Publié sur Courant Communiste International (https://fr.internationalism.org)

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ICConline - juin 2015

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A propos du film La Loi du marché :une dénonciation sans réelle alternative

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L'article qui suit révèle des aspects importants de l'intrigue. Nous invitons les lecteurs qui souhaitent préserver l'effet de surprise du film à nous lire après son visionnage.

Le film de Stéphane Brizé récompensé au Festival de Cannes par le prix d'interprétation masculine a rencontré auprès du public un succès inattendu. Il montre le parcours d'un chômeur en fin de droits, Thierry, interprété par Vincent Lindon, contraint d'accepter un emploi de vigile, sorte de "kapo" de supermarché, qui le placera face à de pénibles dilemmes moraux.
Artistiquement, La loi du marché est une réussite indéniable. La scène d'ouverture tranche d'emblée avec les canons cinématographiques : caméra à l'épaule, le film fait volontairement l'effet d'un documentaire et nous plonge brutalement dans le difficile quotidien d'un chômeur. Cette manière originale de réaliser, s'appuyant sur le jeu remarquable de Vincent Lindon et la présence d'acteurs amateurs exerçant souvent le métier qu'ils interprètent à l'écran, donne à l'œuvre un aspect criant de vérité.

Une fiction réaliste ….

La violence du chômage, les humiliations permanentes, l'infantilisation pernicieuse et la peur du lendemain sont parfaitement exposées. Nombreux sont les ouvriers sans emploi à avoir essuyé la condescendance d'un employeur, à se faire recaler pour des raisons stupides, ou à encaisser stoïquement les séances de "coaching" organisées par l'État pour apprendre aux "loosers" à "mieux se vendre", c'est-à-dire à intérioriser la responsabilité de "l'échec" des "entretiens d'embauches". Mais si ce réalisme a certainement contribué au succès du film, la succession de scènes où règnent uniquement le chacun pour soi et la lutte de tous contre tous est symptomatique des limites idéologiques desquelles, en dépit de ses qualités, le film ne peut s'extirper.
La même ambiguïté est visible dans la seconde partie du film, lorsque Thierry finit par décrocher un emploi dans un supermarché. La brutalité de ce secteur est de notoriété publique : l'arrogance, le cynisme et le machiavélisme des cadres très satisfaits d'eux-mêmes est une réalité qu'aucun ouvrier de la grande distribution ne niera. La scène où un DRH, pour déminer toutes expressions de solidarité, explique sans sourciller aux employés que le suicide d'une caissière, qui venait justement d'être licenciée, a pour origine ses problèmes familiaux, fait d'ailleurs échos aux manipulations bien réelles lors de la vague de suicides à France Télécom en 2009.1 Néanmoins, si la véracité de ces situations saute aux yeux, la réalité ne se réduit pas qu'à ce cri de désespoir.
Ce pessimisme et l'absence de perspectives relèvent d'une intention de Stéphane Brizé qu'il exprime très consciemment dans une réalisation, certes remarquablement maitrisée, mais pleine de sens. Pas un plan, hormis le dernier, où l'horizon reste néanmoins bouché par les boutiques dominant un parking, n'a une profondeur de plus de quatre ou cinq mètres. Thierry est littéralement dos au mur en permanence, dans une ambiance claustrophobe qui ne doit absolument rien au hasard et qui cherche à exprimer l'impuissance de la classe ouvrière.
D'ailleurs, la seule expression de lutte collective est présentée, au début du film, sous les traits du syndicalisme, et plus particulièrement, sous ceux de l'inénarrable Xavier Mathieu, le cégétiste vedette qui s'employa en 2009 à enfermer les ouvriers de l'usine Continental dans une lutte corporatiste, stérile et épuisante. Un peu par lassitude, en réaffirmant qu'il était resté aux côtés de ses collègues pour résister tout un temps à la pression destructrice de l'entreprise, Thierry est obligé de se justifier face à la détermination culpabilisante du leader syndical de service. Il fallait qu'à la dure réalité des humiliations notre héros finisse par défendre qu'il n'est pas un "traître" ! Et ce n'est que pour "sauver sa santé mentale" qu'il décide de prendre lui-même en main son sort. Finalement, après bien des déboires et les péripéties ordinaires dignes du parcours du combattant, il trouve la "perle rare" : un emploi précaire de vigile ! De cette histoire triste et banale, on est amené à déduire que la débrouille individuelle s'avère la meilleure conseillère face à la "Loi du marché", c'est à dire celle du système capitaliste". Et c'est d'ailleurs drapé de solitude, face aux injustices, aux humiliations, au flicage imposé à ses propres collègues par la direction que le personnage finit par exprimer son rejet de manière isolée.

…qui enterre la lutte de classe

C'est en effet totalement seul, dégoûté, en son "âme et conscience", qu'il finira par déposer l'"uniforme" en quittant l'entreprise par la petite porte des vestiaires. Ici, derrière les intentions et l'indignation bien réelle, se trouvent encore les propres limites du film, se heurtant aux préjugés moralisateurs du réalisateur. En effet, la façon de partir de ce cas de conscience moral au niveau individuel induit un choix sacrificiel et surtout sans aucune perspective. Il est certes clair que certains emplois destinés au flicage des bagnes industriels, assumés comme tels, ne conduisent qu'en dehors ou pour le moins à la marge du prolétariat et de sa lutte. Il est clair que pour un prolétaire conscient, certains emplois ouvertement au service de la répression posent en effet clairement ce cas de conscience. Et c'est à ce niveau que réside toute l'ambiguïté du film. La réaction individuelle est rendue presque inévitable, tant la fonction oppose aux autres membres du personnel. Elle s'avère légitime même si sans perspective parce que totalement isolée. Le prisme individuel par lequel le film enferme le personnage n'est absolument pas celui par lequel procède la conscience de la classe ouvrière, même. Dans la réalité, un tel refus est souvent un luxe qu'on ne peut s'offrir que difficilement du fait du contexte de simple survie en temps de crise économique aigüe : d'autant plus quand on a une famille à nourrir avec un enfant handicapé à charge, comme c'est le cas dans le film. Assumer ici un emploi de vigile complique la donne et introduit une notion ouvertement morale. Thierry est amené, en acceptant ce travail, à agir directement du point de vue de la classe dominante par la contrainte, en porte à faux vis-à-vis de ses collègues et même de sa propre nature de classe. Il n'en est pas de même lorsque le travail n'implique pas directement cette responsabilité et ces choix brutaux. Par exemple pour les usines d'armement, la production et l'usage des armes, même si elles posent un cas de conscience, sont les décisions uniques de la bourgeoisie. Ce que les ouvriers ont à produire, ils le ne le décident pas eux-mêmes. Le prolétariat qui, de façon paradoxale, se retrouve obligé par la même contrainte du marché à travailler dans ces usines garde donc sa capacité critique et reste surtout capable de lutter collectivement de manière indépendante.
Le refus individuel contextualisé par le film, qui ne peut inverser le cours des événements, débouche en fin de compte sur la révolte du prolétaire transformé en "citoyen héroïque", celle liée aux préjugés de l'idéal démocratique de la société bourgeoise et probablement du réalisateur. L'acte est autant le produit du refus et de l'indignation légitime que d'une confiance inexistante entre salariés, d'une absence totale de solidarité. Même si, en redevenant chômeur, le personnage regagne la dignité de sa classe, comme simple prolétaire, il disparaît par contre aussitôt de la scène et le film s'achève ainsi. La résistance collective du prolétariat, la lutte de classe, ... tout cela n'a pas sa place ! Après plus de deux décennies de campagnes idéologiques poststaliniennes, deux décennies de propagande martelant la "fin de la lutte de classe" et la "mort du communisme"2, on mesure le sens de cette intense polarisation individuelle. Que signifie la lutte de classe aujourd'hui ? Elle est au musée et dans les poubelles de l'histoire ! Voilà le message confirmé qu'on peut déduire en creux de ce film.
Finalement, il va dans le sens de ce que se plaisent à marteler la bourgeoisie et ses politiciens qui profitent au maximum des faiblesses et des difficultés de la classe ouvrière aujourd'hui. C'est probablement là une des clefs permettant, au-delà de la valeur artistique du film et de la prestation de l'acteur, d'expliquer les raisons de sa promotion très médiatisée.
Chew, 13 juin 2015

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Critique d'oeuvres

Une escalade dans l’infamie. En défense du débat prolétarien

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Nous avons publié récemment une ‘‘Réponse face aux menaces’’, menaces proférées par un individu qui se fait appeler “John Henry”1. Ce type poursuit son escalade de provocations en atteignant des niveaux répugnants. Dans un texte publié sur Facebook et qui parait avoir été effacé par l’administrateur de ce réseau à cause de son contenu inacceptable, il dévoile des détails intimes d’un camarade proche du CCI en le qualifiant de malade mental, concluant par un raisonnement tordu selon lequel le CCI utiliserait des jeunes inexpérimentés et des malades mentaux pour mener sa politique.

Diffuser publiquement des donnés intimes d’un camarade est une activité policière. Cela fait partie des pratiques les plus pourries du capitalisme. C’est une démarche de “débat” des plus viles et abjectes, pratiques très courantes de la concurrence électorale entre les partis bourgeois, mais intolérables dans le milieu prolétarien.

Nous voulons encore exprimer ici notre soutien total au camarade attaqué, nous lui exprimons notre solidarité la plus profonde et nous sommes conscients du traumatisme et de la déstabilisation qu’une telle attaque directe et brutale, de la part d’un individu nuisible comme John Henry peut provoquer.

Une mentalité pourrie par l’idéologie capitaliste

Dans une véritable ruée de meute enragée, tout un milieu qui prétend se revendiquer du “communisme” lance contre le CCI les accusations les plus insensées. La dernière est celle de ce monsieur John Henry qui nous traite de ‘‘secte qui manipule des jeunes malades mentaux inexpérimentés’’. Une telle accusation ne peut venir que d’une tête pourrie par l’idéologie capitaliste la plus dégénérée. La caractéristique principale d’une telle accusation est le mépris vis-à-vis des camarades qui recherchent une clarification et se rapprochent du CCI. ‘‘Le salaud pense que tous les autres sont comme lui’’ pour reprendre un vieux proverbe castillan. La seule chose que ce sinistre sire John Henry peut imaginer, c’est un monde avec des manipulateurs et des manipulés, dans son sale cerveau, il n’y a de la place que pour ‘‘des jeunes inexpérimentés malades mentaux’’, proies faciles pour des monstres manipulateurs. Sa vision du monde est celle du capitalisme : pour celui-ci, les ouvriers sont une masse d’écervelés, de perdants et de moins que rien, qu’on peut manipuler à volonté pour les presser comme des citrons par le biais d’une exploitation féroce.

Chez John Henry il y a, en plus, une vision hygiéniste. Tout camarade qui souffrirait d’un quelconque trouble mental devrait être considéré comme inutile pour la lutte communiste. Seuls les ‘‘parfaits’’, ceux qui ne présentent pas la moindre tâche dans leur ‘‘dossier médical’’ seraient considérés ‘‘aptes’’. Voilà une sinistre vision qui en rappelle d’autres, comme celle du nazisme.

Cependant, si on regarde la réalité du capitalisme des cent dernières années, on s’aperçoit que le renforcement de l’exploitation, du totalitarisme étatique, lequel lorsqu’il est drapé de ses habits démocratiques est particulièrement cynique et manipulateur, l’extrême marchandisation de la société, ont eu comme conséquence la prolifération des maladies mentales. Selon les critères de John Henry, il faudrait exclure la plupart des militants communistes, parce que rare est celui qui n’a pas subi un trouble mental ou psychologique quelconque quand on voit les conditions d’exploitation et d’existence que nous subissons sous le capitalisme.

Une des raisons pour lesquelles le prolétariat est la classe révolutionnaire de la société est le fait que sur ses épaules se concentre, sous sa forme la plus extrême et universelle, le poids des souffrances psychiques et physiques causées jour après jour par le mode de production capitaliste. Contrairement à la vision qui peut se déduire du comportement de ce John Henry, les troubles psychiques, les maladies au sein du prolétariat, ne sont pas une cause d’exclusion ou de raillerie contre ceux qui en souffrent, mais un stimulant pour la prise de conscience, l’indignation, la lutte et la solidarité, qui sont les forces qui cimentent le combat historique de notre classe et qui seront la base de la société future qu’elle aspire à instaurer.

La lutte de la Gauche communiste contre les comportements indignes

La dernière action de John Henry nous amène à poser une question à tous ceux qui se revendiquent de la Gauche Communiste et de la lutte du prolétariat. Jusqu’à quand va-t-on accepter ces comportements nauséabonds typiques du capitalisme ? Jusqu’à quand va-t-on tourner la tête de l’autre côté chaque fois que des types du genre John Henry se livrent à leurs provocations ?

Une déclaration claire et ferme, de la part de tous les groupes et des éléments qui se revendiquent de la Gauche communiste, est nécessaire face à de tels comportements. Quant à nous, nous les condamnons avec toute notre énergie et nous appelons à les rejeter et à ne pas accepter le moindre débat, ni le moindre rapport avec des individus qui dissimulent leur bassesse sous leur prétendu ‘‘communisme’’ pour mener leurs activités répugnantes.

Aujourd’hui, au sein de la Gauche communiste, on accepte n’importe qui proclamant quatre idées à consonance ‘‘communiste’’, sans s’arrêter pour réfléchir sur son comportement. On n’établit pas une frontière indispensable face à ceux dont la pratique est faite de calomnies, de provocations, d’accusations tous azimuts, de menaces, de travail policier en publiant des données personnelles de militants etc. Ces gens-là doivent être dénoncés sans ménagement parce qu’ils salissent avec leur vilenie l’ensemble de la Gauche communiste, en étant aussi un cheval de Troie du capitalisme qui sert à bloquer la clarification et l’avancée des positions communistes.

En 1914, les révolutionnaires d’alors –Lénine, Rosa Luxemburg, Trotski etc. – dessinèrent une ligne rouge définie par l’internationalisme, en rompant tout contact, en dénonçant sans concession tous ceux qui, au nom du mouvement ouvrier, soutenaient la guerre impérialiste. Il est aujourd’hui nécessaire d’expliciter clairement une autre frontière, une autre ligne de démarcation, celle qui sépare les révolutionnaires de ce grenouillage parasitaire qui utilise le nom de la Gauche communiste pour justifier ses comportements ignobles.

Sans cette claire démarcation, la Gauche communiste n’aura pas la conviction et la cohérence nécessaire pour défendre les positions du prolétariat et finira par être considérée comme les autres forces politiques qui défendent ce système pourri : des beaux idéaux dans les discours, mais des manœuvres et des actions indignes dans les faits.

La Gauche communiste lutte depuis presque 100 ans, d’abord en combattant contre la dégénérescence opportuniste des partis de l’Internationale Communiste, et par la suite, en tirant le bilan et les leçons de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23, en combattant toujours le stalinisme et tous les autres courants qui défendent le capitalisme au nom du “communisme”. Ce combat, avec tous les acquis qu’il nous a apporté, pourrait être complètement démoli si l’on tolère au sein de la Gauche communiste la présence de tout ce panier à vipères rempli de parasites, de supplétifs de police et autres individus méprisables dont John Henry est l’un des exemples le plus pestilentiel. Il faut les dénoncer, les exclure du terrain de la Gauche communiste et les remettre à leur place : celle de serviteurs du capitalisme.

Une réflexion finale nous parait indispensable. Dans les réseaux sociaux d’Internet pullulent toute une série de francs-tireurs embusqués qui font leur miel, des spectateurs pervers qui voient les rapports entre les groupes comme un match de boxe, des dilettantes en tout genre et des spéculateurs de salon. Ce moyen favorise l’irresponsabilité organisationnelle, l’absence d’engagement, il constitue un terrain où des parasites et des supplétifs de police, tel le sinistre John Henry, peuvent sévir sans contraintes. La Gauche communiste doit se donner des moyens propres et sérieux, la responsabilité et l’engagement exigés pour la défense des positions de la classe ouvrière.

CCI, 31-5-15

1 Article traduit en français : En défense du débat prolétarien : notre réponse face aux menaces, paru dans RI n° 452 (mai-juin 2015) et sur notre site : https://fr.internationalism.org/icconline/201505/9210/defense-du-debat-proletarien-notre-reponse-face-aux-menaces [2].

 

 

 

 

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Défense de la Gauche communiste

Ventes de Rafales français : l'illustration d'un système qui sème la mort

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84 avions... c'est fait ! L'État français, dirigé par le Parti Socialiste, vient de vendre pour la première fois en 20 ans, le fleuron de sa production militaire, l'avion de chasse Rafale : tout dernièrement au Qatar pour 24 appareils, après en avoir également vendu 24 exemplaires à l'Égypte et 36 à l'Inde. Les politiciens et les médias n'ont pas eu de mots assez forts pour exprimer leur "fierté nationale" devant un tel événement. Car il est vrai qu'à l'exception de l'armée française, cet avion n'avait, jusqu'à présent, jamais trouvé preneur. Et à quel prix ! Pratiquement cent millions d'euros l'unité ! Ceci a rebuté pas mal de pays, les amenant à se tourner vers des appareils moins onéreux comme les avions américains, suédois, russes ou européens.

Cent millions d'euros, c'est à peu près 7800 années de salaire ouvrier investies dans un seul avion au service de la guerre. On a beau savoir que ce matériel hautement technologique a toujours coûté cher, il est effarant d'imaginer de telles sommes dépensées par les États capitalistes, avec des milliers et des milliers d'heures de recherche sur les matériaux, l'électronique, la physique, la chimie pour… la guerre.

Alors que le monde capitaliste en décomposition est miné par la crise économique, l'amorce d'un désastre climatique annoncé, où chaque journal télévisé relate des centaines de morts chez des migrants tentant de fuir des pays sinistrés par des conflits armés, nous voyons des milliards d'euros ou de dollars dépensés dans cette industrie de pointe dédiée à la destruction et à la mort. Un petit rappel quand même : les ventes d'armes par la France depuis le début de l'année représentent près de 15 milliards d'euros. Au niveau mondial, le chiffre du commerce des armes se monte, lui, à près de 100 milliards d'euros, en augmentation de près de 40% depuis ces 5 dernières années. Et ces chiffres, en croissance constante, n'incluent même pas la vente des munitions, drones ou autres hélicoptères, ni les activités civiles qui couvrent en réalité des objectifs militaires.

Malgré les sommes colossales déboursées par les gouvernements, on incite chacun d'entre nous, à longueur de temps, images atroces à l'appui, à faire des dons et réagir à telle ou telle catastrophe humanitaire, à participer financièrement à telle ou telle action contre la faim dans le monde, contre le handicap, pour tel programme sanitaire d'urgence. Cela, faute de moyens pour assumer ces interventions !1 Cette aberration répond néanmoins parfaitement à la logique du capitalisme décadent : c’est une priorité absolue pour chaque État d’assurer sa survie dans l'arène mondiale faite de rivalités, d'intérêts et de concurrence impérialiste exacerbée.

Une telle contradiction, une telle hypocrisie ne peut qu'amener au dégoût, à l'indignation. Face à un raisonnement à ce point inhumain, la dénonciation du militarisme et de la guerre viennent immédiatement à l'esprit. Et, de suite, nous sommes taxés d'irresponsables, d'inconscients face à ce monde instable où "la paix doit être préservée", où la force du "bien" doit être le "rempart contre le terrorisme international" ! Ne pas cautionner cet effort guerrier, douter de ces buts, c'est être considéré comme les "complices objectifs" des terroristes eux-mêmes, être, au mieux, le pire des "indifférents". Voilà le discours moralisateur et accusateur que l'on nous sert plus ou moins explicitement. Et cela, d'autant plus facilement, en France, depuis le 7 janvier et les attentats contre Charlie Hebdo.

Et si cela ne suffisait pas, on nous vante aussi les dizaines de milliers d'emplois qui sont à la clé de cette industrie d'armement. Selon une étude du ministère de la Défense et du Conseil des industries de défense (Cidef), fin 2014 : "les exportations de défense génèrent 40 000 emplois, soit 25% de l'ensemble du secteur (165 000), qui plus est non "délocalisables" et hautement qualifiés pour la plupart.".

Aux dires de tous les idéologues patentés, de gauche comme de droite, cette industrie guerrière serait une véritable "bouffée d’oxygène" pour une économie en crise. En réalité, outre la perte sèche et le gaspillage que la production d'armement génère du point de vue du capital global, cette question de l'emploi n'est ici qu'un alibi hypocrite, une sordide feuille de vigne destinée à masquer les objectifs guerriers de l'impérialisme français.

La guerre au nom de la "paix"

Ces "efforts" d'armement, demandés depuis des lustres par le capitalisme et tous ses partis politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche, se font toujours au nom de la "paix". Avec des trémolos dans la voix, au nom de la défense de la veuve et de l'orphelin, de la sécurité de la "patrie", l'État cherche à nous enrôler grâce à un lavage de cerveau médiatique dans sa logique de concurrence et de confrontation meurtrière. Quand ce n'est pas sur le terrain économique et commercial, c'est directement sur celui du terrain armé où de jeunes gamins sont appelés avec force publicités pour servir la "paix" et trouver un "sens" à leur vie : "Pour moi, pour les autres, s'engager", "En plus d'apprendre un métier, vous apprendrez beaucoup sur vous-mêmes", "Devenez vous-même" !

Sur le plan idéologique, face à la classe ouvrière, tout est bon pour dénoncer les "vrais" fauteurs de guerre, les apprentis-sorciers dictateurs, les régimes corrompus non démocrates, etc. Les va-t'en guerre eux-mêmes ne cessent de clamer qu'ils ne veulent la guerre que pour mieux rétablir la "paix". La bourgeoisie française est la championne de ces discours humanitaires et plus particulièrement ses fractions de gauche qui sont les plus aptes à mettre en avant une idéologie "pacifiste" ou de "nobles causes" pour justifier, en définitive, l'injustifiable, comme, par exemple, sa responsabilité directe dans le génocide et les massacres au Rwanda en 1994 du temps d'un autre président socialiste nommé Mitterrand, ou les livraisons d'armes à Saddam Hussein, à Kadhafi, à l'époque où ils étaient des alliés et donc forcément "respectables".

L'hypocrisie de la bourgeoise

Depuis quelques mois, le gouvernement français de gauche, après avoir tenté de faire applaudir, dans la manifestation du 11 janvier, flics et troupes de choc suite aux attentats, s'est permis de renforcer tout son effort guerrier contre le terrorisme de l’État islamique, de Boko Haram ou assimilés. Et par la même occasion, il se permet de narguer l'impérialisme américain du fait de ses tentatives de rapprochement avec l'Iran, en signant des contrats avec le Qatar, l'Égypte ou l'Inde. Si l'intervention militaire continue au Mali, elle a aussi repris en République Centrafricaine et les livraisons d'armes s'accélèrent au Liban ou en Égypte. Le porte-avions Charles de Gaulle a été envoyé dans le Golfe persique pour des bombardements intensifs sur la Syrie. Que ce matériel serve également à permettre la répression sanglante comme en Égypte, il y a quelques mois, ne fait apparemment "ni chaud ni froid" à la gauche au pouvoir en France. Cela n'est pas nouveau : les gouvernements de gauche ont toujours été aux avant-postes des aventures guerrières et ont mis le plus grand zèle militaire à défendre les intérêts impérialistes de la nation que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Bosnie, au Kosovo, au Liban, en Libye, en Syrie et les expéditions guerrières en Afrique (au Tchad, RCA, Côte d'Ivoire, au Sahel...)

Et même quand le gouvernement français se drape d'une morale humanitaire de pacotille avec ses discours de fermeté, particulièrement adressés à d'autres pays européens ou aux États-Unis, en refusant de livrer deux bâtiments de guerre à la marine russe pour protester contre l'intervention russe en Ukraine, il ne fait que monter d’un cran les tensions impérialistes en Europe, en se mettant en avant comme acteur politique de premier plan avec lequel il faut compter.

Même s’il va lui en coûter financièrement d’assumer désormais deux navires dont personne d'autre ne veut, y compris la marine française, tout en remboursant la Russie avec les indemnités d'annulation, sa posture de fermeté par rapport à la Russie s'adresse avant tout aux autres grandes puissances concurrentes. Elle est dictée par une stratégie et un engrenage qui traduisent toute l'irrationalité du capitalisme décadent, une course folle qui ne peut qu’imposer la terreur et les destructions.

La paix des tombes

Tout cela est cohérent avec la logique de défense du capital national et la vertigineuse fuite en avant dans le militarisme, dans la domination du "chacun pour soi" lié à la concurrence impérialiste exacerbée.

François Hollande, le président qui proclamait "plus jamais ça !" lors de son investiture, a confirmé le budget militaire de 31,4 milliards prévus en 2015. Mais, cerise sur le gâteau, au nom de la "défense de la civilisation contre la barbarie", il a décidé une rallonge de 3,8 milliards d'euros jusqu'à la fin de la loi de programmation militaire en 2019.

Ainsi, tous les efforts demandés pour réduire les dépenses de fonctionnement de l’Etat face à la crise ne s’appliquent pas à la défense nationale : l’investissement militaire se renforce. L’Etat français fourbit ses armes, au sens propre et au figuré, pour faire valoir ses intérêts sur la scène mondiale, pour de nouvelles interventions armées prévisibles. Comme le dénonçait déjà Rosa Luxemburg dans sa Brochure de Junius publiée en 1916, en plein cœur de la Première Guerre mondiale : "Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment."

En fait, tout le monde capitaliste veut prétendument la "paix". Mais cette paix s'avère celle des tombes. Et cela vaut pour tous les pays, petits ou grands. Tous épousent cette même logique impérialiste. Mais les plus va-t'en-guerre sont désormais les grandes puissances "pacificatrices" : États-Unis, Chine, Grande-Bretagne, Russie et France en tête. Ils possèdent pour cela le meilleur alibi au monde : celui de la "lutte contre le terrorisme".

Stopio, 9 juin 2015

1 En sus de nous faire volontairement culpabiliser au nom du « il y a pire ailleurs » et de dévoyer la générosité et la solidarité ouvrières de la lutte de classe, vers des actions ne cherchant surtout pas à remettre en cause la source même de ces malheurs : le système capitaliste.

 

 

Situations territoriales: 

  • France [3]

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Conflits impérialistes

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Liens
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