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Révolution Internationale n° 421 - avril 2011

  • 1736 lectures
[1]

Lybie : une guerre humanitaire ? Non, une guerre impérialiste !

“Le Conseil de sécurité [de l’ONU],

Se déclarant vivement préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, […]

Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, […]

Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, […]

Se déclarant résolu à assurer la protection des civils, […]

Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet […] à prendre toutes mesures nécessaires, […] pour protéger les populations […]” (Résolution ONU 1973 – Libye, 17 mars 2011).

Une nouvelle fois, les hauts dirigeants de ce monde usent de belles formules humanitaires, font des discours, la voix vibrante, sur la “démocratie”, la “paix” et la “sécurité des populations”, pour mieux justifier leurs aventures impérialistes.

Ainsi, depuis le 20 mars, une “coalition internationale”  (1) mène en Libye une opération militaire d’envergure, nommée poétiquement “Aube de l’Odyssée” par les Etats-Unis. Chaque jour, des dizaines d’avions décollent des deux puissants porte-avions français et américain pour larguer des tapis de bombes sur toutes les régions abritant des forces armées fidèles au régime de Kadhafi  (2).

En langage clair, c’est la guerre !

Tous ces Etats ne font que défendre leurs propres intérêts… à coup de bombes

Evidemment, Kadhafi est un dictateur fou et sanguinaire. Après des semaines de recul face à la rébellion, l’autoproclamé “Guide libyen” a su réorganiser ses troupes d’élite pour contre-attaquer. Jour après jour, il a réussi à regagner du terrain, écrasant tout sur son passage, les “rebelles” comme la population. Et il s’apprêtait sans aucun doute à noyer dans leur propre sang les habitants de Benghazi quand l’opération Aube de l’Odyssée a été déclenchée.

Les frappes aériennes de la coalition ont mis à mal les forces de répression du régime et ont donc effectivement évité le massacre annoncé.

Mais qui peut croire un seul instant que ce déploiement de forces armées a réellement eu pour but le bien-être de la population libyenne ?

Où était cette même coalition quand Kadhafi a fait massacrer 1000 détenus dans la prison Abu Salim de Tripoli en 1996  ? En réalité, c’est depuis quarante ans que ce régime enferme, torture, terrorise, fait disparaître, exécute… en toute impunité.

Où était hier cette même coalition quand Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Bouteflika en Algérie faisaient tirer sur la foule lors des soulèvements de janvier et février  ?

Et que fait aujourd’hui cette même coalition face aux massacres qui ont lieu au Yémen, en Syrie ou à Bahreïn ? Oh pardon… ici nous ne pouvons pas dire qu’elle est tout à fait absente : un de ses membres, l’Arabie Saoudite, intervient effectivement pour soutenir l’Etat du Bahreïn… à réprimer les manifestants ! Et ses complices de fermer les yeux.

Les Sarkozy, Cameron, Obama et consorts peuvent bien se présenter fièrement comme des sauveurs, des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, la souffrance des “civils” de Benghazi n’a été pour eux qu’un alibi pour intervenir militairement sur place et défendre leurs sordides intérêts impérialistes respectifs. Tous ces gangsters ont une raison, qui n’a rien à voir avec l’altruisme, de se lancer dans cette croisade impérialiste :

Cette fois-ci, contrairement aux dernières guerres, les Etats-Unis ne sont pas le fer de lance de l’opération militaire. Pourquoi  ? En Libye, la bourgeoisie américaine est contrainte de jouer à l’équilibriste.

D’un côté, elle ne peut pas se permettre d’intervenir massivement par voie terrestre sur le sol libyen. Cela serait perçu par l’ensemble du monde arabe comme une agression et une nouvelle invasion. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont en effet encore renforcé l’aversion généralisée pour “l’impérialisme américain, allié d’Israël”. Et le changement de régime en Egypte, traditionnel allié de l’Oncle Sam, est venu affaiblir un peu plus sa position dans la région (3).

Mais de l’autre, ils ne peuvent rester en dehors du jeu sans risquer de décrédibiliser totalement leur statut de “combattant pour la démocratie dans le monde”. Et il est évidemment hors de question pour eux de laisser le terrain libre au tandem France/Grande-Bretagne.

La participation de la Grande-Bretagne a un double objectif. Elle aussi tente, auprès des pays arabes, de redorer son blason terni par ses interventions en Irak et en Afghanistan. Mais elle essaye aussi d’habituer sa propre population à des interventions militaires extérieures qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir. “Sauver le peuple libyen de Kadhafi” est l’occasion parfaite pour cela  (4).

Le cas de la France est un peu différent. Il s’agit du seul grand pays occidental à jouir d’une certaine popularité dans le monde arabe, acquise sous De Gaulle et amplifiée par son refus de participer à l’invasion de l’Irak en 2003.

En intervenant en faveur du “peuple libyen”, le président Sarkozy savait parfaitement qu’il serait accueilli les bras grands ouverts par la population et que les pays voisins verraient d’un bon œil cette intervention contre un Kadhafi beaucoup trop incontrôlable et imprévisible à leur goût. Et effectivement, à Benghazi, ont retenti des “Vive Sarkozy”, “Vive la France”  (5). Une fois n’est pas coutume, l’Etat français est parvenu ici à profiter ponctuellement de la mauvaise posture américaine.

Le président de la République française en a aussi profité pour se rattraper suite aux bourdes successives de son gouvernement en Tunisie et en Egypte (soutiens aux dictateurs finalement chassés par les révoltes sociales, accointances notoires pendant ces luttes entre ses ministres et les régimes locaux, proposition d’envoyer ses forces de police pour épauler la répression en Tunisie…).

Nous ne pouvons pas ici détailler les intérêts particuliers de chaque Etat de la coalition qui frappe aujourd’hui la Libye mais une chose est sûre, il ne s’agit en rien d’humanisme ou de philanthropie ! Et il en est exactement de même pour ceux qui, réticents, se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU ou alors du bout des doigts :

La Chine, la Russie et le Brésil sont très hostiles à cette intervention tout simplement parce qu’ils n’ont rien à gagner au départ de Kadhafi.

L’Italie, elle, a même tout à perdre. Le régime actuel assurait, jusqu’à maintenant, un accès facile au pétrole et un contrôle draconien des frontières. La déstabilisation du pays peut remettre tout cela en cause.

L’Allemagne d’Angela Merkel est encore aujourd’hui un nain militaire. Toutes ses forces sont engagées en Afghanistan. Participer à ces opérations aurait révélé un peu plus au grand jour cette faiblesse. Comme l’écrit le journal espagnol El País, “Nous assistons à une réédition du rééquilibrage constant de la relation entre le gigantisme économique allemand, qui s’est manifesté pendant la crise de l’euro, et la capacité politique française, qui s’exerce aussi à travers la puissance militaire” (6).

Finalement, la Libye, comme l’ensemble du Moyen-Orient, ressemble aujourd’hui à un immense échiquier où les grandes puissances tentent d’avancer leurs pions.

Pourquoi les grandes puissances interviennent-elles maintenant ?

Cela fait des semaines que les troupes de Kadhafi avancent vers Benghazi, le fief des rebelles, massacrant tout ce qui bouge sur leur passage. Pourquoi les pays de la coalition, s’ils avaient de tels intérêts à intervenir militairement dans la région, ont-ils tant attendu ?

Dans les premiers jours, le vent de révolte qui a soufflé en Libye venait de Tunisie et d’Egypte. La même colère contre l’oppression et la misère embrasait toutes les couches de la société. Il était donc hors de question pour les “Grandes démocraties de ce monde” de soutenir réellement ce mouvement social, malgré leurs beaux discours condamnant la répression. Leur diplomatie refusait hypocritement toute ingérence et vantait le “droit des peuples à faire leur propre histoire”. L’expérience enseigne qu’à chaque lutte sociale, il en est ainsi : la bourgeoisie de tous les pays ferme les yeux sur les plus horribles répressions, quand elle ne leur prête pas directement main forte !

Mais en Libye, ce qui semblait avoir commencé comme une véritable révolte de “ceux d’en bas”, avec des civils sans armes, partant courageusement à l’assaut des casernes des militaires et incendiant les QG des prétendus ‘Comités du Peuple’, s’est rapidement transformé en une sanglante ‘guerre civile’ entre fractions de la bourgeoisie. Autrement dit, le mouvement a échappé des mains des couches non-exploiteuses. La preuve en est que l’un des chefs de la rébellion et du CNT (Conseil National de Transition) est Al Jeleil, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi ! Cet homme a évidemment autant les mains couvertes de sang que son ancien “Guide” devenu son rival. Autre indice, alors que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, ce gouvernement provisoire s’est donné pour drapeau les couleurs de l’ancien royaume de Libye. Et enfin, Sarkozy a reconnu les membres du CNT comme les “représentants légitimes du peuple Libyen”.

La révolte en Libye a donc pris une tournure diamétralement opposée à celle de ses grandes sœurs tunisienne et égyptienne. Ceci est principalement dû à la faiblesse de la classe ouvrière de ce pays. La principale industrie, le pétrole, embauche presque exclusivement des travailleurs venus d’Europe, du reste du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique. Ceux-là, dès le début, n’ont pas pris part au mouvement de contestation sociale. Résultat, c’est la petite-bourgeoisie locale qui a donné sa coloration à la lutte, d’où la mise en avant du drapeau national par exemple. Pire ! Les travailleurs “étrangers”, ne pouvant alors se reconnaître dans ces combats, ont fui. Il y a même eu des persécutions de travailleurs noirs entre les mains des forces “rebelles”, car il y avait de nombreuses rumeurs selon lesquelles certains mercenaires d’Afrique noire avaient été recrutés par le régime pour écraser les manifestations, ce qui jetait la suspicion sur tous les immigrants venant de là.

Luttes ouvrières versus guerres impérialistes

Ce retournement de situation en Libye a des conséquences dépassant largement ses frontières. La répression de Kadhafi d’abord et l’intervention de la coalition internationale ensuite, constituent un coup de frein à tous les mouvements sociaux de la région. Cela permet même aux autres régimes dictatoriaux contestés de se livrer sans retenue à une répression sanglante : c’est le cas à Bahreïn où l’armée saoudienne a prêté main forte au régime en place pour réprimer violemment les manifestations  (7) ; au Yémen où le 18 mars les forces gouvernementales n’ont pas hésité à tirer sur la foule, faisant 51 morts supplémentaires ; et plus récemment en Syrie.

Cela dit, il n’est pas du tout sûr qu’il s’agisse là d’un coup fatal. La situation libyenne pèse, tel un boulet attaché aux pieds du prolétariat mondial, mais la colère est si profonde face au développement de la misère qu’elle ne la paralyse pas totalement. Au moment où nous écrivons ces lignes, il faut s’attendre à des manifestations à Riyad, alors même que le régime saoudien a déjà décrété que toutes les manifestations sont contraires à la charia. En Egypte et en Tunisie, où la “révolution” est censée avoir déjà triomphé, il y a des affrontements permanents entre les manifestants et l’Etat, maintenant “démocratique”, qui est administré par des forces qui sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené la danse avant le départ des “dictateurs”. De même, des manifestations perdurent au Maroc, malgré l’annonce par le roi Mohammed VI de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.

Quoi qu’il en soit, pour toutes ces populations prises sous le joug de terribles répressions, et parfois sous les bombes démocratiques des différentes coalitions internationales, le ciel ne s’éclaircira vraiment que lorsque le prolétariat des pays centraux, en particulier d’Europe occidentale, développera à son tour des luttes massives et déterminées. Alors, armé de son expérience, rompu notamment aux pièges du syndicalisme et de la démocratie bourgeoise, il pourra montrer ses capacités à s’auto-organiser et ouvrir la voie d’une véritable perspective révolutionnaire, seul avenir pour toute l’humanité.

Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !

Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internationalisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde !

Pawel (25 mars)

 

1)  Royaume-Uni, France, Etats-Unis en particulier, mais aussi Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Emirats Arabe Unis et Qatar.

2)  A en croire les médias occidentaux, seuls les hommes de main de Kadhafi meurent sous ces bombes. Mais souvenons-nous qu’au moment de la Guerre du Golfe, ces mêmes médias avaient aussi fait croire à une “guerre propre”. En réalité, en 1991, au nom de la protection du “petit Koweït” envahi par l’armée du “boucher” Saddam Hussein, la guerre avait fait plusieurs centaines de milliers de victimes.

3) Même si la bourgeoisie américaine a réussi à limiter les dégâts en soutenant l’armée pour remplacer le régime honni par la population.

4) Il faut se souvenir ici qu’en 2007, à Tripoli, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair embrassait chaleureusement le colonel Kadhafi, en le remerciant de la signature d’un contrat avec BP. Les dénonciations actuelles du “dictateur fou” ne sont que purs cynisme et hypocrisie !

5) Rappelons que la bourgeoisie française ne fait là, elle aussi, que retourner une nouvelle fois sa veste, elle qui a reçu en grande pompe Kadhafi en 2007. Les images de sa tente plantée au beau milieu de Paris ont d’ailleurs fait le tour du monde et ridiculisé encore un peu plus Sarkozy et sa clique. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau film qui nous est joué : “OTAN en emporte l’auvent”.

6) https://www.elpais.com/articulo/internacional/guerra/europea/elpepuint/2... [2]

7) Ici aussi d’ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière favorise ces répressions. Le mouvement y est en effet dominé par la majorité chiite, soutenue par l’Iran.

Libye : une guerre humanitaire ? Non, une guerre impérialiste !

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“Le Conseil de sécurité [de l’ONU],

Se déclarant vivement préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de la violence et les lourdes pertes civiles, […]

Condamnant la violation flagrante et systématique des droits de l’homme, y compris les détentions arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions sommaires, […]

Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité, […]

Se déclarant résolu à assurer la protection des civils, […]

Autorise les États Membres qui ont adressé au Secrétaire général une notification à cet effet […] à prendre toutes mesures nécessaires, […] pour protéger les populations […]” (Résolution ONU 1973 – Libye, 17 mars 2011).

Une nouvelle fois, les hauts dirigeants de ce monde usent de belles formules humanitaires, font des discours, la voix vibrante, sur la “démocratie”, la “paix” et la “sécurité des populations”, pour mieux justifier leurs aventures impérialistes.

Ainsi, depuis le 20 mars, une “coalition internationale”  (1) mène en Libye une opération militaire d’envergure, nommée poétiquement “Aube de l’Odyssée” par les Etats-Unis. Chaque jour, des dizaines d’avions décollent des deux puissants porte-avions français et américain pour larguer des tapis de bombes sur toutes les régions abritant des forces armées fidèles au régime de Kadhafi  (2).

En langage clair, c’est la guerre !

Tous ces Etats ne font que défendre leurs propres intérêts… à coup de bombes

Evidemment, Kadhafi est un dictateur fou et sanguinaire. Après des semaines de recul face à la rébellion, l’autoproclamé “Guide libyen” a su réorganiser ses troupes d’élite pour contre-attaquer. Jour après jour, il a réussi à regagner du terrain, écrasant tout sur son passage, les “rebelles” comme la population. Et il s’apprêtait sans aucun doute à noyer dans leur propre sang les habitants de Benghazi quand l’opération Aube de l’Odyssée a été déclenchée.

Les frappes aériennes de la coalition ont mis à mal les forces de répression du régime et ont donc effectivement évité le massacre annoncé.

Mais qui peut croire un seul instant que ce déploiement de forces armées a réellement eu pour but le bien-être de la population libyenne ?

Où était cette même coalition quand Kadhafi a fait massacrer 1000 détenus dans la prison Abu Salim de Tripoli en 1996  ? En réalité, c’est depuis quarante ans que ce régime enferme, torture, terrorise, fait disparaître, exécute… en toute impunité.

Où était hier cette même coalition quand Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte ou Bouteflika en Algérie faisaient tirer sur la foule lors des soulèvements de janvier et février  ?

Et que fait aujourd’hui cette même coalition face aux massacres qui ont lieu au Yémen, en Syrie ou à Bahreïn ? Oh pardon… ici nous ne pouvons pas dire qu’elle est tout à fait absente : un de ses membres, l’Arabie Saoudite, intervient effectivement pour soutenir l’Etat du Bahreïn… à réprimer les manifestants ! Et ses complices de fermer les yeux.

Les Sarkozy, Cameron, Obama et consorts peuvent bien se présenter fièrement comme des sauveurs, des défenseurs de la veuve et de l’orphelin, la souffrance des “civils” de Benghazi n’a été pour eux qu’un alibi pour intervenir militairement sur place et défendre leurs sordides intérêts impérialistes respectifs. Tous ces gangsters ont une raison, qui n’a rien à voir avec l’altruisme, de se lancer dans cette croisade impérialiste :

Cette fois-ci, contrairement aux dernières guerres, les Etats-Unis ne sont pas le fer de lance de l’opération militaire. Pourquoi  ? En Libye, la bourgeoisie américaine est contrainte de jouer à l’équilibriste.

D’un côté, elle ne peut pas se permettre d’intervenir massivement par voie terrestre sur le sol libyen. Cela serait perçu par l’ensemble du monde arabe comme une agression et une nouvelle invasion. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont en effet encore renforcé l’aversion généralisée pour “l’impérialisme américain, allié d’Israël”. Et le changement de régime en Egypte, traditionnel allié de l’Oncle Sam, est venu affaiblir un peu plus sa position dans la région (3).

Mais de l’autre, ils ne peuvent rester en dehors du jeu sans risquer de décrédibiliser totalement leur statut de “combattant pour la démocratie dans le monde”. Et il est évidemment hors de question pour eux de laisser le terrain libre au tandem France/Grande-Bretagne.

La participation de la Grande-Bretagne a un double objectif. Elle aussi tente, auprès des pays arabes, de redorer son blason terni par ses interventions en Irak et en Afghanistan. Mais elle essaye aussi d’habituer sa propre population à des interventions militaires extérieures qui ne manqueront pas de se multiplier à l’avenir. “Sauver le peuple libyen de Kadhafi” est l’occasion parfaite pour cela  (4).

Le cas de la France est un peu différent. Il s’agit du seul grand pays occidental à jouir d’une certaine popularité dans le monde arabe, acquise sous De Gaulle et amplifiée par son refus de participer à l’invasion de l’Irak en 2003.

En intervenant en faveur du “peuple libyen”, le président Sarkozy savait parfaitement qu’il serait accueilli les bras grands ouverts par la population et que les pays voisins verraient d’un bon œil cette intervention contre un Kadhafi beaucoup trop incontrôlable et imprévisible à leur goût. Et effectivement, à Benghazi, ont retenti des “Vive Sarkozy”, “Vive la France”  (5). Une fois n’est pas coutume, l’Etat français est parvenu ici à profiter ponctuellement de la mauvaise posture américaine.

Le président de la République française en a aussi profité pour se rattraper suite aux bourdes successives de son gouvernement en Tunisie et en Egypte (soutiens aux dictateurs finalement chassés par les révoltes sociales, accointances notoires pendant ces luttes entre ses ministres et les régimes locaux, proposition d’envoyer ses forces de police pour épauler la répression en Tunisie…).

Nous ne pouvons pas ici détailler les intérêts particuliers de chaque Etat de la coalition qui frappe aujourd’hui la Libye mais une chose est sûre, il ne s’agit en rien d’humanisme ou de philanthropie ! Et il en est exactement de même pour ceux qui, réticents, se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU ou alors du bout des doigts :

La Chine, la Russie et le Brésil sont très hostiles à cette intervention tout simplement parce qu’ils n’ont rien à gagner au départ de Kadhafi.

L’Italie, elle, a même tout à perdre. Le régime actuel assurait, jusqu’à maintenant, un accès facile au pétrole et un contrôle draconien des frontières. La déstabilisation du pays peut remettre tout cela en cause.

L’Allemagne d’Angela Merkel est encore aujourd’hui un nain militaire. Toutes ses forces sont engagées en Afghanistan. Participer à ces opérations aurait révélé un peu plus au grand jour cette faiblesse. Comme l’écrit le journal espagnol El País, “Nous assistons à une réédition du rééquilibrage constant de la relation entre le gigantisme économique allemand, qui s’est manifesté pendant la crise de l’euro, et la capacité politique française, qui s’exerce aussi à travers la puissance militaire” (6).

Finalement, la Libye, comme l’ensemble du Moyen-Orient, ressemble aujourd’hui à un immense échiquier où les grandes puissances tentent d’avancer leurs pions.

Pourquoi les grandes puissances interviennent-elles maintenant ?

Cela fait des semaines que les troupes de Kadhafi avancent vers Benghazi, le fief des rebelles, massacrant tout ce qui bouge sur leur passage. Pourquoi les pays de la coalition, s’ils avaient de tels intérêts à intervenir militairement dans la région, ont-ils tant attendu ?

Dans les premiers jours, le vent de révolte qui a soufflé en Libye venait de Tunisie et d’Egypte. La même colère contre l’oppression et la misère embrasait toutes les couches de la société. Il était donc hors de question pour les “Grandes démocraties de ce monde” de soutenir réellement ce mouvement social, malgré leurs beaux discours condamnant la répression. Leur diplomatie refusait hypocritement toute ingérence et vantait le “droit des peuples à faire leur propre histoire”. L’expérience enseigne qu’à chaque lutte sociale, il en est ainsi : la bourgeoisie de tous les pays ferme les yeux sur les plus horribles répressions, quand elle ne leur prête pas directement main forte !

Mais en Libye, ce qui semblait avoir commencé comme une véritable révolte de “ceux d’en bas”, avec des civils sans armes, partant courageusement à l’assaut des casernes des militaires et incendiant les QG des prétendus ‘Comités du Peuple’, s’est rapidement transformé en une sanglante ‘guerre civile’ entre fractions de la bourgeoisie. Autrement dit, le mouvement a échappé des mains des couches non-exploiteuses. La preuve en est que l’un des chefs de la rébellion et du CNT (Conseil National de Transition) est Al Jeleil, l’ancien ministre de la Justice de Kadhafi ! Cet homme a évidemment autant les mains couvertes de sang que son ancien “Guide” devenu son rival. Autre indice, alors que “les prolétaires n’ont pas de patrie”, ce gouvernement provisoire s’est donné pour drapeau les couleurs de l’ancien royaume de Libye. Et enfin, Sarkozy a reconnu les membres du CNT comme les “représentants légitimes du peuple Libyen”.

La révolte en Libye a donc pris une tournure diamétralement opposée à celle de ses grandes sœurs tunisienne et égyptienne. Ceci est principalement dû à la faiblesse de la classe ouvrière de ce pays. La principale industrie, le pétrole, embauche presque exclusivement des travailleurs venus d’Europe, du reste du Moyen-Orient, d’Asie et d’Afrique. Ceux-là, dès le début, n’ont pas pris part au mouvement de contestation sociale. Résultat, c’est la petite-bourgeoisie locale qui a donné sa coloration à la lutte, d’où la mise en avant du drapeau national par exemple. Pire ! Les travailleurs “étrangers”, ne pouvant alors se reconnaître dans ces combats, ont fui. Il y a même eu des persécutions de travailleurs noirs entre les mains des forces “rebelles”, car il y avait de nombreuses rumeurs selon lesquelles certains mercenaires d’Afrique noire avaient été recrutés par le régime pour écraser les manifestations, ce qui jetait la suspicion sur tous les immigrants venant de là.

Luttes ouvrières versus guerres impérialistes

Ce retournement de situation en Libye a des conséquences dépassant largement ses frontières. La répression de Kadhafi d’abord et l’intervention de la coalition internationale ensuite, constituent un coup de frein à tous les mouvements sociaux de la région. Cela permet même aux autres régimes dictatoriaux contestés de se livrer sans retenue à une répression sanglante : c’est le cas à Bahreïn où l’armée saoudienne a prêté main forte au régime en place pour réprimer violemment les manifestations  (7) ; au Yémen où le 18 mars les forces gouvernementales n’ont pas hésité à tirer sur la foule, faisant 51 morts supplémentaires ; et plus récemment en Syrie.

Cela dit, il n’est pas du tout sûr qu’il s’agisse là d’un coup fatal. La situation libyenne pèse, tel un boulet attaché aux pieds du prolétariat mondial, mais la colère est si profonde face au développement de la misère qu’elle ne la paralyse pas totalement. Au moment où nous écrivons ces lignes, il faut s’attendre à des manifestations à Riyad, alors même que le régime saoudien a déjà décrété que toutes les manifestations sont contraires à la charia. En Egypte et en Tunisie, où la “révolution” est censée avoir déjà triomphé, il y a des affrontements permanents entre les manifestants et l’Etat, maintenant “démocratique”, qui est administré par des forces qui sont plus ou moins les mêmes que celles qui ont mené la danse avant le départ des “dictateurs”. De même, des manifestations perdurent au Maroc, malgré l’annonce par le roi Mohammed VI de l’avènement d’une monarchie constitutionnelle.

Quoi qu’il en soit, pour toutes ces populations prises sous le joug de terribles répressions, et parfois sous les bombes démocratiques des différentes coalitions internationales, le ciel ne s’éclaircira vraiment que lorsque le prolétariat des pays centraux, en particulier d’Europe occidentale, développera à son tour des luttes massives et déterminées. Alors, armé de son expérience, rompu notamment aux pièges du syndicalisme et de la démocratie bourgeoise, il pourra montrer ses capacités à s’auto-organiser et ouvrir la voie d’une véritable perspective révolutionnaire, seul avenir pour toute l’humanité.

Etre solidaire de tous ceux qui tombent aujourd’hui sous les balles, ce n’est pas soutenir le régime de Kadhafi, ni les “rebelles”, ni la coalition onusienne ! Il faut au contraire dénoncer tous ceux-là comme des chiens impérialistes !

Etre solidaire, c’est choisir le camp de l’internationalisme prolétarien, lutter contre nos propres exploiteurs et massacreurs dans tous les pays, participer au développement des luttes ouvrières et de la conscience de classe partout dans le monde !

Pawel (25 mars)

 

1)  Royaume-Uni, France, Etats-Unis en particulier, mais aussi Italie, Espagne, Belgique, Danemark, Grèce, Norvège, Pays-Bas, Emirats Arabe Unis et Qatar.

2)  A en croire les médias occidentaux, seuls les hommes de main de Kadhafi meurent sous ces bombes. Mais souvenons-nous qu’au moment de la Guerre du Golfe, ces mêmes médias avaient aussi fait croire à une “guerre propre”. En réalité, en 1991, au nom de la protection du “petit Koweït” envahi par l’armée du “boucher” Saddam Hussein, la guerre avait fait plusieurs centaines de milliers de victimes.

3) Même si la bourgeoisie américaine a réussi à limiter les dégâts en soutenant l’armée pour remplacer le régime honni par la population.

4) Il faut se souvenir ici qu’en 2007, à Tripoli, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair embrassait chaleureusement le colonel Kadhafi, en le remerciant de la signature d’un contrat avec BP. Les dénonciations actuelles du “dictateur fou” ne sont que purs cynisme et hypocrisie !

5) Rappelons que la bourgeoisie française ne fait là, elle aussi, que retourner une nouvelle fois sa veste, elle qui a reçu en grande pompe Kadhafi en 2007. Les images de sa tente plantée au beau milieu de Paris ont d’ailleurs fait le tour du monde et ridiculisé encore un peu plus Sarkozy et sa clique. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau film qui nous est joué : “OTAN en emporte l’auvent”.

6) https://www.elpais.com/articulo/internacional/guerra/europea/elpepuint/2... [2]

7) Ici aussi d’ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière favorise ces répressions. Le mouvement y est en effet dominé par la majorité chiite, soutenue par l’Iran.

Se regrouper pour développer la lutte ouvrière (rencontre à Alicante)

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Nos camarades du Réseau de Rencontre et de Solidarité (Red de Encuentro y Solidaridad) d’Alicante et le collectif L'Escletxa ont organisé une rencontré pour débattre et contribuer à la lutte ouvrière les 11 et 12 février derniers. On devait y aborder des expériences de lutte en France et à Barcelone. La volonté affichée de cette réunion était : "Se regrouper pour développer la lutte ouvrière".

Nous publions ci-dessous l'Appel à cette rencontre car il témoigne de cet effort de notre classe à créer des lieux de débats révolutionnaires et est une preuve vivante du besoin des exploités à tisser entre eux des liens forts de solidarité dans la lutte.

 L'Appel du Réseau de Rencontre et de Solidarité

NOUS RETROUVER POUR PARTAGER des expériences d’unité, d’auto-organisation, de solidarité.

PARTAGER CES EXPERIENCES POUR CONTINUER LA LUTTE

Il y a peu de temps, nous commencions un de nos tracts ainsi : « Nous cherchons des travailleurs (des personnes) pour exprimer nos véritables besoins ». Nous poursuivons cette recherche, parce que nous savons que nous ne sommes pas seuls. Nous savons de l’existence d’un mouvement (chétif et diffus encore de nos jours) qui se produit et qui grandit partout dans le monde et qui est déjà apparu avec force à d’autres moments de l’histoire. Nous pouvons le nommer de différentes manières différentes : internationalisme prolétarien, autonomie ouvrière, ou encore, mouvement auto-organisé des travailleurs. C’est dans ces mouvements que s’est concrétisé et se concrétise toujours le meilleur de ce que le genre humain peut donner :

• L’unité : se ressembler fraternellement pour mettre en commun nos besoins et pouvoir leur donner une issue, en comprenant que les besoins des autres correspondent aux nôtres, sans établir des frontières artificielles : de races, de nations, de secteur...

• En nous organisant par nous mêmes sans besoin d’intermédiaires, dans de véritables ASSEMBLÉES, qui concrétisent au mieux ce que nous ressentons à travers nos luttes pour une vie meilleure.

• Sur la solidarité et la coopération, en comprenant bien que, sans elles, nous ne serions que des êtres acculés à la solitude et à l’incapacité de nous défendre.

Dans l'état actuel des choses, il n’est pas facile de se comprendre en tant que collectif, alors qu'on essaye en permanence de nous isoler pour pouvoir ainsi nous frapper plus fort avec la crise, le chômage, les expulsions, les salaires non payés, et qu'il ne nous reste que les plaintes des « on-n’arrive-plus-à joindre-les deux-bouts- à-la-fin-du-mois », des « quel-va-être-le-futur-de-nos-enfants »...

C’est terriblement simple à comprendre quand on se trouve concrètement dans de telles situations, celles que nous touchons du doigt avec notre corps, avec nos sentiments, et aussi avec nos « mains pensantes ». Par hasard, n’avez-vous jamais passé du temps à ruminer, avec votre compte bancaire à la main, en essayant de faire durer le plus longtemps possible les quelques euros que vous avez en poche, jusqu’à une nouvelle acrobatie de prêt ou de report de payement ? Ne vous est-il jamais arrivé de sentir votre coeur se serrer en entendant la mère ou le grand-père reconnaître qu’ils sont en train de vivre dans la gêne parce qu’il faut répartir la pension entre le chômeur de la famille et l’endetté jusqu’au cou ?...

Encore une fois, nous vous appelons, nous nous appelons, tous, les travailleurs, les chômeurs, les expulsés, les étudiants qui connaissent bien leur non-futur, les retraités aux pensions encore une fois laminées, les ménagères qui doivent surtout se ménager sans salaire,... aux PROLETAIRES, à tous ceux auxquels ce système n’offre d’autre issue que l’angoisse, la pauvreté cachée ou ouverte, la crainte de ne pas savoir ce qui va se passer le lendemain, le fait d’être toujours les spectateurs impuissants de ce que d’autres veulent faire avec notre propre survie.

Parce que, malgré tout, la VIE est toujours là et il y en a qui luttent pour elle, pour celle de tous, en partant des besoins immédiats, en rejoignant les siens, tous ceux qui partagent ces mêmes besoins devenus pénuries, en nous efforçant de construire un mouvement qui puisse tout changer. Ce sont de petites expériences, éparpillées de par le monde entier, quelques unes pratiquement inconnues, mais ce sont NOS expériences et nous savons que le fait de les mettre en commun nous rendra plus forts.

Red de Encuentro y Solidaridad de Trabajadores (Alicante)

[email protected] [3]

Ateneo Libertario "La Escletxa" [Athénée Libertaire]

escletxa.org

Dans cette rencontre participent à partir de leurs expériences, des camarades :

- des Comités de quartier de l’Assemblée de Barcelone. C’est une expérience « assembléiste1 »   qui a fait du bruit dans les médias à cause de l’occupation de l’ancienne Banque de crédit et des incidents provoqués par la police pendant l’évacuation (c’était le jour de la dernière grève générale). Cette assemblée mène, cependant, un travail profond d’auto-organisation et de lutte au-delà du spectaculaire que les journalistes aiment présenter.

- Les Assemblées de travailleurs de Toulouse qui sont le reflet de la volonté de mener une lutte auto-organisée de la part des travailleurs en France aujourd'hui. Ces assemblées essayent de faire front aux attaques contre les conditions de vie des travailleurs, ainsi qu’à la démobilisation et la manipulation syndicales.

- Le Groupe Rupture, de Madrid. Ce sont des camarades avec une longue trajectoire, qui animent la lutte auto-organisée des travailleurs, et y participent en alimentant le débat dans leur publication.

- L'Assemblée des travailleurs de Valence qui se présente comme un espace de rencontre, de débat et d’intervention par la classe ouvrière et pour la classe ouvrière.

- Le Réseau de rencontre et de solidarité de travailleurs d’Alicante. C’est une initiative partie de la Plateforme des travailleurs des Services sociaux de la Santé, à partir de la lutte let de ses assemblées générales, tout en évoluant et ebn s’appuyant sur la certitude du fait qu’il n’y a que l’unité et l’extension des luttes qui puissent nous ouvrir une perspective.

Ce qui nous rassemble tous, ce sont les efforts d’auto-organisation et d’unité, le principe de la solidarité entre nous et la pratique des assemblées générales interprofessionnelles et ouvertes.

Nous espérons et souhaitons que d’autres personnes, groupes ou assemblées, auxquels cet appel peut parvenir par quelque moyen que ce soit, nous rejoignent et participent à notre rencontre.

Avec cette invitation, considérez votre présence comme indispensable.

Nous vous attendons.

 

1 Qu’on nous permette ce néologisme en français pour traduire « asambleísta », c'est-à-dire qui lutte pour des assemblées ouvrières souveraines.

Vie du CCI: 

  • Correspondance avec d'autres groupes [4]

Géographique: 

  • Espagne [5]

Les employés de la fonction publique du Wisconsin : la défense des syndicats conduit à la défaite

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Plus de 200 000 travailleurs du secteur public et étudiants sont descendus dans la rue et ont occupé le Wisconsin State Capitol pour protester contre des modifications proposées à des conventions collectives, à la suite d'accords négociés entre le gouvernement de l'Etat et les syndicats de la fonction publique. Scott Walker, le néophyte gouverneur Républicain de l'Etat, soutenu par le Tea Party, avait proposé un projet de loi supprimant les droits de négociation collective pour la majorité des 175.000 employés du secteur public de l'Etat, leur interdisant de négocier les cotisations de retraite et de santé, ne leur laissant que le droit de négocier sur les salaires. En outre, conformément à la législation, les syndicats de la fonction publique auraient dû se soumettre aux votes d'authentification annuelle afin de maintenir leur droit de représenter les travailleurs pour les négociations à venir. Les pompiers, qui n'étaient pas affectés par les modifications proposées (parce que leur syndicat a appuyé Walker à l'élection de Novembre) ont montré leur solidarité avec ceux qui ont été attaqués en rejoignant les manifestations, que beaucoup disent s'être inspirées de la vague d'agitation qui balaie l'Egypte et le Moyen-Orient. De nombreux manifestants du Wisconsin arboraient fièrement des pancartes donnant au gouverneur le sinistre surnom de 'Scott Moubarak Walker', tandis que d'autres chantaient: «Si l'Egypte peut avoir une démocratie, pourquoi pas le Wisconsin? » Des manifestants en Egypte ont même montré leur solidarité avec les travailleurs du Wisconsin !

Pendant ce temps, bien que le Département d'Etat américain ait demandé à plusieurs reprises, ces dernières semaines, aux dirigeants arabes de faire preuve de retenue contre les manifestants, le gouverneur Walker a menacé de faire appel à la Garde Nationale pour réprimer si nécessaire! Certains groupes d'anciens combattants ont répondu que le travail de la Garde est d'intervenir face aux catastrophes et non de se mettre au service de l'équipe de voyous du gouverneur. La situation politique dans le Wisconsin est dite fragile, comme une menace de crise constitutionnelle. L'ensemble des 14 sénateurs d'Etat Démocrates ont déserté l'Etat, empêchant ainsi que l'Etat Républicain ait le quorum nécessaire pour passer le projet de loi du gouverneur. On dit que si on les trouve dans l'Etat, la patrouille de l'Etat les arrêtera et les ramènera au Capitole ! D'autre part, le syndicat et les dirigeants démocrates parlent ouvertement de révoquer le gouverneur et les sénateurs qui soutiennent son projet de loi. A chaque crise, la politique américaine ne cesse de ressembler de plus en plus à une bande dessinée!

La crise dans le Wisconsin a été évoquée par les médias nationaux, comme le premier véritable affrontement d'un dirigeant Républicain, soutenu par le Tea Party, qui utilise son nouveau pouvoir politique pour ordonner un programme idéologique de destruction des syndicats des employés du secteur public, que de nombreux membres du Tea Party et du Parti Républicain blâment pour la quasi faillite des gouvernements d'Etat à travers le pays. Ces républicains affirment qu'il est nécessaire d'adopter des mesures d'austérité pour équilibrer le budget de l'Etat paralysé par un énorme déficit de 137 millions de dollars. D'un autre côté, les Démocrates et leurs amis dans les syndicats font un tollé par rapport au gouverneur Républicain et à ses alliés nationaux Le Tea Party fait un bon usage politique d'un véritable dilemme financier pour alimenter son idéologie anti-syndicale. Qui a raison?
Il est vrai que, tout comme en Europe, les Etats américains sont en effet confrontés à l'insolvabilité. Alors qu'au niveau national, le gouvernement fédéral peut encore se donner une certaine souplesse (en imprimant plus de dollars), les Etats n'ont pas ce privilège et sont donc confrontés à un besoin urgent de faire adopter des mesures draconiennes d'austérité, si elles permettent d'équilibrer leurs budgets qui demeureraient financièrement viables sur les marchés obligataires. A ce niveau, le projet de loi du gouverneur Walker semble répondre à un besoin vital de la bourgeoisie de réduire les coûts de la force de travail dans l'Etat et gagner un avantage durable dans les négociations futures, en limitant la portée des futurs contrats. Cela semblerait être la mise en place d'un modèle à suivre dans d'autres Etats, dans leur lutte pour venir à bout de leur terrible situation fiscale.
Toutefois, à un niveau plus global, la bourgeoisie est aussi bien consciente du risque politique et social à lancer de lourdes attaques contre des travailleurs déjà martelés par un chômage élevé, le gel des salaires, la mise en congé et l'effondrement du marché immobilier. D'où la stratégie qui a fait ses preuves aux USA qui consiste à lancer des attaques au niveau local ou à celui des Etats, plutôt que de lancer un assaut frontal, direct et immédiat sur les programmes du droit fédéral. Pourtant, il existe le risque que la loi du gouverneur Walker aille trop loin en déstabilisant les syndicats qui agissent comme des unités de police pour contrôler la colère des travailleurs, ainsi que le Parti Démocrate lui-même, qui s'appuie sur les syndicats pour le financement d'une grande partie de sa campagne. La politique du gouverneur Walker risquerait non seulement d'émasculer les syndicats lorsque la bourgeoisie en aura le plus besoin, mais elle pourrait aussi menacer de perturber le système à deux partis dans un 'Etat bascule' vital que le président Obama a gagné en 2008.
L'année dernière, des manifestations en Californie contre les coupes budgétaires dans l'éducation et récemment, la semaine dernière, les ouvriers dans l'Ohio ont protesté contre un projet de loi qui limiterait la négociation collective pour les travailleurs de l'Etat, tout comme l'avaient fait les enseignants à Indianapolis. Lorsque le besoin de nouvelles attaques se fait sentir, la bourgeoisie a besoin d'un appareil syndical en ordre de bataille pour contenir la combativité des travailleurs et s'assurer que la lutte restera sur le terrain de la négociation sur les salaires et les allocations plutôt que de menacer l'Etat lui-même.
L'état dramatique des finances du Wisconsin n'est pas chose rare. Il doit faire face cette année à un déficit de 137 millions de dollars, et pour les deux prochaines années, ce sera la modique somme de 3,6 milliards. L'aspect le plus drastique des coupes budgétaires du gouverneur Walker c'est l'exigence que la plupart des employés d'Etat et de localités contribuent pour moitié du coût de leurs cotisations de retraite et au moins pour 12,6 pour cent de leurs primes d'assurance maladie. Cependant, tout ceci ne doit permettre à l'Etat d'enregistrer que 30 millions de dollars d'ici le mois de Juin, ce qui représente seulement 10% du déficit. Le reste du projet de loi propose d'économiser 165 millions de dollars cette année par simple refinancement de la dette de l'Etat. Ainsi, les économies les plus importantes n'ont rien à voir avec les employés du secteur public. Ceci est bien sûr réconfortant pour les travailleurs face à une augmentation écrasante des cotisations de retraite et des coûts des soins de santé. Selon une estimation, le projet équivaut à une réduction de 10% pour la moyenne des enseignants de la ville de Madison.
Etant donné que la négociation des contrats dure en moyenne 15 mois, le gouverneur a refusé de rencontrer les syndicats, a appelé à des mesures drastiques, menaçant de licenciement 1.500 travailleurs de l'Etat, si son plan n'est pas accepté. Il semble bien rester fidèle à sa réputation de partenaire agressif. Mais est-ce juste un autre cas où un Républicain tente de se placer à l'aile droite de son parti en démantelant les syndicats? Walker lui-même est très clair: «Pour nous, c'est simple. Nous sommes fauchés. Il ne s'agit pas des syndicats. Il s'agit d'équilibrer le budget. »(NY Times) Du côté syndical, David Ahrens, du UW-Madison's Carbone Cancer Center, conteste le caractère d'urgence de la situation en disant:« Ce serait plus crédible si, pour commencer, il avait seulement pris la peine de rencontrer les syndicats. »(Wisconsin State Journal)
Le président Obama a également mis son poids en faveur des syndicats avec le remboursement des 200 millions de dollars qu'ils avaient dépensés pour sa campagne électorale en Novembre et en appelant les propositions de M. Walker « une attaque contre les syndicats. » Toutefois, le Président de la Chambre, le Républicain John Boehner, de l'Ohio, a félicité M. . Walker pour « s'être attaqué aux problèmes qui se posent, qui ont été négligés pendant des années au détriment de l'emploi et de la croissance économique. » Comme on pouvait s'y attendre, la gauche est venue défendre les syndicats, comme étant la meilleure protection des travailleurs dans les moments difficiles, alors que la droite les décrit comme des anachronismes historiques qui entravent la croissance économique et tuent les emplois. Qu'est-ce que les travailleurs ont à faire de tout cela?
Il est important de comprendre le rôle clé que jouent les syndicats dans le cadre de l'appareil d'Etat. Ils sont les «pompiers sociaux", agissant comme une soupape de sécurité aux niveaux économique et politique. Ce genre de conventions collectives, d'accords sur les négociations, qui sont aujourd'hui attaqués ont été introduits par des gens comme le Président Kennedy qui ont vu leurs intérêts en termes de contrôle social offert par les syndicats, en particulier lorsque les types de 'victoires' que les syndicats ont remportées incluaient des clauses de non-grève! A la fin des années 60 et au début des années 70, ces 'concessions' étaient certainement plus abordables en termes économiques qu'elles ne le sont aujourd'hui. Quarante années de crise économique ont conduit à une grande érosion du salaire social dont bénéficiaient les 'baby-boomers' d'après-guerre. Mais, même si les syndicats sont coûteux en termes économiques, ils sont également des outils efficaces pour imposer l'austérité à la classe ouvrière. Par exemple, dans le Wisconsin les syndicats « avaient déjà négocié un accord avec l'administration précédente de 100 millions de dollars de coupes dans les prestations avec une réduction de salaire de 3% pure et simple. » On a le sentiment que la colère des syndicats à l'égard du projet du gouverneur n'est pas tant causée par les réductions pour les travailleurs qu'ils sont censés représenter, mais par la perspective de ne plus être considérés comme des partenaires de l'Etat dans la gestion de l'économie. En fait, Marty Beil, le chef du Syndicat des employés du secteur public du Wisconsin, a soutenu que le syndicat était parfaitement disposé à aller de concert avec certaines coupes, mais qu'il ne pouvait pas supporter l'insolence du gouverneur: «Nous sommes prêts à mettre en oeuvre les concessions financières proposées pour aider à équilibrer le budget de notre Etat, mais nous ne nous laisserons pas priver de notre droit, donné par Dieu, d'adhérer à un véritable syndicat ... nous ne laisserons pas, je le répète, nous ne laisserons pas nier nos droits à la négociation collective »Dans une conférence téléphonique avec les médias, elle poursuit: « Ce n'est pas une question d'argent (...) Nous comprenons la nécessité des sacrifices ». (Milwaukee Journal Sentinel)
Tous les discours sur le démantèlement des syndicats est au fond une tentative pour faire dérailler le mécontentement manifesté par les travailleurs contre les attaques sur leurs conditions de vie dans l'impasse de la défense des syndicats eux-mêmes et de la démocratie qu'ils sont censés incarner et on se trouve ainsi loin de la grève efficace pour défendre les conditions de vie et de travail. Déjà, dans le mouvement du Wisconsin, les syndicats ont été très efficaces en le désignant par l'expression 'défense de la démocratie' (d'où le lien avec l'Egypte), même si ce sont leurs alliés, les sénateurs Démocrates qui semblent, pour l'instant , avoir entravé le fonctionnement de l'appareil au gouverneur démocratique bourgeoise en s'enfuyant de l'Etat. Déjà, des militants du Tea Party ont organisé des contre-manifestations en soutien au gouverneur 'démocratiquement élu' et pour protéger 'la majorité des Wisconsinites' qui ont voté pour ses actions sévères contre les syndicats. Si votre objectif principal est de défendre la 'démocratie', il n'est pas évident de savoir quel camp vous allez soutenir!
En un sens, la chasse aux sénateurs disparus, par la police d'Etat est emblématique de la chasse plus importante que fait la bourgeoisie américaine pour trouver une solution à la crise économique. Comme cette solution s'avère plus improbable que jamais, la bourgeoisie à tous les niveaux, fédéral, étatique et local, devra avoir recours à de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Les fonctionnaires employés-civils, pompiers, travailleurs de la voirie et surtout les enseignants, seront sur la ligne de front de cette agression. Ce n'est pas un accident, ni tout simplement un penchant idéologique de la droite, si le Tea Party et les Républicains ont mis les employés du secteur public dans leur ligne de mire. C'est le projet de loi contre leurs salaires et leurs allocations qui aura l'impact le plus immédiat sur la solvabilité financière de l'Etat.
En outre, les attaques contre les employés du secteur public n'ont pas été limitées aux Etats régis par des Républicains. A New York, le gouverneur démocrate Cuomo a proféré une menace de près de 10.000 licenciements si les négociations avec les syndicats stagnent, alors que le démocrate Jerry Brown en Californie, a parlé de la nécessité de coupes douloureuses pour résoudre ces perpétuels problèmes budgétaires. Au niveau fédéral, le président Obama lui-même a gelé les salaires des fonctionnaires fédéraux et sa commission budgétaire a menacé de licencier 10 pour cent de l'effectif fédéral! Néanmoins, le zèle avec lequel des Tea Party Républicains comme Walker ont effectué leur croisade contre les fondements même des syndicats (par opposition aux travailleurs qu'ils sont censés représenter) peut avoir l'effet inverse si elle est menée à son terme. La bourgeoisie va avoir inévitablement besoin de faire appel aux syndicats si la lutte de classes continue à s'embraser. La tentative d'un gouverneur Républicain néophyte de faire disparaître les syndicats de son Etat est encore un autre exemple des difficultés de la bourgeoisie nationale US pour contrôler son appareil politique, en tant que conséquence de la décomposition sociale qui s'aggrave chaque jour, dans ce système.

Internationalism

Géographique: 

  • Etats-Unis [6]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [7]

Marine Le Pen élue en 2012 : quelle réalité pour le danger fasciste aujourd'hui ?

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Début mars, la bourgeoisie française nous propose un remake de sa grande peur de la “peste brune”. Des sondages mettant en scène des deuxièmes tours des présidentielles de 2012 avec Marine Le Pen face à différents candidats potentiels, de gauche comme de droite, placent la candidate du FN en tête dans la grande majorité des cas. Cette fois, ce n’est plus le 21 avril  (1), c’est encore pire : une catastrophe, la fin de la démocratie, la dictature, le fascisme, les pogroms, les ratonnades et bien d’autres horreurs, qui attendent les français s’ils ne se ressaisissent pas  !

Coup monté de l’UMP  ? Vrai sondage  ? Les deux  ? Finalement, cela ne change pas grand chose à la situation. On sait que l’extrême-droite reçoit un écho grandissant dans l’opinion, le reste n’est qu’affaire de stratégie et d’exploitation médiatique pour les intérêts des uns et des autres. Cela dit, cela pose à nouveau la question : Marine Le Pen va-t-elle accéder au pouvoir  ? Beaucoup d’observateurs bourgeois ne cèdent pas à la panique et estiment que ce qui s’est passé en 2002  (2) se passera encore en 2012 s’il le faut. Même si ceux qui sont allés voter Chirac une pince à linge sur le nez à l’époque, auraient encore plus de mal à déposer un bulletin “Sarkozy” dans l’urne, la défense de la démocratie saurait sans aucun doute leur dicter ce sacrifice ultime de ce qu’il leur reste d’amour propre.

Pour autant, la bourgeoisie ne se veut pas rassurante : même si le FN n’accédera vraisemblablement pas au pouvoir, ses idées, elles, pourront sans problème franchir les portes de l’Elysée. Car face à cette menace, ce sont les partis “de gouvernement”, ceux qui ont vocation à exercer le pouvoir, qui réagissent en adoptant les idées populistes de l’extrême-droite. Pour en rajouter et enfoncer le clou, on rappelle la sortie de Brice Hortefeux sur les maghrébins (ou les auvergnats, selon les versions  !) et on rediffuse à en vomir les propos de son successeur, Claude Guéant, estimant légitime de ne plus se sentir “chez soi” face à tous ces “étrangers”.

Demain, une France fasciste  ?

C’est donc entendu : le barrage démocratique bloquera Marine Le Pen, mais pas ses idées  ! Pendant que l’on ferme la porte, les idées fascistes pénètrent la République par la fenêtre  !

Sommes-nous donc à la veille d’un régime fasciste  ? Après tout, la question peut être posée : cela fait au moins dix ans que le danger guette. Il y a évidemment l’épisode de 2002 en France, mais pas seulement.

En Italie, le gouvernement Berlusconi bénéficie de l’alliance et du soutien des deux formations d’extrême-droite qui ont déjà été ses partenaires gouvernementaux entre 1995 et 1997 : la Ligue lombarde d’Umberto Bossi et l’Alliance Nationale (ex-MSI) de Gianfranco Fini. En Autriche, l’accession de Jörg Haider au pouvoir en 1999 (en coalition avec le parti conservateur) avait fait naître une véritable angoisse en Europe. De même pour l’éclosion ultra-rapide du parti de Pym Fortuyn aux Pays-Bas qui fit son entrée au parlement en 2002.

Depuis que la question est posée, nous apportons toujours la même réponse : non, mille fois non, le danger fasciste n’existe pas aujourd’hui en Europe. Nous sommes certes face à une crise économique mondiale effroyable et à une montée du populisme qui ne sont pas sans rappeler celles des années 1930, qui ont donné naissance au fascisme et au nazisme. Mais la comparaison s’arrête là car il y a plus de différences que de points communs entre la période d’aujourd’hui et celle des années 1930. Il s’agit même de situations radicalement opposées.

Dans les années 1920 et 1930, l’accession au pouvoir des régimes fascistes a été favorisée et soutenue par de larges fractions nationales de la classe dominante, en particulier par les grands groupes industriels. En Allemagne, de Krupp à Siemens en passant par Thyssen, Messerschmitt, IG Farben, regroupés en cartels (Konzerns) qui fusionnent capital financier et industriel, celles-ci contrôlent les secteurs clés de l’économie de guerre, développée par les nazis : le charbon, la sidérurgie, la métallurgie.

En Italie, les fascistes sont également subventionnés par les grands patrons italiens de l’industrie d’armement et de fournitures de guerre (Fiat, Ansaldo, Edison) puis par l’ensemble des milieux industriels et financiers centralisés au sein de la Confinindustria ou de l’Association bancaire. Face à la crise, l’émergence des régimes fascistes a correspondu aux besoins du capitalisme, en particulier dans les pays vaincus et lésés par l’issue du premier conflit mondial, contraints pour survivre de se lancer dans la préparation d’une nouvelle guerre mondiale pour redistribuer les parts du gâteau impérialiste.

Pour cela, il fallait concentrer tous les pouvoirs au sein de l’Etat, accélérer la mise en place de l’économie de guerre, de la militarisation du travail et faire taire toutes les dissensions internes à la bourgeoisie. Les régimes fascistes ont été directement la réponse à cette exigence du capital national. Ils n’ont été, au même titre que le stalinisme, qu’une des expressions les plus brutales de la tendance générale vers le capitalisme d’Etat. Loin d’être la manifestation d’une petite bourgeoisie dépossédée et aigrie par la crise, même si cette dernière lui a largement servi de masse de manoeuvre, le fascisme était une expression des besoins de la bourgeoisie dans certains pays et à un moment historique déterminé.

Aujourd’hui, au contraire, les “programmes économiques” des partis populistes sont soit inexistants, soit inapplicables, du point de vue des intérêts de la bourgeoisie. Ils ne sont ni sérieux, ni crédibles. Leur mise en œuvre impliquerait une totale incapacité à soutenir la concurrence économique sur le marché mondial face aux autres capitaux nationaux. La mise en application des programmes des partis d’extrême-droite signifierait une catastrophe économique assurée pour la bourgeoisie nationale. De telles propositions rétrogrades et fantaisistes ne peuvent qu’être rejetées avec mépris par tous les secteurs responsables de l’économie nationale.

L’autre condition majeure et indispensable pour l’instauration du fascisme, c’est la défaite physique et politique préalable du prolétariat. Au même titre que le stalinisme, le fascisme est une expression de la contre-révolution dans des conditions historiques déterminées. Il a été permis par l’écrasement et la répression directe de la vague révolutionnaire de 1917-1923. C’est l’écrasement sanglant en 1919 et 1923 de la révolution allemande, c’est l’assassinat des révolutionnaires comme Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, par la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie, la social-démocratie, qui a permis l’avènement du nazisme. C’est la répression de la classe ouvrière après l’échec du mouvement des occupations d’usines à l’automne 1920 par les forces démocratiques du gouvernement Nitti qui a ouvert la voie au fascisme italien. Jamais la bourgeoisie n’a pu imposer le fascisme avant que les forces “démocratiques”, et surtout celles de gauche, ne se soient chargées de défaire le prolétariat, là où ce dernier avait constitué la menace la plus forte et la plus directe contre le système capitaliste.

C’est précisément cette défaite de la classe ouvrière qui avait ouvert un cours vers la guerre mondiale. Le fascisme a été avant tout une forme d’embrigadement de la classe ouvrière dans la guerre pour un des deux blocs impérialistes, au même titre que l’antifascisme dans les pays dits “démocratiques” dans l’autre camp (voir notre brochure Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital).

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. La classe ouvrière reste dans une dynamique d’affrontements de classe ouverte depuis la fin des années 1960. Elle n’est pas dans un cours contre-révolutionnaire. L’accroissement des combats de classe, l’émergence d’une réflexion profonde sur les raisons de la crise et la meilleure façon de résister, le développement de la solidarité dans la lutte, sont autant de preuves que la bourgeoisie n’est pas parvenue à embrigader massivement le prolétariat des pays centraux du capitalisme derrière la défense du capital national vers la guerre ni à l’entraîner dans un soutien aveugle aux incessantes croisades impérialistes.

Le vrai danger, c’est la démocratie

Un dérapage incontrôlé est-il cependant possible  ? Peut-on penser que la bourgeoisie garde la maîtrise de son processus électoral quand on voit, notamment en France, tout ce qu’elle a été incapable d’empêcher  (3) ?

Il est certain que la bourgeoisie française n’est pas la championne du monde, dans beaucoup de domaines. Cependant, la victoire d’un parti d’extrême-droite est tellement contraire à tous les intérêts, du plus particulier au plus général, de la bourgeoisie, qu’elle ne peut être envisagée. Ainsi, pour accéder au pouvoir, les partis “populistes” actuels doivent renier leur programme, abandonner une partie de leurs oripeaux idéologiques et se reconvertir en aile droite libérale et pro-européenne. Par exemple, le MSI de Fini en Italie en 1995 a rompu avec l’idéologie fasciste pour adopter un credo libéral et pro-européen. De même, le FPÖ d’Haider en Autriche a dû s’aligner sur un “programme responsable et modéré” pour pouvoir exercer des responsabilités gouvernementales. Et de fait, la “vague brune” qu’il symbolisait n’a pas envahi l’Europe. Elle n’a même pas envahi l’Autriche  !

Par ailleurs, l’expérience du 21 avril 2002 montre la capacité de la bourgeoisie à “mettre le paquet” quand elle s’embourbe dans ses difficultés, pour retourner celles-ci à son avantage contre la classe ouvrière. Rarement un deuxième tour aura connu un tel engouement, une telle mobilisation  ! Jamais il n’aura été aussi difficile de dire “je n’irai pas voter dimanche”  !

Et justement, le principal danger qui menace aujourd’hui la classe ouvrière n’est pas le fascisme, mais la pression démocratique, le chantage, la culpabilisation qui est exercée sur le prolétariat alors même qu’il se pose de plus en plus de questions sur les raisons de la situation dramatique dans laquelle il se débat chaque jour.

Bien sûr, Marine Le Pen récolte des soutiens et des adhésions en surfant sur le populisme et ses grands classiques que sont la xénophobie et le “tous pourris”. Mais ce n’est pas la seule  ! Dans sa région de prédilection, l’ex-bassin minier du Pas-de-Calais, abandonné dans une misère indicible, elle n’a pas eu de mal à entrer dans un conseil municipal  (4), face à un maire PS pourri jusqu’à l’os, architecte d’un grand réseau d’influence et de corruption  (5). Elle n’avait pas besoin de beaucoup d’imagination pour dénoncer la misère, dans une zone particulièrement sinistrée, où des familles s’entassent parfois dans des corons sans eau ni électricité, où le sol est même encore en terre battue. Elle pouvait aussi sans difficulté dénoncer le pouvoir de l’argent et des riches qui emploient “des étrangers au lieu de faire travailler les français”. Ce discours-là n’est pas nouveau autour des carreaux en friche. Le PCF en use depuis longtemps, et reste toujours bien implanté grâce à l’entretien minutieux de ce verbiage stalinien qui n’a pas varié d’une once depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale (et son célèbre “Produisons français, consommons français”!). Là-bas, entre un meeting du FN et un autre du PCF, il faut être bien attentif pour déceler la différence  !

Et pourtant, le PCF reste un parti “respectable”, à l’inverse du FN, qu’il faut abattre. Tout cela démontre le caractère essentiellement idéologique des campagnes contre l’extrême-droite. Le populisme touche toutes les composantes politiques de la bourgeoisie et il n’est pas surprenant que les fractions les plus minoritaires en fassent l’axe central de leur discours. Mais au final, pas une tête bourgeoise ne manque quand il faut lancer l’appel aux urnes, à la “conscience citoyenne”, à la “responsabilité” et au “devoir” de l’électeur. Par là, la classe dominante démontre que, quelle que soit sa crainte de ne pas pouvoir contenir la montée du FN, cette peur ne sera jamais aussi importante que celle de voir son ennemi historique, la classe ouvrière, démonter ses mensonges un à un et prendre toujours plus conscience de la responsabilité de toute la bourgeoisie dans la situation catastrophique où est plongée l’humanité.

GD (21 mars)

 

1) Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen, candidat d’extrême-droite, obtient le deuxième score au premier tour des présidentielles, devancé par Jacques Chirac (RPR, droite) mais devant Lionel Jospin (PS, gauche). Depuis, cette date symbolise pour beaucoup en France le danger fasciste devenu réalité.

2) Entre les deux tours, des manifestations sont organisées partout en France : le 1er mai, près de 2 millions de personnes défilent dans les rues d’une centaine de villes. Le 5 mai, lors du deuxième tour, le taux de participation approche les 80 % et Jacques Chirac est élu avec plus de 82 % des voix.

3) Déjà en 1981, nous avions analysé l’élection de Mitterrand comme un résultat non souhaité pour la bourgeoisie qui, face à la crise et aux attaques que le gouvernement devait porter à la classe ouvrière, avait tout intérêt à garder son appareil de gauche dans l’opposition. Depuis, trois cohabitations ont notamment montré les difficultés de la bourgeoisie française dans l’exercice électoral, en comparaison par exemple avec la maîtrise longtemps infaillible de la bourgeoisie anglaise.

4) Marine le Pen a été élue au conseil municipal d’Hénin-Beaumont en 2008 puis en 2009 après la révocation du maire. Sous le coup d’un cumul de mandat, elle en a démissionné en février 2011. Hénin-Beaumont est une commune de l’ex-bassin minier, elle compte 25  000 habitants et un taux de chômage officiel de 19,4 %.

5) Gérard Dalongeville est maire (PS) de 2001 à 2009. La ville est placée sous contrôle budgétaire à partir de 2002. En 2009, plusieurs élus sont mis en examen. Gérard Dalongeville est en prison (détention provisoire) de façon quasi-ininterrompue depuis 2009.

Récent et en cours: 

  • antifascisme [8]

La publication du "Capital" de Marx en manga est une réponse à un besoin dans la classe ouvrière

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 Vignette illustrant ce qu'est l'argent selon le manga "Karl Marx - Le Capital", éd Soleil Manga – Demopolis.

 

De curiosité destinée à la jeunesse des années 1980 fan de « Goldorak » et autres « Dragonball Z », le manga est devenu un véritable phénomène culturel. A tel point que toute une génération et la suivante en ont fait leurs lectures préférées et des signes de ralliement sociaux, au grand dam de nombreux parents et enseignants désespérant de voir cette « génération manga » ouvrir un jour un "vrai" livre sans images ! La simplicité du dessin, celle des textes (réduits le plus souvent à des onomatopées), le tout lu de droite à gauche pour ajouter au charme de l’exotisme, ont fait l’universalité des mangas, dans une période de désocialisation et d’abaissement généralisés de l’alphabétisation, alliée à la perte de goût pour la lecture qui gagne toutes les couches de la société. Yusuke Maruo dirige chez l'éditeur East Press la collection « Tout lire en bande dessinée », spécialisée dans la reprise de grandes oeuvres (Dante, Machiavel, Dostoïevski, Kafka, Bouddha, etc.) comme de textes au lourd passé tel que « Mein Kampf » d'Hitler. Outre la fiction, la violence ou la pornographie auxquelles, hors de l'archipel japonaise, on réduit trop souvent le manga, le genre permet de diffuser une masse d'informations et de connaissances.

Surfant sur l’inquiétude et les réflexions grandissantes générées dans la classe ouvrière, et dans sa jeunesse, par la crise de 2007, cet éditeur a réussi le tour de force de faire un manga de cette œuvre majeure de Karl Marx et de Friedrich Engels qu’est Le Capital . Vingt ans et plus de recherches et d’écriture, quatre livres divisés chacun en plusieurs volumes, plus de 3000 pages, se trouvent condensés en deux volumes de dessins faisant 190 pages.

Ce n’est pas un hasard si cette publication apparaît au Japon d’abord. D’abord car c’est la terre natale du manga. Mais aussi parce que le Parti communiste japonais a dépassé les 400 000 adhérents en 2008 et qu'il en gagne 1000 par mois depuis, avec un élan de syndicalisation grandissant chez les jeunes Japonais. La formule a largement fait florès au Japon, où ce manga s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires depuis sa parution.

Un tel engouement pour ces « vieux » Marx et Engels, voués régulièrement aux gémonies, régulièrement dénoncés comme les annonciateurs du futur stalinisme par nombre de philosophes et autres « théoriciens » socio-politiques, n’est pas anodin. Il est d’abord directement issu de la crise des subprimes de 2007 et de l’incapacité de la bourgeoisie et de ses économistes à donner une explication satisfaisante de cet évènement qui a jeté des dizaines de millions de personnes à la rue et dans la misère, partout dans le monde. On nous a répété qu’au fond, c’était la faute à « pas de chance », mais que la production allait repartir. Ce qui n’est pas le cas. Aussi, il existe une quête profonde dans l’ensemble de la classe ouvrière mondiale et dans sa jeune génération à essayer de comprendre et à se donner des perspectives en-dehors de ce système d’exploitation qui montre chaque jour son incapacité à satisfaire les besoins humains les plus élémentaires. Ce manga sur Le Capital s’efforce de répondre à ce besoin. Un éditeur français, « Soleil Manga », s’en est même emparé avec l’édition de 50 000 exemplaires, ce qui pourrait paraître d’autant plus étonnant que le fondateur de cette édition est aussi propriétaire du Racing Club de Toulon, milieu du sport qui ne milite pas en général pour l’émancipation politique des masses. C’est parce que l’intérêt pour Marx et le marxisme n’est pas question d’élévation de la conscience collective pour un patron quel qu’il soit, eut-il l’âme « socialiste », mais parce que c’est un marché. Comme l’était dans les années 1960 et 1970 le marché des œuvres de Mao, de Staline, mais aussi de Marx et d’Engels, pour nombre d’éditeurs maoïstes comme les éditions Maspéro1 ou de libraires trotskistes comme la Fnac2.

Pour ce qui est du manga, le résultat est assez étonnant. Contre toutes les méchantes attentes des vieilles barbes prévoyant une vulgarisation pitoyable et fausse du Capital, le résultat, malgré quelques notes surprenantes comme Marx présenté sous la forme d’une sorte d’archange venu prêcher depuis le ciel, ou encore Engels appelant Marx « Monsieur », est assez étonnant de justesse.3

 

Dans le Tome 1, le lecteur suit l’aventure de Robin, jeune fromager fils d’artisan, qui quitte l’entreprise familiale pour fonder une usine de fromage grâce aux subsides d’un jeune loup financier plein aux as qui lui prête l’argent nécessaire à la fondation de son entreprise. En pleine révolution industrielle, ce qui n’est pas dit dans le manga car il s’agit du 19e siècle, le jeune fromager passe donc d’une fabrique artisanale et familiale à une petite usine aux grandes ambitions. Robin découvre les responsabilités et les tracas d'un jeune patron, la nécessité de composer entre la qualité du produit, les délais de fabrication, la masse salariale. Il doit faire face à son investisseur qui le pousse à toujours plus exploiter ses ouvriers, afin de produire toujours plus et à moindre coût, donc à augmenter les cadences et travailler plus longtemps. Se greffe sur cette trame le « surveillant » (traduire « contremaître ») de l’usine, brute débile qui matraque les ouvriers et que Robin tente de calmer dans un premier temps avant de se résigner à le laisser cogner car c’est de ce garde-chiourme que dépend la productivité. Harangués par l’un d’entre eux qui prend conscience que les patrons tirent leur profit de la partie de leurs salaires non payée, les ouvriers esquissent une vague révolte (durant trois/quatre pages) qui est matée par la police et tout rentre vite fait dans le rang. Ce que l'on en retient, en laissant de côté l’aspect plutôt moralisateur et manichéen de l’ouvrage, c’est que le capitalisme est en effet inhumain car il réduit des individus de façon massive à la misère et qu’il exploite leur force de travail comme aucun système ne l'avait jamais fait auparavant.

L’exemple mis en exergue d’un petit patron comme Robin montre aussi que ce n’est pas parce qu’il est un salaud (il veut seulement devenir riche) qu’il est un exploiteur mais parce que c’est la logique du système capitaliste. Et s’il ne suit pas cette loi, il se fait écraser par la concurrence et n’a plus pour perspective que de mettre la clé sous la porte avec les dettes à payer pour sa faillite. En revanche, les "salauds" sont les investisseurs et, on le verra dans le 2e tome, le banquier. Mais ça, c’est pour la galerie « actuelle ».

 

Le Tome 2, plus théorique, voit Friedrich Engels s’adresser directement au lecteur dans une sorte de cours magistral illustré. Au moyen d’exemples vivants, y sont expliquées la « valeur d’usage », la « valeur d’échange », la « valeur étalon » (l’argent) et la « plus-value » qui « s’obtient grâce au travail du prolétariat », puis la surproduction et enfin les crises capitalistes. Il s’agit là d’une vulgarisation du langage économique qui est expliquée de manière assez claire et simple mais sans être trop réductrice, avec pour support pédagogique des situations compréhensibles et qui ne sont pas falsificatrices de la pensée marxiste.

Dans cette deuxième partie est assez bien vu et résumé le processus qui mène à la crise. La compétition entre patrons entraîne l’achat de matériels comme des machines plus modernes qui coûtent plus cher et contraignent à exiger plus de productivité de la part des ouvriers et une baisse de leurs salaires en termes réels. D’autre part, la compétition entre capitalistes pousse à la surproduction et à la saturation des marchés. Le tout provoque la crise économique avec la fermeture des usines et le licenciement des ouvriers et la mise au tapis d’un certain nombre de capitalistes. C’est cette logique implacable selon laquelle le capitalisme ne peut mener qu’à la crise qui est clairement affirmée : « Le but du jeu pour les capitalistes est d’arriver à profiter au maximum des travailleurs pour générer le plus de profits possible ! Et pour réussir à dépasser la concurrence, ils produisent toujours plus de nouvelles machines (…) Mais c’est à cet instant précis que le capitalisme montre son visage contradictoire [car] les machines représentent un capital constant qui n’engendre pas de valeur ajoutée » et donc fait baisser « le taux de profit [et la] rentabilité », alimentant d’autant plus la concurrence et la compétition sur toute la planète et avec elles les crises.

Ce 2e tome s’achève sur un appel de Marx, qui monte au ciel en compagnie d’Engels avec une auréole sur la tête (!!!) : « l’ombre néfaste du capitalisme recouvre la planète entière. Cette ombre provoque des effets dévastateurs (…) Pour les capitalistes, tout se vend, tout s’achète, tout est bon pour faire du profit. (…) Laissez donc parler ceux qui ne voient pas la réalité en face ! Mais vous, prenez le chemin de la justice ! Remettez en cause le capitalisme ! »

Ce ne sont donc pas quelques exploiteurs avides qui sont désignés, mais le système lui-même dans son entièreté qui mène à la catastrophe permanente.

Cependant, manque à cet appel la réelle perspective révolutionnaire qui ne peut réellement prendre corps qu’avec la conscience que les crises finissent par mener à la faillite générale du système capitaliste et avec la conscience de l’alternative marxiste « Socialisme ou barbarie ». Cette dernière est non seulement absente mais le manga, par la bouche de Marx, présente les crises comme une cure de jouvence dure mais utile : « Il est indéniable que dans les sociétés capitalistes… les paniques et les crises économiques sont monnaie courante… mais n’allez pas blâmer les crises ! En effet, ce sont elles qui vont rétablir l’équilibre entre l’offre et la véritable demande. Mais après quels dégâts ? » Au bout du compte, le capitalisme auto-régule en quelque sorte ses crises et de façon infinie. Ceci a une implication fondamentale : que la révolte contre ce système ne peut pas être une révolution mais jamais qu’une réaction contre l’injustice, contre l’exploitation, etc., une sorte de volonté morale « d’assainissement » ou de « réforme » sans réelle perspective de dépassement et d'abolition du capitalisme. Or, depuis bientôt un siècle, ce système est en décadence et montre tous les jours des expressions de sa faillite généralisée, à travers les crises, mais aussi à travers les catastrophes en série et tous les aspects de la vie quotidienne qui vont en s’aggravant de façon accélérée, même dans les pays « riches ».4

On pourrait difficilement reprocher ce manque à cette édition, qui a fait par ailleurs un énorme travail. En revanche, et pour la bonne bouche, il y a la préface de l’édition française, signée… Olivier Besancenot. Cool, tutoyant d’emblée le lecteur, dans l’ensemble de bonne facture, de toute évidence au fait du Capital, on peut même y lire : « Ainsi, le système capitaliste produit plus, sans plus parvenir à vendre sa production. C’est la marque des crises de surproduction, telles que nous les connaissons aujourd’hui. » Quelle lucidité ! Besancenot se revendique même de Marx : « Marx est le fondateur de la première association internationale des travailleurs dont le but était de renverser le capitalisme et d’établir le socialisme. » Et c’est là que le bât blesse. Car le NPA, dont le leader se revendique de la nécessité de la révolution sur la base d’une compréhension marxiste des lois du capitalisme « dont les crises à répétition désagrègent toujours la société plus de 140 ans après sa parution (du Capital) », et en accord avec ce manga qu’il ne s’agit pas de « méchanceté » ou de « cupidité » en soi des patrons, ne cesse de rabâcher qu’il faut « réformer » ce système ; qu’il faut un « capitalisme à visage humain », « plus juste », qu’il faut pour cela « nationaliser », rendre l'Etat plus social… Bref, c’est ce qui s’appelle avoir deux discours, celui du racoleur de foire qui dit qu’il vous en vend deux pour le prix d’un et vous en prend en définitive le double : à l’instar du capitaliste qui prétend payer le salaire à juste valeur et qui en tire en catimini la plus-value nécessaire à sa survie.

Mulan (24 février)

 

1Où le cassage de gueule était la coutume pour ceux qui volaient un « Petit Livre Rouge » dans les rayons… pour le « respect » de la pensée de Mao.

2 Ce sont les nervis trotskistes qui faisaient là leur office de tabasseurs de voleurs de livres. Vous savez, la Fnac « Agitateur de curiosités »...

3 Il a d’ailleurs la qualité de pouvoir être lu de gauche à droite, contrairement à la « coutume », ce qui n’est pas négligeable pour toucher un plus large public, et rassembler éventuellement les différentes générations.

4 C’est d’ailleurs une des faiblesses de ce manga de faire apparaître en message plus que subliminal la distinction entre pays pauvres exploités et pays peuplés de « nantis ».

En Côte d'Ivoire, une lutte impérialiste entre chiens sanguinaires

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Après les tueries à « petit feu » qui ont commencé dès le lendemain de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, place maintenant aux massacres de masse et à ciel ouvert. Selon diverses sources (tel le porte- parole d’Ouattara sur RFI), on compte déjà plus de mille morts, des dizaines de milliers de blessés et des centaines de milliers de réfugiés, dont 300 000 qui ont fui les quartiers d’Abidjan. Les combats se déroulent dans la plupart des quartiers de cette ville, notamment Abobo. La population y est prise en tenaille par le feu des assassins des deux camps qui n’hésitent pas à marcher sur les cadavres de leurs victimes, notamment femmes et enfants. Bref, ce ne sont plus seulement des assassinats ciblés et des assauts ponctuels des escadrons de la mort, ce sont aussi les chars, les hélicoptères et autres armes lourdes qui entrent désormais dans cette danse macabre. D’ores et déjà, la guerre va d’Abidjan à Yamoussoukro (capitale politique) et s’étend jusqu’aux frontières libériennes où ces chiens assoiffés de sang règlent leurs comptes. On sait par ailleurs que ceux qui échappent à la mort se heurtent inévitablement à la misère due à l’état de guerre avec son lot de disette, de chômage de masse et d’insécurité permanente.

« Ici, une femme, « une ménagère, une maman », comme la Côte d’Ivoire appelle ses mères de famille avec respect et tendresse, a eu la tête emportée par le tir d’un soldat sur la chaussée d’Abobo, le quartier insurgé d’Abidjan. Autour, peut-être six, sept ou huit autres femmes ont été fauchées par les rafales tirées depuis un blindé des forces de défense (FDS) loyales à Laurent Gbagbo qui venait, selon la foule, d’un camp voisin de la Garde républicaine, appuyé par des hommes de la Brigade anti-émeute (BAE). Des colonnes infernales traversent les zones désormais hostiles, suivies d’ambulances ou de corbillards pour faire disparaître les corps.(…) Jeudi 3 mars, la marche des femmes qui pensaient pouvoir manifester pacifiquement à l’égyptienne ou à la tunisienne avec des pancartes « Gbagbo dégage ! » ne s’est pas soldée par le début de la « révolution » à laquelle a appelé Guillaume Soro, ex-chef de la rébellion devenu le premier ministre d’Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale. Les FDS ont tiré sur les femmes, y compris à la mitrailleuse lourde, avec des balles capables d’arracher têtes et membres. Sept morts (Le Monde, 10 mars 2011) ».

Et le carnage s’est reproduit le 8 mars (au cours d'une autre marche à l'occasion de la « journée internationale de la femme »). Au bout du compte, on voit ici l’extrême barbarie dans laquelle excellent les forces loyales au criminel Gbagbo, mais il ne faudrait pas ignorer pour autant la responsabilité non moins criminelle du camp Ouattara qui a sciemment envoyé ces femmes se faire massacrer sans aucune protection. C’est bien Soro, le bras droit d’Ouattara, qui a profité des circonstances, des révoltes dans le monde arabe, pour pousser les femmes vers cet abattoir sous prétexte de déclencher la « révolution » contre le pouvoir de Gbagbo. Ce procédé proprement monstrueux consiste à manipuler les civils et les femmes dans le seul but de satisfaire leurs ambitions criminelles. Mais les deux camps charognards ne s’arrêtent pas là, ils enrôlent les populations dans l’horreur absolue :

« L’impensable se produit : chacun son camp, malheur aux neutres. Il y a de plus en plus de civils en armes. De plus en plus de situations où des innocents se font tuer, brûler vifs, blesser, martyriser, dans les deux camps. La Côte d’Ivoire court à sa perte et ce n’est pas la réunion organisée par l’Union africaine, jeudi, à Addis-Abeba, pour communiquer ses solution  « contraignantes » aux deux rivaux de la présidentielle de novembre 2010, qui suscite de grands espoirs … Parallèlement, la gamme des violences se diversifie. Trois mosquées ont été brûlées les jours derniers. Des groupes de miliciens ont aussi saccagé les résidences à Abidjan de responsables de RHDP d’Alassane Ouattara, qui vivent reclus à l’Hôtel du Golf, ou qui sont sortis discrètement du pays. Dix-huit maisons sont pillées sur fond de peur grandissante de voir une prochaine vague d’exactions toucher ceux que leurs voisins suspectent d’être pro-Ouattara. Inversement, les habitants d’Anokoua, un quartier d’Abobo peuplé par l’ethnie Ebrié, supposée appartenir au camp Gbagbo, a été attaqué l’avant-veille. Trois morts, dont une femme brûlée dans sa maison, de nombreux blessés. Aux miliciens Ebrié, on a distribué des armes. La spirale de violence, si elle n’est pas interrompue, va tout embraser (Le Monde, ibid.) ».

Voilà l’enfer que vivent au quotidien les populations, malheureusement sans espoir d’en sortir pour eux car, au vu de la protection dont bénéficient les tueurs, le plus probable est que le pays entier va finir par s’embraser.

Des sanctions de façade, mais de vrais affrontements impérialistes

 Pour soutenir Alassane Ouattara désigné vainqueur (par eux) à l’issue du deuxième tour de la présidentielle de novembre dernier, les Etats-Unis et l’Union européenne avaient annoncé une série de « sanctions » à caractère économique et diplomatique contre le clan Gbagbo pour contraindre celui-ci à céder le pouvoir à son rival. Mais 3 mois après, Laurent Gbagbo est toujours là et se moque ouvertement des « sanctions » car il sait que ceux qui les ont décidées tiennent par ailleurs un double langage et ne sont unis sur rien, au contraire ils se battent âprement en coulisses pour défendre leurs intérêts respectifs.

Face à la volonté de « bloquer » le cacao ivoirien, Gbagbo réfléchit désormais à une réorganisation de la commercialisation de cette matière première, y compris en remettant en cause la « toute puissance des groupes occidentaux » et en recherchant de nouveaux débouchés. Son entourage plastronne : « Gbagbo a payé les salaires de février, il payera ceux de mars et d’avril. (…) L’étau de réprobation internationale envers son régime demeure, mais Laurent Gbagbo n’a pas renoncé à le desserrer. Il espère profiter des désaccords apparus au sein de la communauté internationale et veut croire que le temps joue pour lui. Les pharmacies commencent à souffrir de pénuries de médicaments, en raison d’un embargo maritime qui ne dit pas son nom. Mais des hommes d’affaires européens continuent à solliciter des audiences, même si Gbagbo ne les reçoit qu’après avoir éconduit les caméras indiscrètes » (Jeune Afrique, 6/12 mars 2011).

Et le cas de la France est particulièrement édifiant en la matière. En effet, il se trouve que d’un côté, Monsieur Sarkozy a annoncé publiquement une série de mesures pour soi-disant sanctionner le gouvernement Gbagbo, y compris à travers la menace d'un boycott économique alors que de l’autre, il s’est bien gardé d’inciter les grandes sociétés françaises sur place (Bouygues, Bolloré, Total, etc.) à quitter le pays. Au contraire, tous ces groupes continuent de « faire affaires » avec le régime Gbagbo en atténuant ou en contournant ainsi les dites « sanctions économiques ». Une fois de plus, on voit là le caractère odieusement hypocrite de la « politique africaine » de la France en Côte d’Ivoire. En réalité, l’impérialisme français se soucie avant tout de ses capitaux et ne s’est jamais préoccupé du sort des populations, premières victimes de cette boucherie, d’ailleurs ses chiens de l’opération militaire « Licorne » sont sur les dents et, comme en 2004, seront lâchés dès que les intérêts français sur place seront menacés. En clair, dans cette affaire de « sanctions », aucun gangster ne veut laisser des « plumes » au profit de ses concurrents.

 L’ONU et l’UA laissent faire les assassins

 A chaque grande explosion de violence en Côte d’Ivoire depuis le début du sanglant processus électoral de fin 2010, le Conseil de sécurité de l’ONU se dépêche de se réunir pour prendre des « résolutions », mais jamais dans le sens de faire arrêter les massacres, au contraire car chacun de ses membres soutient plus ou moins ouvertement l’un ou l’autre camp armé en place. Cela montre clairement le comportement sordide de ces messieurs du Conseil de sécurité de l’ONU, d’autant plus cynique que leurs 11 000 soldats de « paix » sur le sol ivoirien ne font rien d’autre que du « recensement » des victimes et pire encore : ils couvrent de fait les groupes armés qui, même entourés des Casques bleus, bombardent et tirent tranquillement sur les populations.

Donc, non seulement les responsables de l’ONU restent scandaleusement indifférents aux souffrances des victimes de la guerre, mais depuis quelque temps ils ont instauré un black-out sur les tueries.

Là encore, soulignons un énième « numéro » du président français qui, à l’adresse du monde entier, avait lancé un ultimatum à Gbagbo lui intimant « l’ordre » de quitter le pouvoir avant fin 2010. Depuis lors ? Rien… Il observe scrupuleusement un silence total sur les horreurs qui se déroulent devant ses services et ses « soldats de paix » sur place.

Quant à l’Union africaine, elle adopte une attitude aussi ignoble que l’ONU. En effet, prise à la gorge par les partisans respectifs des bouchers qui se disputent le pouvoir ivoirien, elle laisse à ses membres le soin de soutenir et d’armer l’une ou l’autre clique sanguinaire en lutte (à l’instar de l’Afrique du Sud et de l’Angola pour Gbagbo, du Burkina Faso et compagnie pour Ouattara). Pour masquer cette réalité, elle fait semblant de « réconcilier » les belligérants en créant commission sur commission, dont la dernière (réunie à Addis-Abeba le 10 mars 2011) n’a rien trouvé de mieux à faire que de nommer un énième « haut représentant chargé de la mise en œuvre de solutions contraignantes en liaison avec un comité de suivi, où siègent des représentants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l‘Ouest et des Nations unes » ».

Derrière ce jargon de diplomates,quel cynisme de tous ces gangsters impérialistes  ! Tous ces « réconciliateurs » ne sont rien d’autre que les véritables bourreaux des populations ivoiriennes prises dans un étau.

Amina (17 mars)

Géographique: 

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