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ICCOnline - janvier 2010

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Séïsme en Haïti : Les Etats capitalistes sont tous des charognards

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Assassins Le capitalisme, ses Etats, sa bourgeoisie, ne sont rien d’autres que des assassins. Des dizaines de milliers de personnes viennent de mourir de par la faute de ce système inhumain.

Mardi, à 16h53, heure locale, un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter a ravagé Haïti. La capitale Port-au-Prince, bidonville tentaculaire comptant près de deux millions d’habitants, a été purement et simplement rasée. Le bilan est terrible. Et il s’alourdit encore d’heure en heure. Quatre jours après la catastrophe, en ce vendredi 15 janvier, la Croix-Rouge dénombre déjà de 40 000 à 50 000 morts et «une quantité énorme de blessés graves». D’après cette association caritative française, au moins trois millions de personnes ont été touchées directement par le tremblement de terre . En quelques secondes, 200 000 familles ont perdu leur «maison», souvent faites de bric et de broc. Les grands bâtiments se sont aussi effondrés comme des châteaux de cartes. Les routes, déjà délabrées, l’aéroport, les vieilles lignes de chemin de fer,… rien n’a résisté.

La raison de ce carnage est révoltante. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde, 75 % des habitants y survivent avec moins de 2 dollars par jour et 56 % avec moins de 1 dollar ! Sur ce bout d’île frappé du sceau de la misère, rien, évidemment, n’a été construit pour faire face aux tremblements de terre. Pourtant, Haïti est une zone sismique connue. Tous ceux qui prétendent aujourd’hui que cette secousse a été d’une violence exceptionnelle et imprévisible mentent. Le professeur Eric Calais, lors d'un cours de géologie donné dans ce pays en 2002, affirmait ainsi que l'île est traversée par « des failles capables de magnitudes 7.5 à 8 » . Les autorités politiques d'Haïti étaient elles aussi officiellement informées de ce risque comme le prouve cet extrait tiré du site du Bureau des Mines et de l’Energie (qui dépend du ministère des travaux publics) : « chacun des siècles passés a été marqué par au moins un séisme majeur en Hispaniola (Nom espagnol de cette île séparée aujourd’hui en deux pays, Haïti et la République Dominicaine, NDLR) : destruction de Port au Prince en 1751 et 1771, destruction de Cap Haïtien en 1842, séismes de 1887 et 1904 dans le nord du pays avec dégâts majeurs à Port de Paix et Cap Haïtien, séisme de 1946 dans le nord-est de la République Dominicaine accompagné d’un tsunami dans la région de Nagua. Il y a eu des séismes majeurs en Haïti, il y aura donc des séismes majeurs dans le futur à l’échelle de quelques dizaines ou de la centaine d’années : c’est une évidence scientifique. » (souligné par nous). Et alors, face à cette «évidence scientifique», quelles ont été les mesures prises ? Aucune ! En mars 2008 encore, un groupe de géologues avait alerté sur un risque majeur de séisme de grande amplitude dans les deux ans à venir et certains scientifiques avaient même tenu une série de réunions en mai de la même année à ce sujet avec le gouvernement haïtien . Ni l’Etat haïtien, ni tous les Etats qui aujourd’hui versent des larmes de crocodiles et lancent des appels à la « solidarité internationale », Etats-Unis et France en tête, n’ont pris la moindre mesure préventive pour éviter ce drame prévisible. Les bâtiments construits dans ce pays sont si fragiles qu’ils n’ont d’ailleurs même pas besoin d’un séisme pour s’effondrer : « en 2008, déjà, une école de Pétionville avait enseveli, sans aucune raison géologique, près de 90 enfants » .

Maintenant qu’il est trop tard, Obama et Sarkozy peuvent bien annoncer une «grande conférence internationale» pour «la reconstruction et le développement», les Etats chinois, anglais,,allemand ou espagnol peuvent bien envoyer tous leurs colis et leurs ONG, ils n’en resteront pas moins des criminels aux mains couvertes de sang.

Si Haïti est aujourd’hui si pauvre, si sa population est dénuée de tout, si les infrastructures sont inexistantes, c’est que depuis plus de 200 ans, la bourgeoisie locale et les grandes bourgeoisies espagnole, française et américaine se disputent les ressources et le contrôle de ce petit bout de terre. A travers son quotidien The Guardian, la bourgeoisie britannique ne manque d’ailleurs pas d’épingler la responsabilité criante de ses rivaux impérialistes : « Cette noble "communauté internationale" que l’on voit aujourd’hui se bousculer pour apporter son “aide humanitaire” à Haïti est en grande partie responsable des maux terribles qu’elle s’efforce aujourd’hui d’atténuer. Depuis le jour où, en 1915, les Etats-Unis ont envahi et occupé le pays, tous les efforts […] ont été violemment et délibérément sabotés par le gouvernement américain et ses alliés. Le propre gouvernement d’Aristide […] en a été la dernière victime, renversé en 2004 par un coup d’Etat bénéficiant d’un soutien international, au cours duquel plusieurs milliers de personne ont perdu la vie […] A vrai dire, depuis le putsch de 2004, c’est la communauté internationale qui gouverne Haïti. Ces pays qui se précipitent maintenant à son chevet ont pourtant systématiquement voté, ces cinq dernières années, contre toute extension du mandat de la mission de l’ONU au-delà de sa vocation principalement militaire. Les projets qui prévoyaient d’utiliser une fraction de cet “investissement” afin de réduire la misère ou favoriser le développement de l’agriculture se sont trouvés bloqués, conformément aux tendances à long terme qui continuent de présider à la distribution de “l’aide” internationale. »

Et il ne s’agit là que d’une toute petite partie de la vérité. Les Etats-Unis et la France se battent pour le contrôle de cette île à coup de putsch, de manœuvres et de corruption de la bourgeoisie locale depuis des décennies, favorisant ainsi le développement de la misère, de la violence et de milices armées terrorisant en permanence hommes, femmes et enfants !

Le cirque médiatique actuel autour de la « solidarité internationale » est donc insupportable et répugnant. C’est à l’Etat qui fera la plus grande publicité autour de «ses» ONG, autour de «ses» colis. C’est à celui qui fera la plus belle image des vies que « ses » sauveteurs auront extirpé des gravats. Pire encore, sur les décombres et les cadavres, la France et les Etats-Unis continuent de se livrer une guerre d’influence sans merci. Au nom de l’humanitaire, ils envoient sur zone leur flotte militaire et essayent de prendre le contrôle des opérations prétextant la « nécessité d’une coordination des secours par un chef d’orchestre ».

Comme à chaque catastrophe, toutes les déclarations d’aide sur le long terme, toutes les promesses de reconstruction et de développement, resteront sans lendemain. Depuis dix ans, suite à des tremblements de terre, il y a eu :

  • 15 000 morts en Turquie, en 1999.

  • 14 000 morts en Inde, en 2001.

  • 26 200 morts en Iran, en 2003.

  • 210 000 morts en Indonésie en 2004 (le séisme sous-marin avait engendré un gigantesque Tsunami qui avait fait des victimes jusque sur les côtes africaines).

  • 88 000 morts au Pakistan, en 2005.

  • 70 000 morts en Chine, en 2008.

Chaque fois, la « communauté internationale » s’est émue et a envoyé de misérable secours ; mais jamais de véritables investissements n’ont été réalisés pour améliorer durablement la situation, en construisant des bâtiments antisismiques par exemple. L’aide humanitaire, le soutien réel aux victimes, la prévention ne sont pas des activités rentables pour le capitalisme. L’aide humanitaire, quand elle existe, ne sert qu’à dresser un rideau de fumée idéologique pour faire croire que ce système d’exploitation peut être humain, quand elle ne constitue pas directement un alibi pour justifier l’envoi de forces militaires et gagner de l’influence dans une région du monde.

Un seul fait révèle toute l’hypocrisie bourgeoise de l’humanitaire et de la solidarité internationale des Etats : le ministre français de l’immigration, Eric Besson, vient de décréter qu’il suspendait « momentanément » les reconduites de personnes en situation irrégulière vers Haïti ! Tout est dit.

L’horreur qui frappe la population vivant en Haïti ne peut que soulever un immense sentiment de tristesse. La classe ouvrière va, comme lors de chaque hécatombe, réagir en répondant présent aux différents appels aux dons. Elle montrera une nouvelle fois par-là que son cœur bat pour l’humanité, que sa solidarité ne connaît pas les frontières.

Mais surtout, une telle horreur doit nourrir sa colère et sa combativité. Les véritables responsables des 50 000 morts ou davantage en Haïti ne sont pas la nature ou la fatalité mais le capitalisme et ses Etats, qui sont autant de charognards impérialistes.

Pawel, (15 janvier 2010)

Sur le site de Libération (quotidien français), https://www.liberation.fr/monde/0101613901-pres-de-50-000-morts-en-haiti... [1]

Sur le blog « sciences » de Libération (https://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/01/s%C3%A9isme-en-ha%C3%A... [2]).

https://www.bme.gouv.ht/alea%20sismique/Al%E9a%20et%20risque%20sismique%... [3]

Voir article en espagnol Científicos alertaron en 2008 sobre peligro de terremoto en Haití sur le site Yahoomexico (Assiociated Press du 15/01/2010)

Sur le site de Courrier International (https://www.courrierinternational.com/article/2010/01/14/requiem-pour-po... [4]).

Sur le site de PressEurop (https://www.presseurop.eu/fr/content/article/169931-bien-plus-quune-cata... [5]).

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [6]

Une autre expression de solidarité avec les travailleurs de "Luz y Fuerza del Centro" au Mexique

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Nous publions ci-dessous une lettre du Noyau de discussion internationaliste de l’Équateur, qui est un témoignage de solidarité avec les travailleurs de « Luz y Fuerza del Centro » du Mexique. Cette lettre fait suite à deux autres messages de solidarité envoyés par deux groupes du Pérou (voir : https://fr.internationalism.org/icconline/2009/solidarite_avec_les_travailleurs_de_luz_y_fuerza_del_centro_au_mexique.html [7])

 Lettre aux camarades de « Luz y Fuerza del Centro » du Mexique

 Chers camarades,

Un peu plus d’un mois s’est passé depuis que, dans la nuit du 10 octobre, la bourgeoisie mexicaine, grâce à son bras armé que sont ses forces de sécurité de l’État capitaliste et avec l’aide de ses agents au sein du mouvement prolétarien, déguisés en syndicats de toutes couleurs, a commis une de ces actions qui lui sont propres : malmener, piétiner et affaiblir la force de ce mouvement à coups de bâton, avec parfois des charges à cheval sabre au clair, usant de la ruse dans les négociations et les allers et retours des « fervents » et si « sacrifiés » dirigeants syndicaux, qui cachent cacher leurs intentions réelles avec des mensonges par tonnes : pour défendre les intérêts de leurs maîtres.

Le prolétariat a vécu des événements comme celui du 10 octobre au Mexique depuis toujours, depuis qu’il a commencé à se lever contre l’avidité du profit, contre l’extraction de valeur de la part de la bourgeoisie ; rappelons-nous le « Dimanche sanglant » du 9 janvier 1905 dans les rues de Saint-Petersbourg, dans la Russie tsariste, qui fut le signe avant coureur de l’Octobre rouge de 1917 ; en Equateur aussi, au siècle dernier, le 15 Novembre 1922, des centaines d’ouvriers qui protestaient pour obtenir des améliorations de leurs conditions de vie furent abattus à coups de sabre et jetés au fleuve Guayas qui débouche sur le port de Guayaquil ; et plus près de notre époque, en 1979, le massacre des travailleurs agricoles du sucre de l’entreprise sucrière Aztra, dans la province du Cañar, où plus de deux cents ouvriers furent jetés dans des canaux où ils furent mitraillés par les force de l’ordre : c’est d’ailleurs ainsi que la « démocratie » a débuté, une autre manière de domination de la bourgeoisie.

Si on regarde attentivement l’histoire de la lutte de classe et si on note tous les combats que la classe a menés depuis des siècles, la liste serait aussi grande qu’est grande la nécessité pour l’humanité d’atteindre des jours meilleurs. Mais cela ne servirait à rien si on ne faisait que se souvenir et se lamenter de tels événements ; on ne pourrait pas en tirer grand-chose. En agissant ainsi, on ne ferait pas mieux que les syndicalistes, les partis de gauche du capital ou ces gauchistes de toute engeance qui aiment tant les commémorations pompeuses de telle ou telle date significative des luttes de la classe ouvrière. Ces agents idéologiques ou institutionnels du capital ne connaissent en rien l’essence du marxisme, ils ne sont en rien intéressés à tirer des leçons de ces luttes ; pour eux, le marxisme ce n’est que des phrases vides, des slogans bons à être répétés dans les discours, pour eux le marxisme n’est qu’un ornement idéologique. Nous, par contre, nous devons faire ressortir les malheurs, nous devons regarder les faits en face, sans fard, nus, pour ainsi comprendre et assimiler ce qu’ils nous laissent comme enseignement. Nous devons être courageux face à l’adversité et puiser avec ténacité dans la réflexion, favoriser le débat et l’éclaircissement avec ceux qui luttent, avec les camarades qui se sont affrontés aux expéditions punitives, avec ceux qui ont perdu leur poste de travail, avec les travailleurs d’autres lieux, d’autres entreprises, d’autres villes et d’autres pays.

Frères prolétariens, vous n’êtes pas seuls. Ici aussi [en Equateur], au mois de septembre, nous avons vécu des moments de protestation similaires au niveau national pour les mêmes raisons : défense des salaires, des postes de travail, d’une vie digne, des indemnisations justes, etc.; mais ces syndicalistes, transfuges de profession, ont adroitement amené les travailleurs vers les chemins du parlement, des lois, des avocats, etc..; les problèmes sont les mêmes ; il faut sauter par-dessus le mur que la bourgeoisie a construit devant nous : le syndicat, les partis de la gauche du capital et les gauchistes, le parlement, les gouvernements, les nations.

Camarades, permettez-nous de vous dire que nous sommes de tout cœur avec vous, pleinement solidaires. Nous voulons approfondir la réflexion sur tous les éléments théoriques et pratiques que nous a légués la lutte de la classe ouvrière dans le monde entier. Nous pensons que, de cette manière, en comprenant votre souffrance à la lumière de la lutte de classe, nous pourrons transmettre les enseignements tirés à nos camarades prolétariens de cette partie de la planète. Nous sommes loin de vous, camarades, mais nous voulons vous dire de ne pas vous décourager. Le futur vous appartient, même si le chemin est plein d’embûches, mais, ensemble et solidaires, au feu de la lutte de classe, nous en sortirons victorieux et c’est l’humanité tout entière qui en sortira victorieuse. En reprenant le Manifeste communiste élaboré par Marx et Engels à la demande des leurs camarades de la Ligue des communistes en novembre 1847, « Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. »

En ce sens, nous sommes convaincus que seul le débat, la réflexion et l’éclaircissement feront en sorte de concentrer la force suffisante pour faire effondrer les murs que les forces de la bourgeoisie érigent devant nous pour ainsi pouvoir construire nous, pour l’humanité toute entière, une société humaine, le communisme.

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

NDIE (Núcleo de Discusión Internacionalista de Ecuador, noyau de discussion internationaliste de l’Equateur)

Guayaquil, Novembre 2009 

Géographique: 

  • Mexique [8]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [9]

Hommage au camarade Robert du GPR

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Le Groupe Révolution Prolétarienne (GPR) d'Autriche nous demande de publier la nécrologie de leur camarade Robert, décédé le 7 décembre dernier. Le CCI a appris avec la plus grande consternation le décès soudain de Robert. Nous voulons ici exprimer à ses proches, et en particulier à sa compagne, notre plus profonde solidarité.

Avec le décès de Robert, le CCI perd également un ami proche de longue date. Grâce à son ouverture, sa volonté de clarification politique et sa grande patience, il a joué un rôle important dans l’apparition d'un pôle de camarades qui, à la fin des années 1980 dans la zone de langue allemande, se sont rapprochés des positions de la Gauche Communiste. Particulièrement en Suisse, où une section du CCI naquit ultérieurement de ce processus.

Robert n'a pas emprunté la même voie. Cependant Robert, et les autres camarades du GPR, sont restés vis-à-vis du CCI de tout proches compagnons et amis politiques dans lesquels nous avons la plus pleine confiance.

L’une des plus grandes qualités de Robert était sa conduite solidaire et son attitude conséquente contre tout esprit de concurrence entre les différentes organisations de la Gauche Communiste.

Le CCI regrette Robert.


Notre camarade Ro a tragiquement quitté la vie dans la nuit du 6 au 7 décembre 2009. Il était l‘un des membres fondateurs du groupe, qui s’appelait alors en 1983 Groupe des Communistes Internationalistes (Gruppe Internationalistische Kommunisten / GIK) et qui poursuivait la tradition politique et théorique du Groupe Autonome Politique Communiste (Autonome Gruppe Kommunistische Politik / AGKP) qui a pris fin par son autodissolution. Ses membres fondateurs convergeaient sur le fait que l’acquis politique et théorique de l’AGKP avait été de s’extraire du chaos de l’extrême gauche capitaliste du mouvement de 68 finissant et de s’être doté de positions politiques communistes de gauche. Le matériel théorique-politique de la Gauche Communiste apparaissait aux membres fondateurs comme la seule orientation politique possible  pour qui veut se placer sur le terrain de classe politique du prolétariat, concourir à en faire progresser la cause et  le développement de son autonomie politique et organisationnelle comme condition de ses futurs triomphes. Seul le courant de la gauche communiste a réussi à résister  politiquement à l’horrible contre-révolution qui s’est exprimée par le contrôle politique presque complet sur la classe ouvrière par la social-démocratie, le stalinisme, le maoïsme et le courant principal du trotskisme, pour nous transmettre les enseignements politiques tirés de cette contre-révolution gigantesque.  Ro et ses camarades de combat se sentaient investis de la responsabilité de veiller à défendre face à la classe ouvrière en Autriche la théorie révolutionnaire défendue en première place contre la contre-révolution stalinienne par les Communistes de Gauche et à offrir, à la mesure de leurs moyens, aux travailleuses et aux travailleurs la possibilité de renouer avec leur tradition révolutionnaire.

Comme nous provenions tous du cercle de sympathisants de l’AGKP, il nous incombait la tâche de nous approprier de façon critique et sur la base d’un examen approfondi l’ensemble du matériel théorique de l’AGKP et, pour autant qu’il nous ait semblé insuffisant, de le développer par l'étude des leçons tirées par la Gauche Communiste, afin de mettre le groupe sur des bases politiques aussi solides que possible. Comme dans les années quatre-vingts des attaques massives contre la classe ouvrière eurent lieu avec la restructuration de l'industrie (mot d’ordre VÖST), le groupe s'est trouvé confronté à la tâche de soutenir par une intervention politique au  moyen de tracts,  etc. les luttes des travailleuses et des travailleurs bourgeonnant çà et là. Le difficile travail théorique, les discussions avec le milieu révolutionnaire, les positions politiques graduellement mûries pour leur formulation dans une plate-forme propulsèrent le camarade Ro au premier rang. Le GIK, qui suite à un changement de nom ultérieur s’appelle aujourd'hui Groupe Prolétarien Révolution,  est redevable à la méticulosité de Ro pour s’interroger, s'informer, analyser et à sa recherche rigoureuse de la clarté, du fait qu’il possède une plate-forme cohérente (que nous nommons lignes directrices) reposant clairement sur les acquis du marxisme et des expériences historiques de la lutte des classes et de son analyse. Ro laisse derrière lui dans un état de solidité théorique le GPR qu'il a marqué de façon prépondérante par son infatigable engagement et dont il a élaboré de manière décisive les outils politiques. La perte que représente la mort de Ro est immense. Le groupe perd l’un de ses camarades les plus passionnés, qui, par son jugement politique éprouvé, sa perspicacité politique, son expérience politique, ses analyses et l’examen infatigables des événements politiques ont enrichi le groupe et son travail politique. Nous espérions tous son retour une fois surmontée la maladie et nous nous réjouissions du recouvrement de sa présence intellectuelle. Nous regrettons la perte du camarade Ro lourde de conséquences pour notre pratique politique.

Nous sollicitons les groupes du milieu révolutionnaire de la classe ouvrière pour partager avec nous le deuil du départ du camarade Ro et pour nous soutenir solidairement dans la poursuite de notre travail politique en vue de l’émancipation, sans doute encore lointaine, de la classe ouvrière de l’ exploitation économique et du joug politique de la bourgeoisie. Nous les en remercions.

GPR.

Vie du CCI: 

  • Correspondance avec d'autres groupes [10]

Géographique: 

  • Autriche [11]

Journées de discussion à Lille (II) :Darwin : les instincts sociaux, la morale, la nature humaine

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Pour faire suite à notre précédent article [12] sur les journées de discussion que le CCI a organisées à Lille en octobre dernier, nous abordons maintenant la première session de ce week-end consacré à Darwin et à la nature humaine, en publiant l'introduction et le compte-rendu synthétique de la discussion qui l'a suivie.

Nous rappelons que ces deux textes ont été produits par des participants à la réunion, ce qui nous donne l'occasion de saluer leur contribution et leur engagement actif dans la réussite de ces rencontres. Hormis certains détails, nous sommes globalement en accord avec ces textes et quoiqu'il en soit, ce qui importe avant tout est leur capacité à refléter la richesse d'une discussion qui a permis à chaque participant, qu'il soit intervenu ou non, d'y trouver matière à réfléchir et à approfondir sa conception de la nature humaine. Car ce qui peut apparaître dans un premier temps comme étant une question scientifique éloignée des besoins de la lutte de classe, est en fait un élément essentiel pour fonder la nécessité et la possibilité d'une société communiste. C'est en effet en comprenant mieux la nature humaine, l'existence d'instincts sociaux et leur rôle dans le développement de la civilisation, que l'on peut mieux définir en quoi le capitalisme constitue intrinsèquement une entrave au progrès de l'espèce humaine et le communisme le cadre indispensable de son émancipation.

CCI

Présentation du thème par la camarade N.

L’année 2009 a été l’année Darwin : anniversaire de sa naissance il y a 200 ans en 1809, et anniversaire de son livre le plus connu De l’origine des espèces écrit il y a 150 ans en 1859. Beaucoup de revues et magazines ont mis à l’honneur Darwin et sa théorie très connue de la sélection naturelle.) La bourgeoisie s’est intéressée très tôt à cette théorie mais s’est empressée de la dénaturer. Qui n’a pas eu un cours ou lu un article ou vu une émission sur la théorie de la sélection naturelle qui réduise celle-ci au fait que la sélection naturelle serait “la sélection des individus les plus forts”. Il ne reste plus qu’à savoir pourquoi la bourgeoisie et ses savants s’échinent tellement à détourner cette théorie. Il est clair que la réponse principale tient dans le fait que la didactique darwinienne pose directement la question de la nature humaine et se trouve être un enjeu de taille pour l’assise idéologique de la société capitaliste naissante.

Mais alors qu’est-ce que cette conception de la science et du monde apporte-t-elle vraiment ? Comment la bourgeoisie tente-t-elle de détruire les réels apports de Darwin ? Et enfin comment résoudre cette question de la nature humaine ?

Les apports de Darwin

  • La théorie de la sélection naturelle

Darwin, fils de médecin, arrêta ses études de médecine pour suivre une carrière de naturaliste. Il fit un voyage exploratoire de 5 ans autour du monde durant lequel il observa de nombreuses espèces animales et végétales : il remarqua de nombreuses ressemblances entre différentes espèces vivantes ou fossiles. Il étudia grâce à de nombreuses enquêtes auprès des éleveurs et des horticulteurs les modalités de création de nouvelles espèces. De ces observations, il en déduisit que si les éleveurs ou horticulteurs réussissaient à faire varier des espèces et à utiliser ces variations pour créer de nouvelles espèces c’est que ces espèces renfermaient naturellement en elles la capacité de varier : c’est la variabilité. Donc les espèces naturelles peuvent également varier mais alors comment et pourquoi cela se produit-il ? Comment ? Par la sélection naturelle (non exercée par l’homme) qui sélectionne les individus les plus aptes à survivre dans un environnement donné. Pourquoi ? C’est là que la loi de Malthus entre en jeu : après avoir lu les travaux de Malthus, Darwin comprend qu’appliqués aux espèces animales et végétales, ils permettaient de combler certains manques pour ancrer sa théorie dans la réalité de l’évolution. Pourquoi cette sélection ? Tout simplement parce qu’il naît plus d’individus pour chaque espèce qu’il ne peut en survivre.

  • La fin du “fixisme” et de la théologie scientifique

Résoudre ces questions et expliquer le mécanisme de l’évolution permet à la science de sortir du joug du fixisme qui veut que chaque espèce ait été créée par Dieu et qu’elles aient toujours existé à l’identique de ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est ce que montre très bien Pannekoek dans sa brochure Marxisme et Darwinisme : des scientifiques tels que Lamarck avaient déjà élaboré des théories transformistes pour comprendre la variabilité des espèces animales et végétales, seulement ne pouvant prouver ni expliquer le mécanisme qui fait que les espèces animales et végétales naissent à partir d’espèces anciennes ces théories étaient restées à l’état d’hypothèse et Dieu restait le créateur de cette variabilité. Un des apports majeurs de Darwin est d’avoir démontré que les espèces d’aujourd’hui sont le fruit d’une longue évolution qui s’est faite au moyen de la sélection naturelle dans le cadre de la lutte pour l’existence : il introduit donc dans les sciences du XIXe siècle, gouvernées par les classifications, le principe de l’évolution et détruit non sans heurt le joug de la religion.

  • Darwinisme et marxisme

Qu’est-ce que cela apporte aux marxistes et au mouvement ouvrier ? Pannekoek, révolutionnaire du début du XXe siècle, montre à quel point les deux théories et méthodes sont liées : « Il apparaît donc que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes qui s’appliqueraient chacune à leur domaine spécifique, sans aucun point commun entre elles. En réalité, le même principe sous-tend les deux théories. » Un siècle plus tard, Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International écrit en parlant des théories de Marx, Darwin et Freud : « La combinaison de ces multiples perspectives dans l’élaboration d’une théorie générale du devenir de la civilisation constitue, en effet, l’une des tâches scientifiques du matérialisme aujourd’hui. » Engels avait d’ailleurs écrit à Marx : « Ce Darwin, que je suis en train d'étudier, est tout à fait sensationnel. On n'avait jamais fait une tentative d'une telle envergure pour démontrer qu'il y a un développement historique dans la nature. » ( Lettre d’Engels à Marx, 11 décembre 1859). L’apport de Darwin est en fait le même que celui de Marx, c’est celui d’un raisonnement dialectique introduisant l’évolution dans la méthode d’analyse et permettant ainsi de comprendre la monde sous un jour nouveau : celui d’un monde en constante évolution. Tout comme chaque espèce n’est pas éternelle mais se transforme, le capitalisme non plus n’est pas une fin en soit.

De ce fait se pose alors cette question fondamentale : si l’espèce humaine est le fruit d’une évolution, est-elle soumise au principe de la sélection naturelle ? Darwin mettra onze ans pour aborder cette question dans son œuvre méconnue et pourtant majeure : La filiation de l’homme. Pendant ce temps, les savants de la bourgeoisie victorienne soumis à l’idéologie puissante d’un capitalisme fleurissant ont su voir l’intérêt qu’ils pouvaient tirer à combler ce vide “à leur manière”.

Détournement par la bourgeoisie et réponse de Darwin lui-même

Malheureusement cette mystification est encore très présente aujourd’hui et joue de tout son poids dans les rangs de la classe ouvrière.

  • Le darwinisme dénaturé

Le principal inspirateur du « darwinisme social » est Spencer (1823-1903) qui appliqua alors la théorie de la sélection naturelle à l’homme telle quelle, en proposant une relecture au passage. Il a traduit “lutte pour l’existence” (qui est d’ailleurs la seule force considérée pour expliquer la naissance de nouvelles espèces) par “concurrence interindividuelle généralisée”, selon l’expression de P. Tort et “sélection naturelle” par “survie des plus aptes”. Il étayera sa théorie d’exemples tirés du monde animal très critiqués par Pannekoek : « Ce n’est pas aux prédateurs, qui vivent de façon séparée et qui sont les animaux modèles des darwinistes bourgeois, que l’homme doit être comparé, mais à ceux qui vivent socialement. » Ainsi le système capitaliste naissant est à l’image de la nature et les moins adaptés doivent être éliminés sans égards et sans secours. Il est clair que Darwin est encore lu aujourd’hui à travers les lunettes de Spencer, lunettes en faveur de l’esprit de concurrence qui régnait chez les acteurs et les soutiens de l’industrie anglaise de l’époque victorienne. Processus fort bien démontré par Pannekoek qui décrit très clairement l’erreur faite par ces penseurs : « Ils ont déduit des lois qui gouvernent le monde animal, où la théorie darwinienne s’applique, ce qui est en conformité avec cette théorie, et dès lors l’ordre naturel qui doit durer toujours. »

Une frange de la bourgeoisie est allée plus loin dans le détournement de l’œuvre de Darwin avec Galton le penseur précurseur du racisme scientifique. L’eugénisme était hostile à la reproduction des pauvres, des handicapés physiques et mentaux, pensée comme un obstacle à l’augmentation numérique des hommes supérieurs. Alors que Spencer prône un libéralisme total (aucune intervention pour venir en aide aux pauvres et aux désœuvrés), Galton prône une intervention cœrcitive et limitative des naissances. On sait par la suite comment le nazisme poussera cette théorie à l’extrême et s’en servira de cautionnement scientifique.

  • Le démenti de Darwin

Darwin a répondu lui-même à ces lectures dévoyées de son œuvre et à son extrapolation erronée.

Darwin a démenti Galton bien avant que celui-ci ne dénature sa pensée en affichant un anti-racisme engagé dès ses premiers textes : « À mesure que l’homme avance en civilisation, et que les petites tribus se réunissent en communautés plus larges, la plus simple raison devrait aviser chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et sa sympathie à tous les membres de la même nation, même s’ils lui sont personnellement inconnus. Une fois ce point atteint, seule une barrière artificielle peut empêcher ses sympathies de s’étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. Il est vrai que si ces hommes sont séparés de lui par de grandes différences d’apparence ou d’habitudes, l’expérience malheureusement nous montre combien le temps est long pour que nous les regardions comme nos semblables. » Il n’est pas nécessaire d’en dire plus.

Contre Spencer, il écrit : « L’aide que nous nous sentons poussés à apporter à ceux qui sont privés de secours est pour l’essentiel une conséquence inhérente de l’instinct de sympathie, qui fut acquis originellement comme une partie des instincts sociaux, mais a été ensuite, de la manière dont nous l’avons antérieurement indiqué, rendu plus délicat et étendu plus largement. » Darwin rappelle ce qui a manqué à la lecture de Spencer : la nature sélectionne également des instincts et chez l’homme comme pour l’ensemble des animaux sociaux a sélectionné les instincts sociaux et c’est bien ce qui pose problème à la bourgeoisie car cela ne rentre pas dans son cadre d’analyse et sa doctrine.

  • D’autres lectures de Darwin

Même si certains révolutionnaires sont tombés dans le piège de vouloir contrer ces théories en utilisant la même démarche que ces penseurs bourgeois, c’est-à-dire en voulant démontrer que c’est le communisme qui est le système social naturel à l’humanité, d’autres ont très bien compris son œuvre, comme Pannekoek déjà cité. Fervent défenseur des apports de Darwin, il montre l’importance de la question de la sociabilité de l’homme très présente dans la deuxième œuvre de Darwin : La Filiation de l’Homme qui détruit point par point les théories du darwinisme social. Pannekoek s’appuyant sur Kautsky écrit : « Quand un certain nombre d’animaux vivent en groupe, en troupeau ou en bande, ils mènent en commun la lutte pour l’existence contre le monde extérieur ; à l’intérieur la lutte pour l’existence cesse. […] C’est grâce à cette force unie que les herbivores sans défense peuvent contrer les prédateurs. » C’est du fait de cette nuance très importante qu’il est impossible d’appliquer la théorie de la sélection naturelle de manière schématique : elle relève plus d’une dialectique de la nature que d’une loi immuable. Certains spécialistes aujourd’hui, comme Patrick Tort, vont plus loin et parlent d’un “effet réversif de la sélection naturelle” qui peut se résumer par cette simple phrase : la sélection naturelle sélectionne des instincts sociaux excluant des comportements éliminatoires. La sélection naturelle par la voie des instincts sociaux a sélectionné la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. Selon P. Tort, Darwin réconcilie donc nature et culture. Je ne détaille pas plus nous aurons l’occasion d’y revenir dans le débat.

Alors au regard de ces lectures de Darwin, qu’en est-il de la nature humaine ?

La question de la nature humaine

Au regard des différents ouvrages cités jusqu’à maintenant, on peut se demander s’il y a une nature humaine, une faculté propre à l’homme et à lui seul. N’est-il pas vain d’entamer une telle entreprise ?

  • Une vision bourgeoise à combattre

Quand on pose cette question, on pose en fait une question relativement compliquée. La bourgeoisie nous enfonce dans la tête depuis notre plus jeune âge que l’homme est par nature violent, guerrier, individualiste, opportuniste pour justifier idéologiquement ses échecs et les horreurs que son système a engendrés ainsi que pour inhiber la confiance de la classe ouvrière dans le fait qu’elle est capable de s’unir pour lutter contre ce système d’exploitation de l’homme par l’homme. Mais je pense qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et vouloir démontrer à tout prix que l’homme est par nature solidaire, altruiste, bon et pacifique car cette démarche n’est pas scientifique mais doctrinale et ne permet pas de comprendre l’homme. Cette démarche mène inéluctablement à une mauvaise compréhension du monde et de la nature dans son ensemble. Il est nécessaire de détruire cette pensée dans les rangs de la classe ouvrière car elle est un obstacle réel aux luttes prolétariennes en sapant la confiance de la classe ouvrière en elle-même et banalisant les pensées “no future” : puisque l’homme est naturellement mauvais, il ne s’en sortira jamais et devra supporter ce système éternellement.

  • La fin de ce concept

En ce qui me concerne, je pense qu’il n’y a pas de nature humaine. L’homme n’est rien par nature, ni bon ni mauvais. L’homme s’explique par le matérialisme historique et la théorie de l’évolution des espèces. P. Tort écrit page 154 de son livre L’effet Darwin : « Entre les facultés humaines et les ébauches animales dont elles dérivent par le jeu des avantages sélectifs, il ne peut y avoir, suivant la formule consacrée, qu’une différence de degré et non de nature. » L’homme est un animal comme les autres : il diffère de la girafe comme celle-ci diffère du singe. À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme car on le prive de ses origines. Il n’y pas de rupture entre nature et culture mais bien une dialectique : la morale, le langage ne sont que le résultat de la sélection naturelle qui a sélectionné les instincts sociaux qui ont amené l’homme a développé le langage, la morale base des civilisations. L’homme n’est pas par nature solidaire, simplement dans sa lutte pour l’existence la protection des plus faibles et l’entraide fut un avantage et donc sélectionné. Il ne s’agit pas de trouver en quoi l’homme est unique mais en quoi dans son origine animale il développe des différences qui le mènent à cette condition d’homme contemporain.

  • Les différences humaines

L’homme se distingue par l’ampleur de ses facultés qui se trouvent développées de manière beaucoup plus importantes que chez les animaux sociaux. A quoi cela tient-il ? Est-ce comme le dit Pannekoek le fait que l’homme fortement démuni dans ses facultés physiques a développé des instincts sociaux beaucoup plus complexes pour être mieux armé et ainsi des outils, prolongement des organes animaux remplissant cette fonction, absents chez l’homme ? Est-ce la nécessité d’un langage élaboré pour communiquer dans des groupes comptant de plus en plus de membres fonction nécessaire pour faire face aux éventuels prédateurs et qui aurait conduit l’homme à un niveau de cognition très élevé menant à une conscience très élaborée de lui-même et des autres ?

Conclusion

Développer la question qui je pense favorisera le débat : comment comprendre que des études récentes démontrent que la sélection naturelle a favorisé au sein de l’espèce humaine le développement de comportements d’entraide et d’altruisme, alors qu’on assiste aujourd’hui à un développement puissant de comportements individualistes ? A la sélection naturelle ne superpose-t-il pas une sélection sociétale ?

 

Synthèse de la discussion par le camarade R.

La discussion qui a suivi la présentation a abordé les sujets suivants :

1) L’apport de la théorie de Darwin

2) Darwinisme et marxisme

3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie

4) Qu’est ce que la sélection naturelle ?

5) Peut-on parler d’une nature humaine ?

6) Concurrence et altruisme

7) Intérêt de la discussion

1) L’apport de la théorie de Darwin

De nombreuses interventions ont souligné le caractère novateur, pour son époque, de cette théorie. En effet, elle est révolutionnaire (même si avant Darwin d’autres scientifiques avaient commencé à appréhender la question) parce qu’elle remet totalement en cause les croyances, les principes donnés jusque-là comme intangibles et imposés à l’ensemble de la société comme une vérité indiscutable.

Quelles étaient ces vérités ? Le monde vivant, plantes, animaux, est fixe, ne se transforme pas. Il est le produit de la volonté d’un créateur. La théorie de l’évolution va donc constituer une rupture totale et complète avec les théories fixistes, créationnistes, téléologiques dominantes à l’époque. Elle met en évidence qu’il existe un mécanisme, celui de la sélection naturelle, pour expliquer comment des espèces nouvelles peuvent être issues d’autres espèces. Avec la théorie de Darwin, une première explication scientifique du monde qui nous entoure est exposée : Le monde évolue sous l’action conjuguée de plusieurs facteurs.

2) Darwinisme et marxisme

Cette théorie est du point de vue de la méthode proche du marxisme parce que l’une comme l’autre, en ayant une démarche scientifique fondée sur aucun a priori, aucun préjugé, emploie une méthode matérialiste. Peut-on en conclure que Darwin est marxiste et que le darwinisme est une conception prolétarienne ?

La théorie de Darwin n’est pas dirigée contre la bourgeoisie. Elle n’a pas de but politique car son dessein n’est pas de chercher à établir des frontières de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. Lorsque Darwin expose sa théorie, la bourgeoisie applaudit des deux mains parce qu’elle comprend qu’elle peut s’en servir contre les anciennes classes. Ainsi la classe montante va s’approprier cette théorie, comme d’autres théories scientifiques à l’époque, et va s’en servir pour saper les bases idéologiques de l’ancien régime. Ces bases politiques étant assises sur la notion de “droit divin” n’ont aucun fondement, le pouvoir qui en découle n’a donc aucune légitimité.

La discussion a par ailleurs réaffirmé qu’il n’y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne. Il y a une classe sociale, le prolétariat, qui se nourrit des travaux des scientifiques afin d’enrichir sa compréhension du monde pour pouvoir se donner les moyens de le transformer.

3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie

Comme toutes les classes exploiteuses qui l’ont précédée, la bourgeoisie, pour maintenir sa domination, s’est forgée sa propre idéologie. Ce fut le deuxième aspect développé par la discussion. La bourgeoisie a dévoyé l’interprétation faite par Darwin de l’évolution et l’a réduit à l’échelle de la seule compétition entre les individus. La compétition pour la bourgeoisie est liée de manière intime et nécessaire à la nature humaine. Ainsi elle brouille les consciences et fait de l’homme, un être violent, guerrier, un assoiffé de pouvoir, etc,…

La conception de l’évolution sera utilisée sur le plan politique, en la vidant totalement de son contenu, par les défenseurs du « darwinisme social ». Selon cette théorie, la sélection est l’état naturel des relations sociales et le moteur de l’évolution humaine. Ainsi on justifie la hiérarchisation de la société et l’on peut aller jusqu’à prôner l’élimination des plus faibles.

Pour le marxisme, il n’y a aucune cause naturelle, mais des causes matérielles que l’on trouve au sein des rapports de production. Ce sont ces rapports qui conditionnent les rapports sociaux et qui engendrent des rapports de concurrence. En ce sens ces formes ne sont pas immuables comme voudrait nous le faire croire la bourgeoisie, elles peuvent être dépassées seulement par l’instauration d’une société communiste.

4) Qu’est-ce que la sélection naturelle ?

L’évolution ne s’est pas opérée grâce à l’usage et à l’utilisation intense de certains organes. Ainsi la girafe n’a pas développé un long cou parce qu’elle devait chercher de la nourriture sur les plus hautes branches. Son cou s’est développé par sélection, en éliminant dans la population des girafes celles dont le cou n’était pas adapté, et conservant et étendant à l’ensemble de la population des girafes le trait, le caractère d’un long cou nécessaire à la survie de l’espèce. L’évolution ne se fonde donc pas seulement sur le hasard, elle se manifeste aussi par une sélection des caractères favorables qui s’étendent au groupe entier.

La transmission se fait via les individus, les parents transmettent à leurs enfants, leurs particularités, mais en même temps ces enfants ne sont pas “une copie conforme de leurs parents”, ils divergent de leurs ascendants. Sans cette variation, il serait totalement impossible qu’il puisse y avoir un processus évolutif par lequel, grâce à des divergences grandissantes, une nouvelle espèce apparaîtrait.

La théorie de Darwin de la descendance modifiée par la sélection naturelle fait de l’homme non pas un être à part, mais un être qui se rattache au monde animal. Bon nombre de capacités considérées comme propres à l’homme ont été démontrées chez les animaux. La fabrication d’outils, la notion du beau, des formes de compassion sont quelques exemples parmi d’autres du lien qui unit l’homme aux animaux.

5) Peut-on parler de l’existence d’une nature humaine ?

Peut-on défendre la pertinence d’une classification du monde vivant ? La discussion a montré qu’il y avait des nuances ou des divergences sur ces questions.

a) Le premier point de vue a défendu l’idée selon laquelle il n’y a pas de nature humaine. Cela n’implique pas qu’il n’y a pas de différences entre les hommes et les animaux. Il n’y a qu’une différence de degré, et dire qu’il y a une nature humaine, c’est rechercher une faculté qui serait propre à l’homme et à lui seul. Comme l’expose Patrick Tort dans son livre,  L’effet Darwin : « À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme, car on le prive de ses origines. »

b) Une deuxième intervention a insisté sur l’idée selon laquelle les espèces, les classifications, sont une réalité en tant que concept mais n’ont pas de réalité scientifique. Il y un caractère arbitraire dans les notions de race et d’espèce dont il faut se débarrasser. Ainsi catégoriser divers groupes humains sur la base de la race, c’est scientifiquement aberrant. Les progrès de la génétique aujourd’hui conduisent à rejeter toute classification raciale et doivent servir à pourfendre tout le contenu inégalitaire contenu dans les théories racistes.

c) Un troisième point de vue s’est exprimé au cours de la discussion et a défendu l’existence d’une nature humaine. L’homme s’est extrait du monde animal et s’en est distingué. Au cours de son évolution, il a développé des facultés propres. Ainsi il a eu la capacité de développer des outils d’une très haute technicité, il a eu la capacité d’exprimer et de communiquer sa pensée aux moyens de signes vocaux ou graphiques ou bien encore la capacité de prendre conscience de sa propre existence. Il a effectué au cours de son évolution un pas qualitatif très important qui ne fait pas de lui l’être suprême mais l’être qui a une responsabilité sur ce qui l’entoure.

d) Autre insistance présente dans la discussion : l’une des bases essentielles contenue dans la théorie de la transformation, c’est l’idée qu’il y a un processus continu qui s’oppose donc à toute idée de rupture. Ainsi l’homme et l’animal ont des caractères communs. Le processus a donc été continu, il n’y a pas eu de rupture entre le point de départ constitué par l’apparition de la cellule et le stade actuel celui de l’homme.

e) La notion d’espèce a une réalité. L’espèce se définit par l’ensemble des individus, animaux ou végétaux semblables par leur aspect, leur habitat, féconds entre eux mais stériles avec tout autre individu d’une autre espèce. La science tient des principes jusqu’au moment ou la réalité décrite jusque là est remise en cause par de nouvelles découvertes. Les notions d’espèce et de race ne sont évidemment pas des critères absolus, leurs frontières peuvent avoir un certain flou ; elles ont un sens pratique et efficient pour définir un état, une chose.

6) Concurrence et altruisme

Pour essayer de comprendre la question, il faut la poser en n’omettant pas de faire le lien entre la biologie évolutive (analyse du monde vivant et de son évolution) et l’étude de la dimension sociale de l’homme (l’anthropologie). En effet la sélection naturelle ne se limite pas à sélectionner des variations organiques. Elle sélectionne aussi des instincts individuels et collectifs qui sont fondamentaux pour expliquer le processus qui conduit à la civilisation.

Ainsi l’évolution se caractérise par le passage d’un “état de nature” régi essentiellement par la loi de la sélection naturelle à un état “civilisé” dans lequel se développent des conduites s’opposant aux lois de la sélection naturelle. La disposition de caractère qui pousse à s’intéresser aux autres, à se montrer généreux et désintéressé est l’essence même de l’homme. Mais elle n’est pas seulement innée, elle est aussi le produit de la structure sociale, des règles qu’il se donne et qui conduisent à respecter les autres hommes. Au vu de toutes les expériences scientifiques qui ont été menées (tests sur de jeunes enfants, études sur des peuplades), il est démontré qu’il existe à la base, des sentiments altruistes, des comportements sociaux chez l’homme.

7) Intérêt de la discussion

Le débat avait au XIXe siècle une fonction essentielle, celle de lutter contre toutes les interprétations religieuses du monde. Il y avait une véritable guerre entre les tenants d’une vision idéaliste du monde et les tenants d’une vision matérialiste. Aujourd’hui avec la crise du capitalisme, la bourgeoisie a besoin de lancer des campagnes idéologiques notamment sur la théorie de Darwin. Marx et les marxistes ont à l’époque répondu à toutes ces questions, il faut donc recentrer le débat par rapport à cette question.

Conclusion : Du débat, il est bien ressorti que la théorie de Darwin était novatrice. Elle pose pour principe, un principe dynamique, un principe d’évolution du vivant en montrant quel est le moteur de cette évolution. La question de la nature humaine (existante ou pas) est une question importante, elle doit nous permettre de mieux appréhender quels seront les enjeux qui détermineront les rapports entre l’individu et la société communiste. La discussion n’a malheureusement pas suffisamment abordé les questions des instincts sociaux et de la morale.

Vie du CCI: 

  • Réunions publiques [13]

Personnages: 

  • Darwin [14]

Turquie : Solidarité avec la résistance des ouvriers de Tekel contre le gouvernement et les syndicats !

  • 37 lectures
[15]

Le 14 décembre 2009, des milliers d’ouvriers des entreprises de Tekel [1] de douzaines de villes en Turquie ont quitté leurs maisons et leurs familles pour monter sur Ankara. Ces ouvriers ont fait ce voyage pour lutter contre les horribles conditions auxquelles les contraint l’ordre capitaliste. Cette lutte exemplaire qui dure depuis près de deux mois à présent est portée par l’idée d’une grève permettant à tous les ouvriers d’y participer. Ce faisant, les ouvriers de Tekel ont commencé à mettre en œuvre et à être porteur d’un mouvement pour l’ensemble de la classe ouvrière dans tout le pays. Ce dont nous essayons de rendre compte ici est l’histoire de ce qui s’est passé dans cette lutte. On ne doit pas oublier que ce compte-rendu ne concerne pas les seuls ouvriers de Tekel mais les ouvriers du monde entier. Nous remercions chaleureusement les ouvriers de Tekel pour avoir rendu possible l’écriture de cet article en poussant les luttes de notre classe en avant et en nous expliquant ce qui s’y passait.

Nous pensons qu’il faut d’abord expliquer pourquoi les ouvriers de Tekel se sont lancés dans cette lutte. Les ouvriers de Tekel sont entrés en lutte contre la « politique du 4-C » de l’Etat turc. Ce dernier a placé des milliers d’ouvriers en plus de ceux de Tekel sous les conditions de travail du « 4-C ». Ces conditions sont celles qui attendent déjà des centaines de milliers d‘ouvriers, ceux du secteur du sucre en étant les prochaines victimes. A côté de cela, de nombreux secteurs de la classe ouvrière ont fait l’expérience d’attaques similaires sous d’autres appellations et de telles attaques attendent ceux qui n’en ont pas encore été frappées. Qu’est donc que ce « 4-C » ? Il s’agit de fait d’une pratique de « protection » mise en avant par l’Etat turc lorsque le nombre d’ouvriers qui ont perdu leur travail à cause des privatisations a augmenté. Cela implique d’abord, avec une sérieuse baisse de salaire, que les ouvriers du secteur public soient mutés dans différents autres endroits et secteurs de l’Etat dans les pires conditions. La pire d’entre elles introduite par le « 4-C » est qu’elle donne à l’Etat-patron un pouvoir absolu sur les ouvriers. Ainsi, le salaire, qui est fixé par l’Etat et qui est déjà massivement réduit, est simplement un prix maximum. Il peut être réduit arbitrairement par les dirigeants des entreprises d’Etat. De plus, les heures de travail sont complètement déréglementées et les directeurs d’usine ont arbitrairement le droit de faire travailler les ouvriers aussi longtemps qu’ils veulent, jusqu’à « la fin de la tâche qui leur est assignée ». En retour, les ouvriers ne touchent rien pour ce travail supplémentaire. Avec cette politique, les patrons ont le pouvoir de virer les ouvriers arbitrairement, sans qu’il y ait une quelconque compensation salariale. La période où les ouvriers peuvent travailler varie de trois à dix mois par an, rien ne leur étant payé durant les mois où ils ne travaillent pas, la durée de travail étant une fois encore arbitrairement décidée par les patrons. Malgré cela, il est interdit aux salariés de trouver un deuxième travail pendant les périodes où ils ne travaillent pas ou pendant leurs vacances. Les remboursements de sécurité sociale n’existent plus pour eux et toute assurance médicale leur est supprimée. Les privatisations, tout comme la politique du « 4-C », ont commencé depuis longtemps. Dans les entreprises de Tekel, seuls les départements de l’alcool et de la cigarette étaient privatisés, et ce processus a conduit les usines de tabac à fermer. Nous pensons qu’il est clair que le problème n’est pas seulement celui des privatisations. Il est évident qu’aussi bien le capital privé, qui prend le travail des ouvriers, que l’Etat, qui est le capital d’Etat, veulent surexploiter les ouvriers en les soumettant aux pires conditions d’exploitation et qu’ils joignent leurs forces dans cette attaque. En ce sens, on peut dire que le combat des ouvriers de Tekel est né des intérêts de classe de tous et est l’expression de la lutte contre l’ordre capitaliste tout entier.

Il faut encore expliquer la situation du mouvement de la classe ouvrière en Turquie dans la période où les ouvriers de Tekel ont déclenché leur lutte. Le 25 novembre 2009, une journée de grève était organisée par le KESK, le DISK et le Kamu-Sen [2]. La semaine où les ouvriers de Tekel se sont rendus à Ankara, deux autres luttes ouvrières étaient en cours. La première était des manifestations de pompiers qui devaient perdre leur emploi début 2010, la seconde était une journée de grève des cheminots contre le licenciement de certains collègues pour leur participation à la grève du 25 novembre. La police anti-émeutes, devant la montée des luttes, attaqua brutalement les pompiers et les cheminots. Les ouvriers de Tekel ne furent pas traités de façon différente. Jusqu'à 50 cheminots ont perdu leur emploi pour avoir participé à la grève. Plusieurs ouvriers ont été arrêtés et placés en garde à vue. Les pompiers allaient mettre du temps avant de se remettre de ces attaques, et malheureusement les cheminots n’ont pas entrepris de faire un retour si loin sur le terrain de la lutte de classe. Ce qui a poussé ceux de Tekel aux avant-postes de la lutte en décembre est le fait qu’ils se sont organisés pour se défendre contre les mesures répressives de l’Etat et qu’ils ont su garder leur lutte vivante et active.

Comment la lutte de Tekel commença-t-elle ? Il y avait déjà une forte minorité qui voulait se battre, dès le 5 décembre, lors d’une cérémonie présidée par Tayyip Erdogan [3]. Les ouvriers de Tekel, avec leurs familles, apostrophèrent à l’improviste Erdogan pour lui demander ce qui allait leur arriver. Ils interrompirent son discours en disant : « Les ouvriers de Tekel attendent que vous leur donniez de bonnes nouvelles par rapport à nos revendications » Erdogan répondit : «  Il y a malheureusement une espèce d’individus qui s’est répandue en Turquie. Ce sont des fainéants qui veulent gagner de l’argent sans faire aucun travail, en se prélassant. L’ère où l’on gagnait de l’argent en se la coulant douce est terminée (…) Ils pensent que l’Etat est une vache à lait inépuisable et que quiconque n'en profite pas n’est qu’un porc. Voici comment ils posent le problème. Nous ne tolérerons plus cette mentalité et ce genre de situation. Si vous n’êtes pas d’accord pour accepter les règles du 4-C, vous êtes libres de créer vos propres entreprises. Nous avons dit cela aussi. Nous avons eu un accord avec vos syndicats. Je leur avais parlé et je leur avais dit : ‘Vous avez du temps. Mais faîtes ce qui est nécessaire pour faire adopter notre point de vue.’ Comme nous avons eu leur accord, eh bien là, le processus de négociation s'est terminé et nous avons laissé passer encore un ou deux ans. Mais certains sont encore ici pour dire des choses comme nous voulons garder notre travail et continuer comme avant, nous voulons garder les mêmes droits. Non, nous avons déjà négocié ces choses-là. 10 000 ouvriers de Tekel nous coûtent quarante milliards par mois. » [4] Erdogan n’avait pas idée des ennuis qu’il allait s’attirer. Les ouvriers, qui, pour la plupart avaient soutenu le gouvernement auparavant, étaient à présent en colère. La question de comment lancer une lutte était discutée sur les lieux de travail. Un ouvrier d’Adiyaman [5] explique le processus dans un article qu’il a écrit, publié par un journal gauchiste : « Ce processus a stimulé les collègues ouvriers (…) Ils ont commencé à voir le vrai visage du Parti de la Justice et du Développement (AKP) à cause des mots d’insultes prononcées par le Premier ministre. La première chose qu’ils firent a été de cesser d’être membre du parti. Dans les discussions qui démarraient sur les lieux de travail, nous avons décidé de protéger notre travail tous ensemble. » [6] Le syndicat [7] avec lequel Erdogan disait avoir passé un accord, et qui n’avait fait aucune action sérieuse pour les défendre, appela à un rassemblement à Ankara. En conséquence, les ouvriers prirent la route vers la capitale.

Les forces d’Etat avaient préparé une attaque sournoise contre les ouvriers dès le début. La police anti-émeutes arrêta les bus qui transportaient les ouvriers, déclarant qu’elle ne pouvait laisser passer les ouvriers des villes kurdes où les usines Tekel sont concentrées, mais que ceux des régions de l’Ouest, de la Méditerranée, du Centre anatolien et de la mer Noire pouvaient passer. Cela avait pour but de dresser les ouvriers kurdes et les autres les uns contre les autres, et donc de diviser le mouvement sur des bases ethniques. Cette manœuvre déchira en réalité deux masques de l’Etat : celui de l’unité et de l’harmonie et celui de la réforme kurde [8]. Mais les ouvriers de Tekel ne sont pas tombés dans ce piège de la police. Les ouvriers de Tokat en tête [9], ceux venant d’en-dehors des villes kurdes protestèrent contre cette position de la police, et insistèrent avec détermination pour que tous entrent dans la ville ensemble et que pas un ne reste derrière. La police ne sachant pas quelle position le gouvernement risquait finalement d’adopter, finit par permettre aux ouvriers d’entrer en ville. Cet incident a fait en sorte que des ouvriers de différentes villes, différentes régions et ethnies tissent des liens profonds sur un terrain de classe. Suite à cet évènement, les ouvriers des régions de l’Ouest, de la Méditerranée, de l’Anatolie centrale et de la mer Noire devaient exprimer le sentiment que la force et l’inspiration transmises par la résistance, la détermination et la conscience des ouvriers kurdes avaient largement contribué à leur participation à la lutte, et aussi qu’ils avaient beaucoup appris des ces ouvriers. Les ouvriers de Tekel avaient remporté leur première victoire en entrant dans la ville.

Le 15 décembre, les ouvriers de Tekel ont démarré leur manifestation de protestation en face du quartier général du Parti de la Justice et du Développement à Ankara. L’un d’entre eux présent ce jour-là explique : « Nous avons marché sur le quartier général du Parti de la Justice et du Développement. Nous avons allumé un feu le soir et attendu en face de l’immeuble jusqu’à 22 h. Quand il se mit à faire trop froid, nous sommes allés au gymnase Atatürk. Nous étions 5000. Nous avons sorti nos tapis et des cartons pour y passer la nuit. Au matin, la police nous a repoussés vers le parc Abdi Ipekçi et nous a encerclés. Certains de nos camarades ont marché à nouveau vers le bâtiment du parti. Alors que nous attendions dans le parc, nous voulions aller à la rencontre de nos camarades et ceux qui étaient face à l’immeuble désiraient nous rejoindre : la police nous attaqua avec des tirs de gaz lacrymogène. Nous avions marché quatre heures. Nous avons passé la nuit dans le parc, sous la pluie. » [10] L’attaque la plus brutale de la police eut lieu le 17 décembre. Celle-ci, agissant évidemment sur ordre et peut-être afin de cacher le fait qu’elle n’avait pas pu empêcher les ouvriers kurdes d’entrer en ville, attaqua les ouvriers à l’intérieur du parc avec une grande violence et une véritable haine. Le but était de disperser les ouvriers. Cette fois-ci encore, il y avait quelque chose que les forces de l’ordre n’avaient pas prévu : la capacité des ouvriers à s’auto-organiser. Ces derniers, dispersés par la police, s’organisèrent sans l’aide d’aucun bureaucrate syndical et se réunirent dans une manifestation massive face au siège du Türk-Is [11] l’après-midi. Le même jour, n’ayant pas d’endroit où rester, ils occupèrent deux étages du bâtiment. Les jours suivant le 17 décembre, des manifestations eurent lieu dans la petite rue en face du siège du syndicat Türk-Is, au centre d’Ankara.

La lutte entre les ouvriers de Tekel et les syndicats du Türk-Is a marqué les jours suivant cette date jusqu’au Nouvel An. De fait, même au début de la grève, les ouvriers n’avaient pas confiance dans les dirigeants syndicaux. De chaque ville, ils avaient envoyé dans toutes les négociations deux ouvriers avec les syndicalistes. Le but était de faire en sorte que tous soient informés de ce qui se passait réellement. A la fois Tek Gida-Is et Türk-Is, ainsi que le gouvernement, attendaient que les grévistes renoncent au bout de quelques jours face à la fois au froid glacial de l’hiver d’Ankara, à la répression policière et aux difficultés matérielles. Évidemment, les portes de l’immeuble du Türk-Is furent immédiatement fermées un court moment pour empêcher les ouvriers d’y pénétrer. Contre cela, ces derniers réclamèrent avec succès que les femmes puissent se reposer dans l’immeuble et utiliser ses toilettes. Les ouvriers n’avaient pas l’intention de repartir. Un sérieux soutien leur fut apporté par la classe ouvrière d’Ankara et surtout par des étudiants des couches prolétariennes devant les difficultés matérielles. Une partie peut-être réduite mais néanmoins significative de la classe ouvrière d’Ankara se mobilisa pour accueillir les ouvriers chez eux. Au lieu de renoncer et de repartir, les ouvriers de Tekel se rassemblèrent chaque jour dans la petite rue en face de l’immeuble du Türk-Is, et commencèrent à discuter de comment faire avancer leur lutte. Il ne fallut pas longtemps pour réaliser que la seule solution pour dépasser leur isolement était d’étendre leur lutte au reste de la classe ouvrière.

Dans ce contexte, les ouvriers combatifs de toutes les villes qui avaient vu que le Tek Gida-Is et le Türk-Is ne faisaient rien pour eux essayèrent d’établir un comité de grève avec pour but principal de transmettre leurs revendications aux syndicats. Parmi ces revendications se trouvait la mise sur pied d’une grande tente pour les grévistes afin de célébrer collectivement le Nouvel An, ainsi que l'organisation d’une manifestation devant l’immeuble du Türk-Is. L’exécutif des syndicats s’opposa à cette initiative. Leur argument était qu’après tout, quel besoin avaient-ils des syndicats si les ouvriers se portaient en avant et prenaient le contrôle de leur lutte dans leurs propres mains ?! Cette attitude contenait derrière une menace à peine voilée : les ouvriers qui étaient déjà seuls craignaient d’être encore plus isolés si les syndicats leur retiraient leur soutien. Le comité de grève fut donc supprimé. A présent se posait la question de la volonté des ouvriers de conserver le contrôle de la lutte. Rapidement, ils s’efforcèrent de former des liens avec les ouvriers des usines du sucre qui se heurtaient déjà aux mêmes conditions du 4-C et allèrent vers les ouvriers des environs et dans les universités où ils étaient invités à expliquer leur lutte. En même temps, ils continuaient leur lutte contre la direction du Türk-Is qui n’était en aucune façon derrière eux. Le jour où le comité exécutif du syndicat se réunit, les ouvriers forcèrent les portes du quartier général syndical. La police anti-émeute fut mobilisée pour protéger le président du syndicat Mustafa Kumlu face aux ouvriers. Ceux-ci criaient des mots d’ordre comme : « Nous liquiderons qui nous trahit », « Le Türk-Is à son devoir, vers la grève générale », « Kumlu, démission ». Kumlu n’osa pas se montrer jusqu’à ce qu’il ait annoncé une série d’actions, y compris lancer des appels à la grève et accepter les manifestations hebdomadaires face au bâtiment du syndicat. Il avait peur pour sa vie. Même après cette déclaration de Kumlu, les ouvriers ne le croyaient toujours pas. Un ouvrier de Tekel venant de Diyarbakir [12] déclara dans une interview : « Nous ne suivrons aucune décision prise par la direction syndicale pour arrêter la grève et nous faire repartir. Et si une décision d’arrêter la grève sans rien gagner est prise comme l’an dernier, nous pensons à saccager l’immeuble du Türk-Is et à y mettre le feu » [13]. Il exprimait le sentiment de nombreux autres ouvriers de Tekel. Le Türk-Is revint sur son plan d’action lorsque la première grève d’une heure connut un taux de participation de 30% pour tous les syndicats. Les leaders syndicaux furent tout autant terrifiés que le gouvernement lui-même à l’idée de voir la lutte se généraliser. Après la chaleureuse manifestation du Nouvel An devant l’immeuble du Türk-Is, un vote à bulletins secrets fut organisé parmi les ouvriers pour décider s’ils continuaient ou retournaient chez eux. 99% votèrent pour la poursuite de la grève. Dans le même temps, un nouveau plan d’action, suggéré par le syndicat, commença à être mis en discussion : après le 15 janvier, il devait y avoir un sit-in de trois jours, suivi par une grève de la faim de trois jours et un jeûne complet de trois jours. Une manifestation avec une participation massive devait également avoir lieu, comme l’administration du Türk-Is le promettait. Les ouvriers pensaient au départ qu’une grève de la faim était une bonne idée. Étant déjà isolés, ils ne voulaient pas être oubliés et ignorés et pensaient qu’une grève de la faim pouvait éviter cela. Ils pensaient être embourbés face au Türk-Is et ressentaient le besoin de faire quelque chose. Une grève de la faim pouvait agir comme intimidation aussi pour le syndicat, pensaient-ils.

Un des textes les plus significatifs écrits par les ouvriers de Tekel a été publié ces jours-là. Il s’agit d’une lettre écrite par un ouvrier de Batman [14] aux ouvriers des usines de sucre : « A nos sœurs et frères ouvriers honorables et travailleurs de l’usine de sucre. Aujourd’hui, la lutte remarquable que les ouvriers de Tekel ont développée est une chance historique pour ceux dont les droits ont été retirés. Pour ne pas rater cette chance, votre participation dans notre lutte nous rendrait plus heureux et plus fort. Mes amis, j’aimerais spécialement indiquer que depuis longtemps les syndicalistes vous promettent l’espoir qu’ils « vont s’occuper de cette affaire ». Cependant, comme nous sommes passés par ce même processus, nous savons bien que ce sont de gens aisés qui n’y ont aucun intérêt vital à défendre. Au contraire, vous êtes ceux auxquels les droits seront enlevés et dont le droit au travail sera retiré. Si vous ne prenez pas part à la lutte aujourd’hui, demain sera trop tard pour vous. Cette lutte ne sera victorieuse que si vous êtes dedans et nous n’avons aucun doute ou manque de confiance en nous-mêmes pour nous en occuper. Parce que nous sommes sûrs que si les ouvriers sont unis et agissent comme un seul corps, il n’y a rien qu’ils ne puissent réussir. Avec ces sentiments, je vous salue avec ma plus profonde confiance et mon plus profond respect au nom de tous les ouvriers de Tekel. » [15] Cette lettre n’appelait pas seulement les ouvriers du sucre à rejoindre la lutte ; elle exprimait aussi très clairement ce qui s’était passé pour ces ouvriers de Tekel. En même temps, elle exprimait la conscience partagée par nombre d’entre eux qu’ils ne se battaient pas que pour eux-mêmes mais pour la classe ouvrière tout entière.

Le 15 janvier, d’autres ouvriers de Tekel vinrent à Ankara pour participer au sit-in mentionné précédemment. A présent, ils étaient presque 10 000 sur la place Sakarya. Certains membres de leurs familles étaient venus avec eux. Les ouvriers avaient pris des jours de congés maladie et des vacances pour venir à Ankara et la plupart d’entre eux devaient revenir plusieurs fois pour renouveler leurs permis de vacances. Presque tous les ouvriers de Tekel étaient présents [16]. Une manifestation avec une large participation fut planifiée pour le samedi 16 janvier. Les forces de l’ordre craignaient cette manifestation car elle pouvait faire naître la généralisation et l’extension massive de la lutte. La possibilité que des ouvriers arrivent le samedi pour la manifestation en passant la nuit et tout le dimanche avec les ouvriers de Tekel pouvait conduire à la construction de liens forts et massifs. Aussi, la police insista pour que la manifestation démarre le dimanche, et le Türk-Is, dans une manœuvre typique, affaiblit un peu plus la manifestation en faisant en sorte que les ouvriers des villes kurdes ne viennent pas. Il avait été aussi calculé que passer deux nuits dans l’hiver glacé d’Ankara, sans bouger en sit-in dans la rue, briserait la résistance et la force des ouvriers. On vit lors de la manifestation du 17 janvier que ce calcul était une sérieuse erreur.

Celle-ci commença dans le calme. Les ouvriers qui se rassemblaient à Ankara et plusieurs groupes politiques commencèrent à 10 h à marcher de la gare vers la place Sihhiye. Dans la manifestation, sous le regard de dizaines de milliers d’ouvriers, d’abord un ouvrier de Tekel, puis un pompier et un ouvrier du sucre prirent la parole sur une estrade. L’explosion de colère n’eut lieu qu’après lorsque Mustafa Kumlu s’installa après les ouvriers à la tribune. Kumlu, qui ne s’est jamais préoccupé de la lutte ni des conditions de vie des ouvriers de Tekel fit un discours complètement modéré, conciliateur et vide. Le Türk-Is avait fait un effort particulier pour garder les ouvriers à distance de l’estrade et avait mis au devant des ouvriers métallurgistes, qui n’étaient pas du tout au courant de ce qui se passait face à celle-ci. Mais ceux de Tekel, leur demandant de les laisser passer, s’arrangèrent pour venir directement devant la tribune. Tout au long du discours de Kumlu, ils firent de leur mieux pour l’interrompre avec leurs mots d’ordre. La dernière offense à l’égard des ouvriers fut l’annonce qu’après Kumlu, ce serait Alisan, un chanteur de pop qui n’avait rien à voir avec le mouvement, qui allait donner un concert. Les ouvriers investirent l’estrade, commençant à crier leurs mots d’ordre et malgré le fait que les chefs syndicaux baissaient la sono, les ouvriers qui étaient venus à la manifestation reprirent le micro. Pour cette fois, le syndicat perdit complètement le contrôle. C’était les ouvriers qui l’avaient. Les chefs syndicaux, se ruant sur l’estrade, commencèrent à faire des discours radicaux d’un côté et à essayer de l’autre d’en chasser les ouvriers. Comme cela ne marchait pas, ils essayèrent de les provoquer les uns contre les autres et s’en prirent aux étudiants et aux ouvriers qui venaient les soutenir. Les syndicalistes tentèrent encore de diviser les ouvriers qui étaient à Ankara depuis le début de la lutte de ceux qui étaient arrivés récemment, et ils essayèrent de cibler ceux qui venaient offrir leur aide. A la fin, les chefs syndicaux tentèrent de faire descendre ceux qui occupaient l’estrade, et convainquirent l’ensemble de retourner rapidement devant l’immeuble du Türk-Is. Le fait que les discours concernant les grèves de la faim et les jeûnes complets étaient mis en avant pour faire tomber les mots d’ordre sur la grève générale est, selon nous, intéressant. En aucun cas retourner vers l’immeuble du Türk-Is n’était assez pour éteindre la colère des ouvriers. Des mots d’ordre comme « Grève générale, résistance générale », « Türk-Is ne doit pas abuser de notre patience » et « Nous liquiderons qui nous trahit » étaient à présent criés devant le bâtiment. Quelques heures plus tard, un groupe d’environ 150 ouvriers se mit à casser la barricade dressée par les bureaucrates devant les portes du bâtiment et l’occupèrent. Les ouvriers de Tekel qui cherchaient Mustafa Kumlu dans l’immeuble commencèrent à crier « Ennemi des ouvriers, larbin de l’AKP » lorsqu’ils atteignirent la porte de Kumlu. Après la manifestation du 17 janvier, les efforts pour mettre en place un autre comité de grève resurgirent parmi les ouvriers. Ce comité était constitué d’ouvriers qui ne pensaient pas qu’une grève de la faim était une façon adaptée pour faire avancer la lutte et qu’il fallait au contraire étendre celle-ci. L’effort pour le former était connu de tous les ouvriers et soutenu par une très grande majorité. Ceux qui ne le soutenaient pas activement, n’étaient pas non plus contre. Parmi les tâches assignées au comité, plutôt que de transmettre leurs revendications aux syndicats, l’objectif fut de mettre en œuvre la communication et l’auto-organisation dans les rangs ouvriers. Comme le précédent comité de grève, celui-ci était entièrement composé d’ouvriers et complètement indépendant des syndicats. La même détermination d’auto-organisation permit que des centaines d’ouvriers de Tekel puissent se joindre à la manifestation des employés du secteur de la santé qui était en grève le 19 janvier. Le même jour, alors qu’il avait été permis à seulement une centaine d’ouvriers de participer à une grève de la faim de trois jours, 3000 ouvriers les rejoignirent, malgré le sentiment général parmi les ouvriers que cette grève de la faim n’était pas le moyen le plus approprié pour faire avancer la lutte. La raison qu’ils invoquaient était qu’ils ne voulaient pas laisser leurs camarades faire cette grève de la faim seuls, qu’ils voulaient, par solidarité, s’engager avec eux et partager ce qu’ils allaient traverser.

Bien que les ouvriers de Tekel aient fait des réunions régulières entre eux selon les villes d’où ils venaient, une assemblée générale avec tous les ouvriers participants n’avait pas été possible. Cela étant dit, depuis le 17 décembre, la rue face à l’immeuble du Türk-Is avait pris le caractère d’une assemblée générale informelle mais régulière. La place Sakkarya, ces jours-là, était pleine de centaines d’ouvriers de différentes villes, discutant comment développer la lutte, comment l’étendre, quoi faire. Une autre caractéristique importante de la lutte fut comment les ouvriers des différentes régions ethniques réussirent à s’unir contre l’ordre capitaliste malgré les provocations du régime. Le mot d’ordre « Ouvriers kurdes et turcs tous ensemble », lancé dès les premiers jours de la lutte, l’a exprimé très clairement. Dans la lutte de Tekel, de nombreux ouvriers de la région de la mer Noire dansèrent le Semame, et de nombreux kurdes firent la danse d’Horon pour la première fois de leur vie. [17] Un autre aspect significatif de l’approche des ouvriers de Tekel a été l’importance qu’ils donnèrent à l’extension de la lutte et à la solidarité ouvrière, et cela non pas sur la base étroite du nationalisme mais sur celle incluant le soutien mutuel et la solidarité des ouvriers du monde entier. Aussi, les ouvriers de Tekel évitèrent que des factions de la classe dominante dans l’opposition se servent de la lutte pour leurs propres buts car ils n’avaient aucune confiance en elles. Ils furent attentifs à comment le Parti Républicain du Peuple [18] (CHP, Cumhuriyet Halk Partisi) attaquait les ouvriers qui étaient licenciés de Kent AS [19], comment le Parti du Mouvement Nationaliste [20] (MHP, Milliyetçi Hareket Partisi) a joué son rôle dans l’aggravation de la politique étatique et anti-ouvrière. Un ouvrier a exprimé cette conscience très clairement : « Nous avons compris ce que nous sommes tous. Ceux qui ont voté pour la loi de privatisation nous disent aujourd’hui comment ils comprennent notre situation. Jusqu’ici, j’ai toujours voté pour le Parti du Mouvement Nationaliste. Ce n’est que dans cette lutte que j’ai rencontré des révolutionnaires. Je suis dans cette lutte parce que je suis un ouvrier. Les révolutionnaires sont toujours avec nous. Le Parti du Mouvement Nationaliste et le Parti Républicain du Peuple font cinq minutes de discours ici et puis s’en vont. Ils y en avaient parmi nous qui les chérissaient lorsqu’ils sont venus ici. A présent, la situation n’est plus la même. » [21] L’exemple le plus frappant de cette conscience s’est vu lorsque les ouvriers de Tekel ont empêché de parler des fascistes de l’Alperen Ocakları [22], la même organisation qui avait attaqué les ouvriers de Kent AS qui manifestaient dans le Parc Abdi Ipekçi parce qu’ils étaient Kurdes. La lutte de ceux de Tekel a également constitué un important soutien aux pompiers qui avaient été brutalement attaqués après leur première manifestation en leur redonnant le moral pour reprendre la lutte. De façon générale, les ouvriers de Tekel ont donné l’espoir non seulement aux pompiers mais à tous les secteurs de la classe ouvrière en Turquie qui veulent entrer en lutte. Ils ont fait en sorte de permettre à tous les ouvriers de participer à la grève. C’est pourquoi aujourd’hui, ils se tiennent fièrement à l’avant-garde de la classe ouvrière en Turquie. Ils ont permis aux ouvriers de Turquie de sortir du sommeil où ils étaient depuis des années en les faisant rejoindre les luttes ouvrières du monde entier. Ils représentent les graines de la grève de masse, comme celles qu’on a vu secouer le monde ces dernières années de l’Egypte à la Grèce, du Bangladesh à l’Espagne, de l’Angleterre à la Chine.

Cette lutte exemplaire (honorable ?) est toujours en cours, et nous pensons qu’il n’est pas encore temps d’en tirer toutes les leçons. Avec l’idée d’une grève de la faim et d’un jeûne total poussée en avant d’un côté, et de l’autre celle d’un comité de grève mis en œuvre par les ouvriers qui ne trouvent pas adaptée la grève de la faim pour la lutte et veulent au contraire l’étendre, avec les bureaucrates du Türk-Is qui font partie de l’Etat d’un côté et de l’autre les ouvriers qui veulent une grève générale, il est difficile de prévoir ce qui attend cette lutte, où elle ira, quels résultats elle obtiendra. Ceci étant dit, nous devons mettre l’accent sur le fait que, quelle qu’en soit l’issue, l’attitude remarquable des ouvriers de Tekel laissera des leçons inestimables pour toute la classe ouvrière.

Gerdûn (20 janvier 2010)

 

 

1. Tekel est la compagnie qui a eu le monopole d’Etat de toutes les entreprises de production d’alcool et de tabac.

2. Respectivement, la Confédération de Gauche des Syndicats des Ouvriers du Secteur Public, la Confédération des Syndicats Ouvriers Révolutionnaires, et la plus importante, la Confédération des Syndicats des Employés du Public, connu pour ses sympathies pro-fascistes.

3. Premier ministre, également dirigeant du Parti de la Justice et du Développement ou AKP (AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi).

4. https://www.cnnturk.com/2009/turkiye/12/05/erdogana.tekel.iscilerinden.p... [16]

5. Ville du Kurdistan turc.

6. https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [17]

7. Tek Gıda-İş, Syndicat des Ouvriers de l’Alimentaire, de l’Alcool et du Tabac, membre de la centrale syndicale Türk-İş.

8. La "réforme kurde" est une tentative de l'Etat turc de trouver une solution au problème posé par la guérilla kurde dans l'Est du pays, en assouplissant les lois anti-kurde (par exemple en levant les interdictions contre l'utilisation de la langue kurde). Cette "réforme" a récemment pris du plomb dans l'aile avec l'interdiction en décembre 2009 du parti kurde DTP (voir aussi l'article sur notre site en anglais: https://en.internationalism.org/icconline/2009/10/turkey [18]).

9. Région connue traditionnellement pour son nationalisme et son soutien au parti au pouvoir.

10. https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [17]

11. Confédération des syndicats turcs, la plus ancienne et la plus grande confédération de syndicats en Turquie qui a une histoire tout à fait infâme, ayant été formée sous l’influence des Etats-Unis dans les années 1950 d’après le modèle de l’AFL-CIO, et saboteur depuis des luttes ouvrières.

12. Connue pour être la capitale non-officielle du Kurdistan, Diyarbakır est une métropole du Kurdistan turc.

13. https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select... [19]

14. Ville du Kurdistan turc.

15. https://tr.internationalism.org/ekaonline-2000s/ekaonline-2009/tekel-isc... [20]

16. Environ 9000 sur les 10 000 de l’entreprise.

17. Le Şemame est une danse kurde très connue, et le Horon une autre également très connue de la région de la mer Noire de Turquie.

18. Le parti nationaliste de gauche, kémaliste, sécuritaire, membre de l’Internationale socialiste, extrêmement chauvin.

19. Les ouvriers de la municipalité d’İzmir, une métropole de la côte de la mer Egée. Ces ouvriers ont été licenciés par le Parti Républicain du Peuple qui contrôlait la municipalité où ils travaillaient et ensuite brutalement attaquées par la police alors qu’ils manifestaient contre le dirigeant du parti.

20. Le principal parti fasciste.

21. https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select... [19]

22. Gang meurtrier lié au Grand Parti d'Union (BBP, Büyük Birlik Partisi), une scission fasciste radicale du Parti du Mouvement Nationaliste.

Géographique: 

  • Turquie [21]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/icconline-janvier-2010

Liens
[1] https://www.liberation.fr/monde/0101613901-pres-de-50-000-morts-en-haiti-selon-la-croix-rouge [2] https://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/01/s%C3%A9isme-en-ha%C3%AFti-les-causes.html [3] https://www.bme.gouv.ht/alea%20sismique/Al%E9a%20et%20risque%20sismique%20en%20Ha%EFti%20VF.pdf [4] https://www.courrierinternational.com/article/2010/01/14/requiem-pour-port-au-prince [5] https://www.presseurop.eu/fr/content/article/169931-bien-plus-quune-catastrophe-naturelle [6] https://fr.internationalism.org/tag/5/52/amerique-centrale-et-du-sud [7] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/solidarite_avec_les_travailleurs_de_luz_y_fuerza_del_centro_au_mexique.html [8] https://fr.internationalism.org/tag/5/53/mexique [9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/luttes-classe [10] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/correspondance-dautres-groupes [11] https://fr.internationalism.org/tag/5/45/autriche [12] https://fr.internationalism.org/icconline/2009/compte_rendu_des_journees_de_discussion_de_lille_ecologie.html [13] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques [14] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/darwin [15] https://fr.internationalism.org/files/fr/2010TekelTurkey.jpg [16] https://www.cnnturk.com/2009/turkiye/12/05/erdogana.tekel.iscilerinden.protesto/554272.0/ [17] https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [18] https://en.internationalism.org/icconline/2009/10/turkey [19] https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select/roeportaj/artikel/136/direnisteki-tek.html [20] https://tr.internationalism.org/ekaonline-2000s/ekaonline-2009/tekel-iscisinden-seker-iscisine-mektup [21] https://fr.internationalism.org/tag/5/257/turquie