celle-ci demeure malheureusement encore aujourd’hui trop fragmentée.

Selon le camarade de Fil Rouge, “la situation de la classe ouvrière est catastrophique”. Un tel constat nécessite, de notre point de vue, grandement d’être discuté. Pour notre part, nous pensons qu’il faut débattre et fortement nuancer ce propos au regard de l’évolution des luttes et de la conscience de classe sur un plan plus historique. En effet, si les difficultés pour la classe ouvrière sont indéniables, nous ne pouvons pas pour autant les mettre sur le même plan que celles qu’a pu vivre la classe ouvrière durant la période de contre-révolution dans les années 1930. ll faudrait donc aller plus loin, comprendre pourquoi la classe ouvrière se retrouve dans une situation que nous qualifierions plutôt aujourd’hui de “grande faiblesse”. Tout cela nécessite bien une argumentation et un débat contradictoire pour permettre de nous inscrire dans un cadre général afin de prendre plus de recul et saisir de manière dynamique une perspective pour notre classe. Nous devons par exemple voir comment les leçons de l’IC et des groupes se réclamant de la Gauche communiste, comme Bilan par exemple, peuvent nous aider à nous orienter dans la situation complexe d’aujourd’hui. Un tel débat, vital pour le mouvement ouvrier et les organisations révolutionnaires, nécessite donc que les groupes se réclamant de la Gauche communiste se rassemblent pour des confrontations fraternelles, en développant les polémiques dans la presse et aussi par la discussion en organisant des réunions publiques face à la classe ouvrière. Cela, afin de créer un lieu de débat ouvert contre la propagande de la classe dominante. Cela est possible et nécessaire comme l’a montré la tenue de la réunion publique à Marseille sur la création de l’IC. En ce sens, la présence de la mouvance bordiguiste aux réunions publiques du CCI, qui est à saluer, montre que cette fragmentation des organisations de la Gauche communiste peut et doit être dépassée. Le CCI mettra toutes ses forces dans la bataille pour que se créent toutes les conditions pour une clarification politique dans le camp révolutionnaire.

André, 15 août 2019

 

1) “Centenaire de la fondation de l’IC : l’Internationale de l’action révolutionnaire ouvrière”, Révolution internationale n° 476 (mai-juin 2019).

2) Voir sur le site internet du CCI : “Il y a cinquante ans, Mai 68. La difficile évolution du milieu politique prolétarien”.

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [7]
  • Révolution Allemande [8]

Evènements historiques: 

  • Internationale communiste [9]

Rubrique: 

Centenaire de l’Internationale Communiste

Manifestations à Hong Kong: Quand l’impérialisme alimente le mythe démocratique

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Après une longue période de manifestations en série et les pressions accrues de la rue, la cheffe de l’exécutif hongkongais, véritable bureaucrate et marionnette de Pékin, a fini, le 4 septembre dernier, par céder en retirant le projet de loi très contesté qui portait sur les extraditions (de soi-disant criminels) vers la Chine.

Depuis la rétrocession britannique de Hong Kong à l’empire du Milieu en 1997, l’étau chinois s’était progressivement resserré et les événements de ces derniers mois traduisent une des plus graves crises politiques ayant secoué cette place financière où vivent sept millions de personnes. En 2014, la dite “révolution des parapluies” avait déjà mobilisé les pro-démocratie mais s’était heurtée de plein fouet à l’inflexibilité du prédécesseur de la “Dame de fer” actuelle, Carrie Lam. Or, depuis le mois de juin, des mobilisations analogues semblent aboutir cette fois à un camouflet pour Pékin : le retrait de la loi sur les extraditions vers la Chine. Comment expliquer cela, alors que Pékin restait droit dans ses bottes jusqu’ici et avait déjà fait la preuve de ses talents pour réprimer très durement toutes contestations, en particulier celle de la place Tiananmen en 1989 ? D’ailleurs, la présence pressante de l’État chinois et de ses tortionnaires aux portes de l’“îlot” hongkongais ne fait que traduire l’intention de réprimer fortement les manifestants. La répression a déjà frappé les leaders les plus en vue et tous ceux que l’État chinois assimile volontiers à des “terroristes”. 1

À elles seules, les mobilisations de millions de personnes chaque fois plus déterminées (jugeant d’ailleurs que le geste de Carrie Lam “c’est trop peu et trop tard”) n’expliquent pas totalement le recul de Pékin. Ceci, d’autant plus que la relative autonomie de Hong Kong, en théorie jusqu’en 2047, reste sur le fond intolérable pour le parti unique stalinien qu’est le PCC. Ce qui change fondamentalement la donne, c’est le rapport de force entre les grandes puissances et la réalité d’un aiguisement des tensions impérialistes, notamment entre les États-Unis et la Chine. 2 Face aux ambitions impérialistes affichées par cette dernière et la réalité de sa montée en puissance, bouleversant les équilibres notamment par son gigantesque projet des “routes de la soie”, les États-Unis ont été amenés à riposter par une véritable offensive dont l’objectif est, en grande partie, d’endiguer ce nouvel adversaire de plus en plus gênant et dangereux. Outre l’aiguisement des tensions commerciales, cet été, et les pressions militaires américaines dans le golfe Persique, 3 les manifestations de Hong Kong constituent une arme de la déstabilisation supplémentaire contre la Chine. Pékin ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’elle accuse ouvertement les manifestants de “collusion avec l’Occident” et affirme que “nous nous opposons fermement à toute force extérieure intervenant dans les affaires législatives de Hong Kong”. 4

L’affaire de la “fuite” des propos privés de Carrie Lam prétendant vouloir “démissionner” de son poste semble attester de la fameuse “collusion” que la Chine dénonce à l’encontre des “occidentaux”. Bien entendu, si les “occidentaux” tant incriminés par Pékin se sont rapidement “indignés” de la fameuse loi d’extradition vers la Chine (Trump le premier), ce n’est certainement pas parce que cette dernière serait “contraire aux droits de l’homme” et parce qu’elle est utilisée pour torturer ou enfermer tous ceux qui contestent l’ordre établi par Pékin, que ce soit des journalistes, des ONG et bien sûr les militants de tous poils. Non ! Tout ceci relève uniquement d’un pur opportunisme politique, pour des motivations exclusivement impérialistes. En réalité, l’État américain, ou d’autres “occidentaux” incriminés, n’ont que faire du sort des extradés, des prisonniers, des torturés par les sbires de l’État chinois. Souvenons-nous d’ailleurs qu’eux-mêmes utilisent volontiers les mêmes méthodes dans certaines circonstances (comme les pratiques barbares des soldats de l’armée américaine en Irak ou en Afghanistan, à une époque où les dirigeants occidentaux étaient pourtant un peu plus “présentables” qu’un Trump). 5 Ainsi, si les opposants de Hong Kong bénéficient de tant de sympathie et d’appuis (au moins idéologiques si ce n’est matériels) de la part des grandes puissances occidentales et de leurs dirigeants, c’est non seulement pour des raisons impérialistes, mais également parce qu’un tel mouvement est totalement inoffensif pour le système capitaliste et qu’il permet même de le préserver.

En effet, les manifestants de Hong Kong ne sont en rien l’expression d’un mouvement de classe révolutionnaire remettant en cause le capitalisme ; “Peu importe combien ils sont et peu importe combien d’ouvriers ont participé à ce mouvement, les protestations de rue ne sont pas une manifestation du combat de la classe ouvrière. À Hong Kong, le prolétariat n’est pas et n’a pas été présent dans la lutte en tant que classe autonome. Au contraire ; les ouvriers de Hong Kong ont été complètement submergés, noyés dans la masse des habitants”. 6 Un tel mouvement présente donc un grand danger pour la classe ouvrière en renforçant l’idéologie dominante, en réactivant le mythe démocratique contre la lutte et l’autonomie de classe du prolétariat.

Quand l’impérialisme souffle sur les braises de l’idéologie démocratique pour masquer ses sordides intérêts capitalistes, indépendamment de la suite et de l’issue des événements futurs, cela ne peut que porter davantage de confusions dans les têtes des ouvriers. Cela n’augure que de la barbarie, favorise l’exploitation, les tensions, les guerres et le chaos.

WH, 6 septembre 2019

 

1) Plus de 1 100 arrestations, l’usage massif des lacrymogènes et de canons à eau estampillés “démocratie française”.

2) Les porte-parole du mouvement soupçonnent le gouvernement d’avoir été poussé à réagir à l’approche de la rentrée du Sénat américain qui doit reprendre l’examen du Hong Kong Human Rights and Democracy Act qui, s’il était adopté, pourrait remettre en cause le statut particulier, fiscal et commercial, de Hong Kong vis-à-vis des États-Unis.

3) Les menaces de représailles envers l’Iran ont ainsi permis un contrôle plus serré du détroit d’Ormuz par les États-Unis au détriment des ambitions de la Chine dans cette région géostratégique vitale.

4) “Cinq questions sur la crise à Hong Kong”, France Info (10 juin 2019).

5) On peut prendre l’exemple du “waterboarding”, qui consiste à simuler une noyade. Des photos du Pentagone montraient “des pyramides de détenus nus, des prisonniers tenus en laisse, menacés par des chiens ou contraints de se masturber” (“États-Unis : le Pentagone publie des photos de sévices sur des prisonniers en Irak et en Afghanistan”, France 24 du 6 février 2016).

6) “Manifestations massives dans les rues de Hong Kong : les illusions démocratiques sont un piège dangereux pour le proléta­riat”, à lire sur le site Internet du CCI.

Géographique: 

  • Chine [10]

Récent et en cours: 

  • Hong Kong [11]

Rubrique: 

Crise à Hong Kong

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Liens
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