Le nationalisme est un poison idéologique que la bourgeoisie utilise, soit pour embrigader la classe ouvrière dans ses conflits guerriers, soit pour émousser la lutte des classes sur un terrain corrompu et stérile. Les récentes manifestations nationalistes en Catalogne illustrent parfaitement ce piège tendu par la bourgeoisie au prolétariat. C’est pourquoi nous publions la traduction d’un article de notre section en Espagne qui tire les leçons essentielles de ces événements.
Un million et demi de personnes ont manifesté le 11 septembre dernier à Barcelone pour que la Catalogne « ait son propre État à l’intérieur de l’Europe ».
Cet événement a été analysé selon plusieurs grilles de lectures : L’indépendance de la Catalogne est-elle viable ? Pourquoi la Catalogne veut-elle « divorcer » de l’Espagne ? Est-ce que les catalans vivront mieux après l’indépendance ? Est-il vrai que la Catalogne apporte plus à l’Espagne que ce qu’elle reçoit de celle-ci ? Faudrait-il créer un État fédéral ?
Cependant, une autre lecture manque : celle du prolétariat, la classe sociale qui, par sa lutte historique, représente l’avenir de l’humanité. Voici donc une lecture faite du point de vue de la lutte des classes, que nous pourrions synthétiser en opposant deux termes : nation ou classe ?
Le 11 septembre nous avons pu voir Felip Puig (ministre de l’Intérieur de la Généralité catalane, responsable et animateur de la violente répression contre les manifestations massives de l’an dernier, organisateur de provocations policières tordues contre les manifestants1) défiler, amicalement entouré de ses victimes, de jeunes chômeurs ou de précaires. On a pu voir neuf des onze ministres d’un gouvernement régional, qui fut en première ligne dans la mise en oeuvre des coupes impitoyables dans les secteurs de la santé et l’éducation, marcher coude à coude avec leurs victimes : les infirmières et les médecins qui ont perdu plus de 30% de leurs salaires, les usagers qui doivent payer un euro chaque fois qu’ils vont en consultation ou payer une partie de leurs médicaments en pharmacie. Nous avons vu des patrons, des policiers, des curés, des leaders syndicaux, partager la rue avec leurs victimes : des chômeurs, des ouvriers, des retraités, des immigrants … Une atmosphère d’UNION NATIONALE a présidé le rassemblement. Le Capital s’est fait accompagner par ses exploités en les transformant en idiots utiles pour ses objectifs égoïstes.
Il est fort possible qu’une partie importante des manifestants ne partageait pas l’objectif de l’indépendance. Peut-être étaient-ils là parce qu’ils ne supportent plus les coupes, le chômage, l’absence d’avenir ; mais ce qui est certain, c’est que leur malaise a été canalisé par le Capital vers son terrain, celui de la défense de la Patrie. La rage des travailleurs ne s’est pas exprimée pour leurs propres intérêts, encore moins vers l’intérêt de la libération de l’humanité, mais uniquement et exclusivement au bénéfice du Capital !
Et qu’on ne vienne pas nous raconter que la lutte pour l’indépendance de la Catalogne affaiblit le Capital espagnol ! Qu’on ne nous serve pas la baliverne selon laquelle le soutien à la Catalogne ravive les « contradictions » du Capital, entre ses fractions « espagnole » et « catalane » !
Si le prolétariat lutte derrière des drapeaux qui ne sont pas les siens – et le drapeau national est le plus opposé à ses intérêts – alors il RENFORCE le Capital, toutes et chacune de ses fractions. Il est possible que cela ravive les contradictions entre eux, mais celles-ci sont canalisées dans leurs crises, leurs guerres, leurs conflits de gangsters, leurs bagarres de famille. Autrement dit, elles finissent par faire partie de l’engrenage de barbarie et de destruction avec lequel le système capitaliste bride l’humanité.
La nation n’est pas la communauté de tous ceux qui sont nés sur la même terre, mais la propriété privée de l’ensemble des capitalistes grâce à laquelle ils organisent l’exploitation et l’oppression de leurs « concitoyens bien-aimés »2. Ce n’est pas un hasard si le slogan de la manifestation était que « la Catalogne ait son propre État ». La nation, ce mot « si affectionné », est inséparable de ce monstre – pas du tout affectionné, froid et impersonnel – qu’est l’État avec ses prisons, ses tribunaux, ses armées, sa police et sa bureaucratie.
Le président Mas3 a promis un referendum, on ne sait pas quelle question sera posée, mais on peut être certain de ce que veulent autant lui que ses collègues « espagnols » : nous faire choisir entre trois options, pires l'une autant que les autres : Voulez-vous que les réajustements et les coupes vous soient imposés par l’état espagnol ? Voulez-vous qu’ils vous soient imposés dans le cadre de la « construction nationale de la Catalogne »? Ou bien voulez-vous que ce soient l’État espagnol et l’aspirant catalan qui vous assomment conjointement ? Le Capital en Espagne possède deux patries pour imposer la misère : « l’espagnole » et la « catalane ».
Quels sont les mécanismes qui font que les travailleurs défilent avec leurs bourreaux, qui, comme le disait un chef de police espagnol (collègue quelque part du susnommé Puig), les voient comme « l’ennemi »4?
Il y en a plusieurs, mais, à notre avis, trois sont les plus importants :
La décomposition du capitalisme. Si depuis les premières décennies du 20 siècle, le capitalisme est entré dans l’ère de sa décadence, depuis presque 30 ans ce processus s’est aggravé amenant à une situation que nous avons identifié comme celle de la décomposition du capitalismeme. Sur le plan politique, cette décomposition aiguë se concrétise par la tendance à une irresponsabilité croissante des différentes fractions de la bourgeoisie de plus en plus embourbées dans le « chacun pour soi » qui, avec l’exacerbation de la crise, amène à un « sauve qui peut ». Lorsque Mas est allé à Madrid le 13 septembre pour ramasser les dividendes de la manifestation du 11, il a dit que l’Espagne et la Catalogne étaient comme deux conjoints qui ne se supportent plus. Il avait raison, les nations sont des « mariages de convenance » entre fractions différentes de la bourgeoisie ; au vu de la crise et de la décomposition du capitalisme, il est de plus en plus difficile en son sein de forger un projet un minimum sérieux qui agglutine les différentes fractions. Ceci pousse à ce que chacun mène son propre jeu, même en sachant que ce jeu ne va pas lui donner non plus la moindre perspective. Beaucoup de nations sont de plus en plus prises d’assaut par un tourbillon de tendances centrifuges : au Canada, le Québec ne veut plus faire partie de la Fédération, en Grande-Bretagne l’indépendantisme fleurit en Écosse, pour ne pas parler de la Belgique, de l’Italie…
Mais le drame c’est que ces tendances affectent et contaminent le prolétariat entouré comme il l’est de la petite bourgeoisie – bouillon de culture de la décomposition sociale – et soumis à la pression exercée par les comportements cyniques et corrompus de la classe dominante et à la propagande qu’elle diffuse. Le prolétariat doit combattre les effets de cette décomposition sociale, développant les anticorps nécessaires : face à un monde de concurrence effrénée, il doit opposer une lutte solidaire ; face à un monde qui se désagrège en morceaux avec des gouvernants aspirant à devenir les roitelets de leurs taïfas, il doit opposer son unité internationale ; face à un monde d’exclusion et de xénophobie, il doit opposer sa lutte d’inclusion et intégratrice …
Les difficultés de la classe ouvrière. Actuellement, le prolétariat n’a pas confiance en ses propres forces, la plupart des ouvriers ne se reconnaissent pas en tant que tels. Ce fut le talon d’Achille des mouvements des Indignés en Espagne, aux États-Unis etc., où, malgré les éléments positifs et pleins d’avenir, la majorité des participants (précaires, chômeurs, travailleurs individuels…) ne se voyaient pas comme membres de leur classe mais comme « citoyens », ce qui les rendait vulnérables face aux mystifications démocratiques et nationalistes du capital5. Ceci explique que des jeunes chômeurs ou des précaires qui, il y a un an, ont occupé la place de Catalogne, à Barcelone, qui y ont lancé des appels à la solidarité internationale, allant jusqu’à rebaptiser cette place : « Place Tahrir », se soient aujourd’hui mobilisés derrière le drapeau national de leurs exploiteurs.
L’intoxication nationaliste. La bourgeoisie, bien consciente des faiblesses du prolétariat, joue à fond l’atout nationaliste. Le nationalisme n’est pas le patrimoine exclusif de la droite et de l’extrême-droite, il est le terrain commun partagé par un éventail politique qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche et aussi par ce qu’on appelle les « organisations sociales » (Patronat et Syndicats).
Le nationalisme de droite, attaché à des symboles rances et à une repoussante agressivité vis-à-vis de ce qui est étranger (xénophobie), n’est pas très convaincant pour la plupart des travailleurs (sauf les secteurs les plus arriérés). Le nationalisme de gauche et des syndicats accroche davantage parce qu’il apparaît comme plus « ouvert », plus en phase avec le quotidien. C’est ainsi que le discours nationaliste de la gauche nous propose une « issue nationale » à la crise, et pour ce faire il demande un « partage juste » des sacrifices. Cela, en plus de justifier les sacrifices avec le leurre de « faire payer les riches », inocule la vision nationale car cela présente une « communauté nationale » faite de travailleurs et de patrons, d’exploiteurs et d’exploités, tous unis pour la « marque Espagne ». Quelle différence avec ce que disait Primo de Rivera, leader du fascisme espagnol : « patrons et ouvriers, nous sommes dans le même bateau » ?
Un autre des discours préférés de la gauche et des syndicats, c’est de dire que « Rajoy impose les coupes parce qu’il ne défend pas l’Espagne, c’est un larbin de Merkel ». Le message est évident : la lutte contre les coupes serait un mouvement national contre l’oppression allemande et non pas ce qu’elle est : un mouvement pour nos besoins humains contre l’exploitation capitaliste. En fait, Rajoy est aussi « espagnoliste » que l’était Zapatero ou que le serait un hypothétique gouvernement de Cayo Lara6. Ils défendent l’Espagne en imposant « du sang, de la sueur et des larmes » aux travailleurs et à la grande majorité de la population.
Les mobilisations syndicales du 15 septembre ont été appelées parce qu’ « ils [le pouvoir] veulent démolir le pays », ce qui veut dire que nous, les travailleurs, devrons lutter non pas pour nos intérêts, mais pour « sauver le pays », ce qui nous place sur le terrain du Capital, le même que Rajoy qui prétend sauver l’Espagne avec le sacrifice des travailleurs.
Les groupes qui ont gardé « le label 15-M »7 défendent des choses « plus radicales », mais pas moins nationalistes. Ils disent qu’il faut lutter pour garder la « souveraineté alimentaire », ce qui veut dire qu’on doit produire « espagnol » et consommer « espagnol ». Ils parlent aussi de faire des « audits à la dette » pour rejeter les dettes qui « auraient été imposées illégitimement à l’Espagne ». Une fois encore : une position nationaliste pure et dure ! La gauche, les syndicats et les restes frauduleux du 15-M réalisent un « remarquable » travail de « formation de l’esprit national ». C’est ainsi que se nommait du temps du dictateur Franco une matière scolaire obligatoire ; aujourd’hui, depuis toutes les tribunes on nous donne, démocratiquement, ce genre de leçon à avaler de gré ou de force !
Il ne faut surtout pas s’imaginer que toute cette plaie nationaliste ne sévit qu’en Espagne ! On la sert à toutes les sauces dans le reste des pays. En France, Melenchon, leader d’un supposé radical Front de Gauche, proclame que « la bataille contre le traité [de Stabilité que va signer la gauche « molle » de Hollande] est un nouvel épisode révolutionnaire pour la souveraineté et l’indépendance »8., Rien que ça ! On se croirait aux temps de Jeanne d’Arc !
Le matraquage nationaliste n’a d’autre finalité que de faire s’affronter les travailleurs entre eux. Aux travailleurs allemands, qui doivent subir des salaires de 400 € et des retraites de 800 €, on insinue que les causes de leurs sacrifices sont les travailleurs de l’Europe du Sud, des vauriens qui ont vécu au dessus de leurs moyens. Aux travailleurs de Grèce, on fait comprendre que leur misère est le produit des privilèges et du luxe dont jouissent les travailleurs allemands. À Paris, on leur dit qu’il vaut mieux que les licenciements se fassent à Madrid plutôt qu'en France.
Comme on le voit, on nous attache avec un nœud gordien des mensonges qu’il faudra briser en comprenant que la crise est mondiale, que les coupes sévissent dans tous les pays. Le matraquage autours du problème national fait qu’on ne voit que les 700 000 chômeurs en Catalogne ou, à la limite, les 5 millions en Espagne, et on ne voit pas ceux du monde entier qui sont plus de 200 millions. Quand on ne voit que la pluie des coups de ciseaux qu’il y a eu en Catalogne et en Espagne, on ne voit pas les coups de ciseaux monstres qui ont été imposés, par exemple aux travailleurs « privilégiés » des Pays-Bas. Quand on ne regarde que « notre propre misère », en tant qu’espagnols ou catalans, on ne voit pas la misère du monde du point de vue prolétarien. Quand on regarde avec l’optique nationale, étroite, mesquine et excluante, on a le cerveau prêt à croire, comme « Perrette et son pot au lait », aux histoires à dormir debout que raconte l’honorable monsieur Mas tel que « si on payait à la Catalogne les 10 milliards qu’on lui doit, les coupes seraient superflues », version régionale du « si l’Espagne n’était pas aussi ligotée par l’Allemagne il y aurait de l’argent pour la santé et l’éducation ».
Le capitalisme a créé un marché mondial, il a généralisé à toute la planète le règne de la marchandise et le travail salarié. Mais celui-ci ne peut fonctionner que par le travail associé de l’ensemble des travailleurs du monde. Une automobile n’est pas l’œuvre d’un ouvrier individuel, elle ne l’est pas non plus des ouvriers d’une usine, même pas du pays où elle a été fabriquée. Elle est le produit de la coopération de beaucoup d’ouvriers de différents pays et de différents secteurs aussi : pas seulement de l’automobile mais de la métallurgie, des transports, de l’éducation, la santé…
Le prolétariat possède une force fondamentale face au capitalisme : être le producteur associé de la plupart des produits et des services. Mais il a également une force pour donner un avenir à l’humanité : le travail associé qui, libéré des chaînes capitalistes – de l’État, de la marchandise et du salariat – permettra à l’humanité de vivre d’une façon solidaire et collective, dédiée à la pleine satisfaction de ses besoins et celles du progrès de l’ensemble de la nature.
Pour évoluer dans cette direction, le prolétariat doit s’orienter vers la solidarité internationale de tous les prolétaires. Enchaîné à la nation, le prolétariat sera toujours enchaîné à la misère et à toutes sortes de barbaries ; enchaîné à la nation, il sera toujours empoisonné par des falsifications anti-solidaires, xénophobes, d’exclusion, patriotiques… Enchaîné à la nation, il acceptera la division et l’affrontement dans ses rangs.
Aucune solidarité avec nos exploiteurs ! Notre solidarité doit se porter vers les ouvriers d’Afrique du Sud écrasés par leurs soi-disant « libérateurs noirs »9, notre solidarité doit se porter vers les jeunes et les travailleurs palestiniens qui manifestent aujourd’hui contre leurs exploiteurs du « presque-Etat » palestinien. Notre solidarité l’est avec les ouvriers de tous les pays.
L’unité et la solidarité ne sont pas avec « nos concitoyens » capitalistes de l’Espagne ou de la Catalogne, mais avec les ouvriers exploités du monde entier !
Les prolétaires n’ont pas de Patrie !
Acción Proletaria (CCI, Espagne), 16 septembre 2012
1 Pour bien saisir le niveau moral et les prouesses répressives de ce sinistre sire F. Puig, voir : Qu’y a-t-il derrière la campagne contre les « violents » autour des incidents de Barcelone ?, (fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/quyatil_derriere_la_campagne_contre_les_violents_autour_des_incidents_de_barcelone.html [1]) et : Solidarité avec les indignés de Barcelone matraqués par la démocratie bourgeoise : A BAS L’ÉTAT POLICIER !, (fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/solidarite_avec_les_indignes_de_barcelone_matraques_par_la_democratie_bourgeoise.html [2])
2 Voir notre brochure Nation ou Classe (fr.internationalism.org/brochure/nation)
3 Président de la Généralité de Catalogne
4 Voir : Pourquoi nous considèrent-ils comme leurs ennemis ? (fr.internationalism.org/ri430/pourquoi_nous_considerent_ils_comme_leurs_ennemis.html)
me Voir nos THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, publiées en 1990, (fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm )
5 Pour un bilan critique des mouvements de 2011, voir : "2011 : de l'indignation à l'espoir [3]", et : "Mouvement des indignés en Espagne, Grèce et Israël : de l’indignation à la préparation des combats de classe [4]" dans la Revue Internationale nº 147.
6 Rajoy est l’actuel chef de gouvernement (droite), Zapatero, le précédent (socialiste) et Cayo Lara est le dirigeant du PC et de la coalition Gauche Unie. [NdT]
7 « 15-M », abréviation du 15 mai 2011, date de la manif qui a déclenché le mouvement des Indignés en Espagne. [NdT]
8 Ces déclarations de Mélenchon ont été traduites en français à partir de celles reproduites par le journal espagnol El País, 16/09/2012. [NdT]
9 Lire La bourgeoisie lance ses chiens de garde policiers et syndicaux sur la classe ouvrière (Révolution internationale, septembre 2012), (fr.internationalism.org/node/5158) et, en espagnol, une prise de position d’un lecteur chilien : Masacre de Marikana, lecciones de la experiencia sudafricana (https://es.internationalism.org/node/3468 [5])
Nous présentons ici trois textes de réflexion sur les dernières expériences de mobilisation survenues récemment en Espagne : l’anniversaire du 15-M (le mouvement des Indignés a été marqué par une mobilisation très forte le 15 mai 2011 qui a donné ce nom) et la grève des mineurs. Ce qui ressort de cet ensemble de textes, c’est son caractère international.
En premier, nous publions un article de notre section en Grande-Bretagne qui prend position sur ces deux mobilisations en réponse à des débats qu’il y a eu sur le forum de langue anglaise libcom.
Ensuite, il y a un camarade qui collabore régulièrement avec nous et qui nous fait part ici de ses propres réflexions sur la grève des mineurs.
Enfin, nous publions un bref commentaire de notre part sur ces réflexions.
Ce caractère international correspond à celui de la lutte du prolétariat, qui est une classe dont les intérêts sont communs dans tous les pays. Ce caractère mondial a l’avantage d’une vision plus large, une vision qui donne une perspective aux événements face à l'étroitesse du prisme national qui, par définition, et frappé de myopie.
La classe ouvrière en Espagne subit des mesures d’austérité particulièrement dures dans un contexte de crise économique profonde, ce qui fait augmenter la tension sociale. Les luttes qu’il y a eu en 2011 comme réponse à la crise ont servi d’inspiration pour bien d’autres mouvements. Dans le cas du mouvement du 15-M, il a été influencé par le printemps arabe et, à son tour, il a inspiré des luttes en Grèce et aux États-Unis, par exemple. L’anniversaire du 15-M a coïncidé dans le temps avec le début de la grève des 8000 mineurs au nord de l’Espagne contre un important retrait des aides publiques au secteur minier, ce qui, en plus d’en finir avec l’activité minière, menacerait quelque 40 000 emplois indirects dépendants de celle-là, dans un pays comptant 24 % de chômeurs, dont la moitié des jeunes de moins de 25 ans. Cet article veut contribuer au débat sur les leçons qu’on peut tirer de l’anniversaire du 15-M et de la grève dans les mines.
Les mineurs d’Espagne, surtout ceux de la région des Asturies, ont une longue tradition de lutte, avec des épisodes remarquables tels que l’insurrection de 1934 ou les grèves de 1962 ; ce n’est donc pas une surprise que leur détermination à riposter à l’attaque en se mettant en grève le 31 mai. Leur courage dans la lutte est remarquable : l’installation des barricades sur les routes, l’utilisation d’armes improvisées pour repousser les attaques de la Garde Civile qui faisait tout pour lever les blocages, des ripostes aux arrestations, aux charges et aux tabassages. Tout cela a soulevé des sympathies de la part de plein de gens, comme cela a été le cas des participants au forum libcom2 et au site Web de la Tendance Communiste Internationaliste3.
Cette situation rappelle celle de la grève des mineurs au Royaume-Uni des années 1984 et 85, lorsque ce secteur si combatif, profondément respecté et dans un certain sens porteur d’espoir pour l’ensemble de la classe ouvrière, s’est lancé dans une grève courageuse et dure, avec d'innombrables affrontements contre la police pour se défendre d’une répression qui avait atteint des sommets de brutalité. De la même manière que les mineurs espagnols maintenant, ils firent face aux plans de fermeture de beaucoup de mines à une époque de fort chômage. La lutte s’est achevée par une défaite qui a pesé énormément sur la classe ouvrière de Grande Bretagne pendant les deux décennies suivantes.
Dans le débat sur le site libcom, “Fingers Malone” signale les difficultés de la situation à laquelle font face les mineurs espagnols à cause des caractéristiques d’une attaque qui signifie ni plus ni moins la fermeture de cette industrie : « la grève en elle-même ne les mène nulle part », ce qui expliquerait les autres moyens mis en place par les mineurs tels que les barrages de routes et les occupations des mines. Mais, est-ce que ces actions font avancer la lutte de manière efficace ? À notre avis, le problème n’est pas le fait que la grève par elle-même ne soit pas suffisante, mais le fait de se lancer dans la grève seuls, isolés des autres secteurs de la classe ouvrière, ce qui met les mineurs dans une position de faiblesse face au pouvoir (médiatique, économique, politique, répressif) de l’État, les amenant probablement à la défaite. La grève générale dans les contrées minières le 18 juin dernier, organisée par les syndicats (CO et SOMA-UGT) et soutenue par la gauche, n’a pas du tout servi à briser l’isolement des mineurs, cantonnés dans les régions touchées par les réductions des subventions. Et leur revendication d’un « plan charbon » en Espagne, ressemblant à celle des mineurs britanniques de l’époque « coal not dole » (“charbon oui, chômage non ”), ne va déboucher que sur un isolement accru de la grève.
Dans ce sens, le slogan « On n’est pas indignés, on en a plein le cul »4 ne fait réellement qu’exprimer les limites de leur lutte, basée sur l’illusion seln laquelle leur force seule, en tant que mineurs, serait suffisante pour faire face à l’État. D’une certaine manière, les mineurs se voient eux-mêmes comme l’expression d’une position plus radicale que celle des “Indignés”, qui a été une des luttes les plus importantes de l’an dernier, non pas seulement en Espagne, mais au niveau international. Donc, malgré leur grande combativité et leur longue tradition de lutte au sein de la classe ouvrière, l’isolement des mineurs est une faiblesse qui pourrait entraîner un revers important pour la lutte de classe dans son ensemble.
Malgré les énormes difficultés qu’affronte la bourgeoisie pour gérer la situation économique, on ne doit jamais sous-estimer l’expérience qu’elle possède dans sa lutte contre la classe ouvrière, tel qu’on a pu le voir clairement lors des manœuvres comme celle de l’isolement des mineurs ou la dernière grève syndicale du 29 mars5, suivie tout de suite par l’annonce des coupes budgétaires allant jusqu’à 2 milliards d’euros.
La “célébration” de l’anniversaire du 15-M en est un autre exemple : une parodie des événements d’il y a un an écrite pour effacer ou du moins caricaturer les mobilisations de 2011, justement au moment où nous avons besoin de réfléchir, de débattre et de digérer les enseignements de cette expérience. Cette année-ci les mobilisations ont été appelées par toute sorte d’organisations gauchistes et syndicales et non pas par des assemblées qui n’existent plus, qui ont mis en avant des positions démocratiques et réformistes “citoyennes”, loin de toute vision de classe.
Les fausses alternatives offertes par la droite gouvernementale et la gauche se complètent à la perfection. Au PP la menace de répression contre le mouvement, l’accusant d’être un sous-marin du PSOE. De son côté, le PSOE, qu’il y a un an essayait de déformer la signification du mouvement en le traitant de petit-bourgeois, marginal et sans perspectives, maintenant l’encense comme étant une grande réussite, avec un grand avenir dans la société. La bourgeoisie dénigre toujours le mouvement réel, pour après le glorifier lorsqu’elle a réussi à le transformer en coquille vide et en souvenirs inoffensifs.
Il y a eu foule lors des manifestations de l’anniversaire du 15-M, mais pas autant que lors des moments les plus chauds du mouvement en juin, juillet ou octobre de l’an dernier. Des assemblées sont réapparues à Madrid, Barcelone, Séville, Valence, Alicante et ailleurs. Mais, malgré le fait que les assemblées ont été reçues avec intérêt et curiosité le samedi soir, elles ont été peu à peu abandonnées sans que le mouvement ait la moindre force pour résister au contrôle des organisations gauchistes ; les gens ont préféré partir. Il y a eu, cependant, quelques signes de caractère prolétarien : la participation massive des jeunes, une ambiance solidaire et ouverte, et quelques contribuions intéressantes au débat. À Madrid a eu lieu un débat très intéressant sur la santé ; on y a entendu des expressions dans le sens de ce que nous avons appelé « l’aile prolétarienne du mouvement », même si c’était bien moins important que l’an dernier. Le mouvement, en général, n’a pas pu briser les chaînes imposées par la bourgeoisie, et s’est maintenu comme une caricature du mouvement originel du 15-M, rappelant d’avantage une joyeuse randonnée de week-end qu’autre chose.
Les mouvements sociaux qui se sont produits en 2011 ont été une expérience très importante pour la classe ouvrière par leur dimension internationale, par l’occupation des rues, par l’existence des assemblées comme cœur du mouvement6. En Espagne, il y a eu des mobilisations massives dans le secteur éducatif à Madrid et Barcelone, dans la santé à Barcelone, chez les étudiants à Valence. La grève syndicale du 29 mars et celles des mineurs sont aussi des expériences sur lesquelles nous devons tous réfléchir.
À la suite de toutes ces expériences, nos camarades en Espagne disent qu’on a la sensation que le mouvement est en train de réfléchir sur lui même, de revenir sur ses faiblesses et les difficultés pour développer une lutte capable de riposter à la gravité de la situation et au niveau des attaques. Ce processus de réflexion est absolument essentiel dans la préparation du terrain pour le développement d’un mouvement plus large et plus profond capable de mettre en question le système capitaliste lui-même.
Voilà des idées qui se rependent de plus en plus : le capitalisme est un système en faillite, sans avenir ; après cinq années de crise, la classe dominante n’a pas la moindre réponse pour y remédier, il faut changer ce système. Lors d’une assemblée à Valence, par exemple, une femme a mis en avant des idées que par ailleurs le CCI a défendues concernant le mouvement du 15-M : celui-ci a un versant révolutionnaire et un autre réformiste, et c’est le premier qu’il faut renforcer. Mais il y a aussi une recherche de la riposte et de l’action immédiates, qui peut déboucher sur des propositions stériles pour ne pas dire ridicules parfois, comme l’idée selon laquelle si tous les clients de la banque nationalisée Bankia retiraient leur argent « cela ferait du mal au capitalisme ».
Ainsi, en même temps que l’on met en avant l’idée de remplacer le capitalisme, il y a la difficulté pour trouver comment le faire, et aussi l’espoir que la faillite du système pourrait être réversible. C’est ici que la gauche et l’extrême-gauche interviennent pour mettre en avant toutes sortes de “solutions” pour reformer le capitalisme, telles que plus d’impôts pour les riches, l’élimination de la corruption, les nationalisations, etc. En fait, la plupart de ces propositions sont aussi défendues par le centre et la droite.
Il est crucial de ne pas tomber dans ce piège des prétendues alternatives réformistes. Il est tout aussi important que le mépris vis-à-vis des politiciens en général, et vis-à-vis des mensonges de la gauche en particulier, ne nous amène pas à une espèce d’enfermement dans des groupes locaux isolés, méfiants vis-à-vis de tout ce qui dépasse leurs limites géographiques. Ce ne sera qu’en dépassant ces pièges que nous pourrons faire avancer la réflexion sur la crise du capitalisme, sur la nécessité de le détruire et sur comment la classe prolétarienne peut avancer dans sa lutte. Tout cela est essentiel pour préparer les luttes futures.
Alex (30 juin 2012 )
La lutte des mineurs n’est pas, comme certains secteurs ont voulu la faire passer, une lutte décisive ou exemplaire pour le reste du prolétariat, dont la défaite signifierait un pas en arrière important pour l’ensemble du mouvement ouvrier. Les caractéristiques des mineurs sont aujourd’hui très spécifiques et minoritaires : c’est un secteur avec une très grande tradition de lutte et capacité de mobilisation, conscient de ses intérêts sectoriels, avec une forte présence et contrôle syndicaux, et très identifié aux zones géographiques où cette activité se déroule. D’un autre côté ce qui prédomine autant en Espagne qu’internationalement c’est tout le contraire : destruction des liens sociaux au travail et dans les quartiers, très peu de mémoire ou de tradition des méthodes prolétariennes de lutte (assemblées, solidarité, auto-organisation), manque croissant de protection sociale face aux objectifs du capital et de son État, contrats temporaires, précarité, chômage massif.
L’idée selon laquelle la combativité d’un seul secteur (aussi combatif soit-il, tel que le secteur minier) peut faire reculer la bourgeoisie dans l’état actuel de la crise capitaliste est un piège. Seule la lutte massive de larges secteurs du prolétariat peut y arriver.
La présentation de la part de la gauche et des syndicats des mineurs comme “des héros solitaires de la classe ouvrière” est encore un autre piège qui ne fait qu’approfondir encore plus l’isolement de ceux-ci par rapport aux autres secteurs. Les syndicats et la gauche (avec leurs appendices “radicaux” derrière) font tout leur possible pour isoler les mineurs pour qu’ils s’usent dans des actions stériles (“la marche noire”) médiatisées et bien contrôlées.
Discuter sur la rentabilité ou les aides au secteur minier n’est pas une question qui doive occuper les prolétaires. L’économie capitaliste a toujours été peu ou prou orientée par l’État, pour différentes raisons. Ce qui doit nous préoccuper c’est le fait que nous sommes tous soumis au même joug, que nous avons tous le même ennemi : le système capitaliste. L’avenir des mineurs est le même que celui de la majorité : précarité, chômage, misère, émigration. Pour lutter contre tout cela, les mineurs ne doivent plus le faire en tant que mineurs, mais en tant que prolétaires avec le reste de la classe ouvrière.
Quel développement, quel résultat prévisible, quels enseignements tirer du conflit mineur ? Il y a un forum sur Internet qui résume tout cela très bien : « Toujours plus de la même chose. CO et UGT proposent une marche sur Madrid, où les mineurs seront reçus comme des héros, convenablement isolés de la lutte de classes... avec ça, oui, mille anecdotes de voyage dont on tirera des reportages, des chroniques, des vidéos sur youtube, etc., etc. Dispersion syndicale et démocratique bien organisée, usure... et l’État toujours droit dans ses bottes.
Les mineurs, isolés et démocratiquement bien orientés, ceci dit toujours bien en rogne, seront (une fois encore) défaits.
Avec la revendication sectorielle des fonds pour les mines, il y a peu de probabilités pour que d’autres ouvrier(e)s se sentent impliqué(e)s et partie prenante.
Et c’est pareil que cet isolement s’exprime pacifiquement ou avec de la violence. Si là où on dit mineurs, on met une autre catégorie d’ouvriers, on se rendra compte que la défaite s’est produite une fois après l’autre. Le capital et son État se renforcent, deviennent de plus en plus durs. Ils laissent les énergies s’épuiser journée après journée d’action inefficace, contrôlées de près ou de loin par les syndicats démocratiques TOUT LE TEMPS QU’IL FAUDRA..., et, à la fin, spectacle à Madrid, et des "nous avons fait tout ce qu’on a pu", "nous sommes à bout", "épuisement et accablement généraux chez les travailleurs".... et, enfin, tous en car pour rentrer à la maison, et CO et UGT des héros incompris dont "les propositions logiques et sensées" n’ont pas été écoutées par le Ministre et l’administration...»7, « Avec des pétards et ce genre d’affrontement on n’établit pas un nouveau rapport de forces avec le capital. SEULEMENT EN ÉTENDANT les conflits avec des méthodes et des revendications de classe anticapitalistes, EN Y INTÉGRANT le plus grand nombre possible de prolétaires actifs ou au chômage, de retraités, on pourra établir ce rapport de forces favorable.
Pour cela l’indépendance organisationnelle et politique de la classe ouvrière est nécessaire, et non pas ce suivisme des projets bourgeois démocratiques. "Sauver le charbon", "sauver les mines", "défendre les Asturies" et d’autres mot d’ordre de ce genre ce n’est ni plus ni moins que défendre les intérêts patronaux, de sorte que ceux-ci pourront continuer à se développer et à se maintenir en licenciant et en exploitant les ouvriers, avec ou sans aides, avec ou sans petits drapeaux asturiens ou léonais, etc.
La Garde Civile et la Police nationale sont là pour faire leur affaire, elles ont un grand effectif bien entraîné et bien équipé. Elles ne craignent pas ce genre d’affrontement, ce que la bourgeoisie craint c’est l’extension, la généralisation des luttes et que celles-ci se déroulent en dehors du moule du syndicalisme et de la gauche démocratique.
Les activismes gauchistes ce sont des ripostes sans lendemain, ne font que satisfaire la soif activiste ponctuelle de ceux qui les pratiquent et leur entourage. Tout ça ne va nulle part. Ce ne sont pas là des opinions, ce sont des FAITS VÉRIFIÉS À RÉPÉTITION. »8
Bref : l’isolement et les méthodes syndicales de lutte nous amènent à la défaite, chez les mineurs comme ailleurs. La prévisible défaite (au-delà de quelque manigance possible entre les syndicats et le gouvernement pour calmer les esprits) pourra sans doute être utilisée par le gouvernement pour se donner une image de fermeté, du genre même les mineurs ne peuvent pas arrêter les mesures prises contre les conditions de vie et de travail que le capital exige. Cependant, le cours vers des luttes prolétariennes importantes est toujours ouvert : une économie capitaliste qui tombe en lambeaux avec ce nouvel épisode de crise après des années où elle s’est maintenue grâce à une demande fictive de la dette des États, des banques, des entreprises et des particuliers ; une usure de l’appareil politique et syndical de la bourgeoisie ; et la dégradation brutale des conditions de vie et de travail de larges secteurs de la classe travailleuse, une classe qui a de moins en moins à perdre face à un présent et un futur de chômage, de précarité et de déshumanisation.
Le mouvement du 15-M, du moins tant qu’il a eu quelque chose d'un vrai mouvement, a eu beaucoup de faiblesses et d’illusions, a été très hétérogène et pour cela médiatisé. Mais son importance ne réside pas tant dans son existence même (un mouvement condamné à disparaître depuis le début) mais dans deux phénomènes qui ont surgi avec lui : le premier, c’est la concrétisation physique dans la rue de l’explosion du ras-le-bol, “d’indignation” et de la volonté de lutter, ce qui jusqu’alors était diffus ou ruminé chacun dans son coin, et qui a rendu visible le fait que “lutter c’est possible” ; et, en deuxième lieu, la réapparition historique des assemblées massives comme outil de rassemblement, de solidarité, de discussion et de décision face à l’atomisation et la dispersion, au chacun pour soi, à la précarité et au chômage. Lors des luttes futures, ces éléments, améliorés et dépassés, seront de la plus grande importance.
Compañero, juillet 2012
Nous partageons pleinement les réflexions du camarade. Nous voudrions faire tout simplement une incise qui, à notre avis, n’invalide pas du tout son analyse, mais qui est une donnée importante dont il faudra tenir compte pour le futur. Tout laissait penser que la manifestation du 11 juillet à Madrid9 avait été pensée comme un genre d’enterrement de la lutte, comme une exhibition du “splendide isolement” des mineurs, qui devraient se contenter de la “solidarité” de quelques personnages de “la culture” et pas grand-chose de plus. Mais, au contraire, l’inquiétude existante a fait que bien plus de monde que prévu est venu à la manifestation en soutien aux mineurs. Un autre facteur a joué. Le même jour où les mineurs étaient à Madrid, Rajoy10, pensant que tout était bien ficelé, a annoncé les dernières violentes mesures d’attaques aux conditions de tous les travailleurs. Ceci a enflammé les esprits et a fait que beaucoup de travailleurs -des fonctionnaires spécialement- se soient présentés spontanément à la manifestation des mineurs et que certains bus de ceux-ci aient retardé leur départ pour rester avec les fonctionnaires et d’autres groupes d’ouvriers à la gare d’Atocha et d’autres lieux de la manifestation. Globalement, les syndicats sont arrivés à contrôler la situation et les mineurs sont rentrés chez eux. Mais c’est un signe fort de jusqu’à quel point la situation est tendue.
CCI
1Pour le texte original en anglais : https://en.internationalism.org/content/5024/spain-how-can-workers-respond-economy-dire-straits [7] [NDLR]
4 Références anatomiques mises à part ça correspond plus ou moins à « No estamos indignados, estamos hasta los cojones » [NdR]
5 En français : https://fr.internationalism.org/ri433/apres_l_escroquerie_de_la_greve_ge... [10]
6 Lire le tract international du CCI « 2011 : de l’indignation à l’espoir », https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html [3]
7 https://interrev.foroactivo.com/t1677-mineria-del-carbon-manifestaciones-hg-y-marchas-convocadas-por-soma-ugt-y-ccoo-aislamiento-es-derrota [11]
8 https://interrev.foroactivo.com/t1677-mineria-del-carbon-manifestaciones-hg-y-marchas-convocadas-por-soma-ugt-y-ccoo-aislamiento-es-derrota [12]
9 Jour de l’arrivée dans la capitale espagnole de la « marche noire » des mineurs venant à pied des contrées minières du Nord de l’Espagne. [NdT]
10 Chef du gouvernement espagnol (droite) [NdT]
Nous publions ci-dessous un article rédigé par un proche sympathisant du CCI en Espagne qui fait un récit et tire des leçons des mobilisations réalisées par les travailleurs et les masses opprimées de Palestine. Nous voulons saluer cette initiative. Dans une région où il y a un affrontement impérialiste brutal avec les énormes souffrances que cela entraîne pour la population, des mots tel que classe, prolétariat, lutte sociale, autonomie du prolétariat…, sont enterrés par les mots guerre, nationalisme, rivalités ethniques, conflits religieux, etc. C’est pour cela que ces mobilisations ont beaucoup d’importance et doivent être connues et prises en compte par les prolétaires de tous les pays. On nous propose des solidarités avec des nations, des peuples, des gouvernants, des organisations de « libération »…, on doit rejeter une telle solidarité ! Notre solidarité ne peut aller que vers les travailleurs et les opprimés de Palestine, d’Israël, d’Égypte, de Tunisie et du reste du monde. SOLIDARITÉ DE CLASSE CONTRE « SOLIDARITÉ » NATIONALE.
CCI
Dans cette partie du monde, le Moyen-Orient, si souvent en première page pour cause de massacres et de barbarie militariste, de rivalités entre les différents gangsters impérialistes qui prennent en otage la population civile, et par toutes sortes de haines et de mouvements nationalistes, ethniques et religieux (que les puissances « démocratiques » occidentales fomentent et entretiennent au gré de leurs intérêts), alors que les titres de la presse bourgeoise étaient occupés ces derniers jours par les troubles dans les pays musulmans à la suite des caricatures sur Mahomet, on y a pratiquement rien écrit sur les grandes manifestations et les grèves qui ont eu lieu pendant le mois de septembre contre les effets de la crise capitaliste internationale sur les vies des prolétaires et des couches opprimées des territoires palestiniens de Cisjordanie, pourtant les plus grandes manifestations depuis des années.1
Dans une situation souvent désespérée, le prolétariat et la population exploitée des territoires palestiniens, soumis à l’occupation militaire, au blocage et au mépris total de leur vies et de leurs souffrances par l’État israélien, à d’énormes difficultés pour échapper aux influences autant nationalistes qu’islamistes, et à la tendance à se laisser embrigader par des organisations diverses à la « résistance militaire » contre Israël, autrement dit à aller à l’abattoir sacrificiel face à une énorme supériorité militaire. C’est justement la lutte contre les effets de la profonde crise économique du capitalisme international qui ouvre la possibilité de voir réapparaître des luttes prolétariennes massives au niveau mondial et au dépassement des divisions sectorielles, nationales, ethniques ou d’un autre genre au sein de la classe ouvrière, ainsi qu’au dépassement des illusions et des mystifications de toutes sortes (les illusions « démocratiques » au sein du capitalisme, de la « libération nationale », etc.).
Le déclencheur de la vague de manifestations et de grèves a été l’annonce faite par le gouvernement du Premier ministre Fayyad2 de l’augmentation des prix des produits de base (alimentation…) et de l’essence. Cela a été l’étincelle qui a fait déborder la défiance de plus en plus forte de la population de Cisjordanie vis-à-vis de l’Autorité Palestinienne. Celle-ci est regardée de plus en plus comme une tanière d’arrivistes et de corrompus, dans laquelle se protège pour ses agissements toute une caste de capitalistes palestiniens et dont Fayyad est d’ailleurs la personnification3 : elle n’a même pas un semblant de légitimité, sans cirque électoral depuis 2006 et en conflit avec le Hamas ; elle est incapable de régler le moindre problème d’une économie palestinienne aux abois et totalement dépendante des dons extérieurs4, étouffée autant par l’occupation militaire que par le contrôle exhaustif sur les importations et les exportations, sur les prix, la perception des impôts ou les ressources naturelles qu’Israël exerce (accords de Paris, le pendant économique des accords d’Oslo).
Déjà durant l’été, le malaise s’est exprimé lors de protestations diverses. Par exemple, fin juin, une manifestation à Ramallah à la suite de l’annonce d’une réunion entre le président Abbas et le vice-premier ministre israélien, Shauz Mofaz, s’est terminée en répression brutale de la part de la police palestinienne5.
Avec un chômage massif (57 % selon l’ONU, insupportable surtout chez les jeunes), et un coût de la vie qui fait que la majorité des gens ait tout juste à manger, et avec une grande partie des secteurs populaires mécontents (par exemple, on doit des salaires aux 150 000 employés publiques du gouvernement), l’annonce de l’augmentation des prix le 1er septembre a été le détonateur.
Depuis le 4 septembre des manifestations massives se succèdent jour après jour pour l’amélioration des conditions de vie partout en Cisjordanie (Hébron, Bethléem, Ramallah, Jenin, etc.). Les manifestations sont aussi dirigées contre le contrôle israélien de l’économie des territoires (accords de Paris), mais il apparaît évident que le mécontentement ne se limite pas à un sentiment anti-israélien ou nationaliste, l’axe central des manifestations ce sont les conditions de vie et de travail. À Ramallah des jeunes scandaient : « Avant nous luttions pour la Palestine, maintenant nous luttons pour un sac de farine ».6
Au début des protestations, Abbas, dans une lutte évidente au sein du pouvoir contre son rival Fayaad, a montré ses sympathies pour le « printemps palestinien ». Mais au fur et à mesure que les manifestations se développaient, où l’expression du malaise ne se limitait pas au gouvernement de Fayaad ou aux accords de Paris, mais s’étendait contre l’Autorité Palestinienne elle-même, cela a amené le Fatah, qui au début a peut-être joué un certain rôle pour canaliser et même organiser des manifestations, à tout faire pour en finir progressivement avec leur radicalisation et leur extension7.
On peut dire la même chose du Hamas, qui a sans doute tiré profit des mobilisations pour essayer de déstabiliser le gouvernement actuel de l’Autorité Palestinienne, mais face à l’ampleur de celles-là et le danger de contagion à la bande de Gaza, a évidemment reculé.
À Naplouse, une manifestante déclarait : « Nous sommes là pour dire au gouvernement que ça suffit… nous voulons un gouvernement qui vive comme son peuple vit et mange ce que son peuple mange »8. « Nous sommes fatigués d’entendre parler de reformes... un gouvernement après l’autre... un ministre après l’autre... et la corruption est toujours là » comme le dit une pancarte dans la ville de Beit Jala9.
À Jenin, les manifestants ont demandé qu’on impose un salaire minimum, la création de postes de travail pour tous les chômeurs et la réduction des droits d’inscription à l’université10. Le premier ministre Fayyad déclare qu’il est « disposé à démissionner ».
Les manifestations massives continuent, avec des barrages sur les routes et des affrontements avec la police de l’Autorité Palestinienne. Le 10 septembre une grève générale dans les transports a commencé à l’appel des syndicats. Des chauffeurs de taxi, des routiers, des chauffeurs de bus y participent massivement. Beaucoup de secteurs, comme celui des employés de garderie, rejoignent la grève. Le mouvement s’élargit. Le 11 ce sont les étudiants et les lycéens qui font un arrêt de travail de 24 heures en solidarité avec la grève générale11.
Des travailleurs de toutes les universités palestiniennes, ensemble avec les étudiants, convoquent une grève de 24 heures pour le 13 septembre12.
Face à une telle situation et à la suite d’une réunion avec les syndicats, le gouvernement annonce qu’il fait machine arrière en ce qui concerne la montée des prix annoncée, qu’il va payer la moitié des salaires dus aux fonctionnaires du mois d’août, et qu’il va faire des coupes dans les salaires et les privilèges des politiciens et des hauts fonctionnaires de l’AP.
Le 14, le syndicat de transports annule l’appel à la grève parce que des « négociations constructives » ont été entamées avec l’AP.
Aussi, les protestations massives paraissent s’être calmées du moins temporairement, mais le malaise social est loin d’avoir disparu. Les syndicats des fonctionnaires et des instituteurs annoncent des mobilisations avec des arrêts de travail partiels à partir du 17.13 Les syndicats de la santé annoncent le 18 septembre qu’ils commenceront des mouvements si leurs revendications (augmentations des effectifs, amélioration de la mobilité et la promotion des travailleurs) ne sont toujours pas entendues par le gouvernement14.
Les mouvements semblent être limités à la zone contrôlée par l’Autorité Palestinienne, la Cisjordanie.
Au-delà des éléments concrets ou particuliers de ce mouvement, il prend toute son importance à cause de la région si sensible où ils se déroulent. C’est une région aux interminables conflits impérialistes sanglants, que ce soit directement entre des États, que ce soit par pions interposés15, avec une population civile qui en subit les conséquences16 et qui est devenue le terrain propice au développement des mouvements réactionnaires d’influences nationaliste ou religieuse. Mais, surtout, il faut souligner que ces mouvements ont clairement lieu dans un contexte de luttes similaires autant dans la région qu’au niveau international. N’oublions pas les grandes mobilisations en Israël ces derniers mois contre la vie chère, qui, malgré ses faiblesses et ses illusions « démocratiques », peuvent signifier un important premier pas vers la rupture de « l’unité nationale » dans un État aussi militarisé que l’État israélien. N’oublions pas que ce furent les grandes grèves ouvrières partout en Égypte qui donnèrent l’élan décisif qui déboucha sur la chute de Moubarak, le protégé des États-Unis.
Il faut que le prolétariat et les couches opprimées de Palestine, et de partout ailleurs, comprennent que le seul espoir pour avoir des conditions de vie et de travail dignes et une existence en paix, ce qui est le vrai souhait de l’immense majorité de la population palestinienne, passe par le développement de luttes massives avec tous les exploités de la région, par-dessus les divisions nationales ou religieuses. Briser « l’unité nationale » palestinienne, unifier ses luttes, en premier lieu avec les exploités et les opprimés d’Israël, et de toute la région, voilà l’arme la plus puissante pour affaiblir et paralyser le bras assassin de l’État israélien et des autres gangsters impérialistes. La « résistance armée », c'est-à-dire la soumission à des intérêts des différents groupes nationalistes ou religieux n’amènent qu’au massacre et à la souffrance sans fin, et au renforcement des exploiteurs et autres corrompus palestiniens.
Il faut que les exploités palestiniens comme ceux du reste du monde n’aient pas à avoir le moindre doute : s’ils ne luttent pas pour leurs propres intérêts de classe contre le capitalisme, s’ils se laissent entraîner dans des luttes de « libération nationale », raciale ou d’autres du même acabit, s’ils se soumettent aux « intérêts généraux du pays », autrement dit aux intérêts généraux de la bourgeoisie et de son État, le présent et le futur qui les attend sous le système capitaliste est le même que l’ANC de Mandela réserve à ses « frères » et « compatriotes » mineurs : la misère, l’exploitation et la mort.17
Draba (23 septembre)
1 Le peu d’information qu’il y a eu était centré, évidemment, sur l’occupation israélienne et sur « l’anti-impérialisme » (autrement dit, pour eux, « l’anti-américanisme » et leurs alliés) telle l’agence cubaine Prensa latina ou la TV iranienne d’État Press TV, des média toujours si diserts pour tout ce qui concerne les mouvements nationalistes. Les forums, en Espagne en tout cas, de la gauche et d’extrême-gauche du capital (tel lahaine.org, kaosenlared.net, ou rebelion.org) n’ont pas montré non plus un grand intérêt pour ces événements. Si l’on comprend bien, la « solidarité avec le peuple palestinien » est limitée aux moments où celle-ci sert à soutenir les différents intérêts sur l’échiquier impérialiste mondial ou à faire la publicité d’une quelconque cause patriotarde. Lorsqu’on lutte contre « son » propre gouvernement et qu’on brise « l’unité nationale » pour défendre ses conditions de vie, alors cette lutte ne paraît pas mériter qu’on en parle.
2 Homme du FMI, nommé par Abbas en 2007 dans le contexte de la guerre avec le Hamas, sous la pression des États-Unis.
3 www.aljazeera.com/opinions/2012/9/13/economic-exploitation-of-palestinians-flourishes-under-occupation [13]
5 https://altahrir.wordpress.com/2012/07/01/ramallah-protesters-attacked-by-palestinian-authority-police/ [15]
11 https://www.latimes.com/archives/blogs/world-now/story/2012-09-10/palestinians-protest-in-west-bank-cities-over-economy [20]
15 Les liens entre l’Iran et la Syrie avec le Hamas son bien connus, ainsi que les liens de la Syrie d’Assad avec la Russie, son principal allié parmi les grandes puissances impérialistes, et avec l’Iran, son principal allié régional.
16 N’oublions pas que la guerre entre le Hamas et le Fatah pour le contrôle de la bande de Gaza en 2007 a fait de nombreuses victimes et des souffrances au sein de la population civile ; voilà des « dommages collatéraux » de la « libération nationale »... "Human Rights Watch Condemns Hamas, Fatah for War Crimes [24]", et https://libcom.org/article/palestinian-union-hit-all-sides [25]
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/quyatil_derriere_la_campagne_contre_les_violents_autour_des_incidents_de_barcelone.html
[2] https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/solidarite_avec_les_indignes_de_barcelone_matraques_par_la_democratie_bourgeoise.html
[3] https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html
[4] https://fr.internationalism.org/content/4833/mouvement-des-indignes-espagne-grece-et-israel-lindignation-a-preparation-des-combats
[5] https://es.internationalism.org/node/3468
[6] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne
[7] https://en.internationalism.org/content/5024/spain-how-can-workers-respond-economy-dire-straits
[8] https://libcom.org/article/coal-mines-ignite-asturias-updates?page=1
[9] https://www.leftcom.org/en/articles/2012-06-19/the-struggle-of-the-asturian-miners
[10] https://fr.internationalism.org/ri433/apres_l_escroquerie_de_la_greve_generale_du_29_mars_en_espagne_comment_pouvons_nous_impulser_une_veritable_lutte.html
[11] https://interrev.foroactivo.com/t1677-mineria-del-carbon-manifestaciones-hg-y-marchas-convocadas-por-soma-ugt-y-ccoo-aislamiento-es-derrota
[12] https://inter-rev.foroactivo.com/t1677-mineria-del-carbon-manifestaciones-hg-y-marchas-convocadas-por-soma-ugt-y-ccoo-aislamiento-es-derrota
[13] https://www.aljazeera.com/opinions/2012/9/13/economic-exploitation-of-palestinians-flourishes-under-occupation/
[14] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=521815
[15] https://altahrir.wordpress.com/2012/07/01/ramallah-protesters-attacked-by-palestinian-authority-police/
[16] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=517262
[17] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=517618
[18] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=518944
[19] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=517945
[20] https://www.latimes.com/archives/blogs/world-now/story/2012-09-10/palestinians-protest-in-west-bank-cities-over-economy
[21] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=519320
[22] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=520696
[23] http://www.maannews.net/eng/ViewDetails.aspx?ID=521159
[24] https://www.haaretz.com/2007-06-13/ty-article/human-rights-watch-condemns-hamas-fatah-for-war-crimes/0000017f-dc8f-db22-a17f-fcbf605a0000
[25] https://libcom.org/article/palestinian-union-hit-all-sides
[26] https://fr.internationalism.org/ri435/en_afrique_du_sud_la_bourgeoisie_lance_ses_policiers_et_ses_syndicats_sur_la_classe_ouvriere.html
[27] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[28] https://fr.internationalism.org/tag/5/58/palestine