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• Nous avons vu dans une première partie ce que dissimulaient les droits démocratiques et les droits de l'homme dans la société capitaliste dès son origine et comment la "démocratie" bourgeoise avec la décadence était devenue une pure mystification dissimulant le totalitarisme de l’Etat. Au mensonge de cette "démocratie" frelatée, le marxisme, depuis la Commune de Paris, oppose la dictature du prolétariat, comme phase de transition au socialisme. S’agit-il d’une "dictature" dans le sens usuel du terme ? Cette "dictature" ouvre-t-elle la voie à une société fondée sur la liberté et l'égalité réelles, et non abstraites et mensongères de la bourgeoisie ? Le prolétariat, pour parvenir au "royaume de la liberté" (Engels) utilise-t-il et engendre-t-il une démocratie d'un type nouveau ou la supprime-t-il en établissant un pouvoir totalitaire ? Telles sont les questions que se pose et doit se poser tout ouvrier conscient à l'heure où la bourgeoisie mène une offensive idéologique pour discréditer le socialisme, dénigrer la notion de dictature du prolétariat.
Aujourd'hui, plus de soixante années après la plus grande expérience prolétarienne, la révolution russe, la crise générale du capitalisme remet à l'ordre du jour la nécessité de la dictature du prolétariat. Alors que le prolétariat n'a pas été battu, qu'il a ressurgi sur la scène historique par de vastes mouvements de classe, la crise le pousse à des confrontations de plus en plus violentes avec le pouvoir d'Etat partout dans le monde. L'approfondissement de la lutte de classe, pour autant que le capitalisme ne réussit pas à imposer sa solution : la guerre mondiale, va le conduire à des affrontements décisifs avec la bourgeoisie, dont le point le plus haut ne peut être que le renversement mondial du système d'exploitation et l'instauration de sa dictature comme condition nécessaire du passage au socialisme et à la société sans classes.
Il est donc nécessaire de dégager les caractéristiques de la dictature du prolétariat, en montrant qu'elle n'est pas un "mal nécessaire", mais une condition du passage d'une société gangrenée par les crises, les guerres impérialistes, à une société de véritable liberté.
Plus de cinquante années de contrerévolution ont malheureusement déformé le sens du terme "dictature du prolétariat". Celle-ci, dans l'esprit de beaucoup d'ouvriers et en particulier dans les pays de l'Est, est assimilée au capitalisme d'Etat, à l'omniprésence de l'Etat, avec ses camps, le déploiement gigantesque de sa police, sa répression violente des luttes ouvrières comme en 53 en Allemagne de l'Est, 56 en Hongrie et 70 en Pologne. Alors que la prétendue "dictature du prolétariat" dans les pays de l'Est n'est qu'un mensonge monstrueux pour voiler la réalité de l'exploitation de l'Etat capitaliste, les défenseurs zélés du capitalisme n'ont pas manqué pour pré- tendre que la dictature du prolétariat , dans la conception marxiste, ne mènerai qu'à une "dictature sur le prolétariat" Des mencheviks aux actuels "défenseurs des droits de l'homme", les agents acharnés du capitalisme ne manquent pas pour essayer de décourager le prolétariat de renverser la société bourgeoise çt le persuader que la "démocratie occidentale" est préférable, avec ses "libertés".
Cependant, la mystification de la "démocratie" bourgeoise -pour le grand malheur des Carter et autres "nouveaux philosophes"- ne peut que s'effilocher au fil de la crise. Quel ouvrier sensé croira aujourd'hui dans les vertus de la "démocratie" bourgeoise, quand les fameuses "libertés " qui font tant pleur er dans les chaumières signifient : "liberté" d'être au chômage, "liberté " de se faire tuer dans les guerres impérialistes, "liberté " de crever tous les jours à petit feu avec une exploitation toujours plus féroce.
La crise du capitalisme remet donc à ordre du jour la nécessité du socialisme, celle d'en finir avec un système qui n'arrête pas quotidiennement de s'enfoncer dans la barbarie qu'il sécrète.
La notion de "dictature", dans le sens non du totalitarisme de l'Etat capitaliste décadent, mais de l'exercice du pouvoir par la classe révolutionnaire historiquement progressiste, dérive des révolutions bourgeoises. Pour établir sa domination économique, la bourgeoisie devrait dominer politiquement le reste de la société à travers l'Etat qu'elle conquérait, par la mise hors la-loi de la classe féodale. Cest par la violence, la terreur généralisée,que les Cromwell, les jacobins, affirmaient la domination de leur classe. Cette terreur s'appliquait sur l'ensemble des couches sociales, aussi bien les classes exploitées (artisans, ouvriers) que sur les fractions indécises de la bourgeoisie prêtes à transiger avec la classe féodale. Mais cette terreur était momentanée pour la bourgeoisie qui n'aspirait qu'à respirer l'air du libéralisme politique, l'air serein de la "démocratie". Cette "démocratie " pour la bourgeoisie ne mettait pas fin néanmoins à la terreur sur la classe exploitée prolétarienne. La dictature est le mode de vie même du capitalisme, fût-il le plus "démocratique", le plus riche en "libertés juridiques" qui soit.
Est-ce à dire que le prolétariat, lorsqu'il prendra le pouvoir, devra établir sa domination de classe sans dictature sur la classe exploiteuse ? L'expérience même montre qu'il est impossible au prolétariat de réaliser son but : le socialisme, sans employer la violence organisée, sans briser la résistance d'une bourgeoisie qui préfère voir le monde s'ensanglanter en entraînant toute l'humanité avec elle, plutôt que d'abandonner le système qui l'a engendré. Contre l'illusion criminelle des anarchistes qui affirment que le prolétariat n'a pas à utiliser la coercition sur les classes exploiteuses, mais doit généreusement garantir la liberté de chacun, de chaque individu, le marxisme affirme que la question de la liberté ne se pose pas en termes d'individus, mais de classes sociales absolument antagoniques.
Ainsi la domination du prolétariat n'implique pas la "liberté pour tous", drapeau derrière lequel se cache la bourgeoisie. A la différence de celle - ci qui dissimule toujours hypocritement sa dictature féroce derrière "l'intérêt général", "Tordre social", "les libertés fondamentales", le prolétariat n'a pas peur d'affirmer sans détours la nécessité de la violence pour briser le carcan capitaliste qui enserre la société, de l'appliquer farouchement et ouvertement contre les forces de la contre-révolution.
Cependant le prolétariat, tout en employant la violence contre la classe ennemie, n'établit pas son pouvoir de classe en se nourrissant de la chair des vaincus, comme le dieu Moloch de la Bible. Le culte de la "violence en soi", de la violence pour la violence, est une pratique absolument étrangère au prolétariat. Il est de l'essence même du capitalisme de reposer sur des rapports de violence, qui finissent par dominer l'ensemble de la société, pour culminer dans la terreur permanente incarnée par l'Etat. Les soixante dernières années avec leurs sinistre s massacres de millions d'hommes, l'anéantissement de populations entières, la torture institutionnalisée donnent une image exacte de la finalité du capitalisme décadent : l'anéantissement de l'humanité.
Le prolétariat a pour finalité non la conservation, mais la destruction de la barbarie. Classe exploitée, il ne peut avoir pour moteur de son activité révolutionnaire que son but : la suppression de toute exploitation. En détruisant le capitalisme, le prolétariat supprime non seulement son exploitation, mais celle de l'humanité entière. Pour tenter d'opposer le prolétariat au reste des exploités, les idéologues bourgeois et petits-bourgeois ne manquent jamais d'affirmer que "au fond les ouvriers voudraient être patrons", et que "de toutes façons, il faudra toujours des patrons". Pour la bourgeoisie, il est inconcevable qu'il puisse exister un autre système que le sien, fondé non sur l'exploitation, mais sur l’émancipation de toute l'humanité de la société de classes.
Lorsque le prolétariat est amené à utiliser la violence pour enlever toute capacité de résistance à la classe bourgeoise, c'est non pour exercer une terreur sans fin sur cette classe, mais pour mettre fin à la longue nuit de la préhistoire humaine où "l'histoire" des classes exploiteuses s'est transcrit e sur des annales souillées du sang et de la boue de leur système. La dictature du prolétariat n'est pas le renforcement, le développement de la terreur. Cette idée, développée par Staline dans les années 20 que la "dictature du prolétariat" se renforcerai t au fur et à mesure qu'on se rapprocherait du socialisme est la théorisation de la terreur stalinienne dirigée contre le prolétariat. Au contraire, la phase de "dictature" pour briser la contre-révolution bourgeoise est transitoire. Son but n'est pas de se perpétuer, mais de disparaître pour laisser place au socialisme. C'est pourquoi, si la phase de dictature du prolétariat signifie la plus grande fermeté et vigilance vis-à-vis de la bourgeoisie prête à un bain de sang monstrueux, elle n'est pas une "dictature" dans le sens classique du terme que lui a donné la bourgeoisie. Le prolétariat n'est pas une classe assoiffée de sang, le "couteau entre les dents", propre visage de la bourgeoisie que celle-ci projette sur lui pour les besoins de sa propagande vis à vis des Représentant les intérêts de l'humanité sortant du cauchemar de la société de classes, il n'aspire pas à détruire, et se refuse à utilise r les méthodes d'avilissement et d'extermination caractéristiques de la bourgeoisie. Son but, c'est de CONSTRUIRE la société de l'homme, le communisme.
Le communisme, dont le prolétariat porte le germe, est donc aux antipodes du totalitarisme actuel, où Etat et terreur s'identifient. Le marxisme ne peut que rejeter l'assertion selon laquelle la dictature du prolétariat serait "l'instauration de la société mono-classiste, mono-parti et ouvertement totalitaire du prolétariat dirigée par le parti de classe" (Le Prolétaire, N°276). A ces apologistes de la dictature totalitaire d'un parti, on ne peut que répondre, comme le faisait Engels à partir de l'expérience de la Commune : "Regardez donc la Commune de Paris". Regardez donc la révolution russe ! La dictature du prolétariat, c'était au début, non la dictature d'un parti unique, mais celle des conseils ouvriers, "forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat" (Lénine). Totalitaire, une révolution qui pendant son existence, fut l'œuvre de millions d’ouvriers qui établirent leur pouvoir non en développant, mais en détruisant l'Etat tzariste totalitaire ? Y avait-il donc un seul parti ouvrier dans les conseils en 1917 ? Dictature d'un parti, le gouvernement des commissaires du peuple, désigné par les conseils ? L'expérience concrète d'octobre 17 est un clair démenti à une telle vision où la fière devise de Marx "l'émancipation de la classe ouvrière sera l'œuvre de la classe ouvrière elle-même" est remplacée par "la dictature du parti sera l'œuvre totalitaire du mono-classiste mono-parti".
Le contenu véritable de la dictature du prolétariat, de la révolution russe, c'est la démocratie pour les masses ouvrières et travailleuses. C'est ce que nous verrons dans un prochain article.
Ch.
Dans le n°54 de notre journal (octobre 78), nous avons salué la parution du 1er numéro d'une nouvelle publication révolutionnaire, "Alarme", organe du "Ferment Ouvrier Révolutionnaire", équivalent français du groupe espagnol "Fomento Obrero Revolucionario". À cette occasion nous avons rappelé les principales critiques que nous faisions aux positions politiques du FOR. À la suite de cet article, nous avons reçu une lettre du FOR répondant à nos critiques et qui annonce : "Nous ne ferons pas paraitre cette présente lettre dans notre journal car, pour le moment, nous ne voulons pas y, faire entrer de polémiques entre groupes".
Nous ne comprenons pas pour quelles raisons les camarades du FOR se refusent à une confrontation publique de nos positions respectives. Pour notre part, nous estimons de peu d'intérêt un débat politique confidentiel entre organisations révolutionnaires : les questions qui y sont agitées n'intéressent pas seulement un petit nombre de spécialistes (c'est là le schéma qui prévaut dans la société bourgeoise) mais bien l'ensemble de la classe ouvrière. C'est pour cela que nous publions ici la première partie de la lettre du FOR et la réponse que nous apportons aux arguments qui y figurent ; la seconde partie de la lettre et la réponse correspondante figureront, pour des raisons de place, dans notre prochain numéro[1].
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Chers camarades,
Nous voulons tout d'abord vous dire que nous vous savons gré de votre "SALUT A ALARME". Nous avons trouvé cela sympathique et vous êtes les seuls jusqu'à présent à l'avoir fait. Cependant, nous avons tenu à vous adresser une réponse exposant notre propre point de vue sur les divergences entre nos deux groupes que vous avez soulignées dans votre salutation.
Cela fait maintenant une dizaine d'années naissait le CCI, pur produit de la fameuse "crise de surproduction" qui sévit actuellement dans nos contrées. Nous profitons donc de l'existence de cette "crise" pour correspondre avec le groupe Révolution Internationale qui sans ce "facteur positif" de la révolution se serait retiré tel Mahomet dans la montagne pour y méditer et conserver au plus haut la conscience communiste en attendant de reparaître avec une nouvelle crise.
Vous dites que la parution d'Alarme "est un signe de la crise". Sachez d'abord que lorsque nous nous sommes créés en tant que groupe, nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si nous devions agir révolutionnairement parce qu'il y avait crise ou non, ni même parce qu'il y avait agitation sociale ou non. Être révolutionnaire, c'est ressentir profondément le besoin d'agir révolutionnaire- ment quel que soit le moment en tenant compte uniquement des particularités que prend l'activité et l'intervention communiste suivant la situation existante. Être révolutionnaire, c'est initialement une simple question de sentiment : sentir la pourriture et vouloir lutter contre elle. Le FOR s'est créé en 1959, c’est-à-dire en dehors, selon vos propres positions, de toute crise (et il ne s'est pas contenté de conserver au plus haut la conscience communiste). Le FOR, groupe français, aurait très bien pu lui aussi se créer en dehors de toute crise (toujours selon vos propres critères car nous considérons qu’il s'est en effet créé en dehors de toute crise mais ceci est un point de peu d'importance que nous aborderons plus loin) ; pour cela, il eut fallu (et il a fallu) uniquement des individus révolutionnaires, exactement ce que la création du FOR en 59 a requis. Expliquer l’existence ou l'inexistence, la force ou la faiblesse de ou des organisations révolutionnaires par l'état de la lutte de classe et expliquer ce dernier par l'état économique momentané dans lequel se trouve le capitalisme n’est pas notre démarche. Nous n'attachons pas une grande importance à la question de la crise et en général à l'état économique momentané dans lequel se trouve le système capitaliste car notre travail de révolutionnaires doit se faire à n'importe quelle époque, suivant nos possibilités et suivant les caractéristiques des différentes époques. Que les gens soient des marchandises, ils le sont qu’il y ait crise ou pas crise ; mais vous prétendez que, lorsque quelqu'un a le ventre vide, il y a plus de chances qu'il veuille faire la révolution que s'il est gras et replet. Ne pensez-vous pas qu'un individu qui a le ventre vide pense plutôt à le remplir et non pas tant à révolutionner le monde ? Un état de crise économique peut provoquer sans nul doute une certaine agitation sociale. Cependant, ne nous abusons pas sur l'agitation qui peut surgir en réponse à un état de crise, c'est- à-dire en réponse à un état particulier du système capitaliste, et non en opposition directe avec le capitalisme quel que soit l’état économique dans lequel il se trouve momentanément plongé. Nous avons ici parlé d'un état de crise, c'est-à- dire de crise dite de surproduction, mais cela vaut également pour la récession présente. En effet, présentement, il n'y a pas crise de surproduction ce- qui se marquerait par une dépression, par une baisse des prix suivant la loi de l'offre et de la demande et également par un nombre de chômeurs nettement supérieur à celui atteint à ce jour. Avant chaque crise, il y a récession, mais après chaque récession il n'y a pas obligatoirement crise.
Par ailleurs il serait aberrant de nier qu'une révolution peut éclater en pleine croissance capitaliste et ne pourrait aboutir qu'à refuser de reconnaître des perspectives réelles de révolution si elles se présentaient au moment justement où économiquement le capitalisme est en bonne santé. »
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Chers camarades,
C'est avec beaucoup de clarté que votre lettre exprime ce que nous pensons être une des incompréhensions fondamentales du FOR : le mépris des facteurs objectifs dans l'analyse du développement de la lutte de classe et de l'organisation des révolutionnaires.
Vous écrivez : "lorsque nous nous sommes créés en tant que groupe, nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si nous devions agir révolutionnairement parce qu'il y avait crise ou non, ni même parce qu'il y avait agitation sociale ou non". Que vous ne vous soyez pas posé la question vous, individus, nous n'en doutons pas. Et nous vous approuvons. Effectivement, comme le dit la plate-forme de notre organisation : "L'effort de prise de conscience de la classe existe constamment depuis ses origines et existera jusqu'à sa disparition dans la société communiste.
C'est en ce sens qu'il existe, en toutes périodes, des minorités révolutionnaires comme expression de cet effort constant" (Revue Internationale du CCI n°5 p. 22).
Ainsi, et contrairement à ce que vous semblez croire, nous ne défendons pas l'idée qu'il n'y ait de place pour l'activité des révolutionnaires qu'aux moments de crise aiguë ou d'intense lutte de classe.
Tout au contraire, notre courant a toujours dénoncé une telle position. Nous pensons que, même dans les périodes de recul, ou de creux de la lutte de classe, les révolutionnaires ont une fonction. "Leur tâche essentielle consiste alors, en tirant les leçons des expériences antérieures, à préparer le cadre théorique et programmatique du futur parti prolétarien qui devra nécessairement ressurgir dans la prochaine montée de la lutte de classe"(plateforme du CCI). C'est pour cela que, lorsqu'un individu se hisse à une conscience révolutionnaire, il n'attendra pas, pour agir, que la crise ou la révolution soient là.
Vous écrivez encore : "Être révolutionnaire, c'est initialement une simple question de sentiment : sentir la pourriture et vouloir lutter contre elle". Certes, la condition nécessaire pour être un révolutionnaire, c'est d'être un révolté, mais ce n'est nullement une condition suffisante : en effet, peut-on sérieusement dire que les quelques centaines de révolutionnaires (c'est-à-dire membres d'organisations au programme révolutionnaire) existant aujourd'hui dans le monde sont les seuls êtres humains qui soient révoltés contre l'ordre existant ? Certainement pas !
S'il suffit de "sentir la pourriture et vouloir lutter contre elle" pour être révolutionnaire, alors même les fascistes sont révolutionnaires.(ce qu'ils prétendent d'ailleurs quelques fois !)
Être révolutionnaire, c'est participer consciemment et activement à un mouvement qui tend à révolutionner .la société.
Et comme aujourd'hui le seul mouvement qui puisse le faire est la lutte historique de la classe ouvrière contre le capitalisme, "est révolutionnaire celui qui participe à cette lutte en y mettant en avant les buts généraux et finaux du mouvement" (Manifeste Communiste). Contrairement à la conception policière de la bourgeoisie, pour laquelle c'est l'action de "meneurs" qui rend la classe ouvrière révolutionnaire, "il existe des révolutionnaires parce qu'il existe une classe au devenir révolutionnaire" (Plate-forme du CCI). Et cette idée n'est pas une invention du CCI, qu'il aurait mise au point lors de sa "retraite dans la montagne". C’est la même idée qui figure déjà dans le "Manifeste Communiste" dont, à notre connaissance, le FOR se réclame encore : "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne font qu' exprimer, en termes généraux, les conditions réelles d'une lutte de classe qui existe, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux."
En d'autres termes, les communistes ne sont pas le produit d'eux-mêmes, leurs idées ne sont pas le produit de leur révolte. Ils sont fondamentalement une sécrétion de la classe ouvrière dans son processus de prise de conscience d'elle-même, des buts et des moyens de son mouvement historique.
De ce fait, l'apparition, le développement et l'impact des groupes communistes dépendent étroitement des conditions générales de la lutte de classe, de la combativité et du niveau d'ensemble de conscience de celle-ci et donc du rapport de forces entre elle et la bourgeoisie. Est-ce par hasard que le mouvement communiste a dégénéré, s'est disloqué, que les groupes qui ont tenté d'en préserver les principes se sont amenuisés, sclérosés, et ont souvent disparu au cours de la terrible contre- révolution qui s'est abattue sur la classe ouvrière mondiale à partir des années 1920? Est-ce par hasard que depuis 1968, avec la reprise historique des luttes, il soit apparu un nombre important de nouveaux groupes révolutionnaires dans un grand nombre de pays, que ceux qui existaient déjà se soient développés, aient augmenté leur impact, la diffusion et l'importance de leur presse ? Nous ne nions pas que des facteurs autres que la situation d'ensemble de la société et de la lutte de classe puissent jouer dans l'apparition d'un groupe politique. Par exemple, l'action de quelques éléments issus d'un groupe antérieur est souvent décisive dans l'origine ou la constitution formelle d'une organisation communiste. Mais, de la même façon qu'une graine ne donnera jamais une plante si elle est semée sur un sol stérile, un noyau communiste ne peut se développer s'il ne trouve autour de lui des conditions propices à un tel développement. Si, pour fonder un groupe révolutionnaire, il faut "uniquement des individus révolutionnaires, encore faut-il se demander pourquoi de tels individus apparaissent à tel moment et non à tel autre?
Vous écrivez : "Expliquer l'existence ou l'inexistence, la force ou la faiblesse de ou des organisations révolutionnaires par l'état de la lutte de classe et expliquer ce dernier par l'état économique momentané dans lequel se trouve le capitalisme n'est pas notre démarche". Et c'est bien ce que nous critiquons. Nous ne prétendons pas que ce soient les seules déterminations, mais ce sont bien les déterminations essentielles et il nous semble que c'est là la démarche du marxisme dont pourtant vous vous réclamez. De fait, vous attribuez au circonstanciel -votre démarche individuelle- la place fondamentale dans l'apparition et le développement d'un groupe politique comme le vôtre, alors que l'essentiel -les déterminations sociales et économiques, la nécessité historique- est niée purement et simplement. Vous partez de l'idée juste, mais partielle, que pour être révolutionnaire il faut être révolté, pour aboutir à la conclusion apparemment logique mais parfaitement fausse que la cause de l'émergence des organisations politiques de la classe est le produit de la seule volonté d'individus révoltés.
Dans ce dernier passage, non seulement vous exprimez avec clarté votre désaccord avec le marxisme en ce qui concerne les causes de l'apparition des éléments et groupements communistes dans la classe, mais également en ce qui concerne les conditions du développement de la lutte de classe et de la révolution prolétarienne. Sur cette question, il peut être utile de rappeler quelques bases du matérialisme historique :
"l'économie est le squelette de la société" (Marx) ;
"à un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants (...) Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale"[2] (Marx) (2)
"du fait de la prospérité générale, au cours de laquelle les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance possible dans les rapports sociaux bourgeois il ne peut être question de véritable révolution. Celle-ci n'est possible qu'aux périodes où ces deux facteurs, les forces productives modernes et les formes bourgeoises de la production f entrent en conflit l'un avec l'autre... (c'est ainsi que Marx et Engels ont toujours caractérisé la crise). Une nouvelle révolution ne sera possible qu'à la suite d'une nouvelle crise…"[3]. (Marx).
Nous pourrions multiplier les citations des théoriciens du marxisme ; toutes vont dans le même sens : bien que la lutte de classe existe à chaque moment de la vie de la société capitaliste, le développement et l'approfondissement de celle-ci, sa capacité à menacer réellement la classe régnante, n'est possible qu'avec l'aggravation des conditions économiques de la classe exploitée, qu'avec l'existence d'une crise profonde au sein même des institutions du capitalisme, idéologiques, politiques, et en premier lieu, évidemment, dans*la fondation réelle de la société, sur laquelle s'élève l'édifice juridique et politique" (Marx) : l'économie.
Vous appliquez à l'étude des causes de la révolution les mêmes critères qu'à celle des causes du surgissement d'organisations communistes : pour vous, c'est une question "d'individus". Vous posez la question : "Ne pensez-vous pas qu'un individu qui a le ventre vide pense plutôt à le remplir et non pas tant à révolutionner le monde?". Ce que vous semblez oublier, c'est que lorsque cet "individu" est un prolétaire, il appartient à une classe sociale qui a des intérêts collectifs donnés qui ne sont pas la simple somme des intérêts "individuels" des membres qui la composent : c'est pour cela que le marxisme ne pose pas comme l'idéologie bourgeoise que "l'histoire est l'histoire de la lutte des individus" mais bien que "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes" (Manifeste Communiste).
Comme membre d'une classe que des conditions objectives poussent à agir dans telle ou telle direction, le prolétaire n'agit plus et ne pense plus comme un être individuel et isolé . Quand le prolétariat agit pour lui-même, comme classe, pour "remplir le ventre" de ceux qui le composent, il tend à s'opposer de plus en plus violemment au capitalisme dont l'intérêt est justement de le remplir le moins possible, quels que soient les oripeaux dont il se pare. C'est vrai que dans certaines conditions historiques, notamment lors de la crise de 1929, une aggravation des conditions de vie des ouvriers a finalement débouché sur une plus grande soumission au capitalisme (notamment sous ses formes staliniennes et fascistes), mais il s'agissait là de périodes où le prolétariat était déjà battu, où son unité avait été brisée, où il était justement atomisé, réduit à une simple somme d'individus prolétaires "au ventre vide". Mais l'histoire ne connait pas d'exemple de révolution dans une période de pleine prospérité : 1789 fait suite à une crise économique majeure; la révolution de 1848 est provoquée par la crise commerciale de 1847; c'est parce qu'ils ont “le ventre vide" et qu'ils sont précipités dans le chômage que les ouvriers parisiens se révoltent en juin 1848, ce sont les terribles privations conséquences de la guerre, qui conduisent les ouvriers parisiens à l'insurrection de mars 1871, les ouvriers russes aux révolutions de 1905 et 1917, les ouvriers allemands à la révolution de 1918-19.
Ainsi, qu’elles s'appliquent aux causes des révolutions comme aux causes du surgissement des courants révolutionnaires, les analyses du FOR font preuve d'un égal mépris pour l'expérience historique. Que la Ligue des Communistes et les trois Internationales se soient fondées au moment d'une montée de la lutte de classe, elle-même résultant d'une aggravation des conditions de vie des travailleurs n'est pas fait pour impressionner le FOR : si l'histoire n'entre pas dans ses schémas, ce n'est pas qu'ils sont faux, c'est l'histoire qui s'est trompée! De la même façon, parce qu'il pense que la crise est un obstacle à la révolution et qu'il espère que celle-ci aura quand même lieu bientôt, le FOR décrète qu'aujourd’hui il n'y a pas de crise[4] ce n'est pas plus compliqué, mais malheureusement, une telle démarche ne prépare pas beaucoup cette organisation à comprendre le système qu'elle combat et donc à accomplir sa tâche de contribuer à la prise de conscience de la classe ouvrière.
[1] Les camarades du FOR, dans une lettre ultérieure, nous font part de leur opposition à une publication en plusieurs fois de leur lettre. Si nous n'accédons pas à leur demande, ce n'est nullement que nous voulions envenimer les rapports entre nos deux organisations mais bien pour des raisons techniques et parce que nous pensons qu'une telle séparation entre deux parties qui sont bien distinctes dans la lettre n'est pas de nature à altérer le contenu de l'ensemble de celle-ci.
[2] Avant-propos à la "Critique de l'économie politique".
[3] "Les luttes de classe en France, 1848-1852".
[4] Sur la réalité et l'interprétation de la crise actuelle, nous renvoyons le FOR et les lecteurs aux nombreux articles que nous avons consacrés à ce sujet.