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La première partie de cet article (RI n°39) était constituée d'un document émanant du "groupe ouvrier autonome de Clermont-Fd. intitulé "plateforme minimum pour l'autonomie ouvrière" et du début d’une critique de ce texte. Celle-ci portait sur un certain nombre de formulations erronées ou ambiguës concernant la nature présente des syndicats et des partis de gauche. En effet, si le texte est particulièrement clair sur la nature bourgeoise de ces organismes, il introduit une confusion en les considérant comme "réformistes". La critique essayait de démontrer qu'un tel terme qui s'appliquait à certaines organisations ouvrières du siècle dernier ne saurait convenir aux organisations bourgeoises à langage ouvrier d'aujourd'hui. Nous poursuivons ici la critique de ce document en abordant le sujet qui en constitue l'axe : la signification et la fonction des groupes et cercles ouvriers de discussion qui surgissent dans la classe à l'heure actuelle.
Pour les communistes, il est acquis depuis longtemps que les armes fondamentales du prolétariat dans sa lutte contre le capitalisme sont sa conscience et son organisation. Nous ne reviendrons pas ici sur les causes de cette caractéristique de la lutte prolétarienne, ni sur la façon dont elle s'est manifestée aux différentes étapes de celle-ci (voir résolution sur l'organisation dans RI n° 17 et article sur les statuts du CCI dans la Revue Internationale n°5). Ce qu'il est indispensable de faire apparaître, c'est que, dans l'affrontement décisif contre le capital, la classe ouvrière se dote, comme traduction de cette double nécessité, d'une part, d'une organisation générale et unitaire, les Conseils Ouvriers et, d'autre part, d'organisations politiques, les partis prolétariens, regroupant les éléments les plus avancés de la classe et dont la tâche est de généraliser et approfondir le processus de prise de conscience dont ils sont une expression.
Démentant les conceptions de l'internationale Communiste, l’histoire de ce dernier demi-siècle a démontré qu'il ne pouvait exister pour la classe d'autres formes d'organisation que celles qui viennent d'être définies. Les syndicats, dont l'IC voulait faire des "courroies de transmission" entre le parti et la classe, se sont confirmés comme courroies de transmission entre l'Etat capitaliste et le milieu ouvrier. Les Unions Ouvrières, opposées par la Gauche Communiste d'Allemagne aux syndicats, se sont révélées comme des formes rénovées... de syndicats. En effet, de tels organismes, se proposant de rassembler tous les ouvriers, membres ou non du parti, sur la base du rejet des syndicats et de la reconnaissance de la nécessité de la dictature du prolétariat, n'ont pu remplir ni la tâche d'un parti, compte tenu de leur hétérogénéité ni celle de l'organisation générale dans la mesure où ils excluaient les travailleurs en désaccord avec ces positions. Et, si de tels organismes bâtards ont pu connaître un semblant de vie dans les moments de lutte intense au début des années 20, le reflux des luttes les a confrontés à l'alternative : disparaître ou suivre le chemin des syndicats, c'est-à-dire baser leur existence permanente sur la conquête de revendications; 1’intégration dans les structures étatiques devait suivre nécessairement. Et le fait qu'ils fussent organisés par usines et non par métiers ou branches d'industrie n'y changeait rien.
Les leçons d'un demi-siècle d'expériences depuis la vague révolutionnaire des années 17-23 sont claires :
Différents à la fois des organisations unitaires et des organisations politiques, on voit aujourd'hui surgir des groupements rassemblant un certain nombre de travailleurs sur la base d'un rejet des syndicats, de la gauche ; et animés de la volonté d'impulser la lutte prolétarienne. De tels organes ont des origines et revêtent des formes multiples que nous ne pouvons analyser ici. Mais le "groupe ouvrier autonome de Clermont-Fd" en constitue un bon exemple puisque, par certains côtés, il a atteint un niveau élevé de clarté, et que, par d'autres, il souffre de certaines confusions communes à ces différents groupes et qu'on peut résumer ainsi : l'idée qu'ils sont des ébauches soit de l'organisation générale de la classe, soit d'une organisation politique ou qu'ils constituent une sorte d'intermédiaire entre ces deux types d'organes.
En effet, ce "groupe", s'il affirme: "Nous ne sommes pas le noyau des futurs conseils ouvriers, ni l'embryon d'un futur parti", démontre qu'il ne s'est pas entièrement dégagé d'une telle conception en écrivant : "...l’expérience a montré que les syndicats utilisent systématiquement leur pouvoir pour isoler et diviser les luttes ... Il est donc fondamental que le groupe autonome ouvrier développe tous les liens possibles avec d'autres groupes autonomes ou comités d'usine et assure, le jour de la lutte, des liaisons'.' Dans cet extrait, le G.O.A.C. se place clairement sur le même plan que les comités d'usine élus par les assemblées générales lors des luttes et se propose les mêmes tâches : généraliser et coordonner les combats de la classe. Constatant que les syndicats ne font pas et empêchent un tel travail, il se propose donc de constituer un organisme permanent (les comités d’usine étant eux constitués pour la durée des luttes) qui se chargerait de l'assumer. Qu'il le veuille ou non, il s'agit là d'une nouvelle forme de syndicat...
On lit également : "...c'est pourquoi nous devons (les groupes ouvriers) regrouper nos forces à l'échelle de la classe ouvrière, c'est-à-dire mondiale..." Là encore, malgré ses dénégations, le G.O.A.C. se donne des tâches qui ne peuvent être les siennes. Ou bien il considère que l'organisation internationale des groupes ouvriers devra préluder à l'organisation générale de la classe à cette échelle, et il rejoint la vision anarcho-syndicaliste qui veut "préfabriquer" ce qui surgira spontanément des assemblées ouvrières. Ou bien, c’est en vue de constituer une organisation politique à l'échelle de la classe qu’il estime nécessaire que les groupes ouvriers regroupent leurs forces. Dans la mesure où le texte s'intitule "plateforme" et qu'il fixe comme autres tâches la réappropriation des "acquis des luttes du passé" et la discussion sur "la crise du capitalisme, la dictature... du prolétariat,... la période de transition", il semble montrer que c'est de cette deuxième forme d'organisation qu'il s'agit. Et, là encore, il tombe dans l'erreur de vouloir constituer une organisation politique qui n'ose dire son nom, basée sur un programme flou et incomplet (puisque «minimum"), ce dont nous avons déjà signalé les dangers.
Il s'avère donc que la tentative de ce "groupe ouvrier" de se définir le conduit, aussi clair qu'il puisse être par ailleurs, à se donner des tâches qui ne peuvent être les siennes.
oOo
Nous verrons dans la partie suivante de cet article comment un tel type d'erreur est en fait inhérent à ce genre de groupements. Nous y analyserons la signification du surgissement de ce type d'organes et la tâche des révolutionnaires à leur égard.
C. G.
Le prolétariat, en ressurgissant sur la scène historique, après un terrible et tragique écrasement tant par sa durée que par l'ampleur de ses conséquences, se trouve confronté à un grand vide, presque à un néant : une brisure sans précédent avec son passé. Cette coupure est avant tout le résultat du passage dans le camp adverse de l'ensemble de ses organisations, créées pourtant au prix d'une lutte acharnée entre prolétariat et capital, de la sclérose ou de la décomposition, quand ce n'est pas de la disparition pure et simple de celles qui, peu nombreuses et au prix d'une formidable résistance à la pression de l'idéologie bourgeoise, ont tant bien que mal défendu les acquis historiques de la classe et ainsi participé à la préparation de son nouvel assaut.
Le poids de cette rupture organique s'est et se fait encore concrètement ressentir lorsque, après la réémergence du prolétariat à un niveau mondial depuis 68, le premier obstacle a été pour les minorités révolutionnaires sécrétées par ce mouvement, de se percevoir comme le produit d'une lutte entamée déjà depuis plus d'un siècle.
On peut diviser en deux grandes catégories les falsifications produites autour de l'élan révolutionnaire des ouvriers allemands : la première, celle du stalinisme et de son soutien critique : le trotskysme. En France, elle est représentée principalement par Badia et Broué. Chez Badia, en dehors des spartakistes érigés, à l'image du mausolée de Lénine, en totem du panthéon socialiste, c'est tout simplement le traitement du silence Infligé aux principales organisations communistes à côté du PC officiel (KAPD, AAUD) qui, pourtant, regroupent un moment la majorité des communistes et de la classe en lutte, et représenteront la meilleure tentative de la classe de continuer la marche de la révolution et de résister au reflux de celle-ci.
Chez Broué, si celui-ci fait référence dans son ouvrage monumental aux "gauchistes" allemands, il réduit les faiblesses et l'échec du mouvement à la crise de la direction révolutionnaire et à l'absence d'une pratique systématique de front unique.
La deuxième grande catégorie des mystifications produites par la chape de plomb de la contre-révolution est d'autant plus dangereuse qu'elle est le fait de groupes produits du combat de la classe ouvrière contre la dégénérescence de ses organisations (l'IC et les différents partis communistes), mais qui, ayant subi toute la pression énorme de la défaite, ont entamé un lent processus de dégénérescence, rendant par là-même, confuses ou même contre- révolutionnaires leurs positions sur bien des points.
Ainsi, nous avons la version bordiguiste selon laquelle la gauche allemande des années 20, bien qu'étant un courant authentique de la classe, une réaction saine de celle-ci, serait foncièrement minée dès le début par l'anarchisme ("Programme Communiste", n°58), la rendant ainsi impropre à toute effective action de classe, et justifiant donc, malgré ces erreurs, l'attitude du PC officiel (KPD), lui, foncièrement communiste.
A l'opposé de cette vision, et pourtant en parfaite symétrie avec elle, nous avons le purisme conseilliste. Pour lui, l'enseignement du mouvement révolutionnaire allemand des années 20 étant essentiellement réductible aux conseils ouvriers, il rejette par là tout l'immense apport du mouvement sur la question du parti, son rôle, sa relation avec les conseils, etc., et en arrive ainsi au fétichisme d'une forme qui, sans contenu révolutionnaire n'est rien et ne représente en soi aucune garantie contre le reflux de la révolution. Cette vision le rend incapable d'apprécier justement le rôle de l'organisation des révolutionnaires et les
épigones conseillistes actuels qui tendent à nier tout rôle à celle-ci, ne font par-là que répéter les erreurs du passé, produits avant tout du reflux (Rühle et les AAUE).
Le livre[1] de Authier-Barrot sur la gauche communiste en Allemagne est le bienvenu, dans la mesure où il tend à renouer ce fil rompu avec l'histoire de la classe, oubliée, falsifiée, dénaturée par 50 ans de contre-révolution. Le livre, en se plaçant globalement sur un terrain de classe, s'attaque aux différents mythes attachés à cet épisode fondamental du mouvement ouvrier dont quelques-uns des plus tenaces, des plus crapuleux, sont énoncés plus haut. Il essaie également d'aborder d'une manière critique les questions posées par deux des principales fractions communistes qui ont lutté contre la dégénérescence de l'IC, contre le reflux, les gauches italienne et allemande.
Il tend à voir comment ces deux fractions ont exprimé la conscience que le prolétariat prenait de cette période de bouleversement incessant de "guerres et révolutions", des tâches impliquées par elle, et aussi la difficulté, les obstacles, en particulier en Allemagne à cette prise de conscience.
"La gauche allemande, à la différence des bolcheviks, s'est trouvée directement confrontée aux tâches de la révolution dans les pays les "plus avancés", elle en a reconnu lucidement quelques-unes, elle a fait une tentative très intéressante de les résoudre que la révolution future doit absolument dépasser" (Barrot).
Cette tentative est appuyée par un travail important, bien que parfois un peu universitaire. A travers une documentation très fournie et souvent peu accessible, il part des origines et de la situation du capitalisme et de la classe ouvrière en 14 pour aller jusqu'au reflux définitif du mouvement révolutionnaire après 23, en passant par les étapes fondamentales de ce mouvement, tels l'écrasement de la Commune de Berlin et l'assassinat de Luxembourg et de Liebknecht en janvier 19, ou encore la fondation du parti communiste allemand (KPD) puis du parti communiste ouvrier (KAPD).
Le livre est toutefois plus axé sur la gauche communiste proprement dite, c'est-à-dire sur ce qui va s’opposer à la dégénérescence de l'IC et des partis communistes et synthétiser le degré de compréhension du prolétariat de ses nouvelles tâches, celles-là même que Lénine va stigmatiser du nom de "gauchistes" dans la "Maladie infantile".
Malheureusement, le seul cadre permettant de voir clair dans cette vague incessante de flux et de reflux que fut le combat mortel entre prolétariat et capital en Allemagne, c'est-à-dire :
Ainsi les faiblesses et erreurs de l'IC et des différents partis communistes sont certes bien mises en évidence, mais perçues uniquement comme une somme mécanique, leur énonciation n'échappe pas dès lors à une certaine complaisance, tout au long des chapitres, sans jamais voir le fond du problème, alors qu'il est clairement exprimé dans le programme de la Ligue Spartakus : "...cette révolution est survenue après quatre années de guerre, après 4 ans au cours desquels, grâce à l'éducation que lui ont fait subir la social-démocratie et les syndicats, le prolétariat allemand a révélé une dose d'infamie et de reniement de ses tâches socialistes.. Que, si l'on se situe sur le terrain du développement historique, on ne peut s'attendre à voir surgir soudain une révolution grandiose, animée par la conscience de classe et des objectifs clairs à atteindre" (Luxembourg).
Par leur refus de tout ce qui peut leur rappeler le léninisme, ils en arrivent à l'incompréhension fondamentale du rôle de l'organisation révolutionnaire. Cette incompréhension culmine dans la non-reconnaissance du rôle actif joué par celle-ci dans la généralisation et la clarification de la conscience que la classe prend d'elle-même et de son but historique : le communisme.
Cela les amène ainsi à nier l'un des enseignements majeurs de l'histoire de la gauche allemande : prise de court par le tourbillon de la période révolutionnaire, elle n'a pu approfondir à temps suffisamment toutes les questions suscitées par l'ouverture du cycle de guerre et de révolution (exergue du 1er Congrès de l'IC) et, donc, se regrouper sur des bases programmatiques claires.
En résumé, les auteurs ne tirent pas, pour aujourd'hui, les conséquences de cette tragique expérience du prolétariat allemand, à savoir l'extrême importance du regroupement des révolutionnaires, parallèlement à l'approfondissement politique, avant que la classe n'ait déjà engagé ses combats décisifs, de même qu'ils sont incapables de comprendre l'immense apport de la gauche allemande sur la question du parti. Le KAPD fut pendant presque deux ans une démonstration éclatante de qu'est-ce qu'un parti vivant, anti-pyramidal, anti-hiérarchique ; bref, un centralisme effectif.
Cet ensemble d'erreurs et de confusion ont toute leur origine dans le modernisme de leurs auteurs.
Cette vision qui prend naissance dans la période de reconstruction (qui s'achève au début des années 60) se caractérise dans une volonté de dépasser le marxisme explicitement comme l'a fait "Socialisme ou Barbarie", ou inconsciemment en opposant l'ancien mouvement ouvrier au nouveau.
Elle exprime deux choses essentielles :
Cette opposition entre "ancien" et "nouveau" mouvement ouvrier se manifeste chez nos auteurs, par une sorte d'attitude de juges de l'histoire. Du haut de leur chair, forts de l'expérience accumulée pendant cinquante ans, ils décernent les bons et les mauvais points. Ainsi, l'immaturité, la confusion qui règne dans la gauche allemande et dans l'ensemble du mouvement ouvrier d'alors tend à être mesurée à l'aune d'un radicalisme abstrait, les faiblesses et confusions de la conscience de classe sont confrontées à un programme communiste que l'on n'appliquerait pas et les défaites peuvent pâtre ainsi imputées à un "manque de communisme".
Enfin, le confusionnisme de cette vision conduit à un rejet des conseils -ils étaient valables en 1920 parce que "l'usine, le lieu de travail, n'était pas encore conquis par le capital". Là encore, on retrouve l'ambiguïté présidant à l'analyse des auteurs. S'il est absolument correct d'affirmer, comme ils le font ensuite que "la prise en main de l'ensemble de l'appareil productif par les conseils ouvriers n'a rien de révolutionnaire si les ouvriers se contentent de gérer...", et d'insister sur le danger de l'usinisme, (la tâche fondamentale de la révolution sera bien sûr son extension), il est faux à partir de là d’en conclure à un rejet, par le fait même que les usines, les lieux de production présentent la base à partir de laquelle peut s'affirmer le prolétariat en lutte.
En conclusion, on peut dire que ce livre, quoique intéressant à lire, souffre fondamentalement des conceptions encore modernistes de Authier-Barrot, et de leur attitude académique, "au- dessus de la mêlée", ou du pur regard radical jeté sur le passé. En effet, il n'y a qu'une seule manière effective de dépasser l'apport limité, mais cependant essentiel de la gauche allemande, c'est tout simplement de poursuivre leur œuvre en participant, dans une optique de continuité-dépassement, à la préparation de la reconstruction d'un parti communiste qui, désormais, ne pourra être que mondial.
R. N.
[1] Publié chez Payot.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_40.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[3] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-modernisme
[4] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/revolution-allemande