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Revue Internationale no94 - 3e trimestre 1998

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Face à la misère et la barbarie, une seule réponse : la lutte internationale du prolétariat

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La dynamique catastrophique dans la­quelle s'enfonce le capitalisme mondial, et dans la­quelle il entraîne toute l'hu­manité, vient en­core de connaître une accélération depuis le début de l'année 1998. L'impasse historique du capita­lisme s'est manifestée avec force sur tous les plans : multiplication des con­flits inter-impérialistes, crise économi­que et sur le plan social un appauvris­sement et une misère qui se généralisent à des milliards d'êtres humains.

L'aggravation des antagonismes impé­rialis­tes entre grandes puissances qui s'était ex­primée lors de l'échec améri­cain face à l'Irak en février dernier ([1] [1]), s'affirme maintenant dans la course ef­frénée à l'arme atomique que se livrent l'Inde et le Pakistan. Cette course échappe à tout contrôle et en particu­lier à celui des grandes puissances – en premier lieu les Etats-Unis – qui n'ont pas su prévenir les essais indiens et em­pêcher la riposte pakistanaise. La dy­namique au « chacun pour soi », carac­téristique majeure de la période de dé­composition du capita­lisme au plan impérialiste, explose chaque jour un peu plus dans tous les recoins de la planète. La menace d'une guerre entre l'Inde et le Pakistan dans laquelle l'arme atomi­que serait utilisée, est tout à fait réelle et repré­sente d'ores et déjà un facteur d'instabilité supplémentaire au plan mondial et au plan régional par le jeu même des relations et des oppositions impérialistes. Les bourgeoisies des plus grandes nations capitalistes s'in­quiè­tent... et en même temps participent à l'aggravation des tensions en prenant posi­tion – plus ou moins ouvertement – derrière l'un ou l'autre pays. Dans la ré­gion, la Chine – présentée comme l'en­nemi n°1 par le gou­vernement indien – ne resterait pas, ne reste d'ores et déjà pas sans réaction ([2] [2]). De même, cette accentuation des perpectives guerrières dans la région pose à la bour­geoisie ja­ponaise, chaque jour avec plus d'acuité, la question de son propre armement nu­cléaire face à ses voisins ; ce qui à son tour vient accroître encore l'instabilité et les rivalités impérialistes mondiales. L'Asie du sud-est est une véritable pou­drière – en grande partie atomique – et la situation créée par l'Inde et le Pakis­tan ne peut que renforcer encore la course aux armements de tout type que la région connaît depuis l'ef­fondrement de l'URSS et du bloc de l'Est.

La période historique actuelle de dé­compo­sition du capitalisme se mani­feste donc par l'augmentation dramati­que des antagonismes et des conflits impérialistes. Des continents entiers sont la proie des guerres et des mas­sa­cres. Et cette folle spirale se manifeste, à l'heure où nous écrivons, par l'éclate­ment de la guerre entre l'Erythrée et l'Ethiopie et les files de réfugiés du Ko­sovo dans l'ex-Yougoslavie qui fuient les nouveaux com­bats. Ces Etats font partie de l'interminable liste des pays qui ont connu les malheurs et les dévas­tations de la guerre. Ils ne connaî­tront plus la « paix » sous le capitalisme, mais une barbarie dans laquelle les sei­gneurs locaux et leurs bandes armées vont perpétrer des massacres sans dis­continuer, infligeant ainsi aux popula­tions locales ce que les afghans, les tchétchènes, les popula­tions d'Afrique, de l'ex-Yougoslavie et d'ailleurs endu­rent depuis plusieurs années, voire des décennies, et dont elles ne pour­ront s'échapper. Le capitalisme en putréfac­tion entraîne l'ensemble de l'humanité dans des guerres sans fin toujours plus effroya­bles et barbares.

L'aggravation brutale de la crise écono­mique du capitalisme mondial vient frapper d'une manière particulièrement violente les popu­lations d'Asie du sud-est qui, après avoir subi une exploitation féroce durant les an­nées de « croissance et de succès » économi­ques, sont maintenant, et du jour au lende­main, rejetées sans travail, livrées à la hausse des prix, à la misère, à la faim et à la répression. Les premières conséquences de la crise dans les pays asiatiques sont d'ores et déjà dramati­ques. Les faillites bancaires et d'entre­prises, les fermetures d'usines ou les ar­rêts de production plus ou moins longs jettent des millions d'ouvriers dans le chô­mage. En Corée du sud, celui-ci a doublé en cinq mois ; un million et de­mi d'ouvriers sont sur le pavé alors que des centaines de milliers d'autres sont aujourd'hui touchés par le chômage par­tiel. Le chômage explose à Hongkong, à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande, etc. Du jour au lendemain des millions d'ouvriers et leurs familles se re­trou­vent complètement démunis quand ils ne sont pas – parce que travailleurs im­migrés – renvoyés manu-militari dans leur pays d'origine. La consommation s'effondre. Et comment pourrait-il en être autrement alors que, en plus des li­cenciements, l'inflation explose elle aussi en particulier à cause de l'effon­drement des monnaies locales ?

« C'est une récession profonde qui sem­ble se dessiner. En Malaisie, le produit intérieur brut (PIB) s'est contracté de 1,8 % au pre­mier trimestre. A Hong­kong, le PIB a baissé pour la première fois depuis treize ans, de 2 % au cours des trois premiers mois de l'année » ([3] [3]) alors que la Corée du Sud « est confron­tée à un "credit crunch" dramatique "menaçant de saper l'industrie et les expor­tations, dernier recours de la re­prise éco­nomique" a déclaré, lundi, le ministre des finances [coréen]. Cet avertissement survient alors que la Co­rée du Sud a enregistré une croissance négative de 2,6 % en mai. » ([4] [4])

Ainsi, la presse bourgeoise est aujour­d'hui obligée de reconnaître qu'il ne s'agit pas seulement d'une « crise finan­cière » qui tou­che les anciens « dragons » et autres « tigres » mais bien d'un effondrement éco­nomique global pour ces pays. Mais cette « reconnaissance » lui permet d'occulter une réalité beaucoup pus profonde et plus grave : c'est que la situation drama­tique dans la­quelle sombre cette région du monde n'est qu'une expression spec­taculaire de la crise mortelle qui mine le capitalisme dans sa to­talité ([5] [5]). Cette situation devient même un facteur d'ac­célération de la crise générale. Les ré­cents et violents soubresauts des Bourses de Hongkong, de Bangkok, de Djakarta, de Taiwan, de Singapour et Kuala-Lumpur de la fin mai ont largement dé­bordé le cadre de l'Asie du sud-est. Au même mo­ment, en effet, les Bourses de Moscou, de Varsovie et des pays d'Amé­rique latine chutaient de manière tout aussi considéra­ble. De même les diffi­cultés actuelles du Japon (chute de sa monnaie, le Yen ; failli­tes bancaires, baisse importante de la con­sommation interne, récession ouverte offi­cielle­ment prévue malgré l'augmentation des déficits budgétaires) viennent à leur tour menacer ce qui reste de l'équilibre fi­nancier de la région et annoncent une relance exa­cerbée de la guerre com­merciale. Une déva­luation du Yen ne pourrait qu'imposer une dévaluation de la monnaie chinoise – dont l'économie est déjà à bout de souffle – ce qui aurait des conséquences encore plus drama­ti­ques pour toute la région. De même, d'un ordre différent bien sûr, les diffi­cultés japo­naises sont lourdes de con­séquences pour l'ensemble de l'écono­mie mondiale (4).

L'aggravation de la crise économique est mondiale et touche tous les pays. Tous les éléments qui ont vu l'explosion asiatique de la fin 1997, sont mainte­nant réunis dans le cas de la Russie. Celle-ci demande une aide d'urgence aux pays du G7, les sept pays les plus riches du monde, de plus de 10 mil­liards de dollars alors que les capitaux fuient le pays et que le rouble, la mon­naie russe, chute malgré des taux d'inté­rêt de... 150 % ! La Russie se trouve dans la même situation que les pays asiatiques cet hiver, de la Corée en par­ticulier, avec une dette à court terme de 33 milliards de dollars à payer en 1998 alors que ses réserves n'attei­gnent pas... 15 milliards et qu'elles ne per­mettent pas de payer les salaires ouvriers comme l'ont rappelé les mineurs de Sibérie ([6] [6]). A la différence des pays asiatiques, cela fait maintenant dix ans que la Russie est en récession, que son économie s'en­fonce dans le marasme, que le chaos et la décomposi­tion sociale touchent tous les secteurs de la société dans une dy­namique sans fin.

Voilà la seule perspective que peut offrir le capitalisme aujourd'hui pour l'im­mense ma­jorité de la population mon­diale. Une pers­pective de misère et de faim, de chômage ou de surexploitation croissante, de dégradation incessante des conditions de travail, de cor­ruption généralisée, d'affrontements entre ban­des mafieuses rivales, de drogue et d'al­coolisme, d'enfants abandonnés quand ils ne sont pas vendus comme esclaves, de vieillards réduits à la mendicité et à mourir dans la rue, et de guerres meur­trières et sanglantes, de chaos et de bar­barie générali­sée. Il ne s'agit pas là de mauvaise science-fiction, mais de la réa­lité quotidienne que connaît l'immense majorité de la population mondiale et qui existe déjà en Afrique, dans l'ex-URSS, dans nombre de pays d'Asie, en Amérique latine, et qui tend à s'accen­tuer, touchant maintenant certaines ré­gions euro­péennes comme le montre l'ex-Yougoslavie, l'Albanie, une partie des pays de l'ex-bloc de l'Est.

Quelle alternative à cette barbarie ?

Face à ce tableau catastrophique, large­ment incomplet, y-a-t-il une solution ou une alter­native ? De solution dans le cadre du capi­talisme, il n'y en a pas. Et les déclamations des hommes politiques, des économistes et des journalistes – pour ne citer que ceux-là – sur l'espé­rance d'un futur meilleur à condi­tion d'accepter les sacrifices aujourd'hui, sont non seulement démenties par la faillite des pays asiatiques, Japon y compris, qui nous étaient présentés comme les exemples à suivre, mais aussi plus largement par les trente ans de crise économique ouverte de­puis la fin des années 1960 qui ont débou­ché sur le sombre tableau que nous venons de présenter.

Existe-t-il une alternative en dehors du capi­talisme ? Et si oui, quelle alterna­tive ? Et surtout qui en est le porteur ? Les grandes masses qui se sont révoltées en Indonésie ?

La chute brutale des conditions d'exis­tence en Indonésie,  imposées par les grandes dé­mocraties occidentales et le FMI du jour au lendemain, ne pouvait que provoquer des réactions populaires. En quelques mois, le PIB a baissé de 8,5 % au premier trimestre 1998, la roupie indonésienne a perdu 80 % de sa valeur depuis l'été 1997, le revenu moyen a chuté de 40 %, le taux de chô­mage est monté subitement à 17 % de la popula­tion active, l'inflation explose et devrait at­teindre 50 % en 1998. « La vie est devenue presque impossible. Les prix n'arrêtent pas d'augmenter. Le riz est passé de 300 roupies avant la crise à 3000 aujourd'hui. Et ce sera bientôt pire. » ([7] [7])

Dans ces conditions, la révolte de la po­pula­tion déjà misérable était prévisible. Les grandes puissances impérialistes et les grands organismes internationaux, tels le FMI ou la Banque Mondiale, qui ont imposé les mesures d'austérité à l'Indonésie, sa­vaient ces réactions po­pulaires inévitables et s'y sont préparés. Les jours du président Suharto étaient comptés dès lors que son autorité étaient atteinte. La dictature san­glante, mise en place par les Etats-Unis au temps de la guerre froide avec le bloc impé­ria­liste de l'URSS, a permis de détourner la révolte et les manifestations sur le népo­tisme et la corruption du dictateur Su­harto et de ses proches, évitant ainsi toute remise en cause du capitalisme. Ce détournement a été d'autant plus facile que le prolétariat indo­nésien, faible et sans expérience, n'a pu dé­velopper un quelconque mouvement sur son terrain de classe. Les quelques grèves ou mani­festations ouvrières – telles qu'elles ont pu être relatées dans la presse bour­geoise – ont vite été abandonnées. Les ouvriers ont rapidement été noyés dans l'inter-classisme, soit dans les émeutes et le pillage des ma­gasins aux côtés des grandes masses misé­reuses lumpéni­sées qu'ils côtoient dans les bidonvilles, soit derrière les étudiants sur le terrain des « reformasi », c'est-à-dire sur le ter­rain démocratique contre la dictature Suharto. La répression sanglante (plus de 1000 morts à Djakarta, sans doute beaucoup plus en province) a permis de renforcer en­core la mystification démo­cratique et a donné encore plus de poids à la « victoire » obtenue avec la démis­sion de Suharto. Démission facilement organisée et obtenue... par les Etats-Unis.

D'une situation de faillite ouverte du ca­pita­lisme, les bourgeoisies des grandes puissan­ces impérialistes, américaine au premier chef, ont réussi à retourner la situation en Indonésie – dont elles sont les premières responsables – au profit du capital et de la démocratie bour­geoise. Et cela a été d'autant plus facile que le prolétariat n'a pas réussi à lutter comme tel, sur son terrain, c'est-à-dire contre l'austérité, le chômage et la mi­sère, que ce soit au moyen de grèves ou de mani­festations massives.

L'alternative ne peut être que révolu­tion­naire, anti-capitaliste. Mais ce ne sont pas les grandes masses misérables sans travail qui s'entassent dans les im­menses bidon­villes des métropoles des pays du « tiers-monde » qui peuvent en être porteuses. Seul le prolétariat inter­national est le porteur de l'alternative qui comporte la destruction des Etats bourgeois, la disparition du mode de production capitaliste et l'avènement du communisme. Mais la réponse interna­tio­nale prolétarienne n'est pas présente de fa­çon égale partout dans le monde.

Certes, en Asie, toutes les fractions du pro­létariat ne sont pas aussi faibles, ne man­quent pas autant d'expérience qu'en Indonésie. La classe ouvrière en Corée par exemple, autrement plus con­centrée, a une expérience de lutte plus importante et a me­né, en particulier dans les années 1980 des luttes signifi­catives ([8] [8]). Mais là aussi, la bourgeoisie s'est préparée. La « démocratisation » récente des syndicats co­réens et de l'Etat – l'élection présidentielle en dé­cembre dernier au plus fort de la crise financière –, tout comme les dernières élec­tions locales, ont renforcé la mysti­fication démocratique et offert à la bourgeoisie une meilleure capacité pour affronter le proléta­riat et l'enfermer dans de fausses alternati­ves. A l'heure où nous écrivons, l'Etat co­réen, le nou­veau président, Kim Dae Jung, ancien opposant longtemps emprisonné, les di­rigeants des grands entreprises et les deux syndicats, y compris le nouveau « radical », réussissent à faire passer les millions de li­cenciements, le chômage partiel et les sacri­fices au moyen du jeu démocratique.

La responsabilité historique internationale de la classe ouvrière des pays industrialisés

L'utilisation de la mystification démo­crati­que qui vise à attacher les ouvriers à l'Etat national, ne pourra être complè­tement dé­passée et anéantie que par le prolétariat des grandes puissances impé­rialistes « démocratiques ». De par sa concentration et son expérience histori­que dans la lutte contre la démocratie bourgeoise, la classe ouvrière d'Europe occidentale et d'Amérique du nord est la seule qui puisse donner au prolétariat mondial à la fois l'exemple et l'impul­sion de la lutte révolutionnaire, et lui donner la capacité de s'affirmer partout comme la seule force déterminante et por­teuse d'une perspective pour toutes les mas­ses paupérisées de la société.

La bourgeoise sait cela. C'est la raison pour laquelle elle se retrouve unie pour dévelop­per les manoeuvres et les atta­ques – économiques et politiques – les plus so­phistiquées contre la classe ou­vrière. Nous l'avons vu en France en dé­cembre 1995 et, à la suite, en Belgique et en Allemagne ([9] [9]). Nous venons de le voir au Danemark.

Les 500 000 grévistes du secteur privé – pour un population active de 2 millions, cela signifie l'équivalent de 5 millions de grévistes pour des pays comme la Grande-Bretagne ou la France !  – qui ont bloqué ce petit pays durant quinze jours au mois de mai, sont l'illustration des potentialités de lutte, l'expression du lent développe­ment du mécontentement et de la com­bativité ou­vrière en Europe. Ce n'est pas pour rien que les médias ont présen­té ce mouvement comme un anachro­nisme, comme « une grève de riches » (!), afin de limiter au maximum tout sentiment de solidarité, toute conscience de l'existence d'une seule et même lutte ouvrière.

En même temps, le soin politique qu'a porté la bourgeoisie danoise dans la « résolution » du conflit indique bien la réalité du danger prolétarien. L'utilisa­tion du jeu démocrati­que entre le gou­vernement social-démocrate, les patrons privés, la direction du syndicat LO et le syndicalisme de base, les « Tillidsmand », tout comme l'utilisa­tion du référendum sur l'Europe pour décréter la fin de la grève, est la mani­festation de l'arme­ment politique so­phistiqué de la bourgeoisie et de sa maî­trise. Armement politique de par l'utili­sation de l'opposition entre la direction de LO et le syndicalisme de base pour s'as­surer du contrôle des ouvriers. Maî­trise dans le « timing », dans la planifi­cation tempo­relle de la grève provo­quée entre les négo­ciations syndicales et la date du référendum sur l'Europe qui  « autorisait » – du point de vue lé­gal – le gouvernement social-démo­crate à intervenir et à littéralement sif­fler la reprise du travail.

Malgré l'échec de la grève et les ma­noeuvres de la bourgeoisie, ce mouve­ment n'a pas exactement la même signi­fication que celui de décembre 1995 en France. En particulier, alors que la re­prise du travail s'était faite en France dans une certaine euphorie, avec un sen­timent de victoire qui ne laissait pas de place à une remise en cause du syndica­lisme, la fin de la grève danoise s'est faite avec un sentiment d'échec et peu d'illusion sur les syndicats. Cette fois, l'objectif de la bourgeoisie n'était pas de lancer une vaste opération de crédibili­sation des syndicats au niveau interna­tional comme en 1995, mais de « mouiller la poudre », d'anticiper sur un mécontentement et une combativité crois­sante qui s'affirment petit à petit tant au Danemark que dans les autres pays d'Europe et ailleurs.

Les efforts et le soin qu'apportent les bour­geoisies, européennes particuliè­rement, à leur combat contre le proléta­riat, tranchent clairement avec les mé­thodes « primaires » répressives et bru­tales de leurs consoeurs des pays de la périphérie du capitalisme. Le degré de sophistication, de machiavélisme, utilisé est une indication du danger histori­que que représente le prolétariat des pays les plus industrialisés pour la bourgeoisie. De ce point de vue, la grève danoise an­nonce la réponse de classe et la perspec­tive de luttes massives que le prolétariat expéri­menté des grandes concentra­tions d'Europe occidentale va offrir à ses frères de classe des autres continents. Elle annonce aussi la perspective révo­lutionnaire que le proléta­riat interna­tional doit offrir à l'ensemble des masses pauvres et affamées qui représentent l'immense majorité de la population mon­diale.

Voilà l'alternative au sombre tableau et à la sinistre perspective que nous offre le capita­lisme en se décomposant : une seule et même lutte révolutionnaire du prolétariat international dont le signal et la dynamique seront donnés par les lut­tes des ouvriers des grandes concentra­tions industrielles d'Europe et d'Améri­que du Nord.

RL, 7 juin 98



[1] [10]. Voir Revue Internationale n° 93.

 

[2] [11]. « Le président chinois Jiang Zenin a accusé l'Inde de "prétendre depuis longtemps à l'hégémonie dans l'Asie du Sud" et que "l'Inde vise la Chine" quand elle reprend ses essais nucléaires » (Le Monde, 4/6/98)

 

[3] [12]. Le Monde, 4/6/98.

 

[4] [13]. Le Monde, 3/6/98. « Credit crunch » : pénurie subite de crédit.

 

[5] [14]. Voir la « Résolution sur la situation internationale » du 12e Congrès du CCI ainsi que l'article éditorial de la Revue internationale n° 92, 1er trimestre 1998.

 

[6] [15]. La grève des mineurs réclamant leurs salaires non payés depuis plusieurs mois. Voir Le Monde, 7/6/98.

 

[7] [16]. Le Monde, 4/6/98.

 

[8] [17]. « Les grèves de l'été 87 », Revue Internationale n° 51, 4e trimestre 1987.

 

[9] [18]. Voir Revue Internationale n° 84 et 85, 1er et 2e trimestre 1996.

 

Questions théoriques: 

  • Décadence [19]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [20]

Euro : l'aiguisement des rivalités capitalistes

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La réunion au sommet des chefs d'Etat de l'Union Européenne début mai 1998 avait pour but de couronner dignement l'introduc­tion de la monnaie commune, l'Euro. Ceux-ci étaient venus à Bruxel­les pour célébrer leur victoire sur l'« égoïsme nationaliste ». Auparavant, le chancelier allemand Helmut Kohl nous avait assuré que la nouvelle mon­naie incarne surtout la paix en Europe pour le prochain siècle et en particulier le dépas­sement de la rivalité historique meurtrière entre l'Allemagne et la France.

Mais les faits sont têtus et c'est souvent dans les moments les plus inattendus qu'ils font voler en éclats les idées faus­ses que les clas­ses exploiteuses inven­tent pour s'illusionner elles-mêmes et surtout pour tromper ceux qu'elles ex­ploitent. Au lieu d'être une dé­monstra­tion de confiance mutuelle et de collabo­ration pacifique entre Etats euro­péens, le sommet de Bruxelles et sa célé­bra­tion de la naissance de l'Euro ont vite tourné au pugilat autour d'une question se­condaire en apparence : à quel mo­ment le français Trichet devrait rempla­cer le néer­landais Duisenberg comme président de la nouvelle Banque centrale européenne ; ceci d'ailleurs en violation du traité sur l'Euro solennellement adopté.

Une fois éteints les feux de la bataille, une fois que le président français Chirac eût terminé de vanter la façon dont il avait im­posé le remplacement de Dui­senberg par Trichet dans quatre ans et que le ministre allemand des finances Waigel eût cessé de lui riposter en dé­clarant que le néerlandais, favori de Bonn, pourrait rester huit ans « s'il le voulait », un silence embarrassant re­tomba sur les capitales de l'Europe. Comment expliquer cette soudaine re­chute dans un état d'esprit nationaliste de « prestige », soi-disant anachroni­que ? Pourquoi Chirac a-t-il mis en danger la cé­rémonie d'introduction de la monnaie com­mune sans autre raison que celle d'avoir un de ses compatriotes à la tête d'une banque, qui plus est un compatriote qui a la réputa­tion d'être un « clone » du président de la Bundes­bank Tietmeyer ? Pourquoi Kohl a-t-il tant tardé pour faire la plus petite con­ces­sion sur une telle question ? Pour­quoi a-t-il été autant critiqué en Alle­magne pour le compromis qu'il a accep­té ? Et pourquoi les autres nations pré­sentes, bien qu'elles aient soi-disant sou­tenu unanimement Duisenberg, se sont-elles résignées à cette bataille rangée ? Après s'être creusé la tête, la presse bourgeoise est parvenue à une explica­tion ou plutôt à plusieurs explica­tions différentes. En France la responsabilité du contretemps de Bruxelles a été reje­tée sur l'arrogance des allemands ; en Allemagne sur l'ego national boursouflé des français ; en Grande-Bretagne sur la folie des continentaux qui ne sont pas capables de se contenter de leur bonne vieille monnaie nationale traditionnelle.

Ces excuses et « explications » ne sont-elles pas en elles-mêmes la preuve qu'un véritable conflit d'intérêts nationaux se jouait à ce sommet de Bruxelles ? Loin de limiter la concurrence économique entre les capitaux nationaux partici­pants, l'introduction d'une monnaie uni­que signifie l'intensification des rivali­tés. Plus particulièrement, le conflit en­tre ces « grands amis » que sont Kohl et Chirac exprime surtout toute l'inquié­tude de la bourgeoisie française face au renforce­ment économique et politique et face à l'agressivité de son compère al­lemand. Cette montée économique et impérialiste de l'Allemagne est une réa­lité brutale qui ne peut qu'alarmer le « partenaire » français malgré la pru­dence diplomatique de Kohl. Celui-ci, en effet, en prévision de sa proba­ble « retraite » comme Chancelier, a récem­ment fait passer le message suivant à ses futurs successeurs : « L'expression "leadership allemand" en Europe de­vrait être évitée, car elle pourrait me­ner à l'accu­sation que nous essayons d'obtenir l'hégé­monie. » ([1] [21])

L'agressivité croissante du capitalisme allemand

En fait, mai 1998 a témoigné de deux déve­loppements importants concréti­sant la vo­lonté de l'Allemagne d'impo­ser des mesures économiques visant à assurer la position dominante du capita­lisme allemand aux dé­pens de ses ri­vaux plus faibles.

Le premier est l'organisation de la mon­naie européenne. L'Euro était à l'origine un projet français imposé à Kohl par Mitterrand en échange du consentement français à l'unifi­cation allemande. A l'époque, la bourgeoisie française crai­gnait à juste titre que la Bundesbank de Francfort n'utilise le rôle dominant du Mark, par une politique des taux d'inté­rêt élevés, pour obliger toute l'Europe à participer au financement de l'unifica­tion de l'Allemagne. Mais, lorsque l'Al­lemagne mit finalement tout son poids dans ce projet (et sans ce poids l'Euro n'au­rait jamais existé), ce qui a émergé c'est une monnaie européenne corres­pondant aux con­ceptions et aux intérêts de l'Allemagne et non à ceux de la France.

Comme l'écrivait le Frankfurter Allge­meine Zeitung, journal porte-parole de la bour­geoisie allemande, après le sommet de Bruxelles : « De l'indépen­dance de la Banque centrale euro­péenne et sa localisa­tion à Francfort, en passant par le pacte de stabilité en soutien à l'union monétaire, jus­qu'au refus d'un "gouvernement économi­que" comme contrepoids politique à la Ban­que centrale, en dernière instance la France n'a pas été capable d'imposer une seule de ses exigences. Même le nom de la monnaie unique inscrit dans le Traité de Maastricht, l'Ecu – qui rappelle une mon­naie historique fran­çaise – a été abandonné sur le chemin de Bruxelles pour le plus neutre "Euro". (...) Aussi la France, en ce qui concerne ses conceptions et son prestige politi­ques, se retrouve les mains vides. Chi­rac a joué le méchant à Bruxelles pour effacer au moins partiellement cette im­pression. » (5 mai 1998)

La seconde manifestation importante récente de l'agressivité de l'expansion économique allemande est démontrée par les opérations internationales de ra­chat d'entreprises effec­tuées par les principaux constructeurs d'au­tomobile allemands. La fusion de Daimler-Benz et Chrysler va constituer le troisième géant mondial de l'automobile. Incapa­ble de survivre comme troisième cons­tructeur américain indépendant face à General Motors et Ford, ayant déjà été sauvé de la faillite par l'Etat américain sous la prési­dence Carter, Chrysler n'avait pas d'autre choix que d'accepter l'offre allemande bien que cela donne à Daimler, déjà principale entreprise al­lemande de l'armement et de l'aéronau­tique, l'accès aux actions de Chrysler dans l'armement américain et dans les projets de la NASA. L'encre de la signa­ture de cet accord n'avait pas encore sé­ché que Daimler annonçait son inten­tion de re­prendre Nippon Trucks. Bien que Daimler soit le premier constructeur mondial de ca­mions, il ne couvre que 8 % de l'important marché asiatique. Là encore, la bourgeoisie allemande est en position de force. En effet, même si le Japon sait que le géant de Stuttgart a l'intention d'utiliser ce rachat pour ac­croître sa part du marché asiatique des camions à hauteur de 25 % (aux dépens du Japon !), il lui est difficile d'empê­cher cet accord à cause de la véritable faillite qui frappe ce qui fut l'or­gueilleuse société Nippon Trucks.

Et, pour parachever ce tableau, la ba­garre autour du rachat du britannique Rolls Royce de Vickers se déroule ac­tuellement exclusi­vement entre deux entreprises allemandes, ce qui place les honorables actionnaires de Vickers face à un choix pénible au regard de l'his­toire. Se vendre à BMW est quasiment un sacrilège par rapport au souvenir de la bataille d'Angleterre en 1940, où la Royal Air Force équipée de moteurs Rolls-Royce repoussa la Luftwaffe alle­mande dont le fournisseur était ce même BMW. « L'idée que BMW possède Rolls-Royce me brise le coeur » a décla­ré un de ces vénérables gen­tlemen à la presse allemande. Malheureusement l'autre choix est celui de Volkswagen, entreprise créée par les nazis, ce qui contraindrait la Reine d'Angleterre à se déplacer dans la « voiture du peuple »...

Et ceci n'est que le début d'un processus qui ne sera pas limité à l'industrie au­tomobile. Le gouvernement français et la Commission européenne de Bruxelles viennent juste de se mettre d'accord sur un plan pour sauver de la faillite le Cré­dit Lyonnais, une des premières banques françaises. Un des ob­jectifs principaux de ce plan est d'empêcher que les parts les plus lucratives de cette banque ne tombent entre des mains alle­mandes. ([2] [22])

Pendant la Guerre froide, l'Allemagne, na­tion capitaliste importante, était divi­sée, oc­cupée militairement et jouissait d'une souve­raineté étatique partielle. Elle n'avait pas la possibilité politique de développer une pré­sence internatio­nale de ses banques et de ses entrepri­ses, une présence qui aurait corres­pondu à sa puissance industrielle. Avec l'ef­fondrement en 1989 de l'ordre mon­dial issu de Yalta, la bourgeoisie alle­mande n'avait plus de raison de conti­nuer à supporter cette situation au ni­veau des affaires. Les événe­ments ré­cents ont confirmé que les très dé­mo­crates successeurs d'Alfred Krupp et Adolf Hitler sont tout aussi capables que leurs prédécesseurs de bousculer et écar­ter leurs rivaux. Pas étonnant que leurs « amis » et « partenaires » capitalistes soient aussi en colère.

L'Euro : un instrument contre le « chacun pour soi »

Kohl a compris plus tôt que ses collè­gues allemands que l'effondrement des blocs im­périalistes mais aussi l'inquié­tude provoquée par l'unification alle­mande risquaient de provoquer une nouvelle vague de protec­tionnisme et de chacun pour soi économi­que, ce qui avait été jusque là mis en échec au sein de la discipline imposée par le bloc américain. Il était clair que l'Allemagne, la principale puissance industrielle d'Europe et le champion de l'exporta­tion, risquait de de­venir une des prin­cipales victimes d'un tel développement.

Ce qui rallia la majorité de la bourgeoi­sie allemande – qui était si fière du Deutsche Mark et si effrayée par l'infla­tion ([3] [23]) – à la position de Kohl, a été la crise monétaire européenne d'août 1993 (qui avait en fait commencé un an aupa­ravant lorsque la Grande-Bretagne et l'Italie avaient quitté le Système moné­taire européen). La crise avait été pro­voquée par une spéculation internati­o­nale considérable sur les monnaies, elle-même expression de la crise de surpro­duc­tion chronique et généralisée du capitalisme. Ceci amena presque à l'ex­plosion du Système monétaire européen qui avait été mis en place par Helmut Schmidt et Giscard d'Estaing pour em­pêcher les fluctuations in­contrôlées et imprévisibles des monnaies qui ris­quaient de paralyser le commerce au sein de l'Europe. Ce système se révélait mainte­nant lui-même complètement inadéquat face à l'avancée de la crise. De plus, en 1993, la bourgeoisie fran­çaise – qui fait plus souvent preuve de détermination que de bon sens – propo­sa, dans le dos de l'Allemagne, de rem­placer le Mark par le Franc français comme monnaie de référence de l'Eu­rope. Cette proposition était indubita­blement ir­réaliste et elle connut un re­jet retentissant de la part des « partenaires », notamment de la part des Pays-Bas (Duisenberg !). Tout ce spectacle convainquit la bourgeoisie al­le­mande du danger que contenait un chacun pour soi incontrôlé. C'est ce qui la fit se ral­lier à son Chancelier. La monnaie commune fut ainsi conçue pour rendre impossible les fluctuations monétaires entre les différents « partenaires commerciaux » européens et pour aussi contrecarrer une tendance poten­tielle existante vers le protection­nisme et l'effondrement du commerce mondial. Après tout, l'Europe est, avec les Etats-Unis, le principal centre du marché mondial. Mais au contraire de l'Amérique, l'Europe est divisée en de multiples capitaux nationaux. Comme tel, elle constitue un maillon faible po­tentiel dans la chaîne du commerce mondial. Aujourd'hui, même les meilleurs avocats de l'« Europe unie » comme la CDU et le SPD en Allema­gne, admettent qu'il n'y a « pas d'alter­native à une Europe des Patries » ([4] [24]). Cependant, ils mettent en place l'Euro pour limiter les risques au niveau du com­merce mondial. C'est pourquoi l'Euro est soutenu par la plupart des fractions de la bourgeoi­sie, et cela pas seulement en Europe mais aussi en Amérique.

Mais si ce soutien général pour l'Euro existe, en quoi exprime-t-il l'aiguise­ment de la concurrence capitaliste ? Où réside l'inté­rêt particulier de la bour­geoisie allemande ? Pourquoi la version allemande de l'Euro est-elle l'expression de son autodéfense agres­sive aux dé­pens de ses rivaux ? En d'autres termes, pourquoi contrarie-t-elle autant Chirac ?

Euro : les plus forts imposent leurs règles aux plus faibles

C'est un fait bien connu qu'au cours des trente dernières années la crise a affecté la périphérie du capitalisme plus rapi­dement et plus brutalement que le coeur du système. Cependant, il n'y a rien de naturel et d'auto­matique dans un tel cours des événements. L'accumulation la plus importante et la plus explosive des contradictions capitalistes se trouve précisément au centre du système. Dans ce sens, le fait qu'après 1929 les Etats-Unis et l'Allemagne, les deux pays capi­talis­tes les plus développés, ont été les premiè­res victimes et les plus brutale­ment affectés par la crise mondiale, cor­respondait beau­coup plus au cours spontané et naturel du capitalisme déca­dent. Au cours des décen­nies passées, au contraire, nous avons vu tour à tour l'effondrement économique de l'Afrique, de l'Amérique latine, de l'Europe de l'Est et de la Russie, et plus récemment du sud-est asiatique. Le Japon lui-même commence à vaciller. L'Amérique du nord et l'Europe de l'ouest, en particu­lier les Etats-Unis et l'Allemagne, ont malgré tout été les plus capables de ré­sister. Ils l'ont été préci­sément parce qu'ils ont été capables d'empê­cher, dans une certaine mesure, le chacun pour soi économique qui avait prévalu dans les années 1930. Ils ont mieux résisté parce qu'ils ont été capables d'imposer leur rè­gles de conduite de la concurrence capi­taliste. Ces règles sont là pour assurer la survie des plus forts. Dans le naufrage actuel du capi­talisme, elles permettent que ce soient les « pirates » les plus fai­bles qui passent en pr­emier par dessus bord. Alors que la bour­geoisie les pré­sente comme la recette qui doit permet­tre de civiliser, de pacifier ou même d'éliminer la concurrence entre na­tions, ces règles sont en réalité les moyens les plus brutaux d'organiser la concurrence au bénéfice des plus forts. Tant que le bloc impérialiste occidental existait, les Etats-Unis seuls y imposaient ces règles. Aujourd'hui, si les Etats-Unis conti­nuent de dominer économiquement au niveau mon­dial, au sein de l'Europe c'est l'Allemagne qui de plus en plus fait la loi, en s'imposant aux dépens de la France et des autres. A long terme cette situation mènera l'Allemagne à se re­trouver directement face aux Etats-Unis eux-mêmes.

Le conflit européen sur l'Euro

Il est vrai que la monnaie commune eu­ro­péenne sert les intérêts de tous ses partici­pants. Mais cela n'est qu'une par­tie de la réalité. Pour les pays plus faibles, la protec­tion offerte par l'Euro est comparable à la protection généreuse que la Mafia offre à ses victimes. Face à la puissance d'exportation supérieure de l'Allemagne, la plupart de ses rivaux eu­ropéens ont eu régulièrement re­cours au cours des trente dernières années à des dévaluations monétaires, comme ce fut le cas de l'Italie, de la Grande-Breta­gne ou de la Suède, ou au moins à une politique de stimulation économique et de monnaie fai­ble comme dans le cas de la France. A Paris, le concept de poli­tique monétaire « au ser­vice de l'expansion économique » a été une doc­trine d'Etat tout autant que celle du « monétarisme » de la Bundesbank. Au dé­but des années 1930, de telles politi­ques, les dévaluations brutales en parti­culier, comp­taient parmi les armes fa­vorites des différen­tes nations euro­péennes aux dépens de l'Allemagne. Sous la nouvelle loi germani­que de l'Euro une telle politique n'est plus pos­sible. Au coeur de ce système il y a un principe que la France a beaucoup de mal à digérer. C'est le principe de l'in­dépendance de la Banque Centrale Eu­ropéenne, qui si­gnifie la dépendance de celle-ci à la politi­que et au soutien de l'Allemagne.

Les pays plus faibles – l'Italie en est un exemple classique – ont peu de moyens de maintenir un minimum de stabilité en de­hors de la zone Euro, sans l'accès au capital, aux marchés ou taux d'inté­rêts meilleur mar­ché que le système of­fre. La Grande-Bretagne et la Suède, qui sont relativement plus compétitives que l'Italie, et moins dé­pendantes de l'éco­nomie allemande que la France ou les Pays-Bas, sont capables de se maintenir plus longtemps en dehors de l'Euro. Mais au sein des murs protecteurs de la zone Euro, les autres ont perdu quelques unes de leurs armes en faveur de l'Al­lemagne.

L'Allemagne pouvait se permettre de passer un compromis sur la question de Trichet et de la présidence de la Banque Centrale Européenne. Mais sur l'organi­sation de l'Euro, comme sur l'expansion internationale de ses banques et de son industrie, elle n'a accepté aucun com­promis. Et il ne pouvait pas en être au­trement. L'Allemagne est le moteur de l'économie européenne. Mais après trente ans de crise ouverte même l'Al­lemagne est devenu un « homme ma­lade » de l'économie mondiale. Sa dé­pen­dance du marché mondial est énorme ([5] [25]). La masse considérable de ses chômeurs appro­che les dimensions de celle des années 1930. Et elle se con­fronte à un problème supplémentaire ex­trêmement coûteux et encore non réso­lu : les coûts économiques et sociaux de la réunification. C'est la crise de surpro­duction irréversible du capitalisme dé­cadent qui a frappé le coeur de l'écono­mie allemande l'obligeant, comme les autres géants du capitalisme, à combat­tre impi­toyablement pour sa propre survie.

Kr., 25 mai 1998


[1] [26]. Déclaration de Kohl à une réunion de la commission parlementaire du Bundestag sur les finances et les affaires de l'Union européenne, 21/4/98.

 

[2] [27]. Il vaut la peine de noter le rôle important joué par le très respectable Trichet dans l'affaire du Crédit Lyonnais, qui a été celui de cacher au public la faillite de cette banque pendant plusieurs années.

 

[3] [28]. Si la bourgeoisie allemande n'a pas oublié 1929, elle se souvient aussi de 1923 quand le Reichsmark ne valait même plus une feuille de papier toilette.

 

[4] [29] La division du monde en capitaux nationaux concurrents ne peut être surmontée que par la révolution prolétarienne mondiale

[5] [30] L'Allemagne a exporté pour 511 milliards de dollars en 1997, seulement second derrière les Etats-Unis (688 milliards), et beaucoup plus que le Japon avec 421 milliards de dollars (selon l'OCDE).

 

Géographique: 

  • Europe [31]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La décadence du capitalisme [32]

13° congrès de R.I. : résolution sur la situation internationale

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Depuis un an l'évolution de la situation internationale a fondamentalement con­firmé les analyses contenues dans la ré­solution adoptée par le 12e congrès du CCI, en avril 1997. En ce sens, la pré­sente résolution constitue simplement un complément de la précédente, ne repre­nant pas ses analyses mais vérifiant leur confirmation et apportant les actualisa­tions que requiert la situation d'aujour­d'hui.

Crise économique

1) Un des points de la précédente résolution qui s'est confirmé avec le plus de clarté est celui concernant la crise de l'économie capi­taliste. Ainsi, en avril 1997 nous disions :

« Parmi les mensonges abondamment diffusés par la classe dominante pour faire croire à la viabilité, malgré tout, de son système, une place de choix est également réservée à l'exemple des pays d'Asie du sud-est, les "dragons" (Corée du Sud, Taiwan, Hongkong et Singapour) et les "tigres" (Thaïlande, Indonésie, Malaisie) dont les taux de croissance actuels (quelques fois à deux chiffres) font baver d'envie les bour­geois occidentaux…

…l'endettement de la plupart de ces pays, tant extérieur qu'au niveau de leurs Etats, atteint des niveaux considérables ce qui les soumet aux mêmes menaces que tous les au­tres pays. En réalité, faisant jusqu'à présent figure d'exception, comme ce fut le cas de leur grand voisin japonais, ils ne pourront pas échapper indéfiniment aux contradic­tions de l'économie mondiale qui ont trans­formé en cauchemar d'autres "success stories" qui ont précédé la leur, telle celle du Mexique. » (point 7)

Il n'a pas fallu quatre mois pour que les dif­ficultés de la Thaïlande inaugurent la crise financière la plus importante qu'ait connu le capitalisme depuis les années 1930, une crise financière qui s'est étendue à l'ensem­ble des pays d'Asie du sud-est et qui a né­cessité la mobilisation de plus de 120 mil­liards de dollars (bien plus du double de celle déjà exceptionnelle du Mexique en 1996) pour éviter qu'un grand nombre d'Etats de la région ne soient déclarés en faillite. Le cas le plus spectaculaire est évi­demment celui de la Corée du Sud, onzième puissance économique mondiale, membre de l'OCDE (le club des « riches ») qui s'est re­trouvée en cessation de paiements, avec une dette de près de 200 milliards de dollars. En même temps, cet effondrement financier a fait trembler le plus grand pays du monde, la Chine, dont on vantait également, il y a peu, le « miracle économique » et aussi la deuxième puissance économique de la pla­nète, le Japon lui-même.

2) Les difficultés que rencontre à l'heure actuelle l'économie japonaise, le « bon élève de la classe » pendant plusieurs décennies, ne datent pas de la crise financière qui a déferlé sur l'Asie du sud-est tout au long de la seconde moitié de 1997. En fait, c'est de­puis le début des années 1990 que le Japon fait figure d' « homme malade », notamment avec une récession larvée que n'ont pu sur­monter de nombreux « plans de relance » (cinq plans depuis octobre 1997 qui fai­saient suite à de nombreux autres) et qui aujourd'hui s'est convertie en une récession ouverte (la première depuis 23 ans). En même temps, le Yen qui avait été la mon­naie vedette pendant de nombreuses années a affiché une perte de valeur par rapport au dollar de 40 % au cours des trois dernières années. Enfin, le système bancaire japonais révèle toujours plus sa fragilité avec une proportion énorme de créances douteuses, représentant 15 % du PIB annuel du Japon, alors que ce pays est la « caisse d'épargne du monde », notamment avec des centaines de milliards de dollars en bons du Trésor amé­ricains. En fait, le mauvais sang que se fait la bourgeoisie de tous les pays à propos du Japon est tout à fait justifié. Il est clair qu'un effondrement de l'économie japonaise consti­tuerait un véritable cataclysme pour l'ensemble de l'économie mondiale. Mais en outre, le fait que l'économie la plus dynami­que du deuxième après-guerre soit plongée depuis près de huit ans dans le marasme a une signification toute particulière ; il cons­titue un indice du degré de gravité atteint par la crise que subit le capitalisme depuis une trentaine d'années.

3) En fait, pour les marxistes, il importe d'aller au delà des discours des « experts » de la classe dominante. Si on s'en tenait à ces discours, il faudrait considérer que les choses vont dans la bonne direction pour le capitalisme puisqu'on annonce une reprise de l'économie mondiale et que les retombées de la crise financière d'Asie se révèlent moins destructrices que certains ne l'avaient craint il y a quelques mois. Aujourd'hui, on voit même les principales Bourses du monde, à commencer par celle de Wall Street, battre tous leurs records. En réalité, les événements récents ne contredisent aucunement l'analyse faite par les marxistes de la gravité et du caractère insoluble de la crise présente du capitalisme. En arrière plan de l'effondrement financier des « tigres » et des « dragons » comme de la maladie de langueur de l'économie japonaise réside l'endettement astronomique dans lequel s'enfonce jour après jour le monde capitaliste :

« En fin de compte, loin de permettre de surmonter les crises, le crédit ne fait qu'en étendre la portée et la gravité comme le montre, en s'appuyant sur le marxisme, Rosa Luxemburg. Aujourd'hui, les thèses de la gauche marxiste... à la fin du siècle der­nier, restent fondamentalement valables. Pas plus qu'alors, le crédit ne peut à l'heure actuelle élargir les marchés solvables. Cependant, confrontée à une saturation définitive de ces derniers (...), le crédit est devenu la condition indispensable à l'écou­lement des marchandises produites, se substituant au marché réel. » (point 4)

« ... C'est principalement en utilisant le moyen du crédit, d'un endettement toujours plus grand, que l'économie mondiale a réussi à s'éviter une dépression brutale comme celle des années 1930... »

4) En fait, la caractéristique la plus signifi­cative des convulsions économiques qui touchent aujourd'hui l'Asie ne consiste pas tant dans les retombées qu'elles vont provo­quer sur les autres pays développés (environ moins 1 % de croissance) que dans le fait qu'elles révèlent l'impasse totale où se trouve le système capitaliste aujourd'hui, un système contraint à une perpétuelle fuite en avant dans l'endettement (un endettement que les prêts consentis aux « dragons » et aux « tigres » ne font qu'aggraver encore). D'autre part, ces convulsions qui viennent frapper de plein fouet les « champions de la croissance » font la preuve qu'il n'existe pas de formule ou de recette permettant à un quelconque groupe de pays d'échapper à la crise. Enfin, par leur ampleur bien plus grande encore que celle des soubresauts financiers des années passés, elles révèlent l'aggravation continuelle de l'état de l'éco­nomie capitaliste mondiale.

Face à la faillite des « dragons », la bour­geoisie, en mobilisant des moyens énormes avec la participation des principaux pays de chaque côté de l'Atlantique et du Pacifique, a fait la preuve que, malgré la guerre com­merciale à laquelle se livrent ses différentes fractions nationales, elle était résolue à évi­ter que ne se développe une situation sem­blable à celle des années 1930. En ce sens, le « chacun pour soi » que porte avec lui l'enfoncement de la société capitaliste dans la décomposition trouve des limites dans la nécessité pour la classe dominante d'empê­cher une débandade générale plongeant brutalement l'ensemble de l'économie mon­diale dans un véritable cataclysme. Le capi­talisme d'Etat qui s'est développé avec l'en­trée du capitalisme dans sa phase de déca­dence, et qui s'est particulièrement déve­loppé à partir de la deuxième moitié des années 1930 avait pour but de garantir un minimum d'ordre entre les différentes frac­tions du capital à l'intérieur des frontières nationales. Après la disparition des blocs impérialistes faisant suite à l'effondrement du bloc russe, le maintien d'une coordination des politiques économiques entre les diffé­rents Etats permet de maintenir ce type d' « ordre » à l'échelle internationale ([1] [33]). Cela ne remet pas en cause la poursuite et l'intensification de la guerre commerciale, mais permet que celle-ci puisse se mener avec certaines règles permettant au système de survivre.

En particulier, elle a permis aux pays les plus développés de repousser vers ceux de la périphérie (Afrique, Amérique latine, pays de l'Est) les manifestations les plus dramatiques d'une crise qui pourtant trouve son origine au coeur du système capi­taliste (Europe occidentale, Etats-Unis, Japon). Elle permet également d'établir des zones de plus grande stabilité (toute rela­tive) comme se propose de le faire l'instau­ration de l'Euro.

5) Cependant, la mise en oeuvre de toutes les mesures de capitalisme d'Etat, de coordi­nation des politiques économiques entre les pays les plus développés, de tous les « plans de sauvetage » ne peuvent éviter au capita­lisme une faillite croissante, même s'ils parviennent à ralentir le rythme de la catas­trophe. Ce système pourra bénéficier de rémissions momentanées de sa maladie, comme ce fut déjà le cas par le passé, mais après la « reprise » il y aura de nouvelles récessions ouvertes et toujours plus de con­vulsions économiques et financières.

Au sein de l'histoire de la décadence du capitalisme, avec sa spirale crise-guerre-reconstruction-nouvelle crise ouverte, il existe une histoire de la crise qui débute à la fin des années 1960. Tout au long de cette période on assiste à une dégradation inéluc­table de la situation du capitalisme mondial qui se manifeste notamment par :

–  une baisse des taux de croissance moyens (pour les 24 pays de l'OCDE, période 1960-70 : 5,6 % ; 1970-80 : 4,1 % ; 1980-90 : 3,4 % ; 1990-95 : 2,4 %) ;

–  un accroissement faramineux et général de l'endettement, particulièrement celui des Etats (représentant aujourd'hui pour les pays développés entre 50 et 130 % de toute la production annuelle) ;

–  une fragilisation et une instabilité crois­sante des économies nationales avec des faillites de plus en plus brutales de sec­teurs industriels ou financiers ;

–  l'éjection de secteurs toujours plus impor­tants de la classe ouvrière en dehors du processus productif (pour l'OCDE, 30 millions de chômeurs en 1989, 35 mil­lions en 1993, 38 millions en 1996).

Et ce processus est destiné à se poursuivre inéluctablement. En particulier, le chômage permanent, qui exprime la faillite historique d'un système dont la raison d'être était d'étendre le travail salarié, ne pourra que s'accroître, même si la bourgeoisie fait tou­tes les contorsions possibles pour le dissi­muler et même si, pour l'instant elle semble l'avoir stabilisé. A côté de toutes sortes d'au­tres attaques sur les salaires, les prestations sociales, la santé, les conditions de travail, il va constituer de plus en plus le principal moyen par lequel la classe dominante fera payer à ses exploités le prix de la faillite de son système.

Affrontements impérialistes

6) Si les différents secteurs nationaux de la bourgeoisie, afin d'éviter une explosion du capitalisme mondial, parviennent à s'impo­ser un minimum de coordination de leurs politiques économiques, il en est tout autre­ment dans le domaine des rapports impéria­listes. Les événements depuis un an ont confirmé pleinement la résolution du 12e Congrès du CCI :

« ... cette tendance au "chacun pour soi", au chaos dans les relations entre Etats, avec son cortège d'alliances de circonstances et éphémères, n'a nullement été remise en cause, bien au contraire. » (point 10)

« En particulier, la première puissance mondiale est confrontée, depuis qu'a dis­paru la division du monde en deux blocs, à une contestation permanente de son autorité de la part de ses anciens alliés. » (point 11)

C'est ainsi qu'on a pu voir se poursuivre et même s'aggraver l'indiscipline d'Israël vis-à-vis du parrain américain, indiscipline illus­trée encore dernièrement par l'échec de la mission au Moyen-Orient du négociateur Dennis Ross qui n'est pas parvenu à rétablir le moins du monde le processus de paix d'Oslo pièce maîtresse de la « pax ameri­cana » au Moyen-Orient. La tendance déjà constatée les années passées s'est donc pleinement confirmée :

« Parmi les autres exemples de la contestations du leadership américain il faut encore relever... la perte du monopole du contrôle de la situation au Moyen-Orient, zone cruciale s'il en est... » (point 12)

De même, on a pu voir la Turquie prendre ses distances avec son « grand allié » alle­mand (à qui elle reproche de l'empêcher d'entrer dans l'Union européenne) en même temps qu'elle tentait d'établir, pour son pro­pre compte une coopération militaire privi­légiée avec Israël.

Enfin, on a assisté à la confirmation de ce que le 12e congrès constatait également déjà :

« ... l'Allemagne, en compagnie de la France, a engagé un forcing diplomatique en direction de la Russie dont elle est le premier créancier et qui n'a pas tiré d'avan­tages décisifs de son alliance avec les Etats-Unis. » (point 15)

Le récent sommet de Moscou entre Kohl, Chirac et Eltsine a scellé une « troïka » qui rassemble deux des principaux alliés des Etats-Unis du temps de la « guerre froide » et celui qui, au lende­main de l'effondrement du bloc de l'Est, avait manifesté plusieurs années durant son allégeance au grand gendarme. Bien que Kohl ait affirmé que cette alliance n'était dirigée contre personne, il est clair que c'est sur le dos des intérêts américains que se sont entendus les trois larrons.

7) La manifestation la plus criante de la contestation du leadership américain a été l'échec lamentable en février 1998 de l'opé­ration « Tonnerre du désert » visant à infli­ger une nouvelle « punition » à l'Irak et, au delà de ce pays, aux puissances qui le sou­tiennent, notamment la France et la Russie. En 1990-91, les Etats-Unis avaient piégé l'Irak en le poussant à envahir un autre pays arabe, le Koweït. Au nom du « respect du droit international » ils avaient réussi à ras­sembler derrière eux, bon gré mal gré, la presque totalité des Etats arabes et la totalité des grandes puissances, y compris les plus réticentes comme la France. L'opération « Tempête du désert » avait permis d'affir­mer le rôle de seul « gendarme du monde » de la puissance américaine ce qui lui avait ouvert la porte, malgré les embûches qu'elle n'allait pas tarder à rencontrer dans l'ex-Yougoslavie, au processus d'Oslo. En 1997-98, c'est l'Irak et ses « alliés » qui ont piégé les Etats-Unis. Les entraves de Saddam Hussein à la visite des « sites présidentiels » (qui ne contenaient aucune installation con­trevenant aux résolutions des Nations-Unies, comme on vient de le constater) ont conduit la super puissance à une nouvelle tentative d'affirmer son autorité par la force des ar­mes. Mais cette fois-ci, elle a dû renoncer à son entreprise face à l'opposition résolue de la presque totalité des Etats arabes, de la plupart des grandes puissances et au soutien (timide) de la seule Grande-Bretagne. Au bilan, le petit frère de la « Tempête du dé­sert » a été bien loin de ressembler au « Tonnerre » qu'il voulait être. Il a pris l'al­lure d'un pétard mouillé qui n'a même pas épargné à la première puissance mondiale l'affront de voir le Secrétaire général des Nations-Unies se rendre à Bagdad dans l'avion personnel du président français et rencontrer ce dernier avant et après sa mis­sion. Ce qui devait constituer une punition pour l'Irak et la France, notamment, s'est converti en une victoire diplomatique de ces deux pays. Le contraste entre le sort de la « Tempête du désert » et le « Tonnerre » du même nom permet de mesurer la crise ac­tuelle du leadership des Etats-Unis, une crise que n'a pas démenti le demi échec de la tournée africaine de Clinton, fin mars, qui se proposait de consolider l'avancée opérée au détriment de la France avec le renversement du régime de Mobutu en 1996. Ce qu'a sur­tout révélé ce voyage, c'est que les Etats africains, et particulièrement le plus puis­sant d'entre eux, la République Sud-afri­caine, entendent de plus en plus jouer eux aussi leur propre jeu indépendamment de la tutelle des grandes puissances.

8) Ainsi, les derniers mois ont pleinement confirmé ce qui avait été relevé par le passé :

« Pour ce qui concerne la politique interna­tionale des Etats-Unis, l'étalage et l'emploi de la force armée non seulement fait partie depuis longtemps de ses méthodes, mais elle constitue maintenant le principal instru­ments de défense de ses intérêts impérialis­tes, comme le CCI l'a mis en évidence depuis 1990, avant même la guerre du Golfe. Face à un monde dominé par le "chacun pour soi", où notamment les anciens vassaux du gendarme américain aspirent à se dégager le plus possible de la pesante tutelle de ce gendarme qu'ils avaient dû supporter face à la menace du bloc adverse, le seul moyen décisif pour les Etats-Unis d'imposer leur autorité est de s'appuyer sur l'instrument pour lesquels ils disposent d'une supériorité écrasante sur tous les autres Etats : la force militaire. Ce faisant, les Etats-Unis sont pris dans une contradiction :

–  d'une part, s'ils renoncent à la mise en oeuvre ou à l'étalage de leur supériorité militaire, cela ne peut qu'encourager les pays qui contestent leur autorité à aller encore plus loin dans cette contestation ;

–  d'autre part, lorsqu'ils font usage de la force brute, même et surtout quand ce moyen aboutit momentanément à faire ravaler les velléités de leurs opposants, cela ne peut que pousser ces derniers à saisir la moindre occasion pour prendre leur revanche et tenter de se dégager de l'emprise américaine. (...)

C'est pour cela que les succès de la contre-offensive actuelle des Etats-Unis ne sau­raient être considérés comme définitifs, comme un dépassement de la crise de leur leadership. La force brute, les manoeuvres visant à déstabiliser leurs concurrents (comme aujourd'hui au Zaïre), avec tout leur cortège de conséquences tragiques n'ont donc pas fini d'être employés par cette puissance, bien au contraire, contribuant à accentuer le chaos sanglant dans lequel s'enfonce le capitalisme. » (point 17)

Si les Etats-Unis n'ont pas eu l'occasion, au cours de la dernière période, d'employer la force de leurs armes et de participer direc­tement à ce « chaos sanglant », cela ne peut être que partie remise, dans la mesure, no­tamment, où ils ne pourront pas rester sur l'échec diplomatique essuyé en Irak.

Pour sa part, l'enfoncement du monde capi­taliste, sur fond des antagonismes entre grandes puissances, dans la barbarie guer­rière et les massacres s'est poursuivi, comme l'a illustré notamment la situation en Algérie et, tout récemment, les affrontements au Kosovo qui viennent rallumer le feu dans cette poudrière que constituent les Balkans. Dans cette partie du monde, les antagonis­mes entre, d'un côté l'Allemagne et de l'au­tre, la Russie, la France et la Grande-Bretagne, traditionnels alliés de la Serbie, ne pouvaient laisser un long répit à la paix de Dayton. Même si la crise du Kosovo ne dégénère pas immédiatement, elle est un indice probant qu'il n'y a pas de paix stable et solide aujourd'hui, en particulier dans cette région qui constitue une des principa­les poudrières du monde de par sa place en Europe.

Lutte de classe

9) « Ce chaos général, avec son cortège de conflits sanglants, de massacres, de fami­nes, et plus généralement, la décomposition qui envahit tout les domaines de la société et qui risque, à terme, de l'anéantir, trouve son aliment principal dans l'impasse totale dans laquelle se trouve l'économie capita­liste. Mais en même temps, cette impasse, avec les attaques permanentes et de plus en plus brutales qu'elle provoque nécessaire­ment contre la classe productrice de l'es­sentiel de la richesse sociale, le prolétariat, porte avec elle la riposte de ce dernier et la perspective de son surgissement révolution­naire. » (point 19)

Provoquée par les premières manifestations de la crise ouverte de l'économie capitaliste, la reprise historique de la classe ouvrière à la fin des années 1960 avait mis fin à quatre décennies de contre-révolution et avait em­pêché le capitalisme d'apporter sa propre réponse à la crise : la guerre impérialiste généralisée. Malgré des moments de recul, les combats ouvriers s'étaient inscrits dans une tendance générale à se détacher de l'emprise des organes d'encadrement de l'Etat capitaliste, notamment les syndicats. Cette tendance a été brutalement stoppée avec les campagnes qui ont accompagné l'ef­fondrement des prétendus « régimes socia­listes » à la fin des années 1980. La classe ouvrière a subi un recul important, tant au niveau de sa combativité que de sa con­science : « dans les principaux pays du capitalisme, la classe ouvrière se retrouve ramenée à une situation comparable à celle des années 1970 en ce qui concerne ses rapports aux syndicats et au syndicalisme : une situation où la classe, globalement, luttait derrière les syndicats, suivait leurs consignes et leurs mots d'ordre et, en fin de compte, s'en remettait à eux. En ce sens, la bourgeoisie a momentanément réussi à effacer des consciences ouvrières les leçons acquises au cours des années 1980, suite aux expériences répétées de confrontation aux syndicats. » (« Résolution sur la situa­tion internationale du 12e Congrès de la section en France », point 12)

Depuis 1992, le prolétariat a repris le che­min des combats de classe mais du fait de l'ampleur du recul qu'il a subi et du poids de la décomposition générale de la société bourgeoise qui entrave sa prise de con­science, le rythme de cette reprise se distin­gue par sa lenteur. Cependant, sa réalité se confirme totalement non pas tant par les luttes ouvrières qui, pour le moment sont encore très faibles, mais par toutes les ma­noeuvres que déploie depuis plusieurs an­nées la bourgeoisie :

« Il s'agit pour la classe dominante, pleine­ment conscience du fait que ses attaques croissantes contre la classe ouvrière vont provoquer de la part de cette dernière des ripostes de grande envergure, de prendre les devants à un moment où la combativité n'est encore qu'embryonnaire, où pèsent encore fortement sur la conscience les séquelles de l'effondrement des prétendus régimes "socialistes", afin de "mouiller la poudre" et de renforcer au maximum son arsenal de mystifications syndicalistes et démocrati­ques. » (point 21)

Cette politique de la bourgeoisie s'est no­tamment illustrée une nouvelle fois, au cours de l'été 1997, avec la grève de UPS aux Etats-Unis qui s'est soldée par une « grande victoire » des... syndicats. Elle s'est confirmée avec les grandes manoeuvres qui, dans plusieurs pays européens, ont entouré et continuent d'entourer la question du chô­mage.

10) Une nouvelle fois, c'est de façon coor­donnée entre différents pays que la classe dominante prend en charge la réponse poli­tique au mécontentement croissant que provoque la montée inexorable du fléau du chômage. D'une part, dans des pays comme la France, la Belgique et l'Italie, on lance de grandes campagnes sur le thème des 35 heures de travail hebdomadaire censés per­mettre la création de centaines de milliers d'emplois. D'autre part, en France et en Allemagne, on voit se développer, sous l'égide des syndicats et de différents « comités » inspirés par les gauchistes, des mouvements de chômeurs, avec occupations de lieux publics et manifestations de rue. En réalité, ces deux politiques sont complémen­taires. La campagne sur les 35 heures, et la mise en place effective de cette mesure comme le gouvernement de gauche l'a déci­dé en France, permet :

–  de « démontrer » qu'on peut « faire quel­que chose » pour créer des emplois ;

–  de mettre en avant une revendication « anti-capitaliste », puisque les patrons se déclarent hostiles à cette mesure ;

–  de justifier toute une série d'attaques con­tre la classe ouvrière qui seront la contre­partie de la réduction des horaires (intensification de la productivité et des rythmes de travail, blocage des salaires, plus grande « flexibilité » notamment avec l'annuarisation du temps de travail).

Pour sa part, la mobilisation des chômeurs par différentes forces de la bourgeoisie vise aussi plusieurs objectifs :

–  à court terme, elle crée une diversion pour les secteurs de la classe ouvrière au tra­vail et surtout, elle tente de les culpabili­ser ;

–  à plus long terme, et surtout, elle a pour objectif de développer des organes de con­trôle des ouvriers au chômage qui, jus­qu'ici, étaient relativement peu encadrés par les organes bourgeois spécialisés.

En fait, par ces manoeuvres amplement médiatisées, notamment à l'échelle interna­tionale, la bourgeoisie fait la preuve qu'elle est consciente :

–  de son incapacité à résoudre la question du chômage (ce qui veut dire qu'elle ne se fait pas beaucoup d'illusions sur la « sortie du tunnel » de la crise) ;

–  que la situation actuelle de faible comba­tivité des ouvriers au travail et de grande passivité des chômeurs ne va pas durer.

Le CCI a mis en évidence que, du fait du poids de la décomposition et des méthodes progressives avec lesquelles le capitalisme a mis des dizaines de millions d'ouvriers au chômage au cours des dernières décennies, les chômeurs n'ont pu s'organiser et partici­per au combat de classe (contrairement à ce qu'il firent dans certains pays au cours des années 1930). Cependant, nous avons mis en avant que, même s'ils ne pouvaient consti­tuer une avant-garde dans les combats ou­vriers, ils seraient conduits à rejoindre dans la rue les autres secteurs de la classe ou­vrière quand ceux-ci se mobiliseraient mas­sivement apportant au mouvement la forte combativité résultant de leur situation misé­rable, leur absence de préjugés corporatistes et d'illusions sur l'avenir de l'économie capi­taliste. En ce sens, la manoeuvre actuelle de la bourgeoisie en direction des chômeurs signifie qu'elle s'attend à des combats de l'ensemble de la classe ouvrière et qu'elle se préoccupe que la participation des ouvriers sans travail à ces combats puisse être sabo­tée par des organes d'encadrement appro­priés.

11) Dans cette manoeuvre, la classe domi­nante fait appel aux syndicats classiques mais aussi à des secteurs plus « à gauche » des appareils politiques bourgeois (anarcho-syndicalistes et trotskistes, « operaistes » et « autonomes ») car face aux chômeurs et à leur immense colère elle a besoin d'un lan­gage plus « radical » que celui que tiennent traditionnellement les syndicats officiels. Ce fait illustre également un point figurant déjà dans la résolution adoptée par le 12e congrès du CCI : nous nous trouvons aujourd'hui dans un « moment charnière » entre deux étapes du processus de reprise de la lutte de la classe ouvrière, un moment où l'action du syndicalisme classique qui a tenu le haut du pavé au cours des années 1994-96 – et bien qu'il soit loin encore d'être discrédité – doit commencer à être complétée de façon pré­ventive par celle du syndicalisme « radical », de « combat » ou « de base ».

12) Enfin, la poursuite par la bourgeoisie des campagnes idéologiques :

–  sur le communisme, frauduleusement identifié au stalinisme (notamment le bat­tage autour du Livre noir du communisme, traduit en plusieurs langues) et contre la Gauche communiste avec le battage anti-« négationniste » ;

–  de défense de la démocratie comme uni­que « alternative » face aux manifestations de la décomposition et de la barbarie capi­talistes ;

fait la preuve que la classe dominante, con­sciente des potentialités que recèle la situa­tion actuelle et à venir, se préoccupe dès aujourd'hui de saboter les perspectives à long terme des combats prolétariens, le chemin vers la révolution communiste.

Face à cette situation, il appartient donc aux révolutionnaires :

–  de mettre en avant la véritable perspective communiste contre toutes les falsifications abondamment diffusées par les défenseurs de l'ordre bourgeois ;

–  de montrer le cynisme des manoeuvres de la bourgeoisie quie appellent le prolétariat à défendre la démocratie contre le danger « fasciste », « terroriste », etc. ;

–  de dénoncer toutes les manoeuvres dé­ployées dans le but de crédibiliser et ren­forcer les appareils de nature syndicale destinés à saboter les futures luttes ou­vrières ;

–  d'intervenir envers les petites minorités dans la classe qui expriment un question­nement en lien avec l'impasse historique du capitalisme et la perspective proléta­rienne ;

–  de renforcer l'intervention dans le déve­loppement inéluctable de la lutte de classe.



[1] [34]. Il a existé au début de cette période une tendance au boycott des organismes internationaux de concertation et de régulation économiques, mais très rapidement la bourgeoisie a su tirer les leçons du danger du « chacun pour soi ».

 

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [35]

Questions théoriques: 

  • Décadence [19]

Chine : maillon de l'impérialisme mondial (III)

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LE MAOISME, UN REJETON MONSTRUEUX DU CAPITALISME DECADENT

Après avoir ébauché l'histoire de la révolu­tion prolétarienne en Chine (1919-1927) et l'avoir clairement distinguée de la période de contre-révolution et de guerre impérialiste qui lui succéda (1927-1949) [1] [36], après avoir mis en évidence que la soi-disant « révolution populaire chinoise » construite sur la défaite de la classe ouvrière ne fut jamais qu'une mystification de la bourgeoi­sie pour embrigader les masses paysannes chinoises dans la guerre impérialiste, il nous reste à présent à mettre en évidence les aspects centraux de cette mystification : Mao Zedong lui-même en tant que « leader révo­lutionnaire » et le maoïsme en tant que théorie révolutionnaire qui, de plus, prétend être un « développement » du marxisme. Dans cet article, nous nous proposons de montrer ce que le maoïsme n'a jamais cessé d'être, c'est-à-dire un courant idéologique et politique bourgeois issu des entrailles du capitalisme décadent.

Contre-révolution et guerre impérialiste : les accoucheuses du maoïsme

Le courant politique de Mao Zedong au sein du Parti communiste de Chine (PCCh) n'ap­paraît que dans les années 1930, en pleine période de contre-révolution et alors que le PCCh a été d'abord défait, physiquement décimé puis devenu un organe du capital. Mao constitua une des nombreuses coteries qui pullulèrent alors pour se disputer le con­trôle du parti et qui ne faisaient que révéler sa dégénérescence. C'est dire déjà que, dès ses origines, le maoïsme n'a rien à voir avec la révolution prolétarienne, si ce n'est qu'il a germé au coeur même de la contre-révolu­tion qui écrasa celle-ci.

Par ailleurs, Mao Zedong ne prit le contrôle du PCCh qu'en 1945, date à partir de la­quelle le « maoïsme » devint sa « doctrine » officielle, après avoir liquidé une autre co­terie jusqu'alors dominante, celle de Wang Ming et alors que le PCCh participait plei­nement aux sinistres jeux de la guerre mondiale impérialiste. Dans ce sens, l'as­cension de la bande de Mao Zedong est le produit direct de sa complicité avec les grands brigands impérialistes.

Tout ceci semblera très surprenant à quel­qu'un qui ne connaîtrait l'histoire de la Chine au 20e siècle qu'à travers les « oeuvres » de Mao ou qui n'aurait lu que les manuels d'his­toire bourgeois. Il faut dire que Mao Zedong a poussé à un tel niveau l'art de falsifier l'histoire de la Chine et du PCCh (il a béné­ficié de l'expérience du stalinisme et des bandes qui l'avaient précédé au pouvoir dès 1928) que le simple fait aujourd'hui d'expo­ser les événements tels qu'ils se sont dérou­lés semble être de l'affabulation.

Cette immense falsification se fonde sur le caractère bourgeois et profondément réac­tionnaire de l'idéologie de Mao Zedong. En réécrivant l'histoire afin d'apparaître aux yeux du monde comme le leader infaillible et éternel du PCCh, Mao Zedong était bien sûr motivé par l'ambition de renforcer son propre pouvoir politique ; mais les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie s'y retrou­vaient également dans la mesure où il était indispensable, à long terme, d'effacer pour toujours, si possible, les leçons historiques que le prolétariat avait pu tirer de son expé­rience au cours des années 1920, et parce qu'à court terme, il fallait à tout prix pousser les masses ouvrières et paysannes à partici­per à la boucherie impérialiste. Ces deux objectifs ont été parfaitement remplis par le maoïsme.

La participation de Mao Zedong à la liquidation du parti prolétarien

Le tissu de mensonges qui habille la légende de Mao Zedong commence déjà par le voile pudique jeté sur ses obscures origines poli­tiques. Les historiens maoïstes ont beau répéter à satiété que Mao fut un des « fondateurs » du PCCh, ils n'en sont cepen­dant pas moins extrêmement discrets sur son activité politique tout au long de la période ascendante des luttes de la classe ouvrière. Ils devraient avouer que Mao faisait partie de l'aile opportuniste du PCCh, celle qui suivait aveuglément toutes les orientations du Comité exécutif de l'Internationale com­muniste en pleine dégénérescence. Plus précisément, ils devraient aussi avouer que Mao faisait partie du groupe du PCCh qui entra au Comité exécutif du Guomindang, le Parti national populaire de la grande bour­geoisie chinoise, en 1924, sous le prétexte pour le moins fallacieux que celui-ci n'aurait pas été un parti bourgeois mais un « front de classe ».

En mars 1927, à la veille de l'écrasement sanglant de l'insurrection de Shangaï par les troupes du Guomindang, alors que l'aile ré­volutionnaire du PCCh exigeait désespéré­ment la rupture de l'alliance avec ce dernier, Mao Zedong chantait à l'unisson avec le choeur des opportunistes les louanges du boucher Tchang kaï-chek et se revendiquait des actions du Guomindang [2] [37].

Peu après, Qu Qiubai, un des compagnons au Guomindang de Mao Zedong, fut nommé dirigeant du PCCh sous la pression des sbi­res de Staline récemment dépêchés en Chine. Sa mission essentielle était de faire porter toute la responsabilité de l'écrasement de l'insurrection prolétarienne sur le dos de Chen Duxiu - qui allait sympathiser avec l'Opposition de gauche de Trotsky et sym­bolisait un des courants qui luttaient contre les décisions opportunistes de l'IC [3] [38] en l'accusant d'avoir sombré dans l'opportu­nisme et sous-estimé le mouvement paysan ! Le corollaire de cette politique fut la série d'aventures désastreuses, à laquelle Mao Zedong participa activement tout au long de la seconde moitié de l'année 1927, qui ne fit qu'accélérer la dispersion et l'anéantissement du PCCh.

Si l'on en croit l'histoire revue et corrigée par Mao en 1945, il aurait critiqué la « dérive opportuniste de gauche » défendue par Qu Qiubai. La vérité est que Mao Zedong fut un des fidèles partisans de cette politique, comme le révèle son Rapport sur Hunan dans lequel il prédit sans sourciller « le soulèvement impétueux de centaines de mil­lions de paysans ». Cette prédiction se con­crétisa par la « Révolte de la récolte d'au­tomne », un des fiascos les plus significatifs de la politique « insurrectionniste » de Qu Qiubai. La classe ouvrière avait été écrasée et, avec elle, avait disparu toute possibilité de révolution victorieuse ; dans ces condi­tions, toute tentative de soulever la paysan­nerie ne pouvait être que criminelle et n'aboutir qu'à de nouveaux massacres. C'est ainsi que le fameux « soulèvement impé­tueux de centaines de millions de paysans » à Hunan se réduisit en fait à la grotesque et sanglante aventure de quelques cinq mille paysans et lumpens dirigés par Mao, qui s'acheva par la débandade des survivants vers les montagnes et la mise à l'écart de leur chef du Bureau politique du Parti.

Voila comment, pendant la période de révo­lution prolétarienne, Mao Zedong participa à la politique de l'aile opportuniste du PCCh, contribuant activement à la défaite de la classe ouvrière et à l'anéantissement du Parti communiste en tant qu'organisation du prolé­tariat.

La conversion du PCCh en parti bourgeois et la création de la bande de Mao

Nous avons examiné dans les articles précé­dents comment le Parti communiste de Chine fut exterminé physiquement et politi­quement par l'action conjuguée de la réac­tion chinoise et du stalinisme. A partir de 1928, les ouvriers cessèrent de militer en masse en son sein. Alors commença à se constituer la fameuse Armée rouge avec l'embrigadement croissant de la paysannerie et du lumpen-prolétariat, quand le parti n'avait plus de communiste que le nom. Dans le PCCh commencèrent alors à émer­ger les éléments qui, dès le début, avaient été les plus éloignés de la classe ouvrière et bien sûr les plus proches du Guomindang. Le parti grossissait de l'adhésion de toutes sortes de déchets réactionnaires qui allaient des staliniens endoctrinés en URSS jusqu'à des généraux du Guomindang, en passant par des seigneurs de la guerre en recherche de territoire, des intellectuels patriotes et même des féodaux « éclairés » et des grands bourgeois. Au sein de ce nouveau PCCh, cette pléthore de canailles se livra une guerre à mort pour prendre le contrôle du parti et de l'Armée rouge.

Comme pour tous les partis de l'Internationale communiste, la contre-révo­lution se manifesta par la dégénérescence du PCCh et sa conversion en instrument du capital. Elle fit en outre de ces partis une terrible source de mystification pour l'en­semble de la classe ouvrière et de dévoie­ment de questions fondamentales comme celle de l'organisation révolutionnaire, de sa fonction et de son fonctionnement interne. Les idéologues officiels de la bourgeoisie n'ont fait que répercuter et amplifier ce tra­vail de mystification. C'est ainsi que les his­toriens officiels présentent le PCCh de 1928 à nos jours comme un modèle de parti com­muniste : pour les défenseurs de la démo­cratie occidentale, les guerres de cliques au sein du PCCh sont la preuve du comporte­ment pour le moins douteux des communis­tes et de la non validité du marxisme ; pour les défenseurs inconditionnels du maoïsme ces mêmes guerres de cliques correspondent à des luttes pour la défense de « la ligne politiquement correcte du génial président Mao ». Ces deux catégories d'idéologues, apparemment opposés, se partagent en fait le travail pour pousser dans le même sens, à savoir l'identification fallacieuse des organi­sations révolutionnaires du prolétariat avec leur contraire absolu : les organisations bourgeoises enfantées par la décadence du capitalisme et la contre-révolution bour­geoise. Ce qui reste certain, c'est que Mao Zedong ne pouvait développer toutes ses « potentialités » que dans le cadre putréfié d'un PCCh devenu bourgeois. Déjà lors de sa retraite « mythique » dans les montagnes de Xikang _- fuite désastreuse s'il en fut -, Mao s'était essayé aux pratiques de gang­sters qui allaient lui servir pour contrôler le parti et l'armée. Il commença par pactiser avec les chefs de bandes qui contrôlaient la région pour les éliminer ensuite et s'assurer le contrôle complet de celle-ci. C'est à cette époque que naquit la bande de Mao, par son alliance avec celui qui sera son inséparable compagnon, Zhu De, un général ennemi de Tchang kaï-chek. Mao savait ramper devant des rivaux mieux placés, du moins tant qu'il n'avait pu les supplanter dans la hiérarchie du parti. Lorsque Qu Qiubai fut remplacé par Li Lisan, Mao prit parti pour la « ligne politique » de ce dernier qui, en fait, n'était rien d'autre que la poursuite de la politique « putschiste » de son prédécesseur. L'histoire réécrite par Mao nous enseigne qu'il s'op­posa à son tour rapidement à Li Lisan. En réalité, il participa pleinement à une des tentatives désastreuses impulsées par l'IC de la « troisième période », par Boukharine (Lettre de l'IC d'octobre 1929) et par Li Lisan dès 1930, de faire « prendre les vil­les » par les guérilleros paysans.

A partir de 1930, Mao Zedong changea à nouveau son fusil d'épaule quand la coterie menée par Wang Ming - qui s'appelait « les étudiants de retour » (de retour de Russie) ou les « 28 bolcheviks » et qui, pendant deux ans, avaient été formés à Moscou - commença un nettoyage dans le Parti pour en prendre les rênes et destitua Li Lisan. A cette époque eut lieu le très obscur « incident de Fujian » : Mao Zedong réalisa une expédition punitive de grande envergure contre les membres du PCCh qui contrô­laient la région de Fujian qui étaient accu­sés, selon les versions, tantôt d'être des la­quais de Li Lisan, tantôt de faire partie d'une Ligue antibolchevique ou encore d'être membres du Parti socialiste. Les faits ne furent à peu près dévoilés que des années après la mort de Mao. En 1982, une revue chinoise faisait état du fait que « les purges dans le Fujian occidental, qui durèrent qua­torze mois et se concrétisèrent par des massacres dans toute la zone soviétique, commencèrent en décembre 1930 avec les incidents de Fujian. Un grand nombre de dirigeants et de militants du Parti furent accusés d'être membres du Parti socialiste et exécutés. On estime à quatre ou cinq mille le nombre des victimes. De fait, il n'y avait pas trace d'un quelconque Parti so­cial-démocrate dans cette région... » [4] [39]

C'est au prix de cette purge que Mao Zedong parvint à revenir en partie dans les bonnes grâces de la bande des « étudiants de re­tour » car, bien qu'il ait lui-même été accusé d'avoir suivi la ligne de Li Lisan et d'avoir commis des excès à Fujian, il ne fut ni li­quidé ni déporté comme bien d'autres. Et s'il fût déposé de son commandement militaire, il n'en devint pas moins en compensation « Président des soviets » au cours de ce qui fut pompeusement nommé le Premier con­grès des soviets en Chine à la fin de 1931 ; c'était un rôle « administratif », à la botte de la bande de Wang Ming.

A partir de là, Mao va chercher à la fois à renforcer sa propre bande et à tenter de diviser la clique dominante des « étudiants de retour ». Mais il resta dans un premier temps à la botte de celle-ci comme le dé­montre le fait qu'en 1933 l'alliance qu'il pro­posa avec le « Gouvernement de Fujian » (composé de généraux qui s'étaient rebellés contre Tchang kaï-chek) fut rejetée par Wang Ming, qui ne voulait pas porter pré­judice aux traités existants entre l'URSS et Tchang kaï-chek. Mao dut se rétracter pu­bliquement et accuser ce « gouvernement » de « tromper le peuple » [5] [40]. Cela démontre aussi le fait que, bien qu'il fut nommé Président en 1934, c'était en réalité Chang Wen-tian, membre de la bande des « étudiants de retour » et premier ministre des « soviets », qui était le véritable homme fort du parti.

Dans la Longue marche avec la bande stalinienne

La légende de la « Révolution populaire chi­noise » a toujours présenté la Longue mar­che comme la plus grande épopée « anti-im­périaliste » et « révolutionnaire » de l'his­toire. Nous avons déjà souligné que le véri­table objectif de celle-ci était de transformer les guérillas paysannes, éparpillées dans une dizaine de régions du pays et plutôt orien­tées vers la lutte contre les grands proprié­taires, en armée régulière et centralisée capable de livrer une guerre de positions; et cela dans le but d'en faire un instrument de la politique impérialiste chinoise. La lé­gende nous raconte aussi que la Longue marche fut inspirée et dirigée par le Président Mao. Ce n'est pas tout à fait exact. Tout d'abord, Mao Zedong était malade et isolé politiquement par la bande de Wang durant toute la période de préparation et de mise en place de la Longue marche, dans l'incapacité « d'inspirer » quoi que ce soit. Ensuite, elle ne put être « dirigée » par qui­conque, pas même Mao, tout simplement parce qu'il n'existait pas alors d'état-major centralisé de l'« Armée rouge » (sa constitu­tion était d'ailleurs le but poursuivi par cette campagne), qu'elle n'était alors constituée que d'une dizaine de régiments isolés les uns des autres, sous des commandements plus ou moins indépendants. A cette époque, le seul élément de cohésion du PCCh et de l'« Armée rouge » était donné par la politi­que impérialiste de l'URSS, représentée par les « étudiants de retour ». Ceux-ci n'avaient de force que celle que leur procurait l'appui politique, diplomatique et militaire du ré­gime de Staline. Et la légende nous « apprend » enfin que ce fut pendant la Longue marche que la « ligne correcte » de Mao Zedong l'emporta sur les « lignes incor­rectes » de Wang Ming et de Zhang Kouo-t'ao. La vérité est qu'à ce moment-là la con­centration de forces militaires aiguisa les rivalités au sommet pour la conquête du commandement central de l'« Armée rouge ». Mais il faut dire aussi, dans le res­pect de cette vérité, que, si Mao monta de quelques échelons au cours de ces luttes sordides, il le fit à l'ombre de la bande de Wang. Il faut d'ailleurs signaler deux anec­dotes à ce sujet.

La première concerne la réunion de Zunyi en janvier 1935. Les maoïstes n'hésitent pas à la qualifier d'« historique » parce qu'il paraî­trait que Mao y prit le commandement de l'« Armée rouge ». Cette réunion ne fut en réalité qu'une conspiration (montée par les diverses bandes du détachement dans lequel voyageait Mao) au cours de laquelle Chang Wentian (un des « étudiants de retour ») fut nommé secrétaire du parti tandis que Mao reprenait les fonctions qu'il occupait avant sa destitution du Comité militaire. Ces nomi­nations furent remises en cause peu après par une partie importante du parti, car la réunion de Zunyi n'avait pas valeur de Congrès ; elles seront une des causes de la scission du PCCh.

La seconde anecdote concerne les événe­ments de la région du Sichuan, quelques mois plus tard. Plusieurs régiments de l'« Armée rouge » s'y étaient concentrés. C'est alors que Mao, soutenu par la bande des « étudiants de retour », tenta de prendre le commandement de l'ensemble de ces forces. Zhang Kuo-tao, vieux membre du PCCh – qui avait été au commandement d'une « base rouge » et qui dirigeait alors un régiment plus puissant que celui de Mao et Chang Wentian – s'opposa à cette nomina­tion. Cela provoqua une querelle très vio­lente qui s'acheva par une scission dans le parti et dans l'armée, qui se retrouvèrent dirigés par deux Comités centraux. Zhang garda sa position dans la région du Sichuan avec la majeure partie des forces qui y étaient concentrées. Et même des compa­gnons de Mao comme Liu Bocheng et le fidèle Zhu De (qui le suivait pourtant comme son ombre depuis la débandade du Xikang après 1927) passèrent du côté de Zhang Kouo-t'ao. Mao Zedong et Chang Wentian, à la tête de ce qui restait de leur propre régiment, quittèrent précipitamment la région et se réfugièrent dans la « base rouge » de Yan'an qui était le point de con­centration définitif des régiments de l'« Armée rouge ».

Les forces demeurées au Sichuan restèrent isolées et furent peu à peu décimées, ce qui obligea les rescapés à rejoindre à leur tour Yan'an. Le destin de Zhang Kouo-t'ao était alors scellé : il fut immédiatement destitué de ses fonctions et il passa au Guomindang en 1938. C'est de ces événements qu'est née la légende maoïste du « combat contre le traître Zhang Kouo-t'ao ». A dire vrai, Zhang Kouo-t'ao n'avait pas le choix : s'il voulait sauver sa peau et échapper aux purges lan­cées par Mao à Shaanxi, il devait trouver l'appui de l'autre parti de la bourgeoisie. Mais il n'y avait pas la moindre différence de classe entre Mao et Zhang Kouo-t'ao, comme il n'y en avait aucune entre le PCCh et le Guomindang.

Il faut aussi signaler que c'est précisément au cours de cette période de concentration militaire à Sichuan que fut publié, faisant écho à la politique impérialiste de l'URSS proclamée par le 7e Congrès de l'internatio­nale stalinienne en 1935, l'appel au front unique national contre le Japon, c'est-à-dire l'appel aux exploités pour qu'ils se mettent au service des intérêts de leurs exploiteurs. Le PCCh ne fait pas que réaffirmer sa nature bourgeoise par cet acte, il se signale parti­culièrement comme le principal fournisseur de chair à canon pour la guerre impérialiste.

Le contrôle de Yan'an et l'alliance avec le Guomindang

C'est à Yan'an, entre 1936 et 1945, pendant la guerre contre le Japon, que Mao Zedong s'attaqua au contrôle du PCCh et de l'« Armée rouge », en déployant toute une panoplie de ruses, de manoeuvres et en organisant des purges. On peut distinguer trois phases dans cette guerre clanique de Yan'an qui marque l'ascension de Mao : celle de l'élimination du groupe fondateur de la base de Yan'an, celle de la consolidation de la bande de Mao et celle des premiers affrontements ouverts contre la bande de Wang Ming qui se conclut par l'élimination de cette dernière.

Le maoïsme glorifie l'expansion de l'« Armée rouge » dans la région de Shaanxi en tant que produit de la lutte révolution­naire des paysans. Nous avons déjà montré comment cette expansion se basait tant sur les méthodes d'embrigadement des paysans adoptées par le PCCh (alliance interclas­siste, dans laquelle les paysans obtenaient une réduction d'impôt – assez modeste pour qu'elle soit acceptée par les grands proprié­taires – en échange de leur mobilisation dans la boucherie impérialiste), que sur l'al­liance avec les seigneurs de la guerre régio­naux et le Guomindang lui-même. Les évé­nements de 1936 sont assez révélateurs de cet aspect et ils montrent aussi comment fut liquidée l'ancienne direction de Yan'an.

Lorsque le régiment de Mao Zedong et de Chang Wentian parvint à Yan'an en octobre 1935, la région était déjà en proie aux luttes de factions : Liu Shidan, fondateur et diri­geant de la base depuis le début des années 1930, avait été victime des purges, torturé et emprisonné. Il reçut immédiatement l'appui et le soutien du régiment nouvellement arri­vé et fut libéré, en échange bien sûr de sa subordination à Mao et à Chang Wentian.

Les troupes de Liu Shidan reçurent l'ordre au début de 1936 de lancer une expédition vers l'Est, vers Shansi, pour affronter un sei­gneur de la guerre (Yan Jishan) et les trou­pes du Guomindang qui lui prêtaient main-forte. L'expédition fut défaite et Liu Shidan y perdit la vie. Une autre expédition fut dé­cidée vers l'Ouest qui connût le même sort. Ce sont ces événements, et en particulier la mort de Liu Shidan, qui permirent à Mao et à Chang Wentian de prendre le contrôle de la base de Shidan. Ce n'est pas sans rappeler la méthode qu'avait utilisé Mao pour prendre le contrôle des montagnes du Jinggang quel­ques années auparavant : il s'était tout d'abord allié avec les chefs de cette zone, mais leur prétendue « disparition malheu­reuse » permit à Mao de garder seul le commandement.

Tandis que les expéditions vers l'Est et vers l'Ouest étaient défaites, Mao établissait une alliance avec un autre seigneur de la guerre. La région de Sian, au Sud de Yan'an, était contrôlée par le soudard Yang Hucheng qui avait donné asile au gouverneur de Mandchourie Zhang Xueliang et à ses régi­ments après leur défaite contre le Japon. Mao entra en contact avec Yang Hucheng dès décembre 1935 et ils établirent quelques mois plus tard un pacte de non-agression. C'est sur la base de ce pacte qu'eut lieu « l'incident de Sian » que nous avons com­menté dans la Revue internationale n° 84 : Tchang kaï-chek fut fait prisonnier par Yang Hucheng et Zhang Xueliang, qui voulaient le faire passer devant un tribunal pour sa collaboration avec les japonais. Mais sous la pression de Staline, sa capture ne servit qu'à négocier une nouvelle alliance entre le PCCh et le Guomindang.

Les maoïstes ont bien sûr tenté de faire pas­ser les alliances du PCCh avec les « chefs de guerre » et avec le bourreau de Shangaï – alliances auxquelles participa directement Mao – pour une habile manoeuvre destinée à profiter des divisions existant dans les classes dominantes. Il est vrai que la bour­geoisie traditionnelle, les grands propriétai­res et les militaires étaient divisés, mais non parce qu'ils auraient eu des intérêts de classe différents, ni même parce que certains au­raient été progressistes et d'autres réaction­naires ou, comme le disait Mao, parce que certains étaient « sensés » et pas les autres. Leur division était basée sur la défense d'in­térêts particuliers, les uns voyant d'un bon oeil l'unité de la Chine sous le contrôle du Japon parce que celui-ci leur permettait de garder ou d'obtenir un pouvoir régional, alors que les autres, qui avaient été dépla­cés, comme le seigneur de Mandchourie, cherchaient des appuis auprès des puissan­ces ennemies du Japon.

Dans ce sens, l'alliance entre le PCCh et le Guomindang revêtait clairement un carac­tère bourgeois, impérialiste, allant jusqu'à se concrétiser par un pacte d'aide militaire de l'URSS à l'armée de Tchang kaï-chek – incluant la fourniture de centaines d'avions chasseurs et bombardiers et d'un convoi de deux cent camions – qui fut la principale source d'approvisionnement du Guomindang jusqu'en 1941. Parallèlement était établie une zone propre pour le PCCh, la mythique Shaanxi-Gansu-Ningxia, qui trouva son pendant dans l'intégration des principaux régiments de l'« Armée rouge » (le Huitième et le Quatrième régiments) dans la propre armée de Tchang kaï-chek et dans la partici­pation d'une commission du PCCh dans le gouvernement du Guomindang.

Au niveau de la vie interne du PCCh, il faut signaler que les membres de la commission aux négociations et ensuite au gouvernement de Tchang représentaient tant les « étudiants de retour » (Po Ku et Wang Ming lui-même) que la bande à Mao (Zhou Enlai), ce qui confirme que Mao n'avait pas encore le contrôle du parti et de l'armée et qu'il se maintenait encore du côté des sbires décla­rés de Staline, du moins en apparence.

La défaite de Wang Ming et le flirt avec les Etats-Unis

L'antagonisme entre Mao et les « étudiants de retour » se manifesta pour la première fois en octobre 1938, pendant le plénum du Comité central du PCCh. Mao profita du fiasco de la défense de Wuhan (siège du gouvernement du Guomindang attaqué par les japonais), dont Wang Ming avait la res­ponsabilité, pour remettre en question l'au­torité de celui-ci sur le Parti. Il dut cepen­dant accepter la nomination de Chang Wentian comme Secrétaire général et atten­dre deux ans encore pour lancer son attaque définitive contre Wang Ming quand la guerre impérialiste permit de retourner la situation contre la bandes des « étudiants de retour ».

L'armée allemande envahit en effet l'URSS en 1941; et pour éviter d'ouvrir un nouveau front de guerre sur ses arrières, Staline opta pour la signature d'un pacte de non agression avec le Japon. La conséquence immédiate en fut la fin de l'aide militaire de l'URSS au Guomindang mais aussi, de ce fait, la para­lysie de la fraction stalinienne de Wang Ming dans le PCCh et sa chute, celle-ci étant mise en demeure de « collaborer avec l'ennemi » japonais. Décembre fut marqué par l'attaque contre Pearl-Harbour et l'entrée en guerre des Etats-Unis contre le Japon pour le contrôle du Pacifique. Ces événe­ments provoquèrent un grand mouvement du Guomindang et du PCCh vers les Etats-Unis, en particulier de la part de la bande de Mao.

Mao se jeta alors avec force contre la bande des « étudiants de retour » et leurs acolytes. Tel est le sens de la fameuse « campagne de rectification », campagne punitive qui dura de 1942 à 1945. Mao commença donc par s'en prendre aux dirigeants du parti, en par­ticulier aux « étudiants de retour », en les traitant de « dogmatiques incapables d'ap­pliquer le marxisme en Chine ». Profitant des rivalités existantes au sein de la bande de Wang, Mao parvint à retourner certains de ses membres, comme Liu Chaichi à qui il donna le poste de Secrétaire général du parti ou Kang Cheng qui devint l'inquisiteur char­gé des « sales besognes », rôle qui avait auparavant été celui de Mao en 1930 à Fujian.

Toute la presse de la bande de Wang fut suspendue et seule la presse sous le contrôle de Mao fut dès lors autorisée. La bande de Mao prenait ainsi le contrôle des écoles du parti et des lectures des militants. La « purge » se renforça, donnant lieu à des arrestations et des persécutions qui s'étendi­rent à partir de Yan'an à tout le parti et à l'armée. Les « convaincus » (comme Chou Enlai) restèrent subordonnés à Mao. Les « récalcitrants » étaient, quant à eux, expé­diés dans les zones de combat où ils tom­baient inévitablement entre les mains des japonais quand ils n'étaient pas purement et simplement éliminés.

La « purge » atteint son apogée en 1943, coïncidant avec la dissolution officielle de la Troisième internationale et la médiation des Etats-Unis entre le Guomindang et le PCCh. Le nombre de personnes liquidées pendant la purge aurait atteint le nombre de cin­quante à soixante mille. Les plus éminents membres des « étudiants de retour » étaient éliminés : Chang Wentian fut expulsé de Yan'an, Wang Ming survécut de justesse à un empoisonnement, Po Ku mourut mysté­rieusement en 1946 dans un « accident d'avion »...

La « campagne de rectification » correspond, dans le cadre de la guerre impérialiste, au virage qu'a fait le PCCh vers les Etats-Unis. Nous avons déjà abordé cet aspect dans la Revue internationale n° 84. Il faut juste préciser que c'est précisément Mao et sa bande qui impulsèrent ce virage, comme on peut le constater dans la correspondance de la mission officielle américaine à Yan'an à cette époque [6] [41]. Et ce n'est pas un hasard si le combat contre la bande stalinienne cor­respond au rapprochement avec les Etats-Unis. Cela n'a évidemment pas fait de Mao un traître au « camp communiste » comme le prétendront plus tard Wang Ming et la cli­que gouvernant en Russie. Cela montre uni­quement la nature bourgeoise de sa politi­que. Pour Tchang kaï-chek, comme pour toute la bourgeoisie chinoise Mao inclus, les chances de survie dépendaient de leur capa­cité à calculer froidement quelle puissance impérialiste il valait mieux servir, l'URSS ou les Etats-Unis.

Ce n'est pas non plus un hasard si le ton de la « rectification » est devenu plus modéré quand les probabilités de victoire de l'URSS en Allemagne se sont confirmées. La purge s'acheva « officiellement » en avril 1945, deux mois après la signature du Traité de Yalta dans lequel, entre autres, les puissan­ces impérialistes « alliées » décidèrent que la Russie devait déclarer la guerre au Japon, précisément quand elle se disposait à enva­hir le Nord de la Chine. Voilà pourquoi le PCCh dut se tenir sous les ordres de l'URSS. Le retour temporaire de Mao dans le sérail de Staline ne se fit pas de son plein gré mais du fait de la nouvelle répartition impérialiste du monde entre les grandes puissances.

Le résultat final de la « rectification » n'en fut pas moins la prise de contrôle du PCCh et de l'armée par Mao et sa bande. Il créa pour lui-même le titre du Président du parti et proclama que le maoïsme, « la pensée de Mao Zedong », était « le marxisme appliqué en Chine ». Dès lors, les maoïstes recourront à la légende pour expliquer que Mao était parvenu au commandement suprême grâce à son génie théorique et stratégique, grâce à son combat contre les « lignes incorrectes ». C'est un pur mensonge ! A les en croire, Mao aurait été le fondateur de l'« Armée rouge », il aurait mis au point la réforme agraire, dirigé triomphalement la Longue Marche, mis en place les bases rouges etc. Voilà comment l'arriviste sournois et rusé Mao Zedong se fit passer pour un messie.

Le maoïsme : une arme idéologique du capital

Le maoïsme s'imposa donc comme « théorie », pendant la guerre impérialiste mondiale, dans un parti qui appartenait déjà à la bourgeoisie bien qu'il continuât à se dire communiste. Le maoïsme cherchait, à ses débuts, à justifier et à consolider la main mise de Mao Zedong et de sa bande sur tous les rouages du parti. Il devait aussi justifier la participation du parti à la guerre impéria­liste, aux côtés du Guomindang, de la no­blesse, des « chefs de guerre », de la grande bourgeoisie et enfin de l'ensemble des puis­sances impérialistes. Il fallait pour cela oc­culter les véritables origines du PCCh, de sorte que le maoïsme ne put se contenter de donner une « interprétation » particulière de la guerre clanique au sein du parti, il dut en outre déformer complètement l'histoire de celui-ci ainsi que celle de la lutte de classe. La défaite de la révolution prolétarienne et la dégénérescence du parti communiste de Chine furent soigneusement effacées; et la nouvelle identité du PCCh en tant qu'ins­trument du capital trouva sa justification « théorique » dans le maoïsme.

Sur cette base de falsification, le maoïsme montra ses capacités à être un instrument de plus de la propagande idéologique de la bourgeoisie utilisé pour mobiliser les tra­vailleurs, et principalement les masses pay­sannes, sous les drapeaux patriotiques de la boucherie impérialiste. Enfin, quand le PCCh pris définitivement le pouvoir, le maoïsme devint la « théorie » officielle de « l'Etat populaire » chinois, c'est-à-dire de la forme de capitalisme d'Etat qui s'instaura en Chine.

Pour le reste, bien qu'elle fasse vaguement référence à un langage pseudo marxiste, la « pensée de Mao Zedong » ne peut cacher que ses sources se trouvent dans le camp de la bourgeoisie. Lorsqu'il participait à la coa­lition entre le Guomindang et le PCCh, Mao considérait déjà que la lutte de la paysanne­rie devait se plier aux intérêts de la bour­geoisie nationale, représentée par Sun Yat-sen : « Défaire les forces féodales est le véritable objectif de la révolution nationale (...) Les paysans ont compris ce que voulait mais ne put réaliser le Dr Sun Yat-sen du­rant les quarante années qu'il consacra à la révolution nationale » [7] [42]. Les références aux principes de Sun Yat-sen resteront d'ailleurs au centre de la propagande maoïste pour embrigader les paysans dans la guerre impérialiste : « En ce qui concerne le Parti communiste, toute la politique qu'il a suivie ces dix dernières années correspondent fondamentalement à l'esprit révolutionnaire des Trois principes du peuple et des Trois grandes politiques du Dr Sun Yat-sen » [8] [43]. « Notre propagande doit se faire en con­formité avec ce programme : réaliser le Testament du Dr Sun Yat-sen en réveillant les masses à la résistance contre le Japon » [9] [44].

Dans le premier article de cette série, nous avons déjà mis au clair qu'au cours des « quarante années qu'il consacra à la révolu­tion nationale », Sun Yat-sen n'eut de cesse de trouver des alliances avec les grandes puissances impérialistes, y compris le Japon, que son « nationalisme révolutionnaire » n'était qu'une vaste mystification derrière la­quelle se cachaient les intérêts impérialistes de la bourgeoisie chinoise, et ceci dès la « révolution » de 1911. Le maoïsme se borna à s'approprier cette mystification, c'est-à-dire à se mettre au diapason des vieilles campa­gnes idéologiques de la bourgeoisie chi­noise.

Par ailleurs, la « pensée géniale de Mao Zedong » n'est, en grande partie, qu'un vul­gaire plagiat des grossiers manuels stali­niens officiels de cette époque. Mao adule Staline dont il fait un « grand continuateur du marxisme », ne serait-ce que pour re­prendre à son compte la falsification éhontée du marxisme menée à terme par Staline et ses sbires. La soi-disant application du marxisme aux conditions de la Chine faite par le maoïsme n'est rien de plus que l'appli­cation des thèmes idéologiques de la contre-révolution stalinienne.

Une complète falsification du marxisme

Nous allons passer en revue quelques-uns des aspects essentiels de la prétendue appli­cation du marxisme revue et corrigée par « la pensée Mao Zedong ».

Sur la révolution prolétarienne

Etudier l'histoire de la Chine en se basant sur l'oeuvre de Mao Zedong ne permettra jamais à quiconque de savoir que la vague révolutionnaire prolétarienne mondiale dé­clenchée en 1917 eut des répercussions dans ce pays. Le maoïsme (et donc l'histoire offi­cielle qu'elle soit ou non maoïste) a enterré corps et biens l'histoire de la révolution prolétarienne en Chine.

Quand Mao mentionne le mouvement ou­vrier, ce n'est jamais que pour l'inclure dans la prétendue « révolution bourgeoise » : « La révolution de 1924-27 se fit grâce à la col­laboration des deux partis – le PCCh et le Guomindang – se basant sur un programme défini. En deux ou trois ans à peine, la révo­lution nationale connût d'immenses succès (...) Ces succès se basèrent sur la création de la base de soutien révolutionnaire de Kouang-Tong et la victoire de l'Expédition du Nord » [10] [45]. Tout ce qui est affirmé là est pur mensonge : la période allant de 1924 à 1927 ne se caractérise pas par la « révolution nationale » comme nous l'avons vu, mais par la montée de la vague révolu­tionnaire de la classe ouvrière dans toutes les grandes villes chinoises jusqu'à l'insur­rection. La coopération entre le PCCh et le Guomindang, c'est-à-dire l'alignement oppor­tuniste du parti prolétarien sur la bourgeoi­sie, ne fut pas à la base « d'énormes succès » mais bien de défaites tragiques pour le pro­létariat. Et enfin, l'expédition du Nord, loin d'être une « victoire » de la révolution, ne fut qu'une manoeuvre d'encerclement de la bourgeoisie pour parvenir à contrôler les villes et massacrer la classe ouvrière. Et le point d'orgue de cette expédition fut préci­sément le massacre du prolétariat par le Guomindang.

Concernant 1926, c'est-à-dire en pleine ef­fervescence du mouvement ouvrier, Mao ne put éviter de faire référence aux « grèves générales de Shangaï et de Hong-Kong, à l'origine des incidents du 30 mai » [11] [46]. Mais dès 1939, il la réduisit à une simple manifestation de la petite bourgeoisie intel­lectuelle et il ne mentionna même pas l'in­surrection historique de Shangaï en mars 1927, à laquelle participèrent près d'un mil­lion d'ouvriers [12] [47].

L'enterrement méthodique de toute l'expé­rience et de l'importance historique et mon­diale du mouvement révolutionnaire en Chine constitue un des aspects essentiels de la contribution « originale » du maoïsme à l'idéologie bourgeoise, dans le sens d'obs­curcir la conscience de classe du prolétariat, même s'il n'est pas le seul à agir dans ce sens.

L'internationalisme

C'est là un des principes fondamentaux de la lutte historique du prolétariat, et donc un des principes de base du marxisme, qui contient en lui la question de la destruction des Etats capitalistes et le dépassement des barrières nationales imposées par la société bourgeoise. « L'internationalisme constitue, de façon indiscutable, une des pierres angu­laires du communisme. Depuis 1848, il a été bien établi dans le mouvement ouvrier que "les prolétaires n'ont pas de patrie" (...) Si le capitalisme a trouvé dans la nation le cadre le plus approprié à son développe­ment, le communisme ne peut s'instaurer qu'à l'échelle mondiale : la révolution prolé­tarienne détruira les nations. » (Introduction à notre brochure Nation ou classe ?).

Ce principe devient exactement son con­traire entre les mains de Mao. Pour lui, pa­triotisme et internationalisme sont identi­ques : « Un communiste, internationaliste peut-il être en même temps patriote ? Non seulement il peut, mais il doit l'être (...) Dans les guerres de libération nationale, le patriotisme est l'application du principe internationaliste. (...) Nous sommes à la fois internationalistes et patriotes, et notre mot d'ordre est : "lutter contre l'agresseur pour défendre la patrie" » [13] [48]. Rappelons sim­plement en passant que la « guerre natio­nale » en question n'est rien de moins que la seconde guerre mondiale ! Voilà comment l'embrigadement des travailleurs dans la guerre impérialiste devient une application de l'internationalisme prolétarien ! C'est en s'appuyant sur des mystifications aussi monstrueuses que la bourgeoisie parvint à pousser les ouvriers à s'entre-massacrer.

Et Mao Zedong n'a même pas la gloire d'être le premier à avoir formulé cette idée « ingénieuse » qui permet à « un internatio­naliste d'être en même temps patriote ». Il ne fait que reprendre le discours de Dimitrov, un des idéologues à la botte de Staline : « L'internationalisme prolétarien doit, pour ainsi dire, "s'acclimater" à chaque pays. (...) Les "formes" nationales de la lutte pro­létarienne ne contredisent en rien l'interna­tionalisme prolétarien. (...) La révolution socialiste signifiera le sauvetage de la na­tion » [14] [49]. Et lui-même ne faisait d'ailleurs que reprendre les déclarations des social-patriotes, du style de Kautsky, qui envoyè­rent le prolétariat se faire massacrer pendant la première boucherie mondiale, en 1914 : « Tous ont le droit et le devoir de défendre la patrie ; le véritable internationalisme consiste en reconnaître ce droit pour les socialistes de tous les pays » [15] [50]. Sur cet aspect, c'est donc bien volontiers que nous reconnaissons l'évidente continuité non pas entre le maoïsme et le marxisme mais entre le maoïsme et les « théories » qui ont tou­jours tenté de déformer le marxisme au ser­vice du capital.

La lutte de classe

Nous avons déjà montré comment Mao Zedong a enterré toute l'expérience du prolé­tariat tout au long de son oeuvre. Et pour­tant, il n'a jamais cessé de se référer à la « direction du prolétariat dans la révolu­tion ».

Mais l'aspect le plus important de la « pensée de Mao Zedong » sur la lutte de classe est celui qui subordonne les intérêts des classes exploitées à ceux des classes exploiteuses : « C'est un principe établi maintenant que pendant la durée de la guerre de résistance contre le Japon, tout doit être abandonné dans l'intérêt de la victoire. Par conséquent, les intérêts de la lutte de classe doivent se subordonner aux intérêts de la guerre de résistance et ne pas entrer en conflit avec eux. (...) Il faut appli­quer une politique appropriée de réajuste­ment des rapports entre les classes, une politique qui ne laisse pas les masses tra­vailleuses sans garanties politiques et ma­térielles, mais qui prenne en compte les intérêts des possédants » [16] [51].

Voilà quel est le discours de Mao Zedong, celui d'un bourgeois nationaliste classique, qui exige des ouvriers le sacrifice suprême en échange de promesses sur les « garanties politiques et matérielles » mais dans le ca­dre de « l'intérêt national », c'est-à-dire dans le cadre des intérêts de la classe dominante. Il ne se distingue des autres que par le cy­nisme particulier qui lui permet de parler à ce propos « d'approfondissement du mar­xisme ».

L'Etat

Le fameux « développement du marxisme » que serait le maoïsme se retrouve dans la question de l'Etat à travers la théorie de la « nouvelle démocratie » présentée comme « la voie révolutionnaire » pour les pays sous-développés. A le lire, « la révolution de la nouvelle démocratie (...) ne mène pas à la dictature de la bourgeoisie, mais à la dicta­ture du front uni des diverses classes révo­lutionnaires sous la direction du proléta­riat. (...) Elle est différente aussi de la révo­lution socialiste dans le sens où elle ne peut que défaire la domination des impérialistes, des collaborationnistes et des réactionnai­res en Chine, car elle n'élimine aucun des secteurs du capitalisme qui contribue à la lutte anti-impérialiste et antiféodale ».

Mao aurait donc découvert une nouvelle espèce d'Etat qui ne serait l'instrument d'au­cune classe en particulier, qui serait un front ou une alliance interclassiste. C'est peut-être une nouvelle formulation de la vieille théo­rie de la collaboration de classes mais cela n'a rien à voir avec le marxisme. La théorie de la « nouvelle démocratie » n'est qu'une nouvelle édition de la démocratie bourgeoise qui prétend être le gouvernement du peuple, c'est-à-dire de toutes les classes, avec la particularité que Mao la nomme « front des diverses classes »; comme il le reconnaît lui-même : « La révolution de la nouvelle dé­mocratie coïncide pour l'essentiel avec la révolution préconisée par Sun Yat-sen avec ses Trois principes du peuple. (...) Sun Yat-sen disait : "Dans les Etats modernes, le soi-disant système démocratique est en général monopolisé par la bourgeoisie et est devenu un simple instrument d'oppression contre le petit peuple. Par contre, le prin­cipe de démocratie défendu par le Guomindang défend un système démocrati­que aux mains de ce petit peuple et ne permet pas qu'il soit confisqué par quel­ques-uns" » [17] [52].

Concrètement, la théorie de « la nouvelle démocratie » fut le moyen d'embrigader les populations en majorité paysannes dans les zones contrôlées par le PCCh. Elle devint par la suite le cache-sexe idéologique du nouveau capitalisme d'Etat qui s'instaura en Chine quand le PCCh prit le pouvoir.

Le matérialisme dialectique

Les « oeuvres philosophiques » de Mao Zedong ont été, pendant des années, carac­térisées et enseignées dans les cercles uni­versitaires comme de la « philosophie mar­xiste ». Non seulement la philosophie de Mao – malgré le langage pseudo marxiste qu'il prétend utiliser – n'a rien à voir avec la méthode marxiste, mais en outre elle lui est totalement antagonique. La philosophie de Mao, tout juste inspirée par les manuels de vulgarisation staliniens de l'époque, n'est rien d'autre qu'un moyen pour justifier les contorsions politiques de son créateur. Prenons par exemple la rhétorique embar­rassée avec laquelle il aborde la question des contradictions : « Dans le processus de développement d'une chose complexe se trouvent beaucoup de contradictions, et l'une d'elles est nécessairement la princi­pale, dont l'existence et le développement déterminent ou influent sur l'existence et le développement des autres. (...) Un pays semi-colonial comme la Chine donne un cadre complexe au rapport entre la contra­diction principale et les contradictions se­condaires. Quand l'impérialisme déchaîne une guerre contre un tel pays, les différentes classes qui composent ce dernier (à l'excep­tion d'un petit nombre de traîtres) peuvent s'unir momentanément dans une guerre nationale contre l'impérialisme. La contra­diction entre l'impérialisme et le pays en question devient alors la contradiction principale, reléguant temporairement les contradictions entre les différentes classes du pays à une niveau secondaire et subor­donné. (...) Telle est la situation dans l'ac­tuelle guerre sino-japonaise ».

En d'autres termes, la « théorie » maoïste des « contradictions qui se déplacent » re­vient simplement à dire que le prolétariat peut et doit abandonner son combat contre la bourgeoisie au nom de l'intérêt national, que les classes antagoniques peuvent et doivent s'unir dans le cadre de la boucherie impéria­liste, que les classes exploitées peuvent et doivent se plier aux intérêts des classes ex­ploiteuses. On comprend mieux pourquoi la bourgeoisie de tous les pays a répandu la philosophie maoïste dans les universités en la présentant comme du marxisme !

En résumé, nous dirons que le maoïsme n'a rien à voir ni avec la lutte, ni avec la con­science, ni avec les organisations révolu­tionnaires de la classe ouvrière. Il n'a rien à voir avec le marxisme, il n'est ni une partie ni une tendance de celui-ci, ni un dévelop­pement de la théorie révolutionnaire du prolétariat. Tout au contraire, le maoïsme n'est qu'une grossière falsification du mar­xisme, sa seule fonction est d'enterrer tous les principes révolutionnaires, d'obscurcir la conscience de classe du prolétariat pour la remplacer par la plus stupide et bornée idéologie nationaliste. Comme « théorie », le maoïsme n'est qu'une des misérables formes qu'a été capable d'adopter la bourgeoisie dans sa période de décadence, pendant la contre-révolution et la guerre impérialiste.

Ldo.

 

Chen Duxiu et l'Opposition de gauche

Chen Duxiu (1879-1942) est d'abord le fon­dateur d'un courant novateur et occidenta­liste La Nouvelle Jeunesse en 1915, qui se radicalise dans le « mouvement du 4 Mai » à Pékin. Il est ensuite à l'initiative de la Ligue de la jeunesse socialiste, précurseur du PCCh en 1920. Enfin il fonde le PCCh en juillet 1921 et il en devient le premier secré­taire. Il accepte sur les insistances du Komintern la politique de collaboration avec le Guomindang en misant sur la possibilité de le contrôler de l'intérieur. Mais à l'inverse de Mao Zedong il ne croit pas aux potentia­lités révolutionnaires des paysans. Il est exclu du PCCh lors du 6e congrès de l'Internationale communiste en 1929 (congrès auquel il n'assiste pas) en même temps que les militants qui ont signé avec lui une demande de discussion générale au sein du parti pour un réexamen de ses posi­tions politiques. C'est à cette époque qu'il rencontre des trotskistes revenant de Moscou qui venaient de fonder le journal Wo-men Ti-hua (Notre parole). Fort de cet appui il dénonce l'aventurisme du PCCh inféodé au Komintern stalinisé. Il est arrêté par le Guomindang en 1932 et condamné à quinze ans d'emprisonnement. Lors de l'en­trée en guerre de la Chine contre le Japon en 1937 il est libéré. Il annonce qu'il rejoint le front uni anti-japonais. Dès lors il passe dans le camp de la défense de la nation et de la bourgeoisie, comme le PCCh stalinien. Il est clair qu'en Extrême-Orient la 2e guerre mondiale a commencé dès 1937.

L'organisation de l'Opposition de gauche du PCCh se développe dès 1928 sur la base d'une discussion sur la défaite de 1927 et de la publication de textes de Trotsky sur la Chine. Il s'agit d'un groupe de militants prestigieux du PCCh qui publient La Force motrice. Chen Duxiu se dit d'accord avec les positions de Trotsky sans se déclarer comme trotskiste. L'Opposition de gauche est divi­sée en quatre : l'«Association prolétarienne » de Chen Duxiu et Peng Shu-tse qui diffuse Le Prolétaire ; Notre Parole (Wo-men Ti-hua), groupe de Shangaï ; Octobre (Chan-tou She), groupe de Liu Jen Ching ; et Militant. (Cf. Leon Trotsky on China, Pathfinder, New York 1976, Introduction de Peng Shu-tse)

L'unification intervient en 1931 avec la fon­dation de la Ligue communiste de Chine (LCC). Mais lors de l'agression de la Chine par le Japon, la majorité de la LCC est d'ac­cord pour soutenir la Résistance et passe de ce fait dans le camp ennemi, celui de la bourgeoisie. Seuls Zheng Chaolin, Wang Fanxi et une poignée de militants restent fidèles aux principes révolutionnaires et internationalistes et se réclament du « défaitisme révolutionnaire ». Ils publient L'Internationaliste et soutiennent que le conflit fait partie d'une 2e guerre mondiale imminente.

Zheng Chaolin continue la publication de L'Internationaliste et boycotte le 2e congrès de la LCC en août 1941. Sa position politi­que est cohérente, alors que Wang Fanxi accepte de participer à ce congrès, en faisant une distinction : il est pour la guerre « de défense » d'un pays attaqué mais il refuse de participer à la guerre impérialiste au cas où les puissances anglo-saxonnes rentreraient en guerre contre le Japon. Finalement sa fraction minoritaire est exclue et battue au cours du congrès par le trotskiste Peng Shu-tse.

Nous saluons cette poignée d'internationalis­tes qui ont su maintenir haut le drapeau communiste et internationaliste comme la gauche communiste italienne l'a fait en Europe, alors que ces éléments révolution­naires isolés traversaient la période la plus noire du mouvement ouvrier. Les trotskistes chinois, dans leur journal clandestin La Lutte qualifièrent leur ralliement à la Résistance anti-japonaise de « victorisme révolutionnaire ». Quel pathos pour ce ral­liement honteux à la bourgeoisie nationale !


[1] [53] Voir Revue internationale n° 81 et 84.

 

[2] [54] Rapport sur une enquête du mouvement paysan du Hunan, Mao Zedong, mars 1927.

 

[3] [55] Sur Chen Duxiu et l'Opposition de gauche, voir encart en fin d'article.

 

[4] [56] Cité par Lazlo Ladany, The Communist Party of China and Marxism, Hurst & Co., 1992, traduit par nous.

 

[5] [57] Discours de Mao durant le Second congrès des « Soviets chinois » publié au Japon. Cité par Lazlo Ladany, Op. cité.

 

[6] [58] Lost Chance in China. The World War II despatches of John S. Service, JW. Esherick (editor), Vintage Books, 1974.

 

[7] [59] Rapport sur une enquête du mouvement paysan du Hunan, Mao Zedong, mars 1927.

 

[8] [60] Les tâches urgentes après l'établissement de la coopération entre le Guomindang et le Parti communiste, Mao Zedong, septembre 1937.

 

[9] [61] Problèmes tactiques actuels dans le front unique anti-japonais, Mao Zedong, mai 1940.

 

[10] [62] Voir le premier article de cette série, Revue internationale n° 81.

 

[11] [63] Analyse des classes dans la société chinoise, mars 1926.

 

[12] [64] La Révolution chinoise et le PCCh, Mao Zedong, décembre 1939.

 

[13] [65] Le rôle du PCCh dans la guerre nationale, Mao Zedong, octobre 1938.

 

[14] [66] Fascisme, démocratie et Front populaire, rapport présenté par Georgi Dimitrov au 7e Congrès de l'Internationale communiste, août 1935.
[15] [67] Cité par Lénine dans La faillite de la deuxième Internationale, septembre 1915.
[16] [68] Le rôle du PCCh dans la guerre nationale, Op. cité.
[17] [69] La révolution chinoise et le PCCh, Op. cité.

 

 

 

 

 

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Le communisme n'est pas un bel idéal, il est à l'ordre du jour de l'histoire [4° partie]

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La Plate-forme de l'Internationale Communiste

Introduction du CCI

Parallèlement à la série d'articles « Le com­munisme n'est pas un bel idéal, il est à l'or­dre du jour de l'histoire », nous publions certains documents du mouvement révolu­tionnaire au 20e siècle liés aux moyens et aux buts de la révolution prolétarienne. Nous commençons par la plate-forme de l'Internationale Communiste adoptée lors de son congrès de fondation, en mars 1919, comme base d'adhésion de tous les groupes et courants authentiquement révolutionnai­res au nouveau parti mondial.

L'année 1919 a marqué le zénith de la grande vague révolutionnaire qui s'est déve­loppée dans le sillage de la guerre impéria­liste de 1914-18. Sous la direction du parti bolchevik, l'insurrection d'Octobre en Russie et la prise du pouvoir par le prolétariat or­ganisé en conseils ouvriers ont allumé une flamme qui a menacé d'embraser le monde capitaliste. Entre 1918 et 1920, au coeur du capitalisme mondial, l'Allemagne a vu se développer une série de surgissements révo­lutionnaires ; des grèves de masse ont éclaté dans les principales villes industrielles de l'Italie à l'Ecosse, des Etats-Unis à l'Argentine. Au moment où se tenait le pr­emier congrès de l'Internationale, arrivait la nouvelle de la proclamation de la République hongroise des soviets.

Mais, dans le même temps, d'autres événe­ments qui ont eu lieu juste avant ce congrès démontraient les graves conséquences qui pourraient en résulter si ce mouvement de masse croissant n'était pas guidé par un parti communiste clair programmatiquement et internationalement centralisé. La défaite du soulèvement de Berlin en janvier 1919, marqué notamment par l'assassinat de Luxemburg et Liebknecht, a été en grande partie le résultat de l'incapacité du KPD naissant à détourner les ouvriers des pièges tendus par la bourgeoisie et à les amener à préserver leurs forces pour un moment plus propice. La fondation de l'IC correspondait donc aux besoins les plus urgents de la lutte de classe. Elle a été le couronnement du travail inlassable mené par la gauche révo­lutionnaire depuis l'effondrement de la 2e Internationale en 1914.

Mais loin d'être une direction imposée de l'extérieur, l'IC constituait elle-même un produit organique du mouvement proléta­rien. La clarté de ses positions programma­tiques en 1919 reflétait son lien étroit avec les forces les plus profondes à l'oeuvre dans la vague révolutionnaire. De même, sa dé­générescence opportuniste ultérieure fut in­timement liée au déclin de cette vague et à l'isolement du bastion russe.

Le projet de plate-forme a été rédigé par Boukharine et le délégué du KPD Eberlein qui, de plus, ont eu la responsabilité d'en présenter les principaux points au congrès. Les remarques introductives faites par Boukharine méritent d'être rappelées parce qu'elles montrent comment la plate-forme in­tégrait certaines des avancées théoriques les plus importantes accomplies par le mou­vement communiste au sortir du naufrage de la social-démocratie :

« D'abord, l'introduction théorique. Celle-ci donne la caractéristique générale de l'épo­que tout entière, sous un angle très particu­lier, à savoir sous l'angle de l'effondrement du système capitaliste. Auparavant, lorsqu'on écrivait de telles introductions, on donnait simplement une description géné­rale du système capitaliste. A mon avis, cela ne suffit plus aujourd'hui. Nous devons non seulement donner la caractéristique géné­rale du système capitaliste et impérialiste, mais décrire également le processus de désagrégation et d'effondrement de ce système. C'est le premier point de vue. L'autre est que nous devons considérer le système capitaliste, non pas seulement dans sa forme abstraite, mais également pratique en tant que capitalisme mondial, et que nous devons considérer celui-ci comme une totalité économique. Si nous considérons à présent ce système capitaliste économique mondial du point de vue de son effondre­ment nous devons poser la question sui­vante : comme cet effondrement a-t-il été rendu possible ? Et il s'agit alors en premier lieu d'analyser les contradictions du système capitaliste » (Procès-verbal du premier congrès de l'IC; Rapport sur la plate-forme.)

Boukharine continue en soulignant égale­ment que, dans cette époque de désintégra­tion, « la forme primitive du capital, du ca­pital dispersé et inorganisé, a presque dis­paru. Ce processus avait déjà commencé avant la guerre et s'est renforcé au cours de la guerre. Cette guerre a joué un grand rôle d'organisation. Sous sa pression, la forme du capitalisme financier s'est transformée en une forme supérieure, la forme du capi­talisme d'Etat. »

Ainsi, dès le début, l'IC s'est fondée sur la compréhension que, du fait même que le capitalisme développait son économie au ni­veau mondial, il atteignait ainsi ses limites géographiques et entrait dans sa période de déclin historique. Cela remet à leur place tous les actuels tenants de la « modernité » qui imaginent que la « globalisation » est une nouveauté et que celle-ci va donner un nouveau souffle au capitalisme ! Mais c'est aussi un rappel pénible pour ces organisa­tions révolutionnaires (de tradition bordi­guiste notamment) qui se revendiquent des positions programmatiques de l'IC et qui rejettent cependant la notion de décadence du capitalisme qui est la pierre de touche de la politique révolutionnaire aujourd'hui. Il en va de même pour la notion de capitalisme d'Etat que Boukharine a de façon centrale contribué à élaborer ; nous aurons l'occasion de revenir sur sa signification dans la suite de notre série sur le communisme. Il suffit de dire ici que l'Internationale considérait qu'elle était assez importante pour l'inclure comme caractéristique fondamentale de la nouvelle époque.

Après l'introduction générale, la plate-forme se tourne vers les questions centrales de la révolution prolétarienne : d'abord et avant tout, la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière ; ensuite, l'expropriation de la bourgeoisie et la transformation économi­que de la société. Sur le premier point, la plate-forme affirme les leçons essentielles de la révolution d'Octobre : la nécessité de détruire le vieil Etat bourgeois et de le remplacer par la dictature du prolétariat, organisé dans le système des conseils ou soviets. Ici, la plate-forme est complétée par les Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat rédigées par Lénine et adoptées au même Congrès. La rupture avec la social-démocratie et son fétichisme de la démocratie en général et des parlements bourgeois en particulier a été axée autour de ce point ; et la revendication du transfert du pouvoir aux conseils ouvriers a constitué le cri de ralliement, simple mais irremplaçable, de l'ensemble du mouvement international.

La partie sur les mesures économiques est nécessairement générale ; à ce moment-là, en effet, ce n'était qu'en Russie que ces mesures pouvaient se poser comme une question concrète (mais non se résoudre en Russie seulement). Cette partie met en avant les traits essentiels de la transition vers une société communiste : l'expropriation des grandes entreprises privées et d'Etat ; les premiers pas vers la socialisation de la dis­tribution en remplacement du marché ; l'in­tégration graduelle des petits producteurs à la production sociale. La série sur le com­munisme examinera ultérieurement certai­nes des difficultés et des erreurs qui ont en­travé le mouvement révolutionnaire de cette époque. Cependant, les mesures mises en avant par l'IC constituaient néanmoins un point de départ adéquat et leurs faiblesses auraient pu être dépassées si la révolution mondiale s'était développée avec succès.

La partie sur « Le chemin de la victoire » est également assez générale. Là où elle est le plus explicite, c'est dans son insistance sur la nécessité de l'internationalisme et du re­groupement international des forces révolu­tionnaires, en rupture complète avec les social-chauvins et les Kautskystes et en contradiction absolue avec la politique op­portuniste du Front unique développée après 1921. Sur d'autres questions sur lesquelles l'IC devait exprimer des confusions dange­reuses – le parlement, la question nationale, les syndicats – la plate-forme reste extrê­mement ouverte. La possibilité d'utiliser le parlement comme tribune pour la propa­gande révolutionnaire est affirmée, c'est sûr, mais seulement comme une tactique subor­donnée aux méthodes de la lutte de masse. La question nationale n'est pas du tout men­tionnée, mais ce que le Manifeste adopté par le congrès fait ressortir c'est que la victoire de la révolution communiste dans les pays développés constitue la question clé pour l'émancipation des masses opprimées des colonies. Sur la question syndicale, l'ouver­ture de la plate-forme est encore plus évi­dente comme Boukharine l'explique dans sa présentation :

« Si nous avions écrit pour des russes, nous aurions traité du rôle des syndicats dans le processus de transformation révolution­naire. Mais, d'après l'expérience des com­munistes allemands, cela est impossible car ces camarades nous disent que les syndicats allemands sont entièrement opposés aux nô­tres. Chez nous, les syndicats jouent le rôle principal dans le processus du travail posi­tif. Le pouvoir soviétique s'appuie précisé­ment sur eux ; en Allemagne c'est le con­traire. Cela semble être dû au fait qu'en Allemagne les syndicats étaient aux mains des jaunes, des Legien et Cie. Ils étaient dirigés contre l'intérêt du prolétariat alle­mand et ils le sont encore, mais le proléta­riat liquide à présent ces vieux syndicats. A leur place sont apparues en Allemagne de nouvelles formes d'organisation, les conseils d'usine qui essaient de prendre en main les usines. Les syndicats ne jouent plus de rôle positif. Nous ne pouvons pas élaborer ici de lignes directrices concrètes ; c'est pourquoi nous avons dit de manière générale que pour la gestion des usines il fallait créer des organes sur lesquels le prolétariat s'appuie, organisations qui sont très étroitement liées et intriquées à la production. »

Nous pouvons discuter certaines formula­tions de Boukharine, en particulier sur le rôle des syndicats en Russie, mais le pas­sage donne quand même une indication frappante sur l'attitude réceptive de l'Internationale à ce moment-là. Confrontée aux nouvelles conditions imposées par la décadence du capitalisme, l'IC manifestait une préoccupation, celle que les nouvelles méthodes de lutte prolétarienne adaptées à ces conditions s'expriment. Cela est une preuve éclatante que sa plate-forme était bien le produit du haut niveau atteint par le mouvement mondial du prolétariat et qu'elle reste une référence essentielle pour les révo­lutionnaires d'aujourd'hui.

CDW.

Plate-forme de l'Internationale Communiste

Les contradictions du système capitaliste mondial, auparavant dissimiluées dans son sein, se sont manifestées avec une force inouïe en une formidable explosion : la grande guerre impérialiste mondiale.

Le capitalisme a tenté de surmonter sa propre anarchie en organisant la production. A la place des nombreuses entreprises con­currentes se sont organisées de vastes asso­ciations capitalistes (syndicats, cartels, trusts) ; le capital bancaire s'est uni au capi­tal industriel ; toute la vie économique est tombée sous la domination d'une oligarchie financière capitaliste qui, par son organisa­tion sur la base de ce pouvoir, a acquis une maîtrise exclusive. Le monopole supplante la libre concurrence. Le capitaliste isolé se transforme en membre d'une association capitaliste. L'organisation remplace l'anar­chie insensée.

Mais, dans la mesure où, dans les différents Etats, les procédés anarchiques de la pro­duction capitaliste ont été remplacés par l'organisation capitaliste, les contradictions, la concurrence, l'anarchie, n'ont cessé de s'aggraver dans l'économie mondiale. La lutte entre les plus grands Etats conquérants a conduit, par une nécessité de fer, à la monstrueuse guerre impérialiste. La soif de bénéfices a poussé le capitalisme mondial à la lutte pour la conquête de nouveaux mar­chés, de nouvelles sphères d'investissement, de nouvelles sources de matières premières et la main-d'oeuvre à bon marché des escla­ves coloniaux. Les Etats impérialistes qui se sont partagés le monde entier, qui ont trans­formé des millions de prolétaires et de pay­sans d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, d'Australie, en bêtes de somme, devaient tôt ou tard révéler dans un conflit gigantesque la nature anarchique du capital. Ainsi se produisit le plus grand des crimes – la guerre mondiale de brigandage.

Le capitalisme a tenté de surmonter les con­tradictions de sa structure sociale. La socié­té bourgeoise est une société de classes. Mais le capital des grands Etats « civilisés », s'est efforcé d'étouffer les contradictions sociales. Aux dépens des peuples coloniaux qu'il exploitait, le capital a corrompu ses esclaves salariés, créant une communauté d'intérêts entre les exploiteurs et les exploi­tés – communauté d'intérêts dirigée contre les colonies opprimées et les peuples colo­niaux jaunes, noirs ou rouges ; il a enchaîné la classe ouvrière européenne ou américaine à la « patrie » impérialiste.

Mais, cette même méthode de corruption permanente, qui servait à alimenter le pa­triotisme de la classe ouvrière et sa sujétion morale, s'est transformée en son contraire grâce à la guerre. L'extermination, la sujé­tion totale du prolétariat, le joug mons­trueux, l'appauvrissement, la dégénéres­cence, la faim dans le monde entier – telle fut la dernière rançon de la paix sociale. Et cette paix a fait faillite. La guerre impéria­liste est transformée en guerre civile.

Une nouvelle époque est née : l'époque de désagrégation du capitalisme, de son effon­drement intérieur. L'époque de la révolution communiste du prolétariat.

Le système impérialiste croule. Troubles aux colonies, fermentation parmi les petites nationalités jusqu'à présent privées de leur indépendance, insurrections du prolétariat, révolutions prolétariennes victorieuses dans plusieurs pays, décomposition des armées impérialistes, incapacité absolue des classes dirigeantes à diriger dorénavant les desti­nées des peuples – tel est le tableau de la situation actuelle dans le monde entier.

L'humanité, dont toute la culture a été dévas­tée, est menacée de destruction totale. Il n'est plus qu'une force capable de la sau­ver, et cette force, c'est le prolétariat. L'ancien « ordre » capitaliste n'existe plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos, – et ce chaos ne peut être vaincu que par la plus grande classe productrice : la classe ouvrière. C'est elle qui doit instituer l'ordre véritable, l'ordre communiste. Elle doit bri­ser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, effacer les frontières entre les Etats, transformer le monde en une vaste communauté travaillant pour elle-même, réaliser la solidarité fraternelle et la libération des peuples.

Entre temps, contre le prolétariat, le capital mondial s'est armé pour le dernier combat. Sous le couvert de la Société des Nations et des bavardages pacifiques, il tente un der­nier effort pour recoller les parties désagré­gées du système capitaliste et diriger ses forces contre la révolution prolétarienne montante.

A ce nouveau et immense complot des classes capitalistes, le prolétariat doit ré­pondre par la conquête du pouvoir politique, tourner ce pouvoir contre ses ennemis de classe et s'en servir comme levier pour la transformation économique de la société. La victoire définitive du prolétariat mondial marquera le commencement de l'histoire véritable de l'humanité libérée.

LA CONQUETE DU POUVOIR POLITIQUE

La conquête du pouvoir politique par le prolétariat signifie la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie. L'appareil d'Etat bourgeois avec son armée capitaliste, placée sous le commandement d'un corps d'officiers bourgeois et de junkers, avec sa police et sa gendarmerie, ses geôliers et ses juges, ses prêtres, ses fonctionnaires, etc., constitue le plus puissant instrument de domination de la bourgeoisie. La conquête du pouvoir poli­tique ne peut consister en un simple chan­gement de personnes dans les ministères, mais signifie la destruction de l'appareil d'Etat ennemi, la prise en mains de la force réelle, le désarmement de la bourgeoisie, du corps d'officiers contre-révolutionnaires, des gardes blancs, l'armement du prolétariat, des soldats révolutionnaires et de la garde rouge ouvrière ; la destitution de tous les juges bourgeois et l'organisation des tribunaux prolétariens, la destruction du fonctionna­risme réactionnaire et la création de nou­veaux organes d'administration prolétariens. La victoire prolétarienne est assurée par la désorganisation du pouvoir ennemi et l'or­ganisation du pouvoir prolétarien ; elle si­gnifie la destruction de l'appareil d'Etat bourgeois et la construction de l'appareil d'Etat prolétarien. Ce n'est qu'après sa vic­toire complète, quand le prolétariat aura définitivement brisé la résistance de la bourgeoisie, qu'il pourra obliger ses anciens adversaires à le servir utilement, les ame­nant progressivement, sous son contrôle, à l'oeuvre de construction communiste.

DEMOCRATIE ET DICTATURE

Comme tout Etat, l'Etat prolétarien est un appareil de contrainte et cet appareil est maintenant dirigé contre les ennemis de la classe ouvrière. Sa mission est de briser et de rendre impossible la résistance des ex­ploiteurs qui emploient dans leur lutte dés­espérée tous les moyens pour étouffer la révolution dans le sang. D'autre part, la dic­tature du prolétariat qui donne officielle­ment à la classe ouvrière l'hégémonie dans la société est une institution provisoire.

Dans la mesure où sera brisée la résistance de la bourgeoisie, où celle-ci sera expropriée et se transformera en une masse laborieuse, la dictature du prolétariat disparaîtra, l'Etat dépérira et les classes sociales avec lui.

La prétendue démocratie, c'est-à-dire la démocratie bourgeoise, n'est rien d'autre que la dictature bourgeoise déguisée. La « volonté populaire » tant prônée est une fiction, comme l'unité du peuple. En fait, il n'existe que des classes dont les intérêts antagoniques sont irréductibles. Et comme la bourgeoisie n'est qu'une petite minorité, elle utilise cette fiction, cette prétendue « volonté populaire » nationale, afin d'af­fermir, sous le couvert de ces belles phrases, sa domination sur la classe ouvrière, et de lui imposer sa volonté de classe. Au con­traire, le prolétariat constituant l'énorme majorité de la population, utilise ouverte­ment la violence de classe de ses organisa­tions de masses, de ses conseils, pour sup­primer les privilèges de la bourgeoisie et assurer la transition vers une société com­muniste sans classes.

L'essence de la démocratie bourgeoise réside dans la reconnaissance purement formelle des droits et des libertés, précisément inac­cessibles au prolétariat et aux éléments semi-prolétariens, du fait de leur manque de ressources matérielles, tandis que la bour­geoisie a toutes les possibilités de tirer parti de ces ressources matérielles, de sa presse et de son organisation, pour mentir au peuple et le tromper. Au contraire, l'essence du système des conseils – ce nouveau type de pouvoir d'Etat – consiste en ce que le prolé­tariat a la possibilité d'assurer dans les faits ses droits et sa liberté. Le pouvoir du conseil remet au peuple les plus beaux palais, les maisons, les typographies, les réserves de papier, etc., pour sa presse, ses réunions, ses associations. Ce n'est qu'alors que devient possible la véritable démocratie proléta­rienne.

Avec son système parlementaire, la démo­cratie bourgeoise ne donne qu'en paroles le pouvoir aux masses. Les masses et leurs organisations sont tenues complètement à l'écart et du pouvoir véritable et de la véri­table administration de l'Etat. Dans le sys­tème des Conseils, les organisations de masse et par elles les masses elles-mêmes gouvernent l'Etat, appelant à administrer un nombre toujours plus grand d'ouvriers ; et ce n'est que de cette façon que tout le peuple travailleur est à peu près appelé à prendre part effectivement au gouvernement de l'Etat. Le système des Conseils s'appuie de la sorte sur les organisations des masses prolétariennes, représentées par les Conseils eux-mêmes, les syndicats révolutionnaires, les coopératives, etc.

La démocratie bourgeoise et le parlementa­risme, renforcés par la séparation des pou­voirs législatif et exécutif et l'absence du droit de révoquer les députés, achèvent de séparer les masses de l'Etat. Au contraire, le système des Conseils, par le droit de révo­cation, par la fusion des pouvoirs législatif et exécutif et par la capacité des Conseils à constituer des collectivités de travail, lie les masses aux organes de l'administration. Ce lien est encore affermi par le fait que, dans le système des Conseils, les élections ne se font pas d'après des subdivisions territoriales artificielles, mais d'après les unités locales de la production.

Le système des Conseils rend ainsi possible la véritable démocratie prolétarienne, démo­cratie pour le prolétariat et à l'intérieur du prolétariat, dirigée contre la bourgeoisie. Dans ce système, la position dominante est assurée au prolétariat industriel, auquel ap­partient, du fait de sa meilleure organisation et de son plus grand développement politi­que, le rôle de classe dirigeante, et dont l'hégémonie permettra au semi-prolétariat et aux paysans pauvres de s'élever progressi­vement. Ces privilèges temporaires du prolé­tariat industriel doivent être utilisés pour arracher les masses non possédantes de la petite-bourgeoise paysanne à l'influence des gros propriétaires ruraux et de la bour­geoisie, pour les organiser et les appeler à collaborer à la construction communiste.

L'EXPROPRIATION DE LA BOURGEOISIE ET LA SOCIALISATION DES MOYENS DE PRODUCTION

La décomposition du système capitaliste et de la discipline capitaliste du travail rendent impossible, étant donné les relations entre les classes, la reconstitution de la production sur les anciennes bases. La lutte des ou­vriers pour l'augmentation des salaires, même en cas de succès, n'amène pas l'amé­lioration espérée des conditions d'existence, l'augmentation des prix des produits de con­sommation rendant chaque succès illusoire. La lutte énergique des ouvriers pour l'aug­mentation des salaires dans tous les pays dont la situation est désespérée, par sa puis­sance élémentaire, par sa tendance à la généralisation, rend impossibles dorénavant les progrès de la production capitaliste. L'amélioration de la condition des ouvriers ne pourra être atteinte que lorsque le prolé­tariat lui-même s'emparera de la production. Pour élever les forces productives de l'éco­nomie, pour briser au plus vite la résistance de la bourgeoisie qui prolonge l'agonie de la vieille société, créant par là même le danger d'une ruine complète de la vie économique, la dictature prolétarienne doit réaliser l'ex­propriation de la grande bourgeoisie et des hobereaux et faire des moyens de production et de transport la propriété collective de l'Etat prolétarien.

Le communisme est en train maintenant de naître sur les décombres de la société capi­taliste ; l'histoire ne laisse pas d'autre issue à l'humanité. Les opportunistes, en retardant la socialisation par leur utopique revendica­tion du rétablissement de l'économie capita­liste, ne font qu'ajourner la solution de la crise et créent la menace d'une ruine totale. La révolution communiste apparaît dans une telle période comme le seul moyen qui per­mette de sauvegarder la force productive, la plus importante de la société, le prolétariat, et avec lui l'ensemble même de la société.

La dictature prolétarienne n'entraîne aucun partage des moyens de production et de transport. Au contraire, sa tâche est de réali­ser une plus grande centralisation des forces productives et de subordonner l'ensemble de la production à un plan unique.

Le premier pas vers la socialisation de toute l'économie comporte nécessairement les mesures suivantes : socialisation des grandes banques qui dirigent maintenant la produc­tion ; prise en mains par le pouvoir d'Etat prolétarien de tous les organes de l'Etat capi­taliste régissant la vie économique ; prise en mains de toutes les entreprises communa­les ; socialisation des branches d'industrie trustées ou cartellisées ; de même, sociali­sation des branches d'industrie dont le degré de concentration et de centralisation rend la réalisation techniquement possible ; sociali­sation des propriétés agricoles et leur trans­formation en entreprises agricoles dirigées par la société.

Quant aux entreprises de moindre impor­tance, le prolétariat doit, en tenant compte de leur dimension, les socialiser petit à petit et les unifier.

Il importe de souligner ici que la petite pro­priété ne doit pas être expropriée et que les petits propriétaires qui n'exploitent pas le travail salarié ne doivent subir aucune me­sure de violence. Cette classe sera peu à peu intégrée dans l'organisation socialiste. L'exemple et la pratique démontreront en ef­fet la supériorité de la nouvelle structure sociale qui libère la classe des petits paysans et la petite-bourgeoisie urbaine du joug éco­nomique des grands capitalistes usuriers, des hobereaux, des impôts excessifs (principalement par suite de l'annulation des dettes d'Etat, etc.).

La tâche de la dictature prolétarienne dans le domaine économique ne peut être réalisée que dans la mesure où le prolétariat saura créer des organes centralisés de direction de la production et réaliser la gestion par les ouvriers eux-mêmes. A cette fin, il devra tirer parti de celles de ses organisations de masses qui sont le plus étroitement liées au processus de production.

Dans le domaine de la distribution, la dicta­ture prolétarienne doit remplacer le com­merce par une juste répartition des produits. Parmi les mesures indispensables, il faut indiquer : la socialisation des grandes entre­prises commerciales, la prise en mains par le prolétariat de tous les organes de distri­bution bourgeois étatiques et municipaux ; le contrôle des grandes unions coopératives dont l'organisation aura encore, pendant la période de transition, une importance éco­nomique considérable ; la centralisation progressive de tous ces organes et leur trans­formation en un système unique de réparti­tion rationnelle des produits.

De même que dans le domaine de la pro­duction, dans celui de la répartition il im­porte d'utiliser tous les techniciens et les spécialistes qualifiés – sitôt que leur résis­tance dans le domaine politique aura été brisée et qu'ils seront en état de servir, non plus le capital, mais le nouveau système de production.

Le prolétariat n'a pas l'intention de les op­primer : au contraire, lui seul leur donnera, le premier, la possibilité de développer l'ac­tivité créatrice la plus intense. La dictature prolétarienne remplacera la division du tra­vail physique et intellectuel, propre au capi­talisme, par leur union, fusionnant ainsi le travail et la science.

En même temps qu'il expropriera les fabri­ques, les mines, les propriétés, etc., le prolé­tariat devra mettre fin à l'exploitation de la population par les capitalistes propriétaires d'immeubles, remettre les grandes habita­tions aux Conseils ouvriers locaux, installer la population ouvrière dans les appartements bourgeois, etc.

Au cours de cette période d'immense trans­formation, le pouvoir des Conseils doit, d'une part, échafauder un énorme appareil de gouvernement toujours plus centralisé et, d'autre part, appeler à un travail d'adminis­tration directe des couches toujours plus nombreuses des masses laborieuses.

LE CHEMIN DE LA VICTOIRE

La période révolutionnaire exige que le prolétariat use d'une méthode de lutte qui concentre toute son énergie, à savoir l'action directe des masses jusque et y compris sa suite logique, le choc direct, la guerre décla­rée avec la machine d'Etat bourgeoise. A ce but doivent être subordonnés tous les autres moyens tels que, par exemple, l'utilisation révolutionnaire du parlementarisme bour­geois.

Les conditions préliminaires indispensables à cette lutte victorieuse sont : la rupture, non seulement avec les laquais directs du capital et les bourreaux de la révolution commu­niste – dont les social-démocrates de droite assument aujourd'hui le rôle, – mais encore la rupture avec le « Centre » (groupe Kautsky), qui, au moment critique, aban­donne le prolétariat et lie partie avec ses ennemis déclarés.

D'un autre côté, il est nécessaire de réaliser un bloc avec ces éléments du mouvement ouvrier révolutionnaire qui, bien que n'ayant pas appartenu auparavant au parti socialiste, se placent maintenant dans l'ensemble sur le terrain de la dictature prolétarienne sous la forme du pouvoir des Conseils, c'est-à-dire avec les éléments révlutionnaires du syndi­calisme.

La montée du mouvement révolutionnaire dans tous les pays, le danger, pour cette révolution, d'être étouffée par la ligue des Etats bourgeois, les tentatives d'union des partis social-traîtres (formation de l'Internationale jaune, à Berne), dans le but de servir bassement la ligue de Wilson – et enfin la nécessité absolue pour le prolétariat de coordonner ses efforts – tout cela nous conduit inévitablement à la fondation de l'Internationale communiste, véritablement révolutionnaire et véritablement proléta­rienne.

L'Internationale, qui subordonnera les inté­rêts dits nationaux aux intérêts de la révolut­ion mondiale, réalisera ainsi l'entraide des prolétaires des différents pays – car sans cette solidarité économique et autre, le pro­létariat ne sera pas capable d'édifier une société nouvelle. D'autre part, contrairement à l'Internationale socialiste jaune, l'Internationale prolétarienne et communiste soutiendra les peuples exploités des colonies dans leur lutte contre l'impérialisme, afin de hâter l'effondrement final du système impé­rialiste mondial.

Les brigands capitalistes affirmaient, au début de la guerre mondiale, qu'ils ne fai­saient que défendre leur patrie. Mais l'im­périalisme allemand devait révéler sa nature bestiale véritable par la série de ses san­glants forfaits commis en Russie, en Ukraine, en Finlande. Maintenant se dé­masquent à leur tour, même aux yeux des couches les plus arriérées de la population, les puissances de l'Entente qui pillent le monde entier et assassinent le prolétariat. D'accord avec la bourgeoisie allemande et les social-patriotes, des phrases hypocrites sur la paix aux lèvres, elles s'efforcent d'écraser, au moyen de leurs armes de guerre et de troupes coloniales abruties et barbares, la révolution du prolétariat européen. La terreur blanche des bourgeois-cannibales a été féroce au-delà de toute expression. Les victimes sont innombrables dans les rangs de la classe ouvrière qui a perdu ses meilleurs champions : Liebknecht, Rosa Luxemburg.

Le prolétariat doit se défendre à tout prix. L'Internationale communiste appelle le pro­létariat mondial à cette lutte décisive. Arme contre arme ! Violence contre violence ! A bas la conspiration impérialiste du capital ! Vive la République internationale des Conseils prolétariens !

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • Révolution Russe [72]

Conscience et organisation: 

  • Troisième Internationale [73]

Approfondir: 

  • Le communisme : à l'ordre du jour de l'histoire [74]

Questions théoriques: 

  • Communisme [75]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [76]

Débat entre groupes "bordiguistes" : Marxisme et mysticisme

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Comme nous l'avons montré dans la Revue internationale n° 93, l'ouverture récente de débats entre groupes « bordiguistes » repré­sente une évolution importante pour l'en­semble du milieu prolétarien. En particulier, nous avons mentionné le numéro de mai 1997 de Programme communiste (PC) ([1] [77]) qui illustre clairement cette évolution et nous avons signalé qu'il est le groupe qui évolue actuellement le plus. L'intensification de l'attaque bourgeoise contre les traditions communistes de la classe ouvrière – contre la révolution russe, contre le parti bolchevik et contre leurs défenseurs les plus cohérents, les organisations de la Gauche commu­niste – contraint le PCI à reconnaître, même timidement, qu'il fait partie d'un camp poli­tique prolétarien qui a des intérêts communs face à l'offensive de l'ennemi. Une autre expression évidente de cette existence du camp prolétarien a été constituée par le travail commun d'intervention très fructueux mené par le CCI et la CWO ([2] [78]). Mais le fait que certains groupes bordiguistes aient commencé non seulement à reconnaître l'existence des autres, mais aussi à polémi­quer entre eux et même à reconnaître le caractère prolétarien d'autres courants dans la tradition du Communisme de Gauche, est également extrêmement significatif, étant donné l'isolement sectaire extrême qui a constitué jusqu'à présent une des caractéris­tiques distinctives de cette branche de la Gauche italienne.

PC n° 95 contient une polémique sérieuse avec le groupe Programma comunista-Internationalist Papers sur la question kurde et critique ce dernier pour les graves concessions qu'il fait au nationalisme ; et ce qui est particulièrement notable, c'est que l'article montre que ce sont des erreurs exac­tement du même type qui ont conduit à l'explosion du PCI au début des années 1980. Cette volonté de discuter de la crise de la principale organisation bordiguiste à l'époque constitue une nouveauté potentiel­lement fertile. Le même numéro contient une réponse au compte-rendu du livre du CCI sur la Gauche italienne, publié par le journal trotskiste Revolutionary History. Ici PC montre qu'il est conscient que l'attaque contre le CCI contenue dans ce compte-rendu est aussi une attaque contre toute la tradition de la Gauche communiste ita­lienne.

Nous renvoyons nos lecteurs à l'article de la Revue internationale n° 93 pour de plus amples commentaires sur ces articles. Dans celui-ci, nous voulons répondre à un autre texte de PC n° 95 – une polémique avec le groupe Il partito comunista, basé à Florence, critiquant ce dernier pour être tombé dans le mysticisme.

Le marxisme contre le mysticisme

A première vue, cela peut paraître un sujet de polémique bien étrange entre groupes révolutionnaires ; mais ce serait une erreur de penser que les fractions les plus avancées du mouvement prolétarien sont immunisées contre l'influence des idéologies religieuses et mystiques. Cela a été le cas dans la lutte pour la fondation de la Ligue des communis­tes où Marx et Engels ont dû combattre les visions sectaires, semi-religieuses du com­munisme que professaient Weitling et d'au­tres ; cela n'en a pas été moins vrai pendant la période de la première Internationale quand la fraction marxiste a dû affronter les idéologies maçonniques de sectes tels que les Philadelphiens et, avant tout, la « Fraternité internationale » de Bakounine.

Mais c'est surtout une fois que la bourgeoi­sie a cessé d'être une classe révolutionnaire et plus encore quand elle est entrée dans son époque de décadence que, de plus en plus, elle a abandonné la vision matérialiste de sa jeunesse et qu'elle est retombée dans des visions du monde irrationnelles et semi-mystiques : le cas du nazisme en est un exemple en concentré. Et la phase finale de la décadence capitaliste – l'actuelle phase de décomposition – a encore plus exacerbé ces tendances, comme en témoignent, par exemple, le surgissement du fondamenta­lisme islamique et la prolifération de cultes suicidaires. Ces idéologies sont de plus en plus envahissantes et les prolétaires ne peu­vent en aucune façon y échapper.

Le fait que l'actuel milieu politique proléta­rien lui-même doive être sur ses gardes con­tre de telles idéologies a été clairement dé­montré dans la dernière période. Nous pou­vons citer le cas de la « London psychogeo­graphical association » (LPA) et celui d'au­tres « groupes » similaires qui ont concocté une infâme mixture de communisme et d'occultisme et ont activement tenté de la vendre dans le milieu. Dans le CCI lui-même, nous avons connu les activités de l'aventurier JJ, exclu pour avoir cherché à créer un réseau clandestin d'« intérêt » pour les idées de la franc-maçonnerie.

De plus, le CCI a déjà brièvement critiqué les efforts d'Il partito pour créer un « mysticisme communiste » ([3] [79]). Quant aux critiques plus détaillées portées par Programme communiste, elles sont parfai­tement justifiées. Les citations de la presse d'Il partito contenues dans l'article de PC montrent que le glissement de ce groupe dans le mysticisme est devenu tout à fait ouvert. Pour Il partito, « la seule société ca­pable de mysticisme est le communisme » dans le sens où « l'espèce est mystique parce qu'elle sait comment se voir elle-même sans contradiction entre le ici et maintenant... et son futur ». De plus, puisque le mysticisme, dans son sens grec originel, est défini ici comme « la capacité à voir sans yeux », le parti aussi « a sa mystique, dans le sens où il est capable de voir... les yeux fermés, puisqu'il est capable de voir plus que les yeux individuels de ses membres » ; « (...) la seule réalité qui puisse vivre le mode (mystique) de vie pendant la domination de la société de classe, est le parti ». Et fina­lement, « c'est seulement dans le commu­nisme que la Grande philosophie coïncide avec l'être dans un circuit organique entre l'action de manger (considérée aujourd'hui comme triviale et indigne de l'esprit) et l'action de respirer dans l'Esprit, conçu sublimement comme véritablement digne de l'être complet, c'est-à-dire Dieu. »

PC est également conscient que la lutte du marxisme contre la pénétration des idéolo­gies mystiques n'est pas nouvelle. Il cite Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine, livre dans lequel ce dernier menait un combat contre le développement d'une philosophie idéaliste dans le parti bolchevik des années 1900, et en particulier contre les tentatives de transformer le socialisme en une nouvelle religion (la tendance des « constructeurs de Dieu » de Lounacharsky). Le livre de Lénine – tout en souffrant de faiblesses importantes ([4] [80]) – traçait une claire démarcation, un rempart non seule­ment contre la rechute dans la religiosité qui a accompagné le recul de la lutte de classe après la révolution de 1905, mais aussi con­tre le danger concomitant de liquidation du parti, de son éclatement en clans.

Les critiques de PC aux erreurs d'Il partito sont donc en continuité avec les luttes pas­sées du mouvement ouvrier et valables pour la lutte contre les réels dangers auxquels le camp politique prolétarien est confronté aujourd'hui. Le goût de Il partito pour le mysticisme n'est pas sa seule faiblesse : sa profonde confusion sur les syndicats, son interprétation désastreuse d'un prétendu « soulèvement prolétarien » en Albanie, son extrême sectarisme en font aujourd'hui le groupe bordiguiste le plus en danger de suc­comber à l'idéologie bourgeoise. La polémi­que de PC qui met explicitement en garde Il partito contre le danger de « passer de l'autre côté de la barricade » – doit donc être considérée comme faisant partie de la lutte pour défendre le milieu prolétarien, une lutte dans laquelle le CCI est pleine­ment engagé.

Les racines de la mystique bordiguiste

Cependant, pour qu'une critique soit radi­cale, elle doit aller à la racine. Et une fai­blesse frappante de la polémique de PC est son incapacité à aller jusqu'aux racines des erreurs d'Il partito – une tâche qui, il faut l'admettre, est difficile puisque ces racines sont, dans une mesure plus ou moins grande, communes à toutes les branches de la fa­mille bordiguiste.

Cela apparaît dès le départ quand PC repro­che à Il partito de se proclamer « le seul véritable continuateur du parti ». Mais si Il partito est le plus sectaire des groupes bor­diguistes, le retrait sectaire, la pratique d'ignorer ou de rejeter toute autre expression de la Gauche communiste ont toujours cons­titué un trait distinctif du courant bordi­guiste et cela bien avant qu'Il partito n'appa­raisse dans les années 1970. Et même si l'on peut comprendre les origines d'un tel secta­risme – comme une réaction de sauvegarde face à la profonde contre-révolution qui a prévalu à l'époque de la naissance du bordi­guisme dans les années 1940 et 1950 –, il reste toujours un défaut fondamental de ce courant, défaut qui a causé des dommages permanents au milieu prolétarien. Le fait même que nous soyons aujourd'hui confron­tés à l'existence de trois groupes, qui chacun se proclame le « Parti communiste interna­tional », en est une preuve suffisante puis­que cela tend à jeter le discrédit sur la no­tion même d'organisation communiste.

Mais, même sur la question du mysticisme et de la religion, il faut admettre que les idées d'Il partito ne sont pas tombées du ciel. En réalité, on trouve certaines racines du « mysticisme florentin » chez Bordiga lui-même. Pour preuve le passage suivant des « Commentaires sur les Manuscrits de 1844 » par Bordiga, texte qui est paru d'abord dans Il programma comunista en 1959 et qui est republié dans Bordiga et la passion du communisme édité par Jacques Camatte en 1972 :

« Quand, à un certain point, notre banal contradicteur (...) nous dira que nous cons­truisons ainsi notre mystique, se posant lui, le pauvre, comme l'esprit qui a dépassé tous les fidéismes et les mystiques, nous tournera en dérision en nous traitant de prosternés devant les tables mosaïques ou talmudiques, de la Bible ou du Coran, des évangiles ou des catéchismes, nous lui répondrons (...) que nous n'avons pas de motifs de considé­rer comme une offense l'affirmation qu'on peut encore attribuer à notre mouvement – tant qu'il n'a pas triomphé dans la réalité (qui précède dans notre méthode toute conquête ultérieure de la conscience hu­maine) – une mystique et, si l'on veut, un mythe.

Le mythe, dans ses formes innombrables, ne fut pas un délire des esprits qui avaient leurs yeux physiques fermés à la réalité – naturelle et humaine de façon inséparable comme chez Marx – mais c'est une étape ir­remplaçable dans l'unique voie de conquête réelle de la conscience... »

Avant d'aller plus loin, il est nécessaire de replacer ce passage dans le contexte appro­prié.

D'abord, nous ne mettons pas Bordiga au même niveau que ses épigones d'Il partito, encore moins à celui des occultistes « communistes » actuels tels que le LPA.  En tant que marxiste, Bordiga situe avec soin ces prises de posi­tions dans un contexte historique ; ainsi, dans le paragraphe sui­vant, il continue en expliquant pourquoi les marxistes peuvent avoir du respect et de l'admiration pour les mouvements d'exploi­tés des sociétés de classe passées, mouve­ments qui ne pou­vaient atteindre une com­préhension scienti­fique de leurs buts et ma­nifestaient donc leurs aspirations à l'aboli­tion de l'exploita­tion en termes de mythes et de mysticisme. Nous avons nous-mêmes noté ([5] [81]) que la description par Bordiga de la conscience humaine dans une société com­muniste – une conscience qui va au-delà du moi atomisé qui se considère lui-même en dehors de la nature – est proche de la des­cription de l'ex­périence d'illumination dans certaines des traditions mystiques les plus développées. Nous pensons que Bordiga était suffisam­ment cultivé pour être con­scient de ces liens et, encore une fois, il est valable que les marxistes les fassent, à con­dition qu'ils ne perdent pas de vue la mé­thode historique qui montre que n'importe laquelle de ces anticipations est inévitable­ment limitée par les conditions matérielles et sociales dans lesquelles elles émergent. En conséquence, la société communiste les transcendera. Il partito a certainement perdu de vue cette méthode et, comme les passages étranges et plein de circonvolutions cités plus haut le révèlent, il est donc tombé la tête la pre­mière dans le mysticisme – pas seulement à cause de l'obscurité de sa prose, mais surtout parce qu'au lieu de voir le communisme comme la réalisation maté­rielle et ration­nelle des aspirations humaines passées, il tend à subordonner le futur com­muniste à un grandiose projet mystique.

Deuxièmement, nous devons également comprendre le moment historique pendant lequel Bordiga a rédigé de tels passages. En effet, il polémiquait avec la version de l'idéologie de la « fin du marxisme » qui prévalait pendant la période de reconstruc­tion d'après-guerre, période où le capita­lisme donnait l'apparence d'avoir surmonté ses crises et d'avoir donc réfuté le fondement de la théorie marxiste. Cette attaque contre le marxisme – qui aurait été « dépassé », qui serait devenu un genre de dogme mystique – était très similaire à la dérision dont font l'objet aujourd'hui les communistes taxés d'« antédiluviens » qui défendent encore la révolution d'Octobre et la tradition marxiste. Ce n'est pas seulement le sectarisme invété­ré du bordiguisme mais aussi les concep­tions de l'« invariance » et du parti monoli­thique qui lui sont étroitement liées qui étaient des réactions de défense contre les pressions qui s'exerçaient sur l'avant-garde du prolétariat à l'époque. Ces pressions étaient très réelles, comme on a pu le voir à travers le destin d'un groupe comme Socialisme ou barbarie qui a complètement succombé à l'idéologie « moderniste » du capitalisme. C'est dans ce contexte qu'il faut considérer la défense du marxisme par Bordiga comme celle d'une sorte de « mystique », la défense du programme communiste comme étant une sorte de Loi de Moïse.

Mais le comprendre n'est pas l'excuser. Et malgré le profond attachement de Bordiga au marxisme, il n'en reste pas moins qu'il a lui-même dépassé la ligne de démarcation qui distingue clairement le marxisme de tout genre d'idéologie mystique ou religieuse. Le concept de l'invariance – « La théorie mar­xiste est un bloc invariant, depuis l'origine jusqu'à la victoire finale. La seule chose qu'elle attende de l'histoire, c'est de se trouver elle-même appliquée de façon de plus en plus stricte et par conséquent de plus en plus profondément enracinée avec ses caractéristiques invariantes, dans le programme du parti de classe » (PC n° 2, mars 1978) – constitue une véritable con­cession à une conception a-historique, semi-religieuse du marxisme.

Bien que le coeur véritable du programme communiste reste inchangé (au niveau de ses principes géné­raux comme la lutte de classe, la nature transitoire de la société de classe, la néces­sité de la dictature du prolé­tariat et du communisme etc.), celui-ci est loin d'être « un bloc invariant » depuis sa naissance. Il a été développé, concrétisé, élaboré par l'expérience réelle de la classe ouvrière et par les réflexions théoriques de l'avant-garde communiste ; et les change­ments de période dans le capitalisme, no­tamment son entrée en décadence (un con­cept qui a été large­ment ignoré et même rejeté dans la théorie bordiguiste), ont né­cessité en particulier de profondes modifi­cations aux positions pro­grammatiques dé­fendues par les communis­tes. Quand la bourgeoisie ou la petite bour­geoisie ricane sur le marxisme qui serait comparable à la Bible ou au Coran – qui sont considérés comme la parole de Dieu précisément parce que ni un point ni une virgule ne doivent y être changés –, il n'est pas très judicieux ni marxiste de répondre : « oui, et alors? ».

Le concept d'invariance est le produit d'une ligne de pensée qui a perdu de vue le lien dialectique entre la continuité et le change­ment et, ce faisant, tend à trans­former le marxisme d'une méthode dynami­que en une doctrine fixe et immuable. Dans une polé­mique publiée dans le Revue inter­nationale n° 14 et intitulée « Une caricature de parti : le parti bordiguiste », le CCI a déjà souligné les similarités réelles entre la démarche bordiguiste et l'attitude des isla­mistes de soumission à une doctrine im­muable. Et comme nous l'avons également montré dans une autre polémique, la dis­tinction bordi­guiste entre le « parti formel » et le « parti historique » – inventée pour expliquer que les partis communistes réels et fonctionnant (agissant) n'ont existé que durant des pério­des limitées de l'histoire du mouvement ouvrier – n'est pas moins a-historique et non matérialiste. « Selon cette "théorie", le corps formel, extérieur, et donc matériel et visible du parti peut disparaître, mais le parti réel vit, personne ne sait où, un pur esprit invi­sible. » ([6] [82])

Les courants de la Gauche communiste en dehors du bordiguisme ont aussi critiqué les notions liées de monolithisme interne et de « chef génial » développées dans le parti d'après-guerre ([7] [83]) et l'utilisation de la théo­rie du « centralisme organique » pour justi­fier les pratiques élitistes au sein du parti (8[8] [84]). Ces conceptions sont cohérentes avec la notion semi-religieuse du parti comme le gardien de la révélation définitive unique­ment accessible à quelques élus ; à partir de ces conceptions, il n'est pas du tout surpre­nant qu'Il partito proclame que la seule véritable façon de vivre la vie mystique auj­ourd'hui soit de rejoindre le parti !

En fin de compte, nous devons aussi souligner que toutes ces conceptions du fonctionnement in­terne du parti sont profondément liées à l'article de foi bordiguiste selon lequel la tâche du parti est d'exercer la dictature du prolétariat au nom de la masse du prolétariat et même contre elle. Et la Gauche commu­niste – en particulier sa branche italienne à l'époque de Bilan, sans oublier le travail de la GCF et de la tendance Damen – ont abondamment critiqué cette notion égale­ment.

Nous pensons donc que les critiques de Programme communiste doivent aller plus au fond, jusqu'aux racines historiques véri­tables de ces erreurs et, ce faisant, se réap­proprier le riche héritage de l'ensemble de la Gauche communiste. Nous sommes convain­cus de ne pas prêcher dans le désert ; le nouvel esprit d'ouverture dans le milieu bordiguiste en témoigne. Et PC donne même des signes importants de mouvement sur la question du parti lui-même puisqu'à la fin de son article, tout en gardant l'idée du parti comme « Etat major » de la classe, il insiste sur le fait qu'« il n'y a pas la place dans le fonctionnement et la vie interne pour l'idéa­lisme, le mysticisme, le culte des chefs et des autorités supérieures, comme c'est le cas dans des partis qui sont sur le point de dé­générer et de passer à la contre-révolu­tion. » Nous ne pouvons qu'être d'accord avec ces affirmations et espérer que les débats actuels dans le milieu bordiguiste permettront à ses composantes de mener ces développements à leur conclusion logique.

Amos



[1] [85]. Revue théorique du Parti Communiste International qui publie Le prolétaire en France et Il comunista en Italie.

 

[2] [86]. Voir « Réunion publique commune de la Gauche communiste, En défense de la révolution d'Octobre », Révolution Internationale n° 275 (et dans les autres publications territoriales du CCI, no­tamment World Revolution n° 210) ainsi que dans l'organe de presse de la CWO, Revolutionary Perspectives n° 9.

 

[3] [87]. Voir sur le communisme comme dépasssement de l'aliénation « Le communisme, véritable commencement de la société humaine », Revue internationale n° 71.

 

[4] [88]. Programme communiste omet de mentionner que la Gauche communiste historique a porté des critiques sérieuses à certains arguments « philosophiques » contenus dans le livre de Lénine. Dans Lénine philosophe, rédigé durant les années 1930, Pannekoek a montré que dans son effort de réaffirmer les fondements du matérialisme, Lénine ignore la distinction entre le matérialisme bourgeois – qui tend à réduire la conscience à un reflet passif du monde extérieur – et le point de vue dialectique du marxisme qui, tout en affirmant la primauté de la matière, insiste aussi sur l'aspect actif de la conscience humaine, sa capacité à façonner le monde extérieur. Au début des années 1950, la Gauche communiste de France a écrit une série d'articles reconnaissant la validité de ces critiques, mais a montré que Pannekoek à son tour tombait dans une sorte de matérialisme mécaniste quand il cherchait à prouver que les erreurs philosophiques de Lénine démontraient que le bolchevisme n'était rien d'autre que le représentant de la révolution bourgeoise dans la Russie arriérée. Voir à ce sujet « Critique de "Lénine philosophe" de Pannekoek (Internationalisme, 1948) » dans la Revue Internationale n° 25, 27, 28 et 30, 1981-82, et le livre La Gauche hollandaise, chapitre 7, 5e partie.

 

[5] [89]. Voir « Le communisme, véritable commencement de la société humaine », Revue internationale n°71.

 

[6] [90] « Le parti défiguré : la conception bordiguiste », Revue internationale n° 23.

[7] [91] Voir la réedition de textes de la GCF (Internationalisme, août 1947) dans la Revue internationale n° 33 et 34, « Contre la conception du chef génial » et « Contre la conception de la discipline du PCI ».

 

[8] [92] Voir « Un chiarimento, Fra le ombre del bordighismo e dei suoi epigoni », Supplément à Battaglia Comunista n° 11-1997.

Courants politiques: 

  • Bordiguisme [93]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [76]

Construction de l'organisation des révolutionnaires : thèses sur le parasitisme

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1) Tout au long de son histoire, le mouve­ment ouvrier a dû faire face à la pénétration dans ses rangs d'idéologies étrangères pro­venant soit de la classe dominante, soit de la petite bourgeoisie. Cette pénétration s'est manifestée sous de multiples formes au sein des organisations ouvrières. Parmi les plus répandues et connues on peut citer notam­ment :

  • le sectarisme,
  • l'individualisme,
  • l'opportunisme,
  • l'aventurisme-putschisme.

2) Le sectarisme est une manifestation typi­que d'une vision petite bourgeoise de l'orga­nisation. Il s'apparente à l'état d'esprit du petit boutiquier, du « bougnat maître chez soi » et s'exprime dans la tendance à faire prédominer les intérêts et les conceptions propres de l'organisation au détriment des intérêts du mouvement dans son ensemble. Dans la vision sectaire, l'organisation est « seule au monde » et elle affiche un royal mépris pour toutes les autres organisations appartenant au camp du prolétariat qui sont vues comme des « concurrentes », voire des « ennemies ». Se sentant menacée par celles-ci, l'organisation sectaire se refuse en géné­ral à engager le débat et la polémique politi­ques avec elles. Elle préfère se réfugier dans un « splendide isolement », faisant comme si les autres n'existaient pas, ou bien elle met en avant obstinément ce qui la distingue de celles-ci sans tenir compte de ce qui la rap­proche d'elles.

3) L'individualisme peut provenir aussi bien des influences petites bourgeoises que direc­tement bourgeoises. De la classe dominante, il reprend l'idéologie officielle qui fait des individus les sujets de l'histoire, qui valorise le « self made man », qui justifie la « lutte de tous contre tous ». Cependant, c'est sur­tout par le véhicule direct de la petite bour­geoisie qu'il pénètre dans les organisations du prolétariat, notamment à travers les élé­ments récemment prolétarisés en provenance de couches comme la paysannerie et l'artisa­nat (c'était principalement le cas au siècle dernier) ou comme le milieu intellectuel et étudiant (c'est notamment le cas depuis la reprise historique de la classe ouvrière à la fin des années 1960). L'individualisme se manifeste principalement par la tendance à :

  • concevoir l'organisation non comme un tout collectif mais comme une somme d'individus dans laquelle, notamment, les relations entre personnes priment sur les relations politiques et statutaires ;
  • faire valoir, face aux nécessités de l'orga­nisation, ses propres « envies » et « intérêts » ;
  • résister, en ce sens, à la nécessaire dis­cipline au sein de celle-ci ;
  • rechercher, dans l'activité militante, une « réalisation personnelle » ;
  • adopter une attitude contestataire vis-à-vis des organes centraux supposés « brimer les individualités » avec, comme complé­ment, rechercher une « promotion » par sa propre accession à ces organes ;
  • adhérer, plus généralement, à une vision élitiste de l'organisation dans laquelle on aspire à faire partie des « militants de première classe » en développant un mé­pris pour ceux qu'on considère comme des « militants de seconde classe ».

4) L'opportunisme, qui a constitué histori­quement le plus grave danger pour les or­ganisations du prolétariat, est une autre ex­pression de la pénétration d'idéologies étrangères : bourgeoise et surtout petite-bourgeoise. En particulier, un de ses mo­teurs est l'impatience laquelle exprime la vision d'une couche de la société condamnée à l'impuissance au sein de celle-ci et qui n'a aucun avenir à l'échelle de l'histoire. Son autre moteur est la tendance à vouloir con­cilier les intérêts et les positions des deux principales classes de la société, le proléta­riat et la bourgeoisie, entre lesquelles se trouve coincée la petite bourgeoisie. De ce fait, l'opportunisme se distingue par le fait qu'il tend à sacrifier les intérêts généraux et historiques du prolétariat au bénéfice d'illu­soires « succès » immédiats et circonstan­ciels. Mais, comme il n'y a pas opposition pour la classe ouvrière entre sa lutte au sein du capitalisme et sa lutte historique pour l'abolition de ce dernier, la politique de l'op­portunisme revient finalement à sacrifier également les intérêts immédiats du prolé­tariat en le poussant, notamment, à compo­ser avec les intérêts et les positions de la bourgeoisie. En fin de compte, lors des mo­ments historiques cruciaux, comme la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne, les courants politiques opportunistes sont conduits à rejoindre le camp de la classe ennemie comme ce fut le cas avec la majori­té des partis socialistes lors de la première guerre mondiale et des partis communistes à la veille de la seconde.

5) Le putschisme –également appelé aven­turisme[1] – se présente comme l'opposé de l'opportunisme. Sous couvert de «°l'intransigeance°» et du «°radicalisme°», il se déclare toujours prêt à se lancer à l'assaut de la bourgeoisie pour des combats « décisifs » alors que les conditions d'un tel combat n'existent pas encore pour le prolé­tariat. A l'occasion, il ne néglige pas de qua­lifier d'opportuniste, de conciliateur, voire de « traître » le courant authentiquement prolétarien et marxiste qui se préoccupe d'éviter à la classe ouvrière de s'engager dans un combat perdu d'avance. En réalité, issu des mêmes sources que l'opportunisme, l'impatience petite-bourgeoise, il est fré­quent qu'il converge avec celui-ci. L'histoire n'est pas avare en exemples où des courants opportunistes ont soutenu des courants puts­chistes ou se sont convertis au radicalisme putschiste. C'est ainsi qu'au début du siècle, la droite de la social-démocratie allemande apportait, contre l'opposition de sa gauche représentée notamment par Rosa Luxemburg, son soutien aux socialistes ré­volutionnaires russes adeptes du terrorisme. De même, en janvier 1919, alors que la même Rosa Luxemburg se prononce contre l'insurrection des ouvriers à Berlin, suite à la provocation du gouvernement social-démo­crate, les indépendants qui viennent à peine de quitter ce gouvernement se précipitent dans l'insurrection qui aboutit au massacre de milliers d'ouvriers ainsi que des princi­paux dirigeants communistes.

6) Le combat contre la pénétration de l'idéologie bourgeoise et petite bourgeoise dans l'organisation de classe, de même que contre les différentes manifestations de cette pénétration, constitue une responsabilité permanente des révolutionnaires. En fait, c'est même le combat principal qu'ait eu à mener le courant authentiquement proléta­rien et révolutionnaire au sein des organisa­tions de la classe dans la mesure où il était bien plus difficile que le combat direct con­tre les forces officielles et avérées de la bourgeoisie. Le combat contre les sectes et le sectarisme est un des premiers qu'aient li­vré Marx et Engels, particulièrement au sein de l'AIT. De même, le combat contre l'indi­vidualisme, sous la forme de l'anarchisme notamment, a mobilisé aussi bien ces der­niers que les marxistes de la seconde inter­nationale (particulièrement Rosa Luxemburg et Lénine). Le combat contre l'opportunisme est certainement le plus constant et systé­matique conduit par le courant révolutionna­ire depuis ses origines :

  • contre le « socialisme d’État » des lassa­liens dans les années 1860 et 1870 ;
  • contre tous les révisionnistes et réformis­tes à la Bernstein ou à la Jaurès au tournant du siècle ;
  • contre le menchevisme ;
  • contre le centrisme à la Kautsky à la veille, au cours et à la suite de la première guerre mondiale ;
  • contre la dégénérescence de l'IC et des partis communistes tout au long des an­nées 1920 et au début des années 1930 ;
  • contre celle du courant trotskiste au cours des années 1930.

Le combat contre l’aventurisme-putschisme, enfin, ne s’est pas imposé avec la même constance que le précédent. Cependant, il est mené dès les premiers pas du mouve­ment ouvrier (contre la tendance immédia­tiste Willich-Schapper dans la Ligue des communistes, contre les aventures bakounis­tes lors de la « Commune » de Lyon en 1870 et la guerre civile en Espagne en 1873). De même, il est particulièrement important au cours de la vague révolutionnaire de 1917-23 ; c’est notamment grâce à la capacité des bolcheviks à mener ce combat en juillet 1917 que la révolution d’Octobre a pu avoir lieu.

7) Les exemples précédents mettent en évidence que l’impact de ces différentes manifestations de la pénétration d'idéologies étrangères dépend étroitement :

  • des périodes historiques ;
  • du moment du développement de la classe ouvrière ;
  • des responsabilités qui sont les siennes dans telle ou telle circonstance.

Par exemple, une des manifestations les plus importantes et explicitement combattues de la pénétration d'idéologies étrangères au prolétariat, l'opportunisme, même si elle s’est manifestée tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier, trouve son terrain par excellence dans les partis de la deuxième in­ternationale au cours d’une période :

  • propice aux illusions d'une possible con­ciliation avec la bourgeoisie du fait de la prospérité du capitalisme et des réelles avancées dans les conditions de vie de la classe ouvrière ;
  • où l’existence de partis de masse favorise l’idée que la simple pression de ces partis pourrait progressivement transformer le capitalisme pour aboutir au socialisme.

De même, la pénétration de l’opportunisme au sein des partis de la troisième internatio­nale est fortement déterminée par le reflux de la vague révolutionnaire. Ce reflux en­courage l’idée qu’il est possible de gagner une audience dans les masses ouvrières en faisant des concessions aux illusions qui pèsent sur celles-ci concernant des questions comme le parlementarisme, le syndicalisme ou la nature des partis socialistes.

L’importance du moment historique sur les différents types de manifestations de la pé­nétration des idéologies étrangères à la classe se manifeste encore plus clairement pour ce qui concerne le sectarisme. En effet celui-ci est particulièrement présent aux tout débuts du mouvement ouvrier, lorsque les prolétaires sortent à peine de l’artisanat et des sociétés de compagnonnage (avec leurs rituels et leurs secrets de métier). De même, il connaît un regain important au plus pro­fond de la contre-révolution avec le courant bordiguiste pour qui le repliement sur soi apparaît comme un moyen (évidemment er­roné) de se protéger de la menace de l’opportunisme.

8) Le phénomène du parasitisme politique, qui lui aussi résulte essentiellement de la pénétration d’idéologies étrangères au sein de la classe ouvrière, n’a pas fait l’objet, tout au cours de l’histoire du mouvement ouvrier, de la même attention que d’autres phénomènes comme celui de l’opportunisme. Il en est ainsi parce le pa­rasitisme n’affecte de façon significative les organisations prolétariennes que dans des moments très spécifiques de l’histoire. L’opportunisme, par exemple, constitue une menace constante pour les organisations prolétariennes et il s’exprime particulière­ment dans les moments où celles-ci connais­sent leur plus grand développement. En revanche, le parasitisme ne trouve pas fon­damentalement sa place dans les moments les plus importants du mouvement de la classe. Au contraire, c’est dans une période d'immaturité relative du mouvement où les organisations du prolétariat ont encore un faible impact et peu de traditions que le pa­rasitisme trouve son terrain le plus propice. Ce fait est lié à la nature même du parasi­tisme qui, pour être efficace, doit trouver en face de lui des éléments en recherche vers des positions de classe qui aient du mal à faire la différence entre les véritables orga­nisations révolutionnaires et les courants dont la seule raison d’être est de vivre aux dépends de celles-ci, de saboter leur action, voire de les détruire. En même temps, le phénomène du parasitisme, également par nature, n’apparaît pas au tout début du déve­loppement des organisations de la classe mais lorsqu’elles sont déjà constituées et qu’elles ont fait la preuve qu’elles défendent véritablement les intérêts prolétariens.

Ce sont bien ces éléments qu’on trouve dans la première manifestation historique du pa­rasitisme politique, l’Alliance de la Démocratie Socialiste qui a tenté de saboter le combat de l’AIT et de la détruire.

9) Il appartient à Marx et Engels d’avoir les premiers identifié la menace que constitue le parasitisme pour les organisations proléta­riennes :

  • « Il est grand temps, une fois pour toutes, de mettre fin aux luttes internes quotidienne­ment provoquées dans notre Association par la présence de ce corps parasite. Ces querel­les ne servent qu'à gaspiller l'énergie qui devrait être utilisée à combattre le régime de la bourgeoisie. En paralysant l'activité de l'Internationale contre les en­nemis de la classe ouvrière, l'Alliance sert admirablement la bourgeoisie et les gouver­nements. » (Engels, « Le Conseil général à tous les membres de l'Internationale », avertissement contre l'Alliance de Bakounine).

Ainsi, la notion de parasitisme politique n’est nullement « une invention du CCI ». C’est l’AIT qui la première a été confrontée à cette menace contre le mouvement prolé­tarien, qui l’a identifiée et combattue. C’est elle, à commencer par Marx et Engels, qui caractérisait déjà de parasites ces éléments politisés qui, tout en prétendant adhérer au programme et aux organisations du proléta­riat, concentrent leurs efforts sur le combat, non pas contre la classe dominante, mais contre les organisations de la classe révolut­ionnaire. L'essence de leur activité est de dénigrer et de manœuvrer contre le camp communiste, même s'ils prétendent lui ap­partenir et le servir[2].

  • « Pour la première fois dans l'histoire de la lutte de classe, nous sommes confrontés à une conspiration secrète au cœur de la classe ouvrière, et destinée à saboter non le régime d'exploitation existant, mais l'Association elle-même qui représente l'ennemi le plus acharné de ce régime. » (Engels, «Rapport au Congrès de La Haye sur l'Alliance»).

10) Dans la mesure où le mouvement ou­vrier dispose avec l’AIT d’une riche expé­rience de lutte contre le parasitisme, il est de la plus haute importance, pour faire face aux offensives parasitaires actuelles et s’armer contre elles, de rappeler les princi­paux enseignements de cette lutte passée. Ces enseignements concernent toute une sé­rie d’aspects :

  • le moment de surgissement du parasi­tisme ;
  • ses spécificités par rapport aux autres dangers auxquels se confrontent les orga­nisations prolétariennes ;
  • son terrain de recrutement ;
  • ses méthodes ;
  • les moyens d’une lutte efficace contre lui.

En fait, comme on le verra, il existe sur tous ces aspects, une similitude frappante entre la situation à laquelle est confronté au­jourd’hui le milieu prolétarien et celle af­frontée par l’AIT.

11) Même s’il affecte une classe ouvrière encore inexpérimentée, le parasitisme, comme on l'a vu, n'est apparu historique­ment comme ennemi du mouvement ouvrier que lorsque celui-ci a atteint un certain de­gré de maturité, dépassant sa phase infantile du sectarisme.

  • « La première phase dans la lutte du prolé­tariat contre la bourgeoisie est caractérisée par le mouvement des sectes. C'était justifié au temps où le prolétariat n'était pas suffi­samment développé pour agir en tant que classe. » (Marx-Engels).

C'est l'apparition du marxisme, la maturation de la conscience de classe prolétarienne et la capacité de la classe et de son avant-garde d'organiser sa lutte qui asseyent le mouve­ment ouvrier sur des bases saines.

  • « A partir de ce moment, où le mouvement de la classe ouvrière est devenu une réalité, les utopies fantastiques ont disparu (...) parce que la place de ces utopies avait été prise par une compréhension réelle des conditions historiques de ce mouvement, et parce que les forces d'une organisation de combat de la classe ouvrière commençaient de plus en plus à se rassembler. » (Marx, La guerre civile en France, premier projet).

En fait, le parasitisme est historiquement apparu en réponse à la fondation de la pre­mière Internationale, qu'Engels décrivait comme « le moyen de progressivement dissoudre et absorber toutes les différentes petites sectes ». (Engels, Lettre à Kelly/Vischnevetsky)

En d'autres termes, l'Internationale était un instrument obligeant les différentes compo­santes du mouvement ouvrier à s'engager dans un processus collectif et public de cla­rification, et à se soumettre à une discipline unifiée, impersonnelle, prolétarienne, orga­nisationnelle. C'est d'abord en résistance à cette « dissolution et absorption » interna­tionale de toutes les particularités et auto­nomies programmatiques et organisationnel­les non prolétariennes que le parasitisme a déclaré sa guerre au mouvement révolution­naire.

  • « Les sectes, au début un levier du mouve­ment, deviennent une entrave, dès qu'elles ne sont plus à l'ordre du jour ; elles deviennent alors réactionnaires. La preuve de ceci, ce sont les sectes en France et en Grande-Bretagne, et récemment les lassalliens en Allemagne qui, après des années de soutien à l'organisation du prolétariat, sont sim­plement devenues des armes de la police. » (Marx-Engels, Les prétendues scissions dans l'Internationale).

12) C'est ce cadre d'analyse dynamique développé par la première Internationale qui explique pourquoi la période actuelle, celle des années 1980 et surtout des années 1990, a été le témoin d'un développement du pa­rasitisme sans précédent depuis l'époque de l’Alliance et du courant lassalien. En effet, nous sommes actuellement confrontés à de multiples regroupements informels, agissant souvent dans l'ombre, prétendant appartenir au camp de la Gauche communiste, mais qui dédient leurs énergies à combattre les orga­nisations marxistes existantes plutôt que le régime bourgeois. Comme à l'époque de Marx et Engels, cette vague parasitaire réactionnaire a pour fonction de saboter le développement du débat ouvert et de la clarification prolétarienne, et d'empêcher l'établissement de règles de conduite liant tous les membres du camp prolétarien. L'existence :

  • d'un courant international marxiste comme le CCI, rejetant le sectarisme et le monoli­thisme ;
  • de polémiques publiques entre organisa­tions révolutionnaires ;
  • du débat actuel à propos des principes organisationnels marxistes et de la dé­fense du milieu révolutionnaire ;
  • de nouveaux éléments révolutionnaires à la recherche des véritables traditions marxistes, organisationnelles et program­matiques ;

sont parmi les éléments les plus importants suscitant actuellement la haine et l’offensive du parasitisme politique.

Comme on l’a vu avec l’expérience de l’AIT, ce n'est que dans les périodes où le mouvement ouvrier passe d'un stade d'imma­turité fondamentale vers un niveau qualitati­vement supérieur, spécifiquement commu­niste, que le parasitisme devient son princi­pal opposant. Dans la période actuelle, cette immaturité n’est pas le produit de la jeu­nesse du mouvement ouvrier dans son en­semble, comme au temps de l’AIT, mais avant tout le résultat des 50 ans de contre-révolution qui ont suivi la défaite de la va­gue révolutionnaire de 1917-23. Aujourd'hui, c'est cette rupture de la conti­nuité organique avec les traditions des géné­rations passées de révolutionnaires qui ex­plique avant tout le poids des réflexes et des comportements anti-organisationnels petits-bourgeois parmi beaucoup d’éléments qui se réclament du marxisme et de la Gauche communiste.

13) A côté de toute une série de similitudes existant entre les conditions et les caracté­ristiques du surgissement du parasitisme au moment de l'AIT et du parasitisme d'aujourd­'hui, il convient de signaler une différence notable entre les deux époques : au siècle dernier, le parasitisme avait prin­cipalement pris la forme d'une organisation structurée et centralisée dans l'organisation de la classe alors qu'aujourd'hui il prend es­sentiellement la forme de petits groupes, ou même d'éléments « non organisés » (bien que travaillant souvent en lien les uns avec les autres). Une telle différence ne remet pas en cause la nature fondamentalement identi­que du phénomène du parasitisme lors des deux périodes. Elle s'explique essentielle­ment par les faits suivants :

  • un des terrains sur lesquels s'est dévelop­pée l'Alliance était celui des vestiges des sectes de la période précédente : elle-même a repris des sectes leur structure étroitement centralisée autour d'un « prophète » et leur goût de l'organisation clandestine ; en revanche, un des éléments sur lesquels s'appuie le parasitisme actuel est constitué par les vestiges de la contes­tation étudiante qui avait pesé sur la re­prise historique du combat prolétarien à la fin des années 60, et particulièrement en 1968, avec tout son bagage d'individua­lisme et de remise en cause de l'organisa­tion ou de la centralisation censées «°étouffer les individus°»[3];
  • au moment de l'AIT, il existait une seule organisation regroupant l'ensemble du mouvement prolétarien et il appartenait aux courants qui avaient vocation de le détruire, tout en se revendiquant de son combat contre la bourgeoisie, d'agir au sein de cette organisation ; par contre, à un moment historique où les éléments re­présentant le combat révolutionnaire de la classe ouvrière sont dispersés entre les différentes organisations du milieu politi­que prolétarien, chaque groupe de la mou­vance parasitaire peut se présenter comme appartenant à celui-ci dont il représente­rait une «composante» à côté des autres groupes.

En ce sens, il importe d'affirmer clairement que la dispersion actuelle du milieu politi­que prolétarien, et toutes les démarches sectaires empêchant ou entravant un effort vers le regroupement ou le débat fraternel entre ses différentes composantes, fait le jeu du parasitisme.

14) Le marxisme, suite à l'expérience de l’AIT, a mis en évidence les différences entre le parasitisme et les autres manifesta­tions de la pénétration des idéologies étran­gères dans les organisations de la classe. Par exemple, l’opportunisme, même s’il peut dans un premier temps se manifester sous la forme organisationnelle (comme ce fut le cas des mencheviks en 1903), s’attaque fonda­mentalement au programme de l’organisation prolétarienne. Pour sa part, le parasitisme, afin de pouvoir tenir son rôle, ne s’attaque pas à priori à ce programme. C’est essentiellement sur le terrain organi­sationnel qu’il exerce son action, même si, afin de mieux pouvoir « recruter », il est souvent conduit à remettre en cause certains aspects du programme. On a pu voir ainsi Bakounine enfourcher le cheval de « l’abolition du droit d’héritage », lors du Congrès de Bâle de 1869, parce qu’il savait qu’il pourrait rassembler de nombreux délé­gués autour de cette revendication creuse et démagogique compte tenu des nombreuses illusions existant alors sur ce sujet dans l’Internationale. Mais en réalité, ce qu’il visait c’était de renverser le Conseil Général influencé par Marx, et qui combattait cette revendication, afin de pouvoir constituer un Conseil Général qui serait à sa dévotion[4]. Du fait que le parasitisme s'attaque directe­ment à la structure organisationnelle des formations prolétariennes, il représente, quand les conditions historiques permettent son apparition, un danger beaucoup plus immédiat que l'opportunisme. Ces deux manifestations de la pénétration d'idéologies étrangères constituent un danger mortel pour les organisations prolétariennes. L'opportunisme conduit à leur mort comme instruments de la classe ouvrière par leur passage au service de la bourgeoisie mais dans la mesure où il s'attaque avant tout au programme, il ne peut parvenir à ce résultat qu'à travers tout un processus où le courant révolutionnaire, la Gauche, pourra de son côté développer au sein de l'organisation le combat pour la défense de ce programme[5]. En revanche, dans la mesure où c'est l'organisation elle-même, en tant que struc­ture, qui est menacée par le parasitisme, cela laisse beaucoup moins de temps au courant prolétarien d'organiser la défense. L'exemple de l'AIT est significatif à cet égard : l'ensemble du combat en son sein contre l'Alliance ne dure pas plus de 4 ans, entre 1868 où Bakounine entre dans l'Internationale et 1872 où il en est exclu par le Congrès de la Haye. Cela ne fait que sou­ligner une chose : la nécessité pour le cou­rant prolétarien de riposter rapidement au parasitisme, de ne pas attendre qu'il ait fait des ravages pour engager le combat contre lui.

15) Comme on l'a vu, il importe de distin­guer le parasitisme des autres manifestations de la pénétration au sein de la classe d'idéologies étrangères. Cependant, c'est une des caractéristiques du parasitisme que d'utiliser ces autres types de manifestations. Cela découle des origines du parasitisme qui lui aussi résulte d'une telle pénétration d'in­fluences étrangères mais aussi du fait que sa démarche, qui vise en dernier ressort à dé­truire les organisations prolétariennes, ne s'embarrasse d'aucun principe ni d'aucun scrupule. Ainsi, au sein de l'AIT et du mou­vement ouvrier de son époque, l'Alliance s'est distinguée, comme on l'a déjà vu, par sa capacité à mettre à profit les vestiges du sectarisme, à employer une démarche oppor­tuniste (sur la question du droit d'héritage, par exemple) ou à se lancer dans des mou­vements totalement aventuristes (« Commune » de Lyon et guerre civile en Espagne de 1873). De même, elle s'est for­tement appuyée sur l'individualisme d'un prolétariat sortant à peine de l'artisanat ou de la paysannerie (particulièrement en Espagne et dans le Jura suisse). Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans le para­sitisme d'aujourd'hui. Le rôle de l'individua­lisme dans la constitution du parasitisme actuel a déjà été relevé mais il vaut la peine de signaler aussi que toutes les scissions du CCI qui ont par la suite constitué des grou­pes parasites (GCI, CBG, FECCI) se sont appuyées sur une démarche sectaire en rompant de façon prématurée et se refusant à mener jusqu'au bout le débat pour la clari­fication. De même, l'opportunisme a été une des marques du GCI qui, après avoir accusé le CCI, quand il n'était qu'une « tendance » en son sein, de ne pas imposer assez d'exi­gences aux nouveaux candidats, s'est con­verti au racolage sans principes, modifiant son programme dans le sens des mystifica­tions gauchistes à la mode (comme le tiers-mondisme). Ce même opportunisme a été mis en pratique par le CBG et la FECCI qui, au début des années 1990, se sont livrés à un marchandage incroyable afin d'essayer d'engager une démarche vers leur regroupe­ment. Enfin, pour ce qui concerne l'aventu­risme-putschisme, il est remarquable que, même si on laisse de côté les complaisances du GCI à l'égard du terrorisme, tous ces groupes aient systématiquement plongé dans les pièges que la bourgeoisie tendait à la classe, appelant celle-ci à développer ses luttes alors que le terrain avait été préala­blement miné par la classe dominante et ses syndicats, comme ce fut le cas, notamment, à l'automne 1995 en France.

16) L'expérience de l'AIT a mis en évidence la différence pouvant exister entre le parasi­tisme et le marais (même si à cette époque, ce dernier terme n'était pas encore utilisé). Le marxisme définit le marais comme une mouvance politique partagée entre les posi­tions de la classe ouvrière et celles de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie. De telles mouvances peuvent surgir comme une première étape dans un processus de prise de conscience de secteurs du prolétariat ou de rupture avec des positions bourgeoises. Elles peuvent également représenter des vestiges de courants qui, à un moment donné, ont exprimé un réel effort de prise de conscience de la classe mais qui se sont révélés incapables d'évoluer en fonction des nouvelles conditions de la lutte proléta­rienne et de l'expérience de cette dernière. Les mouvances du marais ne peuvent pas, en général, se maintenir de façon stable. Le tiraillement qui les affecte entre les posi­tions prolétariennes et celles d'autres classes les conduisent soit à rejoindre pleinement les positions révolutionnaires, soit à rejoin­dre les positions de la bourgeoisie, ou bien encore à se déchirer entre ces deux tendan­ces. Un tel processus de décantation est en général impulsé et accéléré par les grands événements auxquels se confronte la classe ouvrière (au 20e siècle, il s'agit essentielle­ment de la guerre impérialiste et de la révo­lution prolétarienne) et le sens général de cette décantation dépend grandement de l'évolution du rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat. Face à ces cou­rants, la Gauche dans le mouvement ouvrier a toujours eu comme attitude de ne pas les considérer comme perdus en bloc pour le combat prolétarien mais d'impulser en leur sein une clarification permettant à leurs éléments les plus sains de rejoindre pleine­ment ce combat tout en dénonçant avec la plus grande fermeté ceux qui prenaient le chemin de la classe ennemie.

17) Au sein de l'AIT il existait à côté du courant marxiste, qui constituait son avant-garde, des courants qu'on pourrait définir comme appartenant au marais. Tel était le cas, par exemple, de certains courants prou­dhoniens qui, dans la première partie du 19e siècle, avaient constitué une réelle avant-garde du prolétariat en France. Au moment du combat contre le corps parasitaire de l'Alliance, ces courants avaient cessé de constituer une telle avant-garde. Cependant, malgré toutes leurs confusions, ils avaient été capables de participer à ce combat pour la sauvegarde de l'Internationale, notamment au Congrès de La Haye. Envers eux, le cou­rant marxiste avait eu une tout autre attitude qu'envers l'Alliance. A aucun moment il n'avait été question de les exclure. Au con­traire, il importait de les associer au combat de l'AIT contre ses ennemis, non seulement du fait du poids qu'ils représentaient encore dans l'Internationale, mais aussi parce que ce combat constituait une expérience per­mettant à ces courants de se clarifier. Dans la pratique, ce combat a permis de vérifier qu'il existe une différence fondamentale entre le marais et le parasitisme : alors que le premier est traversé par une vie proléta­rienne qui lui permet, ou à ses meilleurs éléments, de rejoindre le courant révolution­naire, le second, dont la vocation profonde est de détruire l'organisation de classe ne peut, en aucune façon, évoluer en ce sens, même si certains des éléments qui ont pu être trompés par le parasitisme peuvent faire une telle démarche.

Aujourd'hui, il importe également de faire une telle différence entre les courants du marais[6] et les courants parasites. Autant les groupes du milieu prolétarien se doivent de tenter de faire évoluer les premiers vers des positions marxistes et de provoquer en leur sein une clarification politique, autant ils doivent faire montre de la plus grande sévérité envers le parasitisme, de dénoncer le rôle sordide qu'il joue au grand bénéfice de la bourgeoisie. Et cela est d'autant plus important que les courants du marais, du fait de leurs confusions (notamment de leurs réticences envers l'organisation, comme c'est le cas pour ceux qui se rattachent au con­seillisme), sont particulièrement vulnérables aux attaques du parasitisme.

18) Toutes les manifestations de la pénétra­tion d'idéologies étrangères au sein des or­ganisations prolétariennes font le jeu de la classe ennemie. Cela est particulièrement évident en ce qui concerne le parasitisme dont le but est la destruction de ces organi­sations (que ce soit de façon avouée ou non). Là-dessus, l'AIT a été particulièrement claire en affirmant que, même s'il n'était pas un agent de l’État capitaliste, Bakounine ser­vait ses intérêts bien mieux qu'un tel agent n'aurait pu le faire. Cela ne signifie pas pour autant que le parasitisme représente en soi un secteur de l'appareil politique de la classe dominante à l'image des courants bourgeois d'extrême gauche comme le trotskisme aujourd'hui. En fait, aux yeux de Marx et Engels, même les parasites les mieux con­nus de leur époque, Bakounine et Lassalle, n'étaient pas vus comme des représentants politiques de la classe bourgeoise. Cette analyse découle de la compréhension que le parasitisme ne constitue pas comme tel une fraction de la bourgeoisie, n'ayant ni pro­gramme ou orientation spécifique pour le capital national, ni une place particulière dans les organes étatiques pour contrôler la lutte de la classe ouvrière. Cela dit, compte tenu des services que le parasitisme rend à la classe capitaliste, il bénéficie d'une solli­citude toute particulière de la part de celle-ci. Cette sollicitude se manifeste principa­lement sous trois formes :

  • un soutien politique aux agissements du parasitisme ; ainsi, la presse bourgeoise européenne a pris fait et cause pour l'Alliance et Bakounine dans son conflit avec le Conseil général ;
  • l'infiltration et les manœuvres d'agents de l’État au sein des courants parasitaires ; c'est ainsi que la section de Lyon de l'Alliance est carrément dirigée par deux agents bonapartistes : Richard et Blanc.
  • la création directe par des secteurs de la bourgeoisie de courants politiques ayant vocation de parasiter l'organisation prolé­tarienne ; c'est ainsi que se crée « La Ligue pour la Paix et la Liberté » (dirigée par Vogt, agent bonapartiste) qui, aux di­res mêmes de Marx, «est fondée en opposition à l'Internationale» et qui tente, en 1868, de « s'allier » avec elle.

Il faut noter à ce propos que, bien que la plupart des courants parasitaires affichent un programme prolétarien, ce dernier n’est pas indispensable pour qu’une organisation puisse accomplir une fonction de parasi­tisme politique lequel ne se distingue pas par les positions qu’il défend mais par son attitude destructrice envers les véritables organisations de la classe ouvrière.

19) Dans la période actuelle, alors que les organisations prolétariennes n'ont pas la notoriété que pouvait avoir l'AIT en son temps, la propagande bourgeoise officielle ne se préoccupe pas dans l'ensemble d'appor­ter un soutien aux groupes et éléments pa­rasitaires (ce qui aurait, en outre, le dés­avantage de les discréditer aux yeux des éléments qui s'approchent des positions communistes). Il faut cependant noter que dans les campagnes bourgeoises spécifique­ment dirigées contre la Gauche communiste, celles touchant au « négationnisme », il est fait une place importante à des groupes comme l'ex Mouvement communiste, la Banquise, etc. présentés comme des repré­sentants de la Gauche communiste, alors qu'ils avaient une forte coloration parasi­taire.

En revanche, c'est bien un agent d'une offi­cine de l’État, Chénier[7], qui a joué le rôle moteur dans la formation en 1981 au sein du CCI d'une « tendance secrète » qui, après avoir provoqué la perte de la moitié de la section en Grande-Bretagne, a donné le jour à un des groupuscules parasitaires les plus typiques, le CBG.

Enfin, les tentatives de courants bourgeois de s'infiltrer dans le milieu prolétarien pour y assumer une fonction parasitaire sont tout à fait présentes avec l'action du groupe gau­chiste espagnol Hilo Rojo (qui a essayé pendant des années de s'attirer les bonnes grâces du milieu prolétarien avant que de lancer une attaque en règle contre lui) ou avec l'OCI (groupe gauchiste italien dont certains éléments sont passés par le bordi­guisme et qui aujourd'hui se présente comme le « véritable héritier » de ce courant).

20) La pénétration d'agents de l’État dans la mouvance parasitaire est évidemment facili­tée par la nature même de celle-ci dont la vocation fondamentale est de combattre les véritables organisations prolétariennes. En fait, c'est le recrutement même du parasi­tisme parmi les éléments qui rejettent la discipline d'une organisation de classe, qui n'ont que mépris pour son fonctionnement statutaire, qui se complaisent dans l'infor­malisme et les loyautés personnelles plutôt que s'attacher à la loyauté envers l'organisa­tion, qui ouvre largement les portes du mi­lieu parasitaire à cette infiltration. Ces por­tes sont également largement ouvertes aux auxiliaires involontaires de l’État capitaliste que sont les aventuriers, ces éléments dé­classés qui essaient de mettre le mouvement ouvrier au service de leurs ambitions, d'une notoriété et d'un pouvoir que leur refuse la société bourgeoise. Dans l'AIT, l'exemple de Bakounine est évidemment le plus connu. Marx et ses camarades n'ont jamais prétendu que celui-ci fut un agent direct de l’État. En revanche, ils ont été parfaitement capables non seulement d'identifier et de dénoncer les services qu'il rendait involontairement à la classe dominante, mais aussi la démarche et les origines de classe des aventuriers au sein des organisations prolétariennes et le rôle qu'ils jouaient comme dirigeants du parasi­tisme. Ainsi, à propos des agissements de l'Alliance secrète de Bakounine dans l'AIT, ils écrivaient que les « éléments déclassés » avaient été capables de « s'y infiltrer et d'y établir, dans son centre lui-même, des or­ganisations secrètes ». Cette même appro­che est reprise par Bebel à propos de Schweitzer, leader du courant lassalien (qui, en plus de son opportunisme, avait une composante parasitaire importante) : « Il a rejoint le mouvement dès qu'il a vu qu'il n'y avait pas d'avenir pour lui dans la bour­geoisie, que pour lui, que son mode de vie avait déclassé très tôt, le seul espoir était de jouer un rôle dans le mouvement ouvrier, auquel son ambition et ses capacités le prédestinaient. » (Bebel, Autobiographie).

21) Cela dit, même si les courants parasitai­res sont souvent dirigés par des aventuriers déclassés (quand ce n'est pas par des agents directs de l’État), ils ne recrutent pas uni­quement dans cette catégorie. On y trouve également des éléments qui peuvent au départ être animés par une volonté révolu­tionnaire et qui ne visent pas à détruire l’organisation mais qui :

  • imprégnés de l’idéologie petite-bour­geoise, impatiente, individualiste, affini­taire, élitiste ;
  • «°déçus°» par la classe ouvrière qui n’avance pas assez vite à leur gré ;
  • supportant mal la discipline organisation­nelle, frustrés de ne pas trouver dans l’activité militante les «°gratifications°» qu’ils attendaient ou de ne pas accéder à des « postes » auxquels ils aspiraient ;

en viennent à développer une hostilité fon­damentale contre l’organisation proléta­rienne, même si cette hostilité s’habille d’une prétention « militante ».

Dans l’AIT on a assisté à un tel phénomène de la part d’un certain nombre de membres du Conseil Général comme Eccarius, Jung et Hales.

Par ailleurs, le parasitisme est capable de recruter des éléments prolétariens sincères et militants mais qui, affectés de faiblesses petites-bourgeoises ou d’un manque d’expérience, se laissent entraîner, tromper, voire manipuler, par des éléments claire­ment anti-prolétariens. Dans l’AIT, c’est typiquement le cas de la plupart des ouvriers qui ont fait partie de l’Alliance en Espagne.

22) Pour ce qui concerne le CCI, la plupart des scissions ayant abouti à la formation de groupes parasitaires étaient très clairement constituées d’éléments animés par la démar­che petite bourgeoise décrite ci-dessus. L’impulsion donnée par des intellectuels en mal de « reconnaissance » et qui ont été frustrés de ne pas l’obtenir de la part de l’organisation, l’impatience face au fait qu’ils ne parvenaient pas à convaincre les autres militants de la « justesse » de leurs positions ou face à la lenteur du processus de développement de la lutte de classe, les susceptibilités heurtées par la critique de leurs positions ou de leur comportement, le refus d’une centralisation qu’ils vivaient comme du « stalinisme », ont été le moteur de la constitution des « tendances » ayant abouti à la formation de groupes parasites plus ou moins éphémères et aux désertions venant alimenter le parasitisme informel. Successivement, la « tendance » de 1979 qui allait aboutir à la formation du « Groupe Communiste Internationaliste », la tendance Chénier dont un des avatars fut le défunt Communist Bulletin Group, la « tendance » McIntosh-ML-JA (constitué en grande partie de membres de l’organe central du CCI) ayant donné vie à la FECCI (« Fraction Externe du CCI », devenue depuis Perspective Internationaliste) ont constitué des illustrations typiques de ce phénomène. Dans ces épisodes on a pu voir également que des éléments ayant des préoccupations prolétariennes indiscutables ont pu se laisser entraîner par fidélité personnelle envers les chefs de file de ces « tendances » qui n’en étaient pas vraiment mais des clans au sens où le CCI les a déjà définis. Le fait que tou­tes les scissions parasitaires de notre organi­sation soient apparues d’abord sous forme de clans internes n’est évidemment pas le fait du hasard. En réalité, il existe une très grande similitude entre les comportements organisationnels qui sont à la base de la formation des clans et celles dont se nourrit le parasitisme : individualisme, cadre statu­taire ressenti comme une contrainte, frustra­tions envers l’activité militante, loyauté à l’égard des personnes au détriment de la loyauté envers l’organisation, influence de « gourous » (personnages à la quête d’une emprise personnelle sur les autres mili­tants).

En fait, ce que représente déjà la formation des clans, la destruction du tissu organisa­tionnel, trouve dans le parasitisme son ex­pression ultime : la volonté de détruire les organisations prolétariennes elles-mêmes[8].

23) L’hétérogénéité qui est une marque du parasitisme, puisqu’il compte dans ses rangs à la fois des éléments relativement sincères et des éléments animés par la haine de l’organisation prolétarienne, voire des aven­turiers politiques ou des agents directs de l'État, en fait le terrain par excellence des politiques secrètes permettant aux éléments les plus hostiles aux préoccupations prolé­tariennes d’entraîner les premiers avec eux. La présence de ces éléments « sincères », notamment d’éléments ayant consacré de réels efforts à la construction de l’organisation, constitue pour le parasitisme une des conditions de son succès puisqu’il peut ainsi se dédouaner et accréditer son étiquette « prolétarienne » frauduleuse (tout comme le syndicalisme a besoin de militants « sincères et dévoués » pour tenir son rôle). En même temps, le parasitisme et ses élé­ments les plus en pointe ne peuvent établir leur contrôle sur une bonne partie de leurs troupes qu’en cachant, dissimulant leurs buts véritables. Ainsi, l’Alliance dans l’AIT comprenait plusieurs cercles autour du « citoyen B » de même que des statuts se­crets réservés aux « initiés ». « L'Alliance divise ses membres en deux castes, initiés et non-initiés, aristocrates et plébéiens, les seconds étant condamnés à être dirigés par les premiers via une organisation dont ils ignorent l'existence. » (Engels, Rapport sur l'Alliance). Aujourd’hui, le parasitisme agit de la même façon et il est rare que des grou­pes parasites, et particulièrement les aven­turiers ou les intellectuels frustrés qui les animent, affichent clairement leur pro­gramme. En ce sens, le Mouvement Communiste[9], qui dit clairement qu’il faut détruire le milieu de la Gauche com­muniste, est à la fois une caricature et le porte-parole le plus clair de la nature pro­fonde du parasitisme.

24) Les méthodes employées par la 1re Internationale et les Eisenachiens contre le parasitisme ont servi de modèle à celles qu'utilise le CCI aujourd'hui. Dans les do­cuments publics des congrès, dans la presse, dans les réunions ouvrières et même au parlement, les manœuvres du parasitisme ont été dénoncées. De façon répétée, il fut démontré que c'était les classes dominantes elles-mêmes qui se trouvaient derrière ces attaques et que leur but était la destruction du marxisme. Les travaux du congrès de La Haye ainsi que les célèbres discours de Bebel contre la politique secrète de Bismarck et Schweitzer révèlent la capacité du mouvement ouvrier à donner une expli­cation globale tout en dénonçant ces manœuvres d'une manière extrêmement concrète. Parmi les raisons les plus impor­tantes données par la 1re Internationale pour la publication des révélations sur les agis­sements de Bakounine, nous trouvons avant tout les suivantes :

  • les démasquer ouvertement constituait le seul moyen pour débarrasser le mouve­ment ouvrier de telles méthodes ; seule une prise de conscience de tous ses mem­bres de l'importance de ces questions pou­vait empêcher leur répétition dans le fu­tur ;
  • il était nécessaire de dénoncer publique­ment l'Alliance de Bakounine afin de dis­suader ceux qui utilisaient les mêmes mé­thodes ; Marx et Engels savaient bien que d'autres parasites menant une politique secrète dans et en dehors de l'organisation, tels que les adeptes de Pyatt, existaient toujours ;
  • seul un débat public pouvait briser le con­trôle de Bakounine sur beaucoup de ses victimes et les encourager à témoigner ; à cette fin, les méthodes de manipulation de Bakounine furent révélées en particulier par la publication du Catéchisme révolu­tionnaire ;
  • une dénonciation publique était indispen­sable pour empêcher l'Internationale d'être associée à de telles pratiques ; ainsi, la décision d'exclure Bakounine de l'Internationale fut prise après que soient arrivées des informations sur l'affaire Netchaïev et la prise de conscience du danger que celle-ci ne soit utilisée contre l'Association ;
  • les leçons de cette lutte avaient une im­portance historique, pas seulement pour l'Internationale mais pour l'avenir du mouvement ouvrier ; c'est dans cet esprit que des années après, Bebel a dédié près de 80 pages de son autobiographie à la lutte contre Lassalle et Schweitzer.

Enfin, au centre de cette politique se trou­vait la nécessité de démasquer les aventu­riers politiques, tels que Bakounine et Schweitzer.

On ne peut assez souligner que cette attitude a caractérisé toute la vie politique de Marx, comme on peut le voir dans sa dénonciation des acolytes de Lord Palmerston ou de Herr Vogt. Il comprenait parfaitement que mettre de telles affaires sous le tapis ne pouvait bénéficier qu'à la classe dominante.

25) C'est cette tradition du mouvement ou­vrier que poursuit le CCI avec ses articles sur sa propre lutte interne, ses polémiques contre le parasitisme, l'annonce publique de l'exclusion unanime d'un de ses membres par le 11e Congrès international, la publication d'articles sur la franc-maçonnerie, etc. En particulier, la démarche du CCI en défense des jurys d'honneur dans les cas d'éléments ayant perdu la confiance des organisations révolutionnaires, afin de défendre le milieu comme un tout, relève d'un esprit identique à celui du Congrès de La Haye, et des commissions d'enquête des partis ouvriers en Russie qui se sont tenues envers des gens soupçonnés d'être des agents provocateurs.

La tempête de protestations et d'accusations relayée par la presse bourgeoise à la publi­cation des principaux résultats de l'enquête sur l'Alliance révèlent que c'est cette mé­thode rigoureuse de dénonciation publique qui indispose la bourgeoisie plus que toute autre chose. De même, la façon dont la di­rection opportuniste de la 2e Internationale a systématiquement ignoré, dans les années avant 1914, le fameux chapitre « Marx con­tre Bakounine » dans l'histoire du mouve­ment ouvrier montre la même peur de la part de tous les défenseurs des conceptions or­ganisationnelles petites-bourgeoises.

26) Envers l'infanterie petite-bourgeoise du parasitisme, la politique du mouvement ou­vrier a été de la faire disparaître de la scène politique. Ici, la dénonciation de l'absurdité des positions et des activités politiques des parasites joue un rôle important. Ainsi, Engels dans son célèbre article Les ba­kouninistes à l’œuvre (au cours de la guerre civile en Espagne) a soutenu et complété les révélations sur le comportement organisa­tionnel de l'Alliance.

Aujourd'hui, le CCI adopte la même politi­que en combattant l'existence d'adeptes de différents centres organisés et « inorganisés » du réseau parasitaire.

En ce qui concerne les éléments plus ou moins prolétariens qui se laissent tromper par le parasitisme, la politique du marxisme a toujours été très différente. Sa politique a consisté à enfoncer un coin entre ces élé­ments et la direction parasitaire orientée ou encouragée par la bourgeoisie, en montrant que les premiers sont les victimes des der­niers. Le but de cette politique est toujours d'isoler la direction parasitaire en éloignant ses victimes de sa zone d'influence. Envers ces « victimes », le marxisme a toujours dénoncé leur attitude et leurs activités tout en luttant en même temps pour raviver leur confiance dans l'organisation et le milieu prolétarien. Le travail de Lafargue et Engels envers la section espagnole de la Première Internationale en est une parfaite concréti­sation.

Le CCI poursuit aussi cette tradition en or­ganisant des confrontations avec le parasi­tisme afin de regagner des éléments trom­pés. La dénonciation par Bebel et Liebknecht de Schweitzer comme agent de Bismarck, face à un meeting de masse du parti lassallien à Wuppertal est un exemple bien connu de cette attitude.

27) Dans le mouvement ouvrier, la tradition de lutte contre le parasitisme s'est considé­rablement perdue depuis les grands combats au sein de l’AIT du fait :

  • que celui-ci n’a pas représenté un danger majeur pour les organisations prolétarien­nes après l’AIT ;
  • de la longueur et de la profondeur de la contre-révolution.

Cela constitue un élément de faiblesse très important du milieu politique prolétarien face à l’offensive du parasitisme. Ce danger est d’autant plus grave que la pression idéologique de la décomposition du capita­lisme, pression qui, comme le CCI l’a mis en évidence, facilite la pénétration de l’idéologie petite-bourgeoise avec ses carac­téristiques les plus extrêmes[10], crée en permanence un terrain propice au dévelop­pement du parasitisme. C’est donc une res­ponsabilité extrêmement importante qui in­combe au milieu prolétarien que d’engager un combat déterminé contre ce fléau. D’une certaine façon, la capacité des courants révolutionnaires à identifier et à combattre le parasitisme sera un indice de leur capaci­té à combattre les autres menaces qui pèsent sur les organisations du prolétariat, et parti­culièrement la menace la plus permanente, celle de l’opportunisme.

En fait, dans la mesure où l’opportunisme et le parasitisme proviennent tous les deux de la même source (la pénétration de l’idéologie petite bourgeoise) et représentent une attaque contre les principes de l’organisation prolétarienne (les principes programmatiques pour le premier, les prin­cipes organisationnels pour le second), c’est tout naturellement qu’ils se tolèrent mutuel­lement et convergent. Ainsi, ce n’est nulle­ment un paradoxe si dans l’AIT on a retrou­vé côte à côte les bakouniniens « anti-étatis­tes » et les lassaliens « étatistes » (qui repré­sentaient une variante de l’opportunisme). Une des conséquences de cela consiste dans le fait que c'est aux courants de Gauche des organisations prolétariennes qu'il revient de mener l'essentiel du combat contre le para­sitisme. Dans l'AIT, c'est directement Marx et Engels et leur tendance qui assument le combat contre l'Alliance. Ce n'est nullement par hasard si les principaux documents rédi­gés au cours de ce combat portent leur signa­ture (la circulaire du 5 mars 1872, Les prétendues scissions dans l'Internationale, est rédigée par Marx et Engels ; le rapport de 1873 sur « L'Alliance de la Démocratie socialiste et l'Association internationale des travailleurs » est le travail de Marx, Engels, Lafargue et Outine).

Ce qui était valable au moment de l’AIT le reste aujourd’hui. La lutte contre le parasi­tisme constitue une des responsabilités es­sentielles de la Gauche communiste. Elle se rattache étroitement à la tradition de ses combats acharnés contre l’opportunisme. Elle est, à l’heure actuelle, une des compo­santes fondamentales pour la préparation du parti de demain et conditionne en partie, de ce fait, tant le moment où celui-ci pourra surgir que sa capacité à jouer son rôle lors des luttes décisives du prolétariat.


[1] Il est évidemment nécessaire de distinguer les deux sens qu'on peut attribuer au terme «°aventurisme°». D'un part, il existe l'aventurisme de certains éléments déclassés, les aventuriers politiques, qui ne pouvant jouer un rôle au sein de la classe dominante et ayant compris que le prolétariat est appelé à occuper une place de premier plan dans la vie de la société et dans l'histoire, essayent de gagner auprès de ce dernier, ou de ses organisations, une reconnaissance qui leur permettra de jouer ce rôle personnel que leur refuse la bourgeoisie. En se tournant vers la lutte de la classe ouvrière, ces éléments n'ont pas comme objectif de se mettre à son service mais de la mettre au service de leurs ambitions. Ils cherchent la notoriété en « allant au prolétariat » comme d'autres la recherchent en parcourant le monde. D'autre part, l'aventurisme désigne également l'attitude politique consistant à se lancer dans des actions inconsidérées alors que les conditions minimales de leur succès, une maturité suffisante de la classe, n'existent pas. Une telle attitude, si elle peut être aussi le fait d'aventuriers politiques à la recherche d'émotions fortes, peut parfaitement être adoptée par des ouvriers et des militants totalement sincères, dévoués et désintéressés mais qui manquent de jugement politique ou sont tenaillés par l'impatience.

[2] Marx et Engels ne furent pas les seuls à identifier et à caractériser le parasitisme politique. Ainsi, à la fin du 19e siècle, un grand théoricien marxiste comme Antonio Labriola reprenait la même analyse du parasitisme : « Dans ce premier type de nos partis actuels [il s'agit de la Ligue des Communistes], dans cette cellule première, pour ainsi dire, de notre organisme complexe, élastique et très développé, il y avait non seulement la conscience de la mission à accomplir comme précurseur, mais il y avait aussi la forme et la méthode d'association qui conviennent seules aux premiers initiateurs de la révolution prolétarienne. Ce n'était plus une secte ; cette forme était déjà en fait dépassée. La domination immédiate et fantastique de l'individu était éliminée. Ce qui prédominait, c'était une discipline qui avait sa source dans l'expérience de la nécessité, et dans la doctrine qui doit être précisément la conscience réflexe de cette nécessité. Il en fut de même de l'Internationale, qui ne parut autoritaire qu'à ceux qui ne purent y faire valoir leur propre autorité. Il doit en être de même et il en sera ainsi dans tous les partis ouvriers : et là où ce caractère n'est pas ou ne peut pas être encore marqué, l'agitation prolétarienne, encore élémentaire et confuse, engendre seulement des illusions et n'est qu'un prétexte à intrigues. Et quand il n'en est pas ainsi, alors c'est un cénacle, où l'illuminé coudoie le fou et l'espion ; ce sera encore la Société des Frères Internationaux qui s'attacha comme un parasite à l'Internationale et la discrédita ; (...) ou enfin un groupement de mécontents pour la plupart déclassés et petits bourgeois qui se livrent à des spéculations sur le socialisme comme sur une quelconque des phrases de la mode politique. » (Essai sur la conception matérialiste de l'histoire)

[3] Ce phénomène est évidemment renforcé par le poids du conseillisme qui constitue, comme le CCI l'a mis en évidence, un des prix que paie et paiera le mouvement ouvrier renaissant à l'emprise du stalinisme durant toute la période de contre-révolution.

[4] C'est pour cette raison, d'ailleurs, qu'à ce congrès les amis de Bakounine avaient appuyé la décision de renforcer très sensiblement les pouvoirs du Conseil Général alors que, par la suite, ils vont exiger que celui-ci ne dépasse pas le rôle d'une « boîte aux lettres ».

[5] L'histoire du mouvement ouvrier est riche de ces longs combats menés par la Gauche. Parmi les plus importants on peut citer :

- Rosa Luxemburg contre le révisionnisme de Berstein à la fin du 19e siècle ;

- Lénine contre les mencheviks à partir de 1903 ;

- Rosa Luxemburg et Pannekoek contre Kautsky sur la question de la grève de masse (1908-1911) ;

- Rosa et Lénine pour la défense de l'internationalisme (congrès de Stuttgart en 1907, Bâle en 1912) ;

- Pannekoek, Gorter, Bordiga et l'ensemble des militants de la Gauche de l'Internationale Communiste (sans oublier Trotsky dans une certaine mesure) lors de la dégénérescence de celle-ci.

[6] A notre époque, le marais peut être représenté notamment par des variantes du courant conseilliste (comme celles qu'avait fait surgir la reprise historique de la fin des années 1960 et qui réapparaîtront probablement lors des futurs combats de la classe), par des vestiges du passé comme les De Leonistes présents dans l'aire anglo-saxonne, ou par des éléments en rupture avec les organisations gauchistes.

[7] Il n'existe pas de preuve établissant que Chénier fut un agent des services de sécurité de l'État. En revanche, sa rapide carrière, tout de suite après son exclusion du CCI, au sein de l'administration d'Etat et surtout au sein de l'appareil du Parti socialiste (qui à cette époque dirigeait le gouvernement) démontre qu'il devait déjà travailler pour cet appareil de la bourgeoisie lorsqu'il se présentait encore comme un « révolutionnaire ».

[8] Aux analyses et préoccupations du CCI concernant le parasitisme, il est souvent opposé que ce phénomène ne concerne que notre organisation, soit en tant que cible soit comme « pourvoyeur » de la mouvance parasitaire à travers ses scissions. C'est vrai que le CCI est aujourd'hui la principale cible du parasitisme ce qui s'explique assez bien dans la mesure où il constitue l'organisation la plus importante et étendue du milieu prolétarien. De ce fait, c'est elle qui suscite le plus de haine de la part des ennemis de ce milieu lesquels ne perdent pas une occasion de tenter de susciter à son égard l'hostilité des autres organisations prolétariennes. Une autre cause de ce « privilège » dont bénéficie le CCI de la part du parasitisme réside dans le fait que notre organisation est justement celle d'où est sorti le plus grand nombre de scissions ayant abouti à des groupes parasites. A ce phénomène on peut apporter plusieurs explications.

En premier lieu, parmi les organisations du milieu politique prolétarien qui se sont maintenues durant les trente années qui nous séparent de 1968, le CCI est la seule qui soit nouvelle alors que toutes les autres existaient déjà à cette date. Partant, il y avait au départ dans notre organisation un poids plus fort de l'esprit de cercle qui est le terreau pour les clans et le parasitisme. Par ailleurs il y avait eu dans les autres organisations, avant même la reprise historique de la classe, une « sélection naturelle » éliminant les éléments aventuriers et semi-aventuriers ainsi que les intellectuels à la recherche d'un public lesquels n'avaient pas eu la patience de mener un travail obscur dans de petites organisations à un moment où elles avaient un impact négligeable dans la classe du fait de la contre-révolution. Au moment de la reprise prolétarienne, les éléments de ce type avaient jugé qu'ils pourraient plus facilement « prendre des places » dans une organisation nouvelle, en voie de constitution, que dans une organisation ancienne où « les places étaient prises ».

En second lieu, il existe généralement une différence fondamentale entre les scissions (également nombreuses) ayant affecté le courant bordiguiste (qui était le plus développé internationalement jusqu'à la fin des années 1970) et les scissions ayant affecté le CCI. Dans les organisations bordiguistes, qui se réclament officiellement du monolithisme, les scissions sont essentiellement la conséquence de l'impossibilité de développer en leur sein des désaccords politiques ce qui signifie que celles-ci n'ont pas nécessairement une dynamique parasitaire. En revanche, les scissions qui sont intervenues dans le CCI n'étaient pas le résultat du monolithisme ou du sectarisme puisque notre organisation a toujours permis, et encouragé, les débats et les confrontations en son sein : les désertions collectives faisaient suite forcément à une impatience, à des frustrations individualistes, à une démarche clanique et portaient donc avec elles un esprit et une dynamique parasitaires.

Cela-dit, il importe de souligner que le CCI est loin d'être la seule cible du parasitisme. Par exemple, les dénigrements de Hilo Rojo, ainsi que ceux de Mouvement Communiste, concernent l'ensemble de la Gauche communiste. De même, la cible privilégiée de l'OCI est le courant bordiguiste. Enfin, même lorsque des groupes parasites concentrent leurs attaques contre le CCI en épargnant, et même en flattant, les autres groupes du milieu politique prolétarien (comme c'était le cas du CBG ou comme le fait systématiquement Échanges et Mouvement), c'est en général avec l'objectif d'accroître les divisions et la dispersion entre ces groupes, faiblesses que le CCI a toujours été le premier à combattre.

[9] Groupe animé par d'ex-membres du CCI ayant appartenu au GCI et d'anciens transfuges du gauchisme, et qu'il ne faut pas confondre avec le Mouvement Communiste des années 1970 qui avait été un des apôtres du modernisme.

[10] « Au départ, la décomposition idéologique affecte évidemment en premier lieu la classe capitaliste elle-même et, par contrecoup, les couches petites-bourgeoises qui n'ont aucun autonomie propre. On peut même dire que celles-ci s'identifient particulièrement bien avec cette décomposition dans la mesure où leur situation spécifique, l'absence de tout avenir, se calque sur la cause majeure de la décomposition idéologique : l'absence de toute perspective immédiate pour l'ensemble de la société. Seul le prolétariat porte en lui une perspective pour l'humanité et, en ce sens, c'est dans ses rangs qu'il existe les plus grandes capacités de résistance à cette décomposition. Cependant, lui-même n'est pas épargné, notamment du fait que la petite-bourgeoisie qu'il côtoie en est justement le principal véhicule. Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique :

- l'action collective, la solidarité, trouvent en face d'elles l'atomisation, le "chacun pour soi", la "débrouille individuelle" ;

- le besoin d'organisation se confronte à la décomposition sociale, à la destruction des rapports qui fondent toute vie en société ;

- la confiance dans l'avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le "no future" ;

- la conscience, la lucidité, la cohérence et l'unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérise notre époque. »

(Revue Internationale n° 62, « La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme », point 13)

On voit que la mesquinerie, la fausse solidarité des clans, la haine de l'organisation, la méfiance, la calomnie qui sont des attitudes et des comportements dans lesquels se complaît le parasitisme trouvent dans la décomposition sociale d'aujourd'hui un aliment de choix. Le proverbe dit que les plus belles fleurs poussent sur le fumier. La science nous enseigne que beaucoup d'organismes parasites s'en repaissent également. Et le parasitisme politique, dans son domaine, respecte les lois de la biologie, lui qui fait son miel de la putréfaction de la société.

Courants politiques: 

  • Aventurisme, parasitisme politiques [94]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [95]

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