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"Nous commençons à voir le bout du tunnel."(CHIRAC)
Confrontées à la "plus grande secousse que l'économie mondiale ait connue en temps de paix depuis 45 ans" -comme le disait Giscard d'Estaing lui-même dans son dernier "discours au coin du feu"-, toutes les fractions nationales de l'appareil politique de la bourgeoisie mettent autant d'acharnement à se démarquer les unes des autres, qu'à tenter de persuader (et de se persuader) qu'il y a des solutions dans le cadre du système. En fait, pour la bourgeoisie, faire croire qu'IL Y A UNE SOLUTION devient une nécessité d'autant plus vitale que la lutte de classe la menace, en même temps que la crise, dans ses fondements mêmes. La bourgeoisie des pays autrefois les plus prospères brandit ses plans de relance, aussi bien aux Etats-Unis, qu'en Grande-Bretagne, au Japon ou en Allemagne, mais, devant le scepticisme général, ravale très vite ces mêmes plans en modestes "plans de soutien" pour conserver, malgré tout, une certaine crédibilité.
Dans l'incertitude, la bourgeoisie ne s'aventure plus sur les plans à long terme, elle navigue "au jugé" dans la brume épaisse de la crise mondiale, attendant que son plan soit efficace dans quelques mois, que la "reprise économique" vienne des pays partenaires ou d'un développement économique intérieur des plus hypothétique. En fait, en présentant le contre-plan de septembre 1975 comme une solution pour l'avenir, la bourgeoisie ne fait qu'agiter vainement un épouvantail à lutte de classe: il y aurait une solution SI, entre autre considérations, la classe ouvrière acceptait les quelques généreux 5 milliards de francs "d'aide à la consommation" en attendant patiemment des jours meilleurs.
Le plan anti-inflation de 1974, avait, lui aussi, été présenté comme une recette magique A CONDITION QUE la consommation soit limitée, tout comme les investissements et les crédits. Pour tous les pays, la solution était alors la même : importer peu, exporter plus, et le cercle se refermait, chaque pays cherchant à écouler ses stocks tout en achetant moins. Ce fut l'escalade diplomatique des commis-voyageurs, tous aussi célèbres les uns que les autres, de Chirac à Kissinger, et la mise aux enchères de "marchés du siècle" d’autant plus spectaculaires qu'ils étaient plus futiles par rapport aux stocks existants. Il fallait montrer que la bourgeoisie cherchait des solutions et qu'elle les connaissait, que les échecs ne pouvaient venir que d'accidents commerciaux : le pragmatisme devenait la méthode de gestion courante de ces temps d'incertitude.
Mais, bientôt, la bourgeoisie dut se rendre à l'évidence : l'inflation avait légèrement baissé, certes -et pour des raisons surtout conjoncturelles- mais au prix d'une récession de plus en plus forte: la production industrielle a chuté de 13 % entre juillet-74 et juillet-75, tandis que le chômage atteignait le chiffre de 1,200,000 le 1er août-75. C'est l'escalade du chômage partiel, des licenciements collectifs et des dépôts de bilan : Boussac, Idéal-Standard, les conserveries Blanchard, Sacilor-Sollac, Foclain et bien d'autres sont atteints.
Le gouvernement "trouve" alors UNE AUTRE SOLUTION : le contre-plan Giscard de septembre 75, plan anti-récession, dit "plan de relance" et plus tard, plus modestement, "plan de soutien" : il s'agit d'injecter 30 milliards de francs dans une économie atteinte d'une maladie chronique... La majeure partie de ce financement va aux entreprises pour leur faire continuer la politique qu'elles ont tout naturellement tendance à suivre : celle de produire, toujours plus, toujours en moins de temps. Prise dans le rouage de la productivité qui lui est naturelle, l'économie décadente est bientôt prise de vertige : produire pour qui ? Les pays dits partenaires -de qui est attendu le miracle d'écouler la surproduction- sont dans la même situation : ils veulent vendre leurs stocks, mais ne pas acheter. Produire pour produire, la bourgeoisie le peut pratiquement avec les seules limites des matières premières utilisables : mais elle se heurte bien vite à ses propres contradictions : la plus-value à réaliser, c'est-à-dire le profit sous forme de marchandises qu'il s'agit de transformer en argent, puis en nouveaux moyens d'exploitation, est de plus en plus importante, la plus-value réalisée de plus en plus faible. Jouissant de possibilités productives gigantesques, le capitalisme est contraint de diminuer ensuite volontairement sa production : ainsi, le potentiel industriel ne fonctionne déjà plus qu'à 70 % de sa capacité productive. Le meilleur exemple de l'absurdité des contradictions de cette période de décadence est celui de Fos-sur-Mer le "plan de relance" se propose d'entamer la deuxième tranche du projet, donc de terminer la construction de l'ensemble prévu. Or, sur les deux hauts-fourneaux existants, un seul peut fonctionner, l'autre est éteint faute de débouchés pour sa production.
Ainsi, au moment même où elle prétend se moderniser, où elle prétend développer sa productivité, la bourgeoisie ne fait que creuser davantage sa propre tombe:
Entrée dans le tunnel de la crise dès les années 66-67, la bourgeoisie française le voit de plus en plus se refermer sur lui-même : le plan anti-inflation n'a fait que provoquer la récession sans résorber l'inflation. Le plan anti-récession ne fera que développer l'inflation sans freiner la récession. "Solution" d'autant plus stérile qu'elle ne résout rien du point de vue du capitalisme et ne s'assure pas la neutralité de la classe ouvrière. De cette faille du régime actuel surgissent les solutions de rechange qui, si elles ne sont pas plus efficaces du point de vue du capitalisme, tendent au moins à résoudre la deuxième question : la nécessité de tenir en main la classe ouvrière.
Devant le "plan de relance" de Giscard d'Estaing, le PC a sorti son "programme du 8 août" issu du "programme commun de la gauche" et qui ressemble étrangement au plan gouvernemental, avec, toutefois, une différence d'accent...
L'intervention de l'Etat prendrait, sous la direction de la gauche, non plus seulement la forme d'intervention de l'Etat dans le capitalisme privé : elle adopterait même la forme juridique du capitalisme d'Etat. En effet, la gauche pousserait la hardiesse jusqu'à nationaliser formellement des entreprises qui ne doivent déjà leur survie qu'à l'aide financière de l'Etat ; Citroën par exemple, a bénéficié d'une imposante somme de l'Etat pour ne pas être obligé de fermer ses portes et de mettre en chômage plusieurs dizaines de milliers d'ouvriers. Sa nationalisation ne fera que rendre officiel ce qui existe déjà.
L'intérêt de ces nationalisations, pour le capital, ne se situe pas tant dans la tentative de résoudre le problème de la crise dans ses contours économiques que dans la manière de présenter cette opération à la classe ouvrière : les nationalisations sont présentées comme une lutte contre les monopoles assimilés pour la circonstance en lutte contre le capitalisme, elles sont présentées comme des mesures socialistes ouvrières nécessaires à un "gouvernement des travailleurs". Les nationalisations deviennent alors PLUS QU'UNE SOLUTION A LA CRISE: le moyen pour amener la classe ouvrière à se fourvoyer dans une voie qui n'est pas la sienne.
Après les échecs des deux dernières grandes grèves du prolétariat français -les PTT en oct.-nov. 74, Renault en 75-, la gauche éprouve sans cesse le besoin de maintenir son influencé sur la classe ouvrière. Ceci d'autant plus que le chômage chronique et l'augmentation des prix constituent une véritable poudrière.
Les contre-plans de la gauche sont un prétexte comme un autre pour se démarquer de la politique gouvernementale actuelle et présenter par ce fait même, sa candidature au pouvoir tout en souhaitant retarder le moment de reprendre en main une situation en aussi mauvais état. La gauche reproche à ce plan d’être anti-ouvrier puisqu'il favorise les grandes entreprises, elle lui oppose une espèce de contre- plan qui se veut pour "la relance de la consommation populaire", pour le développement de l'activité économique et la défense de l'emploi, pour le blocage des prix à la production de la grande industrie, pour quelques suppressions de TVA, pour le contrôle de l'exportation des capitaux et pour les nationalisations. Sauf quelques fragments nouveaux -mais qui sont irréalisables donc uniquement démagogiques et que la gauche rangerait bien vite dans ses tiroirs si elle était au pouvoir-, le contre-plan de la gauche n'est qu'une réédition un peu plus sophistiquée du "plan Giscard" sans les contraintes imposées par le libéralisme à celui-ci.
Le but que recherche la gauche réside dans le fait de présenter le programme commun comme - l'assise économique d'un éventuel pouvoir de la classe ouvrière, de se présenter comme des gérants efficaces de ce pouvoir. Se déclarer seule détentrice des clés de la crise ne saurait lui suffire ; il lui faut encore fignoler son rôle d'opposition conséquente au régime: se montrer victime du régime actuel, refuser avec hauteur toute proposition gouvernementale de discussion.
"Victime" Marchais lui-même, en visite dans les entreprises avec une délégation de choc du PCF et refoulé chaque fois par la police. C'était la première partie de la mise en scène.
La deuxième partie se situe le jour de la discussion du "plan de relance", où des manifestations de travailleurs sont arrêtées devant les portes de l'Assemblée Nationale. Les députés communistes sortent ostensiblement pour "discuter" avec eux, prendre leurs pétitions et reviennent tout aussi ostensiblement s'asseoir sur les bancs du Parlement. Et le député communiste Ducoloné de conclure : "Dans les usines, on veut empêcher les députés communistes de s'entretenir avec les travailleurs ; à l'Assemblée Nationale, on empêche les travailleurs de venir parler aux députés", (L'Humanité du 10 septembre 75).
"Intransigeant", un PC qui se dit lui-même "champion" de l'Union de la Gauche, qui a refusé le premier les propositions gouvernementales et qui ne fait pas de la visite de Fabre à Giscard d'Estaing une occasion pour se distinguer des radicaux de gauche. "Le problème de l'Union ne se pose pas en termes de confiance entre dirigeants des partis de gauche. Nous regrettons la démarche de R. Fabre, cela pose un problème sérieux, mais nous ne pensons pas pour autant que l'Union de la Gauche soit dans la situation extrêmement difficile que prétendent les adversaires de 1'Union".(Conférence de presse de Marchais, le 19 septembre).
De manquement à la discipline d'Union de gauche, la discussion de Fabre avec Giscard d'Estaing devient un instrument de la politique de cette union:
Test pour la gauche cette visite l'est aussi pour le gouvernement désireux d'utiliser, une force tampon entre la droite et la gauche avant une éventuelle collaboration. Même si s'ébauche ainsi une possibilité de participation au gouvernement, la gauche reste prudente: la situation de la classe ouvrière va empirer de jour en jour et provoquera une reprise inévitable de la lutte de classe, la situation économique ne pourra que continuer à se détériorer, avec ou sans la gauche au pouvoir, avec un plan ou un contre-plan ou un contre-contre- plan. .. La gauche présentera sa participation au gouvernement ou sa "prise de pouvoir" comme une "victoire des travailleurs" ; elle présentera alors la persistance de la crise, et donc, l'impuissance de son programme comme l'héritage d’une mauvaise gestion dont les "travailleurs au pouvoir" continueraient de faire les frais, rétrospectivement. Ainsi, la "solution" de la gauche se réduit à ce qu'elle est : UNE MANIERE DE FAIRE ACCEPTER LA CRISE PAR LA CLASSE OUVRIERE.
La bourgeoisie, en tant que classe exploiteuse, ne se maintient au pouvoir, même émoussé, que par l’éventualité d'une relève de gauche toujours possible, et d'autant plus "à gauche" que la classe ouvrière est plus combative. Ainsi, Fabre est à Giscard d'Estaing ce que le PS et le PC sont à Fabre, ce que les gauchistes -et notamment les trotskystes- sont au PC : un gouvernement de rechange, dont les "solutions" ne font que changer de nom. Ainsi, au programme commun s'oppose le programme de transition des trotskystes, et des gauchistes dans les faits, UNE AUTRE MANIERE DE FAIRE ACCEPTER LA CRISE A LA CLASSE OUVRIERE.
Bien que ne se réclamant pas tous du programme de transition de Trotsky, les gauchistes le suivent tous dans les faits : ils avancent tous la même nécessité de revendications transitoires. Les trotskystes, LO comme Rouge, reprennent textuellement le texte de 1938, l'un avec le populisme démagogique d'une Laguiller :
l'autre avec la pseudo-combativité d'un intellectuel pondéré:
Il s'agit de mettre en avant des "solutions" qui leur permettent de "se mettre au niveau de la masse" en lui proposant toutes sortes d'illusions, du style "imposons la fin du chômage", et d'éviter de parler de la nécessité de détruire ce système qui ne donnera que du chômage. . . "Les gens ne comprendraient pas"..., alors, on ment, comme n'importe quel parlementaire en quête de votes. Quelles que soient les élucubrations "tactiques" qui peuplent le cerveau de ces politicards, leur intervention n'aboutit qu'à revendiquer et à créer l'illusion de la possibilité d'un capitalisme sans profits, sans chômage, sans abus-, ... sans exploitation. C'est, en fait, la vieille tromperie réformiste à peine recouverte d'un craquelant vernis de verbiage radical : "imposons..." Dans le programme de transition de 1938, Trotsky présentait ce réformisme déguisé de la façon suivante:
Seule une idéologie éloignée de tout processus révolutionnaire, parce qu'elle est, en 1938, le produit de la période la plus noire ' du triomphe de la contre-révolution,-les capitalistes des principales puissances comptent leurs troupes de prolétaires vaincus, atomisés, endoctrinés au fascisme ou à l'antifascisme, prêts à aller s'entre-massacrer au profit de leurs capitaux nationaux- seule une telle pensée peut, en oubliant tout ce que peut être la marche des prolétaires vers la révolution, imaginer le processus révolutionnaire comme un "pont" rectiligne et continu dont les piliers seraient une série de "revendications transitoires", partant des revendications les plus simples et immédiates pour arriver à la revendication du pouvoir.
Certes, la lutte du prolétariat pour la conquête du pouvoir est un aboutissement, conséquence logique de la lutte quotidienne, immédiate, de résistance du prolétariat contre son exploitation. C'est même là une spécificité essentielle de la classe ouvrière : les autres classes exploitées, menacées dans leur existence par le développement du capital lui-même, petits paysans, petits commerçants, etc. n'aboutissent en aucun cas, par leurs luttes quotidiennes à une mise en question réelle du capitalisme et encore moins à une solution de dépassement de celui-ci. Au contraire, lorsque ces luttes dévoilent leur contenu en se généralisant, elles ne parviennent qu'à la revendication d'un maintien de l'ordre social existant ou à un retour en arrière de l'histoire. Seules, les luttes immédiates de la classe ouvrière portent en elles et dans leur développement l'avènement d'une nouvelle société. C'est en celà que ses luttes immédiates contre la dégradation de ses conditions d'existence et sa lutte pour la conquête du pouvoir ne sont que deux moments d'un même combat.
Ainsi, les gauchistes, et plus particulièrement les trotskystes, ne détonnent pas, dans l'arsenal des «solutions" à la crise: ils ont un "plan" tout comme le gouvernement actuel a un "plan de relance" et la Gauche un "programme commun" ou un "programme du 8 août". Ils ont eux aussi des revendications à avancer dans le cadre du système actuel, revendications qui sont, comme celles du PC, plutôt des vœux pieux que des "solutions", mêmes capitalistes. Néanmoins, ils ont une clé : celle qui pourrait assommer la classe ouvrière en l'immobilisant derrière des revendications.
Les sociaux-démocrates avaient un programme minimum et un programme maximum ; refusant plus le manque de lien entre les deux que le fond même de la question, à savoir la perspective de ne plus avoir aujourd'hui de possibilités de programme minimum, les trotskystes ont inventé un lien : le pont des revendications transitaires, et le problème est résolu. Ainsi ne vont-ils pas manquer de retrouver toutes les revendications transitoires du programme de transition de 1938 : celles destinées aux pays arriérés, celles destinées aux pays fascistes, celles réservées à l'URSS... avançant, sans le dire ni le comprendre la possibilité de, mesures communistes avant la révolution : dualité du pouvoir par l'existence du contrôle ouvrier du comité d'usine, etc.
Recettes de la bourgeoisie, les mesures demandées par les trotskystes sont aussi stériles et inefficaces que celles avancées par la bourgeoisie officielle. Dans cette période de décadence, tout programme minimum, y compris le droit au travail, est devenu caduc, et toute tentative d'avancer ce programme sous forme de revendications transitoires n'est pas de la simple démagogie, mais de la mystification.. Quand on demande "pas de chômage", dans le meilleur des cas, c'est un voeu pieux qui nie la réalité de la crise, dans le pire, c'est la négation de l'existence de la crise comme possibilité objective d'amener avec elle la révolution. Quand on parle de "partage du travail entre tous”, d'échelle mobile-des heures de travail comme d'échelle mobile des salaires, on avance la même chose que l'égalité de tous devant l'argent, on propose un programme basé sur l'étalement de la misère dans le cadre du capitalisme. Que chacun ait un peu de travail, un maigre salaire, mais qu'il n'y ait plus de chômeurs, ni de disparités trop criantes entre les salaires. Quand on demande de ne pas faire de "diminution de salaire", on demande à la bourgeoisie de ne pas faire de plus-value, alors que la réduction de la masse salariale a justement pour but de faire conserver à la bourgeoisie un minimum de plus-value potentielle.
Mais c'est absurde de croire que le passage d'un moment à l'autre de cette lutte peut prendre la forme d'un pont de revendications progressives ou transitoires.
Toute l'histoire des processus de luttes qui ont abouti à des tentatives de conquête du pouvoir par le prolétariat le montrent : loin d'être un processus uniforme comme celui des révolutions bourgeoises au XVIIIème et XIXème siècle, celui de la révolution prolétarienne est caractérisé par des sauts brusques, des reculs profonds, un chemin rempli de méandres, de craintes et de témérités. Ce n'est pas une suite de victoires sur des revendications progressives qui mène le prolétariat à détruire l'Etat bourgeois et instaurer sa dictature, mais, au contraire, une suite de défaites matérielles immédiates au cours desquelles il comprend :
C'est pourquoi ceux qui prétendent opposer aux plans de sauvetage économique du capital des plans "de transition", des revendications organisées du système, quelque soient leurs illusions de "tactiques révolutionnaires", ne s'inscrivent pas dans le processus de développement des luttes prolétariennes mais dans celui de leur freinage, celui du réformisme. Le prolétariat ne va pas à la révolution inconsciente derrière des carottes transitoires qui lui seraient adroitement et opportunément tendues devant le museau par son avant-garde. Son avant- garde ne peut au contraire que lui montrer la nécessité de faire sienne la conscience de ce qu'il fait, de ce qu'il sera contraint de faire, et, entre autre, de cesser de se faire des illusions sur les possibilités d'obtenir du capital une quelconque amélioration de son sort.
NM & RV
Les remous de Mai 68 en France ont laissé bien des fantômes sur les rives du gauchisme. Parmi ces fantômes idéologiques, on trouve le modernisme, orientation politique plutôt vague qui, tout en se réclamant de la révolution communiste, s'attaque en fait à la continuité réelle du mouvement ouvrier et du marxisme. Le modernisme est l'idéologie de ces gauchistes intellectuels qui proclament avoir découvert une "nouvelle dynamique" du capitalisme qui "dépasse" ou "nie" les positions- défendues par Marx et le prolétariat révolutionnaire.
Mais il est évident que le rôle de l'intelligentsia gauchiste est précisément de brasser et de répandre toutes sortes de mystifications, dont la variété moderniste fait partie. Les modernistes représentent inconsciemment dans ce cadre la nécessité pour le capital actuel d'attaquer idéologiquement la classe ouvrière. Sur un autre plan, la quête des modernistes de formes de pensée se voulant " nouvelles " est engendrée par les intérêts concurrentiels du capital, perpétuellement à la recherche de nouvelles marchandises susceptibles de mieux se vendre.
Les modernistes sont trop nombreux et trop variés pour être énumérés. L'important dans ces sectes (habituellement composées d'un Hamlet avec un ou deux amis) c'est leur commune perspective anti-ouvrière. Pour elles, la classe ouvrière est une classe capitaliste comme la bourgeoisie ; la classe ouvrière équivaut à du capital et tant qu'elle produit de la plus-value (accumulée par le capital), elle reproduit seulement le capital et non la conscience communiste. Cette notion est succinctement exprimée dans un récent texte moderniste publié en Suède :
La spécificité de cette idéologie ne réside pas tant dans ce qu'elle dit, et qui n'est rien d'autre que l'image que le bourgeois se fait de lui-même, attribuée à son ennemi mortel le prolétariat, mais comment elle le dit. Sa terminologie est empruntée au marxisme. Des concepts tels que "travail salarié", "valorisation", "valeur d'usage" et "valeur d'échange", etc., sont employés par les modernistes avec une dextérité et une familiarité qui peuvent étonner et confondre un lecteur qui n'est pas averti. "Sont-ils révolutionnaires ?" peut se demander un lecteur confus. "Ils ont l'air de parler du communisme, aussi y-a-t-il peut-être quelque chose dans ce qu'ils disent Mais regardons y de plus près. L'emploi facile de la terminologie marxiste n'est en fait qu'une jonglerie de mots comme un bref examen suffit à le prouver.
Bien sûr, le meilleur moyen de détruire la théorie révolutionnaire, c'est d'employer sa propre terminologie et d'ainsi mieux diluer ses implications révolutionnaires et même de l'en priver. L'obscurantisme féodal et le catholicisme ont agi ainsi contre les philosophes révolutionnaires de la bourgeoisie naissante, et le capitalisme décadent, au moyen du stalinisme et du maoïsme, fait sans cesse de même contre le marxisme. De telles attaques idéologiques inconscientes sont l'expression de la lutte de classe et agissent dans un seul sens : de la bourgeoisie contre le prolétariat. La classe ouvrière par contre n'a ni la ressource ni le besoin d'attaquer l'idéologie bourgeoise "de l'intérieur". Elle n'a qu'une seule mission : détruire le capital dans son ensemble pour construire la société communiste mondiale. Par conséquent, depuis ses débuts, c'est ouvertement que l'activité autonome du prolétariat tend à s'opposer à l'idéologie bourgeoise. Le marxisme, en tant que vision mondiale théorique du prolétariat, est la critique claire et sans ambiguïté de tous les rapports sociaux bourgeois y inclus l'idéologie. Seule une classe décadente et condamnée a besoin de semer la confusion chez son fossoyeur et de le démoraliser puisque cela peut repousser la fin inévitable de son système. En ce sens, le modernisme exprime des besoins idéologiques plus profonds que ses protagonistes ne l'admettraient.
Pendant les périodes de réaction, le prolétariat ayant subi des défaites historiques, les railleurs et les prophètes de toutes espèces braillent et vocifèrent Sur la scène politique. S'il arrive à ces individus de parler "au nom de la révolution" c'est une bonne affaire pour eux puisque leurs propos deviennent alors une marchandise plus convoitée; La fonction de tels charlatans n'est en aucun cas négligeable ; ils doivent expliquer au prolétariat vaincu les causes de sa déroute. Et, voyez-vous, le principal coupable de telles débâcles historiques se trouve être presque toujour... le prolétariat lui-même.
Depuis la plus grande défaite que le prolétariat ait jamais subie (le déclin de la vague révolutionnaire de 1917-23), un nombre incalculable de ces charlatans a "expliqué" le pourquoi de la défaite du prolétariat. Les trotskystes besogneux se lamentent sur l'absence d'un "parti révolutionnaire", les reichiens (adeptes de W. Reich) babillent sur la nature sexuelle répressive de la classe ouvrière ; d'autres plus modernes affirment que la révolution prolétarienne est un mythe inventé au XIXème siècle.
Les sources de ces attitudes et de ces "explications" viennent de l'intelligentsia gauchiste en retraite, pulvérisée par le déclin du capitalisme mondial. Dans les années 30 et 40, les sympathisants staliniens de l'Institut de Recherche Sociale" de Francfort (Marcuse, Horkheimer, Adorno) ont commencé à édifier l'ossature qu'utilisent les modernistes d'aujourd'hui. Pour eux le marxisme et le prolétariat ont fauté pour n'avoir pas été assez "révolutionnaires". Par exemple, les travailleurs n'ont pas rallié avec suffisamment d’enthousiasme la défense de l'Espagne républicaine en 36- 38, Wilhelm Reich, expliquant à la bourgeoisie pourquoi le prolétariat allemand n'a pas su défendre la démocratie bourgeoise contre le nazisme, proclamait que les ouvriers allemands "avaient choisi" Hitler et la barbarie en 1933. Incapables de voir que l'écrasement du soulèvement prolétarien de 17-23 préparait en fin de compte une nouvelle guerre impérialiste, ces dilettantes "ont choisi" avec enthousiasme de soutenir les alliés durant ce même conflit. A côté de cela, pour Reich, le prolétariat allemand semblait avoir fortement besoin d'une "thérapie de masses" capable de secouer son inhérente attraction vers le fascisme. Le professeur Marcuse et les bombardiers alliés ont fait de leur mieux pour fournir cette thérapie. Marcuse a servi l'impérialisme des alliés pendant et après la guerre (il a servi au US Office of Intelligence Research du Département d'Etat et est devenu directeur de la section de l'Europe de l'Est). Reich qui vint aux Etats-Unis en 1939, "a annoncé qu'il était prêt à mettre au point ses découvertes et leurs possibles applications militaires et à essayer par tous les moyens d'attirer l'attention sur ses travaux?[2]
Sur le plan "philosophique", les professeurs de Francfort commencèrent à adopter un point de vue légèrement différent de celui de leurs collègues staliniens. Pour Marcuse and Co, le boniment stalinien sur la base économique qui détermine directement la superstructure n'était pas assez subtile. Et en fait, il ne l'était pas. Le stalinisme est une autre expression de la récupération de la terminologie du marxisme par l'idéologie capitaliste. Par "base économique", les staliniens entendent les bureaux de planification de Vesenkha et par superstructure, les édits de Staline et de la GPU.
Au lieu d'attaquer le stalinisme de front, comme ennemi mortel du prolétariat, Marcuse et sa coterie, comme toute l'intelligentsia gauchiste, n'ont pu que ramper. Leurs "révisions" du "marxisme" n'étaient en fait qu'une partie d'échecs jouée sur l'échiquier du stalinisme et du gauchisme. Leurs critiques de la "culture", de "1’idéologie", de "l'autorité" et des autres "aspects superstructurels" n'avaient rien à dire sur le capitalisme d'Etat en Russie ou ailleurs, ou sur l'impossibilité des luttes de libération nationale à notre époque, ou sur la nature contre-révolutionnaire des syndicats et du parlementarisme. Rien en d'autres termes sur les positions que la classe a à défendre. La misère de la philosophie ne pouvait être plus grande.
Ces idéologues, et ils comprennent les sociologues gauchistes tels que Lucien Goldmann, Roland Barthes, Bruce Brown et Jürgen Habermas prétendent que le capitalisme "avancé" ou "moderne" a éliminé les différences entre la base économique de la société et sa superstructure. "Le capitalisme avancé" aurait apparemment réuni les deux, essentiellement en manipulant l'économie par les mécanismes keynésiens et par l'extension "d'un marché de consommation" illimité. Implicitement cette notion signifie que la classe ouvrière s'est fait "acheter" par un capitalisme qui ne souffre lui-même d'aucune contradiction économique fondamentale. Si la base matérielle de la société n'est plus confrontée à d'insolubles contradictions, il s'ensuit alors que les contradictions du capitalisme se sont déplacées de la base vers la superstructure. Ainsi, la "critique de la vie quotidienne (comprenant de pédantes dissections de langage, des critiques "sémiologiques", etc.)" a pris une importance prépondérante pour ces idéologues. Ils considéraient 1'analyse économique concrète de la décadence du capitalisme avec mépris comme "un problème classique s'apparentant à l'obsession et dépassé dans le capitalisme moderne."
Si la base économique du capitalisme s'était confondue avec sa superstructure, il serait alors superflu sinon réactionnaire d'établir des séparations ou des distinctions conceptuelles entre les deux domaines. La technologie et la science, devenues elles-mêmes idéologies (selon Habermas et Marcuse), rationalisent ou "légitiment" le capitalisme aujourd'hui. L'idée que le prolétariat s'exploite lui-même suit sans difficulté, puisque l'absence de difficultés économiques signifie que les ouvriers pourraient satisfaire leurs besoins matériels dans le système capitaliste. Ce qu'ils ne pourront pas satisfaire pour ces idéologues ce sont leurs "besoins sociaux". Mais la classe ouvrière ne peut pas le savoir. Elle n'est pas seulement manipulée par le capitalisme de consommation, elle se manipule elle-même dans sa recherche d’une consommation répressive illimitée.
Comme un autre commentateur gauchiste l'affirme :
On peut voir comment cette "fusion" de la base économique avec sa superstructure est liée à la soi-disant transformation de la classe ouvrière en une "classe capitaliste". La sagesse de ces professeurs a fourni les premières bases des positions modernistes actuelles.
Mais nous examinerons maintenant la contribution d'autres milieux gauchistes dans la naissance de l'idéologie moderniste.
Des groupes sortis après la guerre du trotskysme (Socialisme ou Barbarie aujourd'hui disparu) ont aussi contribué à l'élaboration des idées modernistes. De la même manière, la rapide décomposition de différentes sectes bordiguistes dans ces dernières années a accéléré l'apparition de revues modernistes telles qu’Invariance et Kommunismen, aujourd'hui disparu. Le stalinisme lui-même n'a pas manqué d’apporter sa propre contribution en France, centrée autour du philosophe Henri Lefebvre[4], qui avec S. ou B. ont fourni les fondements philosophiques de l'Internationale Situationniste[5] . Mais avant de pouvoir aller plus avant dans l'étude des racines actuelles du modernisme, il est nécessaire d'examiner le contexte social du capitalisme depuis 1945, et les idées qui ont fleuri sur "la société de consommation", la "société d'abondance", du "spectacle", et sur le capitalisme libéré des crises, la "gentille" théorie de S. ou B.[6]
Le boom que le capitalisme mondial a connu après 1945 a accordé une période de répit à un système social en putréfaction, en crise permanente et en décadence depuis 1914. Les tempêtes économiques actuelles qui enfoncent toujours plus profondément le capitalisme dans le bourbier de la désintégration économique, montrent à quel point l'expansion apparemment "éternelle" des années d'après-guerre était fragile. En ce sens, Mai 68 marque l'apparition d'une nouvelle période dans le mouvement ouvrier, parce qu'il indique la fin du boom économique et le début de la nouvelle résurgence de la classe ouvrière. En quelques jours les ouvriers français ont détruit beaucoup de mythes concernant la prétendue intégration au capitalisme du prolétariat. Les évènements ont également confirmé la position défendue par le mouvement ouvrier sur la nécessité de conditions matérielles préalables à une période révolutionnaire : crise économique, tendance du capitalisme mondial à l'effondrement.
Mais les idées réactionnaires meurent difficilement, surtout quand elles sont nourries par la longue période d'expansion que le capitalisme décadent a connu. La fin de la 2ème guerre mondiale n'a vu surgir aucune grande vague révolutionnaire. Les quelques surgissements qui se sont déroulés en Europe, en Grèce, au Vietnam furent impitoyablement désarmés et écrasés par les staliniens et autres forces des alliés (avec la participation critique des trotskystes). Après des années de sang versé et de destruction matérielle de toutes les économies, les ouvriers étaient prostrés et n'étaient pas en mesure de résister A la nouvelle expansion du capitalisme. En revanche, la guerre et la période qui a suivi illustrent clairement la situation à laquelle le mouvement ouvrier était confronté dans le capitalisme décadent à l'exception des mouvements révolutionnaires, la classe ouvrière ne peut plus dans cette période créer ou maintenir aucune organisation de masse permanente. Toutes les institutions que la classe ouvrière du siècle dernier avait créées pour défendre son niveau de vie (syndicats, coopératives), sont devenues des institutions capitalistes. De la même manière, les partis qui par le passé ont exprimé les buts révolutionnaires de la classe. (Social-Démocratie, PC), ne sont plus que des organes du capital depuis 50 ans.
Un tel panorama social fut trop dur A avaler pour les gauchistes. Toutes les "organisations ouvrières" ne sont rien d'autre que des organes capitalistes ? Mais comment oses-vous ! La mentalité gauchiste n'a pu que réagir avec sa haine petite-bourgeoise contre la réalité de la lutte de classe. Mais le mystère de la période de reconstruction devait avoir de toutes façons une explication, et le manque de combativité relatif de la classe ouvrière être expliqué "sociologiquement". Le mage trotskyste Mandel a "trouvé" un soi-disant néocapitalisme sorti tout droit de sa propre tète. Les professeurs de ce qui allait devenir plus tard le groupe anglais International Socialism ont inventé une "nouvelle" rationalisation de leur réformisme abject, en le basant sur une "économie d'armement permanente". Chaulieu/Cardan, une des lumières de S. ou B., commença à poser, comme les ex-trotskystes Bruno Rizzi, James Burnham et Max Shachtman l'avaient fait avant lui, une "troisième alternative historique" : le triomphe du "capitalisme bureaucratique moderne".
Ce "nouveau" système devait soi-disant dominer le globe, et avait pour principale caractéristique le fait que l'Etat pouvait contenir les crises économiques, éliminer la loi de la valeur et offrir un "cauchemar climatisé" A ses esclaves. Le boom n'était pas seulement économique ; il était également idéologique et a produit des rejetons nombreux et grotesques : l'intelligentsia gauchiste, renforcée numériquement et idéologiquement par une forte expansion de production de "gaspillage" a vécu un âge d'or durant 25 ans.
Le marcusianisme, le "guerillérisme", le situationnisme et bien d'autres "ismes" ont grandi aux côtés des partis staliniens, trotskystes et maoïstes officiels. A un niveau ou à un autre, ils ont tous adhéré au principal postulat bourgeois du boom de l'après-guerre : la classe ouvrière s'est intégrée au capitalisme. Mais si la classe était intégrée, cela semblait être le cas contraire pour les couches marginales de la société : les jeunes, les paysans vietnamiens, le lumpenprolétariat noir des Etats-Unis, Che Guevara et même Thimothy Leary. Dans "L'homme Unidimensionnel", Marcuse exprime carrément cette idée, mais elle n'est pas originale[7]. Les anarchistes avaient tenu ce genre de propos depuis un siècle. En fait toute école bourgeoise économique, politique ou sociologique considère comme allant de soi le fait que la classe ouvrière est simplement le pendant harmonieux du capital. S'interrogeant rétho- riquement, Henri Lefebvre en 1968 exprime cette idéologie :
Un écrivailleur américain anarchiste,
Murray Bookchin, écrivait même, plus cyniquement, en 1969 :
Bookchin continue:
Et pour souligner ce point" essentiel" il éclate d'une rage hystérique contre la classa ouvrière :
Pour finir voilà ce qu'est devenu le message typiquement moderniste ;
Rarement les idées modernistes ont été exprimées avec autant de cynisme. Mais de telles idées décrivent non la décomposition de la classe ouvrière, mais la désintégration de la petite-bourgeoisie gauchiste, due à l'émergence de la crise. Ce que les modernistes déplorent c'est leur propre dégénérescence en tant que couche sociale condamnée, une dégénérescence qu'ils reportent sur la classe ouvrière. Leurs propres traits psychologiques, leur propre avilissement et leur passivité sont ainsi transférés au prolétariat révolutionnaire.
"Socialisme ou Barbarie" n'a pas appelé au rejet de la classe ouvrière dans les années 50, mais très peu de ceux qui sont devenus par la suite des " Modernistes" ne l'ont fait. L'occasion de franchir cette étape ne s'était pas encore présentée. Pour cela il leur faudra attendre un an ou deux avant 68[9]. Il est important d’insister sur CE point. Pour les trotskystes comme pour tous les autres gauchistes, la classe ouvrière englobe les syndicats. En d’autres termes, ils voient la classe ouvrière engendrer des institutions capitalistes et faisant partie de celles-ci. Ainsi S ou B s'est toujours fait le défenseur du travail dans les syndicats de toutes sortes. Certains de ses ex-militants sont devenus de grands inspirateurs idéologiques du syndicat français CFDT. (Mothé)[10].
La conception de la classe ouvrière défendue par ces ex-trotskystes ne différait pas en fait de la version des trotskystes officiels. Pour SouB le socialisme était simplement un capitalisme aménagé humainement, opérant nationalement sous la loi de la valeur (avec "salaires égaux" et production de marchandises).
La conception trotskyste ou bordiguiste n'est pas différente, sauf à propos du rô1e "dirigeant" assumé par leur parti dans "l'Etat ouvrier".
Toute la question des crises du capitalisme pour les staliniens et les trotskystes d’avant-guerre tournait autour d'un simple facteur : comment défendre la Russie stalinienne contre ses rivaux impérialistes, ravagés par le militarisme, le fascisme et l'effondrement économique. Cela renvoie à une des références à laquelle, staliniens et trotskystes font appel quand ils analysent la crise actuelle du capitalisme. Contre la crise, la classe ouvrière se doit de défendre la "Patrie Socialiste" ou les "Conquêtes d'Octobre"[11]. Le stalinisme n’a pas pu voir dans la classe ouvrière autre chose que de la chair à canon pour défendre et maintenir le pouvoir de la classe capitaliste bureaucratique de Russie. Le trotskysme, toujours à la remorque du stalinisme, parle de la classe ouvrière dans les mêmes termes même de "façon critique". L'extension du pouvoir russe sur l'Europe de l'Est a été considérée par la majorité des trotskystes comme une extension des "conquêtes d'Octobre", quoique "dégénérée".
Ce mépris de la classe ouvrière, ce dévoiement capitaliste des conquêtes de la classe ouvrière est inhérent au trotskysme dès sa naissance. Il suffit de lire les recettes du "Programme de Transition" de 1938 ou n'importe quel journal trotskyste d'aujourd’hui pour voir la nature profondément capitaliste d'Etat du trotskysme. Il y a donc un lien organique entre l'idée d'après-guerre selon laquelle la classe ouvrière a capitulé devant le capitalisme et la conception gauchiste de la classe ouvrière. Le gauchisme a toujours considéré comme établi le fait que la classe ouvrière soit intégrée au capitalisme. Les bureaucrates de la social-démocratie en 1914 l'admettaient aussi quand ils apportaient leur soutien à la première guerre impérialiste. Les stalinistes et leurs valets trotskystes l'admettent également chaque fois qu'ils ont essayé ou qu'ils essaient de mobiliser les travailleurs pour des guerres impérialistes (comme en 39-45), pour des luttes de libération nationale, pour le syndicalisme, le parlementarisme et d'autres politiques capitalistes.
Quand Lénine, en 1902, affirme que la conscience socialiste est extérieure à la classe ouvrière, il exprimait une incompréhension fondamentale, que la totalité du mouvement ouvrier partageait à un degré ou à un autre à cette époque. Aujourd'hui, une telle conception n'est pas une erreur mais un mensonge réactionnaire. Quand, aujourd'hui, les trotskystes ou les gauchistes en général parlent du "rôle d'avant-garde du parti" dans ce qu'ils imaginent être une révolution socialiste, ils considèrent que la classe ouvrière bien entendu est intégrée au capitalisme. Par conséquent, le prolétariat a seulement besoin d'un Etat-Major pour l'organiser, pour lui injecter la "conscience communiste" (il faut lire les "escroqueries du capitalisme d'Etat"), parce que les travailleurs, voyez-vous, laissés à eux-mêmes, sont seulement capables d'"économisme" ou de "trade-unionisme". Et puisque ces dernières tendances sont des "idéologies bourgeoises",(en fait, ni plus ni moins que le trotskysme), cela montre que la classe ouvrière n'est qu'une classe-en-soi "dominée par la bourgeoisie", qui attend l'arrivée de Messieurs Healy, Cliff, Mandel, Hansen, Frank et de toute cette cabale de petits Staline.
Entre la conception bourgeoise qu'ont les gauchistes de la classe ouvrière et celle des modernistes, il n'y a qu'une différence de degré.
Il est vrai que les modernistes s'opposent aux tactiques d'avant-garde des staliniens et des trotskystes, et que généralement ils planent au-dessus des anarchistes ignares en jonglant avec les mots. Mais leur vision de la classe est la même. C'est le point de vue Capitaliste de l'intelligentsia gauchiste, couche créée, ordonnée et désintégrée par le développement d'après-guerre du capitalisme décadent. Pour les gauchistes, (staliniens, trotskystes, maoïstes, etc.), la conscience communiste vient de l’"intelligentsia" socialiste scientifique, qui ensuite l'apporte aux ouvriers, comme Prométhée a apporté le feu à l'humanité. De la même manière, les modernistes, la conscience communiste naît des cerveaux des intellectuels "communistes" (c'est à dire d'eux-mêmes). Mais, contrairement aux gauchistes, ces sages s'abstiennent de déverser leur savoir sur les ouvriers. Les prolétaires ne méritent pas une telle "faveur". Après tout quel besoin a une classe capitaliste de la "conscience communiste". Les modernistes tendent à faire circuler leurs textes uniquement entre eux ce qui, il faut le reconnaître, n'est pas une mauvaise chose.
NODENS
Extrait du n*4 de World Révolution.
[1] "Un texte qui n'en est pas un à proprement parler". Janvier-75.
[2] Cité dans : "La vie et l'œuvre de Wilhelm Reich" de Michel Cartier, New York 1973, p. 207.
[3] Critique de l'ouvrage de Bruce Brown par Stanley Aronowitz : "Marx, Freud et la critique de la vie quotidienne", parue chez Télos 18 (p. 180).
[4] Voir sa "critique de la vie quotidienne", Paris 1958 et la "Vie quotidienne* 1 2 3 4 5 6 7 dans le monde moderne" Paris 1968.
[5] Pour une documentation sur l’évolution des situationnistes, voir : "Leaving in the 20th century. The incomplète work of the Situationist International", traduit et édité par l'ex situationniste C. Gray, qui, actuellement, soutient (!)... une campagne de propagande massive afin de faire connaître au public la possibilité d'une révolution... simultanément avec la création de "thérapeutiques de masse11 Londres 1974, p. 167.
[6] Pour un regard critique sur l'origine, les idées et le destin de S ou B, voir les analyses suivantes publiées par nos camarades français :
[7] Ces idées sont encore très en vogue. Un best-seller relativement récent "The greening of America", de Charles Reich. Cet auteur prôner la "persuasion" et "un changement dans la conscience" par les charades démocratiques bourgeoises. A partir des mêmes prémisses que Marcuse, il arrive à des conclusions plus savoureuses sur les couches moyennes.
[8] Ce joyau fit couler beaucoup d'encre de la part des sectes réactionnaires. Par exemple le Britlsh Solidarity Group (influencé par Cardan) fit une critique de cette brochure en 1970 et dit: "C'est indubitablement la meilleure brochure anarchiste produite depuis des années." Le critique, expert en la matière, conclue : "Inutile de dire que c'est le travail d'un ex-marxiste" (sic). Solidarity, vol.6 n° 5 p.20.
[9] Dans "Le déclin et la chute de l'économie spectaculaire marchande", 1965, les situationnistes ont déjà commencé à parler de l'intégration du prolétariat classique à la "société du spectacle". Les émeutes noires de Watts étaient soi-disant la "négation" de la marchandise, alors que les blancs en étaient esclaves.
Selon Cardan (1964), utiliser le terne de prolétariat c'était... se laisser aller à une sociologie purement descriptive. "Redéfinition de la révolution", Londres 1974,p.9. Cette négation conceptuelle du prolétariat était devenue le label de la "Nouvelle Gauche!' en Europe et aux Etats Unis.
[10] Cardan, sous le nom de Coudray, se situait entièrement dans cette tradition gauchiste quand il écrivit en 1968: "En mime temps il est nécessaire d'appeler les travailleurs à rejoindre la CFDT, sans leut laisser aucune illusion sur le syndicat en tant que tel parce qu'elle est la moins bureaucratisée, la plus perméable à sa base aux idées du mouvement, et qu'elle permet de poser la question de l'autogestion, qui est bonne non seulement en dehors du syndicat, mais aussi pour la section syndicale, le syndicat lui-même, la fédération et la confédération". "La révolution anticipée", mai 68. La Brèche, Paris 68, p. lll et 112.
Les sympathisants anglais de Cardan ont toujours caché soigneusement ces passages, puisque Solidarity se déclare "contre" les syndicats. Mais leur respect pour le "shop-stewardisme" est bien connu. Un autre rejeton de S ou B, la revue française "Lutte de Classe", éprouve une égale fascination pour le shop-stewardisme et donc pour les mystifications capitalistes de l'autogestion.
[11] Or, comme diraient les maoïstes, les ouvriers et les capitalistes progressistes doivent défendre la Chine de Mao. En France, la pernicieuse idéologie maoïste s'est facilement fondue avec des bribes d'anarchisme même avant mai 68. L'interview suivante de D. Cohn Bendit, la prima dona de l'anarchisme en mai 68, est instructive à ce niveau : "Q-: Vous prenez quelques éléments de votre définition du socialisme dans Trotsky et dans Mao? R-: De Mao en fait. Par exemple. Mao rompt avec le léninisme au sens strict du terme quand il fait confiance à une autre classe que la classe ouvrière : la paysannerie. Les communes villageoises sont aussi pour nous une forme d'organisation tout à fait souhaitable." Tiré de "l'anarchisme dans le mouvement de mai 68 en France, Londres 1973, p. 11. Cohn Bendit s'abstient de tout commentaire sur le charme de la "réhabilitation maoïste" dans les camps politiques. Mais en dépit de telles omissions, le journaliste, orateur verbeux,
E. Morin, s'empresse d'applaudir: "sa pensée était plus lucide à cette époque que les plus éminentes figures académiques et politiques." En d'autres termes, il était presque aussi lucide qu'Edgar Morin.