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Revue Internationale no 82 - 3e trimestre 1995

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Aggravation de la guerre en ex-Yougoslavie : Plus les puissances parlent de paix, plus elles sèment la guerre

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La barbarie guerrière qui depuis quatre ans répand la mort, la des­truction et la misère dans l'ex-You­goslavie a connu au cours du prin­temps 1995 un nouvel enfoncement dans l'horreur. Pour la première fois les deux fronts principaux de cette guerre, en Croatie et en Bosnie, après une brève période de moindre intensité guerrière, se sont rallumés simultanément, menaçant d'entraî­ner un embrasement généralisé sans précédent. Derrière leurs dis­cours « pacifistes » et « humanitai­res », les grandes puissances, véri­tables responsables et instigateurs de la plus sanglante guerre en Europe depuis le deuxième conflit mondial, franchissent de nouvelles étapes dans leur engagement. Les deux plus importantes, par le nom­bre de soldats déjà envoyés sur place sous l'uniforme de l'ONU, la Grande-Bretagne et la France, ont entrepris d'accroître fortement leur présence, qui plus est, en consti­tuant une force militaire spéciale, la Force de réaction rapide (FRR), dont la spécificité est d'être moins dé­pendante de l'ONU et plus directe­ment sous le commandement de leurs gouvernements nationaux.

L'épais tissu de mensonges qui re­couvre l'action criminelle des princi­paux impérialismes de la planète dans cette guerre s'est encore déchi­ré un peu plus, laissant entrevoir le caractère sordide des intérêts et des motifs qui les animent.

Pour les prolétaires, en particulier en Europe, la sourde inquiétude que développe cette boucherie ne doit pas être un sujet de lamentations impuissantes, mais doit développer leur prise de conscience de la res­ponsabilité de leurs propres gouver­nements nationaux, de l'hypocrisie des discours que les classes domi­nantes entretiennent ; prise de con­science du fait que la classe ou­vrière des principaux pays indus­trialisés constitue la seule force ca­pable de mettre un terme à cette guerre, et à toutes les guerres.

Les femmes, les enfants, les vieillards qui, à Sarajevo comme dans tant d'au­tres villes en ex-Yougoslavie, sont obli­gés de se terrer dans les caves et les souterrains, sans électricité, sans eau, pour échapper à l'enfer des bombarde­ments et des « snipers », les hommes qui en Bosnie comme en Croatie ou en Serbie sont mobilisés de force pour aller risquer leur vie sur le front ont-ils quel­que raison d'espérer en apprenant l'ac­tuel afflux massif de nouveaux « soldats de la paix » vers leur pays ? Les 2 000 marines américains qui accompagnent le porte-avions Roosevelt dépêché en mai dans l'Adriatique, les 4 000 soldats français et britanniques qui ont déjà commencé à débarquer avec des tonnes de nouvelles armes en ex-Yougoslavie, viennent-ils, comme le prétendent leurs gouvernements, pour soulager les souf­frances d'une population qui a déjà connu plus de 250 000 morts et 3 mil­lions et demi de personnes « dépla­cées u pour fait de guerre ?

Les Casques bleus de l'ONU apparais­sent comme des bienfaiteurs lorsqu'ils escortent des convois de vivres pour les populations de villes assiégées, lorsqu'ils se présentent comme une force d'interposition entre belligérants. Ils ap­paraissent comme des victimes lorsque, comme récemment, ils sont pris en ota­ges par une des armées locales. Mais derrière cette apparence se cache en réalité l'action cynique des classes do­minantes des grandes puissances qui les commandent, et pour qui la population de l'ex-Yougoslavie n'est que de la chair à canon dans la guerre qui les oppose pour se partager les zones d'influence dans cette partie stratégiquement cru­ciale de l'Europe. La nouvelle aggrava­tion que vient de connaître cette guerre au cours du printemps dernier en est une flagrante illustration. L'offensive de l'armée croate commencée début mai, en Slavonie occidentale, l'offensive bosnia­que déclenchée au même moment juste à la fin de la « trêve u signée en décem­bre dernier, mais aussi la mascarade des Casques bleus pris en otages par les Serbes de Bosnie, ne sont pas des inci­dents locaux déterminés par la seule logique des combats sur place, mais des actions préparées et réalisées avec la participation active, sinon l'initiative, des grandes puissances impérialistes.

Comme nous l'avons mis en évidence tout au long des articles consacrés de­puis quatre ans dans cette revue à la guerre dans les Balkans, les cinq pays qui constituent le dit «groupe de con­tact » (Etats-Unis, Russie, Allemagne, France, Grande-Bretagne), entité suppo­sée chercher les moyens de mettre un terme à ce conflit, ont soutenu et sou­tiennent activement chacune l'un des camps en présence localement. Et l'ac­tuelle recrudescence de la guerre ne peut être comprise en dehors de la logique et de l'action de gangsters à la tête des ces puissances. C'est l'Allemagne, en pous­sant la Slovénie et la Croatie à procla­mer leur indépendance vis-à-vis de l'ancienne confédération yougoslave, qui a fait éclater ce pays et joué un rôle primordial dans le déclenchement de la guerre en 1991. Face à cette poussée de l'impérialisme allemand, ce sont les quatre autres puissances qui ont soutenu et encouragé le gouvernement de Bel­grade à mener une contre-offensive. Ce fut la première phase de la guerre, par­ticulièrement meurtrière. Elle aboutit en 1992 à ce que la Croatie vit près d'un tiers de son territoire contrôlé par les armées et les milices Serbes. La France et la Grand-Bretagne, sous couvert de l'ONU, avaient alors envoyé les plus importants contingents de Casques bleus qui, sous prétexte d'empêcher les affrontements, se sont systématiquement employés à assurer le maintien du statu quo en faveur de l'armée serbe. En 1992 le gouvernement des Etats-Unis s'est prononcé pour l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine et a soutenu le secteur musulman de cette province, dans une guerre contre l'armée croate (toujours soutenue par l'Allemagne) et l'armée serbe (soutenue par la Grande­Bretagne, la France et la Russie). En 1994, l'administration de Clinton est parvenue à imposer un accord pour la constitution d'une fédération entre la Bosnie et la Croatie contre la Serbie et, à la fin de l'année, sous l'égide de l'ex­président Carier, à obtenir la signature d'une trêve entre la Bosnie et la Serbie. Au début 1995, les principaux fronts en Croatie et en Bosnie semblent donc relativement apaisés. Et Washington ne se prive pas de présenter cet état de choses comme le triomphe de l'action pacifica­trice des puissances, en particulier de la sienne. Mais, en réalité, il ne s'agit que d'un répit partiel en vue de permettre le réarmement de la Bosnie, essentielle­ment par les Etats-Unis, préparant une contre-offensive contre les armées ser­bes. En effet, après quatre ans de guere, celles-ci, avec l'appui des Etats britan­nique, français et russe, contrôlent toujours 70 % du territoire de la Bosnie et plus du quart de celui de la Croatie. Le gouvernement de Belgrade lui-même reconnaît que son camp, qui inclut les u Républiques serbes » de Bosnie et de Croatie (Krajina), récemment a réuni­fiées o, devra reculer. Mais, malgré des négociations où l'on retrouve tous les différends entre puissances, aucun ac­cord n'est atteint. ([1] [1]) Ce qui ne peut être obtenu par la négociation, le sera donc par la force militaire. Ainsi, ce à quoi nous assistons aujourd'hui n'est rien d'autre que la suite logique, préméditée, d'une guerre où les grandes puissances n'ont cessé de jouer en sous-main un rôle prépondérant.

Et contrairement à ce qu'affirment hy­pocritement les gouvernements de cel­les-ci, qui présentent le renforcement actuel de leur piésence dans le conflit comme une action en vue de limiter la violence des nouveaux affrontements, ces derniers sont le produit direct de leur propre action guerrière.

L'invasion d'une partie de la Slavonie occidentale par la Croatie, au début du mois de mai, ainsi que la reprise des combats en divers points du front de 1 200 kilomètres qui oppose le gouver­nement de Zagreb aux Serbes de Kraji­na ; le déclenchement, au même mo­ment, d'une offensive de l'armée bosnia­que se déployant au nord de la Bosnie dans l'enclave de Bihac, dans la région du corridor serbe de Brcko et enfin au­tour de Sarajevo en vue de forcer l'ar­mée serbe à relâcher la pression sur le siège de la ville ; tout cela n'a pas été fait en dehors de la volonté des puissan­ces, encore moins contre une soi-disant volonté pacificatrice de ces dernières. Il est clair que ces actions ont été entrepri­ses avec l'accord et à l'initiative des gouvernements américain et allemand. ([2] [2])

La mascarade des otages 

La réaction du camp adverse n'est pas moins significative de l'engagement des autres puissances : la Grande-Bretagne, la France et la Russie, aux côtés de la Serbie. Mais ici les choses ont été moins apparentes. Parmi les alliés au camp serbe, seule la Russie clame ouverte­ment son engagement. La France et la Grande-Bretagne ont, par contre, jus­qu'à présent, toujours entretenu un dis­cours de a neutralité » dans le conflit. Qui plus est, en de nombreuses occa­sions, leurs gouvernements ont fait de grandes déclarations d'hostilité aux Ser­bes. Cela ne les a jamais empêchés de leur prêter main forte sur le terrain mili­taire comme sur le terrain diplomatique.

On connaît les faits : suite à l'offensive croato-bosniaque, l'armée des Serbes de Bosnie répond par une intensification des bombardements en Bosnie et plus particulièrement sur Sarajevo. L'OTAN, c'est-à-dire essentiellement le gouver­nement Clinton, effectue, en repré­sailles, deux bombardements aériens d'un dépôt de munitions près de Pale, la capitale des Serbes de Bosnie. Le gou­vernement de Pale riposte en prenant en otage 343 Casques bleus, en majorité français et britanniques, dont quelques­uns sont placés comme o boucliers hu­mains u, enchaînés prés d'objectifs mili­taires susceptibles d'être bombardés. Immédiatement une grande opération médiatique est mise en place exposant les photos de soldats enchaînés. Les gouvernements français et britannique dénoncent u l'odieuse action terroriste » contre les forces de l'ONU, et en pre­mier lieu contre les pays qui fournissent le plus grand nombre de soldats dans les rangs des Casques bleus: la France et la Grande-Bretagne. Le gouvernement serbe de Milosevic, à Belgrade, se dé­clare en désaccord avec l'action des Ser­bes de Bosnie, tout en dénonçant les bombardements de l'OTAN. Mais, rapi­dement, ce qui au départ pouvait appa­raître comme un affaiblissement de l'al­liance franco-britannique avec le camp serbe, comme une vérification dans la pratique du rôle o humanitaire u, neu­tre, non-pro-serbe des forces de l'ONU, va révéler sa réalité : celle d'une impos­ture, une de plus, qui sert aussi bien les gouvernements serbes que les alliés de la FORPRONU.

Pour les gouvernements de ces deux puissances, la prise en otage de leurs soldats a apporté deux avantages ma­jeurs pour leur action dans cette guerre. Premièrement, de façon immédiate, cela a contraint l'OTAN, c'est-à-dire les Etats-Unis à cesser tout bombardement supplémentaire sur leurs alliés serbes. Au début de la crise, le gouvernement français avait été contraint d'accepter le premier bombardement, mais il avait ouvertement exprimé une vigoureuse désapprobation du second. L'utilisation par le gouvernement serbe des otages comme boucliers, a permis de régler la question de façon immédiate. Deuxiè­mement, et surtout, la prise d'otages, présentée comme une « insupportable humiliation », a constitué un excellent prétexte pour justifier l'envoi immédiat par les deux pays de milliers de nou­veaux soldats en ex-Yougoslavie. La Grande-Bretagne, à elle seule, a an­noncé le triplement du nombre de ses soldats en mission.

Le coup a été bien monté. D'un côté, les gouvernements britannique et français, exigeant de pouvoir envoyer sur place de nouveaux renforts pour o sauver l'honneur et la dignité de nos soldats humiliés par les Serbes de Bosnie » ; de l'autre, Karadzic, chef du gouvernement de Pale, justifiant son attitude par la né­cessité de protéger ses troupes contre les bombardements de l'OTAN ; au centre, Milosevic, chef du gouvernement de Belgrade, jouant les « médiateurs ». Le résultat fut spectaculaire. Alors que de­puis des semaines les gouvernements britannique et français o menaçaient » de retirer leurs troupes de l'ex-Yougo­slavie si l'ONU ne leur accordait pas une plus grande indépendance de mou­vement et d'action (en particulier la possibilité de se regrouper a pour mieux se défendre »), ils décident d'augmenter massivement leurs effectifs sur place grâce à cette justification. ([3] [3])

Au début de la mascarade, au moment des premières prises d'otages, la presse suggéra que peut-être certains des ota­ges avaient été torturés. Quelques jours plus tard, lorsque les premiers otages français furent libérés, certains ont livré leur témoignage : «  Nous avons fait de la musculation et du tennis de table... On a visité toute la Bosnie, on s'est promenés... (Les Serbes) ne nous consi­déraient pas- comme des ennemis. » ([4] [4]) Tout aussi parlante est l'attitude conci­liante prise par le commandement fran­çais des forces de l'ONU sur place, quelques jours seulement après que le gouvernement français ait crié sur tous les toits qu'il avait donné des a consignes de fermeté » contre les Ser­bes : « Nous appliquerons strictement les principes du maintien de la paix jusqu'à nouvel avis... Nous pouvons essaver d'établir des contacts avec les Serbes de Bosnie, nous pouvons es-sa - ver d'acheminer l'aide alimentaire, nous pouvons essayer de ravitailler nos troupes. » ([5] [5]) Le journal français Le Monde s'en offusquait ouvertement : «  Tranquillement, tandis que 144 sol­dats de l'ONU étaient toujours otages des Serbes, la FORPRONU revendi­quait solennellement sa paralvsie. » Et de citer un officier de la FORPRONU : « Depuis quelques jours nous sentions une tendance au relâchement. L'émo­tion provoquée par les images des boucliers humains s'estompe, et nous craignons que nos gouvernements n'aient envie de passer l'éponge, d'évi­ter l'affrontement. »

Si les Serbes de Bosnie ne considéraient pas les o otages » français « comme des ennemis », si cet officier de la FOR­PRONU avait l'impression que les gou­vernements français et britannique avaient envie o d'éviter l'affrontement » c'est tout simplement parce que, quels que soient les dérapages qui peuvent se produire entre les troupes serbes et celles de l'ONU sur le terrain, leurs gouvernements sont alliés dans cette guerre, et parce que « l'affaire des ota­ges » n'a été qu'un chapitre de plus dans la série des mensonges et des manipula­tions auxquelles se livrent les classes dominantes pour couvrir leur oeuvre meurtrière et barbare.

La signification de la constitution de la Force de Réaction Rapide 

Le résultat principal du coup monté des otages aura été la constitution de la FRR. La définition de la fonction de cc nouveau corps militaire franco-britanni­que, supposé venir en aide aux forces de l'ONU en ex-Yougoslavie, a varié au cours des semaines où les gouverne­ments des deux puissances tutélaires se sont attachées à en faire accepter, dif­ficilement, l'existence et le financement par leurs o partenaires » au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. ([6] [6]) Mais, quels que soient les méandres des for­mulations diplomatiques employées dans ces débats d'hypocrites, ce qui est important c'est la signification profonde de cette initiative. Sa portée doit être comprise sur deux plans : la volonté des grandes puissances de renforcer leur engagement militaire dans ce conflit, d'une part ; d'autre part, la nécessité pour ces puissances de se dégager, ou du moins de prendre leurs distances par rapport au carcan que constitue, pour leur action, le cadre de la comédie «  humanitaire onusienne ».

Les bourgeoisies française et britanni­que savent que leur prétention à conti­nuer de jouer un rôle comme puissance impérialiste sur la planète, dépend, en grande mesure, de leur capacité à affir­mer leur présence dans cette zone, cru­ciale stratégiquement. Les Balkans, tout comme la zone du Moyen-Orient, constituent un enjeu majeur dans la lutte que se livrent au niveau mondial les grandes puissances. En être absent, c'est renoncer au statut de grande puissance. La réaction du gouvernement allemand, face à la constitution de la FRR, est particulièrement significative de ce souci commun à tous les principaux Etats européens : « L'Allemagne ne pourra plus longtemps demander à ses alliés français et britanniques de faire le sale boulot, tandis qu'elle se réserve les places de spectateur dans l’Adriati­que, tout en revendiquant un rôle poli­tique mondial. Elle doit aussi assumer sa part de risque. » ([7] [7]) Cette déclara­tion des milieux gouvernementaux de Bonn est particulièrement hypocrite : comme on l'a vu, lé capital allemand a, depuis le début de la guerre en ex-You­goslavie, largement pris sa part dans le « sale boulot » des grandes puissances dans cette guerre. Elle illustre de plus clairement le véritable esprit qui anime les soi-disant « pacificateurs humanitai­res » lorsqu'ils prétendent «  venir en aide » à la population civile dans les Balkans.

L'autre aspect important dans la consti­tution de la FRR est la volonté de la France et de la Grande-Bretagne de se donner les moyens d'assurer plus li­brement la défense de leurs propres in­térêts impérialistes spécifiques. Ainsi, à la fin du mois de mai, un porte-parole du ministère de la défense britannique, interrogé sur la question de savoir si la FRR serait placée sous l'égide de l'ONU, répondait que les «  renforts seraient sous le commandement de l'ONU », mais il ajoutait aussitôt : « ils dispose­ront aussi de leur propre commande­ment » ([8] [8]). Au même moment, des offi­ciers français affirmaient que ces forces auraient «  leurs propres peintures de guerre et leurs insignes », n'agiraient plus sous le Casque bleu et que leurs engins ne seraient pas obligatoirement peints en blanc. Au moment où nous écrivons, la question de savoir de quelle couleur seront les « peintures de guerre » des soldats de la FRR reste en­core dans le flou. Mais, la signification de la constitution de cette nouvelle force militaire est parfaitement claire : les grandes puissances affirment plus clai­rement qu'auparavant l'autonomie de leur action impérialiste.

Non, la population de l'ex-Yougoslavie, qui subit depuis quatre ans les horreurs de la guerre, n'a rien de positif à atten­dre de la venue de ces nouvelles « forces de la paix ». Celles-ci ne viennent que pour continuer et intensifier l'action barbare et sanguinaire que les grandes puissances y mènent depuis le début du conflit.

Vers l'extension et l'intensification de la barbarie guerrière

Tous les gouvernements en ex-Yougo­slavic se sont dès à présent engagés dans une nouvelle flambée guerrière. Izetbegovic, chef du gouvernement bosniaque, a clairement annoncé l'am­pleur de l'offensive que son armée a dé­clenchée : Sarajcvo ne doit plus passer un hiver assiégée par les armées serbes. Des experts de l'ONU ont estimé qu'une tentative de briser ce siège devrait coû­ter près de 15 000 morts aux forces bosniaques. Tout aussi clairement, le gouvernement croate a signifié que l'of­fensive en Slavonie occidentale n'était que le point de départ d'une opération qui doit s'étendre sur tout le front qui l'oppose aux Serbes de Krajina, en par­ticulier sur la côte dalmate. Quant au gouvernement des Serbes de Bosnie, il a déclaré l'état de guerre dans la zone de Sarajcvo et mobilise toute sa population. A la mi juin, alors que les diplomates américains s'attachaient à négocier une reconnaissance de la Bosnie par les gouvernements serbes, Slavisa Rakovic, un des conseillers du gouvernement de Pale, déclarait froidement qu'il était o pessimi.sle à court terme u et qu'il croyait o plus en une recrudescence de la guerre qu'en une possibilité d'abou­tissement des négociations, car l'été est idéal pour se battre. » ([9] [9])

Les Serbes de Bosnie ne se battent et ne se battront évidemment pas seuls. Les « Républiques serbes » de Bosnie et de Krajina viennent de proclamer leur uni­fication. Quant au gouvernement de Belgrade, qui est supposé appliquer un embargo sur les armes vis-à-vis des Ser­bes de Bosnie, il est connu qu'il n'en a jamais rien été et que, quelles que soient les divergences plus ou moins réelles qui peuvent exister entre les différents partis serbes au pouvoir, leur coopéra­tion militaire face aux armées croate et bosniaque sera totale. ([10] [10])

Mais les antagonismes entre le diffé­rents nationalismes de l'ex-Yougoslavie ne suffiraient pas à entretenir et déve­lopper la guerre, si les grandes puissan­ces mondiales ne les alimentaient et ne les exacerbaient, si les discours a paci­fistes » de ces dernières étaient autre chose que la couverture idéologique de leur propre politique impérialiste. Le pire ennemi de la paix en ex-Yougosla­vie n'est autre que la guerre impitoyable à laquelle se livrent les grandes puis­sances. Celles-ci trouvent toutes, à des degrés divers, un intérêt au maintien de la guerre dans les Balkans. Au delà des positions géo-stratégiques que chacune d'elles défend ou essaie de conquérir_ elles y voient d'abord et avant tout un moyen d'empêcher ou de détruire les alliances des autres puissances concur­rentes. « Dans une telle situation d'in­stabilité, il est plus facile pour chaque puissance de créer des troubles chez ses adversaires, de saboter les alliances qui lui portent ombrage, que de développer pour sa part des alliances solides et assurer une stabilité sur ses terres. »([11] [11])

Cette guerre a constitué pour le capital allemand ou français un puissant ins­trument pour briser l'alliance entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, tout comme pour saboter la structure de l'OTAN, instrument de domination du capital américain sur les anciens mem­bres du bloc occidental. Un haut fonc­tionnaire du Département d'Etat améri­cain le reconnaissait explicitement ré­cemment : « La guerre en Bosnie a créé les pires tensions dans l'OTAN depuis la crise de Suez. » (International Herald Tribune, 13.06.95). Parallèlement, pour Washington, cette guerre constitue un moyen d'entraver la consolidation de l'Union européenne autour de l'Allema­gne. Santer, le nouveau président de la commission de l'Union européenne s'en est amèrement plaint, début juin, en commentant l'évolution de la situation dans les Balkans.

L'aggravation actuelle de la barbarie guerrière en Yougoslavie est ainsi la concrétisation de l'avancée de la décom­position capitaliste telle qu'elle exacerbe tous les antagonismes entre fractions du capital, imposant le règne du « chacun pour soi » et du «  tous contre tous ».

La guerre comme facteur de prise de conscience du prolétariat

La guerre dans l'ex-Yougoslavie, consti­tue le conflit le plus sanglant en Europe depuis la dernière guerre mondiale. De­puis un demi-siècle, l'Europe, avait été épargnée par les multiples guerres entre les deux principaux camps impérialis­tes. Ces affrontements ensanglantaient les zones du  « tiers-monde », par luttes de « libération nationale » interposées. L'Europe était demeurée un « havre de paix ». La guerre en ex-Yougoslavie, en mettant fin à cette situation, revêt une importance historique majeure. Pour le prolétariat européen, la guerre est de moins en moins une réalité exotique qui se déroule à des milliers de kilomètres et dont on suit les développements sur les écrans de télévision à l'heure des re­pas.

Cette guerre n'avait jusqu'à présent que faiblement constitué un facteur de pré­occupation dans l'esprit des prolétaires des pays industrialisés d'Europe occi­dentale. Les bourgeoisies européennes ont su présenter ce conflit comme une autre guerre « éloignée », où les Etats « démocratiques » se doivent de remplir une mission «  humanitaire » et « civilisatrice », dans le but de pacifier des « ethnies » qui s'entre-tuent sans raison. Même si quatre ans d'images médiatiques manipulées n'ont pas pu cacher la réalité sordide et sauvage de la guerre, même si dans l'esprit des prolé­taires cette guerre apparaît comme une des horreurs qui se développent actuel­lement sur toute la planète, le sentiment prédominant généralement parmi les exploités a été celui d'une relative indifférence résignée. Sans enthou­siasme on s'est efforcé de croire à la réalité des discours officiels sur les «  missions humanitaires » des soldats de l'ONU et de l'OTAN.

L'évolution actuelle de ce conflit, avec le changement d'attitude auquel sont contraints les gouvernements des prin­cipales puissances impliquées va en­traîner un changement cet état d'esprit. Le fait que les gouvernements de France et de Grande-Bretagne décident d'en­voyer des milliers de nouveaux soldats sur le terrain, et que ceux-ci soient dé­sormais envoyés non plus seulement comme des représentants d'une organi­sation internationale comme l'ONU, mais comme des soldats portant l'uni­forme et le drapeau de leur patrie, est en train de donner une nouvelle dimension à la guerre et à la façon de la percevoir. La participation active des « Grands » au conflit se dévoile sous son vrai jour. Le voile « humanitaire » dont ils recouvrent leur action se déchire de plus en plus, laissant apparaître la sordide réalité des motivations impérialistes.

L'intensification actuelle de la guerre en ex-Yougoslavie se produit à un moment où les perspectives économiques mon­diales connaissent une nouvelle dégra­dation importante, annonçant de nou­velles attaques sur les conditions d'exis­tence de la classe ouvrière, en particu­lier dans les pays les plus industrialisés. Guerre et crise économique, barbarie et misère, chaos et paupérisation, plus que jamais la faillite du capitalisme, le dé­sastre qu'entraîne la survie de ce sys­tème en décomposition, mettent la classe ouvrière mondiale devant ses res­ponsabilités historiques. Dans ce contexte, la brutale accélération de la guerre en ex-Yougoslavie doit constituer un facteur supplémentaire de prise de conscience de ces responsabilités.

Il revient aux révolutionnaires de con­tribuer de toute leur énergie au proces­sus de cette prise de conscience dont ils sont un élément indispensable. Ils doi­vent en particulier mettre en évidence que la compréhension du rôle joué par les grandes puissances dans cette guerre permet de combattre le sentiment d'im­puissance que la classe dominante distille depuis le début de celle-ci. Les gouvernements des grandes puissances industrielles et militaires ne peuvent faire la guerre que parce que la classe ouvrière de leur pays le leur permet, en ne parvenant pas encore à y unifier con­sciemment ses forces contre le capital. C'est le prolétariat des grands pays in­dustrialisés qui, par son expérience historique, par le fait que la bourgeoisie n'y est pas parvenue à l'embrigader suffisamment idéologiquement pour l'envoyer à une nouvelle guerre mon­diale, qui est le seul capable de faire obstacle aux guerres et de mettre fin à la la barbarie capitaliste en général. C'est cela que l'aggravation de la guerre en ex-Yougoslavie doit rappeler aux prolé­taires.

RV, 19 juin 95



[1] [12] Il est particulièrement significatif que les négociations avec les différents gouvernements serbes sur la reconnaissance de la Bosnie, soient menées non pas par des représentants bosniaques, mais par des diplomates de Washington. Tout aussi significative de l'engagement des puissances dans cette guerre aux côtés de tel ou tel belligérant, sont les positions défendues par chacune d'entre elles à propos de cette négociation. Un des marchandages proposé au gouvernement de Milosevic est qu'il reconnaisse la Bosnie en échange d'une levée des sanctions économiques internationales qui pèsent toujours sur la Serbie. Mais lorsqu'il s'agit de définir cette levée des sanctions, on retrouve les clivages qui divisent les puissances : pour les Etats-Unis cette levée doit être entièrement conditiomielle et pouvoir être suspendue à tout moment en fonction de chaque action du gouvernement serbe ; pour la France et la Grande-Bretagne, par contre, cette levée doit être garantie pendant une période d'au moins six mois ; pour la Russie, elle doit être inconditionnelle et sans limite de temps.

[2] [13] Le 6 mars de cette année, un accord militaire a été signé entre le gouvernement de la Croatie et celui des Musulmans de Bosnie en vue de se rc défendre contre l'agresseur commun s. Cependant, cet accord entre la Croatie et la Bosnie, et parallèlement entre les Etats-Unis et l'Allemagne, pour mener une contre-offensive contre les armées serbes ne peut étre que provisoire et circonstanciel. Dans la partie de la Bosnie contrôlée par la Croatie, les deux armées se font face et à tout moment les affrontements peuvent reprendre comme ce fut le cas dans les premières années de la guerre. La situation dans la ville de Mostar, la plus importante de la région, qui fut l'objet d'affrontements particulièrement sanglants entre Croates et Musulmans, est à cet égard éloquente. Bien que supposée vivre sous un gouvernement croato-bosniaque commun, avec une présence active de représentants de IUnion européenne, la ville reste divisée en deux parties bien distinctes et les hommes musulmans, en âge de combattre, sont strictement interdits de séjour dans la partie croate. Mais par ailleurs et surtout, l'antagonisme qui oppose le capital américain au capital allemand en ex-Yougoslavie, comme dans le reste du monde, constitue la principale ligne de fracture dans les tensions inter-impérialistes depuis l'effondrement du bloc de l'Est (voir en particulier, K Tous contre tous N dans Revue internationale n° 80, 1 er trimestre 1995)

 

[3] [14] L'exigence de la France et de la Grande-Bretagne que les forces de l'ONU sur place soient regroupées afin de « mieux se défendre contre les Serbes v est, elle aussi, une manceuvre hypocrite. Loin de traduire une action contre les armées serbes, une telle mesure impliquerait l'abandon de la présence des Casques bleus dans presque toutes les enclaves encerclées par celles-ci en Bosnie (à l'exception des trois principales). Cela impliquerait leur laisser toute possibilité de s'en emparer de façon plus définitive, tout en permettant de concentrer K l'aide s des Casques bleus dans les zones les plus importantes.

[4] [15] Libération, 7.06.95

[5] [16] Le Monde, 14.0G.95

[6] [17] La discussion qui a eu lieu à ce propos entre le président français Chirac, lors de son voyage pour le sommet du G7 en juin, et le speaker de la Chambre des représentants des Etats-Unis, Newl Gingrich, fut qualifié de x directe ,u et K musclée ». Le gouvernement russe, n'en a accepté le principe qu'après avoir ouvertement marqué son opposition et sa méfiance.

[7] [18] Libération, 12.06.95

[8] [19] Libération, 31.05.95

[9] [20] Le Monde, 14.06.9 5

[10] [21] Le gouvernement de Belgrade avait obtenu un allégement de l'embargo économique international à son égard en échange de l'engagement de ne plus fournir des amies au gouvernement de Pale. Mais les salaires des officiers serbes de Bosnie sont, et ont toujours été payés par Belgrade. Celle-ci n'a jamais cessé de fournir en secret des armes aux x frères de Bosnie s et, par exemple, le système de défense radar anti-aérien des deux e Républiques » est toujours resté lié.

[11] [22] Résolution sur la situation internationale, l le congrès du CCI (publiée dans ce numéro).

 

Géographique: 

  • Europe [23]

Questions théoriques: 

  • Guerre [24]
  • Impérialisme [25]

11e Congrès du CCI : Le combat pour la défense et la construction de l'organisation

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Le CCI vient de tenir son 11e Congrès international. Dans la mesure où les organisations communistes sont une partie du prolétariat, un produit historique de celui-ci de même que partie prenante et facteur actif de son combat pour son émancipation, leur Congrès, qui représente leur instance suprême, est un fait de première importance pour la classe ouvrière. C'est pour cette raison qu'il appartient aux communistes de rendre compte de ce moment essentiel de la vie de leur organisation.

Pendant plusieurs jours, les délégations venues de 12 pays ([1] [26]) représentant plus d'un milliard et demi d'habitants et surtout les plus grandes concentrations prolétariennes du monde (Europe occidentale et Amérique du nord) ont débattu, tiré des enseigne­ments, tracé des orientations sur les ques­tions essentielles auxquelles est confrontée notre organisation. L'ordre du jour de ce congrès comprenait essentiellement deux points : les activités et le fonctionnement de notre organisation, la situation interna­tionale. ([2] [27]) Cependant, c'est de très loin le premier point qui a occupé le plus grand nombre de séances et suscité les débats les plus passionnés. Il en a été ainsi parce que le CCI a été confronté à des difficultés or­ganisationnelles de premier plan qui néces­sitaient une mobilisation toute particulière de toutes les sections et de tous les mili­tants.

Les problèmes organisationnels dans l'histoire du mouvement ouvrier...

L'expérience historique des organisations révolutionnaires du prolétariat démontre que les questions touchant à leur fonction­nement sont des questions politiques à part entière méritant la plus grande attention, la plus grande profondeur.

Les exemples de cette importance de la question organisationnelle sont nombreux dans le mouvement ouvrier mais on peut plus particulièrement évoquer celui de l'AIT (Association Internationale des Travailleurs, appelée également plus tard 1re Internationale) et celui du 2e congrès du Parti Ouvrier Social Démocrate Russe (POSDR) tenu en 1903.

L'AIT avait été fondée en septembre 1864 à Londres à l'initiative d'un certain nombre d'ouvriers anglais et français. Elle s'était donnée d'emblée une structure de centralisation, le Conseil central qui, après le congrès de Genève en 1866, s'appellera Conseil général. Au sein de cet organe, Marx va jouer un rôle de premier plan puisque c'est à lui qu'il est revenu de rédiger un grand nombre de ses textes fondamentaux comme l'Adresse inaugurale de l'AIT, ses statuts ainsi que l'Adresse sur la Commune de Paris (La guerre civile en France) de mai 1871. Rapidement, l'AIT (« L'Internationale », comme l'appelaient alors les ouvriers) est devenue une « puissance » dans les pays avancés (en premier lieu ceux d'Europe occidentale). Jusqu'à la Commune de Paris de 1871, elle a regroupé un nombre croissant d'ouvriers et a constitué un facteur de premier plan de développement des deux armes essentielles du prolétariat, son organisation et sa conscience. C'est à ce titre, d'ailleurs, qu'elle fera l'objet d'attaques de plus en plus acharnées de la part de la bourgeoisie : calomnies dans la presse, infiltration de mouchards, persécutions contre ses membres, etc. Mais ce qui a fait courir le plus grand danger à l'AIT, ce sont des attaques qui sont venues de certains de ses propres membres et qui ont porté contre le mode d'organisation de l'Internationale elle-même.

Déjà, au moment de la fondation de l'AIT, les statuts provisoires qu'elle s'est donnée sont traduits par les sections parisiennes, fortement influencées par les conceptions fédéralistes de Proudhon, dans un sens qui atténue considérablement le caractère centralisé de l'Internationale. Mais les attaques les plus dangereuses viendront plus tard avec l'entrée dans les rangs de l'AIT de l'« Alliance de la démocratie socialiste », fondée par Bakounine et qui allait trouver un terrain fertile dans des secteurs importants de l'Internationale, du fait des faiblesses qui pesaient encore sur elle et qui résultaient de l'immaturité du prolétariat à cette époque, un prolétariat qui ne s'était pas encore dégagé des vestiges de l'étape précédente de son développement.

« La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d'être à une époque où le prolétariat n'est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnent des solutions fantastiques que la masse des ouvriers n'a qu'à accepter, à propager, et à mettre en pratique. Par leur nature même, les sectes formées par ces initiateurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d'ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indifférente ou même hostile à leur propagande... Ces sectes, leviers du mouvement à leurs origines, lui font obstacle dès qu'il les dépasse ; alors elles deviennent réactionnaires... Enfin, c'est là l'enfance du mouvement prolétaire, comme l'astrologie et l'alchimie sont l'enfance de la science. Pour que la fondation de l'Internationale fut possible, il fallait que le prolétariat eût dépassé cette phase.

En face des organisations fantaisistes et antagonistes des sectes, l'Internationale est l'organisation réelle et militante de la classe des prolétaires dans tous les pays, liés les uns avec les autres, dans leur lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir de classe organisé dans l'Etat. Aussi les statuts de l'Internationale ne connaissent-ils que de simples sociétés "ouvrières" poursuivant toutes le même but et acceptant toutes le même programme qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l'élaboration théorique à l'impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique, et à l'échange des idées qui se fait, dans les sections, admettant indistinctement toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs congrès.

De même que, dans toute nouvelle phase historique, les vieilles erreurs reparaissent un instant pour disparaître bientôt après ; de même, l'Internationale a vu renaître dans son sein des sections sectaires... » (Les prétendues scissions dans l'Internationale, chapitre IV, circulaire du Conseil général du 5 mars 1872)

Cette faiblesse était particulièrement accentuée dans les secteurs les plus arriérés du prolétariat européen, là où il venait à peine de sortir de l'artisanat et de la paysannerie, notamment dans les pays latins. Ce sont ces faiblesses que Bakounine, qui n'est entré dans l'Internationale qu'en 1868, après l'échec de la « Ligue de la Paix et de la Liberté » (dont il était un des principaux animateurs et qui regroupait des républicains bourgeois), a mises à profit pour essayer de la soumettre à ses conceptions « anarchistes » et pour en prendre le contrôle. L'instrument de cette opération était l'« Alliance de la démocratie socialiste », qu'il avait fondée comme minorité de la « Ligue de la Paix et de la Liberté ». C'était une société à la fois publique et secrète et qui se proposait en réalité de former une internationale dans l'Internationale. Sa structure secrète et la concertation qu'elle permettait entre ses membres devait lui assurer le « noyautage » d'un maximum de sections de l'AIT, celles où les conceptions anarchistes avaient le plus d'écho. En soi, l'existence dans l'AIT de plusieurs courants de pensée n'était pas un problème. ([3] [28]) En revanche, les agissements de l'Alliance, qui visait à se substituer à la structure officielle de l'Internationale, ont constitué un grave facteur de désorganisation de celle-ci et lui ont fait courir un danger de mort. L'Alliance avait tenté de prendre le contrôle de l'Internationale lors du Congrès de Bâle, en septembre 1869. C'est en vue de cet objectif que ses membres, notamment Bakounine et James Guillaume, avaient appuyé chaleureusement une résolution adminitrative renforçant les pouvoirs du Conseil général. Mais ayant échoué, l'Alliance, qui pour sa part s'était donnée des statuts secrets basés sur une centralisation extrême, ([4] [29]) a commencé à faire campagne contre la « dictature » du Conseil général qu'elle voulait réduire au rôle « d'un bureau de correspondance et de statistiques » (suivant les termes des alliancistes), d'une « boîte aux lettres » (comme leur répondait Marx). Contre le principe de centralisation exprimant l'unité internationale du prolétariat, l'Alliance préconisait le « fédéralisme », la complète « autonomie des sections » et le caractère non obligatoire des décisions des congrès. En fait, elle voulait pouvoir faire ce qu'elle voulait dans les sections dont elle avait pris le contrôle. C'était la porte ouverte à la désorganisation complète de l'AIT.

C'est à ce danger que devait parer le Congrès de la Haye de 1872 qui a débattu de la question de l'Alliance sur base du rapport d'une commission d'enquête et a finalement décidé l'exclusion de Bakounine ainsi que de James Guillaume, principal responsable de la fédération jurassienne de l'AIT qui se trouvait complètement sous le contrôle de l'Alliance. Ce congrès fut à la fois le point d'orgue de l'AIT (c'est d'ailleurs le seul congrès où Marx se soit rendu, ce qui situe l'importance qu'il lui attribuait) et son chant du cygne du fait de l'écrasement de la Commune de Paris et de la démoralisation qu'il avait provoquée dans le prolétariat. De cette réalité, Marx et Engels étaient conscients. C'est pour cela que, en plus des mesures visant à soustraire l'AIT de la main mise de l'Alliance, ils ont proposé que le Conseil général soit installé à New-York, loin des conflits qui divisaient de plus en plus l'Internationale. C'était aussi un moyen de permettre à l'AIT de mourir de sa belle mort (entérinée par la conférence de Philadelphie de juillet 1876) sans que son prestige ne soit récupéré par les intrigants bakouninistes.

Ces derniers, et les anarchistes ont par la suite perpétué cette légende, prétendaient que Marx et le Conseil général ont obtenu l'exclusion de Bakounine et Guillaume à cause des différences dans la façon d'envisager la question de l'Etat ([5] [30]) (quand ils n'ont pas expliqué le conflit entre Marx et Bakounine par des questions de personnalité). En somme, Marx aurait voulu régler par des mesures administratives un désaccord portant sur des questions théoriques générales. Rien n'est plus faux.

Ainsi, au Congrès de la Haye, aucune mesure n'a été requise contre les membres de la délégation espagnole qui partageaient la vision de Bakounine, qui avaient appartenu à l'Alliance, mais qui ont assuré ne plus en faire partie. De même, l'AIT « anti-autoritaire » qui s'est formée après le congrès de la Haye avec les fédérations qui ont refusé ses décisions, n'était pas constituée des seuls anarchistes puisqu'on y a retrouvé, à côté de ces derniers, des lassaliens allemands grands défenseurs du « socialisme d'Etat » suivant les propres termes de Marx. En réalité, la véritable lutte au sein de l'AIT était entre ceux qui préconisaient l'unité du mouvement ouvrier (et par conséquent le caractère obligatoire des décisions des congrès) et ceux qui revendiquaient le droit de faire ce que bon leur semblait, chacun dans son coin, condidérant les congrès comme de simples assemblées où l'on devait se contenter « d'échanger des points de vue » mais sans prendre de décisions. Avec ce mode d'organisation informel, il revenait à l'Alliance d'assurer, de façon secrète, la véritable centralisation entre toutes les fédérations, comme il était d'ailleurs explicitement dit dans nombre de correspondances de Bakounine. La mise en oeuvre des conceptions « anti-autoritaires » dans l'AIT constituait le meilleur moyen de la livrer aux intrigues, au pouvoir occulte et incontrôlé de l'Alliance, c'est-à-dire des aventuriers qui la dirigeaient.

Le 2e congrès du POSDR allait être l'occasion d'un affrontement similaire entre les tenants d'une conception prolétarienne de l'organisation révolutionnaire et les tenants d'une conception petite bourgeoise.

Il existe des ressemblances entre la situation du mouvement ouvrier en Europe occidentale du temps de l'AIT et celle du mouvement en Russie au début du siècle. Dans les deux cas nous nous trouvons à une étape d'enfance de celui-ci, le décalage dans le temps s'expliquant par le retard du développement industriel de la Russie. L'AIT avait eu comme vocation de rassembler au sein d'une organisation unie les différentes sociétés ouvrières que le développement du prolétariat faisait surgir. De même, le 2e congrès du POSDR avait comme objectif de réaliser une unification des différents comités, groupes et cercles se réclamant de la Social-Démocratie qui s'étaient développés en Russie et en exil. Entre ces différentes formations, il n'existait pratiquement aucun lien formel après la disparition du comité central qui était sorti du 1er congrès du POSDR en 1897. Dans le 2e congrès, comme dans l'AIT, on a vu donc s'affronter une conception de l'organisation représentant le passé du mouvement, celle des « mencheviks » (minoritaires) et une conception exprimant ses nouvelles exigences, celle des « bolcheviks » (majoritaires) :

  • « Sous le nom de "minorité" se sont groupés dans le Parti, des éléments hétérogènes qu'unit le désir conscient ou non, de maintenir les rapports de cercle, les formes d'organisation antérieures au Parti. Certains militants éminents des anciens cercles les plus influents, n'ayant pas l'habitude des restrictions en matière d'organisation, que l'on doit s'imposer en raison de la discipline du Parti, sont enclins à confondre machinalement les intérêts généraux du Parti et leurs intérêts de cercle qui, effectivement, dans la période des cercles, pouvaient coïncider. » (Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière)

D'une façon qui s'est confirmée par la suite (déjà lors de la révolution de 1905 et encore plus, bien entendu, au moment de la révolution de 1917, où les mencheviks se sont placés du côté de la bourgeoisie), la démarche des mencheviks était déterminée par la pénétration, dans la Social-Démocratie russe, de l'influence des idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises. En particulier, comme le note Lénine : « Le gros de l'opposition [les mencheviks] a été formé par les éléments intellectuels de notre Parti » qui ont donc constitué un des véhicules des conceptions petites bourgeoises en matière d'organisation. De ce fait, ces éléments « ... lèvent naturellement l'étendard de la révolte contre les restrictions indispensables qu'exige l'organisation, et ils érigent leur anarchisme spontané en principe de lutte, qualifiant à tort cet anarchisme... de revendication en faveur de la "tolérance", etc. » (Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière). Et, de fait, il existe beaucoup de similitudes entre le comportement des mencheviks et celui des anarchistes dans l'AIT (à plusieurs reprises, Lénine parle de « l'anarchisme de grand seigneur » des mencheviks).

C'est ainsi que, comme les anarchistes après le congrès de La Haye, les mencheviks se refusent à reconnaître et à appliquer les décisions du 2e congrès en affirmant que « le congrès n'est pas une divinité » et que « ses décisions ne sont pas sacro-saintes ». En particulier, de la même façon que les bakouninistes entrent en guerre contre le principe de centralisation et la « dictature du conseil général » après qu'ils aient échoué à en prendre le contrôle, une des raisons pour lesquelles les mencheviks, après le congrès, commencent à rejeter la centralisation réside dans le fait que certains d'entre eux ont été écartés des organes centraux qui ont été nommés à celui-ci. On retrouve des ressemblances même dans la façon dont les mencheviks mènent campagne contre la « dictature personnelle » de Lénine, sa « poigne de fer » qui fait écho aux accusations de Bakounine contre la « dictature » de Marx sur le Conseil général.
« Lorsque je considère la conduite des amis de Martov après le congrès, (...) je puis dire seulement que c'est là une tentative insensée, indigne de membres du Parti, de déchirer le Parti... Et pourquoi ? Uniquement parce qu'on est mécontent de la composition des organismes centraux, car objectivement, c'est uniquement cette question qui nous a séparés, les appréciations subjectives (comme offense, insulte, expulsion, mise à l'écart, flétrissure, etc.) n'étant que le fruit d'un amour-propre blessé et d'une imagination malade. Cette imagination malade et cet amour-propre blessé mènent tout droit aux commérages les plus honteux : sans avoir pris connaissance de l'activité des nouveaux centres, ni les avoir encore vus à l'oeuvre, on va répandant des bruits sur leur "carence", sur le "gant de fer" d'Ivan Ivanovitch, sur la "poigne" d'Ivan Nikiforovitch, etc. (...) Il reste à la social-démocratie russe une dernière et difficile étape à franchir, de l'esprit de cercle à l'esprit de parti ; de la mentalité petite-bourgeoise à la conscience de son devoir révolutionnaire ; des commérages et de la pression des cercles, considérés comme moyens d'action, à la discipline. » (« Relation du 2e Congrès du POSDR », Oeuvres, Tome 7)

Avec l'exemple de l'AIT et celui du 2e congrès du POSDR, ont peut voir toute l'importance des questions liées au mode d'organisation des formations révolutionnaires. En effet, c'est autour de ces questions qu'allait se produire en premier lieu une décantation décisive entre, d'un côté, le courant prolétarien et, de l'autre, les courants petits-bourgeois ou bourgeois. Cette importance n'est pas fortuite. Elle découle du fait qu'un des canaux privilégiés par lesquels s'infiltrent au sein de ces formations les idéologies des classes étrangères au prolétariat, bourgeoisie et petite bourgeoisie, est justement celui de leur mode de fonctionnement.

L'histoire du mouvement ouvrier est riche d'autres exemples de ce type. Si nous n'avons évoqué ici que ces deux-là, c'est évidemment pour une question de place mais aussi parce qu'il existe des similitudes importantes, comme nous le verrons plus loin, entre les circonstances historiques de la constitution de l'AIT, du POSDR et du CCI lui-même.

... et dans l'histoire du CCI

Le CCI a déjà été conduit à plusieurs reprises à se pencher avec attention sur ce type de question. Ce fut le cas, par exemple, lors de sa conférence de fondation, en janvier 1975, où il avait examiné la question de la centralisation internationale (voir le « Rapport sur la question de l'organisation de notre courant », Revue internationale n° 1). Un an après, au moment de son premier congrès, notre organisation est revenue là-dessus avec l'adoption de statuts (voir l'article « Les statuts des organisations révolutionnaires du prolétariat », Revue internationale n° 5). Enfin, le CCI, en janvier 1982, a consacré une conférence internationale extraordinaire à cette question suite à la crise qu'il avait traversée en 1981. ([6] [31]) Face à la classe ouvrière et au milieu politique prolétarien, le CCI ne s'était pas caché des difficultés qu'il avait rencontrées au début des années 1980. C'est ainsi qu'en parlait la résolution adoptée par le 5e Congrès et citée par la Revue internationale n° 35 :

  • « Depuis son 4e Congrès (1981), le CCI a connu la crise la plus grave de son exis­tence. Une crise qui, au delà des péripéties particulières de "l'affaire Chénier" ([7] [32]), a secoué profondément l'organisation, lui a fait frôler l'éclatement, a provoqué directe­ment ou indirectement le départ d'une qua­rantaine de ses membres, a réduit de moitié les effectifs de sa deuxième section terri­toriale. Une crise qui s'est traduite par tout un aveuglement, une désorientation comme le CCI n'en avait pas connue depuis sa création. Une crise qui a nécessité, pour être dépassée, la mobilisation de moyens exceptionnels : la tenue d'une Conférence Internationale extraordinaire, la discussion et l'adoption de textes d'orientation de base sur la fonction et le fonctionnement de l'organisation révolutionnaire, l'adoption de nouveaux statuts. »

Une telle attitude de transparence à l'égard des difficultés que rencontrait notre organi­sation ne correspondait nullement à un quelconque « exhibitionnisme » de notre part. L'expérience des organisations com­munistes est partie intégrante de l'expé­rience de la classe ouvrière. C'est pour cela qu'un grand révolutionnaire comme Lénine a pu consacrer tout un livre, Un pas en avant, deux pas en arrière, à tirer les leçons politiques du 2e Congrès du POSDR. C'est pour cela également que nous portons ici à la connaissance de nos lecteurs de larges extraits de la résolution adoptée à l'issue de notre 11e Congrès. En rendant compte de sa vie organisationnelle, le CCI ne fait donc pas autre chose qu'assumer sa responsabilité face à la classe ouvrière.

Evidemment, la mise en évidence par les organisations révolutionnaires de leurs problèmes et discussions internes constituent un plat de choix pour toutes les tentatives de dénigrement dont celles-ci font l'objet de la part de leurs adversaires. C'est le cas aussi et particulièrement pour le CCI. Certes, ce n'est pas dans la presse bourgeoise que l'on trouve des manifestations de jubilation lorsque nous faisons état des difficultés que notre organisation peut rencontrer aujourd'hui, celle-ci est encore trop modeste en taille et en influence parmi les masses ouvrières pour que les officines de propagande bourgeoise aient intérêt a parler d'elle pour essayer de la discréditer. Il est préférable pour la bourgeoisie de faire un mur de silence autour des positions et de l'existence des organisations révolutionnaires. C'est pour cela que le travail de dénigrement de celles-ci et de sabotage de leur intervention est pris en charge par toute une série de groupes et d'éléments parasitaires dont la fonction est d'éloigner des positions de classe les éléments qui s'approchent de celles-ci, de les dégoûter de toute participation au travail difficile de développement d'un milieu politique prolétarien.

L'ensemble des groupes communistes a été confronté aux méfaits du parasitisme, mais il revient au CCI, parce que c'est aujourd'hui l'organisation la plus importante du milieu prolétarien, de faire l'objet d'une attention toute particulière de la part de la mouvance parasitaire. Dans celle-ci on trouve des groupes constitués tels le « Groupe Communiste Internationaliste » (GCI) et ses scissions (comme « Contre le Courant »), le défunt « Communist Bulletin Group » (CBG) ou l'ex-« Fraction Externe du CCI » qui ont tous été constitués de scissions du CCI. Mais le parasitisme ne se limite pas à de tels groupes. Il est véhiculé par des éléments inorganisés, ou qui se retrouvent de temps à autre dans des cercles de discussion éphémères, dont la préoccupation principale consiste à faire circuler toutes sortes de commérages à propos de notre organisation. Ces éléments sont souvent d'anciens militants qui, cédant à la pression de l'idéologie petite-bourgeoise, n'ont pas eu la force de maintenir leur engagement dans l'organisation, qui ont été frustrés que celle-ci n'ait pas « reconnu leurs mérites » à la hauteur de l'idée qu'ils s'en faisaient eux-mêmes ou qui n'ont pas supporté les critiques dont ils ont été l'objet. Il s'agit également d'anciens sympathisants que l'organisation n'a pas voulu intégrer parce qu'elle jugeait qu'ils n'avaient pas la clarté suffisante ou qui ont renoncé à s'engager par crainte de perdre leur « individualité » dans un cadre collectif (c'est le cas, par exemple du défunt « collectif Alptraum » au Mexique ou de « Kamunist Kranti » en Inde). Dans tous les cas, il s'agit d'éléments dont la frustration résultant de leur propre manque de courage, de leur veulerie et de leur impuissance s'est convertie en une hostilité systématique envers l'organisation. Ces éléments sont évidemment absolument incapables de construire quoi que ce soit. En revanche, ils sont souvent très efficaces, avec leur petite agitation et leurs bavardages de concierges pour discréditer et détruire ce que l'organisation tente de construire.

Cependant, ce ne sont pas les grenouillages du parasitisme qui vont empêcher le CCI de faire connaître à l'ensemble du milieu prolétarien les enseignements de sa propre expérience. En 1904, Lénine écrivait, dans la préface de Un pas en avant, deux pas en arrière :

  • « Ils [nos adversaires] exultent et grimacent à la vue de nos discussions ; évidemment, ils s'efforceront, pour les faire servir à leurs fins, de brandir tels passages de ma brochure consacrés aux défauts et aux lacunes de notre Parti. Les social-démocrates russes sont déjà suffisamment rompus aux batailles pour ne pas se laisser troubler par ces coups d'épingle, pour poursuivre, en dépit de tout, leur travail d'autocritique et continuer à dévoiler sans ménagement leurs propres lacunes qui seront comblées nécessairement et sans faute par la croissance du mouvement ouvrier. Que messieurs nos adversaires essaient donc de nous offrir, de la situation véritable de leurs propres "partis", une image qui ressemblerait même de loin à celle que présentent les procès-verbaux de notre deuxième congrès ! » (Oeuvres, Tome 7, page 216)

C'est exactement avec le même état d'esprit que nous portons ici à la connaissance de nos lecteurs de larges extraits de la résolution adoptée à l'issue de notre 11e Congrès. Ce n'est pas une manifestation de faiblesse du CCI mais, au contraire, un témoignage de sa force.

Les problèmes affrontés par le CCI dans la dernière période

« Le 11e congrès du CCI l'affirme donc clairement : le CCI se trouvait dans une situation de crise latente, une crise bien plus profonde que celle qui a frappé l'orga­nisation au début des années 80, une crise qui, si la racine des faiblesses n'avait pas été identifiée, risquait d'emporter l'organi­sation. » (Résolution d'activités, point 1)
« Les causes de la gravité du mal qui ris­quait d'engloutir l'organisation sont multi­ples, mais on peut en mettre en évidence les principales :

- le fait que la conférence extraordinaire de janvier 82, destinée à remonter la pente après la crise de 1981, ne soit pas allée jusqu'au bout de l'analyse des faiblesses qui affectaient le CCI ;

- plus encore, le fait que le CCI n'ait pas pleinement intégré les acquis de cette conférence elle-même (...) ;

- le renforcement de la pression destructrice que la décomposition du capitalisme fait peser sur la classe et sur ses organisa­tions communistes.

En ce sens, la seule façon dont le CCI pou­vait affronter efficacement le danger mortel qui le menaçait consistait :

- dans l'identification de l'importance de ce danger (...) ;

- dans une mobilisation de l'ensemble du CCI, des militants, des sections et des or­ganes centraux autour de la priorité de la défense de l'organisation ;

- dans la réappropriation des acquis de la conférence de 1982 ;

- dans un approfondissement de ces acquis, sur la base du cadre qu'ils avaient donné. » (Ibid, point 2)

Le combat pour le redressement du CCI a débuté à l'automne 1993 par la mise en dis­cussion dans toute l'organisation d'un texte d'orientation qui rappelait et actualisait les enseignements de 1982 tout en se penchant sur l'origine historique de nos faiblesses. Au centre de notre démarche se trouvaient donc les préoccupations suivantes : la réappro­priation des acquis de notre propre orga­nisation et de l'ensemble du mouvement ouvrier, la continuité avec les combats de celui-ci et particulièrement de sa lutte con­tre la pénétration en son sein des idéologies étrangères, bourgeoises et petites-bourgeoi­ses.

  • « Le cadre de compréhension que s'est donné le CCI pour mettre à nu l'origine de ses faiblesses s'inscrivait dans le combat historique mené par le marxisme contre les influences de l'idéologie petite-bourgeoise pesant sur les organisations du prolétariat. Plus précisément, il se référait au combat du Conseil général de l'AIT contre l'action de Bakounine et de ses fidèles, ainsi que de celui de Lénine et des bolcheviks contre les conceptions opportunistes et anarchisantes des mencheviks lors du 2e congrès du POSDR et à la suite de celui-ci. En parti­culier, il importait pour l'organisation d'inscrire au centre de ses préoccupations, comme l'ont fait les bolcheviks à partir de 1903, la lutte contre l'esprit de cercle et pour l'esprit de parti. Cette priorité du combat était donnée par la nature des faiblesses qui pesaient sur le CCI du fait de son origine dans les cercles apparus dans la foulée de la reprise historique du prolé­tariat à la fin des années 1960 ; des cercles fortement marqués par le poids des con­ceptions affinitaires, contestataires, indi­vidualistes, en un mot des conceptions anarchisantes, particulièrement marquées par les révoltes étudiantes qui ont accom­pagné et pollué la reprise prolétarienne. C'est en ce sens que le constat du poids particulièrement fort de l'esprit de cercle dans nos origines était partie prenante de l'analyse générale élaborée depuis long­temps et qui situait la base de nos faiblesses dans la rupture organique des organisa­tions communistes du fait de la contre-révolution qui s'était abattue sur la classe ouvrière à partir de la fin des années 1920. Cependant, ce constat nous permettait d'aller plus loin que les constats précédents et de nous attaquer plus en profondeur à la racine de nos difficultés. Il nous permettait en particulier de comprendre le phénomène, déjà constaté dans le passé mais insuf­fisamment élucidé, de la formation de clans au sein de l'organisation : ces clans étaient en réalité le résultat du pourrissement de l'esprit de cercle qui se maintenait bien au-delà de la période où les cercles avaient constitué une étape incontournable de la reformation de l'avant-garde communiste. Ce faisant, les clans devenaient, à leur tour, un facteur actif et le meilleur garant du maintien massif de l'esprit de cercle dans l'organisation. » (Ibid, point 4)

Ici, la résolution fait référence à un point du texte d'orientation de l'automne 1993 qui met en évidence la question suivante :

  • « En effet, un des graves dangers qui mena­cent en permanence l'organisation, qui remettent en cause son unité et risquent de la détruire, est la constitution, même si elle n'est pas délibérée ou consciente, de "clans". Dans une dynamique de clan, les démarches communes ne partent pas d'un réel accord politique mais de liens d'amitié, de fidélité, de la convergence d'intérêts "personnels" spécifiques ou de frustrations partagées. Souvent, une telle dynamique, dans la mesure où elle ne se fonde pas sur une réelle convergence politique, s'accompagne de l'existence de "gourous", de "chefs de bande", garants de l'unité du clan, et qui peuvent tirer leur pouvoir soit d'un charisme particulier, pouvant même étouffer les capacités politiques et de jugement d'autres militants, soit du fait qu'ils sont présentés, ou qu'ils se présentent, comme des "victimes" de telle ou telle politique de l'organisation. Lorsqu'une telle dynamique apparaît, les membres ou sympathisants du clan ne se déterminent plus, dans leur comportement ou les décisions qu'ils prennent, en fonction d'un choix conscient et raisonné basé sur les intérêts généraux de l'organisation, mais en fonction du point de vue et des intérêts du clan qui tendent à se poser comme contradictoires avec ceux du reste de l'organisation. »

Cette analyse se basait sur des précédents historiques dans le mouvement ouvrier (par exemple, l'attitude des anciens rédacteurs de l'Iskra, regroupés autour de Martov et qui, mécontents des décisions du 2e congrès du POSDR, avaient formé la fraction des mencheviks) mais aussi sur des précédents dans l'histoire du CCI. Nous ne pouvons entrer en détail dans celle-ci mais nous pouvons affirmer que les « tendances » qu'a connues le CCI (celle qui allait scissionner en 1978 pour former le « Groupe Communiste Internationaliste », la « tendance Chénier » en 1981, la « tendance » qui a quitté le CCI lors de son 6e Congrès pour former la « Fraction Externe du CCI ») correspondaient bien plus à des dynamiques de clan qu'à de réelles tendances basées sur une orientation positive alternative. En effet, le moteur principal de ces « tendances » n'était pas constitué par les divergences que leurs membres pouvaient avoir avec les orien­tations de l'organisation (ces divergences étaient on ne peut plus hétéroclites, comme l'a démontré la trajectoire ultérieure des « tendances ») mais par un rassemblement des mécontentements et des frustrations contre les organes centraux et par les fidé­lités personnelles envers des éléments qui se considéraient comme « persécutés » ou insuffisamment reconnus.

Le redressement du CCI

Si l'existence de clans dans l'organisation n'avait plus le même caractère spectaculaire que par le passé, il n'en continuait pas moins à miner sourdement mais dramatiquement le tissu organisationnel. En particulier, l'ensemble du CCI (y compris les militants directement impliqués) a mis en évidence qu'il était confronté à un clan occupant une place de premier plan dans l'organisation et qui, même s'il n'était pas un simple « produit organique des faiblesses du CCI », avait « concentré et cristallisé un grand nombre des caractéristiques délétères qui affectaient l'organisation et dont le dénominateur commun était l'anarchisme (vision de l'organisation comme somme d'individus, approche psychologisante et affinitaire des rapports politiques entre militants et des questions de fonctionnement, mépris ou hostilité envers les conceptions politiques marxistes en matière d'organisation) » (Résolution d'activités, point 5)

C'est pour cela que :

  • « La compréhension par le CCI du phé­nomène des clans et de leur rôle particu­lièrement destructeur lui a permis en parti­culier de mettre le doigt sur un grand nom­bre des dysfonctionnements qui affectaient la plupart des sections territoriales (...). Elle lui a permis également de comprendre les origines de la perte, signalée par le rapport d'activités du 10e congrès, de "l'esprit de regroupement" qui caractérisait les premières années du CCI... » (Ibid, point 5)

Finalement, après plusieurs jours de débats très animés, avec une profonde implication de toutes les délégations et une très grande unité entre elles, le 11e Congrès du CCI a pu parvenir aux conclusions suivantes :

  • « ... le congrès constate le succès global du combat engagé par le CCI à l'automne 1993 (...) le redressement, quelquefois spectaculaire, des sections parmi les plus touchées par les difficultés organisation­nelles en 1993 (...), les approfondissements provenant de nombreuses parties du CCI (...), tous ces faits confirment la pleine validité du combat engagé, de sa méthode, de ses bases théoriques aussi bien que de ses aspects concrets (...) Le Congrès souligne en particulier les approfondissements réalisés par l'organisation dans la com­préhension de toute une série de questions auxquelles se sont confrontées et se con­frontent les organisations de la classe : avancées dans la connaissance du combat de Marx et du Conseil général contre l'Alliance, du combat de Lénine et des bolcheviks contre les mencheviks, du phéno­mène de l'aventurisme politique dans le mouvement ouvrier (représentés notamment par les figures de Bakounine et de Las­salle), porté par des éléments déclassés, ne travaillant pas à priori pour les services de l'Etat capitaliste, mais finalement plus dan­gereux que les agents infiltrés de celui-ci. » (Ibid, point 10)
    « Sur base de ces éléments, le 11e Congrès constate donc que le CCI est aujourd'hui bien plus fort qu'il n'était au précédent congrès, qu'il est incomparablement mieux armé pour affronter ses responsabilités face aux futurs surgissements de la classe, même si, évidemment, il est encore en convales­cence » (Ibid, point 11)

Ce constat de l'issue positive du combat mené par l'organisation depuis l'automne 1993 n'a cependant créé aucun sentiment d'euphorie dans le Congrès. Le CCI a appris à se méfier des emballements qui sont bien plus tributaires de la pénétration dans les rangs communistes de l'impatience petite-bourgeoise que d'une démarche proléta­rienne. Le combat mené par les organisa­tions et les militants communistes est un combat à long terme, patient, souvent obs­cur, et le véritable enthousiasme qui habite les militants ne se mesure pas à des envo­lées euphoriques mais à la capacité de tenir, contre vents et marées, à résister face à la pression délétère que l'idéologie de la classe ennemie fait peser sur leurs têtes. C'est pour cela que le constat du succès qui a couronné le combat de notre organisation au cours de la dernière période ne nous a conduits à nul triomphalisme :

  • « Cela ne signifie pas que le combat que nous avons mené soit appelé à cesser. (...) Le CCI devra le poursuivre à travers une vigilance de chaque instant, la détermina­tion d'identifier chaque faiblesse et de l'affronter sans attendre. (...) En réalité, l'histoire du mouvement ouvrier, y compris celle du CCI, nous enseigne, et le débat nous l'a amplement confirmé, que le combat pour la défense de l'organisation est per­manent, sans répit. En particulier, le CCI doit garder en tête que le combat mené par les bolcheviks pour l'esprit de parti contre l'esprit de cercle s'est poursuivi durant de longues années. Il en sera de même pour notre organisation qui devra veiller à débusquer et éliminer toute démoralisation, tout sentiment d'impuissance résultant de la longueur du combat. » (Ibid, point 13)

Avant de conclure cette partie sur les questions d'organisation qui ont été discutées lors du congrès, il importe de préciser que les débats menés par le CCI durant un an et demi n'ont donné lieu à aucune scission (contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, lors du 6e congrès, ou en 1981). Il en est ainsi parce que, d'emblée, l'organisation s'est retrouvée en accord avec le cadre théorique qui avait été donné pour la compréhension des difficultés qu'elle rencontrait. L'absence de divergences sur ce cadre a permis que ne se cristallise pas une quelconque « tendance » ou même une quelconque « minorité » théorisant ses particularités. Pour une grande part, les discussions ont porté sur comment il convenait de concrétiser ce cadre dans le fonctionnement quotidien du CCI tout en conservant le souci permanent de rattacher ces concrétisations à l'expérience historique du mouvement ouvrier. Le fait qu'il n'y ait pas eu de scission est un témoignage de la force du CCI, de sa plus grande maturité, de la volonté manifestée par la très grande majorité de ses militants de mener résolument le combat pour sa défense, pour assainir  son tissu organisationnel, pour dépasser l'esprit de cercle et toutes les conceptions anarchisantes considérant l'organisation comme une somme d'individus ou de petits groupes affinitaires.

Les perspectives de la situation internationale

L'organisation communiste, évidemment, n'existe pas pour elle-même. Elle n'est pas spectateur mais acteur des luttes de la classe ouvrière et sa défense intransigeante vise justement à lui permettre de tenir son rôle. C'est avec cet objectif que le Congrès a consacré une partie de ses débats à l'examen de la situation internationale. Il a discuté et adopté plusieurs rapports sur cette question ainsi qu'une résolution qui en fait la syn­thèse et qui est publiée dans ce même numéro de la Revue Internationale. C'est pour cela que nous ne nous étendrons pas sur cet aspect des travaux du congrès. Nous nous contenterons d'évoquer ici, et de façon brève, uniquement le dernier des trois aspects de la situation internationale (évolution de la crise économique, conflits impérialistes et rapports de force entre les classes) qui ont été discutés au congrès.

Cette résolution l'affirme clairement :

  • « Plus que jamais, la lutte du prolétariat représente le seul espoir d'avenir pour la société humaine. » (point 14)

Cependant, le Congrès a confirmé ce que le CCI avait annoncé dès l'automne 1989 :

  • « Cette lutte, qui avait ressurgi avec puis­sance à la fin des années 1960, mettant un terme à la plus terrible contre-révolution qu'aie connue la classe ouvrière, a subi un recul considérable avec l'effondrement des régimes staliniens, les campagnes idéolo­giques qui l'ont accompagné et l'ensemble des événements (guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, etc.) qui l'ont suivi. » (Ibid)

Et c'est principalement pour cette raison qu'aujourd'hui :

  • « C'est de façon sinueuse, avec des avan­cées et des reculs, dans un mouvement en dents de scie que se développent les luttes ouvrières. » (Ibid)

Cependant, la bourgeoisie sait très bien que l'aggravation de ses attaques contre la classe ouvrière ne pourra qu'impulser de nouveaux combats de plus en plus conscients. Elle s'y prépare en développant toute une série de manœuvres syndicales de même qu'en con­fiant à certains de ses agents le soin de re­nouer avec des discours encensant la « révo­lution », le « communisme » ou le « marxis­me ». C'est pour cela que :

  • « Il appartient aux révolutionnaires, dans leur intervention, de dénoncer avec la plus grande vigueur aussi bien les manoeuvres crapuleuses des syndicats que ces discours prétendument "révolutionnaires". Il leur revient de mettre en avant la véritable perspective de la révolution prolétarienne et du communisme comme seule issue pouvant sauver l'humanité et comme résultat ultime des combats ouvriers. » (point 17)

Après avoir reconstitué et rassemblé ses forces, le CCI est à nouveau prêt, à la suite de son 11e Congrès, pour assumer cette responsabilité.


[1] [33]. Allemagne, Belgique, Etats-Unis, Espagne, France, Grande-Bretagne, Inde, Italie, Mexique, Pays-Bas, Suède, Venezuela.
 [2] [34]. Il était également prévu un point sur l'examen du milieu politique prolétarien qui constitue une préoccupation permanente de notre organisation. Faute de temps, il a dû être supprimé mais cela ne signifie nullement que nous relâchions notre atten­tion sur cette question. Bien au contraire : c'est en ayant surmonté nos propres difficultés orga­nisa­tionnelles que nous pourrons apporter notre meilleure contribution au développement de l'ensemble du milieu prolétarien.
[3] [35]. « Les sections de la classe ouvrière dans les di­vers pays se trouvant placées dans des conditions diverses de développement, il s'ensuit nécessaire­ment que leurs opinions théoriques, qui reflètent le mouvement réel, sont aussi divergentes. Cepen­dant, la communauté d'action établie par l'Association internationale des travailleurs, l'échange des idées facilité par la publicité faite par les organes des différentes sections nationales, enfin les discussions directes aux congrès généraux, ne manqueront pas d'engendrer graduellement un programme théorique com­mun. » (Réponse du Conseil général à la demande d'adhésion de l'Alliance, 9 mars 1869). Il faut noter que l'Alliance avait déposé une première demande d'adhésion avec des statuts où il était prévu qu'elle se dotait d'une structure internationale parallèle à celle de l'AIT (avec un comité central et la tenue d'un congrès dans un local séparé lors des congrès de l'AIT). Le Conseil général avait refusé cette de­mande en faisant valoir que les statuts de l'Alliance étaient contraires à ceux de l'AIT. Il avait précisé qu'il était prêt à admettre les différentes sections de l'Alliance si celle-ci renonçait à sa structure interna­tionale. L'Alliance avait accepté cette condition mais elle s'était maintenue conformément à ses statuts se­crets.
[4] [36]. Dans un appel « Aux officiers de l'armée russe », Bakounine vante les mérites de l'organisation secrète « qui trouve sa force dans sa discipline, dans la dévotion et l'abnégation passionnées de ses mem­bres et dans l'obéissance aveugle à un Comité unique qui connaît tout et n'est connu de per­sonne ».
[5] [37]. Les anarchistes plaident pour l'abolition immédi­ate de l'Etat dès le lendemain de la révolution. C'est une pétition de principe : le marxisme a mis en évi­dence que l'Etat se maintiendra, sous des formes évidemment différentes de celles de l'Etat capitaliste, jusqu'à la disparition complète des classes sociales.
[6] [38]. Voir à ce sujet les articles « La crise du milieu révolutionnaire », « Rapport sur la structure et le fonctionnement de l'organisation des révolution­naires » et « Présentation du 5e Congrès du CCI » respectivement dans les numéros 28, 33 et 35 de la Revue internationale.
[7] [39]. Chénier, exploitant le manque de vigi­lance de notre organisation, était devenu membre de notre section en France en 1978. A partir de 1980, il avait entrepris tout un travail souterrain visant à la destruction de notre organisation. Pour ce faire, il avait exploité très habilement aussi bien le manque de rigueur organisationnelle du CCI que les tensions existant dans la section en Grande-Bretagne. Cette situation avait conduit à la formation de deux clans antagonistes dans cette section, bloquant son travail et aboutissant à la perte de la moitié de celle-ci ainsi qu'à la démission de nombreux militants dans d'autres sections. Chénier avait été exclu du CCI en septembre 81 et nous avions publié dans la presse un communiqué mettant en garde le milieu politique prolétarien contre cet élément « trouble et louche ». Peu après, Chénier a débuté une carrière dans le syndicalisme, le Parti Socialiste et l'appareil d'Etat pour lequel il travaillait, très probablement, depuis longtemps.

 

Vie du CCI: 

  • Défense de l'organisation [40]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [41]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [42]

11e congrès du CCI : Résolution sur la situation internationale

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1) La reconnaissance par les communistes du caractère historiquement limité du mode de production capitaliste, de la crise irré­versible dans laquelle ce système est plongé aujourd'hui, constitue la base de granit sur laquelle se fonde la perspective révolution­naire du combat du prolétariat. En ce sens, toutes les tentatives, comme celles que l'on voit à l'heure actuelle, de la part de la bour­geoisie et de ses agents pour accréditer que l'économie mondiale « sort de la crise » ou que certaines économies nationales « émergentes » pourront pren­dre le relais des vieux secteurs économiques essoufflés, constituent une attaque en règle contre la conscience prolétarienne.

2) Les discours officiels sur la « reprise » font grand cas de l'évolution des indices de la production industrielle ou du re­dresse­ment des profits des entreprises. Si effecti­vement, en particulier dans les pays anglo-saxons, on a assisté récem­ment à de tels phénomènes, il importe de mettre en évi­dence les bases sur lesquelles ils se fon­dent :

- le retour des profits découle bien souvent, notamment pour beaucoup de grandes en­treprises, des bénéfices spéculatifs ; il a comme contrepartie une nouvelle flambée des déficits publics ; il résulte enfin de l'élimination par les entreprises des « branches mortes », c'est-à-dire de leurs secteurs les moins productifs ;

- le progrès de la production industrielle ré­sulte pour une bonne partie d'une augmen­tation très importante de la pro­ductivité du travail basée sur une utilisation mas­sive de l'automatisation et de l'informati­que.

C'est pour ces raisons qu'une des caractéris­tiques majeures de la « reprise » actuelle, c'est qu'elle n'a pas été capable de créer des emplois, de faire reculer le chômage de fa­çon significa­tive de même que le travail précaire qui, au contraire, n'a fait que s'étendre, car le capital veille en perma­nence à garder les mains libres pour pouvoir jeter à la rue, à tout instant, la force du tra­vail excédentaire.

3) S'il constitue avant tout une attaque con­tre la classe ou­vrière, un facteur brutal de développement de la misère et de l'exclu­sion, le chômage constitue aussi un indice de premier plan de la faillite du capita­lisme. Le capital vit de l'exploitation du tra­vail vivant : au même titre que la mise au rebut de pans entiers de l'appareil indus­triel, et plus encore, la mise sur la touche d'une proportion considérable de la force de travail constitue une réelle automutilation de la part du capital. Il rend compte de la faillite définitive du mode de production capitaliste dont la fonction historique était juste­ment d'étendre le salariat à l'échelle mondiale. Cette faillite définitive du capi­talisme, elle s'illustre également dans l'en­dettement dramatique des Etats qui a connu, au cours des dernières années, une nouvelle flambée : entre 1989 et 1994, la dette publique est passée de 53% à 65% du produit in­térieur brut aux Etats-Unis, de 57% à 73% en Europe jusqu'à atteindre 142% dans le cas de la Belgique. En fait, les Etats capitalistes sont en cessation de paiement. S'ils étaient soumis aux mêmes lois que les entreprises privées, ils seraient déjà déclarés officiellement en faillite. Cette situation ne fait qu'exprimer le fait que le capitalisme d'Etat constitue la ré­ponse que le système oppose à son impasse, mais une réponse qui n'est en aucune façon une solution et qui ne peut servir éternelle­ment.

4) Les taux de croissance, quelques fois à deux chiffres, des fameuses « économies émergentes » ne viennent nullement con­tredire le constat de faillite générale de l'économie mon­diale. Ils résultent d'une ar­rivée massive de capitaux attirés par le coût incroyablement bas de la force de travail dans ces pays, d'une exploitation féroce des prolétaires, de ce que la bourgeoisie pudi­quement appelle les « délocalisations ». Cela signifie que ce développement éco­nomique ne peut qu'affecter la production des pays les plus avancés, dont les Etats, de façon croissante, se dressent contre les « pratiques commer­ciales déloyales » de ces pays « émergents ». En outre, les per­formances spectaculaires qu'on se plaît à y relever recouvrent bien souvent un déla­brement de secteurs entiers de l'économie de ces pays : le « miracle économique » de la Chine signifie plus de 250 millions de chômeurs en l'an 2000. Enfin, le récent ef­fondrement financier d'un autre pays « exemplaire », le Mexique, dont la mon­naie a perdu la moitié de sa valeur du jour au lendemain, qui a nécessité l'injection d'urgence de près de 50 milliards de $ de crédits (de très loin la plus grande opération de « sauvetage » de l'histoire du capi­ta­lisme) résume la réalité du mirage que constitue « l'émergence » de certains pays du tiers-monde. Les économies « émergentes » ne sont pas la nouvelle es­pérance de l'économie mondiale. Elles ne sont que des manifestations, aussi fragiles qu'aberrantes, d'un système en folie. Et cette réalité ne sera pas contredite par la situation des pays d'Europe de l'Est, dont l'économie était sensée, il y a peu en­core, s'épanouir au soleil du libéralisme. Si quelques pays (comme la Pologne) réussissent pour le moment à sauver les meubles, le chaos qui déferle sur l'économie de la Russie (chute de près de 30% de la production sur 2 ans, plus de 2000% de hausse des prix sur cette même période) vient illus­trer de façon sai­sissante à quel point les discours qu'on avait entendus en 1989 étaient mensongers. L'état de l'économie russe est tellement catastro­phique, que la Mafia qui en contrôle une bonne partie des rouages, fait figure, non pas de parasite comme c'est le cas dans cer­tains pays occiden­taux, mais comme un des piliers lui assurant un minimum de stabi­lité.

5) Enfin, l'état de faillite potentielle dans lequel se trouve le capitalisme, le fait qu'il ne peut vivre éternellement en tirant des traites sur l'avenir, en essayant de contour­ner la satura­tion générale et définitive des marchés par une fuite en avant dans l'endet­tement, fait peser des menaces de plus en plus fortes sur l'ensemble du système fi­nancier mondial. L'émoi provoqué par la faillite de la banque britannique Barings suite aux acrobaties d'un « golden boy », l'affolement qui a suivi l'annonce de la crise du peso mexicain, sans commune mesure avec le poids de l'économie du Mexique dans l'économie mondiale, sont des indices indiscutable de la véri­table angoisse qui étreint la classe dominante devant la pers­pective d'une « véritable catastrophe mon­diale » de ses finances, suivant les mots du directeur du FMI. Mais cette catastrophe fi­nancière n'est pas autre chose que le révéla­teur de la catastrophe dans laquelle est plongé le mode de produc­tion capitaliste lui-même et qui précipite le monde entier dans les convulsions les plus considérables de son histoire.

6) Le terrain sur lequel se manifestent le plus cruellement ces convulsions est celui des affrontements impérialistes. Cinq ans à peine se sont écoulés depuis l'effondrement du bloc de l'Est, depuis les promesses d'un « nouvel ordre mondial » tenues par les di­rigeants des principaux pays d'Occident, et jamais le désordre des relations entre Etats n'a été aussi fla­grant. S'il était basé sur la menace d'un affrontement terri­fiant entre superpuissances nucléaires, si ces deux su­perpuis­sances n'avaient de cesse de s'af­fronter par pays interposés, « l'ordre de Yalta » contenait un certain élément « d'ordre », justement. En l'absence de possibilité d'une nouvelle guerre mondiale du fait du non embrigadement du prolétariat des pays centraux, les deux gendarmes du monde veillaient à maintenir dans un cadre « acceptable » les affrontements im­péria­listes. Il leur fallait notamment éviter qu'ils ne viennent semer le chaos et les destruc­tions dans les pays avancés et particulière­ment sur le terrain principal des deux guer­res mondiales, l'Europe. Cet édifice a volé en éclats. Avec les af­frontements sanglants dans l'ex-Yougoslavie, l'Europe a cessé d'être un « sanctuaire ». En même temps, ces affrontements ont mis en évidence combien était désormais difficile que se mette en place un nouvel « équilibre », un nouveau « partage du monde » succédant à celui de Yalta.

7) Si l'effondrement du bloc de l'Est était pour une bonne part imprévisible, la dispa­rition de son rival de l'Ouest ne l'était nul­lement. Il fallait ne rien comprendre au marxisme (et admettre la thèse kautskyste, balayée par les révolutionnaires dès la première guerre mondiale, d'un « super-im­périalisme ») pour penser qu'il pourrait se main­tenir un seul bloc. Fondamentalement, toutes les bourgeoisies sont rivales les unes des autres. Cela se voit clairement dans le domaine commercial où domine « la guerre de tous contre tous ». Les alliances diplo­matiques et militaires ne sont que la con­crétisation du fait qu'aucune bourgeoisie ne peut faire prévaloir ses intérêts stratégiques seule dans son coin contre toutes les autres. L'adversaire commun est le seul ciment de telles alliances, et non une quelconque « amitié entre les peu­ples » dont on peut voir aujourd'hui à quel point elles sont élas­tiques et mensongères alors que les ennemis d'hier (comme la Russie et les Etats-Unis) se sont découvert une soudaine « amitié » et que les amitiés de plusieurs décennies (comme celle entre l'Allemagne et les Etats-Unis) font place à la brouille. En ce sens, si les événements de 1989 signifiaient la fin du partage du monde issu de la seconde guerre mon­diale, la Russie cessant défini­tivement de pouvoir diriger un bloc impé­rialiste, ils portaient avec eux la tendance à la re­constitution de nouvelles constella­tions impérialistes. Cependant, si sa puis­sance économique et sa localisation géogra­phique désignaient l'Allemagne comme seul pays pou­vant succéder à la Russie dans le rôle de leader d'un éventuel futur bloc op­posé aux Etats-Unis, sa situation militaire est très loin de lui permettre dès à présent de réaliser une telle ambition. Et en l'ab­sence d'une formule de rechange des ali­gnements impérialistes pouvant succéder à ceux qui ont été balayés par les boulever­sements de 1989, l'arène mondiale est soumise comme jamais par le passé, du fait de la gravité sans précédent de la crise éco­nomique qui attise les tensions mili­taires, au déchaînement du « chacun pour soi », d'un chaos que vient aggraver encore la dé­composition générale du mode de produc­tion capitaliste.

8) Ainsi la situation résultant de la fin des deux blocs de la « guerre froide » est domi­née par deux tendances contradic­toires - d'un côté, le désordre, l'instabilité dans les alliances entre Etats et de l'autre le proces­sus de reconstitution de deux nouveaux blocs - mais qui sont néanmoins complé­mentaires puisque la deuxième ne vient qu'aggraver la première. L'histoire de ces dernières années l'illustre de façon claire :

- la crise et la guerre du Golfe de 90-91, voulues par les Etats-Unis, participent de la tentative du gendarme améri­cain de maintenir sa tutelle sur ses anciens alliés de la guerre froide, tutelle que ces der­niers sont conduits à remet­tre en cause avec la fin de la menace soviétique ;

- la guerre en Yougoslavie est le résultat di­rect de l'affirmation des nouvelles ambi­tions de l'Allemagne prin­cipal instigateur de la sécession slovène et croate qui met le feu aux poudres dans la région ;

- la poursuite de cette guerre sème la dis­corde aussi bien dans le couple franco-al­lemand, associé dans le leadership de l'Union européenne (qui constitue une première pierre de l'édifice d'un potentiel nouveau bloc impérialiste), que dans le couple anglo-américain, le plus ancien et le plus fidèle que le 20e siècle ait connu.

9) Plus encore que les coups de bec entre le coq français et l'aigle allemand, l'ampleur des infidélités actuelles dans le mariage vieux de 80 ans entre la Blanche Albion et l'oncle Sam constitue un indice irréfutable de l'état de chaos dans lequel se trouve au­jourd'hui le système des relations interna­tionales. Si, après 1989, la bourgeoisie bri­tannique s'était montrée dans un premier temps la plus fidèle alliée de sa consoeur américaine, notamment au moment de la guerre du Golfe, le peu d'avantages qu'elle avait retiré de cette fidélité de même que la défense de ses intérêts spécifiques en Médi­terranée et dans les Balkans, qui lui dictait une politique pro-Serbe, l'ont conduite à prendre des distances consi­dérables avec son alliée et à saboter systématiquement la politique américaine de soutien à la Bosnie. Avec cette poli­tique, la bourgeoisie bri­tannique a réussi à mettre en oeuvre une solide alliance tactique avec la bourgeoisie française avec comme objectif de renforcer la discorde dans le tandem franco-allemand, démarche à laquelle cette dernière s'est complaisamment prêtée dans la mesure où la montée en puis­sance de son alliée alle­mande lui crée des inquiétudes. Cette si­tuation nouvelle s'est notamment concréti­sée par une inten­sification de la collabora­tion militaire entre les bourgeoisies britan­nique et française, par exemple avec le projet de créa­tion d'une unité aérienne commune et surtout avec l'accord créant une force inter-africaine « de maintien de la paix et de prévention des crises en Afri­que » qui constitue un revirement spectacu­laire de l'attitude britannique après son soutien à la politique américaine au Rwan­da visant à chasser l'influence française dans ce pays.

10) Cette évolution de l'attitude de la Grande-Bretagne envers son grand allié, dont le mécontentement s'est exprimé no­tamment le 17 mars à travers l'accueil par Clinton de Jerry Addams, le chef du Sinn Fein irlandais, est un des événe­ments ma­jeurs de la dernière période sur l'arène mondiale. Il est révélateur de l'échec que représente pour les Etats-Unis l'évolution de la situation dans l'ex-Yougoslavie où l'occu­pation directe du terrain par les armées bri­tanniques et françaises sous l'uniforme de la FORPRONU a contribué grandement à dé­jouer les tentatives américaines de prendre position solidement dans la région via son allié bosniaque. Il est significatif du fait que la première puissance mondiale éprouve de plus en plus de difficultés à jouer son rôle de gen­darme du monde, rôle que suppor­tent de moins en moins les autres bour­geoisies qui tentent d'exorciser le passé où la menace soviétique les obligeait à se sou­mettre aux diktats venus de Washington. Il existe aujourd'hui un affaiblissement ma­jeur, voire une crise du leadership améri­cain qui se con­firme un peu partout dans le monde et dont le départ piteux des GI's de Somalie, 2 ans après leur arrivée spectacu­laire et médiatique, donne une image. Cet affaiblissement du leader­ship des Etats-Unis permet d'expliquer pourquoi certaines autres puissances se permettent de venir les narguer dans leur pré-carré d'Amérique la­tine :

- tentative des bourgeoisies française et es­pagnole de pro­mouvoir une « transition démocratique » à Cuba AVEC Castro, et non SANS lui, comme le voudrait l'Oncle Sam ;

- rapprochement de la bourgeoisie péru­vienne avec le Japon, confirmée avec la réélection récente de Fujimori ;

- soutien de la bourgeoisie européenne, no­tamment par le biais de l'Eglise, à la guérilla zapatiste du Chiapas, au Mexi­que.

11) En réalité, cet affaiblissement majeur du leadership américain exprime le fait que la tendance dominante, à l'heure actuelle, n'est pas tant celle à la constitution d'un nou­veau bloc, mais bien le « chacun pour soi ». Pour la première puissance mondiale, dotée d'une supériorité militaire écra­sante, il est beaucoup plus difficile de maîtriser une situation marquée par l'instabilité géné­ralisée, la précarité des alliances dans tous les coins de la planète, que par la disci­pline obligée des Etats sous la menace des mastodontes impérialistes et de l'apocalypse nucléaire. Dans une telle situation d'insta­bilité, il est plus facile pour chaque puis­sance de créer des troubles chez ses adver­saires, de saboter les alliances qui lui por­tent ombrage, que de développer pour sa part des alliances solides et s'assurer une stabilité sur ses ter­res. Une telle situation favorise évidemment le jeu des puis­sances de second plan dans la mesure même où il est toujours plus facile de semer le trouble que de maintenir l'ordre. Et une telle réalité est encore accentuée par la plongée de la so­ciété capitaliste dans la décomposition gé­néralisée. C'est pour cela que les Etats-Unis eux-mêmes sont appelés à user abon­dam­ment de ce type de politique. C'est comme cela qu'on peut expliquer, par exemple, le soutien américain à la récente offensive tur­que contre les nationalistes kurdes dans le Nord de l'Irak, offensive que l'allié tradi­tionnel de la Turquie, l'Allemagne a consi­dérée comme une provocation et a con­damnée. Il ne s'agit pas d'une sorte de « renversement d'alliance » entre la Turquie et l'Allemagne, mais d'une pierre (de grosse taille) jetée par les Etats-Unis dans le jardin de cette « alliance » et qui révèle l'impor­tance de l'enjeu que représente pour les deux caïds impérialistes un pays comme la Turquie. De même, il est significatif de la situation mon­diale actuelle que les Etats-Unis soient amenés à employer, dans un pays comme l'Algérie par exemple, les mê­mes armes qu'un Khaddafi ou un Khomei­ny : le soutien du terrorisme et de l'inté­grisme islamique. Cela dit, dans cette prati­que ré­ciproque de déstabilisation des posi­tions respectives entre les Etats-Unis et les autres pays, il n'y a pas un trait d'égalité : si la diplomatie américaine peut se permettre d'intervenir dans le jeu politique intérieur de pays comme l'Italie (soutien à Ber­lusconi), l'Espagne (scandale du GAL attisé par Washington), la Belgique (affaire Au­gusta) ou la Grande-Bretagne (opposition des « euro-sceptiques » à Major), le con­traire ne saurait exister. En ce sens, le trouble qui peut se manifester au sein de la bourgeoisie américaine face à ses échecs diplomatiques ou aux débats internes sur des choix stratégiques délicats (par exemple vis-à-vis de l'alliance avec la Russie) n'a rien à voir avec les convulsions politiques pou­vant affecter les autres pays. C'est ainsi, par exemple, que les dissensions étalées lors de l'envoi de 30 000 GI's à Haïti rele­vaient non de réelles divisions mais essen­tiellement d'un partage des tâches entre cli­ques bourgeoises accentuant les illusions démocratiques et qui a facilité l'arrivée d'une ma­jorité républicaine au Congrès américain souhaitée par les secteurs domi­nants de la bourgeoisie.

12) Malgré leur énorme supériorité mili­taire et le fait que celle-ci ne puisse pas leur servir au même degré que par le passé, malgré qu'ils soient obligés de réduire quel­que peu leurs dépenses de défense face à leurs déficits budgétaires, les Etats-Unis n'en renoncent pas moins à poursuivre la modernisation de leurs armements en fai­sant appel à des armes toujours plus so­phistiquées, notamment en poursuivant le projet de « la guerre des étoiles ». L'emploi de la force brute, ou sa menace, constitue le moyen essentiel pour la puissance améri­caine de faire respecter son autorité (même si elle ne se prive pas d'employer les moyens de la guerre économique : pressions sur les institutions internationales comme l'OMC, sanctions commerciales, etc.). Que cette carte s'avère impuissante, voire facteur d'un chaos plus grand encore, comme on l'a vu dès le lendemain de la guerre du Golfe et comme la Somalie l'a illustré encore ré­cemment, ne fait que confirmer le caractère insurmontable des contra­dictions qui as­saillent le monde capitaliste. Le renforce­ment considérable auquel on assiste au­jourd'hui du potentiel mili­taire de puissan­ces comme la Chine et le Japon, qui vien­nent concurrencer les Etats-Unis dans l'Asie du sud-est et dans le Pacifique, ne peut évi­demment que pousser ce dernier pays vers le développement et l'emploi de ses arme­ments.

13) Le chaos sanglant dans les rapports im­périalistes qui  caractérise la situation du monde d'aujourd'hui, trouve dans les pays de la périphérie son terrain de prédilection, mais l'exemple de l'ex-Yougoslavie à quel­ques centaines de kilo­mètres des grandes concentrations industrielles d'Europe fait la preuve que ce chaos se rapproche des pays centraux. Aux dizaines de milliers de morts provoqués par les troubles en Algérie ces dernières années, au million de cadavres des mas­sacres du Rwanda font pièce les centaines de milliers de tuées en Croatie et en Bosnie. En fait, c'est aujourd'hui par di­zaines que se comptent les zones d'affron­tements sanglants de par le monde en Afri­que, en Asie, en Amérique latine, en Eu­rope, témoignant de l'indicible chaos que le capitalisme en décom­position engendre dans la société. En ce sens, la complicité a peu près générale qui entoure les massacres perpétrés en Tchétchénie par l'armée russe, qui tente de freiner l'éclatement de la Rus­sie faisant suite à la dislocation de l'an­cienne URSS, sont révélateurs de l'inquié­tude qui saisit la classe dominante devant la perspective de l'intensification  de ce chaos. Il faut l'affirmer clairement : seul le renver­sement du capitalisme par le prolétariat peut empêcher que ce chaos croissant n'aboutisse à la destruction de l'humanité.

14) Plus que jamais, la lutte du prolétariat représente le seul espoir d'avenir pour la société humaine. Cette lutte, qui avait re­surgi avec puissance à la fin des années 60, mettant un terme à la plus terrible contre-révolution qu'ai connue la classe ouvrière, a subi un recul considérable avec l'effondre­ment des régimes staliniens, les campagnes idéologiques qui l'ont accompagné et l'en­semble des événe­ments (guerre du Golfe, guerre en Yougoslavie, etc.) qui l'ont suivi. C'est sur les deux plans de sa combativité et de sa conscience que la classe ouvrière a subi, de façon massive, ce recul, sans que cela remette en cause toutefois, comme le CCI l'avait déjà affirmé à ce moment-là, le cours historique vers les affrontements de classe. Les luttes menées au cours des der­nières années par le prolétariat sont venues confirmer ce qui précède. Elles ont témoi­gné, particulièrement depuis 1992, de la ca­pacité du prolétariat à reprendre le chemin du combat de classe, confirmant ainsi que le cours historique n'avait pas été renversé. Elles ont témoigné aussi des énormes diffi­cultés qu'il rencontre sur ce chemin, du fait de la pro­fondeur et de l'extension de son recul. C'est de façon sinueuse, avec des avancées et des reculs, dans un mouve­ment en dents de scie que se développent les lut­tes ouvrières.

15) Les mouvements massifs en Italie, à l'automne 1992, ceux en Allemagne de 1993 et beaucoup d'autres exemples ont rendu compte du potentiel de combativité qui croissait dans les rangs ouvriers. Depuis, cette combativité s'est ex­primée lentement, avec de longs moments de mise en som­meil, mais elle ne s'est pas démentie. Les mobilisations mas­sives à l'automne 94 en Italie, la série de grèves dans le secteur public en France au printemps 95, sont des manifes­tations, parmi d'autres, de cette combativité. Cependant, il importe de met­tre en évidence que le tendance vers le dé­bor­dement des syndicats qui s'était expri­mée en 92 en Italie ne s'est pas confirmée, bien au contraire, en 1994 où la manifes­ta­tion « monstre » de Rome était un chef d'oeuvre de contrôle syndical. De même, la tendance à l'unification spontanée, dans la rue, qui était apparue (bien que de façon embryonnaire) à l'automne 93 dans la Ruhr en Allemagne a, depuis, laissé la place à des manoeuvres syndi­cales de grande en­vergure, telle la « grève » de la métallurgie du début 95, parfaitement maîtrisées par la bourgeoisie. De même, les récentes grèves en France, en fait des journées d'action des syndicats, ont constitué un succès pour ces derniers.

16) Outre de la profondeur du recul subi en 1989, les diffi­cultés qu'éprouve aujourd'hui la classe ouvrière pour avancer sur son ter­rain sont le résultat de toute une série d'obs­tacles supplémentaires promus ou exploités par la classe ennemie. C'est dans le cadre du poids négatif qu'exerce la décomposi­tion générale du capitalisme sur les con­sciences ouvrières, sapant la confiance du prolétariat en lui-même et dans la perspec­tive de sa lutte, qu'il importe de placer ces difficultés. Plus concrètement, le chômage massif et permanent qui se développe au­jourd'hui, s'il est un signe indiscutable de la faillite du capitalisme, a pour effet majeur de provoquer une forte démoralisation, un fort désespoir dans des secteurs im­portants de la classe ouvrière dont certains sont plongés dans l'exclusion sociale et même la lumpenisation. Ce chômage a également pour effet de servir d'instrument de chan­tage et de répression de la bourgeoisie en­vers les secteurs ouvriers qui ont encore du travail. De même, les discours sur la « reprise », et les quelques résultats positifs (en termes de profits et de taux de crois­sance) que connaît l'économie des princi­paux pays, sont amplement mis à profit pour développer les dis­cours des syndicats sur le thème : « les patrons peuvent payer ». Ces discours sont particulièrement dange­reux en ce sens qu'ils amplifient les illu­sions réformistes des ouvriers, les rendant beaucoup plus vulnérables à l'encadrement syndi­cal, qu'ils contiennent l'idée qui si les patrons « ne peuvent pas payer », il ne sert à rien de lutter ce qui est un facteur supplé­mentaire de division (outre la division entre chômeurs et ou­vriers au travail) entre les différents secteurs de la classe ou­vrière travaillant dans des branches affectées de façon inégale par les effets de la crise.

17) Ces obstacles ont favorisé la reprise en main par les syn­dicats de la combativité ouvrière, la canalisant dans des « actions » qu'ils contrôlent entièrement. Cependant, les ma­noeuvres présentes des syndicats ont aussi, et surtout, un but préventif : il s'agit pour eux de renforcer leur emprise sur les ouvriers avant que ne se déploie beaucoup plus leur combati­vité, combativité qui ré­sultera nécessairement de leur colère crois­sante face aux attaques de plus en plus bru­tales de la crise. De même, il faut souligner le changement récent dans un certain nom­bre de discours de la classe dominante. Alors que les premières années après l'ef­fondrement du bloc de l'Est ont été domi­nées par les campagnes sur le thème de « la mort du communisme », « l'impossibilité de la révolution », on assiste aujourd'hui à un certain retour à la mode de discours favo­rables au « marxisme », à la « révolution », au « communisme » de la part des gauchis­tes, évidemment, mais même au-delà d'eux. Il s'agit là aussi d'une mesure préventive de la part de la bourgeoisie destinée à dévoyer la réflexion de la classe ouvrière qui tendra à se développer face à la faillite de plus en plus évidente du mode de production capi­taliste. Il appartient aux révolutionnaires, dans leur intervention, de dénoncer avec la plus grande vigueur aussi bien les manoeu­vres crapuleuses des syndicats que ces dis­cours prétendument « révolutionnaires ». Il leur revient de mettre en avant la véri­table perspective de la révolution prolétarienne et du com­munisme comme seule issue pou­vant sauver l'humanité et comme résultat ultime des combats ouvriers

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [43]

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [41]

REVOLUTION ALLEMANDE (II) : les débuts de la révolution

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Dans le dernier article de la Revue Interna­tionale, nous avons démontré que la riposte de la classe ouvrière se fit de plus en plus forte au fur et à mesure du développement de la 1re guerre mondiale. Début 1917 - après deux ans et demi de barbarie -, la classe ouvrière parvenait à développer au niveau international un rapport de forces permettant de soumettre de plus en plus la bourgeoisie à sa pression. En février 1917, les ouvriers de Russie se soulevaient et ren­versaient le tsar. Mais pour mettre un terme à la guerre ils durent déposer le gouverne­ment bourgeois et prendre le pouvoir en oc­tobre 1917. La Russie avait démontré que l'établissement de la paix était impossible sans le renversement de la classe dominante. La prise de pouvoir victorieuse devait con­naître un puissant retentissement dans la classe ouvrière des autres pays. Pour la première fois dans l'histoire, la classe ou­vrière était parvenue à s'emparer du pouvoir dans un pays. Cela devait être un fanal pour les ouvriers des autres pays, en particulier d'Autriche, de Hongrie, de toute l'Europe Centrale, mais principalement d'Allemagne.

Ainsi, dans ce pays, après la vague de pa­triotisme chauvin initiale, la classe ouvrière lutte de façon croissante contre la guerre. Aiguillonnée par le développement révolu­tionnaire en Russie et faisant suite à plu­sieurs mouvements avant-coureurs, une grève de masse éclate en avril 1917. En janvier 1918 environ un million d'ouvriers se jettent dans un nouveau mouvement de grève et fondent un conseil ouvrier à Berlin. Sous l'influence des événements de Russie la combativité sur les fronts militaires s'ef­frite de plus en plus au cours de l'été 1918. Les usines bouillonnent ; de plus en plus d'ouvriers s'assemblent dans les rues afin d'intensifier la riposte à la guerre. La classe dominante d'Allemagne, consciente du rayonnement de la révolution russe parmi les ouvriers, s'évertue - dans le but de sauver sa propre peau - à élever un rempart contre l'extension de la révolution.

Tirant la leçon des événements révolution­naires en Russie et confrontée à un excep­tionnel mouvement de luttes ouvrières, l'ar­mée contraint fin septembre le Kaiser à l'abdication et investit un nouveau gouver­nement. Mais la combativité de la classe ou­vrière reste sur sa lancée et l'agitation conti­nue sans trêve.

Le 28 octobre débute en Autriche, dans les provinces tchèques et slovaques comme à Budapest, une vague de grèves qui conduit au renversement de la monarchie. Partout apparaissent des conseils ouvriers et de sol­dats, à l'image des soviets russes.

En Allemagne, la classe dominante, mais aussi les révolutionnaires, se préparent dé­sormais à la phase déterminante des affron­tements. Les révolutionnaires préparent le soulèvement. Bien que la plupart des diri­geants spartakistes (Liebknecht, Luxemburg, Jogiches) se trouvent en prison et bien que, durant quelque temps, l'imprimerie illégale du parti se trouve paralysée par un coup de filet de la police, les révolutionnaires n'en continuent pas moins de préparer l'insurrec­tion autour du groupe Spartakus.

Début octobre les Spartakistes tiennent une conférence avec les Linksradikale de Brême et d'autres villes. Au cours de cette confé­rence on signale le début des affrontements révolutionnaires ouverts et un appel est adopté et largement diffusé à travers tout le pays ainsi que sur le front. Ses principales idées sont : les soldats ont commencé à se libérer de leur joug, l'armée s'effondre ; mais ce premier élan de la révolution trouve la contre-révolution à son poste. Les moyens de répression de la classe dominante faisant dé­faillance, la contre-révolution cherche à en­diguer le mouvement en accordant les pseu­do-droits « démocratiques ». Le parlemen­tarisme et le nouveau mode de scrutin ont pour but d'amener le prolétariat à continuer à supporter sa situation.

« Au cours de la discussion sur la situation internationale fut exprimé le fait que la ré­volution russe a apporté au mouvement en Allemagne un soutien moral essentiel. Les délégués décident de transmettre aux cama­rades de Russie l'expression de leur grati­tude, de leur solidarité et de leur sympathie fraternelle et promettent de confirmer cette solidarité non par des paroles, mais par des actions correspondant au modèle russe.

Il s'agit pour nous de soutenir par tous les moyens les mutineries des soldats, de passer à l'insurrection armée, d'élargir l'insurrec­tion armée à la lutte pour tout le pouvoir au profit des ouvriers et des soldats et d'assu­rer la victoire grâce aux grèves de masses des ouvriers. Voilà la tâche des tout pro­chains jours et semaines à venir. »

Dés le début de ces affrontements révolu­tionnaires, nous pouvons affirmer que les Spartakistes percent aussitôt à jour les ma­noeuvres politiques de la classe dominante. Ils mettent à nu le caractère mensonger de la démocratie et reconnaissent sans hésitation les pas indispensables à l'avancée du mou­vement : préparer l'insurrection c'est soutenir la classe ouvrière en Russie non seulement en paroles mais aussi en actes. Ils compren­nent que la solidarité de la classe ouvrière dans cette nouvelle situation ne peut se limi­ter à des déclarations mais nécessite que les ouvriers eux-mêmes entrent en lutte. Cette leçon constitue depuis lors un fil rouge dans l'histoire du mouvement ouvrier et de ses luttes.

La bourgeoisie elle aussi fourbit ses armes. Le 3 octobre 1918, elle dépose le Kaiser pour le remplacer par un nouveau prince, Max von Baden et fait entrer le SPD au gouvernement.

La direction du SPD (parti fondé au siècle précédent par la classe ouvrière elle-même) avait trahi en 1914 et avait exclu les inter­nationalistes regroupés autour des Spartakis­tes et des Linksradikale ainsi que les Cen­tristes. Le SPD ne recèle depuis lors plus aucune vie prolétarienne en son sein. Il sou­tient depuis le début de la guerre la politi­que impérialiste. Il va également agir contre le soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière.

Pour la première fois, la bourgeoisie appelle au gouvernement un parti issu de la classe ouvrière et récemment passé dans le camp du Capital afin d'assurer, dans cette situation révolutionnaire, la protection de l'Etat capi­taliste. Alors que de nombreux ouvriers en­tretiennent encore des illusions, les révolu­tionnaires comprennent immédiatement le rôle nouvellement échu à la social-démocra­tie. Rosa Luxemburg écrit en octobre 1918 : « Le socialisme de gouvernement, par son entrée au ministère, se pose en défenseur du capitalisme et barre le chemin à la révolu­tion prolétarienne montante. »

A partir de janvier 1918, lorsque le premier conseil ouvrier apparaît au cours des grèves de masse à Berlin, les « Délégués » révolu­tionnaires (Revolutionnäre Obleute) et les Spartakistes se rencontrent secrètement ré­gulièrement. Les « Délégués » révolution­naires sont très proches de l'USPD. Sur cette toile de fond d'accroissement de la comba­tivité, de désagrégation du front, de poussée des ouvriers pour passer à l'action, ils com­mencent fin octobre, au sein d'un comité d'action formé après la conférence mention­née ci-dessus, à discuter des plans concrets en vue d'une insurrection.

Le 23 octobre Liebknecht est libéré de pri­son. Plus de 20 000 ouvriers viennent le sa­luer à son arrivée à Berlin.

Après l'expulsion de Berlin des membres de l'ambassade russe par le gouvernement al­lemand sous l'insistance du SPD, après les rassemblements de soutien à la révolution russe organisés par les révolutionnaires, le comité d'action discute de la situation. Lieb­knecht insiste sur la nécessité de la grève générale et sur les manifestations de masse qui doivent s'armer dans la foulée. Lors de la réunion des « Délégués » du 2 novembre, il propose même la date du 5 avec les mots d'ordre de : « Paix immédiate et levée de l'état de siège, Allemagne république socia­liste, formation d'un gouvernement des con­seils ouvriers et de soldats. » (Drabkin, p. 104)

Les « Délégués » révolutionnaires qui pen­sent que la situation n'est pas mûre plaident pour une attente supplémentaire. Pendant ce temps les membres de l'USPD, dans les dif­férentes villes, attendent de nouvelles ins­tructions car personne ne veut entrer en ac­tion avant Berlin. La nouvelle d'un soulève­ment imminent se répand cependant dans d'autres villes du Reich.

Tout cela va être accéléré par les événe­ments de Kiel.

Alors que le 3 novembre la flotte de Kiel doit prendre la mer pour continuer la guerre, les marins se révoltent et se mutinent. Des conseils de soldats sont aussitôt créés, suivis dans le même élan par la formation de con­seils ouvriers. Le commandement de l'armée menace de bombarder la ville. Mais, après avoir compris qu'il ne materait pas la muti­nerie par la violence, il fait appel à son che­val de Troie : le dirigeant du SPD Noske. Celui-ci parvient après son arrivée sur les lieux à s'introduire frauduleusement dans le conseil ouvrier.

Mais ce mouvement des conseils ouvriers et de soldats a déjà lancé un signal à l'ensem­ble du prolétariat. Les conseils forment des délégations massives d'ouvriers et de soldats qui se rendent dans d'autres villes. D'énor­mes délégations sont envoyées à Hambourg, Brême, Flensburg, dans la Ruhr et même jusqu'à Cologne. Celles-ci s'adressent aux ouvriers réunis en assemblées et appellent à la formation de conseils ouvriers et de sol­dats. Des milliers d'ouvriers se déplacent ainsi des villes du nord de l'Allemagne jus­qu'à Berlin et dans d'autres villes en pro­vince. Nombre d'entre eux sont arrêtés par les soldats restés loyaux au gouvernement (plus de 1300 arrestations rien qu'à Berlin le 6 novembre) et enfermés dans les casernes - dans lesquelles ils poursuivent cependant leur agitation.

En une semaine des conseils ouvriers et de soldats surgissent dans les principales villes d'Allemagne et les ouvriers prennent eux-mêmes l'extension de leur mouvement en main. Ils n'abandonnent pas leur sort aux syndicats ou au parlement. Ils ne combattent plus par branches, isolés les uns des autres, avec des revendications de secteur spécifi­ques ; au contraire, dans chaque ville, ils s'unissent et formulent des revendications communes. Ils agissent par eux-mêmes et recherchent l'union des ouvriers des autres villes ! ([1] [44])

Moins de deux ans après leurs frères de Russie, les ouvriers allemands donnent un exemple clair de leur capacité à diriger eux-mêmes leur lutte. Jusqu'au 8 novembre, dans presque toutes les villes - à l'exception de Berlin - des conseils d'ouvriers et de soldats sont mis sur pieds.

Le 8 novembre des « hommes de confiance » du SPD rapportent : « Il est impossible d'ar­rêter le mouvement révolutionnaire ; si le SPD voulait s'opposer au mouvement, il se­rait tout simplement renversé par le flot. »

Lorsque les premières nouvelles de Kiel ar­rivent à Berlin le 4 novembre, Liebknecht propose au Comité exécutif l'insurrection pour le 8 novembre. Alors que le mouve­ment s'étend spontanément dans tout le pays, il apparaît évident que le soulèvement à Berlin (siège du gouvernement) exige de la part de la classe ouvrière une démarche or­ganisée, clairement orientée vers un objec­tif : celui de rassembler l'ensemble de ses forces. Mais le Comité exécutif continue à hésiter. Ce n'est qu'après l'arrestation de deux de ses membres en possession du pro­jet d'insurrection qu'on se décide à passer à l'action le lendemain. Les Spartakistes pu­blient le 8 novembre 1918 l'appel suivant :

« Maintenant que l'heure d'agir est arrivée, il ne doit plus y avoir d'hésitation. Les mê­mes "socialistes" qui ont accompli quatre années durant leur rôle de souteneur au service du gouvernement (...) mettent au­jourd'hui tout en oeuvre afin d'affaiblir Vo­tre lutte et miner le mouvement.

Ouvriers et soldats ! Ce que Vos camarades ont réussi à accomplir à Kiel, Hambourg, Brême, Lübeck, Rostock, Flensburg, Hano­vre, Magdebourg, Brunswick, Munich et Stuttgart, Vous devez aussi réussir à l'ac­complir. Car de ce que Vous remporterez de haute lutte, de la ténacité et du succès de Votre lutte, dépend la victoire de Vos frères là-bas et dépend la victoire du prolétariat du monde entier. Soldats ! Agissez comme Vos camarades de la flotte, unissez-vous à Vos frères en tenue de travail. Ne Vous lais­sez pas utiliser contre Vos frères, n'obéissez pas aux ordres des officiers, ne tirez pas sur les combattants de la Liberté. Ouvriers et soldats ! Les objectifs prochains de Votre lutte doivent être :

1) La libération de tous les prisonniers ci­vils et militaires.

2) L'abolition de tous les Etats et la sup­pression de toutes les dynasties.

3) L'élection de conseils ouvriers et de sol­dats, l'élection de délégués dans toutes les usines et les unités de la troupe.

4) L'établissement immédiat de relations avec les autres conseils ouvriers et de soldats allemands.

5) La prise en charge du gouvernement par les commissaires des conseils ouvriers et de soldats.

6) La liaison immédiate avec le prolétariat international et tout spécialement avec la République Ouvrière russe.

Vive la République socialiste !

Vive l'Internationale ! »

Le groupe « Internationale » (Groupe Spar­takus), le 8 novembre.

Les événements du 9 novembre

Aux premières heures du matin du 9 no­vembre le soulèvement révolutionnaire commence à Berlin.

« Ouvriers, soldats, camarades !

L'heure de la décision est là ! Il s'agit d'être à la hauteur de la tâche historique...

Nous exigeons non pas l'abdication d'un seul homme mais la république !

La république socialiste et toute ses consé­quences. En avant pour la lutte pour la paix, la liberté et la pain.

Sortez des usines ! Sortez des casernes ! Tendez Vous les mains ! Vive la république socialiste. » (Tract spartakiste)

Des centaines de milliers d'ouvriers répon­dent à l'appel du groupe Spartakus et du Comité exécutif, cessent le travail et affluent en de gigantesques cortèges de manifesta­tions vers le centre de la ville. A leur tête marchent des groupes d'ouvriers armés. La grande majorité des troupes s'unit aux ou­vriers manifestants et fraternise avec eux. A midi Berlin se trouve aux mains des ouvriers et des soldats révolutionnaires. Les lieux importants sont occupés par les ouvriers. Une colonne de manifestants, ouvriers et soldats, se rend devant la demeure des Ho­henzollern. Liebknecht y prend la parole :

« La domination du capitalisme qui a trans­formé l'Europe en cimetière est désormais brisée. (...) Ce n'est pas parce que le passé est mort que nous devons croire que notre tâche est terminée. Il nous faut tendre toutes nos forces pour construire le gouvernement des ouvriers et des soldats (...). Nous ten­dons la mains (aux ouvriers du monde en­tier) et les invitons à achever la révolution mondiale (...). Je proclame la libre républi­que socialiste d'Allemagne. » (Liebknecht, le 9 novembre)

De plus, il met en garde les ouvriers afin qu'ils ne se contentent pas de ce qui est at­teint et il les appelle à la prise du pouvoir et à l'unification internationale de la classe ou­vrière.

Le 9 novembre, l'ancien régime n'utilise pas la force pour se défendre. Cependant si cela se produit ainsi c'est non pas parce qu'il hésite à verser le sang (il a des millions de morts sur la conscience) mais parce que la révolution lui a désorganisé l'armée en lui retirant un grand nombre de soldats qui au­raient pu tirer sur le peuple. Tout comme en Russie, en février 1917, lorsque les soldats se sont rangés du côté des ouvriers en lutte, la réaction des soldats allemands est un facteur important dans le rapport de force. Mais ce n'est que par l'auto-organisation, la sortie des usines et « l'occupation de la rue », par l'unification massive de la classe ouvrière, que la question nodale des prolé­taires en uniforme pouvait se résoudre. En réussissant à les convaincre de la nécessité de la fraternisation, les ouvriers montrent que ce sont eux qui détiennent le rôle diri­geant !

L'après-midi du 9 novembre des milliers de délégués se réunissent au Cirque Busch. R. Müller, l'un des principaux dirigeants des « Délégués » révolutionnaires lance un ap­pel pour que : « le 10 novembre soit organi­sée dans toutes les usines et dans toutes les unités des troupes de Berlin l'élection de conseils ouvriers et de soldats. Les conseils élus devant tenir une assemblée au Cirque Busch à 17 heures pour élire le gouverne­ment provisoire. Les usines doivent élire un membre au conseil ouvrier pour 1000 ou­vriers et ouvrières, de même tous les soldats doivent élire un membre au conseil de sol­dats par bataillon. Les usines plus petites (de moins de 500 employés) doivent élire chacune un délégué. L'assemblée insiste sur la nomination par l'assemblée des conseils d'un organe de pouvoir. »

Les ouvriers effectuent ainsi les premiers pas pour créer une situation de double pou­voir. Parviendront-ils à aller aussi loin que leurs frères de classe de Russie ?

Les Spartakistes, pour leur part, soutiennent que la pression et les initiatives provenant des conseils locaux doivent être renforcées. La démocratie vivante de la classe ouvrière, la participation active des ouvriers, les as­semblées générales dans les usines, la dési­gnation de délégués responsables devant el­les et révocables, voilà ce que doit être la pratique de la classe ouvrière !

Les ouvriers et les soldats révolutionnaires occupent le soir du 9 novembre l'imprimerie du Berliner-Lokal-Anzeiger et impriment le premier numéro du journal Die rote Fahne qui, immédiatement, met en garde : « Il n'y a aucune communauté d'intérêt avec ceux qui vous ont trahi quatre années durant. A bas le capitalisme et ses agents ! Vive la ré­volution ! Vive l'Internationale ! »

La question de la prise
du pouvoir par la classe ouvrière :
la bourgeoisie l'arme au pied

Le premier conseil ouvrier et de soldats de Berlin (surnommé l'Exécutif) se considère rapidement comme organe de pouvoir. Dans sa première proclamation du 11 novembre, il se proclame instance suprême de contrôle de toutes les administrations publiques des communes, des Länder et du Reich ainsi que de l'administration militaire.

Mais la classe dominante ne cède pas de plein gré le terrain à la classe ouvrière. Au contraire, elle va opposer la résistance la plus acharnée.

En effet, tandis que Liebknecht proclame la république socialiste devant la demeure des Hohenzollern, le prince Max von Baden abdique et confie les affaires gouvernemen­tales à Ebert nommé chancelier. Le SPD proclame la « libre république d'Allema­gne ».

Ainsi, officiellement le SPD prend en charge les affaires gouvernementales et appelle aussitôt « au calme et à l'ordre » en annon­çant la tenue de prochaines « élections li­bres » ; il se rend compte qu'il ne peut s'op­poser au mouvement qu'en le sapant de l'in­térieur.

Il proclame son propre conseil ouvrier et de soldats composé uniquement de fonctionnai­res du SPD et à qui personne n'a conféré au­cune sorte de légitimité.

Après cela, le SPD déclare que le mouve­ment est dirigé en commun par lui et l'USPD.

Cette tactique d'investir le mouvement et de le détruire de l'intérieur a, depuis lors, tou­jours été réutilisée par les gauchistes avec leurs comités de grève bidons, auto-procla­més, et leurs coordinations.

La social-démocratie et ses successeurs, les groupes de l'extrême gauche capitaliste, sont des spécialistes pour se placer à la tête du mouvement et faire en sorte d'apparaître comme s'ils en sont les représentants légiti­mes.

Alors qu'il cherche à couper l'herbe sous le pied de l'Exécutif en agissant directement en son sein, le SPD annonce la formation d'un gouvernement commun avec l'USPD. Celui-ci accepte alors qu'en revanche les Sparta­kistes (qui en sont encore membres à ce moment-là) repoussent cette offre. Si aux yeux de la grande majorité des ouvriers la différence entre l'USPD et les Spartakistes est peu nette, ces derniers ont cependant une attitude claire vis-à-vis de la formation du gouvernement. Ils sentent le piège et com­prennent qu'on ne s'assoit pas dans la même barque que l'ennemi de classe.

Le meilleur moyen pour combattre les illu­sions des ouvriers sur les partis de gauche n'est pas, comme le répètent aujourd'hui sans cesse les trotskistes et autres gauchistes, de les porter au gouvernement pour que se dé­chire le voile de leurs mensonges. Pour dé­velopper la conscience de classe, c'est la démarcation de classe la plus claire et la plus stricte qui est indispensable et rien d'autre.

Le soir du 9 novembre, le SPD et la direc­tion de l'USPD se font proclamer commis­saires du peuple et gouvernement investi par le Conseil Exécutif.

Le SPD a fait la démonstration de toute son adresse. Il peut maintenant agir contre la classe ouvrière aussi bien depuis les bancs du gouvernement qu'au nom de l'Exécutif des conseils. Ebert est en même temps chan­celier du Reich et commissaire du peuple élu par l'Exécutif des conseils ; il peut ainsi donner l'apparence d'être du côté de la révo­lution. Le SPD avait déjà la confiance de la bourgeoisie mais en parvenant à capter celle des ouvriers avec autant d'adresse il montre ses capacités de manoeuvres et de mystifi­cation. C'est aussi une leçon, pour la classe ouvrière, sur la manière trompeuse dont les forces de la gauche du Capital peuvent agir.

Examinons de plus près la manière d'agir du SPD notamment lors de l'assemblée du con­seil ouvrier et de soldats du 10 novembre où environ 3 000 délégués sont présents. Aucun contrôle des mandats n'est effectué et de ce fait les représentants des soldats se retrou­vent en majorité.

Ebert prend la parole en premier. D'après lui, « le vieux différend fratricide » aurait pris fin, le SPD et l'USPD ayant formé un gouvernement commun, il s'agirait mainte­nant « d'entreprendre en commun le déve­loppement de l'économie sur la base des principes du socialisme. Vive l'unité de la classe ouvrière allemande et des soldats al­lemands. » Au nom de l'USPD Haase célè­bre « l'unité retrouvée » : « Nous voulons consolider les conquêtes de la grande révo­lution socialiste. Le gouvernement sera un gouvernement socialiste. »

« Ceux qui hier encore travaillaient contre la révolution, ne sont maintenant plus con­tre elle. » (E. Barth, le 10 novembre 1918) « Tout doit être fait pour que la contre-révolution ne se soulève pas. »

Ainsi, alors que le SPD emploie tous les moyens pour mystifier la classe ouvrière, l'USPD contribue à servir de couverture à ses manoeuvres. Les Spartakistes se rendant compte du péril, Liebknecht déclare au cours de cette assemblée :

« Je dois verser de l'eau dans le vin de votre enthousiasme. La contre-révolution est déjà en marche, elle est déjà en action... Je vous le dis : les ennemis vous entourent ! (Il énumère les intentions contre-révolutionnai­res de la social-démocratie) Je sais combien vous est désagréable ce dérangement, mais même si vous me fusillez, j'exprimerai ce que je tiens pour indispensable de dire. »

Les Spartakistes mettent ainsi en garde con­tre l'ennemi de classe qui est présent et in­sistent sur la nécessité de renverser le sys­tème. Pour eux l'enjeu n'est pas un change­ment de personnes mais le dépassement du système lui-même.

A l'inverse, le SPD, avec l'USPD à sa re­morque, agit pour que le système reste en place faisant croire qu'avec un changement de dirigeants et l'investiture d'un nouveau gouvernement la classe ouvrière a remporté la victoire.

Là aussi le SPD donne une leçon aux défen­seurs du Capital par la manière de détourner la colère sur des personnalités dirigeantes pour éviter que ne soit porté atteinte au sys­tème dans son ensemble. Cette manière d'agir a constamment été mise en pratique par la suite. ([2] [45])

Le SPD enfonce le clou dans son journal du 10 novembre où il écrit sous le titre « L'unité et non la lutte fratricide » :

« Depuis hier le monde du travail a le sen­timent de faire flamboyer la nécessité de l'unité interne. De pratiquement toutes les villes, de tous les Länder, de tous les Etats de la fédération nous entendons que le vieux Parti et les Indépendants se sont à nouveau retrouvés le jour de la révolution et se sont réunifiés dans l'ancien Parti. (...) L'oeuvre de réconciliation ne doit pas faillir à cause de quelques aigris dont le caractère ne se­rait pas suffisamment fort pour dépasser les vieilles rancoeurs et les oublier. Le lende­main d'un tel triomphe magnifique (sur l'ancien régime) doit-on offrir au monde le spectacle du déchirement mutuel du monde du travail dans une absurde lutte fratri­cide ? » (Vorwærts, 10 novembre 1918)

Les deux armes du capital pour assumer le sabotage politique

A partir de là le SPD met en campagne tout un arsenal d'armes contre la classe ouvrière. A côté de « l'appel à l'unité », il injecte surtout le poison de la démocratie bour­geoise. Selon lui, l'introduction du « suffrage universel, égal, direct et secret pour tous les hommes et femmes d'âge adulte fut à la fois présenté comme la plus importante conquête politique de la révolu­tion et comme le moyen de transformer l'or­dre de la société capitaliste vers le socia­lisme suivant la volonté du peuple selon un plan méthodique. » Ainsi, avec la proclama­tion de la république et du fait que des mi­nistres SPD soient au pouvoir, il fait croire que le but est atteint et avec l'abdication du Kaiser et la nomination d'Ebert à la chancel­lerie que le libre Etat Populaire est créé. En réalité ce n'est qu'un anachronisme de peu d'importance qui vient d'être éliminé en Al­lemagne car la bourgeoisie est depuis long­temps la classe politiquement dominante ; à la tête de l'Etat se trouve désormais non plus un monarque mais un bourgeois. Cela ne change pas grand chose... Aussi il est clair que l'appel à des élections démocratiques est directement dirigé contre les conseils ou­vriers. De plus, c'est avec une propagande idéologique intensive, fallacieuse et crimi­nelle que le SPD bombarde la classe ou­vrière :

« Qui veut le pain, doit vouloir la paix. Qui veut la paix, doit vouloir la Constituante, la représentation librement élue de l'ensemble du peuple allemand. Qui contrecarre la Constituante ou bien tergiverse, vous ôte la paix, la liberté et le pain, vous dérobe les fruits immédiats de la victoire de la révolu­tion : c'est un contre-révolutionnaire. »

« La socialisation aura lieu et devra avoir lieu (...) de par la volonté du peuple du tra­vail qui, fondamentalement, veut abolir cette économie animée par l'aspiration des parti­culiers au profit. Mais cela sera mille fois plus facile à imposer si c'est la Constituante qui le décrète, que si c'est la dictature d'un quelconque comité révolutionnaire qui l'or­donne (...). »

« L'appel à la Constituante est l'appel au socialisme créateur, constructeur, à ce so­cialisme qui augmente le bien-être du peu­ple, qui élève le bonheur et la liberté du peuple et pour lequel seul il vaut de lutter. »

« L'unité allemande exige l'Assemblée Na­tionale. Ce n'est que sous sa protection que pourra se développer la nouvelle culture allemande, qui a constamment formé le but et le coeur de notre volonté nationale. »

« Les conquêtes de la révolution sont si fer­mement ancrées dans la volonté de tout le peuple, que seuls les poltrons peuvent avoir des cauchemars à cause de la contre-révo­lution. » (Tract du SPD)

Si nous citons aussi exhaustivement le SPD, ce n'est que pour mieux se faire une réelle idée des arguties et de la ruse qu'utilise la gauche du Capital.

Nous avons ici encore une caractéristique classique de l'action de la bourgeoisie contre la lutte de classe dans les pays hautement industrialisés : lorsque le prolétariat ex­prime sa force et aspire à son unification, ce sont toujours les forces de gauche qui inter­viennent avec la plus adroite des démago­gies. Ce sont elles qui prétendent agir au nom des ouvriers et cherchent à saboter les luttes de l'intérieur empêchant le mouve­ment de franchir les étapes décisives.

La classe ouvrière révolutionnaire en Alle­magne trouve face à elle un adversaire in­comparablement plus fort que celui que les ouvriers russes ont affronté. Pour la tromper le SPD est amené à adopter un langage radi­cal dans le sens supposé des intérêts de la révolution et se place ainsi à la tête du mou­vement, alors qu'il est, en réalité, le princi­pal représentant de l'Etat bourgeois. Il n'agit pas contre la classe ouvrière en tant que parti extérieur à l'Etat, mais comme fer de lance de celui-ci.

Les premiers jours de l'affrontement révolu­tionnaire montrent déjà à l'époque le carac­tère général de la lutte de classe dans les pays hautement industrialisés : une bour­geoisie rompue à toutes les ruses s'affrontant à une classe ouvrière forte. Il serait illusoire de penser que la victoire puisse facilement revenir à la classe ouvrière.

Comme nous le verrons plus tard, les syndi­cats, de leur côté, agissent comme second pilier du Capital et collaborent avec les pa­trons immédiatement après le déclenche­ment du mouvement. Après avoir organisé durant le conflit la production de guerre, ils doivent intervenir avec le SPD pour défaire le mouvement. Quelques concessions sont faites, parmi lesquelles la journée de huit heures, afin d'empêcher la radicalisation ul­térieure de la classe ouvrière.

Mais, même le sabotage politique, le travail de sape de la conscience de la classe ou­vrière par le SPD ne suffit pas : simultané­ment ce parti traître scelle un accord avec l'armée pour une action militaire.

La répression

Le commandant en chef de l'armée, le géné­ral Groener, qui au cours de la guerre avait collaboré quotidiennement avec le SPD et les syndicats, en tant que responsable des projets d'armements, explique :

« Nous nous sommes alliés pour combattre le Bolchevisme. La restauration de la mo­narchie était impossible. (...) J'avais con­seillé au Feldmarschall de ne pas combattre la révolution par les armes, parce qu'il était à craindre que compte tenu de l'état des troupes un tel moyen irait à l'échec. Je lui ai proposé que le haut commandement mili­taire s'allie avec le SPD vu qu'il n'y avait aucun parti disposant de suffisamment d'in­fluence dans le peuple, et parmi les masses pour reconstruire une force gouvernemen­tale avec le commandement militaire. Les partis de droite avaient complètement dis­paru et il était exclu de travailler avec les extrémistes radicaux. Il s'agissait en pre­mier lieu d'arracher le pouvoir des mains des conseils ouvriers et de soldats de Berlin. Dans ce but une entreprise fut prévue. Dix divisions devaient entrer dans Berlin. Ebert était d'accord. (...) Nous avons élaboré un programme qui prévoyait, après l'entrée des troupes, le nettoyage de Berlin et le désar­mement des Spartakistes. Cela fut aussi convenu avec Ebert, auquel je suis particu­lièrement reconnaissant pour son amour ab­solu de la patrie. (...) Cette alliance fut scellée contre le danger bolchevik et le sys­tème des conseils. » (octobre-novembre 1925, Zeugenaussage)

Dans ce but, Groener, Ebert et consorts sont chaque jour en liaison téléphonique entre 23 heures et une heure du matin sur des lignes secrètes et se rencontrent pour se concerter sur la situation.

Contrairement à la Russie où, en octobre, le pouvoir tomba aux mains des ouvriers qua­siment sans une goutte de sang, la bour­geoisie en Allemagne s'apprête immédiate­ment, à côté du sabotage politique, à déclen­cher la guerre civile. Dés le premier jour, elle réunit tous les moyens nécessaires à la répression militaire.

L'intervention
des révolutionnaires

Pour évaluer l'intervention des révolution­naires nous devons examiner leur capacité à analyser correctement le mouvement de la classe, l'évolution du rapport de forces, ce « qui a été atteint », et leur capacité à don­ner les perspectives les plus claires. Que di­sent les Spartakistes ?

« La révolution est commencée. L'heure n'est ni à la jubilation devant ce qui est ac­compli, ni au triomphe devant l'ennemi abattu, mais à la plus sévère autocritique et au rassemblement de fer des énergies afin de poursuivre le travail entamé. Car ce qui est accompli est minime et l'ennemi N'EST PAS vaincu. Qu'est-ce qui est atteint ? La mo­narchie a été balayée, le pouvoir gouverne­mental suprême est passé dans les mains des représentants des ouvriers et des soldats. Mais la monarchie n'a jamais été le vérita­ble ennemi, elle n'était que la façade, que l'enseigne de l'impérialisme. (...) Rien moins que l'abolition de la domination du Capital, la réalisation de l'ordre de la société socia­liste constituent l'objectif historique de l'actuelle révolution. C'est une tâche consi­dérable qui ne s'accomplit pas en un tour de main à l'aide de quelques décrets venus d'en haut mais qui ne peut être menée heureuse­ment à son terme à travers toutes les tempê­tes que par l'action propre et consciente de la masse des travailleurs des villes et des campagnes, et grâce à la maturité spiri­tuelle la plus élevée et à l'idéalisme inépui­sable des masses populaires.

- Tout le pouvoir dans les mains des con­seils ouvriers et de soldats, sauvegarde de l'oeuvre révolutionnaire contre ses enne­mis aux aguets : telle est l'orientation de toutes les mesures du gouvernement révo­lutionnaire.

- Le développement et la réélection des con­seils locaux d'ouvriers et de soldats pour que le premier geste impulsif et chaotique de leur surgissement puisse être remplacé par le processus conscient d'auto-compré­hension des buts, des tâches et de la mar­che de la révolution ;

- Le rassemblement permanent de ces repré­sentants des masses et transfert du pouvoir politique effectif du petit comité du comité exécutif (Vollzugsrat) à la base plus large du conseil ouvrier et de soldats ;

- La convocation dans les plus brefs délais du parlement des ouvriers et des soldats afin que les prolétaires de toute l'Allema­gne se constituent en classe, en pouvoir politique compact et se mettent derrière l'oeuvre de la révolution pour en former le rempart et la force de frappe ;

- L'organisation sans retard, non pas des "paysans", mais des prolétaires de la campagne et des petits paysans, qui jus­qu'alors se trouvent encore en dehors de la révolution ;

- La formation d'une Garde Rouge proléta­rienne pour la protection permanente de la révolution et d'une Milice Ouvrière pour que l'ensemble du prolétariat soit en permanence vigilant ;

- La suppression des organes de l'état poli­cier absolutiste et militaire de l'adminis­tration, de la justice et de l'armée, (...)

- La convocation immédiate d'un congrès ouvrier mondial en Allemagne pour indi­quer nettement et clairement le caractère socialiste et international. L'Internatio­nale, la révolution mondiale du prolétariat sont les seuls points d'ancrage du futur de la révolution allemande. »

(R. Luxemburg, « Le début », Die Rote Fahne, 18 novembre 1918)

Destruction des positions du pouvoir politi­que de la contre-révolution, érection et con­solidation du pouvoir prolétarien, voilà quelles sont les deux tâches que les Sparta­kistes mettent au premier plan avec une re­marquable clarté.

« Le bilan de la première semaine de la ré­volution est que dans l'Etat des Hohenzol­lern rien n'a été fondamentalement changé, le conseil ouvrier et de soldats fonctionne comme représentant du gouvernement im­périaliste qui a fait banqueroute. Tous ses faits et gestes sont inspirés par la peur de la masse des ouvriers. (...)

L'état réactionnaire du monde civilisé ne se transformera pas en état populaire révolu­tionnaire en 24 heures. Des soldats qui, hier encore, se faisaient les gendarmes de la réaction et assassinaient des prolétaires ré­volutionnaires en Finlande, en Russie, en Ukraine, dans les pays baltes et des ouvriers qui ont laissé faire cela tranquillement ne sont pas devenus en 24 heures les porteurs conscients des buts du socialisme. » (18 no­vembre)

L'analyse des Spartakistes affirmant qu'il ne s'agit pas d'une révolution bourgeoise mais de la contre-révolution bourgeoise déjà en marche, leur capacité à analyser la situation avec clairvoyance et selon une vue d'en­semble, concrétisent le caractère indispen­sable, pour le mouvement de la classe, de ses organisations politiques révolutionnai­res.

Les conseils ouvriers,
fer de lance de la révolution

Comme nous l'avons décrit plus haut, dans les grandes villes, pendant les premiers jours de novembre, des conseils ouvriers et de soldats ont été formés partout. Même si les conseils surgissent « spontanément », leur apparition n'est nullement une surprise pour les révolutionnaires. Ils sont déjà appa­rus en Russie, de même qu'en Autriche et en Hongrie. Comme le disait l'Internationale Communiste par la voix de Lénine en mars 1919 : « Cette forme, c'est le régime des so­viets avec la dictature du prolétariat. La dictature du prolétariat : ces mots étaient du "latin" pour les masses jusqu'à nos jours. Maintenant, grâce au système des soviets, ce latin est traduit dans toutes les langues mo­dernes ; la forme pratique de la dictature est trouvée par les masses ouvrières. » (Discours d'ouverture au premier congrès de l'Internationale Communiste)

L'apparition des conseils ouvriers reflète la volonté de la classe ouvrière de prendre en main son destin. Les conseils ouvriers peu­vent seulement apparaître lorsque dans l'en­semble de la classe il y a une activité mas­sive et qu'un développement profond de la conscience de classe se soit mis en marche. C'est pourquoi les conseils ne sont que le fer de lance d'un mouvement profond et global de la classe, et ils sont fortement dépendants des activités de l'ensemble de la classe. Si la classe affaiblit ses activités dans les usines, si la combativité se tasse et la conscience re­cule dans la classe, cela se répercute sur la vie même des conseils. Ils sont le moyen de centraliser les luttes de la classe et ils sont le levier par lequel la classe réclame et im­pose le pouvoir dans la société.

Dans beaucoup de villes les conseils ou­vriers commencent, en effet, à prendre des mesures pour s'opposer à l'Etat bourgeois. Dés le début de l'existence des conseils, les ouvriers tentent de paralyser l'appareil d'Etat bourgeois, de prendre leurs propres déci­sions à la place du gouvernement bourgeois et de les mettre en pratique. C'est le début de la période de double pouvoir, comme en Russie après la révolution de février. Ce phénomène apparaît partout mais il est le plus visible à Berlin où siège le gouverne­ment.

Le sabotage de la bourgeoisie

Parce que les conseils ouvriers sont le levier de la centralisation de la lutte ouvrière, parce que toutes les initiatives des masses ouvrières convergent en leur sein, il est vital pour la classe de maintenir son contrôle sur eux.

En Allemagne la classe capitaliste utilise un véritable cheval de Troie contre les conseils grâce au SPD. Celui-ci, qui a été jusqu'en 1914 un parti ouvrier, les combat, les sabote de l'intérieur et les détourne de leur objectif au nom de la classe ouvrière.

Déjà au niveau de leur composition, il uti­lise toutes les ruses pour y faire introduire ses délégués. Le Conseil Exécutif de Berlin au début est composé de six représentants respectivement du SPD et de l'USPD et de douze délégués des soldats. Cependant, à Berlin, le SPD réussit - sous prétexte d'une nécessaire parité de voix et de la nécessaire unité de la classe ouvrière - à faire pénétrer un nombre important de ses hommes dans le Conseil Exécutif sans que la décision soit prise par une quelconque assemblée ou­vrière. Grâce à cette tactique d'insistance sur la « parité (des voix) entre les partis » le SPD reçoit plus de délégués qu'il n'a d'in­fluence réelle dans la classe. En province les choses ne sont pas très différentes : pour quelques 40 grandes villes, quasiment trente conseils ouvriers et de soldats se retrouvent sous l'influence dominante des dirigeants du SPD et de l'USPD. Ce n'est que dans les villes où les Spartakistes ont une plus grande influence que les conseils ouvriers s'engagent dans une voie radicale.

En ce qui concerne les tâches des conseils, le SPD essaie de les stériliser. Alors que les conseils de par leur nature tendent à agir comme contre-pouvoir face au pouvoir de l'Etat bourgeois, voire même à le détruire, le SPD s'arrange pour affaiblir et assujettir ces organes de la classe à l'Etat bourgeois. Il le fait en propageant l'idée que les conseils doivent se concevoir comme des organes transitoires jusqu'à la tenue des élections pour l'assemblée nationale, mais aussi, pour leur faire perdre leur caractère de classe, qu'ils doivent s'ouvrir à toute la population, à toutes les couches du peuple. Dans beau­coup de villes le SPD crée des « comités de salut public » qui incluent toutes les parties de la population -des paysans aux petits commerçants jusqu'aux ouvriers- ayant les mêmes droits dans ces organismes.

Alors que les Spartakistes poussent dès le début à la formation de Gardes Rouges pour pouvoir imposer si nécessaire par la force les mesures prises, le SPD torpille cette ini­tiative dans les conseils de soldats en disant que cela « exprime une méfiance vis à vis des soldats ».

Dans le Conseil Exécutif de Berlin il y a constamment des confrontations sur les me­sures et la direction à prendre. Bien que l'on ne puisse pas dire que tous les délégués ou­vriers aient une clarté et une détermination suffisante sur toutes les questions, le SPD fait tout pour saper l'autorité du conseil de l'intérieur comme de l'extérieur.

C'est ainsi que :

- dès que le Conseil Exécutif donne des ins­tructions, le Conseil des Commissaires du Peuple (dirigé par le SPD) en impose d'autres ;

- l'Exécutif ne possédera jamais sa propre presse et devra aller mendier de la place dans la presse bourgeoise pour la publica­tion de ses résolutions. Les délégués du SPD ont tout fait pour qu'il en soit ainsi ;

- lorsqu'en novembre et décembre des grèves éclatent dans les usines de Berlin, le Comité Exécutif, sous l'influence du SPD, prend position contre elles, bien qu'elles expriment la force de la classe ouvrière et qu'elles auraient pu permettre de corriger des erreurs du Comité Exécutif ;

- finalement le SPD -en tant que force diri­geante du gouvernement bourgeois- utilise la menace des Alliés, soi-disant prêts à intervenir militairement et à occuper l'Al­lemagne pour empêcher sa « bolchévisation », pour faire hésiter les ouvriers et freiner le mouvement. Ainsi, par exemple, il fait croire que, si les con­seils ouvriers vont trop loin, les USA vont cesser toute livraison de produits alimen­taires à la population affamée.

Que ce soit à travers la menace directe de l'extérieur ou par le sabotage de l'intérieur, le SPD utilise tous les moyens contre la classe ouvrière en mouvement.

Dès le départ, il s'évertue à isoler les con­seils de leur base dans les usines.

Ceux-ci se composent, dans chaque entre­prise, de délégués élus par les assemblées générales et qui sont responsables devant celles-ci. Si les ouvriers perdent ou aban­donnent leur pouvoir de décision dans les assemblées générales, si les conseils se dé­tachent de leur « racines », de leur « base » dans les entreprises ils sont eux-mêmes af­faiblis et deviendront inévitablement les victimes de la contre-offensive de la bour­geoisie. C'est pourquoi dés le départ le SPD pousse à ce que leur composition se fasse sur la base d'une répartition proportionnelle des sièges entre les partis politiques. L'éli­gibilité et la révocabilité des délégués par les assemblées n'est pas un principe formel de la démocratie ouvrière, mais le levier, le « volant » avec lequel le prolétariat peut - en partant de sa plus petite cellule de vie - diriger et contrôler sa lutte. L'expérience en Russie avait déjà montré combien est essen­tielle l'activité des comités d'usines. Si les conseils ouvriers n'ont plus à rendre des comptes devant la classe, devant les assem­blées qui les ont élus, si la classe n'est pas capable d'exercer son contrôle sur eux cela signifie que son mouvement est affaibli, que le pouvoir lui échappe.

Déjà en Russie, Lénine l'avait clairement mis en évidence :

« Pour contrôler, il faut détenir le pouvoir. (...) Si je mets au premier plan le contrôle, en masquant cette condition fondamentale, je dis une contre-vérité et je fais le jeu des capitalistes et des impérialistes. (...) Sans pouvoir, le contrôle est une phrase petite-bourgeoise creuse qui entrave la marche et la développement de la révolution. »

(Conférence d'avril, Rapport sur la situation actuelle, 7 mai, Oeuvres complètes, tome 24, p. 230)

Alors qu'en Russie, dès les premières se­maines, les conseils qui s'appuyaient sur les ouvriers et les soldats disposaient d'un réel pouvoir, l'Exécutif des conseils de Berlin, lui, en est dépossédé. Rosa Luxemburg le constate avec justesse :

« L'Exécutif des conseils unis de Russie est - quoi que l'on puisse écrire contre lui - assu­rément une tout autre chose que l'exécutif de Berlin. L'un est la tête et le cerveau d'une puissante organisation prolétarienne révo­lutionnaire, l'autre est la cinquième roue du carrosse d'une clique gouvernementale crypto-capitaliste ; l'un est la source inépui­sable de la toute-puissance prolétarienne, l'autre est sans force et sans orientation ; l'un est l'esprit vivant de la révolution, l'au­tre est son sarcophage. » (R. Luxemburg, 12 décembre 1918)

Le Congrès national des conseils

Le 23 novembre l'Exécutif de Berlin appelle à la tenue d'un congrès national des conseils à Berlin pour le 16 décembre. Cette initia­tive, censée réunir toutes les forces de la classe ouvrière, va en réalité être utilisée contre elle. Le SPD impose que, dans les différentes régions du Reich, soit élu un « délégué ouvrier » pour 200 000 habitants et un représentant des soldats pour 100 000 soldats, moyen par lequel la représentation des ouvriers est amoindrie alors que celle des soldats est largement majorée. Au lieu d'être un reflet de la force et de l'activité de la classe dans les usines, ce congrès natio­nal, sous l'impulsion du SPD, va échapper à l'initiative ouvrière.

De plus, selon les mêmes saboteurs, ne doi­vent être désignés « délégués ouvriers » que les « travailleurs manuels et intellectuels ». Ainsi tous les fonctionnaires du SPD et des syndicats sont présentés avec la « mention de leur profession » ; par contre les mem­bres de la Ligue Spartakus, qui apparaissent ouvertement, sont exclus. En utilisant toutes les ficelles possibles les forces de la bour­geoisie réussissent à s'imposer tandis que les révolutionnaires, qui agissent à visage dé­couvert, se voient interdits de parole.

Lorsque le congrès des conseils se réunit le 16 décembre il rejette, en premier lieu, la participation des délégués russes. « L'assemblée générale réunie le 16 décem­bre ne traite pas de délibérations interna­tionales mais seulement d'affaires alleman­des dans lesquelles les étrangers ne peuvent bien sûr pas participer... La délégation russe n'est rien d'autre qu'un représentant de la dictature bolchevik. » Telle est la jus­tification que donne le Vorwærts n°340 (11 décembre1918). En faisant adopter cette décision, le SPD prive d'emblée la confé­rence de ce qui aurait du être son caractère le plus fondamental : être l'expression de la révolution prolétarienne mondiale qui avait commencé en Russie.

Dans la même logique de sabotage et de dé­voiement, le SPD fait voter l'appel à l'élec­tion d'une assemblée constituante pour le 19 janvier 1919.

Les Spartakistes, ayant compris la manoeu­vre, appellent à une manifestation de masse devant le congrès. Plus de 250 000 manifes­tants se rassemblent sous le mot d'or­dre :« Pour les conseils ouvriers et de sol­dats, non à l'assemblée nationale ! »

Alors que le congrès est en train d'agir con­tre les intérêts de la classe ouvrière, Liebk­necht s'adresse aux participants de la mani­festation : « Nous demandons au congrès qu'il prenne tout le pouvoir politique dans ses mains pour réaliser le socialisme et qu'il ne le transfère pas à la constituante qui ne sera nullement un organe révolutionnaire. Nous demandons au congrès des conseils qu'il tende la main à nos frères de classe en Russie et qu'il appelle des délégués russes à venir se joindre aux travaux du congrès. Nous voulons la révolution mondiale et l'unification de tous les ouvriers de tous les pays dans les conseils ouvriers et de sol­dats. » (17 décembre 1918)

Les révolutionnaires ont compris la néces­sité vitale de la mobilisation des masses ou­vrières, la nécessité d'exercer une pression sur les délégués, d'en élire de nouveaux, de développer l'initiative des assemblées géné­rales dans les usines, de défendre l'autono­mie des conseils contre l'assemblée natio­nale bourgeoise, d'insister sur l'unification internationale de la classe ouvrière.

Mais, même après cette manifestation mas­sive, le congrès continue de rejeter la parti­cipation de Rosa Luxemburg et de Karl Lie­bknecht, sous prétexte qu'ils ne sont pas ou­vriers, alors que la bourgeoisie, elle, a déjà réussi à faire pénétrer ses hommes dans les conseils. Pendant le congrès les représen­tants du SPD défendent l'armée pour la pro­téger d'un délitement encore plus grand par les conseils de soldats. Le congrès décide également de ne plus recevoir aucune délé­gation d'ouvriers et de soldats pour ne plus devoir se plier à leur pression.

A la fin de ses travaux, il va jusqu'à accen­tuer la confusion en déblatérant sur de pré­tendues premières mesures de socialisation alors que les ouvriers n'ont même pas encore pris le pouvoir. « Réaliser des mesures so­cio-politiques dans des entreprises indivi­duelles, isolées est une illusion, tant que la bourgeoisie a encore le pouvoir politique dans ses mains. » (IKD, Der Kommunist). La question centrale du désarmement de la contre-révolution et du renversement du gouvernement bourgeois, tout cela est mis de côté.

Que doivent faire les révolutionnaires contre un tel développement ?

Le 16 décembre à Dresde, Otto Rühle, qui a entre-temps viré au conseillisme, jette l'éponge vis à vis du conseil ouvrier et de soldats local dès que les forces social-démo­crates de la ville ont pris le dessus. Les Spartakistes, par contre, n'abandonnent pas le terrain à l'ennemi. Après avoir dénoncé le congrès national des conseils, ils en appel­lent à l'initiative de la classe ouvrière :

« Le congrès des conseils a outrepassé ses pleins pouvoirs, il a trahi le mandat qui lui avait été remis par les conseils d'ouvriers et de soldats, il a supprimé le sol sur lequel son existence et son autorité étaient fondées. Les conseils d'ouvriers et de soldats vont désormais développer leur pouvoir et défen­dre leur droit à l'existence avec une énergie décuplée. Ils déclareront nulle et non ave­nue l'oeuvre contre-révolutionnaire de leurs hommes de confiance indignes. » (Rosa Luxemburg, Les Mamelouks d'Ebert, 20 dé­cembre 1918)

Le sang de la révolution c'est l'activité des masses

La responsabilité des Spartakistes est de pousser en avant l'initiative des masses, d'intensifier leurs activités. C'est cette orientation qu'ils vont mettre en avant dix jours plus tard lors du congrès de fondation du KPD. Nous reprendrons les travaux de ce congrès de fondation dans un prochain arti­cle.

Les Spartakistes ont, en effet, compris que le pouls de la révolution bat dans les consei­ls ; la révolution prolétarienne est la pre­mière révolution qui est faite par la grande majorité de la population, par la classe ex­ploitée. Contrairement aux révolutions bourgeoises qui peuvent être faites par des minorités, la révolution prolétarienne peut seulement être victorieuse si elle est cons­tamment alimentée, nourrie et poussée en avant par la source de l'activité de toute la classe. Les délégués des conseils, les consei­ls ne sont pas une partie isolée de la classe qui peut et doit s'isoler, voire se protéger de celle-ci, ou qui devrait tenir le reste de la classe dans la passivité. Non, la révolution peut seulement avancer par la participation consciente, vigilante, active et critique de la classe.

Pour la classe ouvrière en Allemagne, cela signifie, à ce moment-là, qu'elle doit entrer dans une nouvelle phase où il lui faut ren­forcer la pression à partir des usines. Quant aux Communistes, leur agitation dans les conseils locaux est la priorité absolue. Ainsi les Spartakistes suivent la politique que Lénine avait déjà prônée en avril 1917 lors­que la situation en Russie était comparable à celle que connaît l'Allemagne : « Expliquer aux masses que les Soviets des députés ou­vriers sont la seule forme possible de gou­vernement révolutionnaire, et que, par con­séquent, notre tâche, tant que ce gouverne­ment se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant es­sentiellement de leurs besoins pratiques.

Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et à expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience. » (Thèses d'avril, n°4)

Nous ne pouvons pas vraiment comprendre la dynamique dans les conseils si nous n'analysons pas de plus près le rôle des sol­dats.

Le mouvement révolutionnaire de la classe a été initié par la lutte contre la guerre. Mais c'est fondamentalement le mouvement de résistance des ouvriers dans les usines qui « contamine » les millions de prolétaires en uniforme qui se trouvent sur le front (le pourcentage d'ouvriers parmi les soldats est beaucoup plus élevé en Allemagne qu'il ne l'était en Russie). Finalement les mutineries de soldats ainsi que les soulèvements des ouvriers dans les usines créent un rapport de forces obligeant la bourgeoisie à mettre terme à la guerre. Tant que la guerre dure, les ouvriers en uniforme sont les meilleurs alliés des ouvriers en lutte à l'arrière. C'est grâce à leur résistance croissante qu'un rap­port de forces favorable est créé sur le front intérieur ; comme le rapporte Liebknecht : « ceci avait eu comme conséquence la dé­stabilisation dans l'armée. Mais dés que la bourgeoisie mit fin à la guerre une scission au sein de l'armée se fit jour. La masse des soldats est révolutionnaire contre le milita­risme, contre la guerre et contre les repré­sentants ouverts de l'impérialisme. Par rap­port au socialisme, elle est encore indécise, hésitante, immature. » (Liebknecht, 19 no­vembre 1918) Tant que perdure la guerre et que les troupes restent encore mobilisées, des conseils de soldats sont formés.

« Les conseils de soldats sont l'expression d'une masse composée de toutes les classes de la société, au sein de laquelle le proléta­riat l'emporte sans doute de loin, mais cer­tainement pas le prolétariat conscient des buts et disposé à la lutte de classe. Ils sont souvent formés directement d'en haut par l'entremise des officiers et des cercles de la haute noblesse, qui, ainsi, s'adaptant adroitement, cherchaient à conserver leur influence sur les soldats en se faisant élire comme leurs représentants. » (Liebknecht, 21 novembre 1918)

En tant que telle l'armée est un instrument classique de répression et de conquête im­périaliste, contrôlée et dirigée par des offi­ciers soumis à l'Etat exploiteur. Dans une situation révolutionnaire, où des milliers de soldats sont en effervescence, où les rap­ports hiérarchiques classiques ne sont plus respectés, mais où les ouvriers en uniforme décident collectivement, tout cela peut en­traîner la désagrégation de l'armée d'autant plus qu'ils sont armés. Mais pour atteindre une telle situation, il faut que la classe ou­vrière, par son mouvement, soit un pôle de référence suffisamment fort pour les soldats.

Lors de la phase finale de la guerre cette dy­namique existe. C'est pour cela que la bour­geoisie, sentant ce danger se développer, ar­rête la guerre pour empêcher une radicalisa­tion encore plus importante. La nouvelle si­tuation ainsi créée permet à la classe domi­nante de « calmer » les soldats et de les éloigner de la révolution alors que, de son côté, le mouvement de la classe ouvrière n'est pas encore suffisamment fort pour atti­rer de son côté la majorité d'entre eux. Cela permettra à la bourgeoisie de mieux manipu­ler les soldats à sa faveur.

Si pendant la phase ascendante du mouve­ment les soldats ont eu un poids important et, en fait, étaient indispensables pour met­tre un terme à la guerre, leur rôle va changer quand la bourgeoisie engage sa contre-of­fensive.

L'oeuvre révolutionnaire ne peut se réaliser qu'internationalement

Alors que les capitalistes se sont combattus quatre années durant dans la guerre et ont sacrifié des millions de vies humaines, im­médiatement après l'éclatement de la révo­lution en Russie et surtout lorsque le prolé­tariat en Allemagne commence à se lancer à l'assaut, ils se retrouvent unis contre la classe ouvrière. Les Spartakistes compren­nent quel danger il peut résulter de l'isole­ment de la classe ouvrière en Russie et en Allemagne. Le 25 novembre ils lancent l'ap­pel suivant :

« Aux prolétaires de tous les pays ! L'heure des comptes avec la domination capitaliste a sonné. Mais cette grande tâche ne peut pas être accomplie par le seul prolétariat allemand. Il ne peut lutter et vaincre qu'en faisant appel à la solidarité des prolétaires du monde entier. Camarades des pays belli­gérants, nous connaissons votre situation. Nous savons bien que vos gouvernements, parce qu'ils ont obtenu la victoire, aveuglent maintes parties du peuple de l'éclat de la victoire. (...) Vos capitalistes victorieux se tiennent prêts à abattre dans le sang notre révolution qu'ils craignent tout autant que la Vôtre. La "victoire" ne Vous a Vous-mê­mes pas rendus plus libres, elle n'a fait que Vous rendre plus esclaves. Si Vos classes dominantes réussissent à étrangler la révo­lution prolétarienne en Allemagne et en Ru­ssie, elles se retourneront contre Vous avec une férocité redoublée. (...) L'Allemagne ac­couche de la révolution sociale mais seul le prolétariat mondial peut réaliser le socia­lisme. » (Aux prolétaires de tous les pays, Spartakusbund, 25 novembre 1918).

Alors que le SPD met tout en oeuvre pour séparer les ouvriers d'Allemagne de ceux de Russie, les révolutionnaires s'engagent de toutes leurs forces pour l'unification de la classe ouvrière.

A cet égard les Spartakistes sont conscients qu' « Aujourd'hui il règne naturellement parmi les peuples de l'Entente une puissante griserie de la victoire ; et la liesse à propos de la ruine de l'impérialisme allemand et de la libération de la France et de la Belgique est si bruyante que nous n'attendons pas pour le moment d'écho révolutionnaire de la part de la classe ouvrière de nos ennemis jusqu'à ce jour. » (Liebknecht, 23 décembre 1918) Ils savent que la guerre a creusé une dangereuse division dans les rangs de la classe ouvrière. Les défenseurs du Capital, notamment le SPD, commencent à dresser les ouvriers en Allemagne contre ceux des autres pays. Ils brandissent même la menace d'interventions étrangères. Tout cela a de­puis lors été souvent utilisé par la classe dominante.

La bourgeoisie a tiré les leçons de la Russie

La signature par la bourgeoisie, sous la di­rection du SPD, de l'armistice mettant fin à la guerre le 11 novembre, par crainte que la classe ouvrière ne poursuive sa radicalisa­tion et n'emprunte « les voies russes », inau­gure une nouvelle situation.

Comme le dit R. Müller, l'un des principaux membres des « Délégués » révolutionnai­res : « L'ensemble de la politique de guerre avec tous ses effets sur la situation des ou­vriers, l'Union Sacrée avec la bourgeoisie, tout ce qui avait attisé la colère noire des ouvriers était oublié. »

La bourgeoisie a tiré les leçons de la Russie. Si la bourgeoisie de ce pays avait mis fin à la guerre en avril ou mars 1917, la révolu­tion d'octobre n'aurait sûrement pas été pos­sible ou en tous cas aurait été bien plus dif­ficile. Il est donc nécessaire d'arrêter la guerre pour espérer couper l'herbe sous le pied du mouvement révolutionnaire de la classe. Là aussi les ouvriers en Allemagne se trouvent face à une situation différente de celle qu'ont connue leurs frères de classe de Russie.

Les Spartakistes comprennent que la fin de la guerre constitue un tournant dans les lut­tes et que l'on ne doit pas s'attendre à une victoire immédiate contre le Capital.

« Si l'on se situe sur le terrain du dévelop­pement historique, on ne peut pas, dans une Allemagne qui a offert l'image épouvantable du 4 août et des quatre années qui ont suivi, s'attendre à voir surgir soudain le 9 novem­bre 1918 une révolution de classe grandiose et consciente de ses buts ; ce que nous a fait vivre le 9 novembre, c'était pour les trois-quarts plus l'effondrement de l'impérialisme existant, plutôt que la victoire d'un principe nouveau. Simplement pour l'impérialisme, colosse aux pieds d'argile, pourri de l'inté­rieur, l'heure était venue, il devait s'écrou­ler ; ce qui suivit fut un mouvement plus ou moins chaotique sans plan de bataille, très peu conscient ; le seul lien cohérent, le seul principe constant et libérateur était résumé dans le mot d'ordre : création de conseils d'ouvriers et de soldats. » (Congrès de fon­dation du KPD, R. Luxemburg)

C'est pourquoi il ne faut pas confondre le début du mouvement avec son terme, son but final, car « aucun prolétariat dans le monde, même le prolétariat allemand, ne peut du jour au lendemain se débarrasser des stigmates d'un asservissement millé­naire. Pas plus politiquement que spirituel­lement, la situation du prolétariat trouve son état le plus élevé le PREMIER jour de la révolution. Ce ne sont que les luttes de la révolution qui élèveront en ce sens le prolé­tariat à sa complète maturité. » (R. Luxemburg, 3 décembre 1918)

Le poids du passé

Les causes de ces grandes difficultés de la classe se trouvent, à juste titre selon les Spartakistes, dans le poids du passé. La confiance encore très importante que beau­coup d'ouvriers ont envers la politique du SPD est une dangereuse faiblesse. Nom­breux sont ceux qui considèrent que la poli­tique de guerre de ce parti était grandement due à un déboussolement passager. Bien plus encore, pour eux la guerre n'est le résul­tat que d'une manigance ignoble de la clique gouvernementale qui vient d'être renversée. Et se souvenant de la situation tant soit peu supportable qu'ils connaissaient dans la pé­riode d'avant-guerre, ils espérant se sortir bientôt et définitivement de la misère pré­sente. D'ailleurs, les promesses de Wilson annonçant l'union des nations et la démo­cratie semblent offrir des garanties contre de nouvelles guerres. La république démocrati­que qui leur est « proposée » n'apparaît pas, à leurs yeux, comme la république bour­geoise mais comme le terrain duquel va éclore le socialisme. Bref, la pression des illusions démocratiques, le manque d'expé­rience dans la confrontation avec les sabo­teurs que sont les syndicats et le SPD sont déterminants.

« Dans toutes les révolutions antérieures, les combattants s'affrontaient de façon ou­verte, classe contre classe, programme con­tre programme, épée contre bouclier. (...) (Auparavant) c'était toujours des partisans du système renversé ou menacé qui, au nom de ce système et dans le but de le sauver, prenaient des mesures contre-révolutionnai­res. (...) Dans la révolution d'aujourd'hui les troupes qui défendent l'ordre ancien se ran­gent non sous leur propre drapeau et dans l'uniforme de la classe dominante, mais sous le drapeau du parti social-démocrate. (...) La domination de classe bourgeoise mène aujourd'hui sa dernière lutte historique mondiale sous un drapeau étranger, sous le drapeau de la révolution elle-même. C'est un parti socialiste, c'est à dire la création la plus originale du mouvement ouvrier et de la lutte des classe qui s'est lui-même trans­formé en instrument le plus important de la contre-révolution bourgeoise. Le fond, la tendance, la politique, la psychologie, la méthode, tout cela est capitaliste de bout en bout. Seuls restent le drapeau, l'appareil et la phraséologie du socialisme. » (R. Luxemburg, Une victoire à la Pyrrhus, 21 décembre 1918)

On ne peut formuler plus clairement le ca­ractère contre-révolutionnaire du SPD.

C'est pourquoi les Spartakistes définissent la prochaine étape du mouvement ainsi : « Le passage de la révolution de soldats prédo­minante le 9 novembre 1918 à une révolu­tion ouvrière spécifique, le passage d'un bouleversement superficiel, purement politi­que à un processus de longue haleine d'une confrontation économique générale entre le Travail et le Capital, réclame de la classe ouvrière révolutionnaire un tout autre degré de maturité politique, d'éducation et de té­nacité que celui qui a suffi pour la première phase du début. » (R. Luxemburg, 3 janvier 1919)

Le mouvement de début novembre n'a sans doute pas été uniquement une « révolution de soldats » car, sans les ouvriers dans les usines, les soldats ne seraient jamais par­venu à une telle radicalisation. Les Sparta­kistes voient la perspective d'un véritable pas en avant lorsque, dans la seconde moitié de novembre et en décembre, des grèves éclatent dans la Ruhr et en Haute Silésie. Cela révèle une activité de la classe ouvrière dans les usines mêmes, un recul du poids de la guerre et du rôle des soldats. Après la fin des hostilités, l'effondrement de l'économie conduit à une détérioration encore plus im­portante des conditions de vie de la classe ouvrière. Dans la Ruhr de nombreux mi­neurs cessent le travail et pour imposer leurs revendications ils se rendent souvent dans les autres mines afin de trouver la solidarité de leurs frères de classe et construire ainsi un front puissant. Les luttes vont ainsi se développer, connaître des reculs pour se re­développer avec une nouvelle force.

« Dans la révolution d'aujourd'hui les grè­ves qui viennent d'éclater (...) sont le tout début d'un affrontement général entre Capi­tal et Travail, elles annoncent le commen­cement d'une lutte de classe puissante et di­recte, dont l'issue ne saurait être autre que l'abolition des rapports du salariat et l'in­troduction de l'économie socialiste. Elles sont le déclenchement de la force sociale vivante de la révolution actuelle : l'énergie de classe révolutionnaire des masses prolé­tariennes. Elles ouvrent une période d'ac­tivité immédiate des masses les plus lar­ges. »

C'est pourquoi, R. Luxemburg souligne jus­tement :

« Suite à la première phase de la révolution, celle de la lutte principalement politique, vient la phase de lutte renforcée, intensifiée essentiellement économique. (...) Dans la phase révolutionnaire à venir, non seule­ment les grèves s'étendront de plus en plus, mais elles se trouveront au centre, au point décisif de la révolution, refoulant les ques­tions purement politiques. » (R. Luxemburg, Congrès de fondation du KPD)

Après que la bourgeoisie ait mis fin à la guerre sous la pression de la classe ouvrière, qu'elle soit passée à l'offensive pour parer les premières tentatives de prise de pouvoir par le prolétariat, le mouvement entre dans une nouvelle étape. Ou bien la classe ou­vrière est en mesure de développer une nou­velle force de poussée à l'initiative des ou­vriers dans les usines et de parvenir à « passer à une révolution ouvrière spécifi­que », ou bien la bourgeoisie pourra pour­suivre sa contre-offensive.

Nous aborderons dans le prochain article la question de l'insurrection, les conceptions fondamentales de la révolution ouvrière, le rôle que doivent y jouer les révolutionnaires et qu'ils y ont effectivement joué.

DV.




[1] [46]. A Cologne le mouvement révolutionnaire est par­ticulièrement fort. En l'espace de 24 heures, le 9 no­vembre, 45 000 soldats refusent d'obéir aux officiers et désertent. Déjà le 7 novembre des marins révolu­tionnaires venant de Kiel sont sur le chemin de Co­logne. Le futur chancelier K. Adenauer, alors maire de la ville, et la direction du SPD prennent des me­sures pour « calmer la situation ».

 

[2] [47]. Depuis lors le Capital agit toujours en utilisant la même tactique: en 1980, lorsque la Pologne était aux prises avec une grève de masse des ouvriers, la bourgeoisie changea le gouvernement. La liste des exemples est sans fin où la classe dominante change les personnes pour qu'il ne soit pas porter atteinte à la domination du Capital.

 

Géographique: 

  • Allemagne [48]

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Allemande [49]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Germano-Hollandaise [50]

Approfondir: 

  • Révolution Allemande [51]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La Révolution prolétarienne [52]

Réponse au BIPR [l° partie] : La nature de la guerre impérialiste

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Le BIPR a répondu à notre article de polémique «La conception du BIPR sur la décadence du capitalisme» (Revue Internationale n° 79) dans l’Internationalist Communist Review n 13. Cette réponse expose les positions de façon réfléchie. En ce sens, c'est une contribution au nécessaire débat qui doit exister entre les organisations de la Gauche communiste qui ont une responsabilité décisive dans la construction du parti communiste du prolétariat.

Le débat entre le BIPR et le CCI se situe à l'intérieur du cadre de la Gauche communiste :

- ce n'est pas un débat académique et abstrait, mais il constitue une polémique militante pour nous doter de positions claires, épurées de toute ambiguïté ou concession à l'idéologie bourgeoise, et en particulier, sur des questions telles que la nature des guerres impérialistes ou les fondements matériels de la nécessité de la révolution communiste ;

- c'est un débat entre partisans de l'analyse de la décadence du capitalisme : depuis le début du siècle, le système est entré dans une crise sans issue qui présente une menace croissante d'anéantissement de l'humanité et de la planète.

Dans ce cadre, l'article de réponse du BIPR insiste sur leur vision de la guerre impérialiste comme moyen de dévalorisation du capital et reprise du cycle d'accumulation, et justifie cette position par une explication de la crise historique du capitalisme basée sur la baisse tendancielle du taux de profit.

Ces deux questions sont l'objet de notre réponse. ([1] [53])

Ce qui nous unit avec le BIPR

Dans une polémique entre révolutionnaires, à cause précisément de son caractère militant, nous devons partir de ce qui nous unit afin d'aborder, dans ce cadre global, ce qui nous sépare. C'est la méthode qu'a toujours appliqué le CCI, à la suite de Marx, Lénine, Bilan, etc., et que nous avons employée dans la polémique avec le PCI (Programma) ([2] [54]) sur la même question que nous discutons maintenant avec le BIPR. Souligner cela nous paraît très important parce que, en premier lieu, les polémiques entre révolutionnaires ont toujours comme fil conducteur la lutte pour la clarification et le regroupement, dans la perspective de la constitution du parti mondial du prolétariat. En second lieu parce que, entre le BIPR et le CCI, sans nier ni relativiser l'importance et les conséquences des divergences que nous avons sur la compréhension de la nature de la guerre impérialiste, ce que nous partageons est beaucoup plus important :

1. Pour le BIPR, les guerres impérialistes n'ont pas des objectifs limités mais sont des guerres totales dont les conséquences dépassent de loin celles qu'elles pouvaient avoir dans la période ascendante.

2. Les guerres impérialistes unissent les facteurs économiques et politiques en un tout inséparable.

3. Le BIPR rejette l'idée selon laquelle le militarisme et la production d'armement seraient des moyens de « l'accumulation du capital ». ([3] [55])

4. En tant qu'expression de la décadence du capitalisme, les guerres impérialistes contiennent la menace de la destruction de l'humanité.

5. Il existe actuellement dans le capitalisme des tendances importantes au chaos et à la décomposition (même si, comme nous le verrons plus loin, le BIPR ne leur accorde pas la même importance que nous).

Ces éléments de convergence expriment la capacité commune que nous avons de dénoncer et de combattre les guerres impérialistes comme moments ultimes de la crise historique du capitalisme, engageant le prolétariat à ne pas choisir entre les différents loups impérialistes, appelant à la révolution prolétarienne mondiale comme seule solution à l'impasse sanglante à laquelle le capitalisme conduit l'humanité, combattant à mort les endormeurs pacifistes et dénonçant les mensonges capitalistes selon lesquels « nous sommes en train de sortir de la crise. »

Ces éléments, expression et patrimoine commun de la Gauche communiste, rendent nécessaire et possible que, face à des événements d'envergure comme les guerres du Golfe ou de l'ex-Yougoslavie, les groupes de la Gauche communiste fassent des manifestes communs qui expriment, face à la classe, la voix unie des révolutionnaires. C'est pour cela que nous avions proposé, dans le cadre des Conférences internationales de 1977-80, de faire une déclaration commune face à la guerre d'Afghanistan et nous avons regretté que ni BC, ni la CWO (qui plus tard constituèrent le BIPR) n'acceptent cette initiative. Loin d'être une proposition « d'union circonstancielle et opportuniste », ces initiatives communes sont des instruments de la lutte pour la clarification et la délimitation des positions au sein de la Gauche communiste, parce qu'elles établissent un cadre concret et militant (l'engagement aux côtés de la classe ouvrière face à des situations importantes de l'évolution historique) dans lequel il est possible de débattre sérieusement des divergences. Ce fut la méthode de Marx et de Lénine à Zimmerwald. Alors qu'il existait des divergences beaucoup plus importantes que celles qui peuvent exister aujourd'hui entre le CCI et le BIPR, Lénine a accepté de souscrire au Manifeste de Zimmerwald. D'autre part, au moment de la constitution de la 3e Internationale, il y avait entre les fondateurs des désaccords importants, non seulement sur l'analyse de la guerre impérialiste, mais aussi sur des questions comme l'utilisation du parlement ou des syndicats et pourtant, cela ne les empêcha pas de s'unir pour combattre pour la révolution mondiale qui était en marche. Ce combat en commun ne fut pas le moyen de faire taire les divergences, mais au contraire donna la plate-forme militante au sein de laquelle les aborder de façon sérieuse et non de façon aca­démique, ou selon des impulsions sectaires.

La fonction de la guerre impérialiste

Les divergences entre Le BIPR et le CCI ne portent pas sur les causes générales de la guerre impérialiste. Nous en tenant au patrimoine commun de la Gauche communiste, nous voyons la guerre impérialiste comme expression de la crise historique du capitalisme. Cependant, la divergence surgit au moment de voir le rôle de la guerre au sein du capitalisme décadent. Le BIPR pense que la guerre remplit une fonction économique : permettre une dévalorisation du capital et, en conséquence, ouvrir la possibilité que le capitalisme entreprenne un nouveau cycle d'accumulation.

Cette appréciation paraît complètement logique : n'y a-t-il pas, avant une guerre mondiale, une crise générale, comme en 1929 par exemple ? Crise de surproduction d'hommes et de marchandises. La guerre impérialiste n'est-elle pas une « solution » en détruisant en grand nombre des ouvriers, des machines et des bâtiments ? Après cela, la reconstruction ne reprend-elle pas et, avec elle, le dépassement de la crise ? Pourtant, cette vision, apparemment si simple et cohérente, est profondément superficielle. Elle saisit - comme nous verrons plus loin - une partie du problème (effectivement, le capitalisme décadent se meut dans un cycle infernal de crise - guerre - reconstruction -nouvelle crise, etc) mais cela n'aborde pas le fond du problème : d'une part, la guerre est beaucoup plus qu'un simple moyen de rétablissement du cycle de l'accumulation capitaliste et, d'autre part, ce cycle se trouve profondément perverti et dégénéré, et il est très loin d'être un cycle classique de la période ascendante.

Cette vision superficielle de la guerre impérialiste a des conséquences militantes importantes que le BIPR n'est pas capable de percevoir. En effet, si la guerre permet de rétablir le mécanisme de l'accumulation capitaliste, en réalité cela veut dire que le capitalisme pourra toujours sortir de la crise à travers le mécanisme douloureux et brutal de la guerre. C'est la vision, qu'au fond, nous propose la bourgeoisie : la guerre est un moment horrible que n'apprécie aucun gouvernant, mais c'est le moyen inévitable qui permet de retrouver une nouvelle ère de paix et de prospérité.

Le BIPR dénonce ces supercheries mais il ne se rend pas compte que cette dénonciation se trouve affaiblie par sa théorie de la guerre comme « moyen de dévalorisation du capital ». Pour comprendre les conséquences dangereuses qu'entraîné sa position, il faut examiner cette déclaration du PCI (Programma) : « La crise tire son origine de l'impossibilité de poursuivre l'accumulation, impossibilité qui se manifeste quand l'accroissement de la masse de production ne réussit plus à compenser la chute du taux de profit. La masse du surtravail total n'est plus à même d'assurer du profit au capital avancé, de reproduire les conditions de rentabilité des investissements. En détruisant du capital constant (travail mort) à grande échelle, la guerre joue alors un rôle économique fondamental : grâce aux épouvantables destructions de l'appareil productif, elle permet en effet une future expansion gigantesque de la production pour remplacer ce qui a été détruit, donc une expansion parallèle du profit, de la plus-value totale, c'est-à-dire du surtravail dont est friand le capital. Les conditions de reprise du processus d'accumulation sont réta­blies. Le cycle économique repart. (...) Le système capitaliste mondial, entre vieux dans la guerre, mais y trouve un bain de jouvence dans le bain de sans qui lui donne une nouvelle jeunesse et il en ressort avec la vitalité d'un robuste nouveau-né. » ([4] [56])

Dire que le capitalisme « retrouve la jeunesse » chaque fois qu'il sort d'une guerre mondiale comporte quelques claires conséquences révisionnistes : la guerre mondiale ne mettrait pas à l'ordre du jour la nécessité de la révolution prolétarienne mais la reconstruction d'un capitalisme revenu à ses origines. C'est mettre par terre l'analyse de la 3e Internationale qui disait clairement : « une nouvelle époque surgit. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat. » Cela signifie, purement et simplement, rompre avec une position fondamentale du marxisme : le capitalisme n'est pas un système éternel, mais un mode de production auquel les limites historiques imposent une époque de décadence dans laquelle la révolution communiste est à l'ordre du jour.

Cette déclaration, nous la citons et nous la critiquons dans notre polémique sur la conception de la guerre et de la décadence du PCI (Programma) dans la Revue Internationale n° 77 et 78. Cela est ignoré par le BIPR qui, dans sa réponse, semble défendre le PCI (Programma) quand il affirme : « Leur débat avec les bordiguistes se centre sur un point de vue apparent selon lequel il existe un rapport mécanique entre guerre et cycle d'accumulation. Nous disons "apparent" parce que, comme d'habitude, le CCI ne donne aucune citation montrant que la vision historique des bordiguistes serait aussi schématique. Nous sommes peu enclins à accepter leurs assertions sur Programme Communiste au vu de la manière dont ils interprètent nos points de vue. » ([5] [57])

La citation que nous donnons dans la Revue Internationale n° 77 parle d'elle-même et met en évidence que, dans la position du PCI (Programma), il y a un peu plus que du « schématisme » : si le BIPR prend la tangente avec des pleurnicheries sur nos « mauvaises interprétations » c'est parce que, sans oser reprendre les aberrations du PCI (Programma), ses ambiguïtés y conduisent : « Nous disons, nous, que la fonction (souligné dans l'original) économique de la guerre mondiale (c'est-à-dire ses conséquences pour le capitalisme) est de dévaloriser le capital comme prélude nécessaire pour un possible nou­veau cycle d'accumulation. » ([6] [58])

Cette vision de la «fonction économique de la guerre impérialiste » vient de Boukharine. Celui-ci, dans un livre qu'il écrivit en 1915 (L'économie mondiale et l’impérialisme) et qui constitue un apport sur des questions comme le capitalisme d'Etat ou la libération nationale, glisse cependant vers une erreur importante en voyant les guerres impérialistes comme un instrument de développement capitaliste : « la guerre ne peut arrêter le cours général du développement du capitalisme mondial mais, au contraire, elle est l'expression de l'expansion au maximum du processus de centralisation... La guerre rappelle, par son influence économique, sur beaucoup d'aspects, les crises industrielles desquelles elle se distingue, de beaucoup, par l'intensité supérieure des commotions et des ravages qu'elle produit. » ([7] [59])

La guerre impérialiste n'est pas un moyen de « dévalorisation du capital » mais une expression du processus historique de destruction, de stérilisation de moyens de production et de vie, qui caractérise globalement le capitalisme décadent.

Destruction et stérilisation de capital n'est pas la même chose que dévalorisation de capital. La période ascendante du capitalisme comportait des crises cycliques périodiques qui conduisaient à des dévalorisations périodiques de capitaux. C'est le mouvement signalé par Marx : « En même temps que baisse le taux de profit, la masse de capital s'accroît. Parallèlement se produit une dépréciation du capital existant qui arrête cette baisse et imprime un mouvement plus rapide à l'accumulation de valeur-capital. .. La dépréciation périodique du capital existant, qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste, d'arrêter la baisse du taux de profit et d'accélérer l'accumulation de valeur-capital par la formation de capital neuf, perturbe les conditions données, dans lesquelles s'accomplissent les procès de circulation et de reproduction du capital et, par suite, s'accompagne de brusques interruptions et de crises du procès de production. » ([8] [60])

Le capitalisme, par sa nature même, depuis ses origines, aussi bien dans la période ascendante que dans la période décadente, tombe constamment dans la surproduction et, en ce sens, les périodes de ponction de capital lui sont nécessaires pour reprendre avec plus de force son mouvement normal de production et de circulation de marchandises. Dans la période ascendante, chaque étape de dévalorisation de capital se résolvait par une expansion à une échelle supérieure des rapports de productions capitalistes. Et cela était possible parce que le capitalisme trouvait des nouveaux territoires pré-capitalistes qu'il pouvait intégrer dans sa sphère et soumettre aux rapports salariaux et mercantiles qui lui sont propres. Pour cette raison « les crises du 19e siècle que Marx décrit sont encore des crises de croissance, des crises dont le capitalisme sort à chaque fois renforcé... Après chaque crise, il y a encore des débouchés nouveaux à conquérir par les pays capitalistes. » ([9] [61])

Dans la période décadente, ces crises de dévalorisation du capital se poursuivent et deviennent plus ou moins chroniques ([10] [62]). Cependant, à cet aspect inhérent et consubstantiel du capitalisme, se superpose une autre caractéristique de sa période de décadence et qui est le fruit de l'aggravation extrême des contradictions que contient cette époque : la tendance à la destruction et à la stéri­lisation de capital.

Cette tendance provient de la situation de blocage historique qui détermine l'époque de décadence du capitalisme : « Qu'est-ce que la guerre impérialiste mondiale ? C'est la lutte par des moyens violents, à laquelle sont obligés de se livrer les différents groupes capitalistes, non pour conquérir de nouveaux marchés et sources de matières premières, mais pour le repartage de ceux qui existent, un repartage au bénéfice de certains et au détriment des autres. Le cours à la guerre s'ouvre, et a ses racines, dans la crise économique générale et permanente qui éclate, et marque par là la fin des possibilités de développement à laquelle a conduit le régime capitaliste. » Dans le même sens « le capitalisme décadent est la phase dans laquelle la production ne peut plus continuer qu'à condition (souligné dans l'original) de prendre la forme matérielle de produits et moyens de production qui ne servent pas au développement et à l'amplification de la production mais à sa limitation et à sa destruction. » ([11] [63])

Dans la décadence, le capitalisme ne change, en aucune façon, de nature. Il continue à être un système d'exploita­tion, il continue d'être affecté (à une échelle bien supérieure) par la tendance à la dépréciation du capital (tendance qui devient permanente). Cependant, l'essentiel de la décadence est le blocage historique du système duquel naît une tendance puissante à l'autodestruction et au chaos : « L'absence d'une classe ré­volutionnaire présentant la possibilité historique d'engendrer et de présider à l'instauration d'un système économique correspondant à la nécessité historique, conduit la société et sa civilisation à une impasse où l'écroulement, l'effon­drement interne, sont inévitables. Marx donnait comme exemples d'une telle impasse historique les civilisations Grecque et Romaine dans l'antiquité. Engels, appliquant cette thèse à la société bourgeoise, arrive à la conclusion que l'absence ou l'incapacité du prolétariat appelé à résoudre, dépasser, les contradictions antithétiques qui surgissent de la société capitaliste, ne peut aboutir qu'au retour à la barbarie. » ([12] [64])

La position de l'Internationale Communiste sur la guerre impérialiste

Le BIPR ironise sur notre insistance sur ce trait crucial du capitalisme décadent : « Pour le CCI tout se réduit au "chaos" et à la "décomposition" et avec eux on n'a pas besoin de trop s'embarrasser d'une analyse détaillée des choses. C'est la clé de leur position. » ([13] [65]) Nous reviendrons sur cette question, cependant, nous voulons préciser sur cette accusation de simplisme que, ce qu'elle suppose de l'avis du BIPR (une négation du marxisme comme méthode d'analyse de la réalité!), ce dernier devrait l'appliquer au 1er congrès de l'IC, à Lénine et à Rosa Luxemburg.

Ce n'est pas l'objet de cet article de mettre en évidence les limites de la position de l'IC ([14] [66]), mais de nous appuyer sur les points clairs de celle-ci. En examinant les documents fondateurs de l'Internationale Communiste, nous y voyons des indications claires rejetant l'idée de la guerre comme « solution » à la crise capitaliste et la vision d'un capitalisme d'après-guerre qui fonctionne « normalement » suivant les cycles d'accumulation propres à sa période d'ascendance.

« La politique de paix de l'Entente dévoile ici définitivement aux yeux du prolétariat international la nature de l'impérialisme de l'Entente et de l'impérialisme en général. Elle prouve en même temps que les gouvernements impérialistes sont incapables de conclure une paix 'juste et durable" et que le capital financier est incapable de rétablir l'économie détruite. Le maintien de la domination du capital financier mènerait soit à la destruction totale de la société civilisée ou à l'augmentation de l'exploitation, de l'esclavage, de la réaction politique, des armements et finalement à de nouvelles guerres destructrices. » ([15] [67])

L'IC établit clairement que le capital ne peut pas rétablir l'économie détruite, c'est-à-dire qu'il ne peut pas rétablir, par la guerre, un cycle d'accumulation « normal », sain, qu'il ne peut pas trouver en somme une « nouvelle jeunesse » comme le dit le PCI (Programma). Qui plus est, au lieu provoquer un « rétablissement », cette situation profondément viciée et altérée permet le développement « des armements, de la réaction politique, de l'accroissement de l'exploitation. »

Dans le Manifeste du 1er congrès, l'IC explique que : « La répartition des matières premières, l'exploitation du naphte de Bakou ou de Roumanie, de la houille du Donetz, du froment d'Ukraine, l'utilisation des locomotives, des wagons et des automobiles d'Allemagne, l'approvisionnement en pain et en viande de l'Europe affamée, toutes ces questions fondamentales de la vie économiques du monde ne sont plus réglées par la libre concurrence, ni même par des combinaisons de trusts ou de consortiums nationaux et internationaux. Elles sont tombées sous le joug de la tyrannie militaire pour lui servir de sauvegarde désormais. Si l'absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l'humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier, non seulement de militariser jusqu'au bout l'Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte au 'il ne peut plus remplir ses fonc­tions essentielles que par le fer et le sang. » ([16] [68])

La perspective que trace l'IC est celle d'une « militarisation de l'économie »; question que toutes les analyses marxistes mettent en évidence comme expression de l'aggravation des contradictions capitalistes et non comme leur allégement ou leur relativisation, fussent-elles momentanées (le BIPR dans sa réponse rejette le militarisme comme moyen d'accumulation). De même l'IC insiste sur le fait que l'économie mondiale ne peut revenir à la période libérale ni même à celle des trusts, et finalement exprime une idée très importante : « le capitalisme ne put déjà plus remplir ses fonctions économiques essentielles si ce n'est au moyen du fer et du sang. » Cela ne peut s'interpréter que d'une manière : à travers la guerre mondiale, le mécanisme de l'accumulation ne peut plus fonctionner normalement, pour le faire il a besoin « du fer et du sang ».

La perspective que l'IC retient pour l'après-guerre c'est l'aggravation des guerres : « Les opportunistes qui, avant la guerre, invitaient les ouvriers à modérer leurs revendications sous le prétexte du passage progressif au socialisme et qui, pendant la guerre, les ont obligés à renoncer à la lutte de classe au nom de l'Union Sacrée et de la défense nationale, exigent du prolétariat un nouveau sacrifice, cette fois avec la proposition d'en finir avec les conséquences horribles de la guerre. Si de telles prêches parvenaient à influencer les masses ouvrières, le développement du capitalisme se poursuivrait, sacrifiant de nombreuses générations sous des formes nouvelles de sujétion, encore plus concentrées et plus monstrueuses, avec la perspective fatale d'une nouvelle guerre mondiale. » ([17] [69])

Ce fut une tragédie historique que l'IC ne développe pas ce corps d'analyse clair et que, de plus, dans son étape de dégénérescence, elle le contredise ouvertement avec des positions insinuant la conception d'un capitalisme « revenu à la normale », réduisant les analyses sur le déclin et la barbarie du système à de simples proclamations rhétoriques. Cependant, la tâche de la Gauche communiste consiste à préciser et à détailler ces lignes générales léguées par l'IC et il est clair que, des citations ci-dessus, ne se dégage pas une orientation qui va dans le sens d'un capitalisme qui revient à un cycle constant d'accumulation -crise - guerre dévalorisante - nouvelle accumulation... mais bien dans le sens d'une économie mondiale profondément altérée, incapable de retrouver les conditions normales de l'accumulation et à deux doigts de nouvelles convulsions et destructions.

L'irrationalité de la guerre impérialiste

Cette sous-estimation de l'analyse fondamentale de l'IC (et de Rosa Luxem­burg et Lénine) est manifeste dans le rejet, par le BIPR, de notre notion de l'irrationalité de la guerre : « Mais l'article du CCI altère la signification de cette affirmation (de la fonction de la guerre, ndt) parce que leur commentaire suivant est que cela signifierait que nous serions d'accord avec le fait qu'"i\ y a une rationalité dans le phénomène de la guerre mondiale". Cela impliquerait que nous voyons la destruction de valeurs comme l'objectif du capitalisme, c'est-à-dire que ce serait la cause (souligné dans l'original) directe de la guerre. Mais les causes ne sont pas la même chose que les conséquen­ces. La classe dominante des Etats impérialistes ne va pas à la guerre consciemment pour dévaloriser le capital. » ([18] [70])

Dans la période ascendante du capitalisme, les crises cycliques ne sont pas provoquées consciemment par la classe dominante. Pourtant, les crises cycliques ont une « rationalité économique » : elles permettent de dévaloriser le capital et, en conséquence, de reprendre l'accumulation capitaliste à un autre niveau. Le BIPR pense que les guerres mondiales de la décadence remplissent un rôle de dévalorisation du capital et de reprise de l'accumulation. C'est-à-dire qu'il leur attribue une rationalité économique de nature similaire à celle des crises cycliques de la période ascendante.

Et c'est là justement l'erreur centrale comme nous en avions averti la CWO voilà seize ans, dans notre article « Théories économiques et lutte pour le socialisme » : « On peut voir l'erreur de Boukharine répétée dans l'analyse de la CWO : "Chaque crise mène (à travers la guerre) à une dévalorisation du capital constant, élevant ainsi le taux de profit et permettant au cycle de reconstruction - le boom, dépression, guerre - de se répéter encore." RP n° 6. Ainsi pour la CWO, les crises du capitalisme décadent sont vues en terme économique, comme les crises cycliques du capitalisme ascendant répétées au plus, haut niveau.» ([19] [71])

Le BIPR situe la différence entre ascendance et décadence uniquement dans l'amplitude des interruptions périodiques du cycle de l'accumulation : « Les causes de la guerre viennent des efforts de la bourgeoisie pour défendre ses valeurs de capital face à celles de ses rivales. Sous le capitalisme ascendant de telles rivalités s'expriment au niveau économique et entre firmes rivales. Celles qui peuvent atteindre un niveau de concentration de capital plus élevé (tendance capitaliste à la concentration et au monopole) sont en position de pousser leurs concurrents contre le mur. Cette rivalité conduit aussi à une sur-accumulation de capital qui débouchait sur les crises décennales du 20e siècle. Le capitalisme pouvait se dévaloriser à chaque crise et ainsi une nouvelle phase d'accumulation pouvait recommencer, bien que le capital soit plus centralisé et concentré... A l'époque du capitalisme monopoliste, dans laquelle la concentration a atteint le niveau de l'Etat national, l'économique et le politique s'interpénètrent dans l'étape décadente ou impérialiste du capitalisme. A cette époque, les politiques que requiert la défense des intérêts du capital impliquent les Etats eux-mêmes et aboutissent à des rivalités entre les puissances impérialistes. » ([20] [72]) Comme conséquence de cela « les guerres impérialistes n'ont pas des objectifs aussi limités (que ceux de la période ascendante, ndt). La bourgeoisie,... une fois embarquée dans la guerre, la fait jusqu'à l'anéantissement d'une nation ou d'un bloc de nations. Les conséquences de la guerre ne se limitent pas à une destruction physique de capital, mais aussi à une dévalorisation massive du capital existant. » ([21] [73])

Au fond de cette analyse, il y a une forte tendance à l'économisme qui ne conçoit la guerre que comme un produit immédiat et mécanique de l'évolution économique. Dans l'article de la Revue Internationale n° 79, nous montrions que la guerre a une cause économique globale (la crise historique du capitalisme), mais cela n'implique pas que chaque guerre a une motivation économique immédiate et directe. Le BIPR cherche dans la guerre du Golfe une cause économique et tombe dans le terrain de l'économisme le plus vulgaire en disant que c'est une guerre pour les puits de pétrole. Il explique également la guerre yougoslave par la soif d'on ne sait quels marchés de la part des grandes puissances. ([22] [74]) II est vrai que par la suite, sous la pression de nos critiques et des évidences empiriques, il a corrigé ces analyses, mais cela ne l'a jamais conduit à remettre en cause cet économisme vulgaire qui ne peut pas concevoir la guerre sans une cause immédiate et mécanique de type « économique ». ([23] [75])

Le BIPR confond rivalité commerciale et rivalité impérialiste, qui ne sont pas nécessairement identiques. La rivalité impérialiste a pour cause fondamentale une situation économique de saturation du marché mondial, mais cela ne veut pas dire qu'elle a pour origine directe la simple concurrence commerciale. Son origine est économique, stratégique et militaire, et en elle se concentrent des facteurs historiques et politiques.

De même, dans la période ascendante du capitalisme, les guerres (de libération nationale ou coloniales) si elles ont bien une finalité économique globale (la constitution de nouvelles nations ou l'expansion du capitalisme à travers la formation de colonies) ne sont pas dictées directement par des rivalités commerciales. Par exemple, la guerre franco-prussienne avait des origines dynastiques et stratégiques mais ne venait ni d'une crise commerciale insoluble pour aucun belligérants ni d'une particulière rivalité commerciale. Cette question, le BIPR est capable de la comprendre jusqu'à un certain point quand il dit : « Même si les guerres post-napoléoniennes du 19e siècle avaient leurs horreurs (comme le voit correctement le CCI) la véritable différence était qu'on luttait pour des objectifs spécifiques qui permettaient d'arriver à des solutions rapides et négociées. La bourgeoisie du 19e siècle avait encore la mission programmatique de détruire les résidus du vieux mode de production et de créer de véritables nations. » ([24] [76]) De plus, il voit très bien la différence avec la période décadente : « le coût d'un développement capitaliste supérieur des forces productives n'est pas inévitable. De plus, ce coût a atteint une telle échelle qu'il a causé la destruction de la vie civilisée aussi bien à court terme (milieu ambiant, famines, génocides) qu'à long terme (guerre impérialiste généralisée). » ([25] [77])

Les constatations sont correctes et nous les partageons pleinement, mais nous devons leur poser une question très simple : que signifie le fait que les guerres de la décadence ont des « objectifs totaux » et que le prix du maintien du capitalisme peut aller jusqu'à supposer la destruction de l'humanité ? Est-ce que ces situations de convulsion et de destruction, dont le BIPR reconnaît qu'elles sont qualitativement différentes de celles de la période ascendante, peuvent correspondre à une situation économique de reproduction normale et saine des cycles d'accumulation du capital, qui seraient identiques à celle de la période ascendante ?

La maladie mortelle du capitalisme décadent, le BIPR la situe seulement dans les moments de guerre généralisée, mais ne la voit pas dans les moments d'apparente normalité, dans les périodes où, selon lui, se développe le cycle d'accumulation du capital. Cela le conduit à une dangereuse dichotomie : d'un côté il conçoit des époques de développement des cycles normaux d'accumulation du capital où nous assistons à une croissance économique réelle, où se produisent des « révolutions technologiques », où le prolétariat croît. Dans ces époques de pleine vigueur du cycle d'accumulation, le capitalisme paraît revenir à ses origines, sa croissance semble le montrer dans une position analogue à celle de sa jeunesse (cela, le BIPR n'ose pas le dire, tandis que le PCI (Programma) le dit ouvertement). D'un autre côté, il y a les époques de guerre généralisée dans lesquelles la barbarie du capitalisme décadent se manifeste dans toute sa bru­talité et toute sa violence.

Cette dichotomie rappelle fortement celle qu'exprimait Kautsky avec sa thèse du « super-impérialisme » : d'un côté il reconnaissait que, à travers la 1ère guerre mondiale, le capitalisme était entré dans une période où pouvaient se produire de grandes catastrophes et convulsions mais, en même temps, il établissait qu'il y avait une tendance « objective » à la concentration suprême du capitalisme en un grand trust impérialiste qui permettrait un capitalisme pacifique. Dans l'introduction au livre de Boukharine déjà cité (L'économie mondiale et l'impérialisme), Lénine dénonçait cette contradiction centriste de Kautsky : « Kautsky s'est promis d'être marxiste dans l'époque des graves conflits et des catastrophes qu'il s'est vu contraint de prévoir et de définir très nettement quand, en 1909, il a écrit son œuvre sur ce thème. Maintenant qu'il est absolument hors de doute que cette période est arrivée, Kautsky se contente de continuer à promettre d'être marxiste dans une époque future, qui n'arrivera peut-être jamais, celle du super-impérialisme. En un mot, il promet d'être marxiste, quand on voudra, mais dans une autre époque, pas à présent, dans les conditions actuelles, dans l'époque que nous vivons.»

Nous nous gardons bien de dire qu'il arrivera la même chose au BIPR. L'analyse marxiste de la décadence du capitalisme, il la garde jalousement pour la période où la guerre éclate, tandis que pour la période d'accumulation il se permet une analyse qui fait des concessions aux mensonges bourgeois sur la « prospérité » et la « croissance » du système.

La sous-estimation de la gravité du processus de décomposition du capitalisme

Cette tendance à garder l'analyse marxiste de la décadence pour la période de la guerre généralisée explique la difficulté qu'a le BIPR à comprendre l'étape actuelle de la crise historique du capitalisme : « Le CCI a été conséquent depuis sa fondation voilà 20 ans en laissant de côté toute tentative d'analyse sur la façon dont le capitalisme s'est conduit dans la crise actuelle. Il pense que toute tentative de voir les traits spécifiques de la crise présente revient à dire que le capitalisme a résolu la crise. Il ne s'agit pas de cela. Ce qui incombe aux marxistes actuellement c'est d'essayer de comprendre pourquoi la crise présente dépasse en durée la Grande Dépression de 1873-96. Mais, tandis que cette dernière était une crise alors que le capitalisme entrait dans sa phase monopoliste et qu'il était encore possible de la résoudre par une simple dévalorisation économique, la crise actuelle menace l'humanité d'une catastrophe beaucoup plus grande. » ([26] [78])

II n'est pas certain que le CCI ait renoncé à analyser les détails de la crise présente. Le BIPR peut s'en convaincre en étudiant les articles que nous publions régulièrement, dans chaque numéro de la Revue Internationale, sur la crise dans tous ses aspects. Pour nous, la crise ouverte en 1967 est la réapparition de façon ouverte d'une crise chronique et permanente du capitalisme en décadence, c'est la manifestation d'un freinage profond et toujours plus incontrôlable du mécanisme d'accumulation capitaliste. Les « traits spécifiques » de la crise actuelle constituent les diverses tentatives du capital, à travers le renforcement de l'intervention de l'Etat, la fuite en avant dans l'endettement et les manipulations monétaires et commerciales, pour éviter une explosion incontrôlable de sa crise de fond et, en même temps, la mise en évidence de l'échec de telles remèdes et leurs effets pervers qui aggravent encore plus le mal incurable du capitalisme.

Le BIPR voit comme la «grande tâche » des marxistes d'expliquer la longue durée de la crise actuelle. Cela ne nous surprend pas qu'il soit étonné par la durée de la crise, dans la mesure où il ne comprend pas le problème de fond : nous n'assistons pas à la fin d'un cycle d'accumulation mais à une situation historique de blocage prolongé, d'altération profonde du mécanisme d'accumulation, une situation, comme disait l'IC, où le capitalisme ne peut plus assurer ses fonctions économiques essen­tielles autrement que par le fer et le sang.

Ce problème de fond qu'a le BIPR le conduit à ironiser une fois de plus à propos de notre position sur la situation historique actuelle de chaos et de décomposition du capitalisme : « Même si on peut être d'accord sur le fait qu'il y a des tendances à la décomposition et au chaos (vingt ans après la fin du cycle d'accumulation, il est difficile de voir comment il pourrait en être autrement) celles-ci ne peuvent être utilisées comme slogans pour éviter une analyse concrète de ce qui se passe. » ([27] [79])

Comme on le voit, ce qui préoccupe le plus le BIPR c'est notre supposé « simplisme », une sorte de « paresse intellectuelle » qui trouverait refuge dans des cris radicaux sur la gravité et le chaos de la situation du capitalisme, comme un tic pour ne pas engager une analyse concrète de ce qui est en train de se passer.

La préoccupation du BIPR est juste. Les marxistes ne se gênent pas et nous ne nous gênons pas (c'est une de nos obligations dans le combat du prolétariat) pour analyser en détails les événements en évitant de tomber dans les généralités rhétoriques dans le style du « marxisme orthodoxe » de Longuet en France ou des imprécisions anarchistes qui réconfortent mais qui, dans les moments décisifs, conduisent à de graves divagations opportunistes, si ce n'est à des trahisons éhontées.

Cependant, pour pouvoir faire une analyse concrète de « ce qui se passe », il faut avoir un cadre global clair, et c'est sur ce terrain que le BIPR a des problèmes. Comme il ne comprend pas la gravité et la profondeur des altérations et le degré de dégénérescence et des contradictions du capitalisme dans les « moments normaux », dans les phases du cycle d'accumulation, tout le procès de décomposition et de chaos du capi­talisme mondial qui s'est considérablement accéléré avec l'effondrement du bloc de l'Est en 1989, leur échappe des mains, il est incapable de le comprendre.

Le BIPR devrait se rappeler les stupidités lamentables qu'il a dit au moment de l'effondrement des pays staliniens, spé­culant sur les «fabuleux marchés » que ces champs de ruines pourraient offrir aux pays occidentaux et croyant qu'ils apporteraient un allégement de la crise capitaliste. Par la suite, face au poids de l'évidence empirique et grâce à nos critiques, le BIPR a corrigé ses erreurs. Cela est très bien et montre son sens des responsabilités et son sérieux face au prolétariat. Mais le BIPR devrait aller au fond des choses. Pourquoi tant de gaffes ? Pourquoi doit-il changer sous la pression des faits eux-mêmes ? Quelle est cette avant-garde qui doit changer de position à la suite des événements, incapable, à chaque fois, de les prévoir ? Le BIPR devrait étudier attentivement les documents où nous avons exposé les lignes générales du processus de décomposition du capitalisme. ([28] [80]) II constaterait qu'il n'y a pas de problème de « simplisme » de notre part mais du retard et de l'incohérence de la sienne.

Ces problèmes trouvent une nouvelle démonstration dans la spéculation suivante : « Une preuve de plus de l'idéalisme du CCI est l'accusation finale qu'il porte au Bureau qui "n'a pas une vision unitaire et globale de la guerre" ce qui conduirait à 'l'aveuglement et l'irresponsabilité" (sic) de ne pas voir qu'une prochaine guerre pourrait signifier "rien de moins que l'anéantissement complet de la planète". Le CCI pourrait avoir raison, encore qu'il nous plairait de connaître les bases scientifiques de cette prévision. Nous-mêmes avons toujours dit que la prochaine guerre menaçait l'existence de l'humanité. Cependant, il n'y a pas de certitude absolue de cette destruction totale de tout ce qui existe. La prochaine guerre impérialiste pourrait ne pas aboutir à la destruction finale de l'humanité. Il y a des armes de destruction massive qui n'ont pas été utilisées dans les conflits antérieurs (comme par exemple les armes chimiques ou biologiques) et il n'y a pas de garantie qu'un holocauste nucléaire pourrait embraser toute la planète. En fait, les préparatifs actuels des puissances impérialistes comprennent l'élimination des armes de destruction massive en même temps que se développent les armes conventionnelles. Même la bourgeoisie comprend qu'une planète détruite ne sert à rien (même si les forces qui mènent à la guerre et la nature de la guerre échappent, en dernière instance, à son contrôle). » ([29] [81])

Le BIPR devrait apprendre un peu de l'histoire : pendant la 1ère guerre mondiale, toutes les armées ont employé les forces maximum de destruction, on chercherait vainement un génie plus meurtrier. Pendant la 2e guerre mondiale, alors que l'Allemagne était déjà vaincue il y eu les bombardements massifs de Dresde, utilisant les bombes incendiaires et à fragmentation et en­uite, contre le Japon, lui aussi vaincu, les Etats-Unis utilisèrent la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. Par la suite, la masse de bombes qui en 1971 est tombée sur Hanoi en une nuit dépassait la masse de bombes tombée sur l'Allemagne pendant toute l'année 1945. A son tour, le « tapis de bombes » que les « alliés » ont largué sur Bagdad a battu le triste record de Hanoi. Dans la même guerre du Golfe, ont été testées, par l'expérimentation sur les propres soldats nord-américains, de nouvelles armes de type nucléaire-conventionnel et chimique. On commence à savoir maintenant que les Etats-Unis ont fait, dans les années 1950, des expérimentations d'armes bactériologiques sur leur propre population... Et, face à cette masse d'évidences qu'on peut lire dans une quelconque publication bourgeoise, le BIPR a la bêtise et l'ignorance de spéculer sur le degré de contrôle de la bourgeoisie, sur son « intérêt » à éviter un holocauste total ! De manière suici­daire le BIPR rêve que soient utilisées des armes « moins destructrices » alors que 80 années d'histoire prouvent l'exact contraire.

Dans cette spéculation stupide le BIPR non seulement ne comprend pas la théorie, mais encore ignore superbement l'évidence écrasante et répétée des fait. Il devrait comprendre le caractère gravement erroné et révisionniste de ces illusions stupides de petits-bourgeois impuissants qui cherchent à s'en tirer coûte que coûte, sous prétexte que « la bourgeoisie elle-même comprend qu'une planète détruite ne sert à rien. »

Le BIPR doit dépasser le centrisme, les oscillations entre une position cohérente sur la guerre et la décadence du capitalisme et les théorisations spéculatives, que nous avons critiquées, sur la guerre comme moyen de dévalorisation du capital et de reprise de l'accumulation. En effet ces erreurs conduisent le BIPR à ne pas considérer et prendre au sérieux comme instrument cohérent d'analyse ce qu'il dit lui-même : « même si les forces qui mènent à la guerre et la nature de la guerre échappent, en dernière instance, à son contrôle. »

Cette phrase est pour le BIPR une simple parenthèse rhétorique alors que, s'il veut être pleinement fidèle à la Gauche communiste et comprendre la réalité historique, il devra la prendre pour guide d'analyse, pour axe de réflexion pour comprendre concrètement les faits et les tendances historiques du capitalisme actuel.

Adalen



[1] [82] Dans sa réponse, le BIPR développe d'autres questions, comme celle d'une conception particulière du capitalisme d'Etat, que nous ne traiterons pas ici.

[2] [83] Voir Revue Internationale n° 77 et 78 : « Le rejet de la notion de décadence conduit à la démobilisation du prolétariat face à la guerre ».

[3] [84] Le BIPR affirme son accord avec notre position, mais au lieu de reconnaître l'importance et les conséquences de cette convergence d'analyse, il réagit de façon sectaire et nous accuse d'être malhonnête dans la manière de prendre position contre l'erreur commise par Rosa Luxemburg sur « le militarisme comme secteur de l'accumulation du capital ». En réalité, comme nous le montrerons plus loin, la compréhension du fait que le militarisme n'est pas un moyen d'accumulation du capital est un argument en faveur de notre thèse fondamentale sur le freinage croissant de l'accumulation dans la période de décadence, et non un démenti de cette thèse. D'autre part, le BIPR se trompe quand il dit que c'est grâce à sa critique que nous avons changé de position sur la question du militarisme. Il devrait lire les documents de nos prédécesseurs (la Gauche Communiste de France) qui ont contribué de façon fondamentale à l'analyse de l'économie de guerre à partir d'une critique systématique de l'idée de Ver-cesi sur « la guerre comme solution à la crise capitaliste ». Voir « Le renégat Vercesi », 1944.

[4] [85] PC n° 90 page 24, cité dans la Revue Internationale n° 77.

[5] [86] « Les Bases Matérielles de la Guerre Impérialiste », Internationalist Communist Review n° 13, p. 29.

[6] [87] « Les Bases Matérielles de la Guerre Impérialiste », Internationalist Communist Review n° 13, p. 29.

[7] [88] Traduit par nous de l'édition espagnole

[8] [89] Le Capital, Livre III, section 3, chapitre 15.

[9] [90] « Les théories des crises, de Marx à l'Internationale communiste », Revue Internationale n° 22.

[10] [91] Voir l'article polémique avec le BIPR dans la Revue Internationale n° 79, paragraphe « La nature des cycles d'accumulation dans la décadence du capitalisme ».

[11] [92] .«Le renégat Vercesi », mai 1944 dans le Bulletin international de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste n° 5. 11.

[12] [93] . Idem

[13] [94] « Les Bases Matérielles de la Guerre Impérialiste », p. 30.

[14] [95] L'IC, à son premier congrès, considérait comme tâche urgente et prioritaire de pousser en avant les tentatives révolutionnaires du prolétariat mondial et de regrouper ses forces d'avant-garde. En ce sens, son analyse sur la guerre et l'après-guerre, sur l'évolution du capitalisme, etc., ne pouvait pas aller plus loin que l'élaboration de quelques lignes générales. Le cours postérieur des événements, la défaite du prolétariat et la progression rapide de la gangrène opportuniste au sein de PIC, ont conduit à contrecarrer ces lignes générales et les tentatives d'élaboration théorique (en particulier la polémique de Boukharine contre Rosa Luxemburg dans son livre L'impérialisme et l'accumulation du capital en 1924) et ont constitué une régression brutale par rapport à la clarté des deux premiers congrès.

[15] [96] « Thèses sur la situation internationale et la politique de l'Entente », documents du 1er congrès de l’IC

[16] [97] . Idem.

[17] [98] . Idem.

[18] [99] . « Les Bases Matérielles de la Guerre Impéria­liste », p. 29.

[19] [100] . Revue Internationale n° 16 p.14-15.

[20] [101] . « Les Bases Matérielles de la Guerre Impéria­liste », p.29-30.

[21] [102] . Idem.

[22] [103] Voir « Le milieu politique prolétarien face à la guerre du Golfe », Revue Internationale n° 64.

[23] [104] .Battaglia Comunista de janvier 1991, à propos de la guerre du Golfe, annonçait : « la 3e guerre mondiale a commencé le 17 janvier » (jour des premiers bombardements directs des « alliés » sur Bagdad). Le n° suivant mit un voile sur cette gaffe mais, au lieu de tirer les leçons de cette erreur, persista : « en ce sens, affirmer que la guerre qui a commencé le 17 janvier marque le début du 3e conflit mondial n'est pas un accès de fantaisie, mais prend acte de ce que s'est ouverte la phase dans laquelle les conflits commerciaux, qui se sont accentués depuis le début des années 70, ne peuvent trouver de solution si ce n'est dans la guerre généralisée. » Voir Revue Internationale n°72, « Comment ne pas comprendre le développement du chaos et des conflits impérialistes », où nous analysions et critiquions ces dérapages lamentables, ainsi que d'autres.

[24] [105] « Les Bases Matérielles de la Guerre Impérialiste ».

[25] [106] . Idem.

[26] [107] . Idem.

[27] [108] . Idem.

[28] [109] . Voir Revue Internationale n° 60, « Thèses sur les pays de l'Est » au sujet de l'effondrement du stalinisme, Revue Internationale n° 62, « La décomposition du capitalisme » et Revue Internationale n° 64, « Militarisme et décomposition ».

[29] [110] . « Les Bases Matérielles de la Guerre Impéria­liste », p. 36.

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [111]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la guerre [112]

Questions théoriques: 

  • Guerre [24]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [113]

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