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Le trotskysme contre la classe ouvrière

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Né comme courant d'opposition opportuniste à la dégenérescence de l'Internationale communiste et la contre-révolution stalinienne, le trotskysme est passé définitivement du côté de la classe dominante avec son soutien au camp "démocratique" lors de la deuxième guerre mondiale impérialiste. Sa nature fondamentalement anti-ouvrière n'a fait que se confirmer depuis.

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Le trotskysme contre la classe ouvrière - Présentation

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Les événements qui agitent à l’heure actuelle les pays dits “socialistes”, la disparition de fait du bloc russe, la faillite patente et définitive du stalinisme sur le plan économique, politique et idéologique, constituent les faits historiques les plus importants depuis la seconde guerre mondiale avec le resurgissement international du prolétariat à la fin des années 1960.

Un événement d’une telle ampleur se répercutera et a déjà commencé à se répercuter sur la conscience de la classe ouvrière, et cela d’autant plus qu’il concerne une idéologie et un système politique présentés pendant plus d’un demi-siècle par tous les secteurs de la bourgeoisie comme “socialistes” et “ouvriers”. Avec le stalinisme, c’est le symbole et le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l’histoire qui disparaissent.

Mais il y a aujourd’hui un déchaînement de mensonges à cette occasion et, en premier lieu, le principal et le plus crapuleux d’entre eux: celui qui prétend que cette crise, cette faillite du stalinisme, c’est celle du communisme, celle du marxisme.

Démocrates et staliniens se sont toujours retrouvés, au delà de leurs oppositions, dans une Sainte-Alliance dont le premier fondement est de dire aux ouvriers que c’est le socialisme qui, au delà de ses travers et déformations, règne à l’Est.

Pour Marx, Engels, Lénine, Luxembourg et pour l’ensemble du mouvement marxiste, le communisme a toujours signifié la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, la fin des classes, la fin des frontières, cela n’étant possible qu’à l’échelle mondiale, dans une société où règne l’abondance, où “le règne du gouvernement des hommes cède la place à celui de l’administration des choses” et dont le fondement est “à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités”.

Prétendre qu’il y aurait quelque chose de “communiste” ou d’“engagé” sur la voie du “communisme” en URSS et dans les pays de l’Est alors que règnent en maître exploitation, misère, pénurie généralisée, représente le plus grand mensonge de toute l’histoire de l’humanité...

Les trotskistes n’ont cessé de participer à asseoir et à renforcer ce mensonge comme ils n’ont cessé de pousser, partout où ils le pouvaient, les ouvriers dans les griffes du stalinisme. Maintenant qu’il n’y a plus aucun doute sur la nature bourgeoise des pays de l’Est, de leurs Etats et des PC, les trotskistes -quelles que soient leurs ‘dénonciations’ actuelles des régimes barbares de l’Est et les ‘proclamations d’innocence’ par rapport à leur collusion permanente avec le stalinisme- ne peuvent plus cacher ce qu’ils sont réellement et profondément: des contre-révolutionnaires, des mystificateurs et des ennemis de la classe ouvrière.

Cette réalité n’est pas pour étonner ou surprendre les révolutionnaires (en particulier le CCI) qui l’ont toujours mise en évidence et qui ont toujours dénoncé ce courant gauchiste, que ce soit au niveau de ses positions fondamentales ou au niveau de sa pratique anti-ouvrière.

Cette dénonciation, s’est faite, au fil des années, toujours plus pressante mais elle prend aujourd’hui, une signification de plus en plus concrète et de plus en plus fondamentale pour le combat de la classe ouvrière et pour le renforcement de sa conscience politique.

Voilà pourquoi nous rééditons cette brochure[1] [4] qui a pour objectif principal de mettre en évidence la nature bourgeoise du trotskisme et la frontière de classe qui le sépare du prolétariat et de ses véritables organisations révolutionnaires.

Dans cette dernière édition, de nouveaux textes (sur la politique des trotskistes pendant la 2ème guerre mondiale et pendant la période des années 70) ont été ajoutés pour renforcer cet objectif; ainsi qu’un texte sur Trotsky qui, malgré les erreurs graves qu’il a commises vers la fin de sa vie (erreurs que nous critiquons sans concessions), n’en demeure pas moins une des plus grandes figures de l’histoire du mouvement ouvrier et de ce fait, ne peut être assimilé aux organisations bourgeoises qui se revendiquent de lui.

Cette brochure met ainsi en évidence l’origine des erreurs de Trotsky, elle montre comment fondamentalement il n’a pas su reconnaître à temps l’échec de la révolution prolétarienne mondiale et par là celui de la révolution en Russie. Depuis son expulsion d’URSS, en 1929, jusqu’à son assassinat, Trotsky n’a fait qu’interpréter le monde à l’envers (cf. l’article sur Trotsky). Alors que la tâche de l’heure était devenue de rassembler les énergies révolutionnaires rescapées de la défaite pour entreprendre avant tout un bilan politique complet de la vague révolutionnaire, Trotsky s’est ingénié aveuglément à voir le prolétariat toujours en marche, là où il était défait. De ce fait, la IVème Internationale créée voici plus de 50 ans, ne fut qu’une coquille vide à travers laquelle le mouvement réel de la classe ouvrière ne pouvait pas passer, pour la simple et tragique raison qu’il refluait dans la contre-révolution. Toute l’action de Trotsky basée sur cette erreur a de plus contribué à disperser les trop faibles forces révolutionnaires présentes de par le monde dans les années 1930 et pire, à en entraîner la plus grande partie dans le bourbier capitaliste du soutien “critique” aux gouvernements de type ‘fronts populaires’ et de participation à la guerre impérialiste. Le corollaire de l’analyse erronée de Trotsky sur la période consistait pour lui à considérer que le mouvement révolutionnaire toujours en marche avait perdu momentanément sa direction politique. A partir de là, tout moyen devenait bon pour chercher à pousser ou à redresser les “partis ouvriers dégénérés” qu’étaient les soi-disant partis communistes staliniens, alors que ceux-ci étaient déjà passés clairement dans le camp de la contre-révolution. Tout moyen devenait bon pour chercher à prendre la tête du mouvement.

Les épigones de Trotsky n’ont fait qu’exploiter, au bénéfice de la bourgeoisie, ce raisonnement erroné du vieux révolutionnaire pour enfoncer encore plus la classe ouvrière dans la contre-révolution. En reprenant les erreurs de leur maître et en les poussant jusqu’à leur caricature, les organisations trotskistes n’ont pas mis longtemps pour occuper franchement leur place sur l’échiquier politique bourgeois, aux côtés de tous ceux qui d’une façon ou d’une autre oeuvrent afin que se perpétue ce système d’exploitation. Leur soutien à l’URSS de Staline, aux PC staliniens, à la Social-démocratie, aux fronts populaires, la participation de la quasi totalité des organisations trotskistes à la “Résistance” pendant la seconde guerre mondiale ont été autant d’étapes décisives dans leur passage dans le camp de la bourgeoisie, dans leur abandon des positions communistes internationalistes, aboutissant enfin au soutien à toutes les luttes de libération nationale[2] [5].

Au delà même de la compréhension des racines historiques du passage du trotskisme à la bourgeoisie, il reste aujourd’hui pour la classe ouvrière des faits, des actes commis par ces organisations contre les luttes ouvrières elles-mêmes. C’est pourquoi, dans cette brochure, nous avons estimé fondamental de dénoncer le rôle des trotskistes dans les années 80 (dans la troisième partie de celle-ci) car il a été particulièrement néfaste à la lutte de la classe ouvrière.

Ces organisations n’ont pas pris n’importe quelle place au sein de la bourgeoisie. Parce qu’elles adoptent un langage radical, usant largement d’une terminologie “marxiste”, “révolutionnaire”, parce qu’elles se situent de façon critique vis à vis des partis de gauche et des syndicats qui se révèlent de plus en plus aujourd’hui comme anti-ouvriers, elles peuvent apparaître aux yeux de la classe ouvrière comme “différentes”, “plus près des ouvriers”. Depuis la reprise de la lutte de classe à la fin des années 60, l’attitude des organisations trotskistes, dans ses grandes lignes, peut se résumer ainsi : durant la période des années 70, quand les partis de gauche et les syndicats maîtrisaient bien la situation, quand ils étalent en position forte où ils pouvaient entretenir l’illusion au sein de la classe ouvrière qu’ils étaient capables de proposer une autre politique “en faveur des ouvriers”, et qui “devait permettre de sortir de la crise”, à ces moments là, les trotskistes ont soutenu ouvertement la gauche et les syndicats sous des prétextes fallacieux : “ils vont dans le bon sens” Par contre, dans les années 80, alors que la tendance était à des situations de luttes ouvertes et massives où partis de gauche et syndicats tendaient à perdre le contrôle de la situation, le rôle des trotskistes a consisté, alors “aux côtés des ouvriers”, à critiquer fortement la gauche et les syndicats et essayer de se placer en représentants vrais, “de base”, des ouvriers pour saboter les luttes et ramener ceux-ci dans le giron des syndicats, en expliquant qu’on ne peut pas se passer d’eux et qu’il faut oeuvrer surtout à leur rénovation, sous-entendu : “élisez-nous chefs du syndicat!”

En fait, surtout depuis le début des années 80, avec l’approfondissement accéléré de la crise économique de son système, la bourgeoisie a de plus en plus une seule priorité : faire accepter de plus en plus de sacrifices, pour ne pas dire la misère, à la classe ouvrière, en veillant à ce que cela ne provoque pas de situations conflictuelles capables de mettre en péril l’équilibre de l’Etat national. Voilà pourquoi dans les pays les plus industrialisés, la bourgeoisie s’est mise, à travers ses fractions de droite, à parler le langage de la “vérité”, appliquant ouvertement l’austérité et des plans d’attaque contre la classe ouvrière, tandis que les fractions de gauche se sont cantonnées le plus souvent dans l’opposition au gouvernement afin d’occuper à l’avance tout le terrain social et de veiller surtout à ce que les luttes ouvrières soient circonscrites dans un cadre ne mettant pas en péril les intérêts de l’Etat capitaliste. Depuis 20 ans, nous avons assisté au développement des luttes de résistance de la classe ouvrière mondiale avec des avancées et des reculs, et à travers ses luttes, au dégagement progressif de celle-ci vis à vis des organes d’encadrement de la bourgeoisie, à sa propre affirmation en tant que classe révolutionnaire.

Pour contrer cet effort l’Etat bourgeois dispose d’une arme essentielle qu’elle utilise au sein des rangs ouvriers, “de l’intérieur” : la gauche et ses syndicats. Les gauchistes -et en particulier les trotskistes- y occupent une place de plus en plus privilégiée dans les rangs du syndicalisme de base.

Le propre du syndicalisme de base consiste surtout à chercher au moyen d’un verbiage pseudo-radical à coller le plus possible au mouvement de la classe ouvrière. La classe en lutte traîne alors un parasite qui met tout en oeuvre pour saboter ses luttes quand les syndicats officiels ne suffisent plus et la ramener à nouveau dans le giron syndical, pour qu’en dernière instance elle s’en remette aux décisions du syndicat, en un mot, pour qu’elle se livre aux mains de son fossoyeur attitré.

Nous voulons insister ici sur le fait que cette pratique est par excellence le meilleur camouflage que peut trouver la bourgeoisie aujourd’hui pour s’infiltrer parmi la classe ouvrière.

Tout est possible de la part du syndicalisme de base, y compris d’appeler s’il le faut à lutter hors des syndicats afin qu’il puisse ainsi rester collé au mouvement pour, le moment venu, le saboter. Dans ces conditions, chaque hésitation, chaque illusion, chaque moment de faiblesse présenté par le mouvement est mis à profit par le syndicalisme de base pour reprendre le dessus, faire passer des propositions “d’action” signant à terme l’essoufflement de la lutte, que le syndicat officiel n’a plus ensuite qu’à venir cueillir comme un fruit mûr.

Les derniers exemples les plus caractéristiques sont certainement ceux de la grève à la SNCF en décembre 1986/janvier 87 et du secteur de la santé en octobre 1988 en France. Les cheminots sont partis en grève en dehors des syndicats et se sont organisés en assemblées générales. De cette manière, la grève s’est rapidement étendue à tout le secteur ferroviaire.

Parvenue à ce stade, la grève ne pouvait se renforcer que si elle réussissait à s’élargir à d’autres secteurs, comme le secteur public par exemple très sensible à ce moment là, à tout ce qui se passait à la SNCF. Le syndicalisme de base, particulièrement animé par les militants trotskistes de la Ligue communiste révolutionnaire et de Lutte ouvrière, est parvenu à court-circuiter l’effort de la classe ouvrière tendu vers cet objectif en favorisant la formation précipitée et artificielle de plusieurs comités de coordination nationale. De cette manière, en focalisant les débats et l’attention des grévistes sur la question de la centralisation de la grève à la seule SNCF, ils sont parvenus, profitant et utilisant un fort sentiment corporatiste chez les cheminots, à les maintenir isolés dans leur secteur, conduisant ainsi le mouvement à la défaite, tout en n’apparaissant pas ouvertement comme les saboteurs du mouvement. En parvenant ainsi à déposséder les ouvriers du contrôle de leur propre lutte, et surtout en participant activement à son isolement avec l’ensemble de la bourgeoisie, les organisations trotskistes portent une des plus grandes responsabilités dans la défaite du mouvement de la classe ouvrière à la SNCF en France.

C’est cette tactique d’isolement corporatiste et de division qu’ils ont généraliser dans les luttes à la SNECMA, durant la grève des infirmières en parlant d’extension mais, inter-catégorielle dans la même corporation, et tout cela à travers des coordinations bidons et autoproclamées qu’ils manipulaient.

Depuis la fin des années 60, la classe ouvrière a eu maintes fois l’occasion de se confronter aussi bien à la gauche qu’aux gauchistes. Même si pour nous, en tant qu’organisation révolutionnaire, il reste primordial d’être capable de dénoncer clairement le trotskisme sur un plan politique général, de plus en plus, le centre de nos efforts consiste à se retrouver dans la lutte, aux côtés des ouvriers afin, par notre intervention, de contribuer le mieux possible à contrer le sabotage de celle-ci par la gauche et les gauchistes. Il devient de plus en plus vital que la classe ouvrière acquière une réelle capacité à faire obstacle aux menées gauchistes en sachant démasquer ses véritables ennemis et leurs manoeuvres, principalement ceux qui savent le mieux se camoufler en son sein, aujourd’hui les trotskistes, parce qu’ils sont passés le plus récemment dans le camp de la bourgeoisie. Dans ce processus, l’intervention des révolutionnaires est indispensable. Cette brochure en est une arme essentielle

- Février 1990.

[1] [6] Nous avons déjà édité deux brochures intitulées Le Trotskisme en 1981 et 1987, et fait trois Méditions d’une brochure Critique du trots e d’un ex-militant de LO qui était quant au fond très correcte de notre point de vue. Au total nous avons vendu plus de 3500 exemplaires de brochures consacrées à la dénonciation du trotskisme, c’est le signe du besoin d’une critique radicale de ce courant bourgeois

[2] [7] C’est ainsi que les trotskistes ont consolidé leur place éminente dans un camp impérialiste bourgeois: celui des pays du Pacte de Varsovie et ont concouru à l’édification du mythe du socialisme en Algérie, à Cuba, au Vietnam, au Cambodge, etc. Dans ces pays de nombreux prolétaires ont été massacrés au nom du socialisme.

Trotsky, le "Révolutionnaire", l'"Internationaliste"

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La réapparition du prolétariat sur la scène historique mondiale, à la fin des années 60, nous impose de revenir sur son expérience historique et d’évoquer les grandes figures du mouvement ouvrier, leurs contributions, leurs rôles. C’est en fonction de cette nécessité que nous voulons, ici, souligner le rôle immense de Trotsky dans le mouvement révolutionnaire prolétarien et, par contre, le dissocier clairement de ses épigones qui sont, aujourd’hui, une fraction de la bourgeoisie.

Trotsky et le “Trotskisme”

Il est impossible de cantonner Trotsky dans des seconds rôles, c’est un géant du mouvement ouvrier au même titre que Lénine ou Rosa Luxembourg. Si Staline a tout fait pour le faire disparaître de la scène de l’histoire, les trotskistes, en le momifiant et en reprenant pour les développer toutes les erreurs qu’il a faites durant les années 30, en limitant sa pensée au seul programme de la IVème Internationale, ne cherchent qu’à réduire à néant son rôle et son apport véritable.

Pour tuer ou rendre inoffensive une pensée révolutionnaire, il suffit de la figer, de la cantonner dans des principes ou des dogmes qui ne doivent ou ne peuvent plus évoluer. C’est l’objectif qu’a eu la bourgeoisie en créant deux théories, le “léninisme” et le “trotskisme”, qui n’ont jamais existé du vivant de Lénine ou de Trotsky. Il est facile de citer mille exemples de l’évolution de la pensée de Lénine ou de Trotsky durant leur vie pour montrer comment une pensée révolutionnaire est capable d’évoluer, de se modifier, pour rendre compte de la complexité des mouvements sociaux et de la lutte de classe, En ce qui nous concerne, nous essayons d’utiliser la méthode de Marx qui consiste à faire vivre la théorie révolutionnaire -celle que nous a léguée le mouvement ouvrier- en ne considérant aucun texte comme sacré et en le passant au feu salutaire de la critique et nous l’appliquons à la pensée de Trotsky elle même[1] [8]. Pour les révolutionnaires rien n’est intangible; seule la méthode d’investigation, le marxisme, demeure la boussole dans la compréhension des situations historiques et politiques.

Les deux termes de “trotskisme” et de “léninisme” ont été inventés par Zinoviev[2] [9] en 1923 pour les besoins de la lutte contre Trotsky, et pour souder la nouvelle troïka à la tête du PC d’URSS et de l’Internationale. A partir du 5ème congrès de l’IC, dans un cours descendant de la lutte de classe, la théorie du “léninisme” servit également à travers la “bolchevisation” à normaliser tous les PC en excluant tous les oppositionnels. Il n’est donc pas correct de parler de "trotskisme” ni en tant que théorie, ni en tant que mouvement politique avant 1940. Le trotskisme naît véritablement à la mort de Trotsky. Ses épigones n’ont pas su faire vivre sa pensée et en ont fait un dogme et une théorie contre-révolutionnaire en poussant jusqu’à leurs ultimes conséquences les positions politiques contenues dans le “Programme de transition” de la IVème Internationale[3] [10].

Pour nous, tout en reconnaissant le révolutionnaire Trotsky et son rôle, il ne s’agit nullement d’éviter de le soumettre à la critique, et nous avons de nombreux désaccords avec lui, comme le verrons.

Trotsky dans la montée révolutionnaire (1903-1922)

Au début du XXe siècle Trotsky est parmi ceux, comme Rosa Luxembourg, qui saisissent l’importance historique majeure des grèves de masse qui se déroulent en Russie, et en particulier celle des conseils ouvriers dès leur apparition en 1905[4] [11]. Alors que Lénine lui-même ne comprend pas tout de suite que c’est “la forme enfin trouvée” de la prise du pouvoir et de la dictature du prolétariat, Trotsky écrit: “le soviet devint immédiatement l’organisation même du prolétariat; son but est de lutter pour la conquête du pouvoir révolutionnaire” Parce qu’il saisit parfaitement la situation politique en 1905, Trotsky a pu jouer un rôle déterminant au cours des événements, il se retrouve président du comité exécutif du conseil ouvrier de Petrograd le 17 octobre 1905.

Par contre, dans les débats fondamentaux qui au début du siècle traversent la Social-démocratie sur la question du ‘rôle du Parti”, il adopte une position centriste. Ainsi au 2ème Congrès du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie) en 1903 il se retrouve au côté des mencheviks contre Lénine. S’il avait raison de critiquer dans “Nos tâches politiques"[5] [12] la vision jacobine et substitutionniste de Lénine (vision développée dans “Un pas en avant, deux pas en arrière”)[6] [13], il était, à ce moment-là, plus fondamental de se positionner contre la vision laxiste des mencheviks.

Ce débat allait provoquer la scission entre bolcheviks et mencheviks[7] [14]. La position ‘nuancée’ de Trotsky faisait de larges concessions au laxisme des mencheviks, alors que celle de Lénine allait permettre aux bolcheviks de forger une organisation de combat plus soudée et plus décidée pour la lutte de classe.

En revanche, pendant la 1ère guerre mondiale, Trotsky est parmi la poignée de révolutionnaires et d’internationalistes présents à Zimmerwald et qui de ce fait ne trahissent pas la classe ouvrière[8] [15].

Nous ne nous étendrons pas longuement sur son rôle de premier plan au cours de la révolution russe, car c’est, véritablement, l’homme de la révolution. Il suffit de rappeler que, dès le début de la période révolutionnaire, il rejoint les bolcheviks en se ralliant aux “Thèses d’avril”[9] [16] qui ne sont guère éloignées des thèses de la révolution permanente”[10] [17] qu’il a défendues avant la 1ère guerre mondiale. Puis, pendant l’insurrection, il se montre un des plus décidés et des plus brillants organisateurs de la prise du pouvoir, il est l’animateur du comité militaire révolutionnaire, bras armé du soviet de Petrograd.

Pendant toute la période qui suivit la révolution, il est à côté de Lénine la figure centrale du parti, du gouvernement des soviets et de la IIIe Internationale. Grâce à ses talents d’organisateur, il arrive à forger l’Armée Rouge (1918) à la tête du commissariat à la guerre, ce qui permet de gagner la guerre civile (1918.1921) contre les armées blanches soutenues par les puissances de l’Entente[11] [18].

L’incompréhension du changement de cours historique

Trotsky est l’homme, l’organisateur de l’insurrection et de la prise du pouvoir en 1917, mais une nouvelle période s’ouvre, autrement plus difficile pour les révolutionnaires et la classe ouvrière avec la fin de la vague révolutionnaire mondiale. Dans cette période, il faut être capable de comprendre la situation pour y faire face, et ce n’est pas facile pour des révolutionnaires qui viennent de vaincre et de prendre le pouvoir, de modifier leurs orientations dans l’attente de la révolution prolétarienne dans les pays centraux notamment en Allemagne. Au début des années 20, les révolutionnaires russes doivent “tenir”[12] [19] le pouvoir dans l’attente de la révolution en Europe.

C’est dans cette courbe descendante et défavorable à’ l’action de la classe ouvrière qu’intervient la lutte pour le pouvoir en URSS pendant la maladie de Lénine, puis sa mort en 1924. Cette lutte aboutit à la défaite de Trotsky, d’abord à la tête de la première Opposition de 1923, puis de “l’Opposition unifiée” (1925-1926) réunissant cette fois les membres de la première opposition avec en sus Zinoviev et Kamenev et d’autres “vieux bolcheviks”. Dans cette période Trotsky s’est montré indécis, incapable de mener une lutte conséquente contre la dégénérescence du Parti et de l’Internationale, se cantonnant dans un combat au sein du parti russe[13] [20].

Après le 6ème Plénum de l’IC, les opposants commencent à s’organiser dans tous les pays, mais de manière dispersée, chacun de son côté au lieu d’unir leurs efforts. L’Opposition au PC belge est majoritaire; en novembre 1927 une résolution protestant contre l’exclusion de Trotsky du PCUS est adoptée (15 voix contre 3) par le comité central. L’Opposition est très influente en Espagne mais surtout à travers la Gauche italienne qui a une importance qui dépasse son nombre par son apport historique et théorique. Il y a enfin les oppositions française et allemande qui sont disparates et dispersées dans plusieurs groupes, sans homogénéité politique.

C’est en 1929, avec l’expulsion de Trotsky d’URSS, que l’opposition Internationale de Gauche (OGI) s’organise de façon plus centralisée et conséquente. Cet événement est d’une importance capitale pour le mouvement révolutionnaire, c’est la possibilité offerte aux différents groupes ou noyaux oppositionnels de se regrouper, d’entrer en contact, de s’organiser. Le rôle de Trotsky va être décisif. Que va-t-il faire ? En fait, au cours de cette période il aura un rôle négatif. La politique personnelle qu’il va mener au sein de l’Opposition entraîne l’éparpillement et la dispersion des énergies révolutionnaires. Sa politique est fondée sur la conviction que la période est toujours favorable à la révolution.

Or, il fallait tirer tous les enseignements de la vague révolutionnaire des années 20, faire un “bilan” et sur cette base établir une plate-forme politique solide pour consolider le mouvement révolutionnaire. C’est ce que propose la Fraction italienne : “Le problème central de la crise du mouvement communiste réside dans la localisation et dans l’analyse des causes qui nous ont poussé au désastre actuel.”[14] [21]. Pour la Conférence d’avril 1930, la Fraction avait établi un document qui insiste sur cette nécessité d’un bilan et un réexamen des événements passés : “ceci se traduit par l’établissement d’une plate-forme, unique moyen qui peut guider une opposition communiste”[15] [22].

En revanche, Trotsky préfère une “avancée du mouvement” à “un programme” politique cohérent[16] [23]. Cette politique a abouti à des querelles personnelles de “chefs” au sein de l’Opposition; Trotsky a soutenu ceux qui le suivaient aveuglément dans ses orientations politiques ce qui l’a amené, bien souvent, à soutenir des agents du GPU infiltrés au sein de l’OGI ou des éléments troubles: Mille, les frères Sobolevicius, “Etienne” ou Mollinier... Tous les groupes oppositionnels conséquents: Gauche belge, allemande, espagnole... et militants révolutionnaires de valeur seront écartés ou expulsés comme Rosmer, Nin, Landau et Hennaut. Ce travail destructeur une fois accompli, la Conférence de l’Opposition pourra être réunie (février 1933), avec seulement des militants à la botte de Trotsky. Et pour finir, on exclura la Gauche italienne sans débat (de la même manière qu’elle avait été expulsée de l’Internationale stalinisée), alors qu’elle avait continué à combattre au sein de l’Opposition malgré toutes les manoeuvres ourdies contre elle pour l’obliger à rompre de son propre fait.

Mais ce qui est plus grave à cette époque c’est que Trotsky comprend la situation politique à l’envers de son évolution réelle. Il croit que la révolution est encore possible et qu’il suffit d’une organisation politique réellement bolchevique pour vaincre. En 1936, il titre dans La lutte ouvrière “La révolution française a commencé”[17] [24] et sur l’Espagne, “Les ouvriers du monde entier attendent fiévreusement la nouvelle de la victoire du prolétariat espagnol”[18] [25]. Voilà ce qui amène Trotsky à brader les principes et à chercher par tous les moyens à gagner de jeunes éléments inexpérimentés aux idées révolutionnaires ; et de plus il prône “l’entrisme” dans les partis sociaux-démocrates (août 1934 dans la SFIO par exemple) qui avaient trahi la classe ouvrière en ayant voté les crédits de guerre en 1914 et rejoint le camp bourgeois. Cette vision erronée de Trotsky amène tout droit à la fondation de la IVe Internationale en septembre 1938.

La Gauche italienne, à juste raison, analyse la période comme contre-révolutionnaire, où le rôle des révolutionnaires est de faire le “bilan” de l’expérience passée et de préserver les cadres et le programme révolutionnaire pour se tenir prêt lorsque le cours s’inversera vers une nouvelle période révolutionnaire. La tâche de l’heure n’était donc pas à la formation d’une nouvelle internationale.

Les errements et les erreurs fatales de Trotsky vont, tout naturellement, l’amener à former l’Internationale à la veille de la guerre. Pour lui, “La crise de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire” Cette conception idéaliste explique toute sa politique erronée durant cette époque. “Le principal obstacle dans la voie de la transformation de la situation pré-révolutionnaire en situation révolutionnaire, c’est le caractère opportuniste de la direction du prolétariat” C’est avec cette vision que Trotsky propose son “Programme de transition”. Il s’agit d’“aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste”. Et ce pont, Trotsky prétend le construire en proposant un “système de revendications transitoires”. Le mouvement ouvrier connaît parfaitement ce problème, il n’est pas nouveau. La Social-démocratie appelait cela, avant la guerre de 1914, programme “intermédiaire” entre le programme “minimum” exprimant les revendications “immédiates” de la classe ouvrière et le programme “maximum” exprimant le but final : le socialisme.

Mais aujourd’hui, le mouvement ouvrier se trouve dans la période où la révolution communiste est possible. C’est pourquoi tout programme intermédiaire ne crée pas un “pont” mais une véritable “barrière”, égare la conscience de la classe ouvrière et sème des illusions nuisibles comme l’obtention de réformes possibles et durables dans le système capitaliste.

Sur la base des erreurs de la IIIe Internationale, le “Programme de transition”[19] [26] avance le principe fondamental de la participation aux syndicats, le soutien critique aux partis dits “ouvriers”, aux “fronts uniques ouvriers” et “aux fronts anti-fascistes”, aux gouvernements “ouvriers et paysans”; aux mesures capitalistes d’Etat (prisonnier de l’expérience en URSS) à travers “l’expropriation des banques privées”, “l’étatisation du système du crédit”, “l’expropriation de certaines branches de l’industrie” et des mesures comme “le contrôle ouvrier” sur la production ou “l’échelle mobile des salaires”. Cette conception amène à la “défense de l’Etat ouvrier dégénéré” russe. Et au niveau politique, il prévoit la révolution démocratique et bourgeoise dans les nations opprimées devant passer par des “luttes de libération nationale”. On reconnaîtra là tout ce que défendent encore les trotskistes, quelle que soit leur obédience.

***

Toutefois, si Trotsky a ouvert la porte à ses épigones qui, en répétant le “Programme de transition” -aboutissement de ses erreurs politiques-, en ont fait une théorie contre-révolutionnaire de soutien d’un camp impérialiste, la Russie pendant la 2ème guerre mondiale, nous ne le confondrons pas avec ceux qui se réclament de lui aujourd’hui. Trotsky est resté toute sa vie un militant révolutionnaire malgré la ligne politique “centriste” qu’il a défendue pendant les années 30 avec toutes ses erreurs. En revanche, les trotskistes n’ont rien à voir fondamentalement avec Trotsky. Trotsky ne leur appartient pas, il appartient à la classe ouvrière, au mouvement révolutionnaire. Nous revendiquons l’homme de 1917 et nous sommes les seuls à pouvoir défendre sa mémoire et sa méthode qui est la méthode marxiste. C’est ainsi que pendant les prémisses de la deuxième guerre mondiale, il a eu encore la force de réviser intégralement toutes ses positions politiques notamment sur la nature de l’URSS. Il disait dans une dernière brochure “L’URSS en guerre” que si le stalinisme sortait vainqueur et renforcé de la guerre, alors il faudrait revoir le jugement qu’il portait sur l’URSS. C’est ce que fit Natalia Trotsky en utilisant la logique de pensée de son compagnon et en rompant avec la IVe Internationale sur la nature de l’URSS, le 9 mai 1951[20] [27], comme d’autres trotskistes notamment Munis[21] [28].

RI n°179 de mai 1989

 


[1] [29] Trotsky s’est appliqué à lui-même cette méthode puisqu’il est revenu, par exemple, sur son rôle dans la prise et l’écrasement de la commune de Kronstadt (cf. article du 25 juillet 1939).

[2] [30] Il l’expliqua lui-même aux militants du PC de Leningrad qui l’avaient suivi dans la question du “trotskisme” lorsqu’il s’unit 2 ans plus tard, en 1926, avec Trotsky, “C’était la lutte pour le pouvoir. Tout l’art consistait à savoir relier les anciennes divergences de vues avec les nouvelles. C’est justement pour cela que le ‘trotskisme’ fut mis au premier plan...

[3] [31] Aujourd’hui le terme de trotskisme recouvre le programme de la IVême Internationale, c’est à dire le “programme de transition” que les trotskistes actuels répètent comme des perroquets, à tout propos, et en s’en servant contre la classe ouvrière.

[4] [32] cf. son livre’19O5’ - Ed. de Minuit.

[5] [33] cf. "Nos tâches politiques” - Ed. Belfond.

[6] [34] En juillet 1904, Rosa Luxembourg fait aussi la critique des conceptions d’organisation de Lénine dans ‘Questions d’organisation de la social-démocratie russe’ publiée dans ‘Die Neue Zeit”.

[7] [35] C’est autour des questions pratiques et du "comment se forge le Parti” que la rupture se fait notamment à l’issu de la discussion sur l’article 1 des Statuts qui définit ce qu’est “un membre du Parti et ses responsabilités’.

[8] [36] “Il était possible de transporter tous les internationalistes dans 4 voitures”. Trotsky, “Ma vie”.

[9] [37] En revanche, Lénine doit convaincre le parti bolchevik et ses organes dirigeants sur le fait que la révolution prolétarienne est à l’ordre du jour en Russie.

[10] [38] Cette théorie est développée dans son livre “Bilan et perspectives” rédigé après 1905, à la suite de Parvus dans “Guerre et Révolution” qui indique que le système capitaliste s’est développé en un système mondial, la maturité révolutionnaire de la société bourgeoise ne doit être mesurée qu’à l’étalon du marché mondial considéré comme totalité. Et un nouveau cycle de crise s'ouvrait. Le seuil de cette nouvelle époque notamment de guerre impérialiste, était ouvert par la guerre russo-japonaise. Cela avait des conséquences, la guerre devait catalyser la crise sociale et économique en Russie d’abord, en entraînant, peut être, la chute du tsarisme. Une fois la Russie enflammée, dans cette atmosphère de crise généralisée et l’étroitesse des connexions en Europe, la révolution pourrait s’étendre en Occident. On voit tout de suite l’importance de la pensée de Parvus sur Trotsky d’abord et sur les Bolcheviks ensuite. Toutefois, on constate également combien ces conceptions recoupent les conceptions de la Gauche de la Social-démocratie européenne et notamment Rosa Luxembourg. Pour plus de détails, lire “Aux origines de la révolution permanente” d’Alain Brossat. Ed. Maspero.

[11] [39] L’écrasement de la commune de Kronstadt ne peut être imputé au seul Trotsky. Toute la IIIème Internationale en porte la responsabilité. Les révolutionnaires croyaient alors en la possibilité d’un redémarrage de la vague révolutionnaire au coeur de l’Europe, il fallait par conséquent tenir, par tous les moyens. Ces événements ne se sont pas produits et nous saisissons, aujourd’hui, l’ampleur de l’erreur faite par tous les révolutionnaires de l’époque.

[12] [40] Cette période dite du “communisme de guerre” connaît de grandes discussions dans le PCUS. C’est notamment la naissance de l“Opposition ouvrière” qui tendait à imposer la prééminence des syndicats sur l’appareil économique. Trotsky défend, lui, la “militarisation des syndicats” pour créer une nouvelle dynamique économique. La majorité du parti avec Lénine rappelle la nécessaire séparation des syndicats d’avec l’Etat et la nécessité de l’emploi de mesures de “persuasion” pour créer la nécessaire mobilisation ouvrière. En effet, les paysans se détachaient de la révolution et s’opposaient aux réquisitions; dans les villes la pénurie sévissait et les ouvriers se démobilisaient; c’est dans cette atmosphère que se produisirent des grèves dans les grands centres comme à Petrograd et la révolte de Kronstadt.

[13] [41] Bordiga l’avait pressé de devenir le porte parole d’une Opposition de gauche au niveau international, notamment au 5ème congrès de l’IC (juin 1924). Trotsky demande à Bordiga d’approuver la motion du 13ème congrès du PCUS qui condamne l’opposition (23-31 mai) pour ne pas se faire exclure.

[14] [42] Lettre de la Fraction italienne à Trotsky du 19juin 1930.

[15] [43] In Prometeo n° 1 juin 1930.

[16] [44] cf. brochure Complément à la Gauche Communiste d’Italie (1929- 1933).

[17] [45] La lutte ouvrière du 9 juin 1936.

[18] [46] Article du 30 juillet 1936 paru dans La lutte ouvrière du 9 août. Tout cela est amplement explicité dans le programme: “La nouvelle montée révolutionnaire et les tâches de la IVe Internationale” présenté à la Conférence la IVe Internationale des 29 et 31juillet 1936.

[19] [47] cf. article ci joint “Le trotskisme, fils de la contre-révolution”.

[20] [48] cf. lettre de Natalia, p.100, in Les enfants du prophète Ed. Spartacus.

[21] [49] cf. RI n°177, avril 1989.

1ère partie : LES ERREURS DE TROTSKY

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Le trotskisme, fils de la «Contre-révolution»

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Le trotskisme, Fils de la contre-révolution

Depuis la fin des années 60, le capitalisme décadent est entré dans une nouvelle phase de crise économique qui se traduit pour la classe ouvrière par une détérioration sans cesse croissante de ses conditions d’existence (chômage, inflation, augmentation des cadences...). En réponse à cela, la classe ouvrière a repris le chemin de la lutte à l’échelle mondiale, mettant fin par son mouvement à toute une période de contre- révolution quasi ininterrompue depuis 50 ans. Pour faire race à cette remontée des luttes ouvrières, le capital est contraint de plus en plus à faire appel à ses fractions de gauche et d’extrême gauche (Portugal, Espagne, Italie, France...) qui apparaissent comme seules capables de détourner la combativité de la classe sur le terrain bourgeois, d’enrayer la prise de conscience de ses intérêts historiques. Ces fractions par leur programme de nationalisations, par leur langage ouvrier, sont en fait les mieux à même d’accélérer la mise en place des mesures capitalistes d’Etat, rendues nécessaires par l’exacerbation de la concurrence mondiale tout en les présentant à la classe ouvrière comme des mesures “socialistes”, “révolutionnaires” la conviant ainsi à accepter l’augmentation inévitable de son exploitation et de son oppression, la conviant à défendre “son” capital national contre les autres.

C’est au sein de ces fractions de gauche, plus précisément au sein de celles qui se distinguent par leur langage “radical”, que l’on trouve en bonne place les groupes trotskistes. Ce qui justifie à nos yeux la publication d’une série d’articles visant d’une part à montrer comment le trotskisme est apparu dans l’histoire, d’autre part quel est son rôle spécifique dans l’appareil politique bourgeois et celui qu’il sera appelé à jouer au service du capital au fur et à mesure que la classe ouvrière tendra à s’organiser et à lutter de manière autonome.

***

Les groupes trotskistes, indépendamment des divergences qui justifient leur existence séparée, se présentent tous, sans exception, comme les continuateurs de la politique révolutionnaire du parti bolchevik et de la 1ère Internationale. En cela, ils ne se distinguent pas des autres fractions de gauche du capital qui, pour justifier une activité contre-révolutionnaire au sein de la classe ouvrière, se réclament des luttes passées de celle-ci et des organes dont elle s’est dotée. Mais, pour donner corps à ce qu’ils affirment, les groupes trotskistes s’appuient sur deux faits :

1°) C’est au sein de la IIIe Internationale que s’est développée à partir de 1924 en réaction au “stalinisme” naissant, l’”Opposition de gauche”, en Russie d’abord, internationalement ensuite, et qui, sous la direction de Trotsky a donné naissance en 1938 à la IVème Internationale dont les groupes trotskistes actuels sont issus.

2°) C’est en s’appuyant sur les quatre premiers congrès de l’I.C. que l’”Opposition de gauche” poursuit son activité politique et c’est à partir de certaines positions des 2ème, 3ème et 4ème congrès que Trotsky élabora les positions politiques communes aux groupes qui se réclament de lui.

En fait le “lien” qu’ils tracent entre les révolutionnaires des années 20 et eux-mêmes n’a de consistance que dans la mesure où:

  • d’une part ils reprennent à leur compte et érigent en principes politiques immuables ce qui constituait les “erreurs” du mouvement ouvrier de l’époque et non les positions révolutionnaires que la vague révolutionnaire de 17-23 avait permis de dégager.
  • d’autre part, c’est à partir de ces positions erronées (dont il s’était fait un ardent défenseur dès le 2ème Congrès de l’I.C.) que Trotsky a élaboré les positions fondamentales du “trotskisme”, positions erronées qui ont servi pendant 50 ans de contre-révolution de caution de “gauche” à la politique anti-prolétarienne de la bourgeoisie.

Premières réactions ouvrières à la dégénérescence de l’I.C.

La guerre de 1914 qui met aux prises les principales puissances impérialistes marque l’entrée du système capitaliste dans sa phase de décadence, “ouvrant l’ère des guerres, des crises et des révolutions sociales” (1er congrès de l’I.C.). En réaction à cette première guerre mondiale, le prolétariat surgit internationalement et voit sa fraction russe prendre le pouvoir à la suite de l’insurrection d’Octobre 17. La lutte de la classe ouvrière va se poursuivre pendant plusieurs années surtout en Allemagne, Italie et Hongrie... C’est dans ce contexte général que les organisations révolutionnaires qui se regroupent dans l’I.C. lors de son premier congrès en 1919, adoptent, à la lumière de la révolution russe, les orientations politiques qui sont la manifestation du pas énorme que vient de franchir la classe ouvrière mondiale. A ce titre elle rejette les conceptions de la IIème Internationale et des “centristes” à la Kautsky comme bourgeoises (réformisme, parlementarisme, nationalisme...), et appelle la classe ouvrière à instaurer la dictature des Conseils Ouvriers.

Cependant dès 1919, l’échec sanglant du prolétariat en Allemagne d’abord, en Hongrie ensuite, annonce le reflux de la lutte mondiale et vient renforcer l’isolement de la révolution en Russie que les efforts déployés par la classe ouvrière en 20-21 ne parviendront pas à enrayer.

Dès les premiers signes de reflux, les conceptions qui avalent prévalu au cours de la période progressive du capitalisme (parlementarisme, syndicalisme, dans le cadre de la lutte pour les réformes), et qui continuent à se manifester au sein de la classe ouvrière vont peser de plus en plus sur l’I.C. C’est ce que traduit le retour progressif aux vieilles tactiques puisées dans l’arsenal de la social-démocratie. Cela dès le 2ème congrès de l’I.C., et surtout lors des 3ème et 4ème: conquêtes des syndicats, parlementarisme, alliances avec des fractions de la bourgeoisie, luttes de libération nationale, gouvernement ouvrier et paysan En Russie, là où le prolétariat a pris le pouvoir, l’isolement de la révolution va faire que les confusions du parti bolchevik sur la nature du pouvoir de la classe ouvrière (c’est le Parti qui exerce le pouvoir) l’amènent à prendre des mesures opposées aux intérêts de la classe ouvrière: soumission des soviets au Parti, embrigadement des ouvriers dans les syndicats, signature du traité de Rapallo (diplomatie secrète d’Etat à Etat: droit pour les troupes allemandes de s’entraîner sur le territoire russe), répression sanglante des luttes ouvrières (Kronstadt, Petrograd 1921). Mais l’adoption de telles orientations par le parti bolchevik et l’I.C., qui vont jouer un rôle d’accélérateur du reflux dont elles sont l’expression, ne se fait pas sans susciter des oppositions en leur sein.

C’est ainsi qu’au 3ème congrès de l’I.C., ceux que Lénine appelle les “gauchistes”, regroupés au sein du KAPD, s’élèvent contre le retour au parlementarisme, au syndicalisme, et montrent en quoi ces positions vont à l’encontre de celles adoptées au 1er congrès qui tentaient de tirer les implications pour la lutte du prolétariat de la nouvelle période historique ouverte par la 1ère guerre mondiale.

C’est aussi à ce congrès que la “Gauche Italienne” qui dirige le Parti Communiste d’Italie réagit vivement -bien qu’en désaccord profond avec le KAPD- contre la politique sans principe d’alliance avec les “centristes” et la dénaturation des P.C. par l’entrée en masse de fractions issues de la social-démocratie.

La signification de l’“Opposition de gauche”

Mais c’est en Russie même (compte tenu des confusions du parti bolchevik qui se manifestent dans le contexte d’isolement de la révolution) qu’apparaissent les premières oppositions. C’est ainsi que dès 1918, le “Kommunist” de Boukharine et d’Ossinsky, met en garde le parti contre le danger d’assumer une politique de capitalisme d’Etat. Trois ans plus tard, après avoir été exclu du parti bolchevik, le Groupe Ouvrier” de Miasnikov mène la lutte dans la clandestinité en étroite liaison avec le KAPD et le P.C.O. de Bulgarie jusqu’en 24 où il disparaît sous les coups répétés de la répression dont il fait l’objet. Ce groupe critique le parti bolchevik sur le fait que celui-ci commence à sacrifier les intérêts de la révolution mondiale au profit de la défense de l’Etat russe, réaffirmant que seule la révolution mondiale peut permettre à la révolution de tenir en Russie.

On voit donc, contrairement à ce que laissent croire les trotskistes qui gardent le silence sur ces oppositions, que ces tendances qui se situaient résolument du point de vue des intérêts prolétariens n’ont pas attendu Trotsky et l’"Opposition de gauche” pour lutter pour la sauvegarde des acquis fondamentaux de la révolution en Russie et de l’Internationale Communiste.

C’est seulement après la faillite de la politique de l’I.C. en Allemagne en 1923 et en Bulgarie en 1924, faite de ce mélange de frontisme et de “putschisme”, que commence à se constituer au sein du parti bolchevik et plus précisément dans ses sphères dirigeantes, le courant connu sous le nom d’“Opposition de gauche”.

Cette “Opposition de gauche” se cristallisera autour de chefs prestigieux du parti bolchevik, tel Trotsky, Préobrajensky, Ioffé, mais ne rencontre pas de véritable écho dans une classe ouvrière qui sort saignée à blanc de la guerre civile. Les points sur lesquels elle mène la lutte sont exprimés, en ce qui concerne la Russie, à travers son mot d’ordre : “feu sur le koulak, le Nepmen, le bureaucrate”. D’une part elle critique la politique interclassiste de l’“enrichissez-vous à la campagne” prônée par Boukharine et, d’autre part, elle attaque la bureaucratie du parti et ses méthodes. Elle poursuivra ce combat jusqu’au moment de son exclusion et de la répression de ses membres (exécutions, internements, déportations, suicides, exil de Trotsky).

Au niveau international, à partir de 1925-26, l’Opposition de gauche s’élève contre la constitution du “comité Anglo-russe” et l’alliance avec les Trade-unions (syndicats anglais) qui vient saborder la grande grève générale des ouvriers anglais. D’autre part, sous l’impulsion de Trotsky, l’Opposition de gauche mène une lutte résolue contre la politique criminelle de l’I.C. “stalinisée” en Chine en préconisant la rupture du jeune Parti Communiste Chinois avec le Kuomintang et les diverses forces bourgeoises pseudo progressistes. Elle affirme que les intérêts du prolétariat mondial ne doivent pas être sacrifiés à la politique et aux intérêts de l’Etat russe.

Par ailleurs, elle engage la lutte contre la théorie du “socialisme dans un seul pays” (développée par Boukharine pour le compte de Staline). Au 14ème congrès du Parti Communiste Russe, où cette thèse est adoptée, seule la voix des membres de l’Opposition de gauche se fait entendre pour la rejeter.

C’est bien en tant que réaction prolétarienne aux effets désastreux de la contre-révolution qu’apparaît, se développe puis meurt l’Opposition de gauche en Russie. Mais le fait même qu’elle apparaisse si tardivement pèse lourdement sur ses conceptions et sur sa lutte. Elle s’avère en fait incapable de comprendre la nature réelle du “phénomène stalinien” et “bureaucratique”, prisonnière qu’elle est de ses illusions sur la nature de l’Etat russe. C’est ainsi que, tout en critiquant les orientations de Staline, elle est partie prenante de la politique de mise au pas de la classe ouvrière par la militarisation du travail sous l’égide des syndicats. Elle se fait, elle aussi, le chantre du capitalisme d’Etat qu’elle veut pousser plus en avant par une industrialisation accélérée.

Lorsqu’elle lutte contre la théorie du socialisme dans un seul pays elle ne parvient pas à rompre avec les ambiguïtés du Parti bolchevik sur la défense de la “Patrie soviétique”. Et ses membres, Trotsky en tête, se présentent comme les meilleurs partisans de la défense “révolutionnaire” de la “patrie socialiste”

Prisonnière de ce type de conceptions, elle s’interdit tout combat véritable contre la réaction stalinienne en se limitant à en critiquer certains effets.

D’autre part, dans la mesure où elle se conçoit elle-même, non comme une fraction révolutionnaire cherchant à sauve garder théoriquement et organisationnellement les grandes leçons de la Révolution d’Octobre, mais comme une opposition loyale au Parti Communiste Russe, elle ne sortira pas d’un certain “manœuvrièrisme” fait d’alliances sans principes en vue de changer le cours d’un Parti presque totalement gangrené (c’est ainsi que Trotsky cherchera le soutien de Zinoviev et de Kamenev qui ne cessent de le calomnier depuis 1923). Pour toutes ces raisons, on peut dire que l’"Opposition de gauche" de Trotsky en Russie restera toujours en deçà des oppositions prolétariennes qui s’étaient manifestées dès 1918.

L’“Opposition de Gauche Internationale”

Au niveau international commencent à apparaître dans différentes sections de l’Internationale Communiste des tendances et individus qui manifestent leur opposition à la politique de plus en plus ouvertement contre-révolutionnaire de cette dernière. Malgré un échange de correspondances entre certaines de ces tendances et des membres de l’“Opposition de gauche” en Russie, aucun lien solide ne parvient immédiatement à se créer entre eux. Il faut attendre 1929, alors qu’en Russie les “oppositionnels de gauche” se retrouvent pourchassés et assassinés par les staliniens, pour que commence à se constituer, autour et sous l’impulsion de Trotsky exilé, un regroupement de ces tendances et individus qui prend le nom d’“Opposition de Gauche Internationale”. Celle-ci constitue à plus d’un titre le prolongement de ce qu’avait représenté la constitution et la lutte de l’“Opposition de Gauche” en Russie. Elle en reprend les principales conceptions et se réclame des quatre premiers congrès de l’I.C. Par ailleurs elle perpétue le “manoeuvrièrisme” qui caractérisait déjà l’"Opposition de Gauche" en Russie.

Par beaucoup d’aspects cette "Opposition" est un regroupement sans principes de tous ceux qui, notamment, veulent faire une critique “de gauche” du stalinisme. Elle s’interdit toute véritable clarification politique en son sein et laisse à Trotsky, en qui elle voit le symbole vivant de la Révolution d’Octobre, la tâche de s’en faire le porte-parole et le “théoricien”. Elle s’avérera rapidement incapable dans ces conditions de résister aux effets de la contre-révolution qui se développe à l’échelle mondiale sur la base de la défaite du prolétariat international.

La “Contre-révolution”

La défaite du prolétariat mondial, que les nouveaux échecs en Allemagne en 1923 et en Chine en 1927 sont venus sanctionner, loin de marquer un recul momentané du mouvement prolétarien, ouvre en fait la période de contre-révolution la plus longue et la plus profonde que la classe ouvrière ait jamais connue dans son histoire.

En effet, démoralisée par ses échecs successifs, à nouveau atomisée et soumise à l’idéologie bourgeoise, la classe ouvrière s’avérera incapable de s’opposer au cours vers la guerre dans lequel s’engage à nouveau le système capitaliste qui est entré dans une phase historique où il ne cesse d’être rongé par ses contradictions désormais insurmontables. Partout où, confrontée à la misère que lui impose le capital en crise, la classe ouvrière tente bien de résister par la lutte, elle se heurte non plus seulement aux partis sociaux-démocrates qui se sont illustrés tout au long de la vague révolutionnaire des années 20 comme les chiens de garde du capital, mais désormais aux partis “communistes” staliniens. Ceux-ci, passés corps et âme dans le camp du capital, assument leur fonction de dévoiement des luttes ouvrières et d’embrigadement dans la voie du nationalisme et dans la logique des affrontements inter-impérialistes préparant la deuxième boucherie impérialiste.

Dans ce contexte général de contre-révolution qui s’accompagne d’un profond recul de la lutte de classe et de la conscience du prolétariat, il devient de plus en plus difficile pour les fractions et tendances qui se réclament de la révolution communiste de résister à la pénétration des idées bourgeoises en leur sein, de lutter à contre-courant pour maintenir et développer les acquis du mouvement révolutionnaire passé. D’autant que, contrairement à la contre-révolution qui suit la défaite de la Commune de Paris et qui ne laisse aucune illusion sur la nature de classe des “Versaillais” massacreurs de la classe ouvrière, la contre-révolution qui triomphe, non seulement le fait en laissant derrière des centaines de milliers de cadavres d’ouvriers, mais également en mystifiant la classe ouvrière sur sa nature. Dans la mesure où elle triomphe à travers le lent processus de dégénérescence de l’I.C. et de la révolution russe, en favorisant toutes les illusions de la classe ouvrière sur le maintien de la nature “prolétarienne” de l’Etat russe et des Partis communistes qui, en continuant à se réclamer d’Octobre 17, vont pouvoir justifier leur politique au service du capital.

L’“Opposition de Gauche” qui partage et donc répand ces illusions, se constitue donc dans cette période de contre-révolution et reprend, sans les critiquer, à la fois les erreurs de l’I.C. qui ont contribué activement au reflux de la vague révolutionnaire des années 20 et les conceptions fausses de l’Opposition de gauche russe qui l’ont conduit à l’impasse dans la lutte contre Staline.

De 1929 à 1933, elle se conçoit et agit comme “opposition loyale” à la politique de l’I.C. qu’elle tente de redresser de l’intérieur alors que l’adoption par celle-ci de la théorie du “socialisme dans un seul pays” est venue confirmer sa mort comme organe prolétarien et le passage de ses partis dans le camp du capital. A partir de 1933, bien que “comprenant” enfin la fonction contre-révolutionnaire des partis staliniens et s’orientant vers la constitution d’organisations distinctes des P.C., l’"Opposition de Gauche" continue à les considérer comme “ouvriers” et à agir en conséquence, développant jusqu’à l’absurde les conceptions fausses qui avaient présidé à sa constitution et qui vont s’avérer de plus en plus crûment être des justifications de “gauche” de la contre-révolution triomphante.

Trotsky et le trotskisme

Tout au long de la période qui précède la tenue du Congrès de fondation de la IVème Internationale en 1938, compte tenu de l’hétérogénéité de l’“Opposition de Gauche”, c’est Trotsky lui-même qui élabore à partir des erreurs de l’I.C. les tactiques et orientations qui, aujourd’hui encore, à quelques différences d’interprétation près, servent de fondement à l’activité contre-révolutionnaire des groupes trotskistes au sein de la classe ouvrière et qui se trouvent sous leur forme achevée dans le “Programme de Transition”.

C’est, en fait, vers le milieu des années 30 que le mouvement trotskiste va être amené à capituler face à la contre-révolution en se mettant à la remorque de la politique des Fronts Populaires destinés à embrigader le prolétariat derrière le drapeau national, c’est à dire la préparation à la guerre. En ce sens, le mouvement trotskiste se mettait objectivement à abandonner le principe fondamental du mouvement ouvrier, l’internationalisme prolétarien qui, à l’époque de la décadence du capitalisme, à l’époque des “crises, guerres et révolutions” plus encore que par le passé, où le prolétariat pouvait développer sa lutte pour des réformes au sein des frontières nationales, constitue le critère décisif de l’appartenance au camp du prolétariat et du communisme.

“État Ouvrier dégénéré“ et défense de l’URSS

Prisonnier des conceptions erronées de l’"Opposition de Gauche" russe, Trotsky, assimilant mesure de nationalisation de la production -c’est à dire passage de la propriété privée des moyens de production à une propriété d’Etat- à une mesure “socialiste”, va se situer sur le même terrain que les staliniens qui justifient le maintien et l’intensification de l’exploitation de la classe ouvrière au nom de la “construction du socialisme”.., dans un seul pays. En effet, tout en condamnant cette théorie comme bourgeoise, Trotsky est amené à reconnaître implicitement la possibilité que soit détruite au moins en partie, dans le cadre des frontières nationales, la loi de la valeur, c’est à dire la production pour l’échange, l’extorsion et l’accumulation de la plus-value à travers le salariat, la séparation des producteurs d’avec leurs moyens de production.

Incapable de reconnaître dans la “bureaucratie” qui se développe en URSS l’ennemie héréditaire du prolétariat qui renaît sur la base des rapports de production capitalistes qui avaient persisté même après la prise du pouvoir politique du prolétariat en 1917, Trotsky ne comprendra pas la fonction de gestion et de conservation de ces rapports par cette “bureaucratie” qu’il croit “ouvrière” alors qu’elle est bien bourgeoise. Dans les faits Trotsky se fera le chantre du capitalisme d’Etat russe se bornant à prôner une révolution “politique” réinstaurant la “démocratie prolétarienne”.

Ainsi, en 1929, il défendra l’intervention de l’armée russe en Chine où le gouvernement de Tchang Kaï-Chek chasse les fonctionnaires russes chargés de gérer le tronçon du Transsibérien qui passe en territoire chinois et revêt une importance stratégique du point de vue des intérêts nationaux du capital russe.

A cette occasion, Trotsky lance le mot d’ordre tristement fameux : “Pour la patrie socialiste toujours, pour le stalinisme, jamais !“ qui dissociait les intérêts staliniens (donc capitalistes) des intérêts nationaux de la Russie, qui présentait aux prolétaires une “patrie” à défendre, eux qui n’en ont pas, qui traçait enfin la voie du soutien à l’impérialisme russe

Antifascisme, frontisme, syndicalisme

Incapable de cerner la nature et la fonction contre-révolutionnaire et bourgeoise des partis staliniens et même des partis sociaux-démocrates, Trotsky va voir dans les mystifications développées par ces partis (anti-fascisme démocratique notamment, front populaire, ...) des moyens de renforcer l’“Opposition de Gauche”, afin d’aboutir au surgissement d’un nouveau parti révolutionnaire.

Dans les zigzags des staliniens et les manoeuvres social démocrates, Trotsky va à chaque fois voir des brèches provoquées par la pression d’une classe ouvrière dont il n’arrive pas à comprendre la défaite historique. Appelant au front unique, à l’unité syndicale, il ne fait que jouer le jeu de la contre-révolution elle-même qui a besoin de resservir les vieux mythes pour désorienter encore plus la classe ouvrière qu’elle veut entraîner à une nouvelle guerre mondiale. Dans l’alliance anti-fasciste des Fronts Populaires espagnol et français, Trotsky va voir une impulsion pour la politique révolutionnaire, une base pour le renforcement des positions trotskistes à travers l’entrisme, dans les partis socialistes ! Chaque nouvelle tactique de Trotsky sera un pas de plus dans la capitulation et la soumission à la contre-révolution.

Reprenant par ailleurs, à la suite des bolcheviks, le mot d’ordre du “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”, qui exprimait l’illusion de ces derniers sur la possibilité pour une nation sous domination impérialiste de se “libérer” sans tomber sous la coupe d’un autre impérialisme, Trotsky et les groupes qui participent au Congrès de fondation de la IVème Internationale qualifieront la guerre entre la Chine et le Japon comme une guerre de libération nationale de la Chine devant être soutenue. Dès cette époque se trouvent ainsi posées les bases qui vont fonder le soutien verbal et quelquefois actif des groupes trotskistes aux luttes de libération nationale qui, à l’époque du capitalisme décadent, sont autant de lieux d’affrontement entre les divers blocs impérialistes dans lesquels le prolétariat ne peut servir que de chair à canon.

Le programme politique qui est adopté au congrès de fondation de la IVème Internationale, rédigé par Trotsky lui-même, et qui sert de base de référence aux groupes trotskistes actuels, reprend et aggrave les orientations de Trotsky qui ont précédé ce congrès (défense de l’URSS, front unique ouvrier, analyse erronée de la période...) mais en plus est axé sur une répétition vide de sens du programme minimum de type social-démocrate (revendications “transitoires”), programme rendu caduc par l’impossibilité des réformes depuis l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, de déclin historique.

Ce Programme de Transition ouvrait la voie à l’intégration définitive du mouvement trotskiste dans la cohorte des partisans du capitalisme d’Etat qui, au nom de la mise en place de mesures “socialistes”, vont embrigader la classe ouvrière après la seconde guerre mondiale dans les reconstructions nationales, c’est à dire la reconstruction du capital!

“Fractions Communistes de Gauche” et “Contre-révolution”

Confrontées à la Contre-révolution la plus profonde de toute l’histoire du mouvement ouvrier, les Fractions Communistes de Gauche qui étalent apparues dans les années 20 et qui avaient lutté dès cette époque contre la dégénérescence et les erreurs de l’I.C., se sont trouvées emportées elles aussi par le flux de la contre-révolution. C’est ainsi que les éléments de la Gauche Allemande qui furent pourtant parmi les premiers à s’élever contre le retour dans l’I.C. des tactiques sociales-démocrates et à rompre avec celle-ci, soit ont abandonné toute activité politique, soit sont tombés dans l’idéologie “conseilliste” rejetant la nécessité du Parti et même la Révolution russe. C’est la Gauche Communiste Italienne qui va assurer, malgré des faiblesses certaines et inévitables, l’essentiel du travail de défense des positions de classe. C’est elle qui, malgré un isolement dramatique, va assurer tout un travail de compréhension politique et théorique des effets de la défaite du prolétariat, allant même jusqu’à reposer la question de la validité de certaines positions de l’I.C. que Bordiga n’avait pas mis en cause (comme la question nationale). Sur un certain nombre de points cruciaux, la Gauche Italienne s’opposera aux orientations de Trotsky (voir les annexes à cette brochure).

Mais quelles qu’en soient leurs limites, ces fractions, contrairement à l’Opposition de Gauche de Trotsky, ont permis de maintenir la tradition révolutionnaire. C’est aussi grâce à elles qu’aujourd’hui le faible courant révolutionnaire a pu renaître et se développer.

Quant au courant trotskiste des années 30, après ses capitulations et malgré l’assassinat de Trotsky en 1940 par le stalinisme, il passera avec armes et bagages dans le camp du capital en s’enrôlant dans le camp de l’impérialisme démocratique et de l’impérialisme russe...

La fonction des trotskistes actuels

Trente ans après la tenue du Congrès de fondation de la IVème Internationale, les groupes politiques qui perpétuent la tradition trotskiste végétaient à l’ombre des partis communistes staliniens et parfois même, pour certains, en leur sein. Depuis la fin des années 60 cependant, ces groupes ont vu leurs rangs se renforcer et leur importance au sein de l’appareil politique du capital faire de même. Or, ce changement notable ne peut pas s’expliquer par un bouleversement de leurs positions politiques. Ce que l’on constate en effet, c’est plutôt la persistance des erreurs de Trotsky poussées jusqu’à l’absurde, c’est à dire en clair, la défense des intérêts bourgeois ! Les groupes trotskistes d’aujourd’hui sont tous des continuateurs de la politique contre-révolutionnaire des trotskistes pendant la guerre et des défenseurs du fameux “Programme de Transition” quelles que soient par ailleurs les différences d’interprétation que chacun de ces groupes peut en faire. Qu’on en juge :

Caution de “Gauche” et rabatteurs des syndicats

Le Programme de Transition avançait comme principe fondamental que les militants de la IVème Internationale devaient participer aux syndicats. Le résultat en a été que partout les trotskistes sont devenus des fidèles garde-fous de l’encadrement des machines syndicales. Certes, ils critiquent les éternelles “trahisons” des “directions bureaucratiques” mais ils se gardent bien, et pour cause, d’aider la classe ouvrière à lutter contre les syndicats. Pour les trotskistes il s’agit de garder la “forme” syndicale, le “contenu” du syndicalisme et seulement d’éliminer quelques poignées de mauvais “bureaucrates”, comme si ces derniers n’étaient pas le pur produit de la forme et du contenu du syndicalisme dans la phase de décadence du capitalisme ! En fait pour les trotskistes il s’agit de concurrencer les bureaucrates en place sur leur terrain, et quand ils arrivent, à force de manoeuvres, à occuper un poste de commandement syndical, les trotskistes s’avèrent de parfaites doublures des staliniens ou des sociaux-démocrates !

Ainsi, alors que la classe ouvrière a déserté la vie syndicale, les trotskistes tentent de donner une apparence de vie prolétarienne à ces véritables organes de police dans les entreprises que sont les syndicats ! Encastrés dans les rouages des syndicats, les trotskistes font partie de ceux qui préparent les défaites des luttes ouvrières, leur sabotage et leur dévoiement. Militants de base toujours, délégués syndicaux souvent, permanents syndicaux quelquefois, ils participent à l’ensemble des campagnes de mystification organisées par les différents syndicats et entretiennent toutes les illusions qui subsistent au sein de la classe ouvrière (réformisme, corporatisme, usinisme, chauvinisme, légalisme, etc. ...).

Lorsque dans les luttes, des ouvriers s’affrontent aux syndicats, que certains syndiqués déchirent leur carte syndicale, les trotskistes prônent la conciliation avec les syndicats, ils tentent de ramener dans le rang ceux qui en sortent sur des bases illusoires du type : “rentrons dans les syndicats pour lutter contre les directions traîtres !“, ce qui déboussolent encore plus les ouvriers... Certains trotskistes vont même jusqu’à proposer l’adhésion à deux syndicats en même temps pour favoriser l’unité syndicale frauduleusement assimilée à l’unité ouvrière ! En clair il s’agit pour les trotskistes, avec de multiples méthodes aussi sordides les unes que les autres, de demander aux ouvriers de faire pression pour que ceux qui “les trahissent” s’unissent et deviennent plus “démocratiques” (c’est à dire accordent plus de strapontins aux trotskistes et pervertissent encore plus d’ouvriers combatifs). Dans tous les cas le rôle des trotskistes contribue toujours à améliorer et affiner l’encadrement syndical !

Lorsque dans les luttes surgissent des comités de grève, les trotskistes, qui ont le culot de se présenter comme des partisans de véritables organes unitaires de la classe ouvrière, sont évidemment les premiers à exiger que les syndicats puissent continuer à s’y exprimer et à y être représentés ! Chaque fois, au nom de la solidarité et de l’unité ouvrières et de l’élargissement de la lutte, ils demandent ou plutôt implorent le soutien des syndicats, leur permettant ainsi de reprendre le mouvement en main grâce à leur appareil bureaucratique, de reprendre le contrôle des luttes “sauvages” afin de pouvoir les briser !

En fait, caution de gauche et rabatteurs des syndicats, les trotskistes (tout comme les autres gauchistes d’ailleurs) participent activement au désarmement de la classe en masquant la nature et la fonction réelle de tels organes anti-prolétariens.

Complice des massacres du prolétairiat

Le Programme de Transition préconisait, à travers le mot d’ordre de “front unique ouvrier” et celui de “gouvernement ouvrier et paysan” la lutte pour l’union des partis se réclamant de la classe ouvrière et même de la paysannerie... Plus de trente ans après, continuant à présenter les partis sociaux-démocrates et staliniens comme des partis “ouvriers” qui auraient le simple tort d’être “réformistes” (alors que la base matérielle du réformisme a disparu depuis le début du siècle dans l’entrée du capitalisme dans sa décadence!), les trotskistes appellent à l’unité de ces derniers et convient les travailleurs à les porter au pouvoir. C’est à dire à porter au pouvoir (là où ils ne le sont pas déjà) les massacreurs des ouvriers et révolutionnaires allemands lors des années 20, ceux des prolétaires russes ou espagnols, les pourvoyeurs en chair à canon des deux dernières boucheries impérialistes mondiales et de tous les affrontements inter-impérialistes depuis. Certes, ils “critiquent” la politique menée par ces partis, ils leur demandent même de “rompre avec la bourgeoisie” (!!!), ce qui est le comble du cynisme ! Chaque fois que l’Etat capitaliste a eu besoin des partis de gauche, pour réprimer la classe ouvrière, pour l’embrigader dans la guerre, pour reconstruire et gérer l’économie nationale, pour assurer le bon fonctionnement des pouvoirs publics, des services “sociaux”, ils ont répondu et continuent de répondre “présents”... Leur demander de “rompre avec la bourgeoisie”, c’est leur demander de changer de nature, c’est demander au capital de se faire hara-kiri, c’est demander à un tank de se transformer en ambulance. Une telle politique criminelle et absurde aboutit à :

  • renforcer les illusions des ouvriers sur la nature de ces partis qui n’ont d’ouvrier que le sang des prolétaires qu’ils ont fait verser ;
  • ramener dans le giron de la gauche, à travers une critique pseudo-radicale, les éléments qui s’en détachent ;
  • préparer le massacre de la classe ouvrière par ces mêmes partis de gauche ;

“Roues de secours” de l’appareil d’État

Le Programme de Transition affirmait la nécessité de participer aux élections et au Parlement. Depuis l’après-guerre -continuité oblige- les trotskistes n’ont pas raté une seule des élections importantes qui rythment la vie politique de la bourgeoisie décadente. Depuis la fin des années 60, en France, les trotskistes ont mis le paquet dans ce type d’intervention. Certes ils rappellent quelquefois à juste titre que le terrain électoral n’est pas vraiment le terrain de lutte pour la classe ouvrière, mais après ces références polies aux principes révolutionnaires, c’est à celui qui trouvera la meilleure justification à la participation au cirque électoral bourgeois destiné à détourner et à mystifier la conscience de la classe ouvrière. Les prétextes invoqués sont tous plus “réalistes” les uns que les autres: “Les ouvriers ne comprendraient pas qu’en de telles circonstances, les révolutionnaires n’aient rien à dire”, “C’est l’occasion, au moment où toute l’attention des ouvriers se trouve orientée sur les élections, de faire une agitation révolutionnaire, d’utiliser les tribunes qui nous sont offertes par la bourgeoisie”. Ce qui veut dire en clair : “les ouvriers sont mystifiés, atomisés, conservent des illusions sur les élections, alors nous participons à l’entretien de cette situation de mystification.”

Quant à l’agitation “révolutionnaire” des trotskistes, elle se résume à soutenir en paroles “les justes luttes des travailleurs” (ce que n’importe quel curé de gauche peut faire), à "exiger” des partis “ouvriers” qu’ils défendent vraiment les intérêts des travailleurs et rompent, bien sûr, avec la bourgeoisie, à “dénoncer la droite” dans un langage plus radical que la gauche en faisant même, de temps à autre, référence aux Conseils Ouvriers ou à la violence de classe. Tout cela étant d’ailleurs réservé pour le premier tour des élections... Après quoi, bien entendu, fidèles à leur véritable nature de soutien critique” de la gauche du capital, ils appellent communément à voter pour cette dernière afin, disent-ils, de “ne pas heurter” le niveau de “conscience” de la classe ouvrière qu’ils confondent cyniquement avec les illusions des ouvriers. Comme le disait le groupe trotskiste “Lutte Ouvrière”, ”aucune de nos voix ne doit leur manquer”... pour pouvoir assumer leur fonction de défenseur du capital national au plus haut niveau de l’appareil d’Etat. Là encore, la fonction des trotskistes et des gauchistes en général, est de ramener sur le terrain électoral et démocratique les ouvriers qui s’en éloignent et cela avec toute une phraséologie pseudo-révolutionnaire qui sert finalement à rabattre les ouvriers dans le giron de la gauche et notamment ceux qui commençaient à perdre leurs illusions sur elle. Il faut d’ailleurs rappeler que partout où les trotskistes sont parvenus à un certain poids électoral, la classe ouvrière l’a payé cher (Ceylan, Bolivie,...).

Une défense “radicale” du capitalisme d’État

Le Programme de Transition mettait en avant une série de revendications économiques dites “transitoires” dans la mesure où, censées “répondre aux besoins objectifs des masses” tout en étant “inintégrables par le capitalisme”, elles devaient permettre, si la classe ouvrière luttait pour les faire aboutir, une dynamique de lutte de classe permettant aux trotskistes d’apparaître comme les dirigeants “naturels” du prolétariat et de conduire celui-ci à la révolution. La logique des revendications “transitoires” consistait à donner une nature intrinsèquement révolutionnaire à certaines exigences économiques formulées à l’avance par les experts “en révolution” que se voulaient les trotskistes.

Trente ans après, cette problématique a pris toute sa signification contre-révolutionnaire... Aujourd’hui les revendications salariales “radicales”, l’échelle mobile des salaires, le partage des heures de travail entre tous, les nationalisations sans indemnité ni rachat et sous “contrôle ouvrier” des entreprises en faillite, des banques, des monopoles, etc. bref, tout le fatras revendicatif que les trotskistes mettent en avant ne sert qu’à duper et illusionner les travailleurs soit à travers une relance du rôle des syndicats, soit à travers des mystifications “autogestionnaires” comme le “contrôle ouvrier”: en ce qui concerne les revendications salariales, les trotskistes se contentent de faire de la surenchère par rapport aux revendications officielles de la gauche en y ajoutant 100 ou 200 F. L’échelle mobile des salaires est une mesure utopique qui ne ferait qu’entériner le niveau d’exploitation de la classe ouvrière atteint au moment de sa mise en application, elle impliquerait par ailleurs un renforcement du poids des syndicats chargés évidemment de “contrôler” l’application de cette échelle mobile. Le partage des heures entre tous les travailleurs est une proposition de rationalisation de l’exploitation capitaliste impliquant le maintien du salariat, le caractère semi-utopique de cette proposition ne doit pas cacher son contenu démagogique et réactionnaire. Quant aux nationalisations, elles sont parfaitement intégrables par le capitalisme et depuis qu’elles sont appliquées à grande échelle, elles n’ont ni amélioré le sort de la classe ouvrière, ni facilité sa lutte. Quant au “contrôle ouvrier”, il n’est qu’une forme parmi d’autres des mystifications avancées par la bourgeoisie pour faire participer la classe ouvrière à la gestion de sa propre exploitation sous le contrôle de l’Etat bourgeois ! On jugera du caractère “révolutionnaire” de telles revendications !

A travers ce système de revendications très élaboré, et qui varie d’ailleurs suivant les différents groupes trotskistes qui ne cessent de se quereller sur l’opportunité de telle ou telle revendication précise, ceux-ci contribuent à plusieurs niveaux à affaiblir et à dévoyer les luttes ouvrières:

  • Ils renforcent les illusions des ouvriers sur la possibilité d’obtenir des améliorations durables de leurs conditions de vie et de travail dans le capitalisme décadent.
  • Ils participent à l’enfermement des luttes ouvrières dans le cadre économique du capital, dans l’atelier, dans l’usine, dans la branche ou la corporation, et la nation.
  • Ils agissent en tant que partisans des mesures de capitalisme d’Etat au sein de la classe ouvrière en faisant passer ces mesures comme des jalons vers le “socialisme” ou même comme le commencement du “socialisme” lui-même ! Comme les autres partis de gauche, ils se situent donc bien sur le terrain du maintien du capitalisme décadent.
  • Ils entretiennent, par leur savante séparation entre lutte économique et lutte politique de la classe ouvrière, la difficulté de la classe ouvrière à prendre conscience de sa force, de son rôle historique, du contenu révolutionnaire de ses luttes revendicatives.
  • Ils retardent donc le surgissement de la révolution prolétarienne en espérant enferrer la classe ouvrière dans une simple vision “trade-unioniste” de sa lutte.

Par ailleurs, les trotskistes continuent de soutenir qu’en URSS l’économie a quelque chose de “socialiste”, que l’Etat reflète des rapports de production que la classe ouvrière devrait conserver (puisqu’elle les aurait mis en place en 1917 !!!), ainsi le prolétariat russe ne devrait ni détruire l’Etat qui l’opprime, ni transformer radicalement le système économique dans lequel il est exploité férocement !!! Ainsi, lorsque les ouvriers russes, comme ceux du monde entier, luttent contre l’exploitation forcenée qu’ils subissent, s’affrontent violemment aux syndicats, à la police d’Etat, à l’armée “rouge”, s’attaquent au “Parti Communiste” au pouvoir, c’est à dire à l’Etat capitaliste garant de leur exploitation et de leur misère, les trotskistes préconisent la lutte pour un simple changement d’équipe au sein des rouages de l’appareil d’Etat, la lutte pour remplacer les “mauvais” bureaucrates par des “bons”... Ils se font là encore les défenseurs les plus pernicieux du capitalisme d’Etat qu’ils proposent aux ouvriers de “démocratiser”.

Apôtres de l’impérialisme russe

Le Programme de Transition préconisait la “défense inconditionnelle de l’URSS” en cas de guerre et avançait par ailleurs le mot d’ordre d’indépendance nationale pour les pays arriérés soumis à l’impérialisme.

Fidèles à la lettre de telles orientations, malgré leurs désaccords sur la manière de les concrétiser aujourd’hui, les trotskistes dans leur ensemble n’ont pas manqué, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, une seule occasion de soutenir le bloc impérialiste russe contre le bloc impérialiste américain.

Derrière un langage anti-impérialiste démagogique, ils ont milité pour que l’impérialisme américain abandonne son emprise sur les régions et les pays du globe qui constituent l’enjeu de la rivalité entre les deux grands blocs, c’est à dire laissent la place à l’impérialisme russe.

Sous prétexte de “lutte pour l’indépendance nationale” -c’est à dire du droit pour chaque bourgeoisie de pouvoir exploiter sans partage “sa” propre classe ouvrière dans le cadre des frontières nationales de son Etat- les trotskistes ont appelé les prolétaires des pays dits du “tiers-monde” à s’enrôler et à mourir derrière la fraction de la bourgeoisie nationale “la plus progressiste”, “la moins réactionnaire" ou “la plus révolutionnaire” qui s’avérait en fait être la plus "pro-russe”

Les trotskistes ont en fait lutté pour que les travailleurs du monde entier soutiennent ces “luttes de libération nationale” agrandissant encore plus le fossé entre les prolétaires de chaque pays, en les faisant s’entre-tuer, les détournant de leur véritable ennemi : la bourgeoisie mondiale, chaque bourgeoisie nationale, chaque impérialisme!

Donc, comme on le voit, l’activité des groupes trotskistes depuis la fin des années 60 s’inscrit parfaitement dans la lignée de la dégénérescence des années 30 et du passage dans le camp bourgeois lors de la seconde guerre mondiale. Et le regonflement relatif des groupes trotskistes ces dernières années s’explique, à la lumière des changements intervenus dans la vie du capitalisme vers la fin des années 60 et son entrée dans une nouvelle phase de crise économique, avec le resurgissements des luttes du prolétariat mondial. C’est à la lumière des problèmes et des nécessités qui s’imposent au capital que l’on peut comprendre le renforcement de la place des trotskistes.

(R.I n° 26; 27; 28 et 29 -1976)

Les erreurs fatales de Trotsky

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I - Une analyse erronée du cycle

Contrairement à l’activité des “trotskistes” après 1945, celle du courant trotskiste de 1938 telle qu’elle découlait du programme de transition, était au moins sous-tendue par une tentative d’appréciation de la nature de la période conjoncturelle (l’agonie mortelle du capitalisme, l’absence de développement des forces productives, la prochaine réémergence du prolétariat révolutionnaire). Même si cette analyse avait été correcte, elle n’aurait pas justifié les errements opportunistes et activistes de Trotsky. Mais il importe de rappeler aux champions actuels de l’empirisme que le vieux révolutionnaire avait encore le souci qu’ils n’ont plus : fonder son activité sur une compréhension de la situation objective.

Toute les parties de l’oeuvre théorique et politique de Trotsky sont reliées, à cette époque, par un seul et même fil : la conviction d’une montée révolutionnaire imminente du prolétariat. Trotsky a toujours perçu le recul mondial de la révolution comme un phénomène temporaire, issu d’une interruption momentanée du cycle de luttes amorcé en 1917. Dans cette perspective, les défaites, loin d’ouvrir tout un cycle contre-révolutionnaire (crise/guerre/reconstruction) loin d’emporter tous les acquis organisationnels du cycle antérieur, ne représentaient à ses yeux qu’une pause instable, prélude à de nouvelles explosions.

C’est cette conviction jamais mise en cause qui sous-tend sa défense des organisations prétendument “ouvrières”, qui demeurent malgré leurs chefs, des “conquêtes”. C’est elle qui est le fondement de sa perception de la bureaucratie russe comme une “boule au sommet d’une pyramide”, des syndicats, des “acquis” d’Octobre. C’est à partir d’elle que Trotsky a pu commettre l’erreur de considérer le fascisme comme une réaction à un danger de révolution prolétarienne, alors qu’il n’a pu se développer que parce que la courbe de la lutte de classe était descendante (cette erreur conduisit Trotsky à penser qu’en Allemagne en 1933, la pression de la classe pourrait "obliger” le P.C. et la S.D. à organiser la contre-attaque). C’est également cette conviction qui justifiait aux yeux de Trotsky, la création d’une “Internationale” artificielle, échafaudage hâtif destiné à attirer l’avant-garde, dont il était persuadé qu’elle demeurait comme un acquis des luttes antérieures au sein des organisations staliniennes et social-démocrates.

Seule une telle vision peut expliquer qu’en pleine débâcle du prolétariat (1938) Trotsky ait pu écrire sans hésiter: “En France, les réformistes ont réussi... à canaliser et à arrêter au moins momentanément le torrent révolutionnaire. Aux USA, (ils) font tout ce qu’ils peuvent pour contenir et paralyser l’offensive révolutionnaire des masses” et enfin en Allemagne, “les soviets couvriront le pays avant que soit réunie à Weimar une nouvelle Assemblée constituante...”

Trotsky n’a pas compris que depuis l’écrasement de la révolution allemande (1923), ultime espoir d’une reprise du mouvement, c’est désormais la contre-révolution, c’est-à-dire le capital décadent, qui imposait sa logique à toutes les conquêtes, à toutes les organisations permanentes et qui détournait à ses propres fins les luttes. Crise, fascisme, New Deal, Front Populaire, guerres locales puis guerre généralisée, partage du monde, guerre froide, reconstruction ne seront que des moments de la contre-révolution arrogante, sûre d’elle même qui, sur le cadavre de la révolution, pénètre les acquis antérieurs du mouvement et les vide de leur contenu prolétarien. Au cours de ce cycle sanglant, barbare, inhumain, toutes les initiatives de classe sont déviées sur le terrain de la défense d’une fraction du capital contre une autre.

Il est vrai qu’en 1938, le capitalisme est dans un marasme épouvantable et que jusqu’en 1947-49, jamais la misère des masses n’aura été aussi aiguë. Mais ce qu’il importait de comprendre c’est: que puisque le prolétariat en tant que classe autonome avait été éliminé de la scène, c’est le capital qui surmonterait la crise par ses propres moyens (guerre/repartage/reconstruction). Rien ne sera épargné à la classe ouvrière : c’est avec son sang et ses illusions que sera fixée la nouvelle carte du monde, de la Catalogne à Stalingrad et de Dresde à Varsovie. Et c’est avec la sueur des travailleurs que sera “reconstruite” l’économie capitaliste mondiale.

Dans ces conditions, le rôle des révolutionnaires n’était pas de courir après les masses démoralisées en jetant leurs principes aux orties, en prenant partie dans chacun des épisodes de la lutte intestine du capital qui est avant tout une lutte unanime contre les travailleurs, ou encore en concoctant la potion-miracle “transitoire” destinée à faire le “pont” entre leur passivité et la révolution, mais de se livrer à un travail d’étude critique des expériences passées et de préparation théorique, en défendant les principes de classe et en résistant à toutes les tentations activistes et impatientes.

Ce travail, certaines minuscules fractions issues des "Gauches” italienne et allemande l’ont accompli, bien ou mal, mais elles l’ont accompli. Qu’elles aient subi elles-mêmes la pression de la période, qu’elles aient attrapé au cours de cette interminable traversée des maladies sectaires et dogmatiques ou au contraire empiristes, ne change rien au fait que c’est grâce à leur lucidité que nous pouvons aujourd’hui dépasser le trotskisme.

II – La nature de l’URSS

Depuis la 2ème guerre mondiale la question de la nature de l’URSS n’est plus une discussion ouverte entre révolutionnaires, mais une frontière de classe pour les internationalistes. La caractérisation du capitalisme russe comme un Etat “ouvrier” aboutit à la défense d’un impérialisme dans un conflit armé. Elle reconnaît de fait un rôle progressif au stalinisme et à l’accumulation nationale : en un mot, au capital drapé de phrases “socialistes”. Elle conduit en outre à la défense des nationalisations, c’est-à-dire à la tendance du capitalisme décadent au capitalisme d’état.

Elle sème la confusion parmi les travailleurs parce qu’elle proclame, qu’elle le veuille ou non, qu’il n’est pas possible à la classe ouvrière de sortir du faux dilemme où elle a été enfermée depuis des dizaines d’années et dont elle commence à peine à sortir : défendre le capital russe ou le capital occidental.

Ce n’est pas tout. La théorie de l'”Etat ouvrier dégénéré” obscurcit également la compréhension de ce qu’est le capitalisme. Implicitement ou explicitement, l’analyse de Trotsky réduit le capitalisme à un certain nombre de caractéristiques, formelles, juridiques, partielles, figées (la propriété individuelle des moyens de production, leur aliénabilité, le droit d’héritage, etc.). Elle s’interdit ainsi de pénétrer au coeur des contradictions du système. Elle ne reconnaît pas ces contradictions en URSS parce qu’en réalité elle ne les reconnaît pas non plus dans les pays capitalistes traditionnels.

Caractériser l’URSS comme un Etat ouvrier, c’est d’abord et avant tout affirmer qu’à l’époque de la domination du capital à l’échelle mondiale, il serait possible à un Etat national d’échapper au moins partiellement aux lois du mode de production capitaliste. Une telle conception monstrueuse ne peut reposer que sur une vision complètement fausse du capitalisme en tant que système historique et mondial.

Envisageons un instant un cas purement imaginaire et absurde. Imaginons que la Russie protégée par une muraille impénétrable, vive dans la plus complète autarcie vis-à-vis du marché mondial. Supposons même qu’aucune des “catégories” apparentes du capitalisme ne puisse y être décelée ; que le système considéré en lui-même présente l’aspect d’une gigantesque société d’esclavagisme généralisé, sans échange extérieur et intérieur, sans argent, sans capital. Supposons encore que les esclaves sont rémunérés en nature et que l’Etat “planifie” toute l’économie jusqu’au dernier boulon ou grain de blé.

Et bien même dans ce cas extrême et purement hypothétique, nous serions en droit d’affirmer que sans salariat, sans échange, sans capital, les LOIS de la société russe seraient entièrement déterminées par celles du marché mondial et que sans “valeur” reconnaissable, la LOI de la valeur constituerait la LOI qui se cache derrière chacune des manifestations de cette économie.

L’autarcie, n’est qu’une forme de la concurrence. Même si l’accumulation étatique ne revêtait pas la forme capital-argent, le surplus de la forme plus-value, et les produits du travail, la forme marchandise, c’est la concurrence avec le capital mondial qui déterminerait directement le taux, le rythme et la forme de cette accumulation ; c’est elle et elle seule qui permettrait de comprendre les rapports sociaux de production et leur dynamique et non la “méchanceté”, “l’autoritarisme”, le “parasitisme” ou le “bureaucratisme” des “gestionnaires”.

La simple nécessité de maintenir cette autarcie exigerait l’exploitation féroce, intensive, tayloriste, sans cesse accrue des travailleurs. Plus la compétition internationale capitaliste deviendrait aiguë, plus la productivité du travail s’accroîtrait, plus de nouveaux procédés techniques, de nouvelles armes y apparaîtraient et plus l’autarcie dépendrait de la capacité des “bureaucrates” à accroître la productivité chez eux, à inventer de nouveaux procédés, de nouvelles armes. Ce n’est qu’en suivant pas à pas les nécessités imposées par la concurrence mondiale que les pharaons de cet Etat imaginaire pourraient bâtir des murailles qui leur donnent l’illusion “d’échapper” à ses lois. C’est pourquoi, nous serions parfaitement en droit de qualifier ces pharaons de fonctionnaires du capital, de capitalistes, parce qu’ils ne seraient que les représentants au sein de cette forteresses de la nécessité inéluctable d’accumuler, nécessité qui est totalement imposée par le CAPITAL en tant que mode de production mondial. Tout en revêtant l’aspect d’une négation apparente des “catégories” du capitalisme, cet Etat ne serait qu’une personnification extrême du système, car loin de s’exercer à travers tout un jeu d’offre et de demande et d’être entravées par des restes pré-capitalistes, les lois du capitalisme mondial s’exerceraient directement par l’intermédiaire des fonctionnaires de cet Etat, véritables satrapes du capital international.

Même dans ce cas extrême, il serait tout aussi légitime d’appeler les bureaucrates russes des capitalistes qu’il était légitime pour Marx d’appeler ainsi les esclavagistes du sud des USA parce que disait-il, ils ne sont esclavagistes que dans (et par rapport à) un système capitaliste. Dans un monde capitaliste, même au pays imaginaire des pharaons modernes, le despotisme au sein de la fabrique serait subordonné à l’anarchie sur le marché, et la “planification” aux lois aveugles de la concurrence.

Malheureusement pour les tenants de l’absurde théorie de “l’Etat ouvrier dégénéré”, la réalité contredit encore plus impitoyablement les fondements de leur analyse. En effet, non seulement la Russie ne vit pas en autarcie mais de plus, toutes les manifestations essentielles du capitalisme sont ouvertement à l’oeuvre en Russie même, non seulement dans le sens pris ci-dessus, mais également sous une forme “interne” aisément reconnaissable. Les travailleurs russes sont rémunérés sous forme de salaire-argent. Ce fait à lui seul implique l’existence de l’échange, de la production marchande, de la loi de la valeur, de la domination du travail mort sur le travail vivant, du profit capitaliste et de la baisse de son taux, même pour des myopes trotskistes qui analyseraient la Russie isolément!

Mais les héritiers de la “Révolution trahie” se montrent incapables de comprendre l’identité des tâches sociales des prolétaires russes ou américains, chinois ou français, polonais ou allemands. Ceux des pays dits “socialistes” ne doivent pas se laisser duper par des slogans “réformistes” (“démocratie”, “réduction des privilèges”, “autogestion”...) et ceux des pays capitalistes traditionnels par des discours sonores contre les “trusts” et les “spéculations” ou les “parasites”. Les tâches des ouvriers des deux blocs se confondent : détruire l’Etat bourgeois d’abord à l’échelle mondiale et ensuite détruire la forme valeur des produits du travail (c’est à dire le fait que ceux-ci sont échangés par l’intermédiaire d’un équivalent général, selon le temps de travail social nécessaire à leur fabrication) en abolissant à l’échelle du globe la séparation des travailleurs des moyens de production et toute concurrence, nationale ou internationale. En détruisant le salariat (échange de la marchandise force de travail contre un salaire) et la production marchande (échange des marchandises). C’est cela la mise à mort du capital, qui n’est ni “le pouvoir des monopoles”, ni des “200 familles”, mais un rapport social. Tout le reste; “nationalisations”, “contrôle ouvrier sur les profits”, ne sont que des propositions pour mieux gérer le capitalisme.

Dans les pays de l’Est, le trotskisme se présente comme un courant réformiste qui lutte pour la révolution “politique” qui laisserait intacte les rapports de production capitalistes en y accolant simplement les mots: “contrôle ouvrier” et “démocratie ouvrière”. Comme il ne parvient pas à comprendre que le capitalisme d’Etat n’est que la réalisation des tendances intimes du capitalisme traditionnel à l’époque de son déclin, il se révèle incapable de dépasser par la pensée et la pratique le cadre de ces tendances et ne fait qu’avancer un programme maximum qui reste en deçà de la destruction des rapports capitalistes.

A l’heure où le capital asservit toute l’humanité à ses propres besoins, il n’est pas possible d’être révolutionnaire à Paris et réformiste à Gdansk, ou internationaliste à Turin et chauvin à Moscou.

III – La guerre d’Espagne

La prise de position de Trotsky à l’égard de la guerre d’Espagne devait révéler la profondeur de sa régression par rapport aux principes communistes et internationalistes. Pour critique qu’il fût, son soutien au Front populaire, à l’Etat bourgeois démocratique et à la guerre impérialiste qu’ils menaient, constitua les signes avant-coureurs de l’effondrement de la IVème internationale dans le chauvinisme au cours de la 2ème guerre mondiale.

La position de Trotsky pendant la guerre dite “civile” est un chef d’oeuvre de centrisme. Il commence par pourfendre avec violence la “démocratie bourgeoise” et par déclarer que seule l’action indépendante du prolétariat peut assurer sa propre victoire. II critique férocement non seulement le rôle contre-révolutionnaire des staliniens, mais encore celui des anarchistes, du POUM “qualifié à juste titre, aile gauche du Front populaire”. Pourtant, l’ex-grand révolutionnaire russe déclare “accepter le commandement officiel, tant que (nous) ne sommes pas assez forts pour le renverser” et il met en garde le prolétariat contre toute tentative de “briser aujourd’hui le gouvernement Négrin ... (ce qui) ne servirait que le fascisme”. (Tome II des Ecrits, p. 529). En vrai jusqu’au-boutiste, il préconise de “se délimiter nettement des trahisons et des traîtres sans cesser d’être les meilleurs combattants du front” (p345).

La position de Trotsky se fondait sur une analyse complètement fausse des rapports de classe en Espagne. Il considérait qu’au sein de la classe “républicaine” se déroulait une “révolution hybride, confuse, mi-aveugle et mi-sourde” qu’il s’agissait de transformer en “révolution socialiste”. Il décrivait la lutte entre les deux fronts comme “la lutte entre deux camps sociaux, subjugués l’un par la démocratie bourgeoise, l’autre par le fascisme” (p328). En somme pour Trotsky, l’armée prolétarienne avec des chefs bourgeois : “si à la tête des ouvriers et des paysans armés, c’est à dire de l’Espagne républicaine, il y avait eu des révolutionnaires et non des agents poltrons de la bourgeoisie...” (p.546), s’il y avait des révolutionnaires à la tête de l’Etat bourgeois... Ce n’est pas Louis Blanc qui parle, c’est l’homme qui fut un jour à la tête du soviet de Petrograd !

A l’époque, la fraction de la “Gauche Italienne” regroupée autour de la revue “BILAN” porta un diagnostic radicalement différent de celui qui était à la base de cette vision fantasmagorique d’une révolution “mi-consciente” (?) qui avançait en bataillons serrés au massacre sous les ordres des “agents poltrons de la bourgeoisie”. En fait, comme le montrèrent ces camarades, si le soulèvement de juillet 36 contre les factieux avait constitué une première émergence du prolétariat sur ses propres bases de classe (grève, armement autonome des ouvriers, milices...) la fraction “démocratique” des représentants du capital avait réussi à enfermer le prolétariat sur un terrain “anti-fasciste de guerre civile”, à embrigader les ouvriers dans une armée permanente bourgeoise et à remplacer complètement les fronts de classe par des fronts territoriaux.

L’attaque frontale n’avait pas réussi, mais la bourgeoisie démocratique allait parvenir à clouer la classe ouvrière sur une base où elle ne pourra plus s’affirmer en tant que force autonome.

Dès lors la guerre “républicains-nationalistes” n’était qu’un conflit inter-capitaliste, où les ouvriers totalement soumis à l’Etat bourgeois se faisaient massacrer pour des intérêts qui n’étaient pas les leurs. De plus, comme tout conflit entre deux Etats bourgeois, le carnage espagnol devint immédiatement un moment de la guerre impérialiste mondiale où les différents pays prirent plus ou moins nettement position sous le couvert bien entendu, de “fascisme” ou d’”anti-fascisme” et où les ouvriers et les paysans pauvres répandirent leur sang au son des canons français, allemands, russes, etc.

Dans ces conditions, la seule chance, aussi infime fût-elle, de voir s’ouvrir un processus révolutionnaire était d’opposer aux front impérialistes, les fronts de la lutte de classe sans aucune peur d’affaiblir le front républicain et en appelant les ouvriers à être les “meilleurs combattants” du front de classe qu’eux-mêmes devaient instituer au sein des deux fronts impérialistes, et non de “l’héroïque” bétail de l’armée bourgeoise. Les éternels “réalistes” criaient que cela favoriserait Franco. Mais la seule chance de battre Franco était de porter la lutte de classe dans les régions qu’il occupait et pour cela il fallait d’abord qu’elle émerge sans aucune compromission, là où se trouvaient les fractions les plus avancées du prolétariat, dans les zones dites “libres”. Tout en se déclarant en général d’accord avec cette vérité élémentaire que les ouvriers devaient accomplir la révolution sociale contre Caballero et Franco, Trotsky fut amené par sa vision superficielle des choses et à prendre parti de façon “critique” pour une armée impérialiste.

Vers la fin de la guerre en 1938-39, Trotsky radicalisa son langage au point de reprendre les thèses de la “Gauche Italienne”, mais sans jamais rompre avec sa conception catastrophique selon laquelle au sein d’une guerre menée par un Etat capitaliste peut se dérouler un processus révolutionnaire qui ne bouleverse pas complètement la disposition des fronts et que sous la direction d’une armée bourgeoise permanente pouvait cheminer une “révolution inconsciente”.

De cette capitulation à celle de l’ensemble du mouvement Trotskiste lors de la guerre de 1940-45, il n’y avait plus qu’un demi-pas.

(Extraits de la brochure “Rupture avec Lutte Ouvrière et le Trotskisme” - Mars 1973)

 

***

“Ce serait la pire des erreurs que de s’attendre à une nouvelle époque démocratique durable dans le développement de l’Allemagne. Mais, dans le cours du réveil révolutionnaire des masses, les mots d’ordre démocratiques constitueront inévitablement le premier chapitre. Même si la marche ultérieure de la lutte ne permettait pas de façon générale la renaissance, ne fût-ce qu’un jour, d’un Etat démocratique, -et c’est parfaitement possible- la lutte elle-même ne peut se développer sans mots d’ordre démocratiques ! Un parti révolutionnaire qui tenterait de sauter par dessus cette étape se casserait le cou.” (Trotsky, “Fascisme et mots d’ordre démocratiques” 14Juillet 1933) “Dans le syndicat, je peux dire que je suis pour la IVème Internationale. Je suis contre la guerre. Mais je suis avec vous. Je ne saboterai pas la guerre. Je serai le meilleur soldat, tout comme j’étais l’ouvrier le meilleur et le plus qualifié de l’usine...”
(Trotsky, “Discussion avec les visiteurs américains du Socialist Workers Party”, 12-15 juin 1940)

2ème partie : LA TACTIQUE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE DES TROTSKISTES

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1- Le trotskisme et la deuxième guerre mondiale

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DÉFENSEUR DE LA GUERRE IMPÉRIALISTE

  • Les nombreux rejetons du trotskisme sont en train de célébrer le quarantième anniversaire de la fondation de la IVème Internationale, avec leurs interminables projets pour régénérer ou reconstruire l’authentique” IVème Internationale. Les révolutionnaires doivent saisir cette occasion pour montrer que l’“Internationale” trotskiste de 1938 n’était pas une Internationale révolutionnaire du prolétariat, mais un avorton opportuniste qui se révéla rapidement être un appendice de la bourgeoisie.

Le trotskisme cessa d’être un courant du mouvement ouvrier quand il passa définitivement dans le camp du capitalisme au cours de la seconde guerre mondiale (39-45). Pendant le second carnage impérialiste de ce siècle, la IVème Internationale trotskiste rejeta le slogan défaitiste des bolcheviques: “transformez la guerre impérialiste en guerre civile !” qui avait été le point de ralliement des forces révolutionnaires prolétariennes contre la 1ère guerre mondiale. Les trotskistes en effet, défendirent le camp de l’impérialisme démocratique et du stalinisme contre les impérialistes fascistes en appelant à la transformation de la “guerre impérialiste en une vraie guerre pour la défense de l’URSS et contre le fascisme”. Il est de la plus grande importance pour les révolutionnaires d’aujourd’hui de comprendre le processus de contre-révolution qui décima et corrompit de nombreuses forces du mouvement prolétarien au cours des cinquante dernières années (en Russie et ail leurs). La manière dont cette dégénérescence affecta le trotskisme en particulier, jusqu’à ce qu’il soit perdu pour le mouvement prolétarien constitue le sujet de cet article. Le trotskisme ne périt pas physiquement en tant que tendance politique (sauf dans des pays comme la Russie) comme ce fut le cas d’autres courants prolétariens dans les années 30 ou pendant la guerre. Il périt de façon insidieuse, en cessant d’être un facteur de résistance révolutionnaire et de regroupement qu’il avait été durant les années précédant la guerre, même s’il était profondément confus sur de nombreux points fondamentaux.

Les trotskistes aujourd’hui prennent le soin de déformer ou de cacher l’importance de leurs activités durant la 2ème guerre mondiale. Seuls les plus cyniques et les plus stupides d’entre eux défendent cette partie de leur carrière sans aucune honte. Mais en général les trotskistes se montrent très discrets pour discuter de leur activités au cours de la guerre, dans la mesure ou ceci ferait apparaître au grand jour que leur déclarations d’”internationalisme” et d’”antistalinisme” authentiques ne sont rien d’autres que des mensonges. La vérité est que les trotskistes pendant la dernière guerre suivirent en pratique ce que, jusque là, ils avaient surtout défendu en paroles, (bien qu’au cours de la guerre civile espagnole, en 1936-38, les trotskistes eussent déjà participé à un conflit inter-impérialiste en se rangeant aux côtés de la république. A cette époque, Trotsky lui-même prétendit que les révolutionnaires devaient être de “bon soldats” dans l’armée républicaine !)[1] [50].

Vers le camp du capital

A la veille de la 2ème guerre mondiale, le trotskisme était déjà immergé dans la politique réactionnaire du “moindre mal”. Il avait rejoint le choeur anti-fasciste de la bourgeoisie démocratique, c’est à dire ses préparatifs guerriers, en prenant l’excuse que l’anti-fascisme représentait un “pont vers les masses”. Un pont effectivement il l’était ! Mais un pont construit par les bourgeoisies impérialistes démocratiques et staliniennes dans le but de militariser le prolétariat et la population en préparation à un nouveau repartage du marché mondial.

Après qu’Hitler arriva au pouvoir en 1933, Trotsky alla jusqu’à presser l’impérialisme américain de se rapprocher de la Russie pour contrer la menace du Japon et de l’Allemagne![2] [51]. Cette perspective “transitoire”, “tactique” de soutien à un camp impérialiste contre un autre (sans l’admettre ouvertement) fut mise en pratique par le trotskisme sous de multiples vocables dans les années 30: soutien à la “résistance coloniale” en Ethiopie, en Chine et au Mexique, soutien à l’Espagne républicaine, etc.. Le soutien du trotskisme aux préparatifs de guerre de l’impérialisme russe fut également très clair pendant toute cette période (Pologne, Finlande 1939) dissimulé derrière le slogan de “défense de la patrie soviétique”.

La guerre commence

Les activités des trotskistes pendant la 2ème guerre mondiale où, à part quelques exceptions ils participèrent activement aux mouvements de résistance financés par les impérialismes “allié” et stalinien, constituèrent le pas définitif, logique, du mouvement trotskiste dans le camp du capital. A partir de quoi la nature de classe du trotskisme en tant que courant politique ne pouvait plus être que capitaliste. Les chiens de garde les plus radicaux et les plus bruyants de l’aile gauche du capitalisme, c’est ce que toutes les organisations trotskistes, grandes ou petites, ont été depuis la guerre.

En Europe les trotskistes utilisèrent trois arguments principaux pour justifier leur participation à la guerre impérialiste aux côtés de la démocratie bourgeoise et du stalinisme:

1) “La défense inconditionnelle de l’URSS” (ce qui signifiait le soutien de l’impérialisme russe).

2) La défense de la démocratie bourgeoise (en tant que “moindre mal”) contre le fascisme (ce qui signifiait le soutien à un gang de brigands impérialistes contre un autre. C’est une position social-patriote et non une position communiste, internationaliste !).

3) La question “nationale’ en Europe. Celle-ci était devenue d’après le trotskisme une réalité après l’occupation par l’armée allemande de la France, de la Belgique, des Pays- Bas, de la Norvège, etc.. Les masses voulaient l'“indépendance nationale” face à l’”envahisseur nazi” selon leur langage. Le combat des nations opprimées d’Europe aurait été "progressiste” voyez-vous et cela obligeait les trotskistes à trouver un “pont” vers les aspirations patriotiques des masses. Les “masses” incluaient bien sûr Roosevelt, Churchill, De Gaulle, le Gépéou, plus tout l’appareil d’Etat impérialiste d’Europe qui avait été malmené par l’impérialisme allemand, italien et japonais. Le “pont” que cherchaient les trotskistes n’était pas très difficile à trouver. II fut avidement renfloué à l’aide de l’or et des armes des alliés qui financèrent la résistance et les maquis.

Avec ces trois justifications, les trotskistes en France, Belgique, Italie, etc., rejoignirent la résistance et y furent très actifs. En France, partout où les trotskistes parvinrent à une certaine influence au sein de l’armée allemande (comme à Brest par exemple), ils appelèrent les soldats allemands à rendre leurs armes à la résistance pour “la défense de l’URSS”. Pour les trotskistes français, l’impérialisme allemand était l”ennemi n°1”[3] [52]. Les publications en allemand des trotskistes français (en particulier le groupe “la vérité”, le parti ouvrier internationaliste) appelaient les soldats allemands en France à tourner leurs armes contre leurs officiers et la Gestapo et à fraterniser avec le maquis (c’est à dire avec les troupes d’une partie de la bourgeoisie française). Mais elles n’appelaient pas les troupes du maquis à tourner leurs armes contre leurs propres officiers de la résistance ou contre les agents staliniens qui dirigeaient le maquis[4] [53].

Certains trotskistes français “critiquèrent” ces “déviations nationalistes” pratiquées par les patriotes trotskistes les plus grossiers. Mais tous défendaient les prémices politiques du trotskisme qui amenèrent implacablement à l’abandon de l’internationalisme (soutien de la Russie, de la démocratie bourgeoise, etc.) Ce n’est pas un accident si ces critiques n’ont jamais amené aucun de ces groupes “orthodoxes” (y compris le “plus pur” d’entre eux, l’Union Communiste de Barta, précurseur de Lutte Ouvrière) à abandonner les positions bourgeoises du trotskisme. Pour tous les trotskistes français qui critiquèrent les “déviations nationalistes” en leur sein, celles-ci étaient le résultat d’“erreurs” ou d”opportunisme” et non une question décisive impliquant le franchissement de frontières de classe.

Les meilleurs ennemis d’Hitler

Aux Etats-Unis, le “Socialist Workers Party (SWP) promit au gouvernement de mener un “vrai combat” contre Hitler à la seule condition que l’administration Roosevelt lui permit d’oeuvrer au “contrôle syndical de la conscription” et à l’économie de guerre. Ces offres ne furent pas acceptées et ceci d’ailleurs n’empêcha pas le SWP d’être poursuivi par erreur, comme “danger clair et présent” contre l’effort de guerre américain au jugement de Minneapolis en 1941. Bien que Cannon et le reste de la direction du SWP se prosternèrent aux pieds du jury, cela ne les sauva pas de la condamnation à des peines de prison…, relativement légères. Mais leur prestation en justice ne fut pas simplement le résultat de leur couardise personnelle ; elle était logique en fonction de la capitulation avant la guerre, du trotskisme face à l’idéologie anti-fasciste de l’impérialisme démocratique.

Quelques semaines après que Trotsky eut été assassiné sur ordre de Staline, Cannon développa jusqu’au bout la logique impliquée dans la propre politique opportuniste de Trotsky vis-à-vis de la guerre. A l’occasion d’une conférence spéciale que le SWP tint à Chicago en septembre 1940, Cannon défendit la “prolétarisation” des forces armées américaines: “Nous voulons combattre Hitler. Aucun ouvrier ne veut voir cette bande de barbares fascistes envahir ce pays ou quelques pays que ce soit. Mais nous voulons combattre le fascisme sous une direction en laquelle nous pouvons avoir confiance... Nous ne laisserons jamais se passer ce qui s’est passé en France... Les travailleurs eux-mêmes doivent prendre en charge ce combat contre Hitler, et contre tout autre qui empiète sur leurs droits... La contradiction entre le patriotisme de la bourgeoisie et celui des masses doit être le point de départ de notre activité révolutionnaire... Nous devons nous baser sur la réalité de la guerre et sur la réaction des masses aux évènements de la guerre”. (“les marxistes dans la seconde guerre mondiale” de Brian Pearce, INTERNA TIONAL vol.III, p35)

Ainsi les “aspirations des masses” constituent la raison donnée pour déterminer le soutien du trotskisme à l’impérialisme des “alliés”. Mais cette soi-disant aspiration “anti-fasciste” du prolétariat n’existait nulle part en 1939, surtout pas à l’échelle inventée par le trotskisme. Et même si cela avait été le cas, elle aurait représenté la domination de l’idéologie démocratique bourgeoise sur la conscience de classe au sein du prolétariat. Une chose que les révolutionnaires auraient dû (ce qu’ils ont d’ailleurs fait) combattre, exactement comme Lénine et les bolcheviques luttèrent contre d’autres formes de patriotisme national enserrant les masses pendant la première guerre mondiale.

Mais le trotskisme comprit que ce soutien à l’impérialisme devait se baser sur une certaine volonté de résistance du prolétariat contre le massacre en masse. C’était la seule voie que pouvait tracer le capital lui-même pour entraîner les ouvriers à soutenir un camp de la bourgeoisie contre l’autre dans la guerre impérialiste. L’idéologie anti-fasciste fut la mystification idéale dont le capitalisme avait besoin à cette fin, le stalinisme et le trotskisme furent ses principaux colporteurs au sein de la classe ouvrière au cours de la guerre. Les travailleurs anglais qui produisaient des blindés pour l’armée russe par exemple, furent autorisés à tracer “Greetings to Uncle Jo” sur le flanc des blindés, ce qui les encourageait à travailler plus dur et à produire plus de blindés en moins de temps. Le trotskisme ne s’est jamais opposé à de telles campagnes. Le fait que les blindés seraient plus tard utilisés aux desseins impérialistes de la Grande Bretagne, à tuer et mutiler d’autres travailleurs sous l’uniforme, ne comptait pas pour les trotskistes du moment que les blindés allaient “défendre la patrie des travailleurs” !

L’idéologie anti-fasciste des trotskistes servit de justification à la défense de tous les impérialismes alliés, anglais, russe, français, américain, etc.. Cela veut dire que le trotskisme avait de nombreux grands maîtres à l’époque, tout comme aujourd’hui...

Munis et Natalia Trotsky rompent avec le trotskisme

Les comptes-rendus judiciaires officiels du jugement de Minneapolis n’ont jamais été offerts au public par le SWP américain. La version éditée par le SWP (sous le titre “le socialisme en jugement”) diffère des comptes-rendus officiels sur plusieurs points importants. Les propos de Cannon rapportés dans le compte-rendu officiel plaident en effet en faveur d’une orientation pro-américaine et expriment les lamentations d’un patriote américain incompris. Cependant, dans la version du SWP les pires excès de Cannon sont proprement éliminés, bien que le ton avili de la déposition de la défense ne disparaisse jamais. Le trotskiste espagnol Grandizo Munis, qui s’opposa à la position défensive du SWP et de ses partis frères écrivit en 1942 une critique fraternelle de la SWP lors du jugement. Celle-ci est traduite dans: “quelle politique pour les révolutionnaires ? Marxisme ou ultra gauchisme ?” La réponse de Cannon, également publiée dans cette brochure, élude et donc confirme les critiques de Munis. Celui-ci répliqua par “El SWP y la guerra imperialista”, une critique plus élaborée de l’attitude au jugement, qui réduisait à néant les arguments en faveur du social-patriotisme avancés par le SWP. Cette brochure ne fut pas mise en circulation par le SWP en dépit du fait que Munis était encore formellement membre dirigeant de la IVème Internationale (en 1946).

Natalia Trotsky, qui plus tard suivit la voie de Munis et de la majorité des trotskistes espagnols et rompit avec le trotskisme en 1951, porta les mêmes accusations contre la IVème Internationale. Il est important de noter que Munis, Péret, Natalia Trotsky et d’autres révolutionnaires de cette période furent capables de voir que la “défense inconditionnelle de l’URSS” de Trotsky avait été un des rideaux de fumée derrière lesquels le trotskisme capitula face à ses propres impérialismes nationaux (en France, en Grande Bretagne, en Belgique, aux USA, ...) Ces révolutionnaires durent, bien sûr, revoir leur position sur la Russie et la reconnaître comme capitaliste d’état. Mais les critiques de Munis et de Peret sur le trotskisme contenaient plus que la seule question russe. Elles contenaient aussi une dénonciation profonde -quoique partielle- des conceptions et de la pratique du Komintern dans le passé.

Le 2ème congrès de la IVème Internationale en 1948 ignora naturellement la substance des critiques de Munis. Ainsi ce congrès prouva que le trotskisme avait rejoint, sans être profondément ébranlé en tant que corps uni, le camp bourgeois. La trahison de l’internationalisme dans une guerre impérialiste est le critère définitif pour déterminer la nature bourgeoise d’une organisation politique auparavant prolétarienne. Le congrès de 1948 ratifia cette trahison.

Les groupes trotskistes qui révisèrent ultérieurement leur position sur la Russie (par exemple les tendances de Chaulieu, Tony Cliff, Johnson-Forest, etc. ...) mais qui ignorèrent ou furent incapables de dénoncer impitoyablement le rôle du trotskisme pendant la guerre et par conséquent la plupart des erreurs programmatiques de fond du Komintern dans le passé (soutien à la libération nationale, travail dans les syndicats, parlementarisme, fronts unis, etc. ...) retournèrent au gauchisme ou même à la politique de gauche.

Le congrès de 1948 ne ratifia pas seulement le patriotisme des trotskistes pendant la guerre, il adopta également en motion la défense totale du stalinisme. Ceci constitue une des raisons principales de l’existence du trotskisme aujourd’hui. En 1949, Tito qui exécuta des trotskistes à Belgrade en 1941 disposera du soutien de la IVème Internationale; et en 1950, la théorie de l’“assimilation structurelle” sera concoctée par le trotskisme dans le but de démontrer que les pays d’Europe de l’Est devaient être défendus de la même façon que l’Etat “ouvrier” russe originel.

La 2ème guerre mondiale ne se termina pas par la victoire du prolétariat, mais par sa défaite la plus absolue. Mais pour le trotskisme, le bilan fut finalement positif puisque l’économie nationalisée russe avait été exportée vers l’Europe de l’Est. Le fait que cela se soit fait sur le dos de plus de 50 millions de cadavres, après le démembrement impérialiste de toute la planète, n’avait que peu d’importance. La logique barbare de la politique capitaliste du trotskisme est contenue dans cette affirmation que les “formes de propriété socialistes” peuvent se répandre dans le monde par l’intermédiaire du plus grand bourreau du prolétariat: le stalinisme ! La ligue Spartaciste américaine (LTF en France) poussa cette conception réactionnaire jusqu’à sa conclusion la plus horrible quand elle affirma en 1964 que le “parapluie nucléaire soviétique doit couvrir Hanoï" ! Pour les trotskistes, le slogan originel des bolcheviques contre la guerre s’est transformé en son contraire : transformer la guerre impérialiste en... barbarie impérialiste.

Dans le camp du capital à jamais

Le rôle du trotskisme aujourd’hui consiste à défendre l’impérialisme, tout comme il le fit en 1939-45. La majorité de ces groupes staliniens de gauche aux USA, en France, en Grande-Bretagne, etc., sont déjà fermement et légalement associés à l’appareil politique de l’Etat capitaliste. Ils sont les défenseurs les plus acharnés du capitalisme d’état et de la politique de la gauche du capital (les syndicats, les partis staliniens et sociaux-démocrates).

Pour le trotskisme aujourd’hui, le monde de l’après-guerre est divisé par une lutte entre deux camps sociaux différents et ennemis : le monde impérialiste occidental d’un côté et la Russie plus ses “Etats ouvriers dégénérés structurellement assimilés” de l’autre (plus quelques autres “Etats ouvriers” végétant entre ces deux camps). La lutte de classe décrite par Marx avec tant de précision, de passion et de conviction, a complètement disparue de la vision du monde trotskiste. La division en classes séparant le prolétariat mondial de la bourgeoisie mondiale n’est plus la lutte centrale qui forme la base de la société capitaliste. A sa place, l’humanité est confrontée à une lutte entre des Etats nationaux, entre des “systèmes économiques” soi-disant opposés, le capitalisme à l’Ouest, le “socialisme” à l’Est. Ce qui revient pour le trotskisme à mettre la classe ouvrière mondiale à la remorque des politiques adoptées par l’Etat “ouvrier" (c’est à dire de la politique étrangère russe). Comme ces politiques doivent être progressistes, le prolétariat international doit les défendre indépendamment des besoins de sa propre lutte de classe. De plus, la classe est obligée de défendre tous ces autres états que les trotskistes ont classés comme “Etats ouvriers”. Ceci est tout-à-fait dans la ligne de la politique “internationale” prônée en 1928 par le Komintern stalinien au prolétariat mondial :

  • “L’Union Soviétique est la véritable patrie du prolétariat; elle est le défenseur le plus ferme de ses intérêts et le facteur principal de sa libération internationale. Ceci oblige le prolétariat mondial à contribuer au succès de l’édification socialiste en Union Soviétique, et à défendre le pays de la dictature du prolétariat par tous les moyens contre les attaques des puissances capitalistes” (“Programme de l’Internationale Communiste”, VIème Congrès, 1928)

Les trotskistes aujourd’hui saluent non pas une, mais de nombreuses -presque innombrables- “Unions Soviétiques”, qui “nécessitent” la défense inconditionnelle du prolétariat mondial. Bien que Trotsky affirma en 1940 que la question de la conservation de la forme de propriété d’Etat nationalisée en Russie était subordonnée à la question de l’extension de la révolution mondiale, pour le trotskisme d’aujourd’hui, la révolution mondiale a entièrement disparue et il ne s’agit plus que d’une question de soutien au stalinisme, fut-ce de manière “critique”.

En 1940, Trotsky fit la fausse prévision suivante à propos du développement du stalinisme:

  • “l’altemative historique poussée à son extrémité se présente comme suit : soit le régime de Staline est un résidu répugnant dans le processus de la transformation de la société bourgeoise en une société socialiste, soit le régime de Staline est la première étape d’une nouvelle société d’exploitation. Si le second pronostic s’avère correct alors bien sûr la bureaucratie deviendra une nouvelle classe exploiteuse. Cependant, si le prolétariat mondial devait actuellement s’avérer incapable de remplir la mission placée devant lui dans le cours du développement il ne resterait rien sauf la reconnaissance que le programme socialiste, basé sur les contradictions internes de la société capitaliste, s’est éteint comme une utopie”. (In ‘Defence of Marxism’ p.9)

Mais Trotsky insista également sur le fait que seule la fin de la 2ème guerre mondiale déciderait finalement de la nature de classe du stalinisme. Comme nous l’avons vu, les trotskistes répondirent à la guerre en trahissant l’internationalisme et en soutenant l’impérialisme russe qui démontra sans équivoque sa nature de puissance capitaliste. Pourtant la majorité des trotskistes saluèrent, à la fin de la guerre, la progression de l’armée rouge en Europe de l’Est et en Allemagne comme une grande victoire du socialisme ! En réalité, l’armée rouge -comme toutes les autres armées dans le conflit- écrasa toute possibilité de résistance prolétarienne surgissant en opposition à la guerre. Et l’armée stalinienne était même des plus expérimentées et des plus capables pour désarmer et massacrer le prolétariat. Voici par exemple ce que disait la propagandiste Ilya Ehrenburg, une hyène stalinienne, à propos des ouvriers allemands au début des aunées 40:

  • “Si les ouvriers allemands faisaient une révolution et approchaient l’armée rouge en frères ils seraient abattus comme des chiens” (cité dans “Invading Socialist Soctety” par la tendance Johnson-Forest, Septembre 1947)

A la fin de la guerre leurs propres mains maculées du sang des ouvriers du fait de leur carrière “héroïque” dans la résistance anti-fasciste, les trotskistes complices des alliés et du stalinisme ne pouvaient pas accepter tel quel le dernier pronostic pessimiste de Trotsky voyant le stalinisme comme une nouvelle classe sociale en cas d’échec de son dépassement par les ouvriers russes. Pour eux, la guerre a été une grande victoire du prolétariat. Paradoxalement, le trotskisme d’après-guerre suivit à sa propre manière la fausse logique de la perspective pessimiste et a-marxiste de Trotsky en 1940. La fin de la guerre vit la consolidation et l’extension du stalinisme. Et que firent les trotskistes face à cela? Le stalinisme était supposé être complètement réactionnaire sur le plan international en accord avec les thèses de Trotsky. Mais il se mettait à créer de nouveaux “Etats ouvriers” un peu partout ! Non pas épisodiquement, conjoncturellement, comme en Pologne en 1939, mais de façon permanente. Ainsi sans l’appeler une “nouvelle classe exploiteuse” (ce qu’il n’était pas, l’Etat stalinien n’étant qu’une simple faction de la classe capitaliste mondiale), les trotskistes le considérèrent comme tel dans les faits. Ils attribuèrent même à la bureaucratie la tâche progressiste de créer encore plus d’Etats “ouvriers” dans les siècles à venir ! (Pablo).

Quel rôle restait-il alors au trotskisme, le soi-disant “parti mondial de la révolution socialiste”? Aucun, sauf celui d’avocat du stalinisme.

En 1951 pendant la guerre de Corée, les dirigeants trotskistes -messieurs Mandel, Frank et autres petits Staline- accusèrent ignoblement Natalia Trotsky de succomber aux “pressions" de l’impérialisme américain lorsqu’elle rompit avec la IVème Internationale et décrivit la Russie comme une puissance capitaliste d’Etat[5] [54]. Seul l’avilissement total de ces renégats pouvait leur faire accuser les révolutionnaires de leurs propres crimes ! A Staline ce qui est à Staline ! Un des principaux devoirs des révolutionnaires aujourd’hui est la dénonciation impitoyable du trotskisme comme un avorton sanglant du stalinisme. Le passé des trotskistes parle de lui-même.

(WORLD REVOLUTION n°21, décembre 1987, organe du CCI en Grande-Bretagne)

 

  • “A BAS LE PILLAGE DES RICHESSES FRANCAISES ! Le blé que les paysans de France ont fait lever, le lait des vaches qu’ils ont élevées; les machines sans lesquelles nos ouvriers seront sans travail et sans pain ; le matériel de laboratoire qu’a construit le génie de nos savants, toutes ces richesses françaises doivent rester en France...” (Bulletin du Comité pour la IVème Internationale n° 2 du 20/9/1940).
  • “Tous ceux qui luttent contre l’oppresseur et qui ne sont pas ouvriers doivent comprendre que l’appui des forces ouvrières est vitalement nécessaire au succès de la lutte pour la libération nationale; qu’on doit donc leur assurer un statut de travail qui les intéresse et à la défense et a la renaissance de la patrie dont ils constituent la force...” (“La Vérité” n°8, 1er Janvier 1941).

 



[1] [55] Les positions prises par “BILAN” au cours de la guerre d’Espagne ont été publiées dans une série d’articles de notre Revue Internationale (n” 4,-6,-7 et 9).

[2] [56] Cité par Isaac Deutscher dans le “Prophète en exil” Trotsky 1920-1940”.

[3] [57] Les trotskistes se joignirent aux staliniens pour dénoncer les véritables internationalistes comme des “agents d’Hitler et de Mussolini” contribuant par là, à leur persécution et leur extermination. Les survivants de la Gauche Italienne continuèrent toutefois à diffuser leur propagande défaitiste et internationaliste contre la guerre, malgré les conditions difficiles de clandestinité. En effet, à l’apogée de la guerre impérialiste, les revues ‘INTERNATIONALISME” en France et “PROMETEO” en Italie firent leur première apparition.

[4] [58] Les activités patriotiques des trotskistes français pendant la seconde guerre mondiale sont notamment évoqué dans “Les enfants du prophète” de J. Roussel aux éditions Spartacus, Paris 1972. Mais il n’existe pas un tel travail concernant le mouvement trotskiste dans son ensemble.

[5] [59] Un récit fait par Munis de la rupture de Natalia Trotsky avec le trotskisme avec ses dernières déclarations, est paru en anglais dans la brochure “Natalia Trotsky and the fourth International Pluto Press, London 1972. Avec une introduction typique d’un écrivassier trotskiste… En français dans “Les enfants du prophète”- SPARTACUS.


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