Fin 2003, Chirac nous a annoncé que 2004 serait "l'année de la lutte contre le chômage", le tout sur fond de campagne prévoyant la reprise économique dans la plupart des pays développés. Faut-il croire que le gouvernement va s'atteler à la tâche d'améliorer le sort des ouvriers au chômage ou de réduire les licenciements ? Loin s'en faut ! 2004 sera en réalité l'année d'une nouvelle série d'attaques contre les chômeurs et d'une nouvelle aggravation des conditions de vie de la classe ouvrière.
Toutes les mesures qui se dessinent vont clairement dans ce sens : pression
accrue sur les salaires avec l'augmentation de la CSG censée
réduire le trou de la sécurité sociale, plan de
démantèlement du système de protection sociale,
licenciements dans le secteur privé, suppressions d'emploi dans
le secteur public, etc. D'un côté, les "actifs"
sont pressurés au nom de la "solidarité", de
l'autre, ce sont ceux qui ne servent plus au système capitaliste,
les chômeurs, qui sont purement et simplement rejetés.
A défaut de les faire disparaître physiquement, la bourgeoisie
les élimine des comptes du chômage et trouve toutes les
raisons pour diminuer puis supprimer leurs maigres allocations.
Les mesures prises durant l'année 2003 et les résultats
auxquels est parvenu l'Etat français dans la "gestion du
chômage" sont significatifs de ce qui attend les chômeurs
pour 2004.
Ainsi, depuis le 1er janvier, plus de 250 000 chômeurs ne touchent
plus l'indemnité que leur versaient les Assedic, suite à
l'accord passé le 20 décembre entre le Medef, la CFDT,
la CGC et la CFTC réduisant de 30 à 23 mois la durée
d'indemnisation-chômage. Dès lors, un tiers d'entre eux
n'aura plus aucun revenu. 40 000 devront se contenter temporairement
de l'ASS, Allocation Spécifique de Solidarité, puisque
cette dernière a été aussi réformée
dans le sens d'une limitation de la durée d'indemnisation (deux
ans maximum). Enfin, le dernier tiers touchera un RMI remanié
dans le même esprit avec l'introduction du RMA (Revenu Minimum
d'Activité). Le revenu minimum étant maintenant conditionné
par la réinsertion professionnelle.
Alors que le gouvernement ne cesse de vanter les mesures prises en faveur
de l'emploi des jeunes comme la mise en place de 125 500 "contrats
jeunes en entreprise", le chômage de cette catégorie
d'ouvriers a augmenté de 7,2% entre novembre 2002 et novembre
2003. Signe des temps, alors qu'on nous parlait de reprise à
tout va dès l'automne 2003, l'ANPE parlait de "fin de l'embellie"
pour les cadres commerciaux et technico-commerciaux dont le chômage
a augmenté de 23% et celui des informaticiens de 66% pour l'ensemble
de l'année passée.
Pour ce qui concerne le chômage dit de longue durée, où
les ouvriers de plus de 50 ans sont les plus nombreux, le nombre de
ceux ayant plus de deux ou trois ans d'incription a augmenté
de 14%. Ce qui signifie en clair leur disparition rapide des statistiques
du chômage, celles-ci ne comptabilisant que les demandeurs d'emploi
touchant encore les indemnités.
Grâce aux tripatouillages en tous genres poursuivis par tous les
gouvernements, de gauche et de droite, depuis plus de vingt ans, le
chômage n'excède pas aujourd'hui officiellement le chiffre
de 2,5 millions. En fait, si l'on compte les dispensés de recherche
d'emploi et les rayés des listes de l'ANPE, ce sont au moins
4 millions qu'il faudrait recenser aujourd'hui, sans compter tous ces
"pauvres" vivotant tant bien que mal d'expédients et
de petits boulots.
Cette situation de chômage endémique et massif que connaît
la classe ouvrière n'est pas une exception française.
En Allemagne, l'ancienne locomotive de l'Europe, plus de 4 millions
de chômeurs étaient recensés fin 2003. La bourgeoisie
estime d'ailleurs qu'avec les centaines de milliers d'ouvriers en "formation",
autre moyen de masquer le chômage, le sous-emploi se monte à
7 millions, c'est-à-dire à 16% de la population active.
Et si dans des pays comme les Etats-Unis, avec moins de 6% de chômeurs
ou encore la Grande-Bretagne qui, après le bond des années
1980, n'en comptent "que" 3%, ce n'est nullement grâce
à un soi-disant retour au "plein emploi". C'est le
résultat de la généralisation tous azimuts du travail
à temps partiel et du travail précaire, imposés
par l'Etat comme seule condition à la survie des prolétaires.
Ainsi, c'est tout le prolétariat mondial qui est frappé
par le chômage avec une brutalité et une durée sans
précédent dans l'histoire du capitalisme.
A cette question obsédante que se posent les prolétaires
de savoir comment échapper à la menace grandissante du
chômage, la bourgeoisie répond en appelant à lui
faire confiance. Elle prétend que si tout le monde se serre la
ceinture, cela ira mieux demain. Il faudrait donc accepter les sacrifices
et courber l'échine, être solidaire des gouvernements.
Voilà plus de trente ans que l'on nous sert le même mensonge
régulièrement. Les différents gouvernements se
sont appliqués à nous faire croire que les ouvriers eux-mêmes
étaient responsables de leur propre malheur. Ainsi Fillon s'insurgeait
récemment du fait "inacceptable" que 300 000 emplois
n'étaient pas pourvus et se proposait de prendre des mesures
pour "convaincre les chômeurs d'accepter les postes proposés"
! La menace n'est même pas voilée et les effets d'annonce
sur la redémarrage de l'économie viennent d'ailleurs à
point nommé pour mieux la justifier.
La vérité n'est pas que les chômeurs seraient des
profiteurs et qu'il y aurait une solution au problème du chômage.
La vérité c'est que la crise économique du système
capitaliste n'a pas d'issue et que le chômage ne peut aller qu'en
s'aggravant... La crise ouverte en 1968 a vu le chômage enfler
régulièrement jusqu'à devenir massif et chronique
au début des années 1980. Désormais, les capitaux
nationaux ne peuvent survivre qu'en rejetant un nombre toujours plus
grand de prolétaires dans le chômage. De récessions
en récessions successives, les chômeurs se sont accumulés
comme jamais. Alors que la surproduction a explosé, que les Etats
croulent sous les dettes, la perspective de résorber le chômage
est un odieux mensonge. Les sacrifices d'aujourd'hui ne font ainsi que
préparer ceux de demain. L'Etat et les patrons licencient, suppriment
des emplois, réduisent les salaires parce que la bourgeoisie
française, comme celle de tous les pays, est contrainte de rationaliser
la production, d'éliminer les secteurs non compétitifs,
face à l'aggravation de la concurrence internationale.
Cette situation n'a rien de cyclique ou de conjoncturelle. Le chômage
est une illustration frappante de la faillite du capitalisme. Il témoigne
de la nécessité de renverser ce système moribond
et de mettre fin à la misère qu'il impose par la révolution
communiste mondiale.
Ces dernières
semaines, l'actualité au niveau international et en France a
été marquée par une accumulation de "faits
divers" que les médias présentent comme des catastrophes
naturelles, comme le produit de la fatalité. Tremblement de terre
en Iran, crash aérien en Egypte, accident industriel en Chine,
épidémie de légionellose en France et l'on pourrait
continuer la liste. Au moment même ou nous terminons cet article,
des accidents mortels viennent d'avoir lieu dans l'industrie du gaz
en Algérie et dans la pétrochimie en Indonésie.
Pour le marxisme, ces catastrophes, accidents, épidémies
à répétition, illustrent le degré de décomposition
du capitalisme et notamment son incapacité chronique à
prévenir de telles tragédies, voire sa tendance à
les susciter, alors qu'il a accumulé les sciences et technologies
nécessaires, sinon pour les éradiquer, du moins pour en
limiter les effets les plus destructeurs. Le tableau apocalyptique de
ces récents "faits divers" est une nouvelle illustration
de ce que le CCI a régulièrement mis en évidence
dans les colonnes de sa presse: le capitalisme en pleine décomposition
est une véritable catastrophe et un fléau mortel pour
l'humanité.
Fin décembre, c'est une immense tragédie humaine qui
s'est déroulée en Iran. Un séisme a détruit
en quelques secondes la ville de Bam et ses villages environnants, faisant
plus de 40.000 morts, 35.000 blessés et des dizaines de milliers
de sans-abri. Une fois encore, ce sont les couches les plus pauvres
de la population qui ont tout perdu dans cette tragédie. Le tremblement
de terre autour de la ville de Bam vient s'ajouter à une liste
déjà longue de séismes qui, rien qu'en Iran, sur
les trente dernières années, ont fait plus de 150.000
morts.
Certes, on ne peut reprocher au capitalisme d'être à l'origine
d'un tremblement de terre. En revanche, on peut mettre à son
passif le fait qu'un séisme qui ne fut pourtant pas parmi les
plus violents de ces dernières années, se transforme en
une immense catastrophe sociale. Alors que des progrès considérables
sont réalisés en sismologie au niveau mondial et que l'Iran
possède des compétences et de l'expérience dans
ce domaine, l'incurie de la classe politique est notoire ! Comme le
souligne un architecte iranien, "ce qui fait défaut, c'est
une volonté politique sans faille, un contrôle public systématique
et strict de l'application des normes, des moyens à la hauteur
du problème" (L'Humanité du 3 janvier). On est passé
de 30 millions d'habitants à dominante rurale à plus de
70 millions d'habitants majoritairement urbains, ce qui conduit en Iran
à une hypertrophie accélérée de beaucoup
de villes. "Dans ce contexte, les responsabilités en chaînes
sont nombreuses : inconscience ou impuissance des plus démunis
obligés d'auto construire leurs logements avec des moyens rudimentaires,
l'appétit vorace des promoteurs, des plus petits aux plus grands,
la gabegie et la corruption à certains niveaux, la pure négligence
criminelle à d'autres" (ibid., L'Humanité). A ces
multiples négligences criminelles, il faut ajouter que la ville
de Bam était en plus construite pour la plupart de ses habitations
en pisé ( mélange de terre argileuse et de paille) ou
en briques crues et lorsque de telles maisons s'effondrent, cela s'apparente
au déversement sur ses occupants d'un camion de gravats, laissant
à priori peu d'espoirs de retrouver des rescapés sous
les ruines.
Comme en Turquie il y a quelques années, l'Etat iranien a démontré
qu'il n'avait tiré aucune leçon des précédents
séismes qui ont secoué la région, laissant construire
de manière anarchique et n'imposant pas le respect de normes
de construction antisismique. Cette incurie des pouvoirs publics et
religieux, leur mépris pour la population, s'est traduit par
le fait que le séisme a eu lieu à 4h30 du matin et les
premiers secours ne sont arrivés qu'en fin de journée
vers 17h. Alors que l'ensemble des habitants des grandes métropoles
iraniennes se sont mobilisés, notamment à Téhéran
pour apporter leur solidarité sous la forme de vêtements,
nourriture, tentes pour les survivants, les autorités étaient
incapables de les acheminer vers la zone sinistrée. Pire encore
! Face à cet élan de solidarité humaine de la population,
la bourgeoisie iranienne n'a rien trouvé de mieux à faire
que d'utiliser cette tragédie pour ses mesquins intérêts
électoraux. Dés les premières heures du séisme,
alors que des élections législatives sont prévues
en février, on a vu les deux clans politiques rivaux, les réformateurs
de Mohamed Khatami et les conservateurs religieux de Ali Khamenei se
précipiter vers le lieu de la catastrophe en hélicoptère,
alors que les secours n'avaient pas les moyens d'acheminer de l'aide,
ni la capacité d'évacuer les blessés. Tels les
charognards, c'est sur les décombres et au milieu des cadavres
qu'ils ont rivalisé de rapidité pour annoncer aux sinistrés
que leur ville et leur citadelle seraient reconstruites, alors que ces
crapules sont responsables du carnage, car même les bâtiments
récemment construits, notamment les hôpitaux et les écoles,
se sont effondrés du fait du non-respect des normes antisismiques.
Au même moment où la ville de Bam était dévastée par le séisme, une explosion de gaz dans le sud-ouest de la Chine, faisait 191 morts dont la moitié sont des enfants, des centaines de blessés et plus de 3000 personnes intoxiquées à des degrés divers. Cet accident n'a rien de fatal. Il est le résultat immédiat d'une course effrénée au profit capitaliste, au mépris des conditions élémentaires de sécurité sur les lieux de production. Pour la seule année 2003, "13 283 personnes ont été tuées sur des chantiers, dans des usines ou des mines en Chine, soit une hausse de 9,6% par rapport à 2002" (Le Monde du 27 décembre 2003). A chaque fois pour cacher sa responsabilité, pour préserver sa domination de classe, la bourgeoisie met en exergue à coup de campagnes médiatiques que c'est la faute d'un tel ou tel. C'est le mensonge qu'elle nous raconte depuis la fin décembre, à propos du crash d'un Boeing au large de Cotonou faisant plus d'une centaine de morts et disparus et pour le Boeing 737 qui s'est écrasé à Charm El-Cheikh en Egypte faisant 148 morts dont la plupart était des ressortissants français. Dans les deux cas, elle a accusé sans vergogne les compagnies libanaises et égyptiennes qui avaient affrété ces avions et s'il est vrai que ces appareils ne remplissaient pas toutes les conditions de sécurité, c'est le prix à payer aujourd'hui dans le capitalisme pour obtenir des voyages à des tarifs préférentiels, les fameux charters. Mais contrairement à ce que raconte le ministre des transports français, cela n'est pas une spécificité des compagnies "exotiques", ni des compagnies spécialisées dans le dumping aérien. Il suffit de rappeler le crash du concorde d'Air France en juillet 2000 à Roissy avec ses 113 victimes ou la collision entre un Tupolev et un avion cargo au-dessus du lac de Constance en Suisse (71 morts), dont l'enquête a conclu à une défaillance du contrôle aérien suisse ou bien encore les déboires juridiques des familles des victimes de l'Airbus A-320 qui a fait 87 morts sur le Mont Sainte Odile en Alsace il y a 10 ans, alors que l'on sait pertinemment qu'il y a eu des négligences techniques sur cet avion. Ces accidents, qui ne peuvent que se multiplier, sont la conséquence de la guerre commerciale à outrance que se livrent les compagnies aériennes pour garder leurs parts de marché. De fait, cela les oblige à réduire les dépenses qui concernent la sécurité et l'entretien des infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de ce moyen de transport. Mais le transport aérien n'est pas une exception, il suffit de voir les accidents de train à répétition, de métro ou de bateaux ( les marées noires de l'Erika ou du Prestige) ces dernières années aussi bien dans les pays du tiers monde qu'en Europe. A toutes ces horreurs, s'ajoute l'apparition d'épidémies mortelles qui sont une autre manifestation de la faillite du capitalisme. Alors que l'épidémie de "SRAS" n'est toujours pas maîtrisée en Asie ( cf. RI n°336, juin 2003) une épidémie de légionellose sans précédent se développe en France, dans le Pas-de-Calais, avec 76 personnes touchées dont 10 décès. Ce sont les tours aéroréfrigérantes de l'usine Noroxo qui sont en cause, nous dit-on. En fait, comme le révèle un spécialiste, le nombre annuel de cas en France est passé de moins de 50 à plus d'un millier et c'est à chaque fois la négligence de telle ou telle usine dans l'entretien des infrastructures de refroidissement qui est en cause. Ces négligences récurrentes font que les hôpitaux censés soigner la population sont devenus des lieux d'épidémies et d'infections. 800.000 personnes sont touchées chaque année par des infections nosocomiales et 4000 meurent de leurs suites.
Face à de telles tragédies, les révolutionnaires
se doivent de dénoncer le cynisme crapuleux de la classe dominante
et réaffirmer leur solidarité de classe avec les victimes
de ces catastrophes, et particulièrement envers les prolétaires
en Iran, frappés par le séisme de Bam. A ce que la bourgeoisie
présente comme une énième catastrophe naturelle,
la fatalité ou le fait qu'il ne puisse exister de "risque
zéro", le marxisme oppose une analyse beaucoup plus pertinente.
"A mesure que le capitalisme se développe puis pourrit sur
pied, il prostitue de plus en plus cette technique qui pourrait être
libératrice à ses besoins d'exploitation, de domination
et de pillage impérialiste, au point d'en arriver à lui
transmettre sa propre pourriture et à la retourner contre l'espèce
(…) Le capitalisme n'est pas innocent non plus des catastrophes
dites "naturelles". Sans ignorer l'existence de forces de
la nature qui échappent à l'action humaine, le marxisme
montre que bien des catastrophes ont été indirectement
provoquées ou aggravées par des causes sociales(…)Non
seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces
catastrophes par sa soif de profit et par l'influence prédominante
de l'affairisme sur la machine administrative(…) mais elle se révèle
incapable d'organiser une protection efficace dans la mesure où
la prévention n'est pas une activité rentable". (Espèce
humaine et croûte terrestre d'A. Bordiga (Ed. PBP), préface).
Encore une fois, ce n'est pas la nature, la malchance ou la volonté
d'une quelconque "divinité religieuse" qui est responsable
de telles tragédies. Le propre même du système capitaliste,
c'est de donner des explications partielles ou circonstancielles pour
éviter que le prolétariat ne prenne conscience que c'est
la logique même du capitalisme qui est porteuse de tant d'horreurs
et de tragédies humaines. Le responsable de cette barbarie, c'est
le capitalisme, ses règles, ses lois et sa classe dominante,
tout juste capable de comptabiliser les morts et de dénaturer
ce que représente la réelle solidarité humaine.
Voilà le monde barbare et inique que le capitalisme nous impose
aujourd'hui. Ce nouveau cortège de catastrophes dévoile
une nouvelle fois le degré de putréfaction atteint par
ce système et celui-ci ne laisse d'autre alternative aux exploités
que de le détruire avant qu'il ne détruise l'humanité.
Face à la tragédie de Bam, l'Etat iranien a lancé un appel au niveau international et c'est au nom de la soi-disant solidarité humaine que les grandes puissances de ce monde ont envoyé des équipes de secouristes.
Comme le soulignent plusieurs membres des ONG (organisations non gouvernementales), on a assisté à une véritable ruée des secours internationaux dont les équipes ont joué des coudes pour s'imposer sur le terrain. Leur manque de coordination est venu ajouter un peu plus de pagaille aux secours locaux. On a vu ainsi lors des journaux télévisés, la France, la Russie, l'Angleterre faire une publicité indécente pour leurs équipes de secouristes et leurs chiens renifleurs. Cette tragédie a même été l'occasion de grandes retrouvailles entre les Etats-Unis et l'Iran. Quoi qu'en disent les médias, l'envoi de secouristes américains est le prétexte "humanitaire" qui sert cyniquement de masque à la bourgeoisie américaine, comme aux autres puissances, pour travestir leurs visées impérialistes. Effectivement les discours des Etats-Unis sur l'aspect strictement humanitaire de leur aide est un pur mensonge. Le tremblement de terre est une aubaine pour les autorités américaines qui ont tout intérêt à se rapprocher de l'Iran qui a une grande influence sur la communauté chiite d'Irak (qui pose des difficultés aux Américains). Quant aux Iraniens, ils espèrent que les Etats-Unis vont mettre au pas leur ennemi héréditaire, l'opposition armée des moudjahidin. Non seulement le séisme est utilisé comme couverture des appétits et stratégies diplomatiques des grandes puissances, mais le show médiatique de l'aide humanitaire aura été de courte durée. Trois semaines seulement après la catastrophe, les différentes équipes de secours sont reparties aussi vite qu'elles étaient venues. Les rescapés, eux, n'ont qu'à se débrouiller ! Ils vont devoir maintenant survivre dans ce champ de ruines en ne comptant que sur eux-mêmes, pendant que les gouvernements continuent en coulisse leurs tractations et leurs sordides marchandages.
La véritable histoire de Lutte Ouvrière. Le livre est récent et son titre pour le moins alléchant.
La question est d'autant plus légitime que l'on juge du camp auquel appartient une organisation politique dans un premier temps de sa filiation. Ce recueil d'entretiens réalisé par Christophe Bourseiller (écrivain et journaliste bourgeois intronisé pour l'occasion spécialiste de l'extrême gauche) avec le méconnu gourou de LO, Robert Barcia (alias Hardy), s'il sert avant tout de "coming out" pour ce dernier, une façon de polir l'image trop sectaire de son groupe, aborde tout de même le chapitre de l'origine historique de l'Union Communiste (nom politique de LO).
Cette naissance se fait dans un contexte historique brûlant qui représente pour
l'ensemble de la mouvance trotskiste, au niveau international, une véritable
mise à l'épreuve après dix ans de dérives opportunistes dont le point culminant
aura été le soutien au camp impérialiste républicain lors de la guerre
d'Espagne en 1936.
La trahison de l'internationalisme prolétarien était dans l'air et se posera
définitivement au cours de la Seconde Guerre mondiale.
"Les prolétaires n'ont pas de patrie", en tant que classe exploitée,
non possédante, la classe ouvrière n'a pas de capitaux à défendre. Pourtant,
c'est elle qui subit les massacres au front comme à l'arrière. "La
transformation de la guerre impérialiste en guerre civile", comme le
proclamait les bolchéviks à partir de la première guerre mondiale, devient le
"seul slogan prolétarien juste" dans un monde capitaliste en
banqueroute. Dans ces conditions, toute organisation révolutionnaire venant à
exhorter les prolétaires à se draper de leur couleur nationale respective pour
finalement les voir s'entretuer, franchit le Rubicon séparant la classe ouvrière
de la bourgeoisie et perd à jamais son caractère prolétarien. Ce qui fut le cas
de la grande majorité de la social-démocratie qui vota les crédits de guerre en
août 1914, des PC stalinisés se vautrant dans les préparatifs guerriers dans
les années 1930 et enfin de la quasi totalité de la IVe Internationale
trotskiste[1] [3] pendant
la seconde conflagration mondiale.
En automne 1939, les deux principales fractions trotskistes existantes en France
sont le Comité français pour la IVe Internationale (composé d'anciens militants
du POI[2] [4] et un
groupe d'ex-militants du PCI[3] [5].
Chacune de ces deux chapelles prendra fait et cause pour l'un et l'autre des
camps impérialistes en présence, signant ainsi leur allégeance à la classe
dominante.
Ainsi, le groupe issu de l'ex-PCI, autour de Roger Foirier et Henri Molinier,
jouera un rôle dans les mouvements (tel le RNP[4] [6] de
Marcel Déat) favorable au nazisme. En fait, les trotskistes de l'ex-PCI misent sur
la victoire de l'Allemagne. Etant donné qu'avec ce pronostic les organisations
fascistes seront amenées de plus en plus à encadrer les masses, la conclusion
de ce savant calcul, pour ne pas se couper de ces dernières, est de travailler
"à l'intérieur d'une organisation fasciste et dans ses milieux
dirigeants" (sic). De son côté le Comité (redevenu POI entre temps), animé
par Marcel Hic, vole au secours de la nation française occupée par
l'envahisseur allemand. La France étant présentée comme une nation "opprimée"
cela permet à Hic et ses acolytes de satisfaire à loisir leurs pulsions
chauvines au nom de la "libération nationale", comme en témoigne cet
extrait de leur journal La Vérité du 1er octobre 1940 : "Nous intégrer
dans le mouvement de patriotisme populaire, élargir notre base d'action, (…) ne
peut que nous permettre de progresser et d'enraciner notre activité dans les
masses. (…) C'est de l'initiative du peuple de France que dépend le relèvement
de notre pays. (…) Seule l'initiative populaire peut rendre la vie à la
France."
Il faudra l'entrée en guerre de l'URSS en juin 1941 pour que les trotskistes,
au nom de la sacro-sainte "défense de la mère patrie socialiste", se
rejoignent pour épouser les intérêts d'un seul et même camp bourgeois, celui
des alliés. Là encore, le journal La Vérité dans son n°18 du 1/08/1941 est on
ne peut plus explicite : "C'est l'intérêt et le devoir de tout ouvrier
français qui n'est pas aveuglé par ses intérêts de classe ou vendu aux nazis de
tout mettre en œuvre pour affaiblir dans son rayon d'action, les forces
étrangères qui nous oppriment en même temps qu'elles agressent l'URSS."
(Article au titre incantatoire : "IL FAUT DEFENDRE L'URSS"). C'est
sur ce terrain pourri et abondamment mystificateur que les trotskistes, tout au
long de la guerre, ont encouragé le prolétariat à abandonner ses intérêts de
classe et à se faire étriper pour des intérêts qui ne sont pas les siens.
En 1944, les principaux groupes trotskistes reformeront un PCI. Union qui sera
célébrée par le massacre d'ouvriers lors de la "Libération" de Paris.
C'est ici, en compagnie des staliniens du PCF, dans la Résistance, que les
trotskistes ont atteint le sommet de leur rôle de pourvoyeur de chair à canon
pour le camp allié sur fond d'appel à "l'insurrection nationale". Ce
zélé défenseur des intérêts impérialistes de l'URSS que fût le PCI éclatera par
la suite mais aura tout de même une descendance digne de ses hauts faits
d'armes. Le PT[5] [7] et la LCR[6] [8] voilà
qui sont ses fameux héritiers.
"Derrière Hic, elles [les organisations de la IVe Internationale en
France] ont quasiment abandonné la position internationaliste de Trotski […] se
justifie ainsi la rupture qu'il [Barta] a accomplie en 1939 d'avec tous ces
éléments 'pour se délimiter d'un milieu petit-bourgeois aux pratiques
social-démocrates et non communistes.'" (Entretien de Hardy avec
Bourseiller). La légende du groupe de David Korner dit Barta est en marche. Un
groupe très faible numériquement qui serait resté à l'écart du mouvement
trotskiste traditionnel pour ne pas salir le drapeau internationaliste et
garder les deux pieds bien cimentés dans le camp du prolétariat.
"En octobre 1942, le 'groupe Barta' […] lance une feuille de propagande,
La Lutte de classes, qui se présente à l'origine comme l'organe du 'Groupe
communiste (IVe Internationale)'. Le groupe intervient sous d'autres étiquettes
: 'Collection IVe Internationale' ou 'Un groupe de militants communistes'.
Pendant la totalité du conflit, il dénonce les belligérants, appelle à la
fraternité à la base, martèle les slogans communistes...".
Cette fable colportée depuis longtemps par LO, et aujourd'hui par son nouveau
scribe, est un classique très répandu de la mythologie trotskiste que l'on
retrouve par ailleurs. Ainsi, Jacques Roussel qui, dans son livre Les enfants
du prophète paru en 1972, dénonce les activités patriotiques des trotskistes
français pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous fredonnait déjà la chanson
de l'héroïque Barta. "Le groupe Barta reprochait violemment au POI ses
positions social-patriotiques de 40, qu'il considérait comme une véritable
trahison du communisme". (...) [Pour lui] les mots d'ordre nationalistes
doivent être énergiquement repoussés".
Le conte est fort joli, mais il n'en est pas moins à dormir debout. Si on se
penche d'un peu plus près sur l'attitude du groupe Barta face à la guerre,
notamment au travers de ses prises de positions dans sa feuille La lutte de
classe, on s'aperçoit que le somptueux carrosse internationaliste que l'on
cherche à nous vendre n'est en réalité qu'une vilaine citrouille nationaliste.
"Travailleurs, vous tous qui n'avez que vos chaînes à perdre et un monde à
gagner : EMPECHEZ PAR TOUS LES MOYENS LA MACHINE DE GUERRE IMPERIALISTE DE
FONCTIONNER CONTRE L'URSS". "Vive l'armée rouge !", tract du 30
juin 1941 diffusé par la clique Barta.
Nous y voilà ! La fameuse défense de la "patrie socialiste", dit
autrement des intérêts impérialistes du capital stalinien et, par ricochet, de
ceux du camp allié.
Au bout du compte, la prétendue rupture de Barta en 1939 avec les autres
groupes trotskistes n'a jamais entamé, ne serait-ce d'un pouce leur cause
commune: la défense de l'URSS.
Quand Hardy soutient que "sur le fond Barta renvoyait dos à dos les belligérants",
ce n'est par conséquent que pure foutaise ! Comme les autres groupes
trotskistes, l'ancêtre de LO a appelé les ouvriers à aller se faire massacrer
pour la sauvegarde des intérêts impérialistes du camp stalinien. "La
Quatrième Internationale [une des nombreuses dénomination du groupe Barta à
l'époque est Groupe communiste (IVe Internationale)] vous appelle pour la
défense de l'Union soviétique…" (tract cité plus haut.)
Ainsi, ce groupe, non seulement appellera les ouvriers au sabotage de l'effort de
guerre allemand mais ira jusqu'à le mettre en pratique par le biais d'un de ses
militants Mathieu Bucholz chargé du sabotage du STO (leur logique voulant qu'un
ouvrier français ne partant pas pour le travail obligatoire, dans les usines
allemandes, empêchait de libérer un ouvrier allemand qui aurait pu alors partir
se battre sur le front Est contre l'URSS).
Voilà un bel exemple de résistance contre l'envahisseur qui, il faut bien
l'avouer, est fort éloigné de la dénonciation de tous les camps impérialistes
et de l'appel à la classe ouvrière pour quelle retourne ses armes contre ses
exploiteurs !
Concernant la Résistance, LO s'est toujours enorgueillie que son ancêtre s'en
soit abstenu à l'inverse du reste du mouvement trotskiste français qui
rejoindra activement le maquis en 1944. Mais là encore les apparences sont
trompeuses. Et c'est Hardy en personne qui lâche le morceau : "Mais
entendons-nous : Barta était absolument partisan de la lutte contre le nazisme
[…] Ses écrits exhortaient les travailleurs à engager une telle lutte. Mais
avec leurs propres méthodes, sous leur propre drapeau et pas sous la bannière
d'un général réactionnaire…".
C'est effectivement sur ce registre que Barta s'adressait aux ouvriers :
"Si vous ne voulez plus être la chair à canon de cette guerre, il faut non
seulement résister à Vichy et à l'impérialisme allemand, mais le faire sous
votre propre drapeau de classe, le drapeau rouge. Où que vous soyez, en
Allemagne si vous n'avez aucun moyen de vous soustraire à la déportation, dans le
maquis ou dans les groupes de "partisans" si vous ne pouvez pas vous
cacher dans les villes et les villages, n'oubliez pas que vous êtes les fils de
la classe ouvrière.
En Allemagne, liez-vous avec les travailleurs allemands pour saboter la machine
de guerre et les aider à renverser le régime capitaliste défendu par Hitler.
Dans les groupes de résistance, dans le maquis, exigez votre armement et
l'élection démocratique des chefs par les membres des groupes." (La Lutte
de classes n°24 du 6 février 1944).
En bref, oui à la défense de l'Etat stalinien (et du camp des
Roosevelt-Churchill), oui à la Résistance, pourvu que ce soit les prolétaires
eux-mêmes qui la prenne en charge. Une auto-organisation de la classe ouvrière
pour la défense de l'impérialisme russe, indépendamment de la bourgeoisie, et
alors le massacre des prolétaires peut se dérouler légitimement. Merci Monsieur
Barta !
De l'abjecte trahison de l'internationalisme et par conséquent de la cause
prolétarienne voilà où LO prend sa source.
Dans la préface de son bouquin, Bourseiller nous dit que "En dépit des
vents contraires, des marées montantes et des sirènes de la mode, elle [l'Union
Communiste de Barcia et Laguiller] est demeurée fidèle à un trotskisme pur ou,
si l'on préfère, à un "communisme" que l'on peut estimer ou bien
haïr, mais qui n'en demeure pas moins authentique."
Il faut vraiment se contenir pour ne pas avoir la nausée à la lecture de tels
mensonges.
L'attitude de la IVe Internationale emmenée par le SWP (1) américain se
vautrant dans le chauvinisme le plus crasse, à laquelle fait bien entendu écho
le petit groupe de Barta bien que non officiellement rattaché à cette
Internationale, est diamétralement opposée à celle de ceux qui ont su rester
fidèle à l'héritage internationaliste de cette immense figure de la Révolution
russe que fût Trotsky. Ce sont, par exemple : la majorité de la section
espagnole de la IVe Internationale autour de Munis ou des individus comme
Natalia Trotsky. Pour eux, rompre avec le trotskisme, passé définitivement au
service de la bourgeoisie, devenait la seule issue possible pour ne pas trahir
la classe ouvrière.
Si LO est digne de quelque chose ce n'est certainement pas de Trotsky ou de quelque
chose qui aurait trait avec le combat de la classe ouvrière. Sa plus grande
fierté c'est plutôt d'avoir toujours servi fidèlement les besoins de la classe
dominante.
LO, mais aussi la LCR (et les autres groupuscules trotskistes) ont à maintes
reprises fait honneur à leurs aïeux. Dans les différents conflits de l'après
guerre ils ont systématiquement incité les ouvriers à choisir un camp
impérialiste contre un autre. Pendant la guerre froide ils ont confirmé leur
soutien inconditionnel à l'URSS et aux prétendues "luttes de libération
nationale" (Cambodge, Vietnam, Cuba) contre les Etats-Unis. Plus
récemment, lors de la guerre en Irak, ils ont déterminé que le "bon
camp" était ... "le camp du peuple irakien face aux agresseurs
anglo-américains " ! (Lutte de Classe n°72). Ce faisant, les trotskistes
ont invité les ouvriers à épouser non seulement la cause de la nation irakienne
mais surtout les intérêts des rivaux des Etats-Unis, à savoir en premier lieu
l'impérialisme français.
C'est sur le tas de fumier du nationalisme que LO, d'abord sous la forme du groupe Barta, a vu le jour et c'est tout logiquement dans ce terrain bourgeois que plongent ses racines l'abreuvant depuis plus de cinq décennies de sève contre-révolutionnaire.
Azel[1] [9] C'est en septembre 1938, sur la base d'une vision erronée du cours historique, que Trotsky fonde la IVe Internationale. Pour lui, la révolution est encore à l'ordre du jour dans les années 1930. Les évènements de 1936 en Espagne et en France sont, dès lors, interprétés non comme des préparatifs pour la guerre qui s'approche mais plutôt comme les prémisses d'une nouvelle vague révolutionnaire après celle de 1917-1923. Cette lourde erreur conduira à cette aberration qu'est la construction d'une Internationale en pleine contre-révolution.
Avec à sa tête le Socialist Worker's Party américain, et après l'assassinat de Trotsky en août 1940, la IVe Internationale passera avec armes et bagages dans le camp bourgeois en s'alignant sur la défense de l'impérialisme russe.
[2] [10] Parti Ouvrier Internationaliste
[3] [11] Parti Communiste Internationaliste
[4] [12] Rassemblement National Populaire
[5] [13] Parti des Travailleurs
[6] [14] Ligue Communiste Révolutionnaire
Au milieu de l'année 2002, il y a eu des préparations de guerre intensive dans le sub-continent indien. Les cliques dirigeantes à la fois du Pakistan et de l'Inde étaient au bord d'une guerre ouverte. Ces deux Etats impérialistes ont procédé à une mobilisation militaire sans précédent, des milliers de soldats équipés jusqu'aux dents d'armes meurtrières ont été déployés des deux côtés de la frontière, des menaces d'utiliser des armes atomiques ont été proférées par différentes fractions politiques dans les deux pays. La bourgeoisie indienne s'était montrée beaucoup plus agressive et avait semblé être acculée à la guerre ouverte en réponse à une activité belliqueuse beaucoup plus cachée à travers les activités terroristes soutenues par la bourgeoisie du Pakistan. Mais la pression de la "communauté internationale", celle des Etats-Unis en particulier, avait contraint la bourgeoisie indienne à freiner sa marche vers la guerre.
Peut-il y avoir une quelconque paix réelle entre ces deux Etats impérialistes dont la naissance s'est faite dans les entrailles d'une période de conflits impérialistes intenses ? Peut-il y avoir de réelle paix et des relations harmonieuses entre deux Etats capitalistes récents qui, comme tous les Etats, sont nécessairement impérialistes dans la phase de décadence du capitalisme ? NON, mille fois NON ! La guerre et la "paix" dans la société décadente sont deux aspects inséparables de la même stratégie impérialiste. La "paix" dans cette époque n'est rien d'autre qu'un moment particulier entre deux phases de guerre ouverte. Elle est utilisée par les Etats impérialistes guerriers pour la préparation politique et militaire d'une nouvelle guerre encore plus meurtrière et dévastatrice. La "paix" et les "initiatives de paix" ne sont rien d'autre que la continuation de la guerre sous une forme différente et sont une partie importante de l'offensive diplomatique d'un camp contre l'autre. Il ne peut y avoir de paix réelle et permanente dans le capitalisme agonisant. Dans le subcontinent indien, la "paix" a toujours été suivie de déclenchements de guerre ouverte. La guerre de Kargil a été précédée et préparée par la "paix" de Lahore. La "paix" d'Agra a été suivie par une situation proche de la guerre en janvier et juin 2002. La "paix" de Tashkent fut suivie par la guerre sanglante de 1971 dont il a résulté le démembrement de la partie orientale du Pakistan et la constitution du Bangladesh. Le Bangladesh est né à la fois comme le produit d'un conflit intense entre deux factions de la bourgeoisie pakistanaise, le produit du conflit impérialiste entre les bourgeoisies indienne et pakistanaise et le produit du conflit global entre les blocs impérialistes russe et américain. Ainsi, les efforts de "paix" et la guerre ne sont rien d'autre que les deux faces de la même réalité.
La dernière initiative de "paix" ne peut pas être
différente. Ce n'est rien qu'un paravent en vue d'une nouvelle
intensification de ce conflit impérialiste. Elle est indissociablement
liée à une offensive diplomatique où chacune des
deux parties entreprend de séduire la "communauté
internationale", et en particulier la superpuissance. Ce ne sont
rien que des pas supplémentaires en direction d'une future guerre.
En juin 2002, quand les initiatives de guerre dans le subcontinent indien
atteignaient leur paroxysme, les Etats-Unis n'ont ménagé
aucun effort pour éviter le déclenchement de la guerre
et maintenir la "paix" dans la région. La "paix"
dans cette partie du monde est nécessaire pour la stratégie
impérialiste globale actuelle de l'Amérique. Elle vise
à consolider sa position stratégique en Afghanistan, en
Irak et sur des parties de l'Asie centrale. La situation délicate
des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan -avec l'extension et le renforcement
des attaques armées contre les forces d'occupation américaines
a renforcé davantage le besoin de stabilité dans le subcontinent
indien. Ainsi les intérêts impérialistes de la Maison
Blanche nécessitent d'apparaître comme des "colombes
de la paix" dans certaines aires stratégiques, afin d'accroître
sa capacité à entreprendre des aventures militaires ailleurs,
et pour intensifier son offensive contre ses plus dangereux rivaux potentiels
- l'Allemagne, la France et d'autres grandes puissances.
Il en va de même pour les autres puissances impérialistes,
qu'elles soient grandes ou petites. On a vu le rôle "d'apôtres
de la paix" qu'ont joué les bourgeoisies française,
allemande, russe et chinoise dans la guerre en Irak, tout comme on a
vu le bellicisme plus ouvert de ces mêmes puissances dans d'autres
conflits. Dans tous les cas, le conflit entre les plus petites puissances
et l'unique superpuissance, qu'il soit caché ou ouvert, ne peut
que s'accroître. La bourgeoisie indienne est contrainte d'être
ambivalente vis-à-vis de la politique américaine quand
il s'agit de la lutte contre le terrorisme international. La bourgeoisie
indienne ne peut ni totalement soutenir la politique impérialiste
des Etats-Unis ni totalement s'y opposer. Mais elle est obligée
de maintenir des relations avec ce géant militaire et économique
et l'initiative récente de "paix" est intimement liée
à la stratégie que le capitalisme indien doit adopter
dans ses relations avec les Etats-Unis.
L'agressivité téméraire de la bourgeoisie indienne
avec son insistance pour une confrontation militaire ouverte avec la
bourgeoisie pakistanaise et les efforts de cette dernière pour
éviter une guerre ouverte avec l'Inde, a mené à
un certain isolement diplomatique de l'Etat indien vis-à-vis
de la "communauté internationale". La classe dominante
indienne n'a pas eu beaucoup de succès pour convaincre la "communauté
internationale" du bien-fondé de ses récriminations
incessantes envers le Pakistan, proclamant que ce dernier était
la seule source de terrorisme, pas seulement au Cachemire mais aussi
dans d'autres parties de l'Inde et à l'étranger.
L'Inde n'est pas les Etats-Unis. Elle doit se donner beaucoup de mal
pour plaire à la "communauté internationale".
La première et la seconde guerre d'Irak et la situation présente
des Etats-Unis ont poussé l'Etat indien à prendre l'initiative
de la "paix". La bourgeoisie indienne a réalisé
qu'elle paierait très cher toute agression ouverte contre le
Pakistan sans le consentement de la "communauté internationale"
et des Etats-Unis en particulier. En plus de ceci, le rôle de
la bourgeoisie indienne dans la guerre en Irak n'a pas satisfait Washington.
Les intérêts de la bourgeoisie indienne l'ont donc obligée
à recourir à l'initiative de "paix" comme le
meilleur atout dans la situation présente. Cette initiative a
connu une soudaine impulsion juste avant la visite dans le subcontinent
indien de Richard Armitage, le représentant du Secrétariat
d'Etat américain qui est aussi une personnalité très
importante dans l'administration Bush. L'Etat pakistanais a lui aussi
besoin de plaire au gendarme américain, suite au rôle qu'il
a joué durant la guerre en Irak. Le Pakistan a vraiment été
identifié internationalement comme un Etat qui abritait des terroristes
islamistes et il y a eu des rumeurs insistantes sur des connexions entre
les services secrets pakistanais et des bandes comme Al-Qaida. De plus,
la bourgeoisie pakistanaise a tiré d'amères leçons
de son passé de guerres ouvertes contre l'Inde. D'où la
floraison actuelle d'initiatives de "paix" de la part des
deux Etats ennemis. Ces initiatives se sont aussi accélérées
après le retour de Chine du ministre indien de la Défense
à la suite d'"un voyage cordial et très fructueux".
Ce ministre a ensuite fait une série de déclarations qui
font de lui l'un des plus pro-chinois de la classe politique indienne.
Du fait de l'évolution du rapport de force à l'échelle
internationale, la Chine est conduite à encourager à la
fois l'Inde et le Pakistan à "faire la paix", plutôt
que de poursuivre sa politique classique consistant à jouer la
carte du Pakistan contre l'Inde.
Mais les tensions impérialistes et les rivalités guerrières
sous-jacentes s'amoncellent sous le mince voile des initiatives de paix.
Le 2 juin 2003, le Premier Ministre indien a déclaré en
Suisse : "Avant, on nous demandait d'établir des relations
avec le Pakistan. Maintenant le monde entier leur dit d'arrêter
leurs incursions terroristes sur notre territoire". Selon Brajesh
Mishra, le conseiller indien à la sécurité, "un
noyau constitué de sociétés démocratiques
doit peu à peu émerger de notre coalition actuelle pour
prendre à bras-le-corps la lutte contre le terrorisme international
de manière homogène et ciblée". Le président
pakistanais, Pervez Musharraf, disait dans une interview le 16 juin
2003 : "Le problème avec l'Inde est qu'ils sont trop conscients
de leur plus grande taille et qu'ils croient qu'ils peuvent contraindre
à l'obéissance leurs voisins. Ils veulent nous imposer
leurs diktats. Nous n'accepterons pas ça, empêchons-les
de nous traiter comme n'importe quel petit pays périphérique.
Nous sommes une nation puissante". Selon une résolution
adoptée par le BJP, le parti politique dominant dans la coalition
qui dirige l'Inde, la base pour tout dialogue avec l'autorité
pakistanaise serait le retour dans le giron indien de la partie du Cachemire
qu'ils appellent POK, c'est-à-dire le Cachemire occupé
par le Pakistan. Selon une information parue dans The Telegraph du 19
juin 2003, l'Inde a interdit l'accès du Pakistan au célèbre
Forum Régional Asiatique et le ministre indien des Affaires étrangères
a joué un rôle de premier plan dans cette entreprise. Yashwant
Sinha a déclaré devant un parterre d'officiers d'état-major
et de diplomates le 19 octobre 2003 : "Qui est ami ou ennemi dans
cette bataille contre le terrorisme est une question cruciale. Si on
permet à nos ennemis de se déguiser en amis, le terrorisme
international ne renoncera jamais". Il a ensuite ajouté
: "Le penchant de certains à traiter avec les régimes
autoritaires pour des gains à court terme sera aussi de courte
durée." Les implications sont assez claires. Dans la même
réunion le Premier Ministre indien a vomi du venin contre la
bourgeoisie pakistanaise : "Est-ce que le Pakistan a une démocratie
? Est-ce qu'il a un gouvernement élu ? Ceux qui dirigent l'arme
au poing parlent d'auto-détermination (au Cachemire)". The
Statesman, un journal sérieux de la bourgeoisie indienne, a récemment
titré : "Rocca tance Islamabad". Dans cet article est
reporté que l'assistante du Secrétaire d'Etat américain,
Christina Rocca, a dit que l'Inde était une victime du terrorisme
et que le Pakistan devrait redoubler d'efforts pour mettre un terme
à ses infiltrations frontalières.
Quant au cessez-le-feu, il a été planifié comme
un exercice de propagande pour coïncider avec la visite de Vajpayee
à Islamabad. Ershad Mahmud de l'institut d'études politiques
à Islamabad a déclaré : "Ce voyage a été
plus symbolique que consistant". Un membre des groupes militants
du Cachemire à Muzzafarabad a exprimé toute la suspicion
que lui inspirait le cessez-le-feu : "Le Pakistan peut retirer
quelque bénéfice politique du cessez-le-feu parce qu'il
en a été à l'origine, mais le grand bénéficiaire
en est l'Inde qui renforcera ainsi ses positions et à qui cela
permettra d'améliorer ses défenses" (Yahoo! News
le 26 novembre 2003). Une fois encore, la paix impérialiste pave
la route pour la guerre impérialiste.
Par dessus tout, en aucun cas, la menace de la guerre nucléaire
n'a été éliminée. Le président pakistanais
Pervez Musharraf a dit à Séoul en Corée du Sud
le 7 novembre 2003 : "Je pense qu'il était parfaitement
justifié de développer nos capacités nucléaires
et nos missiles parce que s'il y avait une menace externe et même
si cette menace surgissait dans n'importe quelle autre région,
nous y répondrions d'une manière identique dans le futur."
Le premier ministre indien a ajouté à Londres le 7 novembre
:"C'est un sujet de préoccupation pour nous que ce programme
[le programme d'armement nucléaire pakistanais] soit sans ambiguïté
dirigé seulement contre l'Inde". A travers tout cela, le
sens de "l'initiative de paix" apparaît clairement.
Il y a cent ans, en 1903, au second congrès du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe - le Congrès historique qui a débouché sur la scission entre Bolcheviks et Mencheviks-, une résolution était adoptée en réponse à une vague de pogroms en Russie.
Une fois de plus, les Juifs étaient utilisés comme boucs
émissaires des problèmes de la société,
dans le but d'empêcher les classes opprimées de voir où
sont leurs véritables ennemis. C'est pour cette raison que le
marxiste allemand Bebel appelait l'antisémitisme le socialisme
des imbéciles.
Cent ans de "progrès" capitaliste plus tard, un siècle
qui a été marqué par l'holocauste des Juifs européens
au cours de la Seconde Guerre mondiale, le nombre de ceux qui sont dupés
par le vieux mythe antisémite n'a pas diminué, même
si la focalisation antisémite s'est déplacée dans
une large mesure vers le monde "musulman".
Le discours de départ du premier ministre malaisien Muhatir Mohamad,
en octobre 2003, illustre clairement cela, brossant le tableau de musulmans
dans le monde oppressés par une petite minorité, les Juifs,
qui aurait le contrôle principal de l'empire américain;
Muhatir a tenté de se démarquer des terroristes islamistes
radicaux, mais son langage est exactement le même que celui de
Ben Laden et compagnie : le devoir des musulmans partout dans le monde
est de combattre les Juifs. C'est cette idéologie qui justifie
les attaques à la bombe sans discrimination contre des Juifs
en Israël, en Tunisie, au Maroc et même en Argentine. Elle
se base sur la republication de la fameuse falsification de la police
secrète tsariste, le Protocole des Sages de Sion, qui peut être
consultée gratuitement sur de nombreux sites Internet islamistes,
et qui prétend nous informer sur le fonctionnement interne de
la conspiration juive mondiale.
Tout cela démontre que ces cent années n'ont pas été
des années de progrès, mais de décadence capitaliste,
qui a produit et propagé les haines les plus absurdes et irrationnelles
sur toute la planète. Surtout lors de ces deux dernières
décennies, l'esprit de pogrom est devenu universel.
Au 20e siècle, il y a eu bien sûr aussi des pogroms contre
d'autres minorités -le massacre de près d'un million d'Arméniens
par l'armée turque pendant le premier conflit mondial étant
le plus horrible- et c'était déjà une expression
claire de la décadence de la société bourgeoise.
Mais aujourd'hui, dans la phase d'accélération de la décadence,
que nous appelons la décomposition du capitalisme, le nombre
de ces massacres augmente chaque jour.
Aujourd'hui, les Juifs eux-mêmes ont leurs propres fauteurs de
pogroms. Le groupe Kach en Israël, fondé par le rabbin américain
Meir Kahane, applaudit l'action de Baruch Goldstein, un Juif colon américain
affilié au Kach, qui en 1994 a ouvert le feu sur des fidèles
à la mosquée Il-Jibrihimi de Hébron, tuant 29 personnes
et faisant 125 blessés; son idéologie a inspiré
le massacre d'enfants palestiniens par trois colons juifs en plaçant
des bombes dans leur école en septembre dernier; il préconise
une "solution finale" à la manière nazie pour
le problème palestinien, leur expulsion de tout le territoire
du "Grand Israël".
Officiellement, Kach et son satellite Kahan Chai sont des groupes terroristes,
mis hors la loi par la Knesset. Mais ils bénéficient du
climat politique général actuel en Israël. Ariel
Sharon, le chef du gouvernement, a lui-même un passé de
massacreur ethnique. En 1953, il a dirigé une attaque commando
sur le village palestinien de Kibya, suite au meurtre de trois civils
juifs. Soixante-neuf résidents, dont la moitié étaient
des femmes et des enfants, ont été tués, quarante-cinq
maisons détruites. En 1982, Sharon a joué un rôle
central dans la boucherie abominable des camps de Sabra et Chatila au
Liban: avec la complicité directe de l'armée israélienne,
des milliers de Palestiniens ont été assassinés
durant trois jours d'horreur par l'aile droite des milices chrétiennes.
Sharon, qui était ministre de la Défense à ce moment-là,
a été réprimandé plus tard par un comité
d'enquête de haut niveau, comme porteur d'une "responsabilité
indirecte" dans ce crime monstrueux. Et aujourd'hui, Sharon dirige
un Etat qui produit des discours enflammés en faveur d'un "Grand
Israël" -les colonies juives dans les territoires occupés,
un Etat qui dresse un "mur anti-terroriste", qui s'étend
le long des frontières d'Israël mais boucle une mosaïque
de territoires appartenant aux Palestiniens. En bref, le régime
de Sharon est un régime d'épuration ethnique, un régime
poussant aux pogroms.
L'épuration ethnique est une expression inventée pour
décrire le meurtre, les intimidations et l'expulsion forcée
de diverses minorités dans les Balkans pendant les sept années
de guerre qui ont ravagé la région dans les années
1990. Que ce soient les forces serbes attaquant les Croates, les Bosniaques,
les Albanais, ou les civils serbes subissant les mêmes horreurs
de la part des forces croates, bosniaques ou albanaises, le résultat
était le même, réintégrant en Europe les
pires excès de la barbarie raciste depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pas moins horrifiant, il y a aussi eu le génocide de centaines
de milliers de Tutsis par les escadrons de la mort hutus au Rwanda,
en l'espace de quelques semaines en 1994.
Ces massacres ont été menés au nom de différentes
idéologies, de différentes bannières : dans les
Balkans, le nationalisme serbe, croate ou albanais, mélangé
à de vieilles divisions religieuses entre musulmans, chrétiens
orthodoxes ou catholiques romains. Au Rwanda et dans d'autres pays africains,
comme au Congo actuellement, ce sont souvent les appartenances tribales
qui ont été mises en avant, alors qu'au Soudan, en Ouganda
ou en Algérie, le carnage d'innocents est souvent justifié
par des raisons religieuses. En Inde, des foules "hindouistes"
ont déchaîné leur violence contre des musulmans;
en Indonésie, des brutes "musulmanes" ont agressé
et assassiné des chrétiens.
Le plus souvent, ces horreurs sont présentées dans "le
monde civilisé" comme l'expression de rivalités tribales
et religieuses incompréhensibles. Le plus souvent, on nous raconte
qu'elles ne peuvent être arrêtées que par l'intervention
humanitaire des forces les plus éclairées de la "démocratie".
Cela fut le prétexte, en particulier, des attaques de l'OTAN
sur la Serbie en 1999.
Mais exactement de la même manière que les forces tsaristes
manipulaient les bandes des "Cent-Noirs" à l'origine
des pogroms en Russie il y a une centaine d'années, la même
main sinistre de l'Etat se retrouve toujours derrière les pogroms
d'aujourd'hui. Dans les Balkans, des troupes serbes incontrôlées
comme les Tigres fascistes d'Arkan ont commis quelques-unes des pires
atrocités. Mais ils agissaient avec la bénédiction
du président serbe Milosevic.
Et derrière Milosevic, depuis des années, se tenaient
la France, la Russie et la Grande-Bretagne, intéressées
à préserver leur sphère d'influence dans cette
région face aux avancées de l'Allemagne et des Etats-Unis.
Au Rwanda, le génocide n'était pas simplement une explosion
spontanée de folie; il avait été préparé
depuis des mois par l'Etat, qui avait créé les escadrons
de la mort hutus. Et ces mêmes escadrons de la mort étaient
entraînés par rien de moins que l'armée française
qui, après les massacres, avait mis sur pied sa propre intervention,
au nom de raisons humanitaires.
Il est vrai que le climat moral d'une société en putréfaction
engendre désespoir et irrationalité à une échelle
effrayante. Cette fuite vers les idéologies les plus rétrogrades
empoisonne l'esprit de toutes les classes de la société.
Cela inclut la classe dominante dans les pays les plus avancés.
Le degré de pourriture de l'actuelle administration Bush a été
montré par les révélations selon lesquelles le
nouveau sous-secrétaire d'Etat à la Défense pour
les services secrets, le lieutenant-colonel William Boykin, croit que
l'Islam est une religion idolâtre que tous les chrétiens
doivent combattre au nom du Christ. L'islamophobie est bien sûr
l'image miroir en Occident de l'antisémitisme et de l'antiaméricanisme
qui s'insinue dans tout le monde "islamique".
Mais, même quand elle poursuit sa descente abyssale dans une absurdité
apocalyptique, la classe dominante des "démocraties libérales"
est toujours parfaitement capable d'attiser froidement et cyniquement
les plus sombres affects sociaux comme le racisme et la xénophobie
dans son propre intérêt, que ce soit pour ses intérêts
impérialistes, comme dans les Balkans et en Afrique, ou pour
semer la division dans les rangs de son ennemi mortel, le prolétariat.
Un exemple patent en est la campagne répugnante contre les demandeurs
d'asile dans les tabloïds anglais, qui constitue l'arrière-plan
idéologique du nombre croissant d'attaques physiques contre les
réfugiés dans ce pays. Reprocher à un petit nombre
de demandeurs d'asile le déclin général des conditions
de vie de la classe ouvrière est un exemple classique de désignation
raciste d'un bouc émissaire, consciemment destinée à
saper l'identité et la solidarité de classe.
Le regain de l'esprit de pogrom pose un problème de vie ou de
mort à la classe ouvrière. Si celle-ci se laisse diviser,
si elle succombe à l'ambiance délétère de
la décomposition capitaliste, elle sera perdue, et avec elle,
l'humanité tout entière. Parce que le prolétariat
est la classe sociale qui existe à travers des rapports de solidarité,
parce qu'elle est une classe internationaliste qui a les mêmes
intérêts matériels partout dans le monde, il est
la seule force pouvant agir comme une barrière à la fuite
en avant vers l'autodestruction, caractérisée par l'épidémie
grandissante des émeutes ethniques et religieuses.
En 1903, nous avons vu les socialistes russes dénoncer les pogroms
contre les Juifs, essentiellement parce qu'ils étaient utilisés
pour entraver l'émergence d'une conscience de classe révolutionnaire
au sein du prolétariat. En 1905, cette maturation souterraine
de la conscience de classe s'exprima au grand jour sous la forme de
la grève de masse et des premiers Soviets. Et comment Trotsky
(le révolutionnaire qui avait vu à l'époque l'importance
de ces organes embryonnaires du pouvoir prolétarien plus clairement
que quiconque) définissait le rôle immédiat des
Soviets ?
"Quelle était la nature essentielle de cette institution,
qui en si peu de temps avait pris une telle importance dans la révolution
et marqué la période de son pouvoir? Les Soviets organisaient
les masses travailleuses, dirigeaient les grèves et manifestations
politiques, armaient les travailleurs, et protégeaient la population
des pogroms" (1905, traduit de l'anglais par nos soins).
Aujourd'hui, à une échelle mondiale, la classe ouvrière
reste la seule force sociale capable de protéger la population
du monde contre la nouvelle vague de pogroms. Non pas parce que c'est
une classe qui n'agit que pour des idéaux purs, mais parce qu'elle
a un intérêt matériel à agir de la sorte.
Le prolétariat ne peut pas se défendre s'il est divisé;
toutes les formes de racisme, toutes les sortes de nationalisme le divisent
et l'affaiblissent. La classe ouvrière ne peut assumer son avenir
révolutionnaire qu'en rejetant, en théorie et en pratique,
toutes les divisions que le capitalisme lui impose.
C'est aussi vrai en Israël que partout ailleurs : les coûts
énormes du budget de la défense israélien, combinés
aux effets de la crise économique mondiale, génèrent
un phénomène de sans-abri et une pauvreté croissante
parmi les ouvriers israéliens. Ils créent aussi les conditions
pour un renouveau de combativité de la classe : dans la période
récente, nous avons vu, par exemple, des protestations contre
des coupes claires dans les allocations de chômage et une grève
sauvage parmi les bagagistes de l'aéroport de Tel Aviv. Ces réactions
limitées mais significatives prouvent que les ouvriers israéliens
ne sont pas une sorte d'élite privilégiée; au contraire,
ils rejoignent de plus en plus les niveaux de misère et d'insécurité
qui pèsent sur la classe ouvrière palestinienne. Certes,
le terrorisme impitoyable du Hamas ou du Jihad islamique est utilisé
pour convaincre la majorité des ouvriers israéliens que
leur "protection" ne peut être assurée que s'ils
s'identifient à la politique de fermeté militaire de l'Etat
israélien, exactement comme les opprimés et les exploités
de la population palestinienne sont renvoyés à la terreur
d'Etat israélienne pour percevoir l'OLP et les islamistes comme
leurs défenseurs (malgré des protestations de la part
de chômeurs palestiniens contre des promesses non tenues du proto-Etat
palestinien). Il serait stupide de sous-estimer l'importance de la peur
et du désir de vengeance engendrés par la spirale de la
terreur et de la contre-terreur dans la région. Mais la seule
issue à cette situation est de dépasser le piège
de la solidarité nationale et de retrouver le chemin de la solidarité
de classe. Les travailleurs des pays capitalistes plus développés,
qui sont dans l'ensemble les moins contaminés par le poison des
divisions raciales, ont la responsabilité fondamentale de démontrer
en pratique ce que signifie la solidarité de classe en développant
les luttes défensives contre les attaques sur leurs conditions
de vie, en ouvrant la voie à la grève de masse et à
l'offensive révolutionnaire contre l'Etat capitaliste. Seul un
tel exemple peut définitivement éliminer l'esprit de pogrom
et ouvrir une perspective pour les prolétaires qui se trouvent
sous sa menace la plus directe.
Nous publions ci-dessous des extraits de la réponse faite par Acción Proletaria (AP), section du CCI en Espagne, à Comunistas Revolucionarios (CR), un regroupement d'éléments "radicaux" de la ville de Ferrol en Galice qui rejettent très justement les syndicats et appellent à leur destruction mais sur une base largement erronée.
Ce débat n'est évidemment pas un débat "espagnol". Certains conflits ont eu une grande répercussion en Espagne, en lien avec l'extrême précarisation de la main d'œuvre mise en place dans ce pays depuis longtemps. Mais les questions qui s'en dégagent sur le rôle et la fonction des syndicats sont posées, se posent et se poseront aussi partout dans le monde. Notamment en France, ces questions ne peuvent que traverser l'esprit des milliers d'ouvriers confrontés à la précarisation de leurs conditions de travail et qui, à la suite du mouvement du printemps, se sont sentis floués par les agissements des syndicats.
Du texte de CR publié dans AP nº 172 (15 sept.-15 nov. 2003) paraît se
dégager l'idée suivante : si les syndicats sont ce qu'ils sont c'est parce
qu'ils seraient l'expression d'une minorité de travailleurs en CDI[1] [21],
privilégiés, une "aristocratie ouvrière". Voyons quelques citations
significatives de ce texte :
"Ses connivences avec le patronat sont la démonstration la plus grave du
corporatisme syndical et aristocratique de ce secteur de travailleurs, dont les
conditions de travail sont bien supérieures à celles de la majorité des
salariés, et qui à aucun moment n'essaie, même de façon minoritaire, de
s'opposer ne serait-ce qu'à ses dirigeants syndicaux (lesquels, soit dit en
passant, trahissent ce secteur depuis des années). Ces travailleurs sont même
arrivés à changer un jour de congé pour éviter le retard dans la livraison des
nouvelles frégates qui se construisent dans les chantiers navals de Ferrol,
pour ainsi ne pas 'porter préjudice à la compétitivité de l'entreprise'."
Par rapport à l'attitude des syndicats, CR avance : "Eux aussi ont tiré
leurs leçons : ils savent parfaitement que notre précarité et surexploitation
sont à la base de leur fonction de serviteurs du capital, et de leur position
dirigeante grâce à l'accommodement de la couche de la classe qu'ils
représentent (…) dans ce contexte de stratification de la classe entre un secteur
avec un travail garanti et un autre en emploi précaire, avec des conditions de
travail et de vie largement différenciées et encadrées par les syndicats dans
le cadre institutionnel et légal établi, les luttes ouvrières chez Izar[2] [22] sont,
par leur nature même, des luttes réactionnaires pour conserver une position
privilégiée", contrairement aux luttes des précaires 'essentiellement
révolutionnaires', car ils luttent pour l'égalité des conditions de travail
avec les ouvriers de l'entreprise principale et contre les fondements du
capitalisme actuel".
Nous n'allons pas réfuter ici les racines historiques de la fausse théorie de
"l'aristocratie ouvrière". Nous l'avons déjà fait dans notre presse[3] [23]. Ce
que nous nous proposons de traiter ici, c'est la thèse selon laquelle les
syndicats représenteraient une minorité de travailleurs privilégiés, ce qu'on
appelle "l'aristocratie ouvrière".
Cette position n'est pas propre aux camarades de CR. En effet, beaucoup de
jeunes ouvriers précaires affirment clairement que les syndicats ne les
représentent pas, en ajoutant que cela est dû au fait qu'ils "ne défendent
que les travailleurs en CDI". Dans le même sens, on n'a pas arrêté de nous
rabâcher que les chômeurs sont méprisés par les syndicats, lesquels ne s'occuperaient
que des fonctionnaires et des travailleurs en CDI.
Nous vivons sous le poids de l'idéologie démocratique. Cette idéologie sert
à la bourgeoisie pour justifier toutes les agressions contre les ouvriers et
l'humanité tout entière. Si le gouvernement espagnol envoie des troupes en Irak
et mène une politique économique mauvaise pour la majorité, ce serait la faute
des "citoyens" (les ouvriers y inclus) qui auraient voté pour lui. De
toutes les formes d'Etat qui ont existé dans l'histoire, c'est la forme
démocratique de domination et d'exploitation la plus cynique et mystificatrice.
L'Etat démocratique défend les intérêts de la classe capitaliste et, en son
nom, il prend des mesures de licenciements, de misère et de guerre, mais il
justifie tout avec l'argumentation universelle selon laquelle il
"représente" la "majorité", il exprime la
"volonté" des citoyens.
Le catéchisme de l'idéologie démocratique dit aussi que toute couche de la
population possède une "représentation propre", et dans le cas des
ouvriers, elle serait constituée par les syndicats. Par conséquent, si les
syndicats signent des pactes et des conventions contre les intérêts des
travailleurs, s'ils sabotent les grèves, s'ils avalisent des mesures qui vont
provoquer immanquablement des accidents de travail mortels, ce serait "la
faute aux ouvriers" qui les auraient mandatés pour les représenter.
Il y a des prolétaires qui réagissent contre les syndicats, mais encore sous
l'influence de l'idéologie démocratique, ils s'entêtent à leur trouver à tout
prix une représentativité quelconque. Et où voient-ils cette représentativité ?
Quand ils disent que les syndicats sont des traîtres parce qu'ils représentent
une couche spéciale d'ouvriers (l'aristocratie ouvrière), laquelle aurait trahi
sa classe pour quelques miettes et le petit privilège d'avoir une garantie de
l'emploi[4] [24].
Le piège se trouve dans le fait de penser que l'Etat démocratique est
"représentatif" et que les syndicats sont représentatifs, autrement
dit, d'accepter, même à contrecoeur, la mystification la plus dangereuse avec
laquelle le capitalisme justifie sa domination. Contre tout cela, le marxisme a
montré que l'Etat ne représente que le capital, qu'il ne protège que l'intérêt
national du capital, qu'il ne sert, en exclusivité, que la minorité constituée
par la classe capitaliste dans son ensemble.
Dans ce sens, les syndicats ne représentent aucune catégorie d'ouvriers, mais
représentent l'Etat capitaliste, ils sont l'expression de l'intérêt du capital
national. Leur rôle consiste à imposer dans les lieux de travail ce dont les
capitalistes comme classe ont besoin.
L'Etat démocratique du capital prétend intégrer en son sein tous les secteurs
de la société, en tant que prétendu organe neutre "au dessus des
classes". En fait, sa fonction est justement le contraire : il étend ses
tentacules dans tous les secteurs sociaux (et plus particulièrement au sein de
la classe ouvrière) pour qu'ils soient bien contrôlés. Ce que l'idéologie
démocratique appelle "intégration" et "représentation"
n'est, en réalité, que contrôle, oppression, subordination au service de
l'exploitation.
Au sein de cette entreprise étatique, les syndicats jouent un rôle particulier
: contrôler la classe ouvrière, la diviser, briser ses luttes, lui faire avaler
les plans de licenciements et de destruction des salaires sociaux que l'intérêt
national du capital exige, tel un dieu despotique et insatiable.
Est-ce que la division entre les "intérimaires" (CDD) et ceux qui ont
un contrat à durée indéterminée (CDI) est née de la "volonté" des CDI
de prétendre "conserver leurs privilèges" ? Cette
"explication" nie l'histoire des 80 dernières années de la classe
ouvrière, histoire qui fait apparaître les syndicats comme ennemis de toutes
les catégories d'ouvriers, qu'ils soient employés dans le secteur public ou
dans celui du privé, travailleurs en CDI, précaires, journaliers, émigrés, etc.
Rappelons seulement quelques expériences : en 1968, en France, à un moment où
il n'existe pratiquement pas d'emploi précaire, ils se sont consacrés avec
acharnement à saboter la grève de 10 millions d'ouvriers. Et ce fut la même
chose en Grande-Bretagne, en Italie, en Argentine etc. En Espagne, ils firent
tout pour saboter les grèves en 1971-76 (à une époque où ils n'étaient même pas
légalisés par le franquisme), par la suite, ils ont soutenu le Pacte de la
Moncloa, signé les accords de reconversion, la réforme de la Sécurité Sociale.
Face aux grèves de 1983-87 contre les "reconversions" et les
restructurations dans l'industrie (qui entraînèrent près d'un million de
licenciements), ils ont fait aux "CDI" la pire des choses : ils ont
contribué à leur mise à la porte, ils les ont reconvertis en chômeurs.
Comment s'est développé le travail précaire ? Est-ce qu'il a été la
concrétisation d'une "aspiration sociale" où convergerait l'intérêt
du patronat et des "aristocratiques" travailleurs en CDI ? Une
pareille "explication" est de celles dont raffole l'idéologie
démocratique et avec laquelle elle nous abreuve tous les jours. La précarité a
été imposée par les besoins du capitalisme face à l'aggravation inexorable de
sa crise mondiale. En Espagne, les premières mesures dans ce sens furent
imposées par le Gouvernement "socialiste"[5] [25] en
1984, en développant la loi que, deux ans auparavant, les syndicats Commissions
Ouvrières (proches du PC) et l'UGT (proche du Parti socialiste) avec le
gouvernement de droite d'alors avaient imposée (l'ANE, Accord National sur
l'Emploi). En 1992 (sous le gouvernement "socialiste" du PSOE) et,
par la suite, en 1997 (sous le gouvernement actuel d'Aznar), avec l'aval des
deux syndicats, d'autres mesures furent imposées pour favoriser encore plus le
travail intérimaire et les contrats pourris.
Le moyen le plus important dont dispose le capitalisme pour répondre à la crise
qui le frappe est celui de réduire les coûts de la force de travail. Pour cela,
d'un coté, il élimine ou réduit des "prestations sociales" : santé,
pensions, allocations chômage, primes de licenciement, etc. ; d'un autre coté,
il prend des mesures qui rendent l'emploi de plus en plus précaire. Mais, alors
que les coups de hache sur les "prestations sociales" sont une
attaque contre tous les travailleurs (les intérimaires, les CDI, les chômeurs,
les immigrés), les mesures de précarisation apportent au capital un grand
avantage politique : elles lui servent à semer la zizanie au sein de la classe
ouvrière, en attisant la concurrence dans ses rangs.
Les syndicats se sont consacrés avec acharnement à accroître cette zizanie
qu'ils ont contribué à semer. Ils ont deux discours : aux travailleurs en CDI
ils disent que les travailleurs temporaires, ceux des entreprises
sous-traitantes, les jeunes avec un contrat pourri, sont leurs rivaux dont l'aspiration
intime est de "leur prendre ce qu'ils possèdent". Mais, aux
travailleurs précaires, ils tiennent un autre discours totalement opposé : les
travailleurs avec CDI seraient une bande de fainéants privilégiés et sans la
moindre solidarité, une "aristocratie du travail", avec qui on ne
peut pas compter au moment de se lancer dans une grève.
Dans la situation actuelle, où la combativité et la conscience ouvrières
mûrissent avec d'énormes difficultés, le plus grand triomphe des syndicats
(sous toutes leurs formes et quelle que soit leur étiquette) est celui de
lancer les ouvriers les uns contre les autres. Pour l'instant, la combativité
n'est pas du tout homogène dans la classe dans son ensemble : il y a des
secteurs bien plus combatifs que d'autres. Les syndicats tirent profit de cette
difficulté pour empêcher que les plus combatifs ne contaminent le reste de la
classe avec leur esprit combatif. Le travail "sanitaire" des
syndicats pour arrêter l'épidémie consiste à enfermer les plus combatifs dans
des luttes isolées et dirigées non pas contre le capitalisme ou l'Etat, mais
contre les autres ouvriers.
À Puertollano, cela a été on ne peut plus clair. En août 2003, dans une grande
raffinerie (Repsol), quand les ouvriers des entreprises sous-traitantes se sont
mis en grève, les syndicats ont fait tout leur possible pour que les
"travailleurs fixes" de l'entreprise principale restent passifs, en
organisant une campagne ignoble de calomnies contre les intérimaires.
Cependant, en octobre, ils ont fait l'inverse : ils ont entraîné exclusivement
les intérimaires dans la grève en disant à ceux-ci que les travailleurs de
Repsol "ne voulaient pas lutter", "qu'ils ne bougeaient
pas", "qu'ils avaient des problèmes différents". Alors, la campagne
de calomnies a été dirigée contre les travailleurs en CDI[6] [26].
Il y a, à l'heure actuelle, en Espagne, deux grandes générations ouvrières :
d'un coté, ceux qui ont 45-55 ans, qui ont vécu les grandes luttes autonomes
des années 70 et les combats contre les reconversions du gouvernement
"socialiste" des années 80. Ces ouvriers connaissent bien, par
expérience, ce que sont les syndicats et ce qu'est la lutte directe en dehors
de ces outils castrateurs au service de l'Etat capitaliste. Mais, en même
temps, ils sont atteints de scepticisme, ils sont désorientés, ils sont
réticents vis-à-vis de la lutte, tenaillés par la peur de recevoir un coup
supplémentaire. D'un autre coté, il y a les jeunes, intérimaires et précaires
dans une grande majorité d'entre eux, qui supportent des conditions de travail
très dures, avec beaucoup de questions sur l'avenir que cette société leur
offre. Beaucoup d'entre eux veulent se mettre en lutte, mais ils n'ont que peu
d'expérience et gardent des illusions sur les syndicats. Ce dont la classe
ouvrière a besoin c'est l'unité de ces deux générations, c'est le débat et la
lutte commune, pour pouvoir unir expérience et combativité, pouvoir forger sa
conscience pour ainsi avancer ensemble vers une lutte révolutionnaire. Tout
l'intérêt de la bourgeoisie -et par conséquent de ses syndicats- va évidemment
dans le sens contraire : il s'agit pour elle de créer une muraille entre une
génération et l'autre, en les opposant, en les séparant, en les lançant l'une
contre l'autre. Voilà la raison des deux discours différents que tiennent ces
cyniques et fidèles serviteurs de l'Etat capitaliste que sont les syndicats.
[1] [27] Contrat à durée indéterminée. En Espagne, on parle de "travailleurs fixes", plus particulièrement pour les ouvriers des grandes entreprises, privées comme d'Etat.
[2] [28] Entreprise de Chantiers navals en Espagne, anciennement "publique".
[3] [29] Voir notamment Revue Internationale n° 25 (2e trimestre 1981).
[4] [30] Il y a des éléments qui rejettent la "démocratie" et l'idéologie démocratique, mais qui n'admettent pas l'explication matérialiste de la trahison des syndicats, croyant la trouver dans cette idée selon laquelle ils représenteraient les intérêts économiques mesquins de "l'aristocratie ouvrière". Cette vision économiste et sociologique prétendument "matérialiste" est, en fait, du matérialisme vulgaire, soumise à l'idéologie démocratique qui voit les institutions de l'Etat (et parmi elles, les syndicats) comme représentantes des catégories sociologiques. Le fait que les différentes couches sociales aient des intérêts économiques "légitimes", c'est-à-dire compatibles avec l'intérêt général du capital national, n'est pas contraire à l'idéologie démocratique.
[5] [31] Le ministre du Travail de l'époque, Joaquín Almunia, (qui aux élections de 2000 s'est présenté à la tête d'une coalition "radicale" avec le PC) avait déclaré la guerre aux travailleurs en disant qu'"il fallait en finir avec la propriété privée du poste de travail".
[6] [32] Voir l'article publié dans Révolution internationale, n° 339, octobre 2003.
Dans le présent article, nous poursuivons cet examen de la perspective du communisme en nous penchant sur un certain nombre d'aspects de la révolution communiste : le mode d'organisation de la classe révolutionnaire et l'orientation des mesures qu'elle est appelée à prendre.
Depuis qu'avec l'apparition de la classe ouvrière a surgi sa conscience du fait qu'elle était le sujet de la révolution communiste, s'est posé le problème de son organisation en vue de cette tâche. Longtemps, et les révolutionnaires avec lui, le prolétariat a balbutié sur cette question. Dans un premier temps (de Babeuf à Blanqui) les petites sectes conspiratrices ont eu sa faveur. Ensuite, les différentes sociétés ouvrières, coopératives professionnelles ou syndicales, telles que celles rassemblées dans l'Association Internationale des Travailleurs (1ère Internationale fondée en 1864) ont semblé constituer cette auto-organisation de la classe ouvrière en vue de son émancipation. Puis les grands partis de masse rassemblés dans la 2e Internationale (1889-1914) et les syndicats s'y rattachant se sont présentés comme le levier de la transformation de la société. Mais l'histoire devait montrer que si ces formes d'organisation correspondaient à des étapes du développement tant de la capacité de la classe ouvrière à lutter contre l'exploitation que sa conscience des buts historiques et immédiats, aucune d'entre elles n'était appropriée pour l'accomplissement de sa tâche historique : la destruction du capitalisme et l'instauration du communisme. C'est lorsque les conditions de vie du capitalisme lui-même ont mis à l'ordre du jour la révolution prolétarienne que la classe ouvrière a trouvé la forme d'organisation apte à accomplir cette révolution : les conseils ouvriers. Leur apparition en Russie en 1905 signifiait qu'on était à un tournant de l'histoire de la société capitaliste : la fin de son époque progressiste, son entrée dans la décadence, dans "l'ère des guerres impérialistes et des révolutions prolétariennes", comme devaient le comprendre les révolutionnaires par la suite. De même, si depuis Blanqui, les révolutionnaires avaient compris la nécessité de l'instauration de la dictature du prolétariat comme levier de la transformation de la société, ils n'ont compris la forme concrète que prendrait cette dictature qu'avec l'expérience de la classe elle-même, et encore avec du retard. Emboîtant le pas aux anciennes conceptions de Marx et Engels, Trotsky, qui pourtant avait joué un rôle décisif à la tête du Soviet (Conseil ouvrier) de Pétrograd, pouvait encore écrire en 1906, trente-cinq ans après 1871 :
Ainsi, pendant longtemps, une "véritable république démocratique" dans laquelle le parti prolétarien aurait joué le rôle dirigeant fit-elle figure de forme de la dictature du prolétariat. Ce n'est qu'avec la révolution de 1917 en Russie que les révolutionnaires, et en premier lieu Lénine, comprennent clairement que la "forme enfin trouvée" de la dictature du prolétariat n'est autre que le pouvoir des conseils ouvriers, ces organes apparus spontanément dès 1905 au cours de la lutte révolutionnaire et qui se caractérisent par :
Cette forme spécifique d'organisation de la classe ouvrière est directement adaptée aux tâches qui attendent le prolétariat dans la révolution.
En premier lieu, il s'agit d'une organisation générale de la classe, regroupant l'ensemble des travailleurs. Auparavant, toutes les formes d'organisations ayant existé, y compris les syndicats, ne regroupaient qu'une partie de la classe. Si cela était suffisant pour que le prolétariat puisse exercer une pression sur le capitalisme afin de défendre au mieux ses intérêts dans le système, c'est seulement en s'organisant en totalité que la classe est en mesure d'accomplir sa tâche historique de destruction du système capitaliste et d'instauration du communisme. Si l'action et le pouvoir d'une partie de la bourgeoisie (ses partis politiques) était possible et même nécessaire dans l'accomplissement de sa révolution, c'est que cette classe elle-même ne constituait qu'une partie infime de la population, qu'elle était une classe exploiteuse, et que par ailleurs, seule une minorité d'elle-même pouvait se hisser au-dessus des conflits d'intérêts qui l'ont toujours traversée du fait des rivalités économiques existant entre ses divers secteurs. Par contre, tant du fait qu'il n'existe pas d'antagonismes ni de rivalités au sein du prolétariat que du fait que la société qu'il est appelé à instaurer abolit toute exploitation et toute division en classes, que le mouvement qu'il conduit est "celui de l'immense majorité au bénéfice de l'immense majorité" (Manifeste Communiste), seule son organisation générale est en mesure d'accomplir cette tâche historique.
En deuxième lieu, l'élection et la révocabilité à tout moment des différentes charges, expriment le caractère éminemment dynamique du processus révolutionnaire, le perpétuel bouleversement tant de la société que celui qui traverse la classe elle-même, notamment dans le développement de sa conscience : ceux qui avaient été nommés pour telle ou telle tâche, ou parce que leurs positions correspondaient à tel niveau de conscience de la classe ne sont plus nécessairement à leur place lorsque surgissent de nouvelles tâches ou que ce niveau de conscience a évolué. Elles expriment également le rejet par la classe en action de toute spécialisation définitive, de toute division en son sein entre "masses et chefs", la fonction essentielle de ces derniers (les éléments les plus avancés de la classe ) étant justement de tout faire pour que disparaissent les conditions qui ont provoqué leur apparition : l'hétérogénéité du niveau de conscience dans la classe.
Si dans les syndicats, même quand ils étaient encore des organes de la classe ouvrière, il pouvait exister des fonctionnaires permanents, c'était dû au fait que ces organes de défense des intérêts ouvriers dans la société capitaliste portaient en eux certaines des caractéristiques de cette société. De même qu'il utilisait des instruments spécifiquement bourgeois comme le suffrage universel et le Parlement, le prolétariat reproduisait en son propre sein certains traits de son ennemi bourgeois tant qu'il cohabitait avec lui et que l'heure de sa destruction n'avait pas encore sonné. La forme d'organisation statique des syndicats exprimait le mode de lutte de la classe ouvrière lorsque la révolution n'était pas encore possible. La forme d'organisation dynamique des conseils ouvriers est à l'image de la tâche qui est enfin à l'ordre du jour : la révolution communiste.
De même, l'unité entre la prise de décision et son application exprime ce même rejet de la part de la classe révolutionnaire de toute spécialisation institutionnalisée, elle traduit le fait que c'est toute la classe qui non seulement prend les décisions essentielles qui la concernent mais aussi participe à l'action de transformation de la société.
En troisième lieu, l'organisation sur une base territoriale et non plus professionnelle ou industrielle exprime la nature différente des tâches prolétariennes. Lorsqu'il s'agissait de faire pression sur un patron ou sur un syndicat patronal en vue d'une augmentation des salaires ou de meilleures conditions de travail, l'organisation par métier ou par branche industrielle avait un sens. Même une organisation aussi archaïque que celle du métier permettait une réelle efficacité des travailleurs contre l'exploitation ; notamment, elle empêchait les patrons de faire appel à d'autres ouvriers d'une profession lorsque certains étaient en grève. La solidarité entre typographes, cigariers ou doreurs sur bronze était un embryon d'une réelle solidarité de classe, une étape dans l'unification de la classe ouvrière en même temps qu'elle pouvait faire reculer les patrons. Même si pesaient sur elle les distinctions et divisions propres à l'économie capitaliste, l'organisation syndicale était donc un moyen réel de lutte dans le système. Par contre, lorsqu'il s'agira non plus de faire reculer tel ou tel secteur du capitalisme, mais de s'affronter à lui en totalité, de le détruire et d'instaurer une autre société, l'organisation spécifique des typographes ou des ouvriers du caoutchouc ne saurait avoir le moindre sens. Pour prendre en main l'ensemble de la société, c'est sur une base territoriale que s'organise la classe ouvrière même si les assemblées de base se tiennent au niveau des entreprises.
Une telle tendance existe déjà à l'heure actuelle dans les luttes de résistance contre l'exploitation qui, loin de se donner une forme syndicale, rejettent cette forme pour s'organiser en assemblées générales souveraines, nommer des comités de grève élus et révocables, briser le carcan professionnel ou industriel pour s'étendre au niveau territorial.
D'une part, cette tendance exprime le fait que, dans sa période de décadence, le capitalisme prenant une forme de plus en plus étatique, l'ancienne distinction entre luttes politiques (qui étaient l'apanage des partis ouvriers du passé) et luttes économiques (dont les syndicats avaient la responsabilité) a aujourd'hui de moins en moins de sens : toute lutte économique sérieuse devient politique en s'affrontant à l'Etat : soit à ses policiers, soit à ses représentants dans l'usine, les syndicats. D'autre part, elle indique la signification profonde des luttes présentes comme préparatifs des affrontements décisifs de la période révolutionnaire : même si c'est un aiguillon économique (la crise, l'aggravation intolérable de l'exploitation) qui jette les ouvriers dans ces affrontements, les tâches qui se présentent à eux sont éminemment politiques : attaque frontale et armée contre l'Etat bourgeois, instauration de la dictature du prolétariat.
Cette unité entre le politique et l'économique qu'exprime l'organisation du prolétariat en conseils ouvriers nous amène donc à entrer plus en détail sur les tâches essentielles qui se présentent à lui dans la révolution.
Une des premières questions qui a été comprise par les communistes, notamment dès Babeuf, est que, dans la révolution prolétarienne, l'aspect politique précède et conditionne l'aspect économique. C'est là un schéma complètement opposé à celui qui a prévalu dans la révolution bourgeoise. En effet, l'économie capitaliste s'était développée à l'intérieur de la société féodale, dans les interstices de celle-ci, pourrait-on dire. La nouvelle classe révolutionnaire, la bourgeoisie, pouvait donc conquérir tout un pouvoir économique dans la société alors que les structures politiques et administratives étaient encore liées à la féodalité (monarchie absolue, privilèges économiques et politiques de la noblesse, etc.). Ce n'est que lorsque le mode de production capitaliste était devenu dominant, c'est-à-dire qu'il conditionnait l 'ensemble de la vie économique (y compris celle qui n'était pas directement capitaliste comme la petite production agricole ou artisanale ), que la bourgeoisie, forte de sa puissance matérielle, se lançait à l'assaut du pouvoir politique afin d'adapter celui-ci à ses besoins spécifiques et aplanir le terrain pour une nouvelle expansion économique. Il en fut ainsi, notamment lors de la révolution anglaise de 1640 et de la révolution française de 1789. En ce sens, la révolution bourgeoise parachève toute une période de transition au cours de laquelle se sont développées dans la société féodale, au point de la supplanter, les bases économiques d'une nouvelle société. Tout autre est le schéma de la révolution prolétarienne. Dans la société capitaliste, la classe ouvrière ne possède aucune propriété, aucune assise matérielle tremplin de sa future domination sur la société. Toutes les tentatives inspirées des conceptions utopistes ou proudhoniennes ont échoué : le prolétariat ne peut créer "d'îlots" de communisme dans la société présente. Toutes les communautés ou coopératives ouvrières ont été soit détruites, soit récupérées par le capitalisme. Ce qu'avaient compris Babeuf, Blanqui et Marx contre les utopistes, Proudhon et les anarchistes, c'est que la prise du pouvoir politique par le prolétariat est le point de départ de sa révolution, le levier avec lequel il transformera progressivement la vie économique de la société en vue d'abolir toute économie. C'est pour cela d'ailleurs que, comme l'écrivait Marx, si :
Dans la mesure où le capitalisme avait déjà créé ses bases économiques au moment de la révolution bourgeoise, celle-ci était essentiellement politique. Par contre, celle du prolétariat commence par un acte politique en tant que condition du développement de son aspect non seulement économique mais social, développement qui créera les conditions du communisme.
Ainsi, les Conseils ouvriers ne sont nullement des organes "d'autogestion", c'est-à-dire des organes de gestion de l'économie (c'est-à-dire de la misère) capitaliste. Ils sont l'organe d'abord politique, mais également social que se donne la classe ouvrière pour transformer progressivement la société telle qu'elle sort du capitalisme et vers le communisme.
Après avoir défini le mode d'organisation du prolétariat pour sa révolution et le cadre général de ses tâches, nous verrons plus en détail la nature de ces tâches dans un prochain article.
(D'après Révolution Internationale n°64)Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[2] https://fr.internationalism.org/tag/5/56/moyen-orient
[3] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftn1
[4] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftn2
[5] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftn3
[6] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftn4
[7] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftn5
[8] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftn6
[9] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftnref1
[10] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftnref2
[11] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftnref3
[12] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftnref4
[13] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftnref5
[14] https://fr.internationalism.org/ri343/trotskisme_LO.htm#_ftnref6
[15] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauchisme
[16] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[17] https://fr.internationalism.org/tag/5/61/inde
[18] https://fr.internationalism.org/tag/5/120/pakistan
[19] https://fr.internationalism.org/tag/5/119/asie
[20] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre
[21] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftn1
[22] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftn2
[23] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftn3
[24] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftn4
[25] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftn5
[26] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftn6
[27] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftnref1
[28] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftnref2
[29] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftnref3
[30] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftnref4
[31] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftnref5
[32] https://fr.internationalism.org/ri343/syndicalisme.htm#_ftnref6
[33] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[34] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/perspective-du-communisme
[35] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/communisme
[36] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution