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Révolution Internationale n° 443 - novembre décembre 2013

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Cantonales à Brignoles: le FN est un parti bourgeois

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L'élection cantonale de Brignoles (Var) du 13 octobre dernier, qui s'est conclue par la victoire du candidat presque inconnu du Front National, a été l'occasion d'un déchainement médiatique démesuré au regard de la faiblesse des enjeux politiques1 et du faible taux de participation caractéristique de ce type de scrutin. Après deux scrutins annulés en 2011 et en 2012 pour fraude, où les candidats du FN et du PCF l'avaient successivement emporté, les "citoyens" se sont visiblement lassés de cette mascarade, donnant une vigueur inouïe à la "vague bleu marine" désormais composée de... 216 élus, soit 0,003% des plus de 562 000 élus français.2 Si l'élection sans enjeux de M. Lopez sur un territoire où l'extrême réalise depuis longtemps des scores importants n'est pas un événement remarquable, la presse et les politiciens y ont pourtant vu un nouvel échelon gravi dans la "stratégie de conquête du pouvoir" de Marine Le Pen et, surtout, une preuve de la "lepénisation des esprits".

Incontestablement, la société capitaliste en décomposition est un terrain propice à l'affirmation des fractions politiques les moins lucides de la bourgeoisie et des idéologies les plus irrationnelles. La haine féroce et presque psychotique de l'étranger, de l'homosexuel ou du "gaucho" se répand dans une société où, sous le poids énorme de ses contradictions et des difficultés rencontrées par la classe ouvrière pour développer sa propre alternative politique, les structures économiques, sociales, politiques et idéologiques se décomposent de manière dramatique.3

Toutefois, le succès croissant des partis populistes dans le monde entier est loin d'échapper à la logique des appareils politiques bourgeois. Au contraire, comme nous le précisions dans le numéro 441 de Révolution Internationale4, l'extrême-droite remplit parfaitement son rôle avant tout idéologique, à la fois comme véhicule d’un programme destiné à pourrir les consciences sur le terrain de l’ultra-nationalisme, mais aussi comme repoussoir pour la défense du piège démocratique. L'élection de M. Lopez dans le canton de Brignoles est à ce titre significative de la manière dont la bourgeoisie instrumentalise le Front National, comme l'a souligné dans Le Monde du 14 octobre 2013, l'historien Nicolas Lebourg : "C'est incroyable tout ce cirque que l'on observe autour de ces cantonales. On est déconnecté des réalités, on est en train de construire quelque chose de toutes pièces. On est dans la prophétie autoréalisatrice. Le FN est maintenant surexposé et devient mainstream." Tout était en effet réuni pour une victoire du candidat de l'extrême-droite. Non seulement le FN est fortement implanté dans la région depuis la fin des années 1980 et compte plusieurs victoires électorales, mais, surtout, le récent scrutin à Brignoles s'inscrit dans un contexte d'instabilité politique typique de la phase de décomposition et favorable au populisme.

Lors de la première élection de 2011, le candidat du FN, Jean-Paul Dispard, l'emportait de 5 voix sur le candidat du PCF, Claude Gilardo, avant que le scrutin ne soit annulé pour irrégularité à la demande du vaincu. En 2012, les rôles s'inversèrent avec la courte victoire de M. Gilardo (13 voix d'écart) et une nouvelle annulation du scrutin. Finalement, les protagonistes furent remplacés à l'occasion du troisième scrutin de 2013 qui a vu M. Lopez triompher. Par ailleurs, l'ambiance nauséabonde construite de toutes pièces par la bourgeoisie et stigmatisant un jour les Roms et les Arabes, et l'autre les fainéants qui refusent de travailler le dimanche est certainement pour beaucoup dans le succès frontiste à Brignoles.

Une observation superficielle de la situation suggérerait que la dilution de l'idéologie d'extrême-droite dans la population, et notamment dans une part non négligeable du prolétariat, est un véritable don du ciel pour la bourgeoisie. Néanmoins, si celle-ci instrumentalise depuis des décennies les partis d'extrême-droite pour pousser la classe ouvrière vers les urnes au nom de la "défense de la démocratie", le succès croissant des partis populistes signifie en réalité une dangereuse perte de maîtrise du jeu politique.

Pour la bourgeoisie, le danger n'est nullement la conquête du pouvoir par le FN. Les fractions d'extrême-droite de l'appareil politique véhiculent en effet un programme en complet décalage avec les besoins objectifs du capital national, tant au niveau de la gestion de l'économie et des conceptions impérialistes qu'à celui, et surtout, de l'encadrement de la classe ouvrière dont elles ont beaucoup de difficultés à comprendre les enjeux. C'est une des raisons pour laquelle la classe dominante ne laissera pas ses fractions d'extrême-droite disposer du pouvoir, préférant muscler le discours des partis traditionnels et plus responsables de la droite pour contenir électoralement les partis populistes.

D'ailleurs, partout où l'extrême-droite a eu l'occasion de participer à la gestion de l'Etat, les éléments programmatiques les plus en contradiction avec les intérêts nationaux ont été soigneusement enterrés. En 1995, par exemple, le Mouvement social italien, parti alors ouvertement néo-fasciste de Gianfranco Fini, adopta un programme pro-européen de centre-droit afin de se maintenir au gouvernement de Silvio Berlusconi, tandis que la Ligue du Nord, tout en conservant son verbiage populiste, enterra rapidement son programme indépendantiste. La même logique s’imposa, en Autriche, à Jörg Haider, contraint d’assouplir ses positions et d’adopter un programme plus responsable, tout comme elle s'impose encore aujourd'hui à la coalition indépendantiste flamande (Vlaamsblok) en Belgique.

Pendant l'entre-deux-guerres, les programmes fascistes étaient alors la réponse aux besoins des nations vaincues ou lésées par la Première Guerre mondiale et qui devaient préparer le terrain à l’éclatement d’une nouvelle boucherie afin de repartager le marché mondial en leur faveur. La bourgeoisie allemande comme italienne soutenait à ce titre les fractions fascistes pour qu'elles puissent concentrer l'ensemble des pouvoirs dans les mains de l’État, empêcher les dissensions internes au sein de la classe dominante et ainsi accélérer l'établissement de l'économie de guerre.

Surtout, le fascisme fut un instrument d’embrigadement de la classe ouvrière sous les drapeaux impérialistes, que seul le contexte de la période contre-révolutionnaire permettait. Sans l’écrasement préalable du prolétariat allemand orchestré par la gauche et les partis démocratiques pendant la Révolution en Allemagne ou celui des grèves de 1920 en Italie, jamais le fascisme et sa militarisation délirante du travail, n’auraient pu voir le jour. De même, dès la guerre civile espagnole de 1936, la bourgeoisie des pays démocratiques usa de la propagande antifasciste pour enrôler les ouvriers sous les drapeaux de la démocratie.

Bien que la contre-révolution des années 1920-1960 pèse encore de tout son poids sur la conscience du prolétariat, la classe dominante n’est aujourd’hui pas en mesure d'imposer la militarisation du travail et de nous entrainer vers un nouveau conflit mondial sans se heurter à de violentes réactions ouvrières. Surtout, elle ne peut pas prendre le risque de se priver dans les pays centraux d'un élément au cœur de son dispositif idéologique : les illusions démocratiques. Si la propagande antifasciste ne joue donc plus son rôle de préparation à la guerre, elle demeure néanmoins un puissant poison idéologique destiné à pousser le prolétariat sur le terrain de la défense des institutions et de l’État démocratique.

Mais, si la bourgeoisie ne craint pas en soi une dynamique électorale du FN aboutissant à la conquête du pouvoir, cette intrusion institutionnelle et la "lepénisation" forcée de l'aile droite de l'UMP fait perdre à l'extrême-droite son aura de parti repoussoir, laissant ce terrain à des groupuscules radicaux et ultra-violents mais sans potentiel électoral. En accédant aux responsabilités, l’extrême droite perdrait en partie sa crédibilité idéologique, comme le PS a largement perdu avec la victoire de François Mitterrand en 1981 sa capacité à se présenter comme le défenseur du progrès social.

Ainsi, le problème fondamental de la bourgeoisie à Brignoles n'est nullement la montée en puissance du FN qui n’a, en l'occurrence, rien gagné en nombre de voix par rapport aux élections précédentes dans la même ville. En revanche, la classe dominante est très inquiète d'un phénomène qui s'est manifesté tant à Brignoles que lors d'autres scrutins partiels : la faible mobilisation des électeurs pour barrer la route du FN. Cela signifie que les manœuvres pour renforcer la défense de la démocratie ne fonctionnent plus aussi bien qu'avant. De l'eau a coulé sous les ponts depuis les immenses manifestations contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002 !

La classe ouvrière ne doit donc pas se laisser berner par le prétendu danger fasciste et bien comprendre que l'ensemble des fractions politiques de la bourgeoisie, populistes ou démocrates, sont pareillement réactionnaires et barbares. Elles laisseront se répandre le pire des chaos pour défendre leur système moribond.

El Generico (23/10/2013)

 

1 Au Conseil général du Var, l'UMP et ses alliées possèdent une majorité écrasante de 32 sièges sur 43 que l'élection de Laurent Lopez ne pouvait aucunement ébranler.

2 Brignoles: un élu FN de plus, mais combien y-a-t-il d'élus au Front ?, Le Huffington Post (14 octobre 2013).

3 Voir notre article : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste. dans le numéro 62 de la Revue Internationale et sur notre site. (https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ul... [2])

4 Cf. La montée du populisme est un produit de la décomposition du système capitaliste.

 

 

Personnages: 

  • Le Pen [3]

Rubrique: 

Campagnes idéologiques

Valls, Léonarda et les Roms: le capitalisme cultive la peur de l’autre

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"Indigne", "Rafle", "Sordide", "Chasse aux sans-papiers", "Populisme", "Révoltant", "Abomination", "Inhumain"…1 La gauche et l’extrême gauche n’ont pas eu de mots assez durs pour dénoncer ce qui est jugé comme le pas de trop de Manuel Valls. Après ses multiples déclarations anti-Roms, l’expulsion de la jeune kosovare Léonarda, sous les yeux de ses camarades de classe, a provoqué un tollé. Le ministre de l’Intérieur irait trop loin, trop vite, il perdrait le sens de la mesure, emporté par ses ambitions personnelles. Le but de toute cette propagande est clair : faire croire que Valls est un mouton noir, un traître, un vendu, un populiste déguisé en socialiste ; et que toute la gauche, si elle a mis le temps à réagir, est aujourd’hui décidée à défendre ses valeurs morales et son humanisme. Quelle manœuvre grossière ! Toutes ces indignations, ces protestations outrées, ces discours prononcés la main sur le cœur et la larme à l’œil…, tout, absolument tout sonne faux. L’air qui nous est joué ici n’est rien d’autre que celui qui ouvre le bal pour la valse des hypocrites2.

Les gouvernements changent, la chasse aux immigrés demeure

Quand il déclare qu'environ 20 000 hommes, femmes et enfants originaires de Roumanie et de Bulgarie "ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution.", que "ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation avec les populations locales", qu’il "n'y a pas d'autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire à la frontière", quand il prône une intransigeance vis-à-vis des sans-papiers qui aboutit à humilier une gamine de 15 ans devant ses amis, Manuel Valls ne fait rien d’autre que d’appliquer la même politique anti-immigrés féroce que ses prédécesseurs, de gauche comme de droite. Ni plus, ni moins. Le ministre socialiste s’inspire sans aucun doute d’Hortefeux ou de Guéant. Mais Hortefeux ou Guéant eux aussi suivaient les traces laissées par leurs prédécesseurs, comme Chevènement par exemple qui, en déclarant dans une circulaire ministérielle d’octobre 1999 : "L'activité en matière d'éloignement des étrangers se situe à un niveau anormalement bas. (...) J'attache aussi du prix à ce que, dans les derniers mois de 1999, une augmentation significative du nombre d'éloignements effectifs intervienne", inaugurait sous l’ère Jospin la culture du chiffre, du quota et du résultat dans le domaine de l’expulsion. Et tous ceux-là ont profité sans vergogne, les uns après les autres, pour mener à bien leur politique contre les sans-papiers, de la mise en place des charters collectifs par Edith Cresson, en 1991, dont le terrain avait été préparé par la célèbre déclaration de Rocard : "Notre pays ne peut pas accueillir toute la misère du monde" (prononcée en 1990 alors qu’il était Premier ministre d’un gouvernement socialiste)3. Depuis 1974, droite et gauche se relaient aux plus hautes responsabilités de l’État et la même politique anti-immigrés demeure. La raison en est simple. À la fin des années 1960, le retour de la crise économique a signifié la fin du plein emploi et la hausse du chômage. N'étant que de la chair à usine ne trouvant plus à être exploités, les immigrés sont devenus de plus en plus encombrants. C'est pourquoi le président français de l'époque, Giscard d'Estaing, avait décidé de "suspendre" l'immigration puis, trois ans plus tard, de créer une "aide au retour". Depuis lors, au fil des récessions, les lois anti-immigrés n'ont fait que se durcir, sous tous les gouvernements sans exception. Seule différence, traditionnellement, la droite se vante de sa "fermeté" vis-à-vis des étrangers vivant illégalement sur le territoire quand la gauche mène exactement la même politique en catimini, l’air de rien. Voici "l’originalité" de Valls : prôner une gauche décomplexée, qui affiche ses ambitions "sécuritaires" (c’est-à-dire anti-immigrés).

Pourquoi la peur de l’autre est-elle si répandue ?

Que Valls tienne des discours nauséabonds, il est dans son rôle, son rang de grand bourgeois défendant froidement les intérêts sordides de sa classe et donc du Capital national. Mais pourquoi ces propos trouvent-ils un écho au sein de la "population" ? Pourquoi un sale type comme lui est-il si "populaire" ? Pire : pourquoi des campements de Roms ont-ils été récemment incendiés par la foule ?4

Ces sentiments de peur de l’autre et de haine, cette tendance à chercher des individus ou groupes d’individus responsables de tous les maux de la terre, véritables boucs-émissaires à l’égard desquels se développe chaque fois un esprit pogromiste… tout ceci prend racine dans la société actuelle telle qu’elle est. La cause profonde de cette dynamique nauséabonde et destructrice est en effet le fonctionnement même du capitalisme et de son idéologie. Ce système jette les hommes les uns contre les autres, détruit les liens sociaux, met en concurrence et même en guerre chaque individu contre tous les autres. "La concurrence est l'expression la plus achevée de la guerre de tous contre tous dans la société bourgeoise moderne. Cette guerre (...) non seulement existe entre les différentes classes de la société mais également entre les membres individuels de ces classes. Chacun se trouve sur le chemin de quelqu'un d'autre et c'est pourquoi chacun essaie de pousser les autres de côté et de prendre leur place. Les ouvriers sont en concurrence les uns avec les autres, tout comme la bourgeoisie fait de la concurrence en son sein".5 Ce "chacun pour soi" bourgeois condamne la société moderne au malheur. Comme le remarquait Engels : "Nous travaillons tous, chacun pour son propre avantage, sans se soucier du bien-être des autres, bien qu'il soit assez clair, une vérité évidente, que l'intérêt, le bien-être, le bonheur de la vie de chaque individu dépendent inséparablement de ceux de ses semblables".6

Cette mise en concurrence fait d’autant plus de ravages que chaque individu est, sous le capitalisme, menacé par la précarité, incertain pour son avenir, insécurisé et surtout impuissant face aux lois économiques (qui semblent tenir des lois naturelles alors qu’elles sont le produit de l’activité humaine). Cette dernière idée est primordiale. L'aliénation de l'humanité sous le capitalisme conduit à ce que l'activité productive des membres de la société devienne une force aveugle qui échappe à leur contrôle et même à leur compréhension ; cette activité productive peut, de façon soudaine et inattendue, plonger l'individu, la classe ou l'ensemble de l'humanité dans des cataclysmes apparemment inexplicables. La peur pour soi engendre la peur de l’autre, puisqu’il est un concurrent ; quand cet autre est considéré comme une menace pour sa propre existence, la crainte peut se transformer en haine. Autrement dit, le capitalisme est à la racine de la peur sociale et des tendances au pogromisme.

La lutte contre la barbarie capitaliste

La bourgeoisie utilise la mise en concurrence de tous contre tous, la peur de l’avenir, la fragilité et l’insécurité ressentie par chaque individu pour distiller au sein des rangs ouvriers le poison de la division et de la méfiance. Autrement dit, elle retourne contre les exploités les effets pervers de son propre système, la pourriture idéologique qu’il engendre, pour maintenir sa domination. Cela dit, s’il n’est pas immunisé contre un tel poison, le prolétariat a la capacité d’y résister et même d’y opposer son propre principe d'association, édifié sur la confiance, l’unité et la solidarité. "Si les ouvriers décident de ne plus accepter d'être achetés et vendus, si, face à la détermination de ce qu'est en réalité la valeur du travail, ils s'affirment comme êtres humains qui en même temps que leur force de travail possède une volonté, il en sera fini de toute l'économie nationale de l'époque actuelle et des lois salariales. Ces lois salariales s'imposeraient en fait à nouveau à long terme si les ouvriers se satisfaisaient d'abolir la concurrence entre eux (...). La nécessité les oblige non seulement à abolir une partie de la concurrence, mais la concurrence comme telle."7 Le capitalisme a engendré une classe d’immigrés, le prolétariat, qui est l’antithèse de la division de l’humanité en nations. Le prolétariat est la seule classe aux intérêts internationaux unis qui, sur la base du travail associé et de la lutte de classe, intègre constamment des gens de différentes nationalités, de différentes races, différentes cultures, générations, personnalités et origines sociales en une unité. En tant que seule classe contemporaine économiquement active qui n'ait pas de propriété, le prolétariat a toujours eu à accueillir dans ses rangs les victimes ruinées et malheureuses du capitalisme. Travaillant pour le marché mondial dont il fait partie et sous le régime de la socialisation de la production qui rend chaque partie dépendante de l'ensemble, le travailleur salarié est obligé d'entrer en relation active avec le reste du monde. Potentiellement, ces qualités font du prolétariat une classe capable de lutter de façon désintéressée pour la libération de toute l’humanité. Faut-il encore, pour que ce potentiel se réalise, des conditions adéquates. Ces "conditions adéquates" sont le développement de la lutte de classe, de la conscience et la formation politique d'une classe, grâce auxquels le prolétariat a toujours été capable de développer la largeur d'esprit, la générosité chaleureuse et la solidarité.8

Le cri de ralliement "Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !" comporte ainsi une dimension hautement morale, il indique que le but de la révolution communiste sera de "créer des conditions de vie pour tous les êtres humains telles qu'ils puissent développer leur nature humaine, vivre avec leurs voisins dans des conditions humaines et ne plus avoir peur que de violentes crises bouleversent leurs vies"9.

Pawel (21/10/2013)

 

1 Tous ces mots ont été prononcés par les plus hauts représentants du PS, d’Europe Ecologie-les Verts, du PCF, du Front de gauche ou de LO.

2 Les lycéens qui sont sortis dans la rue pour manifester leur colère, certains d’entre eux réalisant même une courte grève de la faim, étaient, eux, sincères. Leur colère est plus que légitime. Mais la FIDL, syndicat lycéen proche du PS, les a poussés à se mobiliser pour donner du crédit à cette thèse selon laquelle "les valeurs de gauche existent et doivent être défendues" afin de limiter la perte des illusions et la prise de conscience de ce qu’est réellement la social-démocratie une fois au pouvoir. Certains lycéens s’en sont d’ailleurs rendu compte. Au lycée Ravel à Paris, par exemple, les tracts de la FIDL ont été jetés au sol et des pancartes "Nous ne voulons pas être récupérés" ont commencé à fleurir.

3 Et il ne s’agit pas là d’une exception française. Partout la gauche au pouvoir apporte sa contribution à la politique anti-immigrés. Par exemple, en Espagne, l’ex- Premier ministre socialiste Zapatero n’avait pas hésité, dans la nuit du 1er octobre 2005, à donner l’ordre à l’armée marocaine de tirer sur tous ceux qui tentaient de pénétrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Les images d’hommes et de femmes littéralement empalés sur les grilles barbelées de la frontière ou fauchés par les balles de la police avaient à l’époque fait le tour du monde.

4 Sous l’œil bienveillant des forces de l’ordre.

5 F.Engels, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.

6 F.Engels, Deux discours d’Eberfeld, 1845

7 F.Engels, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre.

 

8Une preuve en négatif de ce potentiel sont les "conditions inadéquates" des années 1930 durant lesquelles les ouvriers étaient physiquement et idéologiquement écrasés (en particulier en Allemagne lors des répressions sanglantes de 1919 et du début des années 1920). En effet, une fois le prolétariat vaincu et la contre-révolution triomphante, plus rien ne pouvait résister aux tendances les plus barbares du capitalisme. Un prolétariat qui résiste, même de façon assez passive comme aujourd’hui, ou qui développe sa lutte et sa perspective comme en 1917, ou qui est défait et démoralisé,… voilà ce qui explique qu’à certaine période de l’histoire le "tous contre tous" capitaliste prenne plus ou moins d’ampleur, fasse plus ou moins de ravages.

9 F.Engels, Deux discours d’Eberfeld.

 

 

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Récent et en cours: 

  • Immigration [6]

Rubrique: 

Politique anti-immigrés

Courrier de lecteur: à Nairobi, l'impérialisme génère la barbarie

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Nous publions ci-dessous l'article d'un de nos sympathisants proches. L'article porte sur l'attaque du centre commercial Westgate de Nairobi au Kenya. Cet article est documenté, marqué par une indignation forte et une révulsion que nous partageons. Son souci d'adopter une démarche historique et d'inscrire les événements tragiques qui se sont déroulés dans un cadre international donne des clés pour une compréhension élargie. C'est ce qui permet de bien souligner l'importance stratégique de la région, de porter un éclairage sur l'implication barbare des grandes puissances et la dynamique du chaos. Ce chaos, comme le démontre le camarade, est celui de la phase ultime de la décadence du système capitaliste : une phase de décomposition qui n'offre comme avenir à l'humanité que l'exploitation forcenée, du sang, des destructions et des massacres.

"Quel est le nom de la mère de Mahomet ?" demandaient les combattants d’al-Shabab aux pauvres personnes innocentes faisant leurs courses ? Et lorsque la réponse ne venait pas, hommes, femmes et enfants étaient alignés et exécutés. Voilà la logique tordue, dépravée et horrible de ces fanatiques religieux ! Même confrontés aux horreurs absolues et quotidiennes du capitalisme en décomposition, de tels événements choquent et donnent la nausée. Le fait d’être exécuté par des membres de al-Shabab (qui semblent venir du Kenya, de la Somalie ou de plus loin encore) parce qu’on ne connaît pas le nom de la mère de Mahomet ou qu’on n’est pas capable de citer le Coran, montre la profondeur de la dépravation abominable que le capitalisme nous sert sur un plateau.1

Mais les terroristes d’al-Shabab, à l’instar des terroristes qui ont attaqué l’usine de gaz d’Ain Amenas en Algérie en janvier dernier, tuant 38 personnes, ont choisi leur cible soigneusement. Nairobi se trouve dans la partie de l’Afrique de l’Est qui est la plus dynamique, pleine de touristes occidentaux, centre d’activités avec des intérêts d’affaires à la fois régionaux et internationaux, des agences diplomatiques, militaires, d’espionnage et des opérations humanitaires. A partir de là, il ne fait aucun doute que l’importance de la couverture médiatique en Grande-Bretagne à propos de l’attaque des militants d’al-Shabab sur le centre commercial de Nairobi est le reflet du nombre de victimes occidentales.2 Le nombre de personnes touchées, au moins 70 tués et peut-être 200 personnes encore manquantes, correspond au nombre quotidien de victimes et blessés dans les attaques terroristes en Irak, au nombre des attaques moins fréquentes mais régulières qui ont lieu au Pakistan, sans parler des assassinats et destructions quotidiens qui ont lieu en Syrie, dénoncés par la dénommée "Communauté internationale". Mais cela ne diminue aucunement l’horreur perpétrée à Westgate, où des hommes, des femmes et des enfants, ainsi que 200 travailleurs, dans un environnement qui était censé être sécurisé et bienveillant, ont été soudain confrontés à l’irruption effrayante et terrorisante d’un déferlement des forces de l’enfer.

Cette attaque démontre finalement comment la "Guerre contre la terrorisme" produit elle-même la généralisation de la terreur, des terroristes et du terrorisme. C’est un exemple supplémentaire de comment la politique des Clinton, Bush et Obama, de l’impérialisme américain notamment, contribue directement à aggraver et à étendre les vrais problèmes que cette politique est censée contenir. A ce niveau, cet événement illustre également le développement de la faiblesse historique de l’impérialisme américain, malgré son statut incontestable de première puissance militaire mondiale. Toute la région autour de la Corne de l’Afrique et plus au Sud, en Afrique Centrale, est un champ de bataille impérialiste et comprend de nombreuses bases et des forces spéciales des pays occidentaux, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël en particulier. Etant donné son importance stratégique, cette région doit être parmi les plus surveillées et pistées. Malgré cela, les forces de répression ont été incapables d’intercepter ou d’arrêter cette attaque féroce et bien organisée. Les officiels de la sécurité, anglais et américains, suggèrent maintenant qu’ils savaient qu’une attaque était en préparation mais pas exactement dans quel endroit. Cependant, quiconque avait des intérêts dans la région devait savoir cela. Il ne fait aucun doute que les forces de sécurité kényanes sont incompétentes et corrompues, davantage intéressées à se remplir les poches ! Fondamentalement, elles restent les pâles images de leurs homologues occidentaux plus efficacement gratifiés.

La responsabilité de la dévastation de toute la région autour de la Somalie et la montée de forces toujours plus irrationnelles incombe fondamentalement aux principaux impérialismes, dont les actions et incursions fréquentes contribuent à l’instabilité et au chaos grandissants qui appellent à leur tour d’autres actions et incursions qui contribuent encore plus au chaos et à l’instabilité… Et on assiste à une fuite en avant dans une spirale sans fin. Bien sûr, ce sont majoritairement les pauvres et les masses qui paient. Il y a environ un demi-million de réfugiés somaliens parqués comme du bétail dans le plus grand camp de réfugiés du monde, ainsi qu’environ cinq cent mille personnes à l’extérieur. Sur ce sujet, les ONG, habituellement optimistes, estiment que la situation est sans espoir. En plus de la misère, de la famine, des privations et de la pauvreté dans la région, il y a la corruption de la bourgeoisie locale et les bases des forces spéciales occidentales hérissées des dernières armes et technologies de pointe. Les Etats-Unis ont installé leur "Poste de commandement africain" au Kenya, appuyés par les forces spéciales et les services de renseignements de la Grande-Bretagne et d’Israël.

Obama a dit, le 23 septembre, qu’il était chargé de "démanteler ces centres (terroristes) de destruction". Mais le fait est que, dans le contexte des conditions générales de décomposition du capitalisme, négocier avec les terroristes accroît la tendance à la décomposition. Les actions entreprises par Obama élargissent le problème et favorisent l’enrôlement d’un courant grossissant de recrues, au niveau local et international, pour la cause djihadiste. Depuis l’opération "Restaurer l’espoir" et la bataille de Mogadiscio en 1993, où les forces américaines ont dû battre en retraite, l’instabilité grandissante s’est étendue à toute la région. Même quand il y avait une apparence de relative stabilité dans le gouvernement somalien, avec le parti modéré Islamic Court Union (ICU), il y a quelques années, ces espoirs ont été balayés par la contre-offensive américaine qui a financé l’invasion de la Somalie par l’armée éthiopienne en décembre 2006. Puis, les Britanniques et les Américains financèrent le camp de l’Union Africaine, ce qui entraîna la chute de l’ICU, la mise en place de la mascarade du "Gouvernement fédéral de transition" (maintenant "Gouvernement fédéral de Somalie", financé par les Etats-Unis). Ceci à son tour provoqua la descente dans un chaos grandissant et la montée en puissance d’al-Shabab. Jusqu’alors, cette organisation était un mouvement hybride, objet de luttes intestines, ce qu’elle est toujours jusqu’à un certain point, et il était difficile de trouver des recrues en Somalie ; al-Shabab a été souvent réduit à enrôler de force ou à soudoyer de jeunes chômeurs pour augmenter ses effectifs. La pénurie de cibles pro-occidentales en Somalie et l’implication de l’Ouganda et du Kenya dans l’armée de l’Union Africaine (African union MIssion in SOMalia) envoyée en Somalie, en même temps que des drones américains, pour mettre ces rebelles en déroute, ont permis à al-Shabab de mener deux attaques en Ouganda en 2010 : contre des personnes regardant à l’extérieur les matches de la coupe du monde de football (tuant plus de 70 personnes et en blessant des centaines d’autres), et une précédente attaque frontalière contre l’armée kényane (il y en a eu deux de plus ces derniers jours), puis l’atrocité de Westgate. Le groupe al-Shabab, issu d’une aile islamique modérée, a évolué vers un statut d’intermédiaire impitoyable affilié à l’équipe de "combat total" al-Qaïda qui, d’après les agences de renseignement occidentales, a attiré un nombre considérable de combattants étrangers, particulièrement américains et anglais, avec une circulation facile à travers les frontières de l’Ouest et un accès possible aux cibles occidentales. Paradoxalement, cette menace deviendra encore plus grande si al-Shabab est défait en Somalie.

La plus grande partie du financement d’al-Shabab provient directement de l’Arabie Saoudite et d’autres Etats du Golfe. (…) Mais al-Shabab a sa propre activité lucrative dans le commerce de charbon et les revenus des ports somaliens. Ses membres ne semblent pas avoir été compromis dans les actes de piraterie qui se répandent inexorablement dans les eaux somaliennes et qui semblent être le fait de pêcheurs paupérisés et de gangsters locaux. Mais cela n’a pas empêché ces eaux de devenir une mer militaire, avec des bateaux de guerre en provenance de toute l’Europe, de la Chine, de la Russie, de l’OTAN et d’Inde, tous en concurrence. De toutes façons, al-Shabab a été chassé des ports de Mogadiscio et de Somalie depuis 2011. Le groupe d’observation de l’ONU en Somalie estimait qu’en 2011, avant que la plus grande partie des forces kényanes ne le leur prennent, al-Shabab gagnait 50 millions de dollars par an grâce à l’activité du port somalien de Kismayo (Bloomberg, 22/09/13). Après que les Kényans se soient emparés de ce port dans lequel, comme en écho aux tractations économiques du régime d’Assad avec al-Nusra, les autorités kényanes continuent à travailler avec des contacts d’al-Shabab qui ont subsisté afin que l’argent continue à affluer, selon plusieurs rapports. Mais les rebelles ont seulement ressenti de l’amertume suite à la prise de Kismayo et de ses richesses par l’impérialisme kényan et ils ont promis des représailles qu'ils ont finalement infligées, dans la logique inhumaine de la guerre impérialiste.

Le régime kényan du Président Uhuru Kenyatta a récemment été en mauvais termes avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, qui ont critiqué son rapport à la question des Droits de l’Homme et l’ont lâché politiquement, pendant que la coopération militaire et de renseignement se poursuivait. Mais le régime kényan a joué la carte chinoise, réactivant les relations avec Pékin et obligeant Washington et Londres à revenir à un plein soutien au régime. Kenyatta et le vice-président, William Ruto, ont tous les deux été poursuivis par la Cour pénale internationale de la Haye pour encouragement au meurtre, viols, déportations et persécutions à l'occasion de l'offensive de leurs troupes sur la population au moment des élections au Kenya, il y a six ans. Les chiffres officiels de cette terreur démocratique flagrante furent de 1100 morts, des dizaines de blessés et environ 250 000 personnes déplacées. Kenyatta et Ruto ont maintenant été relaxés par la Cour afin de pouvoir aider leur pays !

Plusieurs rapports sur l’incompétence des forces de sécurité dans la gestion de l’attaque de Nairobi ont été publiés. Il est vrai que l’incompétence va de pair avec la corruption et le gangstérisme qui sont le cachet des hommes politiques de la région. Premièrement, la police a été critiquée sur la scène de Westgate pour ne pas avoir su quoi faire, mais ces officiers de police lents n’auraient pas dû être présents normalement dans ce centre commercial haut de gamme. Les forces de sécurité kényanes sont alors arrivées et, selon certains rapports, ont commencé à tirer dans tous les sens et on peut imaginer la panique des gens innocents qui étaient présents. Alors, les régiments lourds des commandos américains et israéliens sont entrés en scène ; des explosions ont suivi, dont on ne sait pas qui les a provoquées, le plafond de l’immeuble s'est effondré, écrasant un nombre incalculable de personnes.

Ce qui risque de se produire maintenant, à part les pogroms et le harcèlement contre la population somalienne au Kenya, est une réponse énergique de l’armée kényane contre les dernières positions d’al-Shabab en Somalie. Comme il a été dit plus haut, cela pourrait être la plus mauvaise option, dispersant les djihadistes étrangers tout autour et vers leur pays d’origine pour préparer une revanche ultérieure. La perspective d’attaques sur le modèle de celle de Boston est à la fois le cauchemar et la création des régimes occidentaux. Cette région d’Afrique, dans et autour de la vallée du Rift, est le berceau de l’Humanité. C’est l’endroit à partir duquel nos ancêtres ont commencé leur lutte pour la survie contre tous les dangers. Aujourd’hui, en même temps que les champs de bataille permanents et dépravés de la République démocratique du Congo où des enfants-soldats, des viols de masse, des seigneurs de guerre, l’irrationalisme religieux et la désintégration sont négligés et manipulés par les pouvoirs des pays centraux, la région entière devient de plus en plus une zone de non-droit impérialiste où toutes les atrocités sont possibles, un vrai creuset de la barbarie capitaliste.

Baboon (28 septembre)

 

1 La droite anti-musulmane du site Internet américain Atlas Shugs dénonce les musulmans présents qui n’ont pas donné les bonnes réponses aux questions posées par les terroristes aux non-musulmans. Comme si n’importe qui était censé répondre à un questionnaire religieux dont le prix est la vie ou la mort ! Mais une telle aberration n’est qu’un voile qui cache le message mensonger : musulman = terroriste, un sentiment qui est propagé d’une manière plus subtile par les grands médias.

2 La semaine qui a suivi Westgate, les tueurs du groupe terroriste Boko Haram assassinèrent 50 étudiants dans leur lit, dans un collège agricole du Nigeria, pour le crime consistant à poursuivre des études sur le modèle occidental ; il n’est pas certain que les morts, dans cette affaire et dans des affaires similaires, fassent l’objet d’une couverture médiatique importante comme Westgate.

 

 

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  • Afrique [7]

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  • Terrorisme [8]

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Conflits impérialistes

Hommage à notre camarade Jean-Pierre

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Avec le décès de Jean-Pierre, le CCI perd un camarade d'une sacrée trempe, un grand combattant et une personnalité remarquable.

Jean-Pierre nous a quittés le 13 septembre dans la nuit, à la suite d'une longue et irrémédiable maladie, dont l’issue funeste était connue de tous, y compris de lui-même. Depuis plus de deux ans, notre camarade, pourtant grand pratiquant sportif, a peu à peu perdu l'usage de ses membres, de la respiration et enfin de la parole. Dans ce parcours, Jean-Pierre a toujours été parfaitement conscient de tous les moments de l'évolution de sa maladie et de ses conséquences. Cette lucidité l'affectait bien évidemment profondément puisque cela lui faisait renoncer à tout ce qu'il aimait : l'activité physique, le contact charnel avec la nature, en particulier la montagne où il a longtemps effectué de longues randonnées (il vivait dans les Alpes), faire la cuisine… Mais cette fatalité, il ne l'acceptait pas. Il voulait rester chez lui tant que c'était possible et personne ne pouvait le faire changer d'avis ! Il exigeait fermement de rester dans cet espace familier et humanisé pour maintenir les liens les plus proches avec sa famille, ses amis et ses camarades de combat. Son espace était son accès au monde, là où étaient ses livres, là où l'on peut parler de politique et de l’actualité jusqu'à point d'heure, là où l'on peut regarder un film et en parler, là où il pouvait nous lire une poésie qu'il aimait. Sa volonté de fer, c'était aussi de mettre des limites aux actes médicaux destinés à le faire survivre. Il a lutté jusqu'au bout pour qu'elles soient respectées. Jean-Pierre a fini, quelques semaines avant sa mort, par accepter de quitter son "chez-lui" pour une hospitalisation en soins palliatifs. Il savait qu'il n'en reviendrait pas. Notre camarade n’a pas subi cela mais l'a choisi et assumé. Mais toujours cette volonté a été destinée à donner l'espace maximum à ses proches, à ses enfants et à ses camarades pour poursuivre le combat politique. Le personnel et les militants qui ont partagé ses derniers instants, témoignent que notre camarade est parti "avec une grande sérénité" malgré la souffrance qui l'a tenaillée jusqu'au bout. Cette sérénité, nous savons, nous, ses camarades, qu'il l'a construite comme la dernière œuvre de sa vie. Il est des personnalités qui forcent l'admiration par la ténacité et le courage avec lesquelles elles dépassent leur propre fin. Jean-Pierre était de celles-là. Nous avons tous aimé entrer dans cet espace personnel et politique qu'il nous a réservé avec tant de générosité. Nous en avons tiré un grand plaisir et cela nous a donné de grandes leçons de vie pour notre militantisme. De cela, Jean-Pierre, nous t'en savons infiniment gré.

Un combattant exemplaire

Jean-Pierre a rejoint le CCI relativement tard dans sa vie. Après avoir été confronté à la mobilisation pour la guerre d'Algérie qu'il a ressentie comme un moment de barbarie inacceptable et indicible, il n'a cessé d’être travaillé par la perspective de la construction d’une autre société où ces horreurs seraient bannies à jamais. Avec ce "Que faire pour cela ?" qui le tenaille, il va traverser Mai 68 avec ses espoirs et toutes ses confusions, en particulier celle du communautarisme. Il ne découvre le CCI qu'au début des années 1990. Il trouve en lui la cohérence pratique et théorique du marxisme, ce qui lui permettra d'effectuer une véritable rupture politique avec les idéologies confuses qu'il avait pu côtoyer auparavant. Cette rencontre l'enracinera fermement dans la "passion du communisme" (selon ses propres termes). Son indignation au sujet de ce monde plein de barbarie avait enfin trouvé un sens qu'il cherchait, celui du combat pour la révolution prolétarienne mondiale.

Depuis, notre camarade a placé le combat politique au premier plan de sa vie jusque dans ses derniers moments. Il était animé d'une profonde conviction et il n'y avait pas de visite, face à l’évolution fatale de sa maladie, qui ne se faisait sans discussion politique. Notre camarade a tenu, jusqu'au bout, à participer aux réunions régulières du CCI et à affirmer ainsi sa responsabilité de militant : à la fin, depuis son lit, par Internet. Il tenait particulièrement à verser régulièrement ses contributions financières pour être partie prenante dans la mesure de se moyens au bon fonctionnement de l’organisation.

Mais surtout, son souci de rigueur s’est manifesté en étant parmi les plus résolus pour défendre les principes organisationnels et leur esprit par ses prises de position dans les débats à propos de cette question politique difficile tout au long de ces dernières années. Le camarade était persuadé que le travail de construction d'une organisation du prolétariat était un art difficile qu'il fallait apprendre et transmettre grâce à l'effort théorique. Convaincu qu'il était de la nécessité de la révolution, il n'avait de cesse de se préoccuper de lever tous les obstacles qui se dressaient devant notre classe pour qu'elle puisse réaliser enfin l’émancipation de l'humanité. Il exprimait toujours et constamment, dans les entretiens que nous avions, la dimension planétaire et le caractère titanesque de ce combat. Combat défensif quotidien, certes, mais surtout démarche consciente et avec une dimension culturelle qui devra, il en était persuadé, nous fortifier pour enfin pouvoir nous conduire à l'offensive nécessaire pour abattre le système capitaliste. Il était aussi profondément persuadé du poids de l’idéologie dominante pesant sur l’organisation et sur les individus et des effets pervers de la décomposition sociale dans les rapports sociaux. Il savait que les moyens réels d’y résister ne pouvaient se trouver que dans la force collective des débats dans l’organisation s’appuyant sur des principes moraux et une démarche intellectuelle. Cette préoccupation ne l'a jamais quittée : comment lutter efficacement, comment se hisser à la hauteur de ses responsabilités, à la fois comme militant porteur des intérêts de sa classe sociale et comme organisation, comme corps collectif et associé dans son ensemble aussi bien en ce qui concerne les nécessités du moment que les tâches historiques qui incombent aux révolutionnaires et à leur classe ? C’est parce qu’il avait ces préoccupations constantes qu’il n’a jamais perdu de vue de participer à la construction d’une organisation à la hauteur de sa tâche, capable d’assumer ses responsabilités historiques, qu’il a toujours manifesté un souci de rigueur sur le plan du fonctionnement de l’organisation et qu’il a jusqu’au bout combattu ce que Lénine appelait déjà en 1903 «l’esprit de cercle", la vision d’une organisation conçue comme une sommes d'individus, comme un regroupement affinitaire. Une telle vision était pour lui clairement et diamétralement opposée aux besoins réels d’une organisation révolutionnaire qui, pour pouvoir devenir dans le futur un véritable parti prolétarien, devait être capable de construire sur des bases solides un esprit de parti fidèle à sa mission historique. Il a donc toujours fermement pris position contre les tentations de regroupements affinitaires parce qu’il a toujours placé par-dessus tout la constante préoccupation de participer à la construction d’une organisation révolutionnaire pour qu’elle soit à la hauteur de sa fonction historique à long terme, l’armer pour le futur afin d’assurer la défense des intérêts du prolétariat. C’est pour cela que, pour lui, l’organisation ne pouvait pas se réduire à être une "bande de copains", un "cercle d’amis", même s’il entretenait des rapports fraternels et chaleureux avec tous les camarades et avait su nouer de solides liens d’amitiés avec certains d’entre eux. Selon son expression, "avec à peine un petit filet de voix", ce combat, il n'a eu de cesse de le mener jusqu'à sa propre fin et son dernier souffle.

Ce dévouement, sa ténacité, son engagement continuent de vivre dans chacun de ses camarades. Il est un exemple pour nous tous, ses camarades, de ce que peut être un militant convaincu.

Une personnalité remarquable et attachante

La personnalité de Jean-Pierre était par ailleurs tellement attachante qu'il est impossible de la passer sous silence.

Jean-Pierre restait toujours curieux, l’esprit en éveil et développait un attachement naturel, une empathie non seulement pour ses proches mais pour les personnalités qu'il rencontrait ou qu’il croisait. Sa compagnie était pétrie de ces qualités. Il savait naturellement que chaque personne évolue, est en constant mouvement, qu'elle vit des crises qui peuvent être des moments de dépassement. Il le reconnaissait facilement tout autant pour lui même et il en témoignait souvent. Il nous racontait volontiers son long parcours compliqué et chaotique qui l'avait mené vers le marxisme et les positions de classe. Cela n'avait pas été un fleuve tranquille et c'est sans doute ce qui lui a donné cette curiosité des autres, respectueuse de leurs contradictions, contradictions qu'il voyait toujours positivement comme un devenir, un potentiel de dépassement. Il portait cette vision d'avenir, et aussi cette réserve respectueuse, bien au delà de la critique facile.

Jean-Pierre était un grand admirateur de Rabelais. Il aimait la franchise qui transparaît dans son œuvre et l’amour sensuel, cru et presque brutal de la vie qui se dégageait de cette lecture. La bonne bouffe, les repas généreux, il tenait cela comme sacré, comme un moment précieux de convivialité et de partage. Jean-Pierre nous a souvent ouvert son univers aussi par les textes ou les poésies dont il nous entretenait goulûment. Ceux qui l’ont connu de près ont eu le privilège de partager avec lui un grand plaisir. Les silences qui suivaient avaient eux aussi un contenu actif, un sens relationnel et communicatif que nous "écoutions", que nous partagions. Jean-Pierre était un exemple de combattant dévoué à l’organisation et à la perspective de la révolution prolétarienne mais aussi, outre sa volonté et son courage face aux épreuves et a la maladie, son tempérament reflétait la trempe d’une personne puissamment animée par l’amour de la liberté. Il nous livrait ses passions, ses goûts, des pans de sa vie comme s’il esquissait devant nous un brouillon de ce que pourrait être le comportement d’un être humain qui comprend l'autre comme partie intégrante de son propre bonheur, il nous faisait souvent part de son bonheur au milieu de la chaleur humaine, dans la solidarité de classe, son bonheur de manifester aux côtés des autres, ensemble, comme s’il participait à une danse, à la vie créatrice de l'humanité, qu'elle soit scientifique ou artistique. Jean-Pierre était un tel compagnon, fidèle et résolu dans ses choix, ses engagements et ses attachements.

Les militants du CCI partagent profondément la douleur de ses enfants, de sa famille, de ses amis. Nous avons perdu notre camarade Jean-Pierre, mais son souvenir est toujours présent, toujours vivant pour tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer, de le connaître et de l’apprécier.

Le CCI te salue, camarade, comme militant exemplaire de la cause du communisme à laquelle tu as su donner le meilleur de toi-même.

CCI (15/10/2013)

 

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Hommage

Le capitalisme empoisonne et affame (I)

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Notre quotidien est imprégné par ces images insupportables d’enfants et de familles entières qui crèvent de faim au milieu de détritus. La violence de cette misère absurde ne semble pas avoir de limite. En a-t-elle seulement ? A regarder la situation à travers le monde, on pourrait se le demander ! La manière dont la situation évolue montre bien la tendance dans laquelle s’engouffre la société actuelle toute entière1. A des degrés divers, la misère ne cesse de progresser à travers le monde et amène même une part de la population des pays "riches", quand elle n’est jetée elle-même dans la misère, à se sentir coupable des maux des pays du "tiers-monde".

Les fausses explications bourgeoises

De la bouche de prétendus "spécialistes" on entend invoquer les raisons les plus invraisemblables : nous serions "trop d’êtres humains", notre régime alimentaire ne serait "pas adapté aux ressources" de notre planète, notre attitude même à l’égard de ces ressources ne serait "pas respectueuse"… En bref, tous les motifs les plus culpabilisants sont évoqués, sans que jamais les véritables responsables ne soient dénoncés. Est-ce de leur faute si des familles "modestes" des "pays du Nord", ne trouvent rien d’autre pour se nourrir que les "modestes" produits que l’on trouve dans les grandes surfaces et des marques à bas prix ? Faut-il effectivement rejeter la faute sur les "consommateurs" qui achètent des produits fabriqués dans des conditions plus que douteuses ? Certains se plaisent à le répéter. Ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à dire que l’on peut "consommer autrement", que si l’on s’en donnait les moyens, on pourrait tous vivre mieux, y compris dans les pays pauvres. En gros, nous n’aurions pas une attitude responsable ! Nous mangerions trop, trop mal ! Pour ce qui est de mal manger, cela ne fait pas de doute avec tous ces produits bourrés de conservateurs, de colorants, de sucres, de pesticides… Nous y reviendrons plus tard. Nous mangerions trop de viande, trop de ceci ou de cela. Dans certains pays on meurt de faim pendant que dans d’autres, on mange des produits de mauvaise qualité mais finalement, tout cela serait un peu de notre faute. Comment comprendre cette situation ?Notre terre est une planète très fertile, dotée d’un écosystème extrêmement riche et diversifié qui offre un immense potentiel. Avec près de 10 GHa (10 000 000 000 Ha) de terres potentiellement cultivables, ce sont des terrains fertiles à perte de vue qui se présentent. A tel point, qu’il devrait apparaître comme inconcevable que des individus qui possèdent le niveau de développement technologique actuel puissent connaitre la faim sur une planète aussi riche. Et pourtant ! Que voyons-nous aujourd’hui ? Si l’on fait le bilan des ressources disponibles sur la planète et que l’on met ce dernier en rapport avec la manière effective donc nous les exploitons aujourd’hui, d’un point de vue purement scientifique, il y a là des contradictions immenses. Aujourd’hui, ces contradictions menacent même l’existence de notre espèce !

Regardons un peu plus en détails quelles sont ces contradictions. Comme nous l'évoquions plus haut, notre planète dispose de près de 10 GHa de terres cultivables. D’après un rapport publié par l’Institution of Mechanical Ingeneers2 en Angleterre, l’ensemble des terres actuellement exploitées représente une surface de 4,9 GHa, soit environ la moitié des ressources totales exploitables pour la production de denrées alimentaires. Ce même rapport indique que la capacité moyenne de production d’un champ d’un hectare de blé ou de maïs, permet de nourrir, avec les moyens actuels, entre 19 et 22 personnes pendant toute une année quand l’exploitation d’un hectare destiné à l’élevage de bœuf ou de mouton pour la consommation humaine, permet de nourrir environ 1,5 personnes par an.

La productivité actuelle dans le domaine agro-alimentaire permet donc de nourrir très largement toute la population mondiale. Si des millions d’êtres humains meurent chaque jour de faim, la cause est ce système immonde qui ne produit pas pour satisfaire les besoins de l’humanité mais pour vendre et faire du profit. Voici une grande différence avec les famines du Moyen-âge : celles-ci étaient le résultat du faible développement des outils, des techniques, de l’organisation du travail et des terres qui créait des manques réels. Les hommes ne cessaient jamais de défricher, d’exploiter chaque parcelle de terre afin de combler ce manque de productivité. Aujourd’hui, sous le capitalisme, l’humanité possède d’incroyables capacités dont elle ne bénéficie pas. Pire ! La course au profit induit un immense gâchis permanent : "Dans les pays d’Asie du Sud-est par exemple, les pertes en riz s’étendent de 37% à 80% de la production totale, en fonction du niveau de développement, et représentent annuellement 180 millions de tonnes (...)[Au niveau mondial] la possibilité de fournir 60 à 100% de nourriture en plus, simplement en éliminant les pertes et simultanément en libérant des ressources en terres, en énergie et en eau pour d’autres utilisations est une opportunité qui ne devraient pas être ignorée."3 ! En Europe, 50% des aliments produits finissent à la poubelle, soit 240 000 tonnes chaque jours.

Face aux famines, l'exploitation des terres arables laissées en friche, la lutte contre le gaspillage, contre la destruction des invendus… apparaissent comme des mesures immédiates à prendre mais largement insuffisantes. D'ailleurs, même ces mesures de première urgence, jamais le capitalisme ne pourra les mettre en place car le bien-être et la satisfaction des besoins humains, même les plus élémentaires, ne sont absolument pas le but de la production4. Ses usines, ses machines, ses capitaux n'existent que pour accumuler plus de capital et faire des profits. Ces mesures qui paraissent simples et immédiates ne pourront être adoptées que par le prolétariat dans une situation révolutionnaire et politique très avancés.

Cela dit, sur le long terme, un changement bien plus radical devra s’imposer pour une société future libérée des classes sociales et du capital. Le mode de production capitaliste ravage la nature, appauvrit les sols, empoissonne la vie. D’ailleurs, la plupart des espèces animales sont en danger et menacées de disparition si un terme n’est pas mis à la folie destructrice de ce système.

Le réflexe de nombres de ceux qui ont conscience de cette situation et s’en indignent, est de prôner une réduction de la consommation, une "décroissance". En réalité, la solution n’est ni "productiviste" (produire toujours plus sans se soucier de la finalité de la production), ni "décroissante" (produire moins pour que chaque être humain vive à peine au-dessus du seuil de la pénurie, ce qui dans le capitalisme est impossible) ; elle doit être bien plus radicale et profonde que cela. Si la production n’est plus aiguillonnée par la recherche du profit mais par la satisfaction des besoins humains, alors les conditions de la production changeront intégralement. En l’occurrence, dans le domaine agro-alimentaire, toute la recherche, l’organisation du travail et des sols, la répartition,… tout sera guidé par le respect de l’homme et de la nature. Mais cela implique d’abattre le capitalisme.

De la pénurie à la surproduction

De ce que l’on sait actuellement, l’agriculture a fait son apparition il y a près de 10 000 ans, quelque part vers le Sud Est de la Turquie actuelle. Depuis lors, les techniques n’ont cessé de se développer, voyant les rendements faire parfois des bonds considérables. L’utilisation de la force animale ne tarda pas à se généraliser (utilisation de l’araire dès l’antiquité) et au moyen-âge, l’apparition de la charrue et de la rotation triennale (vers le Xe siècle en Europe), permirent de nettes améliorations de la production. Ce système, basé sur la culture attelée, dura de nombreux siècles. Toutefois, il est important de rappeler que malgré les avancées qui marquèrent cette longue période5, les connaissances et la technique de l’époque ne permettaient pas de garantir des récoltes stables d’une année sur l’autre. Nombreux sont les exemples de grandes famines qui décimèrent les populations : en 1315 par exemple, du fait d’une année particulièrement froide et pluvieuse les récoltes en France sont inférieures de 50% à celles des autres années, entrainant la mort de 5 à 10% de la population. Dans une moindre mesure, le même phénomène est constaté en 1348, cette fois suivi de la peste Noire qui s’abat sur la population affaiblie. Pour faire simple, au cours des XIVe et XVe siècles où le climat se montre moins favorable que dans la période précédente, c’est pratiquement tous les 20 à 30 ans que survient une terrible famine ! Finalement, il faudra attendre la deuxième moitié du XIXe siècle pour que la production agricole cesse se subir aussi durement des coups du climat. Les progrès du machinisme et l’utilisation des énergies fossiles (charbon, pétrole), les avancées de la chimie inorganique et l’introduction des engrais minéraux, permettent une augmentation formidable des rendements. Avec le développement du capitalisme, l’agriculture devient une industrie, à l’instar de l’industrie du textile, ou des transports. Les taches sont rigoureusement planifiées et la vision de "processus de fabrication" (avec l’organisation scientifique du travail) permet une augmentation inédite de la productivité. Tout cela pouvait laisser croire que les périodes de crises et de famines dont nous parlions plus haut allaient laisser place à des siècles d’abondance. La plupart des scientifiques de l’époque ne jurait que par le progrès scientifique et voyait dans le développement de la société capitaliste, le remède de tous les maux de la société. La plupart, mais pas tous ! En 1845 par exemple, alors même que le capitalisme était en plein développement, une terrible famine s’abat sur l’Irlande. Le mildiou6 et l’humidité du climat provoquent une chute de la production de pommes de terre de près de 40%. Les conséquences pour la population furent dramatiques.7 Même si les moyens de l’époque sont encore assez rudimentaires, il serait faux de considérer ce parasite comme seul responsable de ce qui fut une véritable catastrophe : contrairement à ce qui s’est passé pendant la famine de 1780, les ports irlandais restèrent ouverts sous la pression des négociants protestants et l’Irlande continua à exporter de la nourriture. Alors que dans des régions de l’île, des familles entières mourraient de faim, des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l’armée, partaient vers l’Angleterre. On peut aussi rappeler qu’à cette époque l’armée britannique possédait les plus grandes réserves alimentaires d’Europe. C’est ainsi que l’Angleterre soutint son expansion capitaliste. La cruauté sans bornes du système capitaliste, dont les exemples foisonnent, amène notamment Engels à écrire en 18828 : "Dans les pays industriels les plus avancés, nous avons dompté les forces de la nature et les avons contraintes au service des hommes ; nous avons ainsi multiplié la production à l’infini si bien qu’actuellement, un enfant produit plus qu’autrefois cent adultes. Et quelle en est la conséquence ? Surtravail toujours croissant et misère de plus en plus grande des masses, avec, tous les dix ans, une grande débâcle."

(Dans le prochain article de cette série, nous aborderons le sujet à l'aune de la décadence du capitalisme).

Enkidu (20/10/2013)

 

1 100 000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde, un enfant de moins de 10 ans meurt toutes les 5 secondes, 842 millions de personnes souffrent de malnutrition chronique aggravée, réduites à l’état d’invalides.

2 "Global Food, waste not, want not"

3 Global food report, traduit par nous

4 La bourgeoisie est seulement intéressée à suffisamment nourrir les ouvriers pour qu’ils aient la force d’aller au travail.

5 On pourrait citer les travaux d’Olivier de Serres (1539-1619) pour structurer les pratiques agricoles.

6 Principal parasite de la pomme de terre

7 On estime à un million, le nombre total de victimes entre 1846 et 1851.

8 Dans La dialectique de la nature, imprimée la première fois en 1925 d’après des notes datant de 1882, éditions sociales P. 42

 

 

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De la "malbouffe" aux famines

URL source:https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201310/8731/revolution-internationale-n-443-novembre-decembre-2013

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/pdf/ri_443.pdf [2] https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ultime_de_la_decadence_du_capitalisme.html [3] https://fr.internationalism.org/tag/30/371/pen [4] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france [5] https://fr.internationalism.org/tag/30/372/valls [6] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/immigration [7] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/afrique [8] https://fr.internationalism.org/tag/7/287/terrorisme [9] https://fr.internationalism.org/files/fr/famine.jpg [10] https://fr.internationalism.org/files/fr/mcdo-malbouffe-fast-food.jpg