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ICConline - janvier 2018

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Le capitalisme menace l'humanité d'un avenir apocalyptique

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Dans une émission TV de 1965, le physicien Robert Oppenheimer, un des scientifiques chargés de travailler sur le développement de la bombe atomique pour le compte des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, raconta ce qu'il ressentit lorsqu'il assista au premier essai nucléaire dans le désert du Nouveau Mexique en juillet 1945 : “On a su que le monde ne serait plus le même. Quelques personnes ont ri, d'autres ont pleuré mais la plupart sont restées silencieuses. Je me suis rappelé la phrase de l’Écriture hindoue, le Bhagavad Gita ; Vishnu tente de persuader le Prince d'accomplir son devoir et, afin de l'impressionner, prend sa forme aux bras multiples et dit: “Maintenant je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes”. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une façon ou d'une autre”. (1)

Avant le capitalisme, plusieurs sociétés avaient développé des mythologies sur la fin des temps. L'Apocalypse annoncée par le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, vue comme la destinée finale de ce monde, était perçue comme précédant l'avènement d'un nouveau paradis et d'une nouvelle Terre qui dureraient éternellement et pour tous ; alors que dans la vision hindoue, de nouveaux mondes et mêmes de nouveaux univers renaissent sans fin, disparaissant et réapparaissant dans un grand cycle cosmique.

Mais si l'idée de l'apocalypse n'est pas nouvelle, ce qui est inédit dans le mode de production capitaliste est, tout d'abord, que le monde occupé par l'humanité depuis des centaines de milliers d'années peut être détruit par les technologies que les êtres humains eux-mêmes ont créées plus que par des êtres surnaturels ou un destin inexorable. Ensuite, une telle destruction ne serait pas le prélude d’un monde meilleur mais de son anéantissement pur et simple.

La bombe atomique testée dans le désert en juillet 1945 sera, un mois plus tard, expérimentée sur des dizaines de milliers d'êtres humains à Hiroshima et Nagasaki. Le monde ne sera en effet plus jamais le même. La bombe A était la preuve “scientifique” de quelque chose que beaucoup avaient déjà commencé à suspecter à l'aube de la Première Guerre mondiale. Sigmund Freud déclarait en 1929: “Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la Nature qu'avec leur aide, il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier. Ils le savent et c'est de là que provient une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse.” (2)

Les psychanalystes du futur, si l'humanité survit au capitalisme, écriront peut-être des traités sur l'énorme coût psychologique que signifie de vivre non seulement avec la menace de sa propre mort mais également avec celle de l'humanité tout entière, et avec elle de très nombreuses autres formes de vie sur Terre. Il est déjà possible de discerner de multiples manifestations de ce fardeau mental : la plongée dans le nihilisme et autres formes d'autodestruction, la quête vaine d'un espoir émergeant des mythes anciens sur l'Apocalypse, particulièrement présents dans les “fondamentalismes” chrétien et musulman.

Pour Jung, le rival de Freud, la vague d'apparition d'OVNI à la fin des années 1940 était une transposition moderne de ces vieilles histoires : "“soumis à l'insoutenable réalité posée par la menace nucléaire, il y eut une tendance marquée de projeter les peurs réelles sur des “choses vues dans le ciel”, souvent accompagnées par l'espoir que des êtres plus sages viendraient nous sauver de notre propre folie.” (3)

Qui s'étonnera dès lors que durant la guerre de Corée, dont beaucoup craignaient qu'elle ne vire à la Troisième Guerre mondiale, les camarades de la Gauche Communiste de France faisaient remarquer que “l'aliénation mentale sous toutes ses formes est à notre époque ce que les grandes épidémies étaient au Moyen-Age.”(4)

1945 -2017 : l’épée de Damoclès nucléaire

La classe dominante des pays démocratiques justifia les atrocités d'Hiroshima et Nagazaki en déclarant qu'en contrepartie, cela avait sauvé des vies, avant tout américaines, car elles avaient évité l'invasion militaire du Japon. En réalité, la bombe était un avertissement dirigé moins contre une armée japonaise en déliquescence que contre l'URSS qui avait tout récemment déclaré la guerre au Japon et affirmait sa présence en Extrême-Orient. Par conséquent, Hiroshima était plus le premier acte de la “Troisième Guerre mondiale” que le dernier de la Seconde. Cette Troisième Guerre mondiale, compétition entre les deux blocs américain et russe, est restée une “guerre froide”, dans le sens où elle n'a jamais pris la forme d’un conflit ouvert. Elle fut plutôt menée à travers une série de guerres par procuration entre États locaux et autres “mouvements de libération nationale” accomplissant la sale besogne alors que les deux super-puissances fournissaient les armes, le renseignement, le support stratégique et la justification idéologique.

A certains moments, cependant, ces conflits prirent le chemin d'une escalade pouvant déboucher sur un conflit nucléaire, en particulier durant la guerre de Corée au début des années 1950 et la crise de Cuba en 1962. Et, pendant ce temps, la “course aux armements” signifiait que les deux blocs militaires investissaient lourdement, orientaient d'énormes quantités de travail et de recherche (ce qui en termes capitalistes signifie d'énormes quantités d'argent) dans le perfectionnement d'armes pouvant détruire plusieurs fois l'humanité. Les politiciens tentèrent de rassurer la population mondiale avec la notion de “Destruction Mutuelle Assurée” (DMA), signifiant qu'une Guerre Mondiale était impensable à l'âge nucléaire du fait que personne ne pourrait la gagner. Par conséquent, la meilleure garantie de “paix” était de maintenir et continuer à développer ce gigantesque arsenal de mort. En d'autres termes, le message était le suivant : “Une épée de Damoclès demeure suspendue au-dessus de vos têtes ? Vous feriez mieux de vous y habituer car c'est la seule manière de vivre désormais”.

Après l'éclatement du bloc russe à la fin des années 1980 (5), les politiciens optèrent pour une autre rhétorique : la fin de la guerre froide signifierait un “Nouvel Ordre Mondial de paix et de prospérité”. Près d'un quart de siècle s'est écoulé et ces mots de George Bush père, le président qui a “offert” la victoire au bloc de l'Ouest dans la guerre froide, sonnent particulièrement creux. La prospérité demeure une chimère pour des millions de personnes et cela dans un monde constamment menacé par d'énormes tempêtes financières comme celle de 2008. Quant aux promesses de paix, l'effondrement de la discipline en vigueur dans les anciens blocs a engendré une série de conflits armés toujours plus chaotiques, particulièrement au Proche et Moyen-Orient, dans la zone située aux alentours de la bataille biblique d’Armageddon.

Cette région (qui avait déjà connu les guerres arabo-israéliennes, celle du Liban, irano-irakiennes ainsi que la bataille pour l'Afghanistan) n'a pour ainsi dire presque pas connu de jour sans être déchirée par la guerre depuis la première aventure militaire inaugurée par les États-Unis après l'effondrement du bloc de l'Est (la Guerre du Golfe en 1991) jusqu'au cauchemar militaire actuel qui se répand à travers la Syrie et l'Irak. Ce conflit, peut-être encore plus que tous les autres, révèle la profonde irrationalité ainsi que la nature incontrôlée des guerres de la phase actuelle.

Contrairement aux guerres par procuration entre les deux blocs qui dominaient la période précédente, nous avons désormais une guerre avec tant de camps différents et d'alliances mouvantes qu'il devient de plus en plus difficile de les dénombrer. Afin de garder le pouvoir, le président syrien Bachar al Assad a dévasté des pans entiers de son propre pays alors que l'opposition à sa domination se divise entre factions d'islamistes “radicaux” et “modérés”, chacune prête à sauter à la gorge de l'autre à tout moment. La coalition soutenue par les États-Unis contre l'État islamique (EI) en Syrie et en Irak est déchirée par des rivalités entre les milices chiites et les Peshmergas kurdes, plus particulièrement suite au référendum controversé sur l’indépendance du Kurdistan qui menace de désintégrer le fragile État irakien ; des puissances régionales comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, l'Iran et la Turquie jouent leurs propres cartes, plaçant leurs pions et changeant les alliances en fonction de leurs intérêts immédiats. Pendant ce temps, la vaste majorité de la population est soit forcée de fuir vers la Turquie, la Jordanie ou l'Europe, alors que ceux qui restent tentent de survivre physiquement et psychologiquement dans des cités en ruine comme Alep, Raqqa ou Mossoul.

En outre, ces conflits sont liés à d'autres guerres tout autant insolubles, de la Libye à la corne de l'Afrique, du Yémen jusqu'à l'Afghanistan et le Pakistan. Les grands centres de la “civilisation” occidentale ne sont désormais plus à l'abri de ces fléaux guerriers. Le contrecoup de l'engagement des puissances occidentales dans ces guerres se traduit par des vagues de réfugiés se dirigeant vers ce “paradis” qu'est l'Europe et par les efforts de groupes terroristes comme l'EI pour exporter la guerre sur les terres des “Infidèles”.

Ces guerres nous fournissent déjà un aperçu terrifiant de ce qui attend le monde si les tendances destructrices au sein du capitalisme sont amenées à se réaliser jusqu'à leur terme. Mais il y a également un autre aspect de l'extension du “chacun pour soi” : la réapparition de la menace nucléaire sous une forme nouvelle. Sous le règne des blocs, les deux super puissances avaient un intérêt réel et la capacité à limiter l’expansion des armes nucléaires pour elles-mêmes et à un petit nombre des régimes auxquels elles pouvaient faire confiance pour obéir à leur commandement. L'armement nucléaire de la Chine dans les années 1960 fut une rupture dans cette chaîne de commandement car la Chine s'était déjà détachée du bloc russe ; et depuis la disparition des blocs, la “prolifération nucléaire” n'a cessé d'augmenter. L'Inde et le Pakistan, deux États qui se sont déjà faits la guerre à plusieurs occasions et vivent dans un état permanent de tensions, ont désormais leurs missiles pointés l'un vers l'autre. L'Iran a fait un pas en avant significatif pour se doter d'armes de ce type et une multitude d'autres régimes, même des groupes terroristes, cherchent à rejoindre ce club.

Par-dessus-tout, aujourd'hui, il faut souligner l'acquisition et les tests pirates d'armes atomiques par le régime stalinien de Corée du Nord alors que la première puissance militaire mondiale, les États-Unis, est aux mains d'un chef narcissique imprévisible qui a accédé au pouvoir en surfant sur la vague populiste. Ces deux formes de régimes-voyous émettent, chaque semaine qui passe, de nouvelles menaces de feu et de fureur entre eux et il n'est pas possible d'affirmer que tout cela n'est que de l'esbroufe. Il existe certes, dans les deux camps, des facteurs qui les empêchent de déchaîner un holocauste nucléaire. Trump, par exemple, n'a pas entièrement le champ libre car il a de puissants opposants à peu près à chaque tournant au sein même de son propre appareil militaire et sécuritaire.

Cependant, ces conflits internes, comme la vague populiste elle-même, indiquent une perte de contrôle politique par la bourgeoisie, ce qui favorise les décisions imprévisibles et imprudentes. De plus, derrière le conflit entre les États-Unis et la Corée du Nord, se cache une rivalité plus grande encore, celle entre la Chine et les États-Unis. Pendant ce temps, la Russie, qui demeure le second État au monde le plus lourdement armé sur le plan nucléaire, a recouvré en partie la puissance impérialiste qu'elle avait perdue suite à la chute de l'URSS et adopte une politique étrangère toujours plus agressive, surtout en Ukraine et en Syrie. Si le risque d'un holocauste nucléaire planétaire s'est éloigné avec l'incapacité de la bourgeoisie à enrôler le prolétariat dans une Troisième Guerre mondiale, l'éventualité d'un conflit nucléaire régional causant des millions de morts n'est malheureusement pas à écarter.

L’Armageddon écologique

Durant la période de la guerre froide, majoritairement caractérisée par la croissance économique qui suivit la Seconde Guerre mondiale, la conscience de l'impact qu'aurait cette croissance sur l'équilibre entre l'Homme et le reste de la Nature était faible. Mais les dernières décennies ont montré combien est limité le “contrôle humain sur les forces de la Nature” dans la course capitaliste au profit, où la dévastation, le gaspillage et la destruction ont toujours dominé ce que Marx appelle l'“échange métabolique” de l'Homme avec la Nature.

Le 19 octobre, The Guardian [1] annonçait que “les populations d'insectes volants ont diminué de trois-quarts ces vingt- cinq dernières années, selon une nouvelle étude qui a choqué les scientifiques. Les insectes sont partie intégrante de la vie sur Terre comme pollinisateurs et comme proies pour d'autres espèces et l'on savait déjà que certaines espèces comme les papillons étaient en déclin. Mais la révélation de l'échelle à laquelle l'ensemble des insectes disparaissent a provoqué des mises en garde sur le fait que le monde est en route vers un “Armageddon écologique” avec de profonds impacts sur la société humaine.” Nous étions déjà informés, bien sûr, du déclin alarmant des populations d'abeilles. Ceci n'est qu'une partie de la tendance à l'extinction de masse qui touche d'innombrables espèces vivantes, engendrée par l'empoisonnement de l'air et des mers par les pesticides, les émissions industrielles et des transports ainsi que le fléau des déchets plastiques. Et les nuages toxiques tuent également de plus en plus d'êtres humains. Le jour suivant la parution de l'article sur le déclin des insectes, le même Guardian [2] publiait en effet un nouveau rapport estimant que 9 millions de personnes meurent chaque année directement à cause de la pollution. Ajoutez à cela la fonte des glaces, le déchaînement de super-tempêtes, les sécheresses et les incendies, tous liés au changement climatique dû au capitalisme (donc à l'Homme) et à son incapacité à agir durablement sur l’enfoncement alarmant dans la destruction environnementale dans lequel il a plongé l’humanité et qu’il n’a au contraire fait que considérablement aggraver. La menace d' “Armageddon écologique” ressemble de plus en plus à ces histoires anciennes d'un monde disparaissant sous les eaux et les flammes.

Par conséquent, à la menace d'une destruction par la guerre impérialiste, la question écologique en rajoute une autre non moins effrayante mais ces deux cavaliers de l'apocalypse ne chevaucheront pas séparément. Bien au contraire : un monde capitaliste caractérisé par un amenuisement des ressources vitales, qu'on parle d'énergie, de nourriture ou d'eau, est plus enclin à traiter le problème à travers une compétition exacerbée entre nations, le pillage militaire et le brigandage (dans des guerres économiques et impérialistes à court terme) plutôt qu'à travers une coopération rationnelle à l'échelle planétaire qui seule pourrait apporter une solution à ce nouveau défi pour la survie de l'humanité.

L’autre face de la réalité : le combat contre le capitalisme est aussi un combat contre le désespoir

Si l'on regarde d'un seul côté, ce résumé de la situation ne peut qu'engendrer du désespoir. Mais il existe une autre facette : si les produits des mains de l’Homme les rendent capables de “s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier”, réalisant les cauchemars apocalyptiques les plus sombres, les mêmes forces de production pourraient être utilisées pour réaliser un autre rêve ancien : un monde d’abondance dans lequel aucun secteur de la société n’aurait besoin d’en dominer un autre, un monde qui aurait dépassé les divisions qui sont au cœur des conflits et de la guerre.

C’est une des contradictions de l’évolution du capitalisme, que précisément au moment où un tel monde devient possible (nous dirions au début du XXème siècle), cet ordre social plonge l’humanité dans les guerres les plus barbares de l’Histoire. A partir de ce moment, la survie même du capitalisme devient de plus en plus antagonique à la survie de l’humanité. C’est la preuve frappante que le capitalisme, malgré toutes ses capacités intactes à innover, développer, trouver des remèdes à sa crise, est devenu obsolète, l’obstacle principal à l’avancée future de notre espèce.

Cette prise de conscience de la réalité est un facteur-clef de la conscience révolutionnaire parmi les masses exploitées qui sont toujours les premières victimes des crises et des guerres du capital. La compréhension que le capitalisme, en tant que civilisation mondiale, était entré dans sa période de décadence, fut un facteur décisif dans le développement des événements provoqués par la Révolution russe en 1917 durant la vague révolutionnaire internationale qui a forcé la bourgeoisie à mettre un terme au massacre de la Première Guerre mondiale et qui, durant une période bien trop brève, porta avec elle la promesse du renversement du capitalisme et l'avènement d'une société communiste à l'échelle planétaire.

Aujourd'hui, il semble que de tels espoirs révolutionnaires appartiennent au passé. Mais contrairement à l'idéologie et à la propagande active de la bourgeoisie, la lutte de classe n'a pas disparu de l'histoire et, avant même de prendre une forme révolutionnaire consciente et généralisée, a toujours un énorme impact sur la situation mondiale. Durant la guerre froide, comme nous l'avons vu, la classe dominante a tenté de nous convaincre que la doctrine de destruction mutuelle assurée' allait préserver la planète d'une Troisième Guerre mondiale. Ce qu'elle ne nous dira jamais, c'est qu'il y avait un facteur puissamment dissuasif à l'avènement d'une guerre mondiale après que le capitalisme est entré dans sa présente phase de crise économique ouverte à la fin des années 1960. C'est un facteur qui n'était pas présent durant les années 1930, lorsque la Grande Dépression conduisit rapidement à la guerre : une classe ouvrière invaincue plus prompte à défendre ses intérêts qu'à rallier les ambitions guerrières de la bourgeoisie.

Aujourd'hui, la disparition des blocs et l'accélération du chaos impérialiste est un autre facteur qui rend le scénario d'une Troisième Guerre mondiale de style classique plus improbable. Ce n'est cependant pas forcément en faveur du prolétariat car la menace d'un conflit à l'échelle planétaire a été remplacée par un glissement plus insidieux dans la barbarie qui, comme nous l'avons expliqué dans cet article, n'a pas du tout fait disparaître le danger d'un conflit nucléaire. Mais la lutte de classe (et sa montée vers la révolution) demeure l'unique barrière à l'enfoncement dans la barbarie, le seul espoir que l'humanité non seulement empêche l'apocalypse que réserve le capitalisme mais réalise enfin tout son potentiel encore inexploité d’un monde libéré de ses chaînes et capable de se guider en fonction des besoins humains.

Amos, 21 octobre 2017

 

1 J. Robert Oppenheimer sur le test de Trinity (1965) Archives atomiques, récupéré le 23 mai 2008.

2 Malaise dans La Civilisation.

3 Carl Jung, Soucoupes volantes, un mythe moderne sur les choses vues dans les cieux.

4 L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective [3], Internationalisme (1952).

5 L’effondrement de “L'Union Soviétique” était en effet en partie le résultat de l’énorme fardeau représenté par les dépenses d’armement sur une économie structurellement beaucoup plus faible que celles des États-Unis ; mais, pour une analyse plus complète des racines de la crise dans le bloc de l’Est, voir : Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l’Est [4].

 

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Situation internationale

Guerre au Yémen : Un conflit décisif pour l'influence impérialiste au Moyen-Orient

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“Même selon les standards moyen-orientaux marqués par l'irrationalité, la destruction gratuite, les machinations et les guerres impérialistes constantes et croissantes, l'attaque dirigée par les Saoudiens contre le Yémen plus tôt cette semaine atteint de nouveaux degrés d'absurdité surréaliste : les Saoudiens dirigent une coalition sunnite de dix nations, dont le Pakistan non arabe et doté de l'arme nucléaire, dans une offensive contre le Yémen. Des bandits locaux comme les Émirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar sont impliqués, ainsi que le dictateur égyptien al-Sisi et la clique génocidaire d'al-Bashir au Soudan. Tous ces despotes sont soutenus par les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont offert à la coalition un soutien “logistique et de renseignement””. C'est ce que nous écrivions en avril 2015 dans un article intitulé : Militarisme et décomposition au Moyen-Orient, juste après le lancement de ce que les Saoudiens ont appelé avec optimisme “l'Opération tempête décisive”. La guerre au Yémen s'est depuis lors considérablement aggravée et, après la Syrie, ce territoire est en train de devenir un théâtre crucial dans l'évolution des rapports impérialistes au Moyen-Orient, notamment à travers la rivalité entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, leurs “alliés” respectifs et les grandes puissances.

Dans l'un des pays les plus pauvres du monde, peuplé de quelque 23 millions d'habitants, la “coalition” saoudienne (dont le Pakistan s'est discrètement esquivé) a déversé des bombes américaines et britanniques pour ce qui reste essentiellement une confrontation avec l'Iran pour l'influence régionale. Un coup d'œil à la carte du Moyen-Orient montre l'importance géostratégique du Yémen et la place qu'il occupe désormais dans les rivalités locales et mondiales. Dix mille personnes ont été tuées par les bombardements et les frappes aériennes qui ont touché des hôpitaux, des écoles, des zones résidentielles et des mosquées. Trois millions de maisons ont été détruites et des bâtiments antiques réduits en poussière dans ce que les Romains appelaient “l'Arabie Heureuse”. En plus des bombardements, les Saoudiens ont imposé un blocus, que la Croix-Rouge a qualifié de “siège médiéval”, sur l'aide d'urgence et les importations commerciales causant des dizaines de milliers de morts supplémentaires. Quatorze millions de personnes n'ont pas accès à l'assainissement et à l'eau potable et les cas de choléra ont atteint le million. Le développement de la famine et de la malnutrition s'accompagne également d'une propagation de la diphtérie, maladie ancienne qu'il est pourtant simple de prévenir, ainsi que d'une augmentation de la dengue et du paludisme. En trente longs mois depuis sa déclaration de guerre, la coalition saoudienne, avec l'aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a réduit la vie d'un nombre toujours plus grand de civils, les réduisant à vivre comme des animaux et nourrissant sûrement la prochaine vague de réfugiés fuyant cet enfer à travers la péninsule arabe ou via la route africaine vers l'Europe.

L'Iran accroît son influence au Yémen et au-delà

Ce que les Saoudiens et leurs commanditaires craignent le plus et ce qui, dans la “logique” impérialiste à laquelle ils ont contribué, est un accroissement de l'influence iranienne, non seulement au Yémen, mais aussi par le biais d'un “encerclement” du territoire saoudien à travers la connexion terrestre, le long de la frontière turque, entre l'Iran, la Syrie, l'Irak et le Liban, et le contrôle du golfe d'Aden au Yémen. Ils craignent également le renforcement des intérêts et ses forces iraniennes en Afrique. (1 ) Le développement des intérêts et de l'influence régionale iranienne n'a jamais été aussi vaste et puissante qu'aujourd'hui, et ce malgré les tentatives récentes des États-Unis pour les contrecarrer à chaque tournant. L'Iran contrôle désormais effectivement un couloir terrestre qui va de Téhéran à Tartus en Syrie, sur la côte méditerranéenne, “lui donnant accès à un port maritime très éloigné à l'ouest, et loin des eaux du golfe Persique fortement surveillées par les patrouilles”. (2) Plus les États-Unis se sont affaiblis et s'affaiblissent au Moyen-Orient, plus l'Iran s'est renforcé. La position de la Russie s'est également renforcée, mais l'Iran n'est pas un simple pion de la Russie.

Les forces houthistes au Yémen combattant actuellement les milices soutenues par les Saoudiens ont pris le pouvoir et ont dominé la vague de manifestations antigouvernementales et anticorruption qui a éclaté dans le pays dans le cadre du Printemps arabe en 2011. Le houthisme a débuté comme un obscur mouvement chiite revivaliste dans les années 1990 appelé Forum des Jeunes Croyants, radicalisé par l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Il bénéficie par ailleurs d'un large soutien parmi de nombreux sunnites, ce qui montre qu'il ne s'agit pas, bien que l'irrationalité de la religion joue un rôle, d'une simple division sunnite/chiite (il n'y a jamais eu de clivages ethniques ou religieux significatifs au Yémen, sauf ceux que les grandes puissances, y compris la Grande-Bretagne, ont suscités). Les Iraniens l'appellent le mouvement Ansarallah (les partisans d’Allah) et malgré ses liens avec l'Iran, son histoire est plus que celle d'un simple pion. Vers la fin de 2014, une grande partie du pays a été prise par les houthis et, au fur et à mesure que la guerre se poursuivait, les liens entre les houthis, les Iraniens et le Hezbollah libanais, forgés dans le conflit, se sont renforcés. En décembre, lorsque le chef et seigneur de guerre yéménite, Saleh, s'est détourné de l'Iran et des houthis pour se tourner vers l'Arabie Saoudite, il a été tué sans pitié, ce qui rappelle les assassinats de la CIA dans les années 1960, méthode avec laquelle le Hezbollah est également familier.

Selon des informations récentes, l'Iran aurait envoyé des armes de pointe et des conseillers militaires aux houthis, y compris ses mercenaires afghans endurcis au combat.(3) Ces derniers sont probablement surestimés par l'Occident, mais les Iraniens pensent à long terme comme ils l'ont fait avec l'édification du Hezbollah, qui est devenu la tête de pont de l'Iran contre Israël et fait partie intégrante de sa stratégie de renforcement au Moyen-Orient. Les missiles balistiques visant des cibles saoudiennes suggèrent l'implication du Hezbollah. Ce sont des armes parfaites pour les houthis qui visent des cibles saoudiennes de grande valeur et l’une d’elles finira bien par être touchée un jour ou l'autre, elles sèment, en attendant, la terreur et l’insécurité parmi les Saoudiens, comme les V2 nazis l'ont fait pour Londres. Quoi qu'il en soit, le dirigeant houthi, Abdul-Malik al-Houthi, s'adressant au dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l'été dernier, a déclaré: “Votre pari sur les Yéménites est juste” et il a poursuivi en disant que les forces militaires conjointes contre Israël réintroduisaient la question palestinienne. Ces démarches ne pourront être soutenues que par la politique étrangère de Trump et son soutien israélo-saoudien.

Il vaut la peine de prendre un peu de recul pour voir comment les choses ont évolué dans le panier de crabes impérialiste du Moyen-Orient : il n'y a pas si longtemps, les forces militaires américaines et iraniennes agissaient de concert et de façon significative en Irak jusqu'à et y compris des actions militaires coordonnées et conjointes contre l’État islamique (EI). Mais il était clair pour tout le monde qu'une fois l'EI vaincu, de nouvelles tensions éclateraient. Encore une fois, même au Yémen, le Commandement des forces spéciales américaines (SOCOM) a préféré travailler avec les houthis dans la lutte contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et l'EI : les généraux américains ont déclaré que l'action saoudienne au Yémen était “une mauvaise idée” (4), étant donné l'implication des services secrets yéménites soutenus par l'Arabie Saoudite, qui sont profondément liés aux terroristes. Tandis que Washington arrosait le gouvernement yéménite par un soutien politique et financier, l'ancien président Saleh, un allié des Saoudiens, manipulait l'activité des terroristes pour obtenir le soutien de Washington au nom de la “guerre contre le terrorisme”.

Les difficultés américaines face au bourbier du Moyen-Orient

Le conseiller à la sécurité nationale de Trump, H.R. McMaster, a déclaré en octobre : “Ce qui est le plus important pour toutes les nations, c'est de faire face au fléau du Hezbollah, des Iraniens et des gardes révolutionnaires iraniens.”(5) Personne ne peut deviner comment les Américains envisagent de faire cela sans exacerber et déstabiliser davantage le Moyen-Orient. La volte-face des États-Unis sur l'accord nucléaire iranien a, entre autres, provoqué une grave rupture avec l'Europe (et n'incitera pas les Nord-Coréens à “s’asseoir à table des négociations”), en particulier les trois grands pays actifs dans la région, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. La reconnaissance incendiaire par Trump de Jérusalem en tant que capitale d'Israël (un geste totalement stupide et inutile qui plaira principalement à sa base évangéliste) ne peut que contrecarrer les réels intérêts impérialistes américains. Elle attisera les flammes du nationalisme israélo-palestinien et, en dépit des mises en scène à l'ONU, en particulier celle du président turc Erdogan, suscitera des protestations plus globales contre les États-Unis de la part des fractions tant chiites que sunnites. Elle offre également aux djihadistes de l'EI et d'al-Nosra une bouffée d'air frais (l'un des plus puissants thèmes de campagnes de recrutement de Ben Laden était l'oppression des Palestiniens) et rend plus difficile pour l'Arabie Saoudite et ses alliés de travailler avec Israël et les États-Unis, servant ainsi davantage les intérêts de Téhéran.

La situation du régime saoudien est plus fragile depuis le soutien affiché de Trump qui a été suivi par une importante querelle avec le Qatar, la purge de ses adversaires (y compris ceux hostiles à Trump) et la curieuse convocation du président libanais Hariri et du dirigeant palestinien Abbas à Riyad. Le prince saoudien, le dirigeant effectif du pays a déclaré en avril dernier, qu'il “voulait sortir” de la guerre au Yémen et n'avait aucune objection à ce que les Américains intercèdent auprès de l'Iran à cette fin. Quels que soient ses souhaits ou ceux de toutes les parties impliquées, l'impérialisme, la décomposition et l'irrationalité sont les forces motrices de la catastrophe yéménite et, avec l’influence grandissante de l'Iran, elles ne feront que se renforcer.

Boxer, 22 décembre 2017 (Traduction d'un article de World Revolution, section du CCI au Royaume-Uni)

 

1 L'Iran s'intéresse de plus en plus au Nigeria, au Cameroun et au Soudan, entre autres. Les Saoudiens ont répondu par un plan du prince héritier Mohammed ben Salmane visant la mise en place d'une coalition militaire islamique fournissant logistique, renseignement et formation à une force “antiterroriste” du G5 sahélien remaniée après des discussions avec la France à la mi-décembre (Cf. Reuters du 14 décembre 17).

2 The Guardian du 8 octobre 2016.

3 New York Times du 18 septembre 2017.

4 Al Jazeera, le 15 avril 2017

5 Patrick Cockburn, The Independent du 9 décembre 2017.

 

Géographique: 

  • Moyen Orient [5]

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Situation internationale

Iran: la lutte entre cliques bourgeoises est un danger pour la classe ouvrière

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Comme nous l’avons montré dans notre article « Manifestations en Iran, force et limites du mouvement », bien qu’existe des signes prometteurs de la capacité à rebondir pour la classe ouvrière, le danger non seulement d’une répression sanglante mais aussi de la manipulation de la colère populaire par les différentes fractions de la classe dominante est bien réel. Le vieux conflit entre les “réformateurs” et les “durs” au sein de la “République Islamique” est entré dans une nouvelle phase. Les réformateurs autour du président Rohani sont convaincus qu’un changement majeur dans la politique est nécessaire pour consolider les acquis considérables obtenus récemment par l’Iran. Ces acquis concernent essentiellement deux niveaux : d'une part, sur le plan de la politique étrangère, les milices chiites et d’autres forces soutenues par Téhéran ont fait d’importantes avancées en Irak, en Syrie, au Liban (la soi-disant faucille révolutionnaire de l’Iran vers la Méditerranée) et au Yémen. Sur le plan diplomatique, le régime a pu conclure un “accord atomique” avec les grandes puissances, ce qui a conduit à la levée de certaines sanctions (en échange d’une renonciation formelle à l’acquisition d’une bombe atomique Iranienne). Aujourd’hui, ces avancées sont menacées de tous les côtés. L’une de ces menaces est l’alliance contre l’Iran que les États-Unis essaient de construire, sous la direction de Trump, avec Israël et l’Arabie Saoudite. D'autre part, sur le plan de la situation économique, contrairement au niveau militaire ou diplomatique, le capitalisme iranien n’a fait aucun progrès ces dernières années, au contraire. L’économie ploie sous le joug du coût militaire des opérations de l’impérialisme iranien à l’étranger et elle est affaiblie par les sanctions internationales. Les États-Unis n’ont pas levé les sanctions économiques contre l’Iran, comme ils l’avaient promis dans le cadre de l’accord nucléaire. Au lieu de cela, ils ont entravé les investissements des entreprises européennes en Iran. Maintenant, avec Trump, les sanctions américaines seront même renforcées. Il y a un autre problème, très important : la compétitivité du capital national iranien est étranglée par la bureaucratie théocratique-cléricale profondément anachronique, qui ne sait pas gérer une économie capitaliste moderne, et par le système kleptomane des “Gardiens de la Révolution”. Du point de vue du président Rohani, briser ou au moins affaiblir la domination de ces structures serait une bonne chose pour les intérêts du capitalisme Iranien. Cela donnerait également de l’Iran une image plus libérale, mieux adaptée pour contrer les sanctions, la diplomatie et la rhétorique de ses ennemis à l’étranger.

Mais, en raison de la position dominante des tenants de la ligne dure au sein des forces armées, les réformateurs n’ont pas une grande marge de manœuvre légale pour imposer leur politique. C’est pourquoi le président Rohani a commencé à appeler la population dans son ensemble à formuler ses critiques sur la politique économique actuelle et sur la corruption des Gardiens et la défense de leurs intérêts commerciaux. Les réformateurs ont essayé d’utiliser le mécontentement populaire comme levier contre les “durs”. Une telle politique est dangereuse et révèle le retard et le manque de souplesse de la bourgeoisie en Iran, qui est incapable de régler ses problèmes en interne. C’était d’autant plus dangereux quand on considère que Rohani savait parfaitement que le boom économique promis après la levée des sanctions ne se produirait pas. De plus, Rohani ne fut pas le seul à prendre des risques : le président lui-même a accusé ses opposants intransigeants d’avoir organisé la première manifestation à Mashhad, qui est le bastion d’ Ibrahim Raisi, le candidat des “durs” lors des élections présidentielles de mai 2017. Le slogan principal de cette manifestation aurait été : “A mort Rohani !”. Mais, au fur et à mesure que la protestation s’amplifiait, d’autres slogans ont été entendus, tels que “A mort Khamenei !” (le chef d’État religieux de tendance “dure”), “A bas la dictature !”, ou “Qu’est-ce qui est gratuit en Iran ? Le vol et l’injustice !” L’apparition de tels slogans dirigés contre le régime dans son ensemble montre que les deux fractions bourgeoises principales ne peuvent pas manipuler la colère populaire à leur gré, contre l’autre fraction.

Cependant, cela ne diminue en rien le danger pour la classe ouvrière d’être manipulée par la classe dominante. Il est important, à cet égard, de se souvenir de ce qui s’est passé en Égypte, où les manifestations populaires (Place Tahrir), impliquant des rassemblements et des manifestations de masse, mais aussi des grèves ouvrières, ont balayé le régime Moubarak. C’était au début du “printemps arabe”. Mais cela a été rendu possible parce que les militaires ont laissé faire (le président Moubarak avait l’intention de diminuer l’influence des généraux sur le plan politique et surtout sur l’économie). En Iran (comme en Égypte à l’époque), les puissances étrangères étaient également impliquées. Les dirigeants religieux d’Iran ont prétendu que les manifestations en Iran ont été provoquées par des puissances étrangères (États-Unis, Israël, Arabie Saoudite), ce qui a enragé de larges secteurs de la population, car cette prétention nie avec arrogance toutes leurs souffrances réelles et leur capacité à prendre eux-mêmes des initiatives. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que ces puissances rivales et d’autres n’essaient pas de déstabiliser le régime iranien. Lors d’un entretien donné en avril 2017, le prince héritier Ben Salman déclarait que le conflit entre son pays et son voisin persan serait réglé “en Iran, pas en Arabie Saoudite”. L’un de ses groupes de réflexion à Ryad lui a conseillé de susciter le mécontentement au sein de la minorité sunnite en Iran ainsi que parmi les minorités ethniques (un tiers de la population en Iran n’est pas d’origine persane). En Égypte, après la chute de Moubarak, la guerre civile entre les principales fractions de la bourgeoisie, les forces armées et les Frères Musulmans, n’a été évitée qu’à cause de la féroce répression de ces derniers contre les premiers. En Syrie, les protestations sociales ont déclenché une guerre impérialiste qui fait toujours rage. Que ce soit en Égypte, Syrie ou Iran, la classe ouvrière n’est pas seulement relativement faible, elle est aussi isolée internationalement, à cause de l’actuel reflux de la lutte de classe, du recul de la conscience et de l’identité de classe à l’échelle mondiale. Sans le soutien du prolétariat mondial, les difficultés et les dangers pour nos frères et sœurs de classe sont d’autant plus grands.

Steinklopfer, 9 janvier 2018

 

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Situation internationale

Lactalis : un scandale et une propagande infâme !

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Le scandale Lactalis a éclaté lorsque plusieurs cas de salmonellose(1) ont été détectés chez des nourrissons suite à la consommation de produits fabriqués par ce groupe, un des leaders mondiaux des produits laitiers. Le 11 janvier, on annonçait pas moins de 37 cas de contaminations en France, d’autres ayant été recensés en Espagne, en Grèce , etc., et bon nombre d’enfants risquant des complications sévères devaient être hospitalisés. Les enquêtes diligentées en décembre par le ministère de la Santé et celles des services vétérinaires départementaux (DDCSPP) et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirmaient cette contamination industrielle, notamment celle de l’usine Lactalis à Craon en Mayenne.

L’implication d’acteurs sans scrupules dans un véritable engrenage

Bon nombre de témoignages de parents et de consommateurs en colère ont révélé que tous les acteurs étaient mouillés dans l’affaire : le groupe Lactalis qui a tardé et traîné les pieds pour retirer les lots incriminés afin de ne pas fragiliser sa compétitivité, la grande distribution qui a continué à commercialiser dans ses rayons les produits potentiellement contaminés à la salmonelle, malgré les rappels successifs, pour ne pas subir de pertes financières, l’État qui s’est présenté comme le grand “justicier” après une période d’inertie jugée coupable. Avant que l’affaire n’éclate au grand jour, le ministère de l’Agriculture niait en effet avoir été mis au courant de tests positifs alors que l’entreprise soulignait [7] au contraire que “toutes ces analyses ont été transmises aux autorités compétentes dès le début”. Les services sanitaires de l’État jugeaient pourtant en septembre que le niveau d’hygiène était “très satisfaisant” alors que l’entreprise avait elle-même décelé des traces de salmonelle lors d’un contrôle interne, peu de temps auparavant, au mois d’août.

Dans une émission sur la chaîne de télévision France 2, le 13 janvier dernier, un ancien salarié témoignait [8] aussi : “On est nombreux dans le service à n’être absolument pas surpris de ce qui se passe aujourd’hui. Quand vous voyez des tamis au sol, quand vous voyez des brosses qui finissent au sol ou qui côtoient toutes les poussières d’une semaine de production et dont on se sert pour nettoyer l’intérieur des tuyaux... Effectivement, il ne faut pas être surpris qu’on puisse contaminer un circuit de poudre”. Il ajoute surtout ceci “la priorité était clairement la production”.

Comme le souligne un avocat, Me. Bouzrou, cité par Le monde.fr : “Force est de constater que les fonctionnaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Mayenne n’ont volontairement pas effectué de contrôles sur la production de lait infantile”. Priorité à la production, au marché, au profit ! Pour l’ensemble des principaux acteurs, les nourrissons ne représentent qu’une cible commerciale chiffrée, les jeunes enfants contaminés devenant même des obstacles gênants pour l’image de l’entreprise. Dans “les eaux glacée du calcul égoïste” (2) leur santé, les industriels, politiciens et autres marchands s’en fichent comme d’une guigne ! Cette cynique indifférence est tellement visible qu’un conseiller en communication, Guillaume Foucault [9], s’en est même offusqué : “Vous noterez aussi qu’à la première question qui lui est posée, le président de Lactalis, ce fameux milliardaire, oublie juste une chose : c’est d’avoir un peu de sentiment, d’être un peu dans le pathos”. Bref, les vrais professionnels de la “com”, eux au moins, savent qu’il faut faire semblant !

Bien entendu, au-delà des froids calculs des uns et des autres, comme lors de tous les scandales sanitaires auxquels nous sommes de plus en plus confrontés, tout est orchestré pour désigner “le” ou “les” coupables, bien souvent des lampistes et/ou des acteurs subalternes, certes sans scrupules, mais qui servent d’autant plus aisément de boucs-émissaires ! Outre les médias et les institutions qui engagent les victimes dans cette logique de recherche de “coupables” pour les “faire payer”, le grand artisan de cette manœuvre est l’État lui-même, cherchant toujours à éviter la question centrale, celle de la répétition du phénomène et de ce qui en est la source : le système capitaliste et sa logique de profit.

L’art systématique de dédouaner le capitalisme

A chaque fois, la logique barbare purement marchande et les pratiques de l’État bourgeois qui l’incarnent sont très soigneusement épargnées. Systématiquement, la loi du profit est préservée et l’attention détournée vers des symboles : tel “industriel sans foi ni loi”, tel “banquier véreux”, tel “politicien corrompu” ou tel “haut fonctionnaire magouilleur”, c'est-à-dire sur les symptômes et non la véritable cause.

Concernant Lactalis, le coupable idéal est très rapidement identifié : son “PDG milliardaire” avec sa “culture du secret” a servi de catalyseur idéal permettant de détourner l’attention de tout l’engrenage capitaliste qui a permis un tel scandale. De même, les enseignes de la grande distribution servaient aussi de coupables tout désignés. Cette fois encore, ce ne pouvait évidemment pas être la faute du capitalisme, la véritable maladie qu’il ne faut surtout pas mettre sous les yeux des prolétaires, mais quelques “brebis galeuses” faciles à identifier et à désigner à la vindicte. Tous les médias et l’État lui-même se sont montrés de zélés accusateurs, comme si ce dernier était “extérieur” à l’affaire. C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, parlait avec sévérité d’un “manquement” et annonçait que “la Justice n’épargnera personne”.

Pourtant, si le lien n’est pas toujours direct ou apparent aux premiers abords, l’État et le gouvernement sont toujours au cœur des décisions qui poussent vers la logique du profit et la concurrence maximale avec pour conséquences des scandales à répétition. La réalité est que “le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaire communes de la classe bourgeoise toute entière.”(3) C’est donc hypocritement que l’État et ses politiciens interviennent de nouveau comme “justiciers”, eux qui, de manière chronique , s’autorisent les pires exactions qu’ils attribuent généralement aux autres.

D’ailleurs, rappelons-nous le scandale du sang contaminé dans les années 1980 où les laboratoires, de manière consciente et avec la bénédiction du gouvernement de l’époque, faisaient inoculer du sang non chauffé et donc empoisonné dans les veines de centaines de personnes par pur souci d’économie. De même, si on se penche sur le scandale du Mediator, on retrouve toutes les accointances qui unissaient les laboratoires pharmaceutiques et des partis politiques impliquant des personnalités au sein de l’appareil d’État. A l’époque, la polarisation s’opérait exclusivement sur les dirigeants du laboratoire Servier dont des organisations gauchistes comme LO martelaient qu’ils avaient “un porte-monnaie à la place du cœur”. Mais aussi cupides qu’aient été ces industriels, ils n’étaient en réalité que de cyniques créatures produites et intégrées aux rouages de la logique marchande, celle d’un système barbare qu’il faut absolument détruire. Telle est le principal enseignement politique de cette sinistre affaire pour le prolétariat.

WH, 30 janvier 2018

 

1La bactérie salmonelle peut provoquer des gastro-entérites et des complications très graves chez le nourrisson.

2Expression employée dans le Manifeste du Parti communiste (1848).

3Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels (1848).

 

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  • France [10]

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Situation en France

URL source:https://fr.internationalism.org/icconline/201801/9643/icconline-janvier-2018

Liens
[1] https://www.theguardian.com/environment/2017/oct/18/warning-of-ecological-armageddon-after-dramatic-plunge-in-insect-numbers?CMP=share_btn_link [2] https://www.theguardian.com/environment/2017/oct/19/global-pollution-kills-millions-threatens-survival-human-societies [3] https://en.internationalism.org/ir/21/internationalisme-1952 [4] https://en.internationalism.org/ir/60/collapse_eastern_bloc [5] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient [6] https://fr.internationalism.org/tag/5/119/asie [7] https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/01/03/lait-infantile-contamine-un-controle-des-autorites-effectue-en-septembre-n-avait-rien-decele_5237256_3234.html [8] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/lait-infantile-contamine/video-on-est-nombreux-a-n-etre-absolument-pas-surpris-de-ce-qu-il-se-passe-aujourd-hui-temoigne-un-ancien-salarie-de-lactalis_2560203.html [9] https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/lait-infantile-contamine/lait-infantile-contamine-le-pdg-de-lactalis-a-rallume-la-crise-avec-cette-interview_2561439.html [10] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france