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ICConline - mars 2010

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En Espagne, le capital et son État nous attaquent sur tous les fronts

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Nous publions ci-dessous un tract de la section du CCI en Espagne, largement diffusé lors des manifestations syndicales organisées le 23 février dans les principales villes du pays.

Au milieu d’un des hivers les plus rigoureux dont on se souvienne, ce sont les annonces du trio « Gouvernement-Patronat-Syndicats » pendant la première semaine de février qui nous ont glacé le sang : recul de l’âge de la retraite, coupes budgétaires, nouvelle réforme du travail, etc.

La semaine suivante, comme s’il s’agissait d’une douche écossaise, ces mêmes acteurs ont occupé la scène pour nous « tranquilliser », Zapatero disant que la réforme des retraites était « négociable », que les coupes budgétaires « ne toucheraient pas la protection sociale » et les syndicats comme le patronat se sont déclarés « satisfaits » de cette réforme du travail.

Quelle est la réalité ? Est-ce qu’on peut penser « qu’il n’y a pas encore le feu au lac » ? Ou, au contraire, devons-nous ressentir une grande inquiétude vis-à-vis de ce qui nous attend ?

 L’accélération de la crise économique et la menace de faillite économique des Etats

 Pour comprendre ce qui se passe, nous devons analyser la situation économique mondiale et ses perspectives d’évolution. Et celles-ci sont très négatives, contrairement aux insistants messages selon lesquels « on est en train de sortir de la crise ». Les taux de croissance sont en fait rachitiques : …le plus élevé est celui de la France… 0,6% ! (le journal Le Monde annonçant que « la reprise sera plus faible que prévu »).

En réalité, on est entré dans une nouvelle étape de la crise, suite et conséquence de l’étape précédente, caractérisée par une crise des déficits. En 2008, les Etats ont injecté dans le trou noir des banques des sommes pharamineuses, en poursuivant par des plans de sauvetage des industries clés, telles que l’automobile et le bâtiment, en Espagne. Ceci a conduit à un endettement colossal des Etats. Et à la tête de cet hyper-endettement se trouvent les Etats-Unis eux-mêmes, suivis par la Grande-Bretagne. En Europe, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, l’Italie et, surtout, la Grèce et l’Espagne. Ces États, frappés par un déficit insupportable, sont au bord de la banqueroute.

Dans la zone euro, construite sur la base du pacte de stabilité qui interdit des déficits dépassant 3% du PIB, la crise est très grave, menaçant l’euro et tout le système qui le soutient.

Tout cela oblige à prendre des mesures dans les pays où le déficit est plus élevé : la Grèce et l’Espagne.

Et quelles mesures va prendre la bourgeoisie ? Dans le capitalisme, les seules mesures que le système peut envisager sont celles qui consistent à attaquer à fond les ouvriers et la majorité de la population travailleuse.

S’attendre à autre chose, s’attendre à ce que « les riches payent » ou que « les charges soient réparties équitablement », c’est croire aux contes de fées, croire que l’État est « neutre », qu’il « appartient à tous ». L’Etat, son gouvernement et les institutions qui le composent (partis d’opposition, syndicats, patronat, église, etc.) sont tous avec le capital, ils le défendent par tous les moyens, légaux et illégaux, de gré ou de force.

C’est ainsi que les « socialistes » grecs arrivés au pouvoir en octobre 2009 avec la promesse « d’augmenter la consommation des travailleurs pour sortir de la crise » ont fait exactement le contraire : ils ont baissé le salaire des fonctionnaires, ont annulé le treizième mois, réduit les retraites, augmenté la TVA...

Mais ces mesures en Grèce ne sont pas quelque chose d’isolé et de particulier. Dans un pays où « ça va mieux », comme la France, le gouvernement a lancé la proposition d’un nouveau coup de hache dans les retraites.

 L’Espagne, est-ce la Grèce ?

 Zapatero s’égosille à dire que « L’Espagne, ce n’est pas la Grèce ». En effet, l’Espagne ne se trouve pas dans la même situation que la Grèce, pour la simple raison que, dans le pays ibérique, la situation est bien pire. Pourquoi, ? parce que l’Espagne est la quatrième économie de la zone euro, par la profondeur insondable de la spéculation immobilière, à cause d’un chômage débridé, par l’ampleur démesurée du déficit de l’Etat. Ainsi, les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir.

Si, déjà, les souffrances au cours de ces deux dernières années ont été cruelles (il n’y a qu’à aller demander aux plus de quatre millions de chômeurs, aux milliers de familles qui ont perdu leur maison ou aux ouvriers qui doivent supporter des retards de salaire ou d’allocations de plus de 3 mois !), si, déjà, les mesures annoncées signifient un coup bien plus dur, ce qui va nous arriver demain sera bien pire.

Est-ce que le problème est limité à l’âge de la retraite ?

 Les syndicats ont accepté la réforme du travail ; ils ne se sont pas opposés aux coupes budgétaires et viennent de signer avec le patronat un gel de salaires, un accord qui comporte une clause de possibilité de décrochage qui permet au patron de jeter par-dessus bord ces accords « en cas de crise »…Tout cela est pour eux acceptable, mais, par contre, ils se sont mis à pousser des cris d’orfraie face à la retraite à 67 ans. Ils ont convoqué des manifestations pour ce 23 février.

Pourquoi cela ? Ce qu’ils cherchent, c’est à nous limiter et à nous enfermer dans une seule question, celle de la retraite, où le gouvernement aura beau jeu de faire semblant de reculer maintenant pour nous attaquer de plus belle un peu plus tard, dans quelques mois en utilisant le mécanisme plus discret du pacte de Tolède1 où, comme cela a été fait jusqu’à maintenant, on peut changer l’âge de la retraite, baisser les pensions, etc., sans publicité et en nous plaçant devant les faits accomplis.

Ils veulent ainsi nous dévoyer vers une « lutte » offrant un paquet cadeau aux syndicats pour qu’ils puissent redorer leur blason, pour nous faire momentanément ressentir l’illusion d’avoir gagné quelque chose... et nous réveiller après avec le cauchemar réel qu’on nous a fait avaler toutes les autres attaques avec la perspective d’autres supplémentaires.

Les plans que les syndicats ont considérés comme étant acceptables annoncent des coups très durs ! Le coup de massue des coupes budgétaires, nous le ressentirons à travers la baisse des emplois, les réajustements salariaux et de personnel dans les administrations publiques, dans le service détérioré des hôpitaux, celui des écoles, des transports... Le fer rouge de la réforme du travail, nous le ressentirons dans la généralisation des indemnités pour cause de licenciement qui vont être ramenées à 33 jours… et la voie est ouverte vers les 20 jours !2. Nous le ressentirons dans le fait que « la transformation des embauches à temps partiel en CDI » permet aux entreprises de nous faire travailler une journée complète avec le salaire d’une journée à temps partiel...

Et il y a un événement qu’on a fait passer comme une lettre à la poste, sans que personne ne rechigne : le décret-loi contre les contrôleurs aériens. D’abord, le gouvernement a lancé une campagne passablement dégueulasse de lynchage médiatique en présentant les contrôleurs comme des « privilégiés », qui vivraient comme des rois à ne rien foutre alors que leur travail est un des plus risqués et où la tension nerveuse est plus forte. À la suite de cette campagne, le décret-loi est un précédent dangereux qu’on utilisera sans le moindre doute contre d’autres secteurs.

 On a besoin de lutter, mais comment faire ?

 Peut-on lutter en nous laissant entraîner derrière les syndicats ? Définitivement, non ! Leurs « mobilisations » ce n’est que se foutre de notre gueule ou une sinistre plaisanterie, si on veut être un peu plus délicat. Ils font la même chose depuis 40 ans : ils signent des deux mains tout ce que le gouvernement et le patronat leur demande de signer et, après, de temps à autre, ils organisent une « journée de lutte » décaféinée, qui ne sert qu’à semer le découragement et la division chez les ouvriers.

Une des raisons du fait que les gens ne réagissent pas, c’est justement du fait de l’action des syndicats. Ils se proclament « représentants des travailleurs », mais avec leurs accords avec le patronat et le gouvernement, avec leurs coups bas, leurs appels-bidon à se mobiliser, ils découragent et rendent désabusés et sceptiques beaucoup d’ouvriers.

Une autre cause qui rend difficile la lutte ouvrière est l’idéologie même que cette société sécrète, une idéologie faite d’individualisme, d’atomisation, de concurrence, de chacun pour soi et de guerre de tous contre tous. Ces virus pénètrent dans nos têtes et dans nos cœurs, en nous refermant sur nous-mêmes, en rendant difficiles la solidarité et la camaraderie qui sont le seul acier pour forger nos armes.

Cet individualisme est fomenté par les méthodes syndicales qui nous font suivre de façon passive et individuelle leurs appels, au lieu de nous rassembler, de nous réunir, de discuter et décider ensemble. Cette atomisation est développée par l’idéologie de l’attentisme électoraliste, avec l’espoir que grâce au vote isolé et individuel puisse apparaître le leader charismatique qui promet des « solutions » et qui ne fait autre chose que mener des attaques encore plus dures. Les partis du capitalisme, autant ceux de gauche que ceux de droite, lorsqu’ils sont dans l’opposition disent ce qu’ils ne feront jamais et, quand ils sont au gouvernement, font ce qu’ils n’avaient jamais dit.

C’est pour tout cela que la lutte des ouvriers doit être organisée, contrôlée et dirigée par les ouvriers eux-mêmes. C’est ainsi que se sont déroulées les luttes qui, dans les années 1970-76, se sont résolument opposées aux attaques du gouvernement franquiste à l’époque où les travailleurs n’avaient « personne qui les défendait ». Et il en a été de même tout au long de l’histoire : les grandes luttes des travailleurs dans le monde ont été organisées par eux-mêmes dans des assemblées et, lors des situations révolutionnaires, en conseils ouvriers.

La Première Internationale affirmait que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Le Manifeste communiste mettait en avant que le mouvement ouvrier ne peut être que le mouvement indépendant de la grande majorité au bénéfice de la grande majorité.

 C’est seulement en prenant notre lutte en mains que nous pourrons nous défendre

 Les ouvriers qui prennent conscience de ces nécessités doivent se réunir, s’organiser, encourager les autres, impulser une lutte autonome de classe. Lors des manifestations convoquées par les syndicats, au lieu de suivre leurs consignes avec passivité, nous devons en profiter pour nouer des contacts, pour convoquer des assemblées générales où l’on puisse discuter de ce qui nous intéresse, de comment organiser notre défense.

La lutte ne passe pas par les convocations syndicales, mais par le fait que chaque fois qu’une lutte surgit, aussi petite soit-elle, on aille à la recherche de la solidarité et de l’extension de cette lutte aux autres travailleurs. Nous sommes tous touchés ! Ce serait une illusion de croire que, dans son secteur, dans son entreprise, dans sa corporation, on pourrait être à l’abri en nous protégeant de tout ce qui nous tombe dessus. Ce n’est qu’en brisant les prisons du secteur, de l’entreprise, de la région, de la race… que nous pourrons vraiment nous défendre. La solidarité et l’unité, voilà notre force.

Les travailleurs en Grèce ont commencé à protester contre les attaques qui leur tombent dessus. La solidarité avec eux pour résister aux mesures du « socialiste » Papandreou est une solidarité avec nous-mêmes, nous travailleurs en Espagne, parce que si le pouvoir arrive à imposer les mesures brutales prévues en Grèce, il se sentira encore plus fort et arrogant pour les imposer en Espagne. La solidarité internationale est notre force.

 Est-ce qu’on peut croire sérieusement qu’ils vont résoudre cette crise ?

 Peut-on vraiment croire que les sacrifices d’aujourd’hui vont permettre de faire un pas vers la prospérité demain ? Il suffit de regarder ce qui s’est passé depuis 40 ans : depuis 1967 le capitalisme s’enfonce de manière récurrente dans des crises de plus en plus graves dont les issues, toujours momentanées, ont signifié des sacrifices supplémentaires pour les travailleurs. Pour quel résultat ? Il y a 25 ans, plus de 90% des travailleurs étaient en CDI et aujourd’hui plus de 40% sont dans des emplois précaires. Pour les jeunes d’aujourd’hui, un travail en CDI leur paraît une chose sortie d’un musée ; il y a 25 ans, tous les travailleurs avaient une pension plus ou moins décente ; aujourd’hui, il est de plus en plus évident que les jeunes n’auront jamais de pension de retraite ; il y a 25 ans presque toutes les familles avaient un logement décent ; aujourd’hui, il y a de plus en plus de familles sans toit ou qui doivent s’entasser à plusieurs générations dans un même logement déjà exigu. Et cela n’arrive pas seulement à Haïti ou en Afrique, cela arrive à Londres, Madrid ou New York, au cœur même du monde dit « prospère » !

Le capitalisme n’a pas de solution à sa crise mortelle, ses mesures d’austérité ne débouchent que sur des mesures d’austérité supplémentaires. L’austérité ne produit que plus d’austérité, les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer ceux de demain.

En 2007, Zapatero avait dit « qu’il n’y avait pas de crise » ; en 2008, il a dit qu’il fallait supporter le chômage et les mesures de réajustement, parce qu’en 2009 on commencerait à voir des « bourgeons verts ». Aujourd’hui, en 2010, il y a bien plus de chômage et, en plus, on annonce un programme d’attaques sans précédent.

Il n’y a que la lutte, le développement de l’unité et de la solidarité en tant que travailleurs qui pourront nous ouvrir la voie vers une solution. Une solution qui sera celle que nous rechercherons à nous tous. Pour la simple raison que nous savons ce en quoi consistent les « solutions » des gouvernants et de ceux qui aspirent à le devenir : des promesses et des « sorties de crise » dans les discours et les campagnes électorales ; de la misère, du chômage et des coups bas dans la vie de tous les jours.

Accion proletaria, section du CCI en Espagne (19 février 2010)

 

1 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol peut se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !) avec tout ce que cela signifie d’aléatoire.

2 Actuellement, cette indemnisation est : 45 jours payés par année travaillée.

Géographique: 

  • Espagne [1]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [2]

Le CCI est de nouveau en ligne

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Nos lecteurs auront remarqué que notre site subit depuis plusieurs jours des pannes et des périodes de non disponibilité. Ceci est dû au fait que l'augmentation du traffic sur nos sites depuis plusieurs mois a fini par dépasser la capacité de notre serveur.

Nous sommes donc en train de transférer l'ensemble de nos sites sur un nouveau serveur ayant une capacité supérieure et de meilleures performances. Le travail de reconstruction des sites est toujours en cours, et nous contraindra de temps à autre à des arrêts pour en assurer la maintenance. Nous nous en excusons d'avance, et nous remercions les camarades pour leur patience !

Réunions Publiques à Marseille, Lyon et Grenoble : Harcèlements, pressions au travail : comment y résister ?

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Au cours des mois de janvier et février, le CCI a tenu, en France et en Allemagne, une série de Réunions Publiques (RP) sur le thème « Suicides au travail : Une seule réponse, la solidarité de la classe ouvrière ». Nous appelions à venir débattre avec le court texte suivant : 

« Ces derniers mois, un “fait divers” a été très largement relayé par tous les médias : la vague de suicides au travail, qui a touché notamment des salariés de France Telecom. La souffrance sur les lieux de production qui pousse certains travailleurs à ces actes individuels de désespoir n’est pas un phénomène nouveau. Il est apparu à la fin des années 1980, au moment même où la bourgeoisie déchaînait sa campagne sur la “faillite du communisme” et la “fin de la lutte de classe”.

Comment comprendre cette nouvelle manifestation de la décomposition du capitalisme ?

Face à la dégradation des conditions d’exploitation et au poison du “chacun pour soi”, comment réagir ?

Nous invitons tous nos lecteurs à venir débattre de ces questions à nos prochaines réunions publiques. »1

 L’article ci-dessous se propose de faire un court résumé des discussions qui ont eu lieu à Lyon, Marseille et Grenoble, discussions durant lesquelles de nombreux participants ont témoigné de leurs propres conditions de travail et de la souffrance grandissante éprouvée par leurs collègues ou leurs proches.

 La souffrance au travail ne fait que s’amplifier

Lors de ces réunions, la « souffrance au travail » a été présente non seulement comme un sujet théorique mais aussi et surtout comme une expérience réelle et vécue durement.

Deux questions centrales ont animé les discussions :

  • L’approfondissement de la crise économique va-t-il développer le chacun pour soi ou au contraire entraîner une plus grande unité et le développement de la solidarité ? Ainsi, pour une jeune étudiante, « Ce qui me fait peur, c’est le chacun pour soi dans la société avec l’augmentation de la crise économique. Il y a aussi l’augmentation de la concurrence. Malgré tout, je ne suis pas pessimiste car je pense qu’il faut changer cette société mais c’est comme un gouffre devant nous ».

  • Que faire, comment résister a cette pression croissante, qui conduit même certains d’entres nous au pire, à se suicider sur leur lieu de travail ?

 Les exemples de harcèlements sur les lieux de travail, donnés souvent avec beaucoup d’émotions, n’ont pas manqué. « Dans ma boite, il y a déjà eu plusieurs plans de restructuration. Nous subissons le harcèlement quotidiennement, beaucoup d’entre nous sont déprimés et pour le moment il n’y a pas de solidarité entre collègues. Actuellement, les gens sont comme paralysés mais je pense qu’avec le développement de la crise cela va forcer les gens à réagir ? » Il s’agit là d’un témoignage d’une jeune femme qui travaille depuis plusieurs années dans ce que l’on appelle le secteur de la « haute–technologie », soi-disant repaire de l’élite privilégiée des ingénieurs. En réalité, ces ouvriers aussi sont touchés par la crise ; ils subissent surtout une pression et des charges de travail insoutenables. Il n’est donc pas étonnant de voir la même idée de l’impact grandissant de la crise économique reprise par un jeune lycéen, futur prolétaire : « Je discute avec mes copains au lycée mais, pour le moment, ils ne sentent pas la crise. Pour eux, il y a encore un certain confort mais quand la misère va s’approfondir, eux-mêmes réagiront. »

Il a été aussi donné l’exemple des responsables de service qui subissent une pression terrible par leur patron et qui doivent la répercuter sur « leur » équipe, « Dans les entreprises publiques et malgré la différence qui existe entre les employés et les cadres, parfois des discussions s’instaurent entre nous, tellement il est manifeste qu’ils subissent aussi d’énormes pressions de la direction, ce qui se transforme souvent en dépression nerveuse. C’est l’exemple des suicides à France Télécom qui nous a fait comprendre cette réalité », c’est le témoignage d’une personne qui a su exprimer comment se développent des débuts de solidarité dans son service. Un des participants, qui a des copains à France Télécom, a ainsi expliqué la réalité « de la nouvelle méthode de management « Time to move » qui doit conduire tout le monde à bouger au bout de trois ans. Le chef a une prime de 3000 euros a chaque fois qu’il fait bouger quelqu’un. »

Est-il possible de revenir à des méthodes de management plus humaines ? Voilà ce que nous dit une étudiante d’une école de commerce : « Dans mon école, on nous parle de faire évoluer le management vers une ‘intelligence émotionnelle’, ce qui devrait permettre de recentrer l’humain, prendre en compte les capacités de chacun. » La réponse de la plupart des participants a été claire. Avec le développement de la crise économique, nous allons vers des méthodes de plus en plus brutales et nous savons tous que « les cellules psychologiques » mises en place par l’employeur sont comme un pansement sur une jambe de bois. Cette étudiante aimerait échapper quand elle travaillera au « métro, boulot, dodo » mais, là aussi, pas d’échappatoire et une autre jeune participante lui a répondu « Bien sûr, nous aurions tous envie de partir à la campagne élever des chèvres et lire Marx toute la journée mais il n’y a aucun moyen d’échapper individuellement au système capitaliste ; la population subit la société ».

Au cours de ces réunions, nous avons pu remarquer la présence de personnes avec de hauts niveaux d’études (médecins, ingénieurs) dont le discours ne déparerait pas avec celui d’ouvriers travaillant dans une usine ou dans certaines administrations. Car en réduisant leur niveau de vie et en subissant une dégradation de leurs conditions de travail, on assiste, à une vitesse accélérée, à la prolétarisation de ceux qui, il y a encore quelques années, pensaient être une « élite » n’appartenant en rien à la « classe ouvrière ».

Seule la solidarité, dans les bureaux, les usines, l’administration, etc., peut nous permettre de réagir

 Les participants ont affirmé clairement que seule la solidarité dans la lutte peut nous aider à sortir de l’isolement insupportable de chaque travailleur. Quelques pistes concrètes pour résister collectivement aux harcèlements et à la pression du capital ont été abordées : ne pas hésiter à réagir publiquement à des attitudes intolérables qu’elles soient adressées à nous ou à un autre collègue ; parler avec ses camarades de travail de ce qui nous arrive ; ne pas rester isolé dans son coin à subir seul les attaques…

La société capitaliste ne sait développer que la concurrence et le chacun pour soi, il faut y répondre par la solidarité, la confiance qui doit se développer entres ceux qui,, malgré de fausses apparences de diversité, subissent les mêmes détériorations de leurs conditions de travail.

Au cours de ces débats, le CCI a donné l’exemple de luttes d'ouvriers qui, au 19ème siècle, partaient spontanément devant l’attitude de harcèlement ou d’humiliations envers un de leur camarade. Depuis les années 2000, nous avons aussi vu des exemples de solidarité lors de certaines luttes, au moment du mouvement contre le CPE en 2006, à Vigo (en Espagne) en 2006 et aujourd’hui en ce début 2010, en Egypte, en Angleterre (lire à ces sujets nos différents articles sur les luttes à travers le monde de ces dernières années sur notre site Web). C’est bien dans ce sens qu’il faut aller.. Un intervenant a souligné qu’il a été particulièrement impressionné par les AG qui ont eu lieu à Caterpillar où tous les ouvriers étaient présents.

A l’intervention d’une personne syndicaliste qui a affirmé que « par rapport au manque de solidarité, les syndicats ont un grand rôle à jouer. Ils interviennent dans l’entreprise pour créer le lien social, c’est comme cela que l’on peut obtenir quelque chose. », les participants ont répondu en insistant sur le fait que ce sont les ouvriers eux-mêmes qui doivent prendre confiance et réagir spontanément avec les autres personnes dans l’atelier, le bureau, l’école, l’hôpital etc., qu’ils n’avaient pas besoin de soi-disant spécialistes de la lutte. Une autre jeune femme est intervenue pour dire : «Même si  le ‘droit du travail ‘a été mis en place surtout après la Deuxième Guerre mondialel pour remettre la classe ouvrière au travail, ne devons-nous pas chercher à le conserver ? » Là aussi, ce sont les autres participants qui lui ont répondu. C’est une illusion de croire cela alors que la bourgeoisie et ses gouvernements travaillent depuis longtemps à vider le contenu des droits de celui qui travaille. Les prud’hommes, de plus en plus réduits à la portion congrue, ne sont pas les lieux les plus appropriés de défense de la classe ouvrière qui doit développer sa lutte unitairement et au grand jour (même si ponctuellement un travailleur peut tout à fait avoir recours aux prud’hommes). C’est aussi une question que se posait un jeune travailleur : « j’aime mon boulot mais il y a des aspects qui me dégoûtent comme la mise sous pression permanente.. Contrairement à ce que me dit ma grand mère qui me décrit une certaine humanité entre les travailleurs lorsqu’elle était en activité, aujourd’hui on voudrait surtout que l’on pense comme l’entreprise ».

Nous avons aussi dans la discussion montré que si une personne se suicide au travail, cela a un sens particulier, cela n’a pas la même signification que de se suicider chez soi. Elle exprime de la façon la plus radicale son refus des conditions de travail imposées. Le fait de « passer à l’acte » de plus en plus sur le lieu de travail est à lier à la détérioration de l’ensemble de la société. Pour un participant « Même si nous ne pouvons pas tirer une leçon particulière lorsque les gens se suicident au travail cela marque le déboussolement général de cette société ».

 Pour conclure ces débats, comme à notre habitude, nous avons demandé aux camarades s’ils veulaient intervenir une dernière fois pour donner leur avis sur la réunion. La sérénité du débat et parfois son aspect émotionnel a été salué par les participants. Surtout, la nécessité d’aller dans le sens d’une réponse unie et solidaire était très largement partagée. La force de la classe ouvrière réside dans sa capacité à mener des luttes de plus en plus massives, en prenant peu à peu conscience de ce qu'elle est capable collectivement de construire : un monde sans exploitation, sans concurrence, sans harcèlement… le communisme !

 CCI (12 février)

 

1 Nous avons développé notre analyse de ce « phénomène de société », comme disent les journalistes, dans un long article publié dans notre journal du mois de février. Cet article est disponible sur notre site web.

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [3]

Sur la situation au sud du Chili

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Nous avons reçu sur notre site en espagnol le 3 mars 2010, un commentaire relatif à la situation des habitants des quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération de Concepción, à la suite du séisme de fin février. Contrairement à la propagande des médias à l’échelle internationale qui ont dénigré le comportement des populations locales en les désignant comme les auteurs de « scandaleux pillages », ce texte restitue la réalité des faits en mettant en avant l’esprit authentiquement prolétarien de solidarité et d’entraide qui a animé les ouvriers dans la redistribution des biens, tout en l’opposant à l’action prédatrice des gangs armés contre lesquels la population ouvrière a tenté de prendre en charge et d’organiser sa propre défense.

 

L’auto-organisation des prolétaires face à la catastrophe,
aux lumpen-capitalistes et à l’incompétente/incapacité de l’État
"

(De la part d’un camarade anonyme)

 Il serait souhaitable que dans la mesure où vous [le CCI] avez ce moyen de diffusion [notre site Internet], vous rendiez compte de ce qui est en train de se passer à Concepción et ses environs1, ainsi que dans d’autres régions du Chili qui viennent d’être lourdement touchées par le séisme. On sait que dès les premiers instants, les gens ont mis en pratique le bon sens le plus évident en se rendant aux magasins de denrées alimentaires pour y prendre tout ce dont ils avaient besoin. Ceci est si logique, si rationnel, si nécessaire et inévitable qu’il apparaît comme quelque peu absurde d’en faire la critique. Les gens ont créé une organisation spontanée (surtout à Concepción) pour distribuer le lait, les couches pour bébé et l’eau, en fonction des besoins de chacun, en tenant compte, entre autre, du nombre d’enfants par famille. Le besoin de prendre les produits disponibles apparaissait si évidente, et si puissante la détermination du peuple à mettre en pratique son droit à survivre, que même les policiers finirent par aider les gens à sortir les vivres du supermarché Leader à Concepción, par exemple. Et quand on a essayé d’empêcher que les gens fassent la seule chose raisonnable, les installations en question furent simplement incendiées, pour la simple et logique raison qui fait que si des tonnes de denrées alimentaires vont finir par pourrir au lieu d’être logiquement consommées, il vaut mieux que ces aliments soient brûlés, évitant ainsi le danger des foyers supplémentaires d’infection. Ces « pillages » ont permis à des milliers de personnes de subsister pendant quelque temps, dans le noir, sans eau potable et sans le moindre espoir qu’un quelconque secours arrive.

Or, au bout de quelques heures, la situation a changé du tout au tout. Sur toute l’agglomération du Grand Concepción des bandes bien armées et roulant dans des véhicules de bonne qualité, ont commencé à mettre à sac non seulement les petits commerces, mais aussi les logements particulières et des pâtées de maison entiers. Leur objectif est de s’accaparer le peu de biens que les gens auraient pu récupérer dans les supermarchés, ainsi que les outils domestiques, l’argent ou tout ce que ces bandes peuvent trouver. Dans certaines zones de Concepción, ces bandes ont saccagé les maisons, elles y ont mis le feu, prenant la fuite aussitôt après. Les habitants, qui se sont trouvés au début sans la moindre défense, ont commencé à s’organiser pour pourvoir se défendre, en faisant des rondes de surveillance, en levant des barricades pour protéger les accès aux quartiers, et dans quelques quartiers en mettant en commun les vivres pour assurer l’alimentation de tous les habitants.

Avec ce bref rappel des faits survenus ces jours derniers, je ne prétends pas « compléter » les informations fournies par d’autres moyens. Je ne voudrais qu’attirer l’attention sur tout ce que cette situation critique contient d’un point de vue anticapitaliste. L’élan spontané des gens pour s’approprier de tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, leur tendance au dialogue, au partage, à chercher des accords et à agir ensemble, a été présent depuis le début de cette catastrophe. Nous avons tous pu voir dans notre entourage cette tendance communautaire naturelle sous différentes formes. Au milieu de l’horreur vécu par des milliers de travailleurs et leurs familles, cet élan pour la vie en commun a surgi comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres, nous rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir nous mêmes.

Face à cette tendance organique, naturelle, communiste, qui a animé le peuple pendant ces heures d’épouvante, l’État a blêmi et s’est montré pour ce qu’il est : un monstre froid et impuissant. De même, l’interruption brutale du cycle démentiel de production et de consommation, a laissé le patronat à la merci des événements, à attendre, tapi, que l’ordre soit rétabli. C’est ainsi que la situation a ouvert une vraie brèche dans la société, par laquelle pourraient sourdre les sources d’un monde nouveau qui est déjà dans les cœurs des gens du commun. Il devenait donc urgent et nécessaire de rétablir à tout prix le vieil ordre de la rapine, de l’abus et de l’accaparement. Mais ça a été fait non pas à partir des hautes sphères, mais à partir du sol même de la société de classe : ceux qui se sont chargés de remettre les choses à leur place, autrement dit, d’imposer par la force les rapports de terreur qui permettent l’existence de l’appropriation privée capitaliste, ont été les mafias des narcotrafiquants enkystées dans les quartiers populaires, des arrivistes entre les plus arrivistes, des enfants de la classe ouvrière alliés avec des bourgeois au prix de l’empoisonnement de leurs frères, du commerce sexuel de leurs sœurs, de l’avidité consommatrice de leurs propres enfants. Des maffieux, autrement dit des capitalistes à l’état pur, des prédateurs du peuple, bien calés dans leurs 4x4 et armés de fusils, disposés à intimider et à dépouiller leurs propres voisins ou les habitants d’autres quartiers pour essayer de monopoliser le marché noir et obtenir de l’argent facile, autrement dit : du pouvoir. Le fait que ces individus sont des alliés naturels de l’État et de la classe patronale, est démontré par le fait que leurs méfaits indignes sont utilisées par les media pour faire pénétrer la panique dans les têtes d’une population déjà démoralisée, justifiant ainsi la militarisation du pays. Quel autre scénario pourrait être plus propice à nos maîtres politiques et patronaux, qui ne voient dans cette crise catastrophique rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de juteuses affaires et des profits redoublés en pressant une force de travail dominée par la peur et le désespoir ?

De la part des adversaires de cet ordre social, c’est un non-sens que de chanter de louanges aux pillages sans préciser le contenu social de telles actions. Ce n’est pas du tout la même chose une masse de gens plus ou moins organisée, mais du moins avec un objectif commun, qui prend et distribue des produits de première nécessité pour survivre... et des bandes armées qui dévalisent la population pour s’enrichir. Le séisme de samedi 27 n’a pas seulement frappé très durement la classe ouvrière et a détruit les infrastructures existantes. Mais il a aussi sérieusement bouleversé les rapports sociaux dans ce pays. En quelques heures, la lutte de classe a surgi avec toute sa force devant nos yeux, trop habitués peut-être aux images de la télévision pour pouvoir bien saisir l’essentiel des événements. La lutte de classe est ici, dans nos quartiers devenus des ruines dans la pénombre, crépitant et crissant sous nos pas, sur le sol même de la société, où s’affrontent dans un choc mortel deux types d’êtres humains qui se retrouvent enfin face à face : d’un coté, les femmes et les hommes à l’esprit collectif qui se cherchent pour s’entraider et partager ; de l’autre les antisociaux qui les pillent et leur tirent dessus pour ainsi commencer leur propre accumulation primitive de capital. Ici, c’est nous, les êtres invisibles et anonymes de toujours, pris dans nos vies d’exploités, de nos voisins et de nos parents, mais disposés à établir des liens avec tous ceux qui partagent la même dépossession. Là bas, c’est eux, peu nombreux mais disposés à nous dépouiller par la force le peu ou le presque rien que nous pouvons nous partager. D’un coté le prolétariat, de l’autre, le capital. C’est aussi simple. Dans beaucoup de quartiers de ce territoire dévasté, à ces heures-ci du petit matin, les gens commencent à organiser leur défense face à ces hordes armées. À cette heure a commencé à prendre une forme matérielle la conscience de classe de ceux qui se sont vus obligés, brutalement et en un clin d’œil, à comprendre que leurs vies les appartiennent et que personne ne leur viendra en aide.

Message reçu le 3 mars 2010.

 

1 Le séisme a eu lieu le 27 février 2010 en pleine nuit, avec une magnitude de 8,8. Il provoqua la mort de près de 500 personnes, mais le tsunami qui l’a suivi en rajouta encore plus de morts. Il a touché beaucoup de villes chiliennes, dont la capitale, Santiago. Mais c’est dans la deuxième agglomération du pays, celle de Concepción (900 000 hab. pour l’agglomération), que les morts et les dégâts ont été les plus graves [NdT].

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [4]

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [5]

Une grande perte pour le CCI : le décès de notre camarade Jerry Grevin

  • 1727 lectures

C’est avec la plus grande tristesse que nous devons informer nos lecteurs du décès de notre camarade Jerry Grevin (qui publiait également sous les initiales JG) aux Etats-Unis. Il a été pris d’une attaque cardiaque dans l’après-midi du jeudi 11 février et est décédé immédiatement. Pour tous les camarades, cela constitue un choc terrible et spécialement pour nos camarades américains qui travaillait avec lui quotidiennement.

De nombreux camarades ont connu Jerry depuis plus de trente ans et connaissaient son engagement et son dévouement à la cause du communisme qui commencèrent dans sa jeunesse avec sa participation très active au mouvement contre la guerre du Vietnam, avant de rejoindre le CCI dans les années 1970. Dans le CCI, le camarade a été au cœur de la vie de la section américaine, y compris pendant la difficile période que notre organisation a traversée dans les années 1990, et il a constitué une force dynamique et enthousiaste dans le récent développement de nos contacts aux Etats-Unis. Tous les camarades qui connaissaient Jerry se souviennent de sa joie de vivre et de son sens de l’humour devant les difficultés qu’amène inévitablement la vie. La perte du camarade Jerry n’est pas seulement une perte pour la section américaine, c’est une perte terrible pour tout le CCI et pour notre classe.

Nous publierons prochainement dans notre presse un texte plus long en hommage au camarade. Nous voulons en même temps faire part de notre solidarité aux camarades de Jerry, à sa famille et à ses amis, et de notre détermination à continuer le travail révolutionnaire dans lequel il croyait si passionnément.

Géographique: 

  • Etats-Unis [6]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/icconline-mars-2010

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/41/espagne [2] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe [3] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques [4] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs [5] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud [6] https://fr.internationalism.org/tag/5/50/etats-unis