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Révolution Internationale n°465 - juillet août 2017

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Élections législatives : les gouvernements changent, le capitalisme demeure

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C’est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections. Puisqu’il s’agit de “choisir” quelle sera la meilleure équipe dirigeante pour gérer la nation au sein de l’arène mondiale. Et cette fois-ci, la bourgeoisie française a particulièrement bien réussi son coup : une campagne démocratique assourdissante faisant croire au “renouveau”, une majorité gouvernementale d’ores et déjà attelée à justifier les “nécessaires sacrifices” pour “moderniser et dynamiser l’économie française, un Président triomphant et plébiscité internationalement, Emmanuel Macron, armé d’un “nouveau parti” 1, “La République en marche !” et d’une majorité absolue au Parlement... Bref, la bourgeoisie française peut se féliciter et se targuer d’un renforcement de son dispositif étatique sur le plan politique et idéologique.

Cette réussite de la bourgeoisie française est d’autant plus retentissante que, presque partout, les autres bourgeoisies nationales sont en difficulté, gangrenées par leurs partis populistes dont la capacité à gérer efficacement et rationnellement l’intérêt du Capital est plus que douteuse. Pour preuves : la victoire du Brexit dans le plus vieux pays capitaliste du monde, la Grande-Bretagne et l’élection de Trump à la tête du plus puissant d’entre-eux. En France, le risque de l’arrivée au pouvoir du Front National devenait donc une préoccupation majeure pour les fractions les plus lucides de la bourgeoisie des pays occidentaux, en particulier face aux dangers d’éclatement de l’Europe, de remise en cause de sa monnaie, de ses institutions dont la France comme l’Allemagne constituent le cœur.

Démocratisme et citoyenneté : une expression de la domination bourgeoise

La tendance au rejet massif des partis traditionnels qui avaient gouverné pendant des décennies, l’indifférence croissante par rapport au jeu des institutions démocratiques bourgeoises devenaient un réel problème pour la classe dominante, pour sa capacité à défendre au mieux ses propres intérêts nationaux. Il s’agissait de mettre à l’écart les vieux politiciens usés et discrédités. La machine à propagande de la bourgeoisie a marché à plein régime : il fallait aussi que la bourgeoisie fasse apparaître un homme fringant et “moderne”, en apparence “neuf” et providentiel, ancien ministre mais sans “casseroles” politiques ou personnelles trop marquantes, disposant d’un nouveau parti au-dessus des “vieux clivages”, pouvant racoler à gauche comme à droite, ouvertement pro-européen, pratiquant une parité entre hommes et femmes... En d’autres termes : un “ravalement de façade” qui masque le fait qu’il ne peut qu’imposer les mêmes conditions de domination capitaliste aux exploités et à l’ensemble de la société. C’était aussi l’entame, essentielle pour ses besoins, d’une remise en ordre de marche de son appareil d’État grippé.

En réalité, l’idéologie démocratique n’est qu’une expression de la domination totalitaire du capital sur la société. La théorie selon laquelle les réformes de la machine et des institutions de l’État démocratique moderne permettraient une adaptation à la défense de tous les citoyens par les citoyens eux-mêmes est une fiction mystificatrice. Tant que la société est basée sur l’existence de classes aux intérêts radicalement antagoniques dont l’une exploite l’autre, la démocratie de l’État s’impose comme l’expression d’une domination de classe 2. La citoyenneté n’est qu’une abstraction mensongère cherchant à camoufler la réalité des conflits de classes. Participer aux élections, c’est se transformer en un citoyen impuissant livré pieds et poings liés à la propagande et aux discours officiels, aux intérêts et aux manipulations de la bourgeoisie.

Il est vrai que le taux d’abstention aux élections législatives est encore plus élevé que celui déjà significativement haut atteint au moment de l’élection présidentielle. A cela s’ajoute les non-inscrits et les votes blancs. Ce phénomène exprime certes une méfiance croissante envers les institutions bourgeoises. D’élections en élections, de désillusions en désillusions envers les politiques menées par les différents gouvernements, une partie importante du prolétariat a tout simplement boycotté ces élections. Et sur ce plan, le phénomène Macron n’a pas eu d’effet significatif. Toutefois, si cette réalité inquiète la bourgeoisie, elle ne constitue pas pour autant en soi un atout pour le prolétariat. La passivité, le repli, l’indifférence parfois à l’égard de la politique sont avant tout le produit d’un manque de perspective qui génère une impuissance, elle-même exploitée par la bourgeoisie pour tenter de culpabiliser les ouvriers et pourrir leur conscience. Se borner à refuser le cirque électoral n’est nullement une solution. Cela doit nécessairement s’accompagner d’une démarche consciente, d’une critique radicale de la société capitaliste, d’une action sur un terrain de classe.

“La République en marche !” pour défendre la nation bourgeoise

Le nouveau gouvernement, malgré les inquiétudes qu’il suscite déjà, peut maintenant se prévaloir de la légitimité des urnes pour passer à l’offensive contre les conditions de vie de la classe ouvrière. Le gouvernement Macron a immédiatement lancé une politique parfaitement adaptée aux intérêts du capital français. Ceci est particulièrement spectaculaire sur le plan impérialiste et guerrier. La politique de la France en Afrique, comme au Mali par exemple, a été immédiatement soutenue et confirmée, sa participation à la guerre en Syrie et en Irak renforcée. Il semble même que Macron soit prêt à reconnaître le boucher Assad au nom de la realpolitik.

Quant à la relance du couple franco-allemand dans une situation de crise de l’Union européenne, elle se traduit pour l’heure par la tentative de renforcer le rôle de la France en Europe. La volonté affichée de Macron de redynamiser l’appareil politique de l’État français grâce à l’aura qu’il possède actuellement au niveau international, se heurte déjà à l’opposition de Merkel qui, si elle a été le soutien le plus actif de Macron durant toute sa campagne et si son élection a rassuré la bourgeoisie allemande n’est pour autant pas prête à accepter le pied d’égalité et le co-leadership entre les deux pays au sein de l’UE. Pour le moment, les seules mesures prises d’un commun accord consistent à renforcer davantage l’austérité en Grèce et la politique anti-migrants aux frontières de l’Europe...

Mais ce n’est pas seulement dans ces domaines que l’arrivée au pouvoir de Macron implique une évolution importante de la situation. Les médias bourgeois et la nouvelle majorité clament à tue-tête que le capitalisme français n’est pas assez compétitif, malgré les attaques précédentes et la loi El Khomri. Ces réformes, dans la bouche de la bourgeoisie, nous en connaissons le prix. Cela veut dire plus de taxes, un démantèlement accéléré de la protection sociale, plus d’austérité, plus de précarité, plus de flexibilité, plus d’exploitation. Après avoir prétendu faire du “nouveau”, le gouvernement Macron a déjà entrepris de ramener brutalement les exploités à la réalité de l’intensification de la dégradation de leurs conditions d’existence. C’est bien une paupérisation et une précarisation sans fin qui est programmée. Des attaques massives sont déjà annoncées et seront prises notamment au cours des vacances d’été.

L’importance prise par le mouvement La France insoumise, avec son leader charismatique Mélenchon et l’appui éventuel de nouveaux mouvements comme celui de Benoît Hamon, viennent renforcer cette capacité à faire passer les attaques en apportant leur caution “critique” et de prétendue “opposition”, témoignant d’un redéploiement des forces politique les plus éclairées au sein du capitalisme d’État. Mélenchon vient ainsi de prétendre qu’il apporterait à l’Assemblée nationale les revendications de la rue. Tout comme les syndicats qui eux aussi renforcent leur encadrement anti-ouvrier sur les lieux de travail.

S’il y a une leçon que la victoire de Macron nous donne à retenir, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer la capacité de la bourgeoisie à faire face aux aléas de la crise, à ses difficultés politiques. Le renforcement de l’exécutif par Macron, la réorganisation de l’État à laquelle nous assistons sont autant d’armes dans les mains de la bourgeoisie contre le combat historique du prolétariat.

Une seule perspective est possible et réaliste : celle de la révolution communiste

Même si le prolétariat n’a pas pour le moment la force de réagir du fait de son incapacité à se reconnaître comme force politique réelle, ayant une identité propre, celle d’une classe révolutionnaire en mesure de défendre une alternative au capitalisme, il lui faudra réagir et s’opposer à ce capitalisme pourrissant en renouant tout d’abord avec l’expérience de ses luttes. Même s’il n’est pas en mesure, dans la période actuelle, de s’élever sur son terrain de classe et de lutte pour s’opposer à la dégradation de ses conditions de vie, le combat de classe s’imposera à lui, comme cela s’est fait tout au long de l’histoire du capitalisme. Rappelons-nous qu’il y a 100 ans, le prolétariat a su prendre l’initiative de remettre en cause le système capitaliste avec la volonté de le renverser à l’échelle mondiale. Octobre 1917 en Russie, comme première étape d’une vaste vague révolutionnaire internationale, démontre que le prolétariat est historiquement capable de porter des assauts contre le capitalisme avec une démarche consciente et montre à la classe ouvrière d’aujourd’hui que la révolution est non seulement nécessaire mais possible. La réappropriation de cette mémoire est indispensable. Quoi qu’en disent les médias bourgeois, l’avenir de l’humanité n’appartient pas à des politiciens comme Macron et ceux de sa classe, pas plus qu’aux élections et autres assemblées parlementaires. L’avenir appartient en réalité à la lutte historique du prolétariat, au pouvoir des conseils ouvriers et au communisme. La révolution en Russie a été capable de mettre fin à la guerre impérialiste de 1914-1918 avant d’être finalement vaincue dans les années 1920. Mais elle reste un phare qui doit guider la lutte de classe dans la nuit du capitalisme. Tous ceux qui, au sein de la classe prolétarienne, cherchent à rejeter le système capitaliste et aspirent à transformer le monde radicalement doivent s’inscrire dès maintenant dans la perspective d’un combat de classe.

Pour cela, même si c’est difficile, il est nécessaire de se regrouper, de se rencontrer pour débattre et clarifier les immenses questions qui se posent à notre classe. La démarche consciente et la solidarité sont toujours une nécessité vitale pour le prolétariat afin de combattre toutes formes d’illusions démocratiques et s’armer politiquement en vue de résister aux attaques inévitables que ce gouvernement, comme les précédents, va asséner.

Stephan, 8 juillet 2017

1 Créé sous sa houlette un an à peine avant l’élection présidentielle.

2 Voir notre article “Élections et démocratie: l’avenir de l’humanité ne passe pas par les urnes [3]”, Révolution internationale n° 463.

 

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  • Emmanuel Macron [6]

Récent et en cours: 

  • Elections 2017 [7]

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Situation en France

L’incendie de la tour Grenfell : un crime du Capital

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Les survivants de l’incendie de la tour Grenfell, ceux qui vivent dans son ombre, ceux qui partout ailleurs vivent dans des tours similaires, ceux qui sont venus manifester leur solidarité, dont la colère les a menés jusqu’à occuper la mairie de Kensington et à marcher sur Downing Street, tous ceux-là étaient parfaitement clairs sur le fait que cette horreur n’est pas une “tragédie” abstraite, et encore moins un acte de Dieu, mais comme le disait une bannière de fortune, “un crime contre les pauvres”, une question de classe rendue d’autant plus évidente par le fait que le Royal Borough de Kensington et Chelsea représentent typiquement l’obscène contraste de richesse qui est la marque de ce système social, le résumant sous la forme très visible et tangible de la “question du logement”.

Bien avant le déclenchement de l’incendie, un groupe d’action de résidents avait averti de l’état dangereux de la tour Grenfell, mais ces avertissements avaient été systématiquement ignorés par le conseil municipal et son agent, le Kensington and Chelsea Tenant Management Organisation. Cela fait longtemps que l’on soupçonne que le revêtement qui est suspecté d’être la principale cause de la rapide propagation de l’incendie n’avait pas été installé pour le bien-être des résidents de la tour, mais pour en améliorer l’aspect extérieur par égard pour les riches habitants du quartier. Encore une fois, il est bien connu que tout ce quartier est infesté par cette nouvelle génération de propriétaires terriens non résidents qui, poussés par la manie de la bourgeoisie anglaise d’encourager l’investissement étranger, achètent des bâtiments extrêmement chers et dans beaucoup de cas ne se soucient même pas de les louer, les laissant vides pour purement et simplement spéculer dessus. Et bien entendu, la spéculation sur les logements, encouragée par l’État, a été un élément central du krach de 2008, un désastre économique dont le résultat net a été d’élargir encore un peu plus l’énorme fossé entre ceux qui sont riches et ceux qui ne le sont pas. Aujourd’hui acheter une maison coûte cher, particulièrement à Londres qui reste la pièce maîtresse d’une économie de casino reposant sur la dette.

La profondeur et l’étendue de l’indignation provoquée par une telle politique ont été à ce point que les media appartenant à ceux qui sont en haut de l’échelle de la richesse, et contrôlés par eux, n’ont pas eu trop le choix et ont dû emboîter le pas de toute cette rage. Quelques-uns des tabloïds pro-Brexit ont cherché à rendre les règlements de l’UE responsables de l’incendie, mais ont dû faire machine arrière assez vite face à la colère populaire (mais seulement lorsqu’il est apparu que le genre de revêtement utilisé pour “régénérer” Grenfell est interdit dans un pays comme l’Allemagne). Un journal, pourtant pas précisément réputé pour son radicalisme, le Metro de Londres, a affiché en gros titre : “Arrêtez les assassins !”, présenté non comme une citation, mais comme une demande, basée cependant sur la rhétorique du député de Tottenham David Lammy qui a été l’un des premiers à décrire l’incendie comme “un homicide involontaire d’entreprise”. Et tout le monde, à l’exception d’une petite minorité de trolls internet racistes, a évité tout mot désobligeant sur le fait que la majorité des victimes non seulement étaient pauvres, mais étaient des migrants et même des réfugiés. Les nombreuses expressions de solidarité que nous avons vues au lendemain de l’incendie, les dons de nourriture, de vêtements, de couvertures, d’hébergement, de travail dans les centres d’urgence, sont venus des gens sur place, de tous les milieux ethniques et religieux, ne conditionnant aucunement leur aide à l’histoire personnelle des victimes.

Les manifestants ont parfaitement raison d’exiger des réponses sur les causes de cet incendie, de faire pression sur l’État pour qu’il accorde une assistance d’urgence pour les reloger dans le même quartier, certains d’entre eux ont déjà fait référence à la douloureuse expérience des déplacés de l’ouragan Katrina, qui a été utilisé pour procéder à une sorte de nettoyage de classe et ethnique dans les quartiers “désirables” de la Nouvelle-Orléans. De façon tout à fait compréhensible, ceux qui vivent dans les autres grands ensembles veulent un bilan de sécurité et des améliorations dans ce domaine aussi rapidement que possible. Mais il faut absolument examiner les causes profondes de cette catastrophe, pour comprendre que l’inégalité qui en a été si souvent désignée comme un élément-clé est enracinée dans la structure fondamentale de l’actuelle société. C’est particulièrement important parce qu’une grande partie de la colère que tout le monde ressent est dirigée contre des individus et institutions particuliers (Theresa May parce qu’elle a eu peur du contact direct avec les résidents de Grenfell, le conseil municipal ou le KCTMO) plutôt que contre le mode de production qui engendre de tels désastres depuis ses propres entrailles. Si ce point manque, la porte reste ouverte à toutes les illusions sur des solutions capitalistes alternatives, en particulier celles que propose l’aile gauche du capital. Nous avons déjà vu Corbyn à nouveau prendre la tête de la course au jeu de la popularité devant May du fait de sa réponse plus sensible et “terre à terre” aux résidents de Grenfell, notamment son plaidoyer pour des solutions apparemment radicales, comme la “réquisition” de maisons vides pour offrir un logement à ceux qui ont été déplacés 1.

Le capitalisme est à la racine de la crise du logement

Voici comment Marx définissait le problème, en se concentrant particulièrement sur l’impitoyable chasse au profit dans le processus de production :

“Comme l’ouvrier consacre au procès de production la majeure partie de sa vie, les conditions de la production s’identifient en grande partie avec les conditions de son existence. Toute économie réalisée sur ces dernières doit se traduire par une hausse du taux du profit, absolument comme le surmenage, la transformation du travailleur en bête de somme sont, ainsi que nous l’avons montré précédemment, une méthode d’activer la production de la plus-value. L’économie sur les conditions d’existence des ouvriers se réalise par : l’entassement d’un grand nombre d’hommes dans des salles étroites et malsaines, ce que dans la langue des capitalistes on appelle l’épargne des installations ; l’accumulation, dans ces mêmes salles, de machines dangereuses, sans appareils protecteurs contre les accidents ; l’absence de mesures de précaution dans les industries malsaines et dangereuses, comme les mines par exemple. (Nous ne pensons naturellement pas aux installations qui auraient pour but de rendre le procès de production humain, agréable ou seulement supportable, et qui, aux yeux de tout bon capitaliste, constitueraient un gaspillage sans but et insensé)”.

Mais cette tendance à réduire l’espace, à négliger les mesures de sécurité et à tailler dans les coûts de production afin d’augmenter le taux de profit ne s’applique pas moins à la construction de logements destinés à la classe exploitée. Dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845), Engels décrivait avec beaucoup de minutie la surpopulation, la crasse, la pollution et le délabrement des maisons et des rues hâtivement construites pour loger les ouvriers d’usine de Manchester et d’autres cités ; dans La question du logement (1872), il soulignait que ces conditions déclenchaient inévitablement des épidémies :

“Les germes du choléra, du typhus, de la fièvre typhoïde, de la variole et autres maladies dévastatrices se répandent dans l’air pestilentiel et les eaux polluées de ces quartiers ouvriers ; ils n’y meurent presque jamais complètement, se développent dès que les circonstances sont favorables et provoquent des épidémies, qui alors se propagent au-delà de leurs foyers jusque dans les quartiers plus aérés et plus sains, habités par Messieurs les capitalistes. Ceux-ci ne peuvent impunément se permettre de favoriser dans la classe ouvrière des épidémies dont ils subiraient les conséquences ; l’ange exterminateur sévit parmi eux avec aussi peu de ménagements que chez les travailleurs”.

Il est bien connu que la construction du réseau d’égouts de Londres au xixe siècle, un travail d’ingénierie titanesque qui a grandement réduit l’impact du choléra et qui est toujours en fonction aujourd’hui, n’a connu une forte impulsion qu’après la “Grande puanteur” de 1858 qui provenait de la Tamise polluée et qui s’attaquait aux narines des politiciens de Westminster. Les luttes et les revendications ouvrières pour de meilleurs logements ont bien entendu été un facteur pour décider la bourgeoisie à démolir les bidonvilles et à offrir des constructions plus sûres et salubres à ses esclaves salariés. Pour se protéger lui-même des maladies et aussi pour faire cesser la décimation de sa force de travail, le capital a été contraint d’introduire ces améliorations, d’autant que de substantiels profits pouvaient être faits en investissant dans la construction et la propriété. Mais comme Engels l’a noté, même à cette époque de réformes conséquentes, rendues possibles par un mode de production en pleine ascendance, le capitalisme avait tendance à simplement déplacer les bidonvilles d’une zone à une autre. Dans La question du logement, Engels montre comment cela se passe dans la région de Manchester. A notre époque, marquée par la spirale de décadence du système capitaliste à un niveau mondial, le déplacement s’est de façon évidente produit des pays capitalistes “avancés” vers les immenses bidonvilles qui entourent tant de grandes cités de ce que l’on appelle le “Tiers-Monde”.

Le communisme et le logement de l’humanité

C’est pourquoi, en rejetant l’utopie proudhonienne (ultérieurement actualisée par le projet de Thatcher que chacun construise son propre logement social, ce qui a considérablement exacerbé le problème du logement) où chaque ouvrier possède sa propre petite maison, Engels insistait :

“Et aussi longtemps que subsistera le mode de production capitaliste, ce sera folie de vouloir résoudre isolément la question du logement ou toute autre question sociale concernant le sort de l’ouvrier. La solution réside dans l’abolition de ce mode de production, dans l’appropriation par la classe ouvrière elle-même de tous les moyens de production et d’existence” 2.

La révolution prolétarienne en Russie en 1917 a donné un aperçu de ce que, à son stade initial, cette “appropriation” pourrait signifier ; palais et manoirs des riches ont été expropriés pour y loger les familles les plus pauvres. Dans le Londres actuel, à côté des palais et manoirs qui existent, la vertigineuse augmentation des constructions spéculatives lors des dernières décennies nous laisse un énorme lot de tours de prestige, dont une partie n’est habitée que par quelques riches résidents, une autre n’est occupée que par toutes sortes d’activités commerciales parasitaires, et la plus grande partie reste tout simplement invendue et inutilisée. Mais leurs systèmes anti-­incendie sont certainement bien meilleurs que ceux de Grenfell. Ce type d’immeubles est l’argument principal pour faire de l’expropriation une solution immédiate au scandale des sans-logis et des logements sous-équipés.

Mais Engels, comme Marx, penchait pour un programme bien plus radical que simplement s’emparer des logements existants. A nouveau, en rejetant les fantaisies proudhoniennes de retour à l’industrie artisanale, Engels pointait le rôle progressiste joué par les grandes cités qui rassemblent des masses de prolétaires capables d’agir ensemble et ainsi de défier l’ordre capitaliste. Et, à nouveau, il insistait sur l’idée que le futur communiste en finirait avec la brutale séparation entre villes et campagnes et que cela signifierait le démantèlement des grandes cités – un projet d’autant plus grandiose à l’époque actuelle que les méga-cités boursouflées d’aujourd’hui font ressembler les grandes villes que connaissait Engels à de paisibles bourgades.

“On avoue donc que la solution bourgeoise de la question du logement a fait faillite : elle s’est heurtée à l’opposition entre la ville et la campagne. Et nous voici arrivés au cœur même de la question ; elle ne pourra être résolue que si la société est assez profondément transformée pour qu’elle puisse s’attaquer à la suppression de cette opposition, poussée à l’extrême dans la société capitaliste d’aujourd’hui. Bien éloignée de pouvoir supprimer cette opposition, elle la rend au contraire chaque jour plus aiguë. Les premiers socialistes utopiques modernes, Owen et Fourier, l’avaient déjà parfaitement reconnu. Dans leurs constructions modèles, l’opposition entre la ville et la campagne n’existe plus. Il se produit donc le contraire de ce qu’affirme M. Sax : ce n’est pas la solution de la question du logement qui résout du même coup la question sociale, mais bien la solution de la question sociale, c’est-à-dire l’abolition du mode de production capitaliste, qui rendra possible celle de la question du logement. Vouloir résoudre cette dernière avec le maintien des grandes villes modernes est une absurdité. Ces grandes villes modernes ne seront supprimées que par l’abolition du mode de production capitaliste et quand ce processus sera en train, il s’agira alors de tout autre chose que de procurer à chaque travailleur une maisonnette qui lui appartienne en propre” 3.

Dans la lignée de cette tradition radicale, le communiste de Gauche italien Amadeo Bordiga a écrit un texte en réponse à l’engouement de l’après Seconde Guerre pour les grands ensembles et les gratte-ciels, une mode revenue en force ces dernières années malgré une série de désastres et malgré l’évidence que vivre dans un grand ensemble exacerbe l’atomisation de la vie urbaine et génère toutes sortes de difficultés sociales et psychologiques. Pour Bordiga, les grands ensembles sont un symbole puissant de la tendance du capitalisme à entasser le plus possible d’êtres humains dans un espace aussi limité que possible, et il n’a pas de mots assez durs pour les architectes “brutalistes” qui en chantaient les louanges 4. “Verticalisme, tel est le nom de cette doctrine difforme ; le capitalisme est verticaliste”.

Le communisme, au contraire, serait horizontal. Plus loin, dans le même article, il explique ce qu’il veut dire par là :

“Quand, après avoir écrasé par la force cette dictature chaque jour plus obscène, il sera possible de subordonner chaque solution et chaque plan à l’amélioration des conditions du travail vivant, en façonnant dans ce but ce qui est du travail mort, le capital constant, l’infrastructure que l’espèce homme a donnée au cours des siècles et continue de donner à la croûte terrestre, alors le verticalisme brut des monstres de ciment sera ridiculisé et supprimé, et dans les immenses étendues d’espace horizontal, les villes géantes une fois dégonflées, la force et l’intelligence de l’animal-homme tendront progressivement à rendre uniformes sur les terres habitables la densité de la vie et celle du travail ; et ces forces seront désormais en harmonie, et non plus farouchement ennemies comme dans la civilisation difforme d’aujourd’hui, où elles ne sont réunies que par le spectre de la servitude et de la faim.”

Amos, 18 juin

1 Dans la vision capitaliste d’État de Corbyn, la réquisition de bâtiments n’est pas le résultat d’une auto-initiative de la classe ouvrière, mais une mesure légale prise par l’État, la même chose que réquisitionner des bâtiments en temps de guerre.

2 La question du logement [8].

3 Idem.

4 Amadeo Bordiga était architecte de formation.

 

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [9]

Récent et en cours: 

  • Question du logement [10]

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Question du logement

Attentat à Manchester : le terrorisme montre la putréfaction du capitalisme

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L’attentat à la bombe contre un concert d’Adriana Grande au Manchester Arena, avec un dispositif rempli d’écrous et de boulons devait tuer ou blesser un grand nombre de jeunes. L’État islamique, dans une déclaration, se vante de ce qu’ “un soldat du califat a été capable de déposer un engin explosif au milieu d’un rassemblement d’Infidèles”, car il a revendiqué “la légitimité de terroriser” les descendants des Croisés dans “une salle de concert indécent”, comme une vengeance contre “leurs violations (par les Infidèles) des terres de l’Islam”.

Ces “Croisés” étaient généralement des jeunes de 14 ou 16 ans. Une des victimes était une petite fille de 8 ans. A l’heure actuelle, il y a 22 morts (parmi lesquels dix avaient moins de 20 ans) et 116 blessés.

De même que la tuerie de masse de novembre 2015 au théâtre du Bataclan à Paris (où 89 personnes ont été tuées), cet attentat visait délibérément des jeunes gens et même des enfants à Manchester. Aujourd’hui, il est de plus en plus évident que ce ne sont pas seulement les adultes mais aussi les enfants qui sont pris dans l’engrenage des conflits impérialistes et pas seulement en Syrie, en Libye, au Yémen, mais aussi à Manchester, Londres, Paris et Nice. Les révolutionnaires condamnent sans équivoque ces actes de terreur, qu’ils soient perpétrés par les plus grandes forces militaires dans le monde ou qu’ils soient le fait d’un conducteur de camion isolé ou d’un kamikaze.

De plus, nous pouvons nous attendre à toujours plus d’expressions du terrorisme en Europe, dans la mesure où des forces militaires (comme Daech), confrontées à des revers militaires en Syrie, déclenchent de nouvelles attaques. Cela fait partie de la logique de l’impérialisme aujourd’hui, dans laquelle terreur et terrorisme font partie intégrante de l’arsenal impérialiste.

Bien que le service de sécurité du M15 ait dit qu’il allait revoir ses procédures, parce que le terroriste de Manchester était dans leur collimateur, l’attentat de Manchester a donné l’opportunité à l’État de durcir le niveau de sécurité et d’ajouter des troupes armées dans les rues aux côtés d’une police renforcée. Les politiciens, qui étaient en pleine campagne électorale générale, se sont unis pour déclarer leurs intentions de “protéger” le peuple britannique, de défendre les “valeurs démocratiques” et ont affirmé qu’ils ne céderaient jamais au terrorisme.  Les Tories ont insinué que Jeremy Corbyn, le dirigeant travailliste, n’avait pas été intransigeant sur les questions de sécurité et de terrorisme. Corbyn a riposté en critiquant les Tories sur la suppression de 37 000 postes dans la police et les services de sécurité. Il a affirmé qu’il dépenserait des millions de livres pour développer les services de sécurité et embaucher davantage de policiers et de garde-frontière, montrant par là sa continuité avec les dirigeants du Labour depuis plus de cent ans de militarisme et de répression d’État.

L’hypocrisie de la bourgeoisie internationale

A travers le monde entier, des figures importantes, de Trump à Poutine, ont ajouté leur voix au concert anti-terroriste. Ils ont tous condamné le fait de tuer des enfants comme une expression de la barbarie. L’hypocrisie de ces gangsters impérialistes ne connaît pas de limites. Combien d’enfants ont été tués lors de l’invasion de l’Irak en 2003 ? Une campagne basée sur l’utilisation d’une puissance démesurée et la mise en scène de cette force ont tué un nombre incalculable de personnes, à tel point que les États-Unis et la Grande-­Bretagne n’avaient aucun intérêt à les dénombrer. Là, les États-Unis et leurs alliés pouvaient semer la terreur avec des bombes mortelles beaucoup plus sophistiquées que l’arsenal d’un kamikaze solitaire.

Aujourd’hui, de vastes zones ont été détruites par la guerre impérialiste dans des endroits tels que la Syrie, où les protégés des pouvoirs impérialistes, incluant les États-Unis, la Russie, l’Iran, la Turquie et l’Arabie Saoudite parmi d’autres, ne manifestent aucun remord dans le fait de tuer et de mutiler des milliers de personnes, que ce soit à l’appui de la Syrie d’Assad ou dans les multiples milices des nombreuses oppositions.

Nous ne devons pas oublier l’hypocrisie de l’État britannique, après son intervention militaire en Libye, aux côtés de la France, qui a laissé le pays dans un état de chaos et de guerre civile – la famille du kamikaze de Manchester est originaire de Libye. Il semble que son père ait travaillé d’abord dans l’appareil de sécurité de Kadhafi et plus tard, dans une filiale d’Al-Qaïda – ce dernier a à la fois usé l’Intelligence britannique et a été abusé par elle.

Pour donner un autre exemple de l’hypocrisie de nos dirigeants, il suffit de regarder les dernières ventes d’armes par les États-Unis à l’Arabie Saoudite (110 milliards de dollars livrables immédiatement et 350 milliards dans les dix ans). Ce contrat a été annulé par Trump au moment où le bombardement saoudien des rebelles houthis au Yémen continuait et visait particulièrement les hôpitaux et utilisait des bombes à fragmentation contre les civils.

Comment comprendre ce qui est en train de se passer

Comme partout ailleurs face aux attaques ou aux désastres, l’humanité des résidents de Manchester a brillé dans le noir de l’attentat. Les hôtels ont ouvert leurs portes aux victimes, les chauffeurs de taxi ont assuré des transports gratuits, les hôpitaux ont levé les restrictions d’accueil, les gens ont ouvert leurs maisons, offert des tasse de thé et de café, les passants se sont arrêtés pour aider. Cependant, dans les conversations, dans les entrevues télévisées, il y avait beaucoup de confusion sur où va la société. Est-ce que cela va toujours être comme cela ? Peut-on trouver une solution ? Les slogans “Manchester ne perdra pas” ou “le terrorisme ne parviendra jamais à nous diviser” ne sont pas des réponses satisfaisantes.

La guerre et le terrorisme existent partout dans le monde. Mais le rôle des grandes nations capitalistes dans cette barbarie est bien souvent occulté. La période de “paix” qui a suivi la Seconde Guerre mondiale était en réalité une période de guerres locales entretenues en sous-main par les blocs impérialismes de l’Ouest et de l’Est qui défendaient leurs positions par procuration. Pourtant, l’équilibre des forces entre les deux blocs a créé une certaine stabilité dans les relations internationales pendant la Guerre Froide, avec la règle de l’assistance mutuelle de destruction. Avec la fin du Bloc de l’Est en 1989, le monde s’est retrouvé sens dessus-dessous. La stabilité relative qui avait accompagné l’existence des deux blocs s’est trouvée désintégrée et on a commencé à voir la multiplication de crises et de guerres de plus en plus porteuses de chaos. Cette période est la période de décomposition du système capitaliste. La “guerre contre le terrorisme” actuelle et la prolifération des groupes terroristes trouvent leurs racines dans le conflit meurtrier entre les impérialismes américain et russe en Afghanistan. Après l’invasion russe en décembre 1979, les Américains et leurs alliés ont envoyé et soutenu les moudjahidines, en tant que combattants délégués. Les talibans et Al-Qaïda se sont développés au sein des moudjahidines. Ainsi, les groupes terroristes actuels ne constituent pas un quelconque bizarre anachronisme du passé, même s’ils se revendiquent du fondamentalisme religieux, mais ils sont une partie intrinsèque du capitalisme actuel et des conflits impérialistes porteurs de chaos. Un nouveau pas a été franchi après le 11 septembre 2001  : l’invasion d’abord de l’Afghanistan puis de l’Irak a entraîné la déstabilisation de pans entiers du globe, en particulier au Moyen-Orient et a favorisé l’émergence de forces telles que l’auto-proclamé “État islamique”. Les groupes terroristes ont proliféré, créés par la guerre, maintenus en vie par des alliances sordides et la manipulation des grandes puissances. Toutes ces guerres ont mis sur les routes des vagues de réfugiés fuyant les zones de conflits et risquant leur vie pour gagner des endroits relativement protégés en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays riches. A ces réfugiés, se sont ajoutés ceux qui fuyaient la répression consécutive à l’échec du “Printemps arabe” ou la guerre en Syrie ; des réfugiés économiques ont également été jetés sur les routes. Ces personnes, victimes du capitalisme, sont utilisées par les politiciens comme boucs émissaires des exactions des groupes terroristes, qui les rendent également responsables de la chute du niveau de vie depuis les dix dernières années. En réalité, celui-ci est dû à la crise économique de 2007-2008, qui a vu une énorme instabilité du monde économique avec des effondrements boursiers et des faillites bancaires. Cette crise a ruiné des millions d’épargnants et a sapé la confiance dans l’argent (qui, sous le capitalisme, assure la cohésion du tissu social). Cela a généré une crainte et une méfiance énormes entre les gens ainsi qu’une peur de l’avenir. “Face à cette barbarie, dans une zone géographique étendue, du Mali à l’Afghanistan, en passant par la Somalie et jusqu’à la pointe sud de la Turquie, des millions d’êtres humains, mois après mois, ont été forcés de fuir pour seulement rester en vie. Ils sont devenus des “ réfugiés”, qui sont, soit parqués dans des camps, soit raccompagnés à la frontière. Ils arrivent au moment où la crise économique s’aggrave, et au moment où les actes terroristes s’intensifient, ce qui exacerbe fortement la xénophobie. Et, par-dessus tout, alors que le capitalisme s’enfonce dans la décomposition et la désintégration des liens sociaux, la classe ouvrière est incapable d’offrir à l’humanité une autre perspective. Incapable de développer sa conscience et son esprit combatif, son sens de la solidarité internationale et de la fraternité, elle est absente pour l’instant, comme classe, de la situation mondiale” 1. Le danger de cette putréfaction ne doit pas être sous-estimé : si on laisse le capitalisme continuer sur sa lancée, il entraînera l’humanité tout entière dans la destruction. La seule réponse possible est le développement des luttes de la classe ouvrière, et avec elles, de la solidarité qui est une part importante de ces luttes. Cela commence avec le questionnement de la société telle qu’elle est actuellement aussi bien qu’avec la lutte pour nous défendre contre le capitalisme et son État, et non avec des doléances auprès de l’État pour lui demander de bien vouloir nous défendre contre les effets les plus néfastes de la décomposition du capitalisme.

Mx, 29 mai

1 Lire sur le site internet du CCI : “Attentats en France, Allemagne, États-Unis... Le capitalisme porte en lui la terreur comme la nuée porte l’orage [11]” (août 2016), Révolution internationale n° 460.

 

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Histoire du Parti socialiste en France – 1878-1920 (Partie I)

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En mai 1981, lors de son investiture, François Mitterrand rendait un hommage hypocrite et mensonger à Jean Jaurès, suggérant par-là une filiation du Parti socialiste (PS), qui nous gouverne et nous exploite depuis plusieurs décennies, avec la Deuxième Internationale de l’époque, et spécialement sa “section française”, la SFIO1, dans laquelle ont combattu d’authentiques militants ouvriers de la trempe des Jean Jaurès, Jules Guesde, Paul Lafargue ou l’ancien communard Édouard Vaillant. Aujourd’hui encore, les Hollande, Valls, Royal, Hamon et consorts, tous ces politiciens bourgeois cyniques et hypocrites, se réclament de cet héritage socialiste.

La série que nous débutons avec ce premier article a pour objectif de mieux faire connaître les origines souvent ignorées de ce parti initialement prolétarien afin de mieux mettre en évidence le processus qui le mena ensuite à la trahison et à devenir même un rouage incontournable de l’appareil d’État français. Nous retracerons les grandes étapes de cette évolution, depuis l’élaboration du programme d’inspiration marxiste du POF2 entre 1879 et 1882, la constitution d’un parti socialiste unifié en 1905 et la scission au congrès de Tours en 1920, qui clôtura l’histoire de la SFIO en tant que parti de la classe ouvrière, en passant évidemment par la trahison du principe fondamental de l’internationalisme prolétarien en 1914 avec le vote des crédits de guerre.

Afin de comprendre les étapes de la construction du parti socialiste en France, processus long, chaotique et laborieux, il est nécessaire de revenir sur les conditions très particulières qui ont fortement marqué sa naissance.

Forces et faiblesses dans la constitution d’un parti prolétarien en France : le poids d’un double héritage

La construction d’un parti socialiste unifié en France ne s’est en effet réalisé qu’en mai 19053 et portait alors le poids du lourd héritage de la révolution bourgeoise de 1789 et les effets de l’écrasement de la Commune de Paris en mai 1871. Ce double héritage a pesé négativement sur les épaules du prolétariat et du mouvement ouvrier en France, notamment sur son avant-garde révolutionnaire : il a non seulement affecté la conscience ouvrière et généré des confusions théoriques importantes, mais il a également produit des faiblesses et des fragilités récurrentes que le mouvement ouvrier n’a jamais pu totalement surmonter dans ce pays.

Pourtant, à travers trois événements majeurs qui devaient rayonner sur le mouvement ouvrier international (les révolutions de 1789 et 1793, les journées de juin 1848 et la Commune de 1871) s’était forgé en moins d’un siècle un élément exceptionnel et unique de force et d’assurance, une expérience insurrectionnelle et une tradition combative hors pair.

Les déformations héritées de 1789 et de la Révolution bourgeoise triomphante

Les faiblesses et déformations politiques du mouvement ouvrier en France étaient fortement liées aux aléas de l’histoire de la nation française, particulièrement à une tendance de la plupart des anarchistes, mais aussi parmi de très nombreux socialistes français, à se considérer comme les héritiers de la révolution bourgeoise de 1789. Les références à l’expérience française de 1789, aux armées révolutionnaires de 1792 et à la lutte du “peuple français” contre “l’envahisseur allemand” réactionnaire étaient permanentes dans la défense de leur point de vue révolutionnaire. Cette démarche tintée de jacobinisme introduisait en fait une vision nationale de la révolution en opposition avec la nature et le principe essentiel de l’internationalisme prolétarien.

Cette identification révolutionnaire à la révolution bourgeoise venait du fait que le “petit peuple” (les sans-culottes) avait amplement pris part à la lame de fond révolutionnaire de 1789-1793 contre la morgue et l’arrogance de la monarchie et de l’aristocratie. Ces manifestations insurrectionnelles ont largement occulté l’antagonisme de classe entre bourgeoisie et prolétariat, masquant la confiscation totale du pouvoir par la bourgeoisie. Les pionniers du mouvement socialiste en France allaient ainsi la négliger, voire perdre totalement de vue cette notion d’intérêts distincts, et devenus irréconciliables, avec ceux de la bourgeoisie.

Plusieurs facteurs contenus dans la référence à la révolution de 1789-1793 intervenaient pour expliquer un tel oubli :

- Le poids de la vision d’une bourgeoisie progressiste et éclairée, une vision intellectuelle théorisée par les philosophes des Lumières et marquée par les illusions d’une possible alliance avec cette dernière contre le retour de la monarchie et du bonapartisme ;

- Le rayonnement et l’aura de la révolution de 1789-1793 sur le mouvement ouvrier en général et en France en particulier. Cette fierté se cristallisera sous la forme d’une conception jacobine de la révolution qui va de pair avec un poids du nationalisme, du patriotisme et du républicanisme, avec la vision que la monarchie s’appuie sur les régimes réactionnaires des autres pays et complote son retour au pouvoir avec l’aide de l’étranger.

C’est en réalité d’abord et avant tout le grand soulèvement de juin 1848 à Paris qui permit de vérifier la réalité du prolétariat tel qu’il est défini dans le Manifeste du Parti communiste : une force politique indépendante irrévocablement opposée à la domination du capital. On est saisi par le contraste de la méthode de Marx et Engels qui furent en mesure de tirer les leçons fondamentales des précieuses expériences de juin 1848 et de la Commune de 1871 pour aider la social-démocratie allemande à former un parti socialiste et une nouvelle Internationale sur des bases politiques solides, tandis que les socialistes français s’exaltaient et s’enivraient avec orgueil de leur passé national, s’embourbant dans le patriotisme et faisant ainsi le lit de leur futur social-chauvinisme.

La méthode critique de Marx lui fit ainsi tirer de toutes autres leçons des événements de 1871. Car si la Commune a pu reprendre à son propre compte les principes de la révolution bourgeoise de 1789, ce n’est certainement pas pour leur donner le même contenu. Ainsi, loin d’avoir été un mouvement pour la défense de la patrie contre l’ennemi extérieur, c’est bien pour se défendre contre l’ennemi intérieur, contre “sa” propre bourgeoisie représentée par le gouvernement de Versailles, que le prolétariat parisien refusa de remettre les armes à ses exploiteurs et instaura la Commune. Pour les ouvriers de la Commune, “Liberté, Égalité, Fraternité” signifiait l’abolition de l’esclavage salarié, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la société divisée en classes. Cette perspective d’un autre monde qu’annonçait déjà la Commune, on la retrouve justement dans le mode d’organisation de la vie sociale que la classe ouvrière a été capable d’instaurer pendant deux mois. Car ce sont bien les mesures économiques et politiques impulsées par le prolétariat parisien qui confèrent à ce mouvement sa véritable nature de classe, et non les mots d’ordre du passé dont il se réclamait.4

Mais la leçon essentielle de la Commune de Paris tirée par Marx dans La Guerre civile en France est celle-ci : “la classe ouvrière ne peut se contenter de prendre telle quelle la machine d’État et la faire fonctionner pour son propre compte. Car l’instrument politique de son asservissement ne peut servir d’instrument politique de son émancipation”. Et dans Les Luttes de classes en France, écrit en 1850, on trouvait déjà : “la nouvelle révolution française sera obligée de quitter aussitôt le terrain national et de conquérir le terrain européen, le seul où pourra l’emporter la révolution sociale”.

Les courants socialistes français, même les plus radicaux qui se réclamaient pourtant du marxisme, ignoraient au contraire ces leçons rapidement oubliées ou mal assimilées. Le 23 janvier 1893, Guesde et Lafargue, au nom du POF, lançaient ainsi un appel “aux travailleurs de France”, formule qui résume déjà le degré de confusion qu’ils semaient au sein du prolétariat : “On ne cesse pas d’être patriote en entrant dans la voie internationale qui s’impose au complet épanouissement de l’humanité, pas plus qu’on ne cessait à la fin du siècle dernier d’être Provençal, Bourguignon, Flamand ou Breton, en devenant Français. Les internationalistes peuvent se dire, au contraire, les seuls patriotes parce qu’ils sont les seuls à se rendre compte des conditions agrandies dans lesquelles peuvent et doivent être assurés l’avenir et la grandeur de la patrie, de toutes les patries, d’antagoniques devenus solidaires. (…) Les socialistes français sont encore patriotes à un autre point de vue et pour d’autres raisons : parce que la France a été dans le passé et est destinée à être dès maintenant un des facteurs les plus importants de l’évolution sociale de notre espèce. Nous voulons donc – et ne pouvons pas ne pas vouloir – une France grande et forte, capable de défendre sa République contre les monarchies coalisées et capable de protéger son prochain “89 ouvrier” contre une coalition, au moins éventuelle, de l’Europe capitaliste”. Cette rhétorique non seulement masque et dénature le caractère bourgeois du nationalisme et du patriotisme mais elle véhicule dans sa confusion extrême un poison mortel qui aura des conséquences tragiques : la trahison de l’internationalisme prolétarien par les socialistes dans la guerre de 1914 ! On mesure l’ampleur du fossé que même les plus déterminés des socialistes français ont creusé avec l’internationalisme prolétarien et avec le principe fondamental du marxisme : “les ouvriers n’ont pas de patrie”. On retrouve la même confusion et cette ambiguïté fondamentale dans le texte de Lafargue de 1906 censé dénoncer le “patriotisme de la bourgeoisie” qui au lieu de proclamer que “les patriotes sont les ennemis des ouvriers” entreprend de démontrer qu’ils sont en même temps “les alliés des ennemis de la France”…

La confusion, la perte de vue et même l’oubli des leçons fondamentales par les socialistes français traduisaient une incompréhension fondamentale du marxisme, en particulier dans le POF, aile révolutionnaire pourtant la plus avancée du socialisme français, qui s’en revendiquait ouvertement.5

La sous-estimation des conséquences de l’écrasement de la Commune

Le prolétariat français, comme classe révolutionnaire, fut littéralement décapité par l’écrasement de la Commune de Paris et pareille épreuve ne pouvait que lui laisser une empreinte indélébile. Après les événements de la Commune de Paris, une terrible répression s’abattit sur les mouvements socialistes. Il y eu entre 20 000 et 30 000 morts, plus de 38 500 fugitifs ou exilés et autant d’arrestations. Puis vinrent les arrestations en masse, les exécutions de prisonniers pour l’exemple, les déportations au bagne et les placements de plusieurs centaines d’enfants dans des maisons de correction. Parmi les personnes arrêtées, 78 % étaient des ouvriers, 84 % d’entre-deux furent déportés dans les plus lointaines contrées de l’empire colonial français.

Or, le poids de l’écrasement, de la répression et de l’ampleur de la défaite du prolétariat fut complètement sous-estimé. Avec l’écrasement de la Commune, qui a conduit à la disparition de la Première Internationale après 1872, la bourgeoisie est parvenue à infliger une défaite aux ouvriers du monde entier. Et cette défaite fut particulièrement cuisante pour la classe ouvrière en France, puisqu’elle cessa dès-lors d’être aux avant-postes de la lutte du prolétariat mondial.

Dès 1872, seul l’immédiatisme et l’activisme stérile se manifestèrent. Les ouvriers se réorganisèrent aussitôt en chambre syndicale. Le 28 mai 1872, Jean Barberet, un ouvrier bijoutier devenu journaliste, proche du leader républicain Gambetta, créa le Cercle de l’Union syndicale ouvrière, à partir du regroupement de 23 associations ouvrières. Finalement, le Cercle fut dissous par la police le 22 octobre de la même année, et Barberet emboîta le pas de la politique républicaine de Gambetta l’année suivante en prônant un socialisme républicain et réformiste. En octobre 1876, c’est encore sous l’influence de Barberet que se tint à Paris le premier Congrès ouvrier de France, marqué par l’esprit du mouvement des coopératives et du mutualisme proudhonien. À Londres, les exilés, notamment les amis de Blanqui, s’organisèrent également. Jules Guesde, journaliste condamné pour avoir défendu la Commune, pris néanmoins une orientation nettement plus influencée par le marxisme que les autres partis.

Aux lendemains de la défaite, l’éparpillement et les influences diverses dans le mouvement ouvrier, en grande partie masquées et surmontées par le soulèvement et la constitution de la Commune, se révélèrent au grand jour malgré les efforts pour construire une unité organisationnelle par l’éclatement et les divisions des différents courants socialistes.

La dispersion et la disparité des courants

Une structure socialiste unitaire fut pourtant créée en 1878 sous l’impulsion de Guesde et du courant marxiste : la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF). Mais les congrès de 1880 et 1881 virent s’affirmer la désunion des socialistes. À partir de 1882, ils créèrent plusieurs partis.

Les Guesdistes étaient alors de loin le courant le plus déterminé et le plus solide. La FPTSF, formée en parti au Congrès de Lyon en 1878, décida l’année suivante, au congrès de Marseille, d’élaborer un “programme électoral minimum” qui fut en fait dicté par Marx à Guesde. Cette influence marqua notamment ses considérants qui stipulent que ce programme passe par la “propriété collective et ne peut sortir que de l’action révolutionnaire de la classe productive (ou prolétariat) organisée en parti politique distinct”. Ce programme fut confirmé en congrès national au Havre en 1880. Guesde, Lafargue et Deville, furent les principaux animateurs de ce parti qui devint le Parti ouvrier en 1882 puis le Parti ouvrier français en 1893. Le parti se battit non seulement pour des réformes mais aussi pour la conquête du pouvoir politique par les prolétaires. Cette organisation directement inspirée par le marxisme devient d’ailleurs la fraction socialiste la plus nombreuse en France. De 2000 membres du POF en 1889, ce chiffre bondit à 20 000 en 1902, avant de régresser les années suivantes face aux succès du courant réformiste. Dans les années qui suivirent 1880, près du tiers des 200 syndicats corporatistes parisiens adhérèrent au Parti ouvrier. En 1890, le congrès de Lille fit un devoir de chaque militant d’entrer dans la Chambre syndicale de sa corporation.

Cependant, l’existence de ce courant marxiste, lui-même affecté de faiblesses et de confusions politiques, a été contrecarrée par plusieurs scissions dues notamment à de sérieuses influences politiques néfastes. Ainsi, les Possibilistes de Paul Brousse qui fondèrent en 1882 la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF) subissaient l’influence réformiste du mutualisme fédéraliste et anarchisant proudhonien. Ils affirmaient la nécessité de “fractionner le but idéal socialiste en plusieurs étapes sérieuses, immédiatiser en quelque sorte quelques-unes des revendications pour les rendre enfin possibles”. Leur programme fit une place importante à la conquête des institutions, particulièrement des municipalités et à une alliance avec le parti républicain radical bourgeois. Les Allemanistes de Jean Allemane qui formèrent en 1890 le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) s’inspiraient dans leur vision fédéraliste d’un syndicalisme autogestionnaire et d’un réformisme municipal. Quant au Comité révolutionnaire central d’Édouard Vaillant (CRC) créé en 1881 qui devient en 1889 le Parti socialiste révolutionnaire (PSR), il mit en avant la vision blanquiste selon laquelle une petite minorité conspirative bien organisée pourrait effectuer des actions révolutionnaires pour entraîner à sa suite la masse du peuple.

Mais ce furent les illusions réformistes et parlementaristes qui constituèrent le plus lourd handicap du socialisme en France. Elles furent la base du programme des socialistes indépendants comme Jaurès et Millerand qui, au nom de la solidarité républicaine, prônaient une politique d’alliance et de compromis avec la bourgeoisie radicale. Ce courant a pris une influence croissante jusqu’à créer en 1898 la Confédération des Socialistes indépendants, qui fusionna en 1902 avec la FTSF de Brousse pour créer le Parti socialiste français.

Réformisme, anarchisme et populisme

Lors du banquet de Saint-Mandé, le 30 mai 1896, Millerand fit un discours qui servit de charte à toutes les tendances réformistes, appelant à l’unité de tous les socialistes autour des trois points suivants :

- substitution progressive de la propriété capitaliste par la propriété sociale ;

- conquête des pouvoirs publics par le suffrage universel ;

- nécessité de ne pas sacrifier la patrie à l’internationalisme.

Ce type de faiblesses et d’abandon des principes prolétariens étaient également à l’œuvre dans la plupart des pays occidentaux les plus développés où se développaient ouvertement le réformisme et le parlementarisme sur la base de la prospérité économique du capitalisme d’alors et du développement du suffrage universel. En Allemagne, par exemple, Bernstein propageait un révisionnisme qui considérait qu’il ne s’agissait plus de renverser le capitalisme par une révolution internationale mais de conquérir graduellement et pacifiquement le pouvoir, y compris au moyen d’alliances avec les partis progressistes de la bourgeoisie. En France, l’ensemble des courants ouvriers furent également marqués par une tendance plus ou moins forte au réformisme. Après quelques succès électoraux aux municipales de 1892 et aux législatives de 1893, plusieurs membres du POF, oubliant leur programme et l’objectif révolutionnaire, finirent même par prôner le réformisme, affirmant que le socialisme pouvaient être atteint par la voie électorale. Au poids du réformisme s’ajoutaient en outre les influences de la tradition artisanale et corporatiste portées par les déformations proudhoniennes et par la fédération jurassienne de Bakounine, traduisant le poids de l’anarchisme en général, mais aussi le poids du populisme boulangiste qui sévit dans le mouvement ouvrier en France, en particulier au sein du blanquisme. En 1889, les deux-tiers des députés boulangistes venaient de la gauche et de l’extrême gauche.

Paul Lafargue écrivit à ce titre : “La crise boulangiste a ruiné le parti radical ; les ouvriers, lassés d’attendre les réformes qui s’éloignaient à mesure que les radicaux arrivaient au pouvoir, dégoûtés de leurs chefs qui ne prenaient les ministères que pour faire pire que les opportunistes, se débandèrent ; les uns passèrent au boulangisme, c’était le grand nombre, ce furent eux qui constituèrent sa force et son danger : les autres s’enrôlèrent dans le socialisme”.

Toutes ces faiblesses expliquent en grande partie les difficultés de constitution d’un parti socialiste unitaire ainsi que ses tares idéologiques congénitales :

- une sous-estimation, voire un mépris pour les luttes économiques. Guesde impose au sein du POF une politique purement opportuniste envers les syndicats qu’il étouffe en subordonnant totalement ceux-ci aux visées électorales et parlementaires du parti et en les réduisant à une masse de manœuvre utilitaire, en particulier dans la CGT, ce qui eut un effet repoussoir en faveur du syndicalisme révolutionnaire, alimenta leur hostilité envers le parti et les poussa dans de nombreux cas dans les bras de l’anarchisme ;

- de nombreuses et fortes confusions sur l’action politique qui favoriseront l’entretien des divisions, handicaperont lourdement les tentatives d’unification du parti et l’armeront mal face à l’infiltration de l’idéologie bourgeoise et la collaboration de classe ;

- la faiblesse relative de l’implantation du marxisme dans le mouvement ouvrier en France, la mauvaise assimilation, les déformations sous une forme vulgarisée et simplifiée par Guesde, Lafargue ou Deville, présentés comme des théoriciens du marxisme. C’est dans une lettre à Lafargue que Marx décocha sa boutade à l’encontre des socialistes français “moi, je ne suis pas marxiste” et Engels lui-même s’opposa à la traduction en allemand des brochures de Deville : Le résumé du Capital, ou Aperçu sur le socialisme scientifique qu’il voyait comme une catastrophe, dont les erreurs et le simplisme vulgarisateur sèmeraient la confusion et le ridicule. Ainsi, Guesde professait comme marxiste l’absurde thèse lassalienne sur “la loi d’airain des salaires”, fermement combattue par Marx et qui consiste à dire que du fait de la concurrence entre ouvriers pour vendre leur force de travail, les salaires ne feront que diminuer et qu’ils devront avec leur famille toujours se contenter du minimum vital sans aucune considération de l’existence de la lutte de classes.

La popularité du blanquisme et de ses “combattants héroïques de la Commune” véhicula une grande confusion dans les moyens de la lutte et imprégna l’organisation révolutionnaire d’un état d’esprit conspiratif et putschiste. Engels, dans un article paru dans Der Volksstaat, le 26 juin 1874, se livra à une critique impitoyable mais profondément juste d’un Programme des Communeux marqué par l’immédiatisme, l’esprit de conspiration, plein de déclarations grandiloquentes et creuses, écrit peu de temps avant et signé à Londres par 33 blanquistes émigrés (dont Vaillant et Eudes).

Malgré tous ses défauts, le POF de Guesde, Lafargue et Deville a joué un rôle déterminant dans la naissance et l’impulsion d’une organisation d’inspiration marxiste en France qui fut la colonne vertébrale de l’introduction et de l’implantation du socialisme.

De même, le fait qu’Édouard Vaillant et ses amis blanquistes se soient ralliés au POF et à l’aile gauche du socialisme et ont lutté pour la constitution unitaire d’un parti socialiste démontre que le blanquisme fut capable d’évoluer ; la conversion de Jaurès lui-même au socialisme aurait été selon plusieurs sources le fruit d’une nuit de discussion avec Guesde à Toulouse le 27 mars 1892.

Nous reviendrons dans un deuxième article de manière plus détaillée sur la position des socialistes français face à deux épreuves qui vont conduire à l’échec les tentatives d’unification des courants socialistes : l’Affaire Dreyfus et le “cas Millerand”. Ces événements ont été l’occasion d’une confrontation entre deux grandes tendances, où chaque camp a montré des faiblesses idéologiques et politiques marquées par l’opportunisme mais aussi des éclairs de lucidité qui montrent qu’une dynamique du débat et une certaine clarification des idées et du programme socialiste fut possible. Nous verrons également comment le succès de l’unification du parti socialiste fut acquis grâce à l’aide déterminante du SPD allemand, de Rosa Luxemburg et de la IIe Internationale.

Wim, 10 mars 2017

 

1 Section française de l’internationale ouvrière.

2 Parti ouvrier français.

3 Une année charnière pour le mouvement ouvrier international marquée par une vague révolutionnaire en Russie.

4 Voir notre article "La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat [13]", Révolution internationale n° 423.

5 Malgré ses tares et ses confusions, le mouvement ouvrier et le courant socialiste en France représentait, comme le soulignait Marx, un des trois piliers du socialisme scientifique international. Sur la tombe de Lafargue en 1911, Lénine saluait d’ailleurs sa conviction révolutionnaire, sa fidélité au prolétariat et l’immense énergie qu’il avait déployée tout au long de sa vie. L’œuvre de Lafargue est encore très précieuse aujourd’hui pour les générations futures qui auront encore à puiser ou à redécouvrir la force et l’originalité de ses écrits, notamment son pamphlet, Le Droit à la paresse, qui s’élève vigoureusement contre l’idéologie du travail inculquée par la morale bourgeoise pour défendre ses conditions d’exploitation, dénonçant par avance un encensement qui sera repris et érigé en modèle plus tard par les partis staliniens

 

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Histoire du mouvement ouvrier

Tensions impérialistes : le terrorisme conduit les ouvriers dans les bras de l’État

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En septembre 1867, un groupe de Fenians (nationalistes irlandais), membres de l’Irish Republican Brotherhood (Fraternité républicaine irlandaise), fit sauter le mur de la prison de Clerkenwell à Londres pour tenter de libérer un autre membre de l’organisation. L’explosion, qui ne permit d’ailleurs pas de libérer le prisonnier, causa l’effondrement d’un pâté de maisons ouvrières à proximité, tuant 12 personnes et blessant plus d’une centaine de résidents.

A cette époque, Karl Marx et d’autres révolutionnaires soutenaient la cause de l’indépendance irlandaise, en particulier parce qu’ils la considéraient comme une condition préalable essentielle pour briser les liens entre la classe ouvrière en Grande-Bretagne et leur propre classe dirigeante, qui utilisait alors sa domination sur l’Irlande pour créer parmi les travailleurs anglais l’illusion d’être privilégiés, et ainsi les séparer de leurs frères et sœurs de classe irlandais.

Néanmoins, Marx a réagi avec colère à l’action des Fenians. Dans une lettre à Engels, il écrivait : “Le dernier exploit des Fenians à Clerkenwell est une affaire complètement stupide. Les masses londoniennes, qui ont fait preuve d’une grande sympathie à l’égard de la cause irlandaise, en seront furieuses, et cela les conduira directement dans les bras du parti au gouvernement. On ne peut pas attendre des prolétaires de Londres qu’ils acceptent de se faire exploser en l’honneur des émissaires des Fenians. Il y a toujours une sorte de fatalité à propos d’un tel secret, une sorte de conspiration mélodramatique” 1.

La colère de Marx était d’autant plus grande que, peu de temps avant l’explosion de Clerkenwell, de nombreux ouvriers anglais avaient participé à des manifestations en solidarité avec cinq Fenians exécutés par le gouvernement britannique en Irlande.

Dans cette courte citation de Marx, il y a un pertinent résumé de deux des principales raisons pour lesquelles les communistes ont toujours rejeté le terrorisme : le fait qu’il remplace l’action massive et auto-organisée de la classe ouvrière par des conspirations de petites prétendues élites ; et le fait que, par ailleurs, quelles que soient les intentions de ceux qui effectuent de tels actes, leur seul résultat est de remettre l’indépendance de la classe ouvrière entre les mains du gouvernement et de la classe dirigeante.

Le terrorisme hier et aujourd’hui

Beaucoup de choses ont changé depuis que Marx a écrit ces mots. Le soutien aux mouvements d’indépendance nationale, qui avait du sens à une époque où le capitalisme n’avait pas encore épuisé son rôle progressiste, s’est, à partir de la Première Guerre mondiale, inextricablement transformé en soutien d’un camp impérialiste contre un autre. Pour Marx, le terrorisme était une méthode erronée utilisée par un mouvement national qui méritait qu’on le soutienne. A notre époque, alors que seule la révolution prolétarienne peut offrir une voie à suivre pour l’humanité, les mouvements nationaux sont eux-mêmes devenus réactionnaires. Liées aux interminables conflits impérialistes qui affligent l’humanité, les tactiques terroristes reflètent de plus en plus le pourrissement brutal qui caractérise la guerre aujourd’hui. Alors que les groupes terroristes visaient jadis principalement des symboles et des figures de la classe dirigeante (à l’image du groupe russe Volonté du Peuple qui assassina le tsar Alexandre II en 1881), la plupart des terroristes d’aujourd’hui traduisent la logique des États qui mènent la guerre impérialiste en utilisant les attentats et les meurtres aveugles (tels que les bombardements aériens aveugles de populations entières), visant une population qui est accusée des crimes des gouvernements qui les dirigent.

Selon les pseudo-révolutionnaires de gauche d’aujourd’hui 2, derrière les slogans religieux des terroristes d’Al-Qaïda ou de l’EI, nous assisterions à la même vieille lutte contre l’oppression nationale que celle que les Fenians avaient engagée dans le passé, et les marxistes devraient soutenir aujourd’hui de tels mouvements, même s’ils doivent se distancier de leur idéologie religieuse et de leurs méthodes terroristes. Mais comme Lénine l’avait déclaré en réponse aux sociaux-démocrates qui ont utilisé les écrits de Marx pour justifier leur participation à la Première Guerre mondiale impérialiste : “Invoquer aujourd’hui l’attitude de Marx à l’égard des guerres de l’époque de la bourgeoisie progressive et oublier les paroles de Marx : “Les ouvriers n’ont pas de patrie”, paroles qui se rapportent justement à l’époque de la bourgeoisie réactionnaire qui a fait son temps, à l’époque de la révolution socialiste, c’est déformer cyniquement la pensée de Marx et substituer au point de vue socialiste le point de vue bourgeois” 3. Les moyens meurtriers qu’utilisent des groupes comme l’EI et leurs sympathisants sont entièrement compatibles avec leurs objectifs ; lesquels ne consistent pas à renverser l’oppression, mais à substituer une forme d’oppression à une autre, et chercher à “gagner” à tout prix la bataille horrible qui oppose un ensemble de puissances impérialistes à un autre (comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, par exemple) qui les soutient. Et leur idéal “ultime” (le califat mondial) même s’il est aussi irréalisable que le “Reich de 1000 ans” d’Hitler, n’en est pas moins une entreprise impérialiste, exigeant des mesures bien éprouvées de rapines et de conquête.

Divisions réelles et fausse unité

Marx avait souligné que l’action des Fenians à Londres entraînerait une rupture entre le mouvement ouvrier en Grande-Bretagne et la lutte pour l’indépendance irlandaise. Cela créerait entre les travailleurs anglais et irlandais des divisions qui ne pouvaient que bénéficier à la classe dirigeante. Aujourd’hui, les terroristes islamistes ne cachent pas le fait que leur objectif est précisément de créer des divisions à travers les atrocités qu’ils pratiquent : la plupart des actions initiales de l’EI en Irak ont ciblé la population musulmane chiite, qu’il considère comme hérétique, dans le but de provoquer sectarisme et guerre civile. La même logique est à l’œuvre en ce qui concerne les attentats terroristes de Londres ou de Manchester : renforcer le fossé entre les musulmans et les non-croyants, les kâfirs (ceux qui rejettent l’islam) et donc hâter le déclenchement du djihad dans les pays centraux. C’est un témoignage supplémentaire que même le terrorisme peut dégénérer dans une société qui elle-même se décompose.

Outre l’extrême-droite ouvertement raciste, qui, comme les djihadistes, souhaite une sorte de “guerre raciale” dans les rues, la principale réaction des gouvernements et des politiciens aux attentats terroristes en Europe consiste à brandir le drapeau national et à proclamer que “les terroristes ne nous diviseront pas”. Ils parlent ainsi de solidarité et d’unité contre la haine et la division. Mais du point de vue de la classe ouvrière, il s’agit là d’une fausse solidarité, le même type de solidarité avec nos propres exploiteurs qui établissent un lien entre les travailleurs et les efforts de guerre patriotiques de l’État impérialiste. Et, en effet, de tels appels à “l’unité nationale” ne sont souvent qu’un prélude à la mobilisation pour la guerre, comme ce fut le cas après la destruction des Twin Towers à New-York en 2001, avec l’invasion américaine de l’Afghanistan et de l’Irak. C’est ce dont Marx avait parlé en évoquant les travailleurs poussés dans les bras du parti gouvernemental. Dans une atmosphère de peur et d’insécurité, lorsque l’on est confrontés à la perspective de massacres au hasard des rues, des bars ou des salles de concert, la réponse compréhensible de ceux qui sont menacés par de telles attaques est d’exiger la protection de l’État et de ses forces de police. Suite aux récentes atrocités à Manchester et à Londres, la question de la sécurité a été un enjeu majeur lors de la récente campagne électorale du Royaume-Uni, les Tories soupçonnant le travailliste Corbyn d’être trop laxiste face au terrorisme, et Corbyn accusant May de réduire le nombre de policiers.

Face aux terroristes d’un côté et à l’État capitaliste de l’autre, la position prolétarienne est de rejeter les deux, de se battre pour les intérêts de la classe ouvrière et ses exigences. La classe ouvrière a un besoin profond de s’organiser de manière indépendante, d’organiser sa défense contre la répression de l’État et les provocations terroristes. Mais compte-tenu de l’actuelle faiblesse de la classe ouvrière aujourd’hui, cette nécessité reste en perspective. Il existe une tendance chez de nombreux travailleurs à ne pas voir d’autre alternative que de rechercher la protection de l’État, alors qu’un autre petit nombre de prolétaires défavorisés peuvent être attirés vers l’idéologie putréfiée du djihadisme. Et ces deux tendances compromettent activement le potentiel de la classe ouvrière à prendre conscience d’elle-même et à s’auto-organiser. Ainsi, toute attaque terroriste et toute campagne de “solidarité” parrainée par l’État en réponse à celle-ci doivent être considérées comme des coups contre la conscience de classe et, finalement, comme des coups contre la promesse d’une société fondée sur une véritable solidarité humaine.

Amos, 12 juin 2017

1) Extrait de K. Marx et F. Engels, Ireland and the irish question (en anglais), Moscou, 1971, p. 150.

2) Voir par exemple : www.marxists.org/history/etol/writers/jenkins/2006/xx/terrorism.html [15], extrait du journal International Socialism, du groupe trotskiste anglais SWP, printemps 2006.

3) Lénine, Le socialisme et la guerre [16], 1915.

 

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Terrorisme

Histoire de La Révolution russe de Trotski (extraits) : "Les bolcheviks pouvaient-ils prendre le pouvoir en juillet ?"

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En complément de notre article sur les journées de juillet 1917, nous republions ci-dessous des extraits du chapitre que consacre Trotski à cet épisode dans son Histoire de la Révolution russe. De notre point de vue, ces passages présentent un intérêt majeur : la nécessité de la transmission des acquis pour les générations présentes et futures de tirer les leçons de l’expérience du mouvement ouvrier dans les plus hauts moments de son combat. Mais surtout, ils mettent l’accent sur la nécessité primordiale pour les révolutionnaires d’analyser avec la plus grande lucidité quel est le rapport de forces réel entre les classes à un moment, dans une situation donnés et d’évaluer selon des critères précis le degré global de maturité et de conscience atteint par le prolétariat dans son combat.

"Dans une proclamation issue des deux comités exécutifs au sujet des journées de juillet, les conciliateurs en appelèrent avec indignation aux ouvriers et aux soldats contre les manifestants qui, prétendaient-ils, “ont essayé d’imposer par la force des armes leur volonté à vos élus.” (…) En se concentrant autour du Palais de Tauride, les masses criaient aux oreilles du comité exécutif la phrase même qu’un anonyme ouvrier avait servie à Tchernov en lui tendant un poing rude : “Prends le pouvoir quand on te le donne.” Comme réponse, les conciliateurs appelèrent les cosaques. Messieurs les démocrates préféraient ouvrir la guerre civile contre le peuple plutôt que de prendre le pouvoir sans effusion de sang. Les gardes blancs furent les premiers à tirer. Mais l’atmosphère politique de la guerre civile fut créée par les mencheviks et les ­socialistes-révolutionnaires.

Se heurtant à la résistance armée de l’organe même auquel ils voulaient remettre le pouvoir, les ouvriers et les soldats perdirent conscience de leur but. Du puissant mouvement des masses, l’axe politique se trouva arraché. La campagne de juillet se réduisit à une manifestation partiellement effectuée avec les moyens d’une insurrection armée. On peut dire tout aussi bien que ce fut une demi-insurrection pour un but qui n’admettait pas d’autres méthodes qu’une manifestation. (…)

Quand, à l’aube du 5 juillet, les troupes “fidèles” pénétrèrent dans l’édifice du Palais de Tauride, leur commandant fit savoir que son détachement se subordonnait intégralement et sans réserve au Comité exécutif central. Pas un mot sur le gouvernement ! Mais les rebelles, eux aussi, consentaient à se soumettre au comité exécutif en tant que pouvoir. Même les troupes appelées du front se mettaient entièrement à la disposition du Comité exécutif. De quelle utilité, dans ce cas, avait été le sang versé ? (…)

Si paradoxal que soit le régime de février, que les conciliateurs décoraient d’ailleurs d’hiéroglyphes marxistes et populistes, les véritables rapports de classes sont suffisamment transparents. Il faut seulement ne pas perdre de vue la nature hybride des partis conciliateurs. Les petits-bourgeois instruits s’appuyaient sur les ouvriers et les bourgeois, mais fraternisaient avec les propriétaires de noble condition et les gros fabricants de sucre. En s’insérant dans le système soviétique, à travers lequel les revendications de la base s’élevaient jusqu’à l’État officiel, le comité exécutif servait aussi de paravent politique à la bourgeoisie. Les classes possédantes se “soumettaient” au comité exécutif dans la mesure où il poussait le pouvoir de leur côté. Les masses se soumettaient au comité exécutif dans la mesure où elles espéraient qu’il deviendrait l’organe de la domination des ouvriers et des paysans. Au Palais de Tauride s’entrecroisaient des tendances de classes contraires, dont l’une et l’autre se couvraient du nom du comité exécutif : l’une par manque de compréhension et par crédulité, l’autre par froid calcul. Or, dans la lutte, il ne s’agissait ni plus ni moins que de savoir qui gouvernerait le pays : la bourgeoisie ou le prolétariat ?

Mais, si les conciliateurs ne voulaient pas prendre le pouvoir, et si la bourgeoisie n’avait pas assez de force pour le détenir, peut-être, en juillet, les bolcheviks pouvaient-ils se saisir du gouvernail ? (…) On pouvait s’emparer de l’autorité même en certains points de la province. En ce cas, le parti bolchevique avait-il raison de renoncer à la prise du pouvoir ? Ne pouvait-il pas, s’étant fortifié dans la capitale et dans quelques régions industrielles, étendre ensuite sa domination à tout le pays ? La question est d’importance.

Rien ne contribua, à la fin de la guerre, au triomphe de l’impérialisme et de la réaction en Europe autant que les quelques mois si courts du “kerenskisme” qui exténuèrent la Russie révolutionnaire et causèrent un préjudice incalculable à son autorité morale aux yeux des armées belligérantes et des masses laborieuses de l’Europe, qui espéraient de la révolution une parole nouvelle. Si les bolcheviks avaient réduit de quatre mois - formidable laps de temps ! - les douleurs de l’accouchement de l’insurrection prolétarienne, ils se seraient trouvés devant un pays moins épuisé, l’autorité de la révolution en Europe eût été moins compromise. Cela n’eût pas seulement donné aux soviets d’énormes avantages dans la conduite des pourparlers avec l’Allemagne, cela aurait exercé une très grosse influence sur la marche de la guerre et de la paix en Europe. La perspective était trop séduisante ! Et, cependant, la direction du parti avait absolument raison de ne pas s’engager dans la voie de l’insurrection armée.

Prendre le pouvoir ne suffit pas. Il faut le garder. Quand, en octobre, les bolcheviks estimèrent que leur heure avait sonné, la période la plus difficile pour eux survint après la prise du pouvoir. Il fallut la plus haute tension des forces de la classe ouvrière pour résister aux innombrables attaques des ennemis. En juillet, cette disposition à une lutte intrépide n’existait pas encore, même chez les ouvriers de Petrograd. Ayant la possibilité de prendre le pouvoir, ils le proposaient cependant au comité exécutif. Le prolétariat de la capitale qui, en son écrasante majorité, était déjà porté vers les bolcheviks, n’avait pas encore coupé le cordon ombilical qui le reliait aux conciliateurs. Il y avait encore pas mal d’illusions en ce sens que, par la parole et par une manifestation, l’on pourrait arriver à tout ; qu’en intimidant les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, l’on pourrait les stimuler à suivre une politique commune avec les bolcheviks.

Même l’avant-garde de la classe ne se rendait pas clairement compte des voies par lesquelles on peut arriver au pouvoir. Lénine écrivait bientôt : “La réelle faute de notre parti, pendant les journées des 3-4 juillet, révélée à présent par les événements, était seulement en ceci... que le parti croyait encore possible un développement pacifique des transformations politiques au moyen d’un changement de politique dans les Soviets, tandis qu’en réalité les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires s’étaient déjà tellement fourvoyés et liés par leur entente avec la bourgeoisie, et celle-ci était devenue tellement contre-révolutionnaire qu’il ne pouvait plus être question d’un développement pacifique quelconque.”

Si le prolétariat n’était politiquement pas homogène ni suffisamment résolu, il en était de même et d’autant plus de l’armée paysanne. Par sa conduite pendant les journées des 3-4 juillet, la garnison avait créé l’absolue possibilité pour les bolcheviks de prendre le pouvoir. Mais il y avait pourtant dans les effectifs de la garnison des contingents neutres qui, déjà vers le soir du 4 juillet, penchèrent résolument vers les partis patriotes. Le 5 juillet, les régiments neutres se rangent du côté du comité exécutif, tandis que les régiments enclins au bolchevisme s’efforcent de prendre une teinte de neutralité. Cela rendait les mains libres aux autorités beaucoup plus que l’arrivée tardive des troupes du front. Si les bolcheviks, par un excès d’ardeur, s’étaient saisis du pouvoir le 4 juillet, la garnison de Petrograd non seulement ne l’aurait pas conservé, mais elle aurait empêché les ouvriers de le maintenir dans le cas inévitable d’un coup porté du dehors.

Moins favorable encore se présentait la situation dans l’armée sur le front. La lutte pour la paix et la terre, surtout depuis l’offensive de juin, la rendait extrêmement accessible aux mots d’ordre des bolcheviks. Mais ce que l’on appelle le bolchevisme “élémentaire” chez les soldats ne s’identifiait nullement dans leur confiance avec un parti déterminé, avec son comité central et ses leaders, les lettres de soldats de cette époque traduisent très clairement cet état d’esprit de l’armée. (…) Un extrême degré d’irritation contre les sphères supérieures qui les dupent se joint dans ces lignes à un aveu d’impuissance : “Nous, on comprend mal les partis.”

Contre la guerre et le corps des officiers, l’armée était en révolte continue, utilisant à ce propos des mots d’ordre du vocabulaire bolchevique. Mais quant à se mettre en insurrection pour transmettre le pouvoir au parti bolchevique, l’armée n’y était pas encore prête, loin de là. Les contingents sûrs, destinés à écraser Petrograd, furent prélevés par le gouvernement sur les troupes les plus proches de la capitale, sans résistance active des autres effectifs, et ils furent transportés par échelons sans aucune résistance des cheminots. Mécontente, rebelle, facilement inflammable, l’armée restait politiquement amorphe ; dans sa composition, il y avait trop peu de solides noyaux bolcheviques capables de donner une direction uniforme aux pensées et aux actes de l’inconsistante masse des soldats.

D’autre part, les conciliateurs, pour opposer le front à Petrograd et aux ruraux de l’arrière, utilisaient, non sans succès, l’arme empoisonnée dont la réaction, en mars, avait vainement tenté de se servir contre les soviets. Les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks disaient aux soldats du front : la garnison de Petrograd, sous l’influence des bolcheviks, ne vient pas vous faire la relève ; les ouvriers ne veulent pas travailler pour les besoins du front ; si les paysans écoutent les bolcheviks et s’emparent tout de suite de la terre, il ne restera rien pour les combattants. Les soldats avaient encore besoin d’une expérience supplémentaire pour comprendre si le gouvernement préservait la terre au bénéfice des combattants ou bien des propriétaires.

Entre Petrograd et l’armée du front se plaçait la province. Sa réaction devant les événements de juillet peut en elle-même servir de très important critère a posteriori dans la question de savoir si les bolcheviks eurent raison en juillet d’éluder la lutte immédiate pour la conquête du pouvoir. Déjà à Moscou, le pouls de la révolution battait bien plus faiblement qu’à Petrograd (...)"

Léon Trotski 1

1 Histoire de la Révolution russe, T. I, extraits du chapitre “Les bolcheviks pouvaient-ils prendre le pouvoir en juillet ? [19]”, pp. 78 à 83 - coll. Points, Ed. du Seuil.

 

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1917-2017 : il y a 100 ans, la révolution russe

Juillet 1917 en Russie : le rôle déterminant du Parti bolchevique face aux manœuvres de la bourgeoisie

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Les événements de juillet 1917 à Petrograd, connus sous le nom des “journées de Juillet”, représentent un des épisodes les plus marquants de la Révolution russe. En effet, au cœur de l’effervescence ouvrière de ce début juillet 1917, il revint au Parti bolchevique d’avoir su éviter que le processus révolutionnaire en cours n’accouche d’une tragique défaite suite à un affrontement prématuré provoqué par les forces bourgeoises. Les enseignements que l’on peut tirer encore aujourd’hui de ces événements sont fondamentaux pour la lutte du prolétariat sur le chemin qui conduit à son émancipation.

L’insurrection de février avait conduit à une situation de double pouvoir : celui de la classe ouvrière, organisée dans ses soviets de députés ouvriers et soldats, et celui de la bourgeoisie représenté par le gouvernement provisoire et qui était soutenu par les “conciliateurs” mencheviks et socialistes-révolutionnaires, notamment au sein du Comité exécutif élu par les soviets 1. Cette situation de double pouvoir devenait, au fur et à mesure du développement de la révolution, proprement intenable.

La montée de la révolution

Illusionnés et endormis au départ par les promesses jamais tenues des démagogues mencheviks et sociaux-démocrates sur la paix, la “solution du problème agraire”, l’application de la journée de huit heures, etc., les ouvriers, en particulier ceux de Petrograd, commençaient à se rendre compte que l’Exécutif des Soviets ne répondait en rien à leurs revendications et exigences. Ils percevaient qu’au contraire il servait de paravent au gouvernement provisoire pour réaliser ses objectifs, à savoir, en tout premier lieu, le rétablissement de l’ordre à l’arrière et au front pour pouvoir poursuivre la guerre impérialiste. La classe ouvrière, dans son bastion le plus radical de Petrograd, se sentait de plus en plus dupée, bernée, trahie par ceux-là même à qui elle avait confié la direction de ses Conseils. Bien qu’encore confusément, l’avant-garde ouvrière tendait à se poser la vraie question : qui exerce réellement le pouvoir, la bourgeoisie ou le prolétariat ? La radicalisation ouvrière et la prise de conscience plus affirmée des enjeux va s’effectuer dès la mi-avril, suite à une note provocatrice du ministre libéral Milioukov réaffirmant l’engagement de la Russie avec les alliés dans la continuation de la guerre impérialiste. Déjà meurtris par les privations de toutes sortes, les ouvriers et les soldats répondent immédiatement par des manifestations spontanées, des assemblées massives dans les quartiers et les usines. Le 20 avril, une gigantesque manifestation impose la démission de Milioukov. La bourgeoisie doit reculer (provisoirement) dans ses plans guerriers. Les bolcheviks sont très actifs au sein de ce bouillonnement prolétarien et leur influence s’accroît au sein des masses ouvrières. La radicalisation du prolétariat s’opère autour du mot d’ordre mis en avant par Lénine dans ses Thèses d’avril, “Tout le pouvoir aux soviets” qui, au cours des mois de mai et juin, devient l’aspiration des larges masses ouvrières. Tout au long du mois de mai, le parti bolchevique apparaît de plus en plus comme le seul parti réellement engagé aux côtés des ouvriers. Une activité frénétique d’organisation a lieu dans tous les coins de la Russie, signe de la fermentation révolutionnaire. Tout le travail d’explication et d’engagement des bolcheviks pour le pouvoir des soviets se concrétise d’ailleurs à la Conférence des ouvriers industriels de Petrograd puisque cette fraction du prolétariat, la plus combative, leur donne la majorité dans les comités d’usines, fin mai. Le mois de juin connaît une intense agitation politique culminant de façon spectaculaire le 18 dans une gigantesque manifestation. Appelée à l’origine par les mencheviks pour soutenir le gouvernement provisoire, qui vient de décider une nouvelle offensive militaire, et l’Exécutif du Soviet de Petrograd qu’ils dominent encore, elle se retourne contre les “conciliateurs”. En effet, la manifestation reprend dans son immense majorité les mots d’ordre bolcheviques : “A bas l’offensive !”, “A bas les dix ministres capitalistes !”, “Tout le pouvoir aux soviets !”

Les bolcheviks évitent le piège de l’affrontement prématuré

Alors que les nouvelles de l’échec de l’offensive militaire atteignent la capitale, attisant le feu révolutionnaire, elles ne sont pas encore parvenues dans le reste de ce pays gigantesque. Pour faire face à une situation très tendue, la bourgeoisie entreprend de provoquer une révolte prématurée à Petrograd, d’y écraser les ouvriers et les bolcheviks, puis de faire endosser la responsabilité de l’échec de l’offensive militaire au prolétariat de la capitale qui aurait donné “un coup de poignard dans le dos” à ceux qui sont au front.

Une telle manœuvre est permise par le fait que les conditions de la révolution ne sont pas encore mûres. Bien que montant partout dans le pays chez les ouvriers et les soldats, le mécontentement n’atteint néanmoins pas, et de loin, la profondeur et l’homogénéité qui existe à Petrograd. Les paysans ont encore confiance dans le gouvernement provisoire. Chez les ouvriers eux-mêmes, y compris ceux de Petrograd, l’idée qui domine n’est pas celle de prendre le pouvoir mais bien d’obliger, à travers une action de force, les dirigeants “socialistes” à “le prendre réellement”. Il était certain qu’avec la révolution écrasée à Petrograd et le Parti bolchevique décimé, le prolétariat en Russie ainsi décapité serait bientôt vaincu dans son ensemble.

Petrograd est en effervescence. Les mitrailleurs qui, avec les marins de Cronstadt, constituent une aile avancée de la révolution dans l’armée, veulent agir immédiatement. Les ouvriers en grève font la tournée des régiments et les invitent à sortir dans la rue et à tenir des meetings. Dans ce contexte, un certain nombre de mesures prises “à point nommé” par la bourgeoisie suffisent alors à déclencher la révolte dans la capitale. Ainsi, le parti cadet prend la décision de retirer ses quatre ministres du gouvernement “provisoire” dans le but de relancer, parmi les ouvriers et les soldats, la revendication du pouvoir immédiat aux Soviets. En effet, le refus des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires du mot d’ordre “Tout le pouvoir aux soviets !”, fondé jusqu’alors par eux-mêmes par la soi-disant nécessité de collaborer avec les représentants de la “bourgeoisie démocratique” n’a désormais plus de sens. Là-dessus, parmi d’autres provocations, le gouvernement menace de transférer immédiatement les régiments révolutionnaires combatifs de la capitale au front. En quelques heures, le prolétariat de toute la ville se soulève, s’arme et se rassemble autour du mot d’ordre “Tout le pouvoir aux soviets !”.

C’est d’ailleurs dès la manifestation du 18 juin que les bolcheviks avaient déjà mis publiquement en garde les ouvriers contre une action prématurée. Estimant qu’il ne serait pas possible d’arrêter le mouvement, ils décidèrent de se mettre à sa tête en l’appuyant, mais en conférant à la manifestation armée de 500 000 ouvriers et soldats un “caractère pacifique et organisé”. Le soir même, les ouvriers se rendent compte de l’impasse momentanée de la situation, liée à l’impossibilité immédiate de la prise du pouvoir. Le lendemain, suivant les consignes bolcheviques, ils restent chez eux. C’est alors qu’arrivent à Petrograd les troupes “fraîches” venues épauler la bourgeoisie et ses acolytes mencheviks et socialistes-révolutionnaires. Afin de les “vacciner” d’emblée contre le bolchevisme, elles sont accueillies par les coups de fusils de provocateurs armés par la bourgeoisie, mais présentés comme étant des bolcheviks. Commence alors la répression. La chasse aux bolcheviks est ouverte. Elle est placée par la bourgeoisie sous le signe d’une campagne les accusant d’être des agents allemands afin de monter les troupes contre les ouvriers. Il en résulte que Lénine et d’autres dirigeants bolcheviques sont obligés de se cacher, alors que Trotski et d’autres sont arrêtés. “Le coup porté en juillet aux masses et au parti fut très grave. Mais ce coup n’était pas décisif. On compta les victimes par dizaines, mais non point par dizaines de milliers. La classe ouvrière sortit de l’épreuve non décapitée et non exsangue. Elle conserva intégralement ses cadres de combat, et ces cadres avaient beaucoup appris.”

Les leçons de juillet 17

Contre les campagnes actuelles de la bourgeoisie qui présentent la révolution d’Octobre 17 comme un complot bolchevique contre la “jeune démocratie” instaurée par la révolution de février, et contre les partis également démocratiques qu’elle a portés au pouvoir, cadets, socialistes-révolutionnaires et mencheviks, les événements de juillet se chargent eux-mêmes de démentir cette thèse. Ils montrent clairement que les comploteurs ont été ces mêmes partis démocrates, en collaboration avec les autres secteurs réactionnaires de la classe politique russe, et avec la bourgeoisie des pays impérialistes alliés de la Russie, pour tenter d’infliger une saignée décisive au prolétariat.

Juillet 1917 a aussi montré que le prolétariat doit se méfier par dessus tout des partis anciennement ouvriers qui ont trahi, et donc surmonter ses illusions vis-à-vis d’eux. Une telle illusion pesait encore fortement sur la classe ouvrière pendant les journées de juillet. Mais cette expérience a clarifié définitivement que les mencheviks et les socialistes révolutionnaires étaient irrévocablement passés à la contre-révolution. Dès la mi-juillet, Lénine tire clairement cette leçon : “Après le 4 juillet, la bourgeoisie contre-révolutionnaire, marchant avec les monarchistes et les Cent-noirs, s’est adjoint, en partie par l’intimidation, les petits-bourgeois socialistes-révolutionnaires et mencheviks et a confié le pouvoir d’État effectif aux Cavaignac, à la clique militaire qui fusille les récalcitrants sur le front et massacre les bolcheviks à Petrograd” 2.

L’histoire montre qu’une tactique redoutable de la bourgeoisie contre le mouvement de la classe ouvrière consiste à provoquer des confrontations prématurées. En 1919 et 1921 en Allemagne, le résultat fut une répression sanglante du prolétariat. Si la révolution russe est le seul grand exemple où la classe ouvrière a été capable d’éviter un tel piège et une défaite sanglante, c’est surtout parce que le parti de classe bolchevique a pu remplir son rôle décisif d’avant-garde, de direction politique de la classe.

Le Parti bolchevique est convaincu qu’il est de sa responsabilité d’analyser en permanence le rapport de force entre les deux classes ennemies, pour être capable d’intervenir correctement à chaque moment du développement de la lutte. Il sait qu’il est impératif d’étudier la nature, la stratégie et la tactique de la classe ennemie pour identifier, comprendre et faire face à ses manœuvres. Il est imprégné de la compréhension marxiste que la prise du pouvoir révolutionnaire est une sorte d’art ou de science et est parfaitement conscient qu’une insurrection inopportune est aussi fatale que l’échec d’une prise de pouvoir tentée au bon moment. La profonde confiance du parti dans le prolétariat et dans le marxisme, sa capacité à se baser sur la force qu’ils représentent historiquement, lui permettent de s’opposer fermement aux illusions dans la classe ouvrière. Elles lui permettent encore de repousser la pression des anarchistes et “interprètes occasionnels de l’indignation des masses” comme les nomme Trotski 3 qui, guidés par leur impatience petite-bourgeoise, excitent les masses en vue de l’action immédiate.

Mais ce qui fut également décisif dans ces journées de juillet, c’est la profonde confiance des ouvriers russes dans leur parti de classe, permettant à ce dernier d’intervenir en leur sein et même d’assumer son rôle de direction, bien qu’il était clair pour tout le monde qu’il ne partageait ni leurs buts immédiats ni leurs illusions.

Les bolcheviks firent face à la répression qui débute le 5 juillet, sans aucune illusion sur la démocratie et en se battant pied à pied contre les calomnies dont ils étaient la cible. Aujourd’hui, cent ans plus tard, la bourgeoisie qui n’a pas changé de nature, mais au contraire est encore plus expérimentée et cynique, mène avec la même “logique” contre la Gauche communiste une campagne similaire à celle déployée en juillet 1917 contre les bolcheviks. En juillet 1917, elle essaie de faire croire que les bolcheviks, refusant de soutenir l’Entente, sont nécessairement du côté allemand ! Aujourd’hui, elle tente d’accréditer l’idée que, si la Gauche communiste a refusé de soutenir le camp impérialiste “antifasciste” dans la Seconde Guerre mondiale, c’est parce qu’elle et ses successeurs actuels, sont du côté nazi. Aujourd’hui, les révolutionnaires, qui tendent à sous-estimer la signification de telles campagnes à leur encontre qui ne font que préparer de futurs pogroms, ont encore beaucoup à apprendre de l’expérience des bolcheviks qui, après les journées de juillet, ont remué ciel et terre pour défendre leur réputation au sein de la classe ouvrière.

Durant ces journées décisives, l’action du parti bolchevique permit à la révolution montante de surmonter les pièges tendus par la bourgeoisie. Elle n’a rien à voir avec l’exécution d’un plan préconçu par un état-major extérieur à la classe ouvrière, comme a coutume d’en parler la bourgeoisie à propos de la révolution d’Octobre. Elle est au contraire l’œuvre d’une émanation vivante de la classe ouvrière. En effet, trois mois auparavant, le parti bolchevique ne comprenant pas que la révolution de février mettait à l’ordre du jour la prise du pouvoir en Russie par la classe ouvrière, se trouvait dans une situation de profond désarroi devant la situation. Après s’être doté d’une orientation claire, il fut par contre capable, en s’appuyant sur son expérience propre et celle de tout le mouvement ouvrier, de se hisser à la hauteur de ses responsabilités en assumant la direction politique du combat.

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1) Cf. Internationalisme n° 330 [23] et 331 [24].

2) Lénine, “A propos des mots d’ordre [25]”, Œuvres complètes, tome 25.

3) Trotski, Histoire de la Révolution russe [19].

 

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1917-2017 : il y a 100 ans, la révolution russe

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[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri465.pdf [2] https://fr.internationalism.org/files/fr/macron_elu_president_2017.jpg [3] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201703/9528/elections-et-democratie-l-avenir-l-humanite-ne-passe-pas-urnes [4] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france [5] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/vie-bourgeoisie-france [6] https://fr.internationalism.org/tag/30/526/emmanuel-macron [7] https://fr.internationalism.org/tag/7/524/elections-2017 [8] https://www.marxists.org/francais/engels/works/1872/00/logement.htm [9] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne [10] https://fr.internationalism.org/tag/7/527/question-du-logement [11] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201609/9428/attentats-france-allemagne-etats-unis-capitalisme-porte-lui-te [12] https://fr.internationalism.org/tag/7/287/terrorisme [13] https://fr.internationalism.org/isme351/la_commune_de_paris_premier_assaut_revolutionnaire_du_proletariat.html [14] https://fr.internationalism.org/tag/conscience-et-organisation/seconde-internationale [15] https://www.marxists.org/history/etol/writers/jenkins/2006/xx/terrorism.html [16] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1915/08/vil19150800b.htm [17] https://fr.internationalism.org/tag/7/304/tensions-imperialistes [18] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/terrorisme [19] https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr27.htm [20] https://fr.internationalism.org/tag/5/513/russie [21] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe [22] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/trotski [23] https://fr.internationalism.org/content/fevrier-1917-russie-revolution-proletarienne-marche [24] https://fr.internationalism.org/content/avril-1917-russie-role-fondamental-lenine-preparation-revolution-doctobre [25] https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1917/07/vil19170728b.htm