C'est parce que le Front National était devenu une lourde entrave qui compromettait systématiquement toute tentative de recomposition des partis de droite, condition indispensable pour le retour de ces fractions au gouvernement, que l'ensemble de la bourgeoisie a concocté une manœuvre provoquant l'éclatement de ce parti d'extrême droite devenu trop encombrant.
Cela n'est pas nouveau : l’utilisation de Le Pen et de son parti, telle une baudruche que l’on gonfle et que l’on agite selon les nécessités du moment de la vie politique, a déjà constitué un des moyens majeurs de la bourgeoisie française pour limiter les conséquences de la venue de la gauche au pouvoir dans les années 80, face à une classe ouvrière qui développait ses luttes et sa conscience et qui apprenait à reconnaître dans les partis de gauche ses pires ennemis.
De fait, le poids pris par l'extrême droite dans la vie politique française a été le produit direct de la situation créée par l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Cette dernière, confrontée à un discrédit croissant, va trouver dans le prétendu "danger fasciste" une légitimité nourrie par les succès du FN, qui auront été pleinement favorisés par le pouvoir socialiste en place. Il faut rappeler que la baudruche FN a été fabriquée de toutes pièces par les manœuvres de Mitterrand[1]. C’est l’instauration par Mitterrand d’un mode d'élections à la proportionnelle à un seul tour en 1986 qui aura permis au FN de faire son entrée au parlement. Pendant des années, le parti de Le Pen allait canaliser les votes protestataires de rejet de "la classe politique", tout en servant de faire-valoir à la gauche, auréolée, grâce à lui, du statut de champion de la "défense de la démocratie" et des "Droits de l’Homme".
Depuis lors, régulièrement, les scores électoraux du FN servent à alimenter les campagnes de tous les "démocrates" de gauche et d'extrême gauche sur la prétendue "montée de la menace fasciste" qui invitent les prolétaires à se mobiliser, en premier lieu sur le terrain électoral, à s'en remettre à "la défense de la démocratie" ou à se placer sous la bannière "d'un front républicain".
Or, le danger de "montée du fascisme" n'est qu'un leurre, car contrairement à la situation des années trente, sa condition préalable et indispensable : une classe ouvrière vaincue, n'est pas réalisée.
Par ailleurs, le véritable problème pour la classe dominante, n’est nullement le risque d'arrivée au pouvoir du FN. Il est parfaitement clair pour la bourgeoisie française que le programme du FN est totalement inapplicable et contraire aux besoins actuels du capitalisme. Tant ses orientations anti-européennes et isolationnistes que ses prétentions à interdire l'exploitation de la force de travail "immigrée" vont à contre-courant complet des objectifs du capital national.
La seule réelle préoccupation du reste de la bourgeoisie vis-à-vis d'un FN représentant 20% de l'électorat, c'est qu’aujourd’hui cette baudruche était devenue difficilement gérable. Elle était devenue d'autant plus gênante qu'elle se posait en arbitre obligé des querelles et des divisions des partis de droite, contribuant à favoriser leur concurrence et leur dispersion, au point qu’elle tenait littéralement en otage les secteurs de la droite traditionnelle, faisant et défaisant à sa guise ses déboires comme ses succès électoraux. Elle constituait une véritable entrave à tout projet de recomposition de la droite, contraignant la gauche à assumer, seule au gouvernement et pour une longue période indéterminée, un lourd programme d'attaques anti-ouvrières. L’impact négatif pour l’avenir d’une telle situation quant à la capacité de la gauche à mystifier la classe ouvrière était inacceptable pour la bourgeoisie dans son ensemble. C'est pourquoi la bourgeoisie s'est chargée de "casser" le FN. Voilà comment elle s'y est pris :
En n'ayant pas cessé de manipuler le FN, en le faisant gonfler hier par tous les moyens, en s'employant à le casser en deux aujourd'hui pour l'affaiblir et le contrôler plus aisément, la classe dominante démontre ainsi une fois de plus tout le machiavélisme qu'elle est capable de déployer.
Alors que la gauche continuera demain d'agiter devant elle l'épouvantail du "danger fasciste", la classe ouvrière ne devra pas céder à ces campagnes d'intox. L'ennemi le plus dangereux pour elle, ce n'est pas l'extrême droite, mais bien les partis de gauche et leurs syndicats parce qu’ils sont les plus aptes à tromper les ouvriers. Ce sont ces partis de gauche et les syndicats qui chercheront à les dévoyer de leur terrain de classe pour mieux saboter leurs luttes de résistance aux attaques du capitalisme.
[1] Sur ce sujet, il vaut la peine d'illustrer les connivences entre le FN et le PS par un témoignage venu de l'intérieur du parti de Le Pen, celui de Lorrain de Saint Afrique. Au sein d'un livre intitulé Dans l'ombre de Le Pen, il raconte des épisodes de l'histoire des relations Tapie / Le Pen, édifiantes quant à la stratégie de la gauche mais aussi des mœurs de la bourgeoisie :