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Révolution Internationale n° 331 - février 2003

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Réforme des retraites à EDF : les syndicats sabotent la riposte ouvrière

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Lors de ses "bons" vœux exprimés "aux Français" le 6 janvier, et particulièrement en direction de la classe ouvrière que le chef de l'Etat a appelé à "l'effort partagé et juste" et à "renouer avec les fils de la solidarité", Jacques Chirac donnait le coup d'envoi à une accélération du "chantier" des retraites, qui devra être achevé au mois de juin.
En ce sens, on a donc vu le gouvernement Raffarin se préparer à mettre les bouchées doubles pour faire travailler plus longtemps les ouvriers en leur faisant payer toujours plus le prix fort de la crise et du chômage.
Et si les salariés du secteur privé avaient vu passer en 1993 le nombre d'annuités ouvrant les droits à la retraite à 40 ans, les gouvernements successifs, de droite et de gauche, n'avaient pas achevé leur sale besogne dans le secteur de la fonction publique.
Ainsi, c'est Raffarin qui, en l'occurrence, va s'efforcer de réaliser le but de Jospin de réformer les retraites des fonctionnaires et des régimes spéciaux.

Ces derniers, EDF et GDF en première ligne, vont justement servir de ballon d'essai et de tremplin pour généraliser l'attaque à tout le secteur public. Et ce ne sont bien évidemment pas les grandes phrases démagogiques de Chirac ou la détermination affichée des Raffarin et autres Fillon, pas plus que les provocations du Medef sur les "nantis" de la fonction publique, qui vont faire avaler la pilule aux prolétaires, mais le travail de sabotage des syndicats au sein même de la classe ouvrière. Déjà, la manifestation des agents d'EDF et de GDF du 3 octobre 2002, appelée par l'ensemble des syndicats sur le thème de "Tous ensemble pour le secteur public nationalisé" et à laquelle avait été conviées d'autres entreprises du public (SNCF, La Poste, Air France, France Telecom), a constitué un moment fort de ce sale travail syndical. En mettant l'accent sur la "défense du service public", les syndicats enfonçaient le clou de la division entre les ouvriers du privé et les "privilégiés" du secteur public accrochés à leurs prérogatives et entraînaient encore ces derniers sur le terrain particulièrement pourri de l'opposition à la privatisation pour la défense du secteur nationalisé, esquivant la question centrale des attaques d'ampleur contre toutes leurs conditions de vie et de travail, et dont les retraites sont un axe principal (voir RI n°328).

La mascarade du vote organisé à EDF et GDF en janvier dernier a vu éclater toute la duplicité syndicale pour faire passer la réforme des retraites. Mis sur pied par la CGT et en accord avec le gouvernement, soi-disant pour avoir l'avis des salariés et pour servir de "test" à l'avenir de la réforme dans les autres entreprises publiques et chez les fonctionnaires, le "non" des agents a eu pour résultat… une détermination accrue du Premier ministre déclarant que ce prétendu "revers majeur" (selon le PS) ne "remettait nullement en cause le choix du gouvernement de réformer les retraites" ! Il ne pouvait en être autrement car il y avait là tous les ingrédients pour le rassurer sur la voie royale ouverte par les syndicats. Ceux-ci se sont en effet partagés le travail afin de semer le maximum de confusion et de tuer dans l'oeuf toute tentative de riposte des agents d'EDF-GDF.
Tout d'abord, le travail de sabotage de la CGT, sous prétexte de se mettre à l'écoute de la base, a consisté à enfermer les ouvriers dans l'isoloir, chacun avec son bulletin de vote, seul et atomisé, écartant la tenue d'assemblées générales, seuls lieux à même de développer une véritable expression de la réflexion collective de la classe ouvrière. Ensuite, le prétendu cafouillage de la CGT qui, tout en étant à l'initiative de la consultation électorale, s'était prononcée auparavant, par la voix de son leader à EDF-GDF, en faveur de l'accord, puis qui, par souci "démocratique", s'est ralliée au vote majoritaire du "non", a permis d'entretenir le désarroi et le déboussolement.
A ce travail de sape de la CGT sont venues s'ajouter les déclarations de Blondel s'étant opposé dès le début à l'accord, non pas en soi contre celui-ci, mais parce que la "réforme des retraites était le préalable nécessaire à l'ouverture du capital d'EDF". Autrement dit, attaquer le système de retraites, oui, mais si EDF reste nationalisée, poussant les ouvriers dans le faux choix mortel : être nationalisés ou privatisés. Et pour jeter un peu plus le trouble dans la réflexion des ouvriers, la CFDT qui, quant à elle, soutient la réforme gouvernementale, se chargeait de rajouter une couche de confusion en regrettant haut et fort que "les salariés se soient trompés sur l'objectif du texte (de la réforme) qui visait à alléger l'entreprise des charges de retraite à un moment où l'on ouvre le marché à la concurrence".

On a ainsi vu de la part des syndicats se mettre en place tout l'éventail des positions possibles de façon à éparpiller autant que faire se peut la réflexion des ouvriers. Et les partis de gauche et d'extrême gauche ne se sont pas privés d'apporter leur aide active à cette opération de sabotage. Ainsi, le PS à travers François Hollande se félicitait que les salariés aient dit "non à l'ouverture du capital d'EDF" pour conseiller au gouvernement de "traiter globalement (le dossier général des retraites) et non pas par bouts comme il a tenté de la faire". En clair : plus fort, plus vite et plus large pour attaquer la classe ouvrière !

Dans ce concert tonitruant des ennemis des ouvriers, la LCR voyait même que "le vote des salariés de l'énergie montre que l'on peut battre la politique de régression sociale du gouvernement". Ben voyons ! C'est tout le contraire qui est vrai : une accumulation de mauvais coups plus pernicieux les uns que les autres contre les ouvriers, dont le vote à EDF-GDF a été une phase particulière afin de provoquer le désarroi dans toute la fonction publique et au-delà dans toute la classe ouvrière. Car ce "ballon d'essai" a eu pour objectif d'offrir l'image d'une classe ouvrière impuissante et déboussolée, incapable de s'organiser, de façon à mieux faire passer l'attaque à venir contre tous les autres secteurs et toutes les catégories d'ouvriers.

Il ne faut pas être dupe. Toute cette opposition de façade n'a aucunement l'intention d'empêcher le gouvernement de réformer les retraites. Elle est tout au contraire sur le devant de la scène pour lui préparer le terrain. La manifestation et la journée d'action du 1er février prochain auxquelles appellent les syndicats comme les partis de gauche et d'extrême gauche contre la réforme Raffarin et du Medef va s'avérer être un moment de plus dans le sabotage du terrain de la riposte ouvrière. Et demain, comme pour les 35 heures, ils viendront nous dire pour les uns que la réforme des retraites est une bonne chose pour la solidarité ouvrière, pour les autres qu'ils n'en voulaient pas mais en rendront responsables les ouvriers eux-mêmes, incapables de s'y opposer.

Mulan (21 janvier)

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Heritage de la Gauche Communiste: 

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Irak : les enjeux de la nouvelle croisade impérialiste

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Au milieu des flots de propagande déversés aujourd'hui par les gouvernements et les partis politiques à propos des préparatifs de guerre au Moyen-Orient, deux thèmes se distinguent particulièrement. Le premier attribue la responsabilité essentielle d'une telle guerre aux "Etats voyous", tel l'Irak, désignés comme des menaces pour la paix et la sécurité mondiale. L'autre thème met en cause, au contraire, de "mauvais" pays capitalistes, la première puissance mondiale en particulier, laquelle n'aurait dans cette affaire d'autre objectif que de s'accaparer les revenus de la vente du pétrole irakien. Face à ces campagnes, il appartient aux révolutionnaires de défendre la position internationaliste du prolétariat en débusquant les mensonges dont nous abreuvent les différents camps bourgeois en présence.

Depuis la Première Guerre mondiale, la bourgeoisie a toujours pris un soin particulier à masquer les causes réelles de la guerre. Si bien que les fondements de ce fléau auquel le 20e siècle doit en bonne partie d'avoir été le siècle le plus barbare de l'histoire de l'humanité demeurent complètement incompréhensibles aux grandes masses de la population, totalement mystifiées par un discours dégageant le capitalisme et la bourgeoisie comme un tout de leurs responsabilités dans cette situation. C'est le propre de la bourgeoisie, en tant que classe dominante d'un système entré en décadence depuis maintenant un siècle et qui, dans son agonie, entraîne l'humanité vers le néant, de faire passer pour des vertus les pires monstruosités en les drapant du voile idéologique de la défense de la "civilisation", de la "démocratie", des "droits de l'homme", du "droit international", de la "lutte contre le terrorisme". Sa préoccupation est de cacher ce fait que les conflits qui ont ensanglanté la planète depuis un siècle ont tous été, sans exception, des conflits impérialistes, c'est-à-dire l'expression au plus haut niveau des antagonismes entre fractions rivales de la bourgeoisie mondiale.

 

Tous les pays et toutes les guerres sont impérialistes

Le mobile réel de la Première Guerre mondiale n'était autre que le repartage du marché mondial. Pour des pays comme la France et surtout la Grande-Bretagne dont l'économie pouvait bénéficier d'un empire colonial, il s'agissait de défendre un statu quo à leur avantage contre la volonté de l'Allemagne en particulier, moins bien lotie sur ce plan, de vouloir le remettre en cause. C'est ce dernier pays qui a poussé à la guerre alors que le manque de débouchés résultant de sa situation géopolitique et la crise de surproduction en développement handicapaient de façon croissante sa capacité à écouler une production industrielle importante. Tous les belligérants, y compris les vainqueurs à l'exception des Etats-Unis, ont sur le plan économique été des perdants de cette guerre. En fait, si les Etats-Unis ont pu acquérir à travers elle une position dominante au niveau mondial, c'est parce que, éloignés du terrain des opérations, ils ont eu à fournir un effort de guerre relativement moins important que les puissances européennes et ont été épargnés par les destructions massives.
La Seconde Guerre mondiale est elle aussi le produit des mêmes contradictions et l'enjeu des tueries est de nouveau le repartage du monde. C'est ce que traduit clairement le slogan de Hitler pour justifier la politique expansionniste de l'Allemagne : "Exporter ou mourir". Les destructions occasionnées par le second conflit mondial ont impliqué, de façon plus nette encore que le premier, un recul de l'économie mondiale, avec des répercussions sur tous les protagonistes, même si encore une fois les Etats-Unis s'en sont mieux sortis que les autres. En fait, ceux-ci ont, à cette occasion, encore renforcé leur position de première puissance mondiale, fondamentalement grâce aux positions stratégiques qu'ils venaient d'acquérir, notamment suite à la défaite de l'Allemagne et du Japon mais aussi suite à la ruine des principaux pays d'Europe. De même, c'est également grâce à la défaite de l'Allemagne que la Russie put occuper elle aussi des zones stratégiques essentielles, dont une partie de l'Europe, lui permettant ainsi de se hisser au rang de seconde puissance mondiale, à la tête du bloc impérialiste rival des Etats-Unis. Et pourtant la Russie était alors, et restera, un pays dont l'économie a plus à voir avec celle des pays sous-développés que celle des grands pays industrialisés. Ainsi la Seconde Guerre mondiale illustre clairement cette tendance, qui s'accentue au sein de la décadence du capitalisme, selon laquelle les gains de la guerre s'expriment en terme de positions stratégiques payées au prix fort sur le plan économique. La conquête de telles positions tend à devenir essentiellement un but en soi, contrairement au passé où elle constituait surtout un moyen de conquêtes à caractère économique. A mesure que se prolonge la période de décadence du capitalisme, la guerre prend un caractère de plus en plus irrationnel sur le plan économique même (sans parler pour l'humanité !), pour le capital comme un tout, mais aussi pour chaque capital national pris séparément. C'est ce que montrent les quatre décennies du face à face entre le bloc de l'Est et celui de l'Ouest avec son cortège de guerres locales, la plupart du temps pour des objectifs strictement stratégiques ayant englouti en pure perte des sommes considérables (et fait plus de morts que la Seconde Guerre mondiale). L'URSS, économiquement plus faible que ses rivaux du bloc occidental, ne pouvait plus supporter le coût de l'effort de guerre, si bien qu'elle n'a pas résisté à l'aggravation de la crise économique et s'est effondrée.
Tout ce qui précède n'enlève rien au fait que ce sont toujours les déterminations économiques qui constituent le moteur de la guerre. En effet, c'est l'aggravation de la crise économique qui pousse chaque bourgeoisie nationale à vouloir résoudre les contradictions qui en découlent dans la fuite en avant dans le militarisme et vers la guerre. Bien qu'une telle politique constitue à son tour un facteur d'aggravation de la crise, aucun pays ne peut y échapper sous peine de présenter une vulnérabilité accrue face aux appétits impérialistes des autres nations. Ainsi, si au début du 20e siècle, la guerre est conçue par ses protagonistes comme un moyen de repartage des marchés, elle s'est progressivement imposée à leur conscience comme étant désormais le moyen de défendre son rang dans l'arène impérialiste mondiale. C'est ce qu'a montré de manière éclatante la guerre du Vietnam entre 1962 et 1975 où l'absence totale d'objectif économique n'a pas empêché une implication massive et terriblement coûteuse de la part des Etats-Unis. De même, toute la période écoulée depuis la fin des blocs constitue une illustration frappante de ce fait. En effet que ce soit en Irak en 1991, en Yougoslavie, en Afghanistan, aucune des opérations militaires, pour ne citer que les principales, des Etats-Unis et de leurs "alliés", n'a en aucune façon permis une rentabilisation ultérieure (évanoui le bluff de la reconstruction de la Yougoslavie !) mais le fait réel de dépenses énormes sur fond de relance de la course aux armements. En revanche, toutes ces opérations participaient d'un enjeu stratégique qui constitue la toile de fond à la préparation d'une nouvelle guerre en Irak.

 

L'importance stratégique de l'Irak

La fin des blocs en 1990 inaugure un accroissement considérable des conflits et du chaos à l'échelle de la planète. La dynamique et l'enjeu de ceux-ci se résume de la sorte : "Face à un monde dominé par le 'chacun pour soi', où notamment les anciens vassaux du gendarme américain aspirent à se dégager le plus possible de la pesante tutelle de ce gendarme qu'ils avaient dû supporter face à la menace du bloc adverse, le seul moyen décisif pour les Etats-Unis d'imposer leur autorité est de s'appuyer sur l'instrument pour lequel ils disposent d'une supériorité écrasante sur tous les autres Etats : la force militaire. Ce faisant, les Etats-Unis sont pris dans une contradiction :
- d'une part, s'ils renoncent à la mise en œuvre ou à l'étalage de leur supériorité militaire, cela ne peut qu'encourager les pays qui contestent leur autorité à aller encore plus loin dans cette contestation ;
- d'autre part, lorsqu'ils font usage de la force brute, même, et surtout, quand ce moyen aboutit momentanément à faire ravaler les velléités de leurs opposants, cela ne peut que pousser ces derniers à saisir la moindre occasion pour prendre leur revanche et tenter de se dégager de l'emprise américaine." (Résolution du 12e congrès du CCI [3], Revue Internationale n°90).
Une telle analyse permet de comprendre non seulement les raisons de la première guerre du Golfe en 1991 mais aussi pourquoi, depuis lors, les Etats-Unis se trouvent contraints de renouveler et amplifier les démonstrations de force face à celles, aussi de plus en plus téméraires, lancées contre leur autorité.
Les interventions militaires américaines n'ont cependant pas pour fonction unique de rappeler de façon menaçante qui est le seul gendarme du monde et qui, seul, a les moyens de l'être. A travers elles, ce sont aussi un ensemble de positions stratégiques que conquièrent les Etats-Unis. L'Irak constitue en l'occurrence un maillon d'importance au sein d'une stratégie d'encerclement des puissances européennes occidentales visant notamment à bloquer l'avancée impérialiste de l'Allemagne, leur plus dangereux rival impérialiste, vers les territoires slaves et orientaux. Une telle importance se trouve encore accrue du fait des réserves pétrolières de son sous-sol, et plus globalement de celui du Moyen-Orient dont dépend en grande partie l'économie du Japon mais aussi de certains pays européens. Si les Etats-Unis parvenaient à un contrôle absolu sur les fournitures de l'Europe ou du Japon en hydrocarbures, cela voudrait dire qu'ils seraient en mesure d'exercer le plus puissant des chantages sur ces contrées en cas de crise internationale grave : ils n'auraient même pas besoin de les menacer de leurs armes pour soumettre ces pays à leur volonté.
Pour prendre la mesure de l'évolution de la contestation de l'autorité des Etats-Unis par leurs anciens alliés depuis la disparition des blocs, il suffit de se remémorer les timides tentatives effectuées en 1990 par l'Allemagne et la France visant à "saboter la guerre" en dépêchant en Irak leurs propres conciliateurs en vue de faire reculer Saddam Hussein. On était alors loin des déclarations tonitruantes actuelles de la part de l'Allemagne et de la France contre la politique américaine. Plus spectaculaire encore, et également significative de la situation actuelle, est l'attitude de la Corée du Nord qui, en paroles et en actes, défie ouvertement l'autorité américaine non seulement en remettant en cause unilatéralement les accords qui lui interdisent la poursuite de son programme nucléaire mais aussi en accusant publiquement les Etats-Unis d'être à l'origine d'une telle mesure discriminatoire à son encontre. Sachant les Etats-Unis occupés par d'autres problèmes, il s'agit pour la Corée de profiter de la situation afin de renégocier avec l'Oncle Sam, à des meilleures conditions, le respect des accords aujourd'hui dénoncés avec force publicité. Néanmoins, il y a tout lieu de penser qu'elle a été poussée dans cette démarche par d'autres puissances régionales, elles aussi intéressées à pouvoir défier l'autorité américaine. Ainsi, dans le sillage des déclarations de Pyongyang, la Chine et la Russie se sont précipitées pour déclarer qu'il ne fallait pas dramatiser la situation et qu'elles-mêmes prenaient en charge son règlement pacifique. Et dans le même temps la Russie mettait de nouveau à profit l'étroitesse de la marge de manœuvre actuelle des Etats-Unis en déclarant ouvertement qu'elle va aider l'Iran dans la poursuite de son programme nucléaire, lequel pourtant a déjà valu à ce pays des menaces explicites de représailles de la part des Etats-Unis.
Jamais à la veille d'une intervention militaire programmée des Etats-Unis, on n'avait assisté à une telle contestation de leur leadership mondial. Ce fait a toute son importance dans la mesure où il pourrait avoir des incidences, non pas sur la capacité des Etats-Unis à renverser militairement Saddam Hussein, même à eux seuls, mais sur les implications d'une telle intervention et surtout de ses suites. En effet, l'hostilité qu'elle suscite dans le monde est aussi présente dans la population américaine où elle pourrait prendre un nouvel élan s'il devait y avoir des morts du côté américain. Comme la bourgeoisie américaine l'a clairement annoncé, son intention est de prendre pied en Irak et d'administrer le pays. Il y a là le risque d'un enlisement dans un environnement qui sera d'autant plus agressif que l'opposition à l'intervention américaine aura dès le départ suscité une forte hostilité, tant dans la région que dans le monde.
La bourgeoisie américaine est parfaitement consciente des difficultés qui sont devant elle. Il s'est d'ailleurs exprimé en son sein des divergences portant non pas sur la nécessité de poursuivre l'offensive mais sur la meilleure manière de le faire en évitant de se retrouver isolés sur la scène internationale. C'est d'ailleurs la prise en compte de ce facteur qui a amené les Etats-Unis à changer leur fusil d'épaule à l'automne dernier en tentant de faire parrainer par l'ONU une intervention militaire en Irak (voir à ce propos notre article "Menaces de guerre contre l'Irak" dans la Revue Internationale n°111 [4]).
La détermination de fer qu'ils ont jusqu'à présent affichée en faveur d'une telle intervention les autorise à présent difficilement à reculer maintenant pour tenter de se créer des conditions plus favorables. C'est une des raisons pour laquelle ils tentent d'obtenir un départ "négocié" de Saddam Hussein, lui proposant, à lui et à sa famille, un sauf-conduit en déclarant renonçer par avance à toute poursuite contre sa personne. Une telle issue serait tout bénéfice pour les Etats-Unis qui ne manqueraient pas d'en attribuer les mérites à leur fermeté et leur permettrait d'entrer en Irak à moindre risque.
En dépit de leur hostilité actuelle affichée à l'encontre de la politique américaine, on ne sait pas encore quelle sera l'attitude de pays comme la France face à l'entrée en guerre des Etats-Unis. Il est possible que certains opéreront une volte face, en prétextant par exemple telle trouvaille de dernière minute à charge de Saddam Hussein faite par les inspecteurs en désarmement. S'ils participaient alors à la guerre, ce serait non pas par allégeance aux Etats-Unis mais parce que ce serait la condition pour continuer à pouvoir jouer un rôle dans la région, voire un moyen de contrecarrer les plans américains sur place. C'est d'ailleurs pour cette première raison que la Grande-Bretagne a répondu présent depuis le début, et non pas pour honorer une alliance "historique" avec les Etats-Unis qui a fait long feu comme on l'a vu en Yougoslavie depuis le début des années 1990.

 

Le rôle des fausses explications à la guerre

Partout dans le monde, la thèse de l'administration américaine selon laquelle le renversement de Saddam Hussein se justifie par la menace que représente son programme de fabrication d'armes de destruction massive perd, jour après jour, de sa crédibilité. Même aux Etats-Unis, où la population ne s'est pourtant pas encore totalement remise de l'accès de patriotisme suscité à dessein suite à l'attentat du 11 septembre, elle rencontre un scepticisme croissant.
Et c'est là qu'intervient le mythe mensonger du pacifisme. Il a pour fonction de canaliser la protestation contre la guerre sur un terrain permettant d'éviter qu'elle ne débouche sur une remise en cause radicale du système. Pour sauver la mise au capitalisme, le pacifisme est capable de mettre en cause la responsabilité de fractions "inadaptées" de la bourgeoisie, de condamner de prétendues "aberrations du système", qu'il suffirait de corriger. C'est fondamentalement d'une telle stratégie idéologique de la bourgeoisie que relève l'explication suivant laquelle la guerre préparée par le gouvernement américain serait une "guerre pour le pétrole". Un élu de Californie déclarait lors de la manifestation pacifiste du 19 janvier dernier à San Francisco : "La Corée du Nord possède l'arme nucléaire, mais l'on n'y va pas. L'Irak ne l'a pas, mais l'on s'y précipite. La différence ? Voyons … Le pétrole !" En d'autres termes, ce qui intéresserait fondamentalement les Etats-Unis conduits par un président lui-même lié aux pétroliers américains, c'est de faire main basse sur les réserves de pétrole de l'Irak pour s'approprier les profits faciles de sa vente.
Une telle explication est totalement en contradiction avec la réalité même des précédents conflits en Afghanistan, en Yougoslavie et même en Irak en 1991 qui, on l'a vu, ont coûté énormément et n'ont pas permis aux vainqueurs de se payer en nature, que ce soit avec du pétrole ou autre chose. Elle vise en fait à masquer la réalité de la dynamique actuelle d'une spirale infernale mue par les forces aveugles du capitalisme en crise et qui entraînent tous les pays dans la guerre. Si aucun pays n'échappe à cette course folle, ce sont néanmoins les grandes puissances qui sont à l'offensive, soit de façon conventionnelle, soit par la manipulation du terrorisme, et qui détiennent entre leurs mains des moyens de destruction capables de créer des dommages croissants et irréparables à la civilisation.

Luc (23 janvier)

Récent et en cours: 

  • Guerre en Irak [5]

Crise économique : la surproduction, maladie congénitale du capitalisme

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Partout dans le monde et plus particulièrement en ce moment dans le carré des grands pays industrialisés, les prolétaires peuvent entendre cette mauvaise rengaine que jouent la bourgeoisie et ses sous-fifres de journalistes et d'économistes aux ordres : "Salariés, vous vivez au-dessus de vos moyens, il va falloir vous serrer la ceinture." Ainsi, non contente d'avoir depuis plus de trente ans licencié, rogné par tous les moyens les salaires et les revenus sociaux, la bourgeoisie continue de cogner mais cette fois-ci avec une violence redoublée.

 

L'aggravation de la misère est due à la surproduction capitaliste

Aujourd'hui, les coups que la bourgeoisie assène aux prolétaires n'ont d'égal que ceux des années 1930. Cependant, à nous tous, il est donné de voir dans les pays dits "riches" des supermarchés remplis d'objets de consommation, des magasins regorgeant de produits en tout genre, des entreprises capables de tout fabriquer mais qui, en dernière analyse, se heurtent à une difficulté : de moins en moins de consommateurs peuvent acheter leurs marchandises. En conséquence, cela se traduit dans tous les secteurs par des faillites et donc des licenciements. Aucune branche d'activité, depuis l'agriculture jusqu'à l'informatique en passant par l'automobile, n'est épargnée, aucun État n'y échappe. Comme le soulignait déjà Marx en 1848 dans le Manifeste Communiste : "La société se voit rejetée dans un état de barbarie momentané ; on dirait qu'une famine, une guerre de destruction universelle, lui ont coupé les vivres ; l'industrie, le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop d'industrie, trop de commerce." Voici donc, décrit par Marx, ce type de crise jusqu'alors inédit dans l'histoire et devenu pratiquement permanent au 20e siècle : la surproduction.
Si, désormais, des millions d'êtres humains sont jetés à la rue, souffrent de famine, ce n'est plus parce que la société ne produit pas assez mais au contraire parce qu'elle produit trop et qu'elle ne trouve pas d'acheteurs. Jamais dans l'histoire humaine, une telle situation ne s'était rencontrée. Car, s'il est vrai qu'au 14e siècle, l'Europe était ravagée par les disettes, c'est fondamentalement parce que les structures sociales médiévales étaient incapables de subvenir aux besoins des populations. A l'époque, il eût paru totalement invraisemblable qu'un jour, l'humanité pourrait souffrir d'indigence à cause d'un excès de production invendue. Pourtant, de nos jours, c'est bel et bien le cas.
Contrairement, donc, à tout ce que peut affirmer la bourgeoisie, nous ne vivons pas au-dessus de nos moyens mais largement en dessous. Prenons un exemple, particulièrement significatif puisqu'il concerne la nourriture, le secteur agricole. A l'aube du 18e siècle, c'est-à-dire juste avant la révolution industrielle qui naît en Angleterre, un paysan européen nourrit 1,7 personne, de sorte qu'il s'alimentait lui-même et fournissait les trois quarts de l'alimentation d'une autre personne ; en 1975, un travailleur agricole aux États-Unis pouvait nourrir 75 individus (ce chiffre doit approcher la centaine en 1992). Selon d'autres sources, il semblerait aujourd'hui que la seule agriculture des Pays-Bas, hypercompétitive, soit suffisante à nourrir l'Europe ! De même, à présent, l'agriculture mondiale pourrait ravitailler près de trois fois toute l'humanité, soit environ 18 milliards d'êtres humains.
Comble de l'absurde, le capitalisme réduit à la famine et à la malnutrition endémique environ la moitié de la population mondiale, soit 3 milliards d'hommes. Et, comme le capitalisme ne produit pas pour satisfaire les besoins humains mais pour vendre et réaliser du profit, les excédents agricoles sont détruits mais surtout pas distribués sinon ils feraient chuter les cours du marché (qui se situent déjà bien bas). Ainsi, désormais, subventionne-t-on dans la CEE les paysans pour qu'ils mettent en jachère leurs terres. Des millions d'hectares capables de fournir des millions de quintaux de blé (15% des terres céréalières) vont retourner à la friche.
Encore une fois, la description d'une telle société eût semblé totalement délirante pour le paysan du Moyen Âge, lui qui, patiemment depuis l'an mil, n'avait eu de cesse laborieusement que défricher, assécher les marais. Bien sûr, cela ne concerne pas que la vieille Europe, puisqu'aux États-Unis même, on incendie les champs d'orangers pour cause de surproduction.

Pourtant, l'humanité n'en finit pas de crever de faim et, dans nos supermarchés, tous ces produits agricoles sous leurs diverses formes sont toujours aussi chers comparativement à nos salaires. Une question vient donc immédiatement à l'esprit : pourquoi de telles crises de surproduction ? Comment se fait-il que le capitalisme ne parvienne pas à écouler les marchandises qu'il crée ? Pourquoi l'offre (la production) est-elle plus importante que la demande (la consommation) ?

 

Les causes de la crise de surproduction

Marx a, de son temps, clairement mis en évidence que le travail humain, ou plus exactement la force de travail, est une marchandise qui s'achète et qui se vend. Et, ce qui détermine le prix de la force de travail, à savoir le salaire que va verser le capitaliste à l'ouvrier, c'est, comme toute marchandise, la quantité de travail nécessaire à sa production. Qu'est-ce que cela veut dire ? Simplement que le salaire versé à l'ouvrier par l'entrepreneur est le strict minimum servant à l'éduquer, le nourrir, le loger, le vêtir. Quant aux congés hebdomadaires et annuels, ils ne servent qu'à permettre au prolétaire de reconstituer sa force de travail ; d'être suffisamment en forme pour produire de nouveau et dans les mêmes conditions qu'avant.
Mais Marx a percé le mystère du prétendu salaire juste, équitable. Il a mis en évidence que l'ouvrier travaille plus qu'il n'est rétribué, qu'il y a exploitation du travail, non pas au sens moral mais bien scientifiquement. Le salaire n'est-il pas l'équivalent exact, sous forme d'argent, du travail fourni par l'ouvrier ? Non, pas du tout, cette réalité de l'exploitation salariale, même si elle n'est pas a priori apparente n'en est pas moins vraie. Elle est simplement masquée.
Dans la Rome antique, celle de l'Empire qui a succédé à la République, lorsque les maîtres utilisaient de la force de travail sous forme d'esclaves capturés au gré des conquêtes militaires, l'exploitation était visible : les maîtres nourrissaient et logeaient cette main-d'œuvre ; celle-ci appartenait aux maîtres et travaillaient jusqu'à la mort sur les terres des villas.
Ce fut la même chose au Moyen Age. Lorsque, durant la période carolingienne des 8e et 9e siècles, le mode de production esclavagiste a disparu et a été remplacé par les structures de la seigneurie, ici aussi le servage a laissé clairement apparaître l'exploitation. Selon les rapports établis avec le seigneur de l'endroit, chaque semaine, le serf devait travailler deux ou trois jours sur la réserve, c'est-à-dire sur la terre du seigneur féodal, et effectuer des corvées gratuitement.

Dans le capitalisme, qui est également une société de classes, la tricherie se situe désormais au niveau des salaires. Prenons un exemple totalement théorique : un ouvrier travaillant sur une chaîne de montage ou derrière un micro-ordinateur et qui, à la fin du mois, est payé 800 euros. En fait, et c'est ce que Marx a démontré, il a produit non pas pour l'équivalent de 800 euros, ce qu'il reçoit, mais pour la valeur de 1200 euros. Il a effectué un surtravail, une plus-value, qui se traduit pour le capitaliste en profit. Que fait le capitaliste des 400 euros qu'il a volés à l'ouvrier ? Il en met une partie dans sa poche, admettons 150 euros, ce qui lui permet généralement de vivre beaucoup mieux qu'un simple ouvrier, et les 250 euros restant, il les réinvestit dans le capital de son entreprise, le plus souvent sous forme de l'achat de machines plus modernes, etc.
Mais pourquoi le capitaliste procède-t-il ainsi ? Parce qu'il n'a pas le choix. Le capitalisme est un système concurrentiel, il faut vendre les produits moins cher que le voisin qui fabrique le même type de produits. En conséquence, le patron est contraint non seulement de baisser ses coûts de production, c'est-à-dire les salaires (ou, dit autrement, le capital variable), mais encore d'utiliser une part croissante du surtravail dégagé pour le réinvestir prioritairement dans les machines (le capital fixe), afin d'augmenter la productivité (quantité produite en un temps donné) de son capital. S'il ne le fait pas, il ne peut pas réinvestir, se moderniser, et, tôt ou tard, son concurrent, qui, lui, le fera, vendra moins cher et remportera le marché. Le patron philanthropique qui, par hypothèse, se refuserait à exploiter toujours plus ses ouvriers serait vite conduit à faire faillite.
Le système capitaliste est donc à la fois dynamique, dans le sens où il doit constamment s'élargir, accumuler, pousser au maximum l'exploitation de la force de travail, et affecté par un phénomène contradictoire : en effet, en ne rétribuant pas les ouvriers par l'équivalent de ce qu'ils ont effectivement fourni comme travail et en contraignant les patrons à renoncer à consommer une grande part du profit ainsi extorqué, le système produit plus de valeur qu'il n'en distribue. Jamais ni les ouvriers ni les capitalistes réunis ne pourront à eux seuls absorber toutes les marchandises produites. Et pour cause, puisqu'une partie du produit du travail de l'ouvrier, celle qui n'est ni reversée sous forme de salaires ni consommée par les capitalistes, mais qui est destinée à être réinvestie, c'est-à-dire transformée en nouveau capital, ne peut trouver d'acheteurs dans la sphère capitaliste. Ce surplus de marchandises, qui va le consommer ?

 

La nécessité vitale pour le capitalisme de trouver des marchés

C'est là justement qu'intervient la nécessité pour ce système de trouver de nouveaux débouchés en dehors du cadre de la production capitaliste ; c'est ce qu'on appelle les marchés extra-capitalistes (au sens d'en dehors du capitalisme). En quelque sorte, un marché extra-capitaliste, c'est un débouché économique solvable, en d'autres termes capable de payer les marchandises, mais qui ne fonctionne pas de manière capitaliste, puisque quand c'est le cas, on ne peut acheter tous les biens fabriqués.
Il en est ainsi depuis la genèse de ce mode de production. Le capitalisme n'a pas conquis la planète entière du jour au lendemain. Prenons l'exemple de l'Angleterre. Lorsque, en 1733, John Kay met au point son fameux métier à tisser qui multiplie par quatre la productivité, les étoffes tissées, désormais abondantes et bien moins chères, n'ont pas été vendues aux seuls ouvriers et entrepreneurs anglais. Elles étaient également consommées par des paysans ainsi que par des nobles qui avaient la possibilité d'acheter. Ces paysans, ces nobles, n'appartenaient pas à la sphère de production capitaliste qui, à elle seule, eût été incapable de tout absorber. Voilà donc un exemple de marché extracapitaliste à l'intérieur même du pays où est née la révolution industrielle. Dans une certaine mesure, des poches, des unités de production capitalistes, sont apparues et ont progressivement gagné le reste du monde. Par là même se trouvaient résolues, momentanément, les crises de surproduction. Certes, il y en avait, mais celles-ci, aux 18e et 19e siècles, duraient deux à trois ans, le temps que de nouveaux débouchés soient conquis. Après quoi la machine économique repartait de plus belle.
Ainsi ce système a-t-il pu, dans les contrées où il est né, c'est-à-dire en Europe, trouver les conditions de sa croissance. Toutefois, en conquérant ce type de marché avec des produits défiant toute concurrence, le capitalisme contraignait les sphères de production extra-capitalistes à produire de la même façon que lui. Pourquoi ?
Qui pouvait en effet continuer à produire des étoffes artisanalement alors que les manufactures, ces ancêtres des usines modernes, faisaient les mêmes mais à bien moindre coût ? Personne. En conséquence, le capitalisme ne faisait que détruire ce qui lui servait momentanément de ballon d'oxygène. Ces marchés extérieurs adoptaient à leur tour le mode de production capitaliste et le même problème se retrouvait posé encore et toujours à une échelle chaque fois supérieure : à qui vendre ?

C'est ce processus dynamique et contradictoire qui anime toute l'histoire de ce monde, tel l'ogre du conte qui a besoin d'enfants pour vivre mais qui les dévore. Ainsi, au 19e siècle, une fois qu'à l'intérieur des grands pays industrialisés, le mode de production capitaliste s'était imposé avec violence, il lui a fallu partir à la conquête du monde pour trouver de nouveaux débouchés. C'est l'entreprise coloniale dont Rosa Luxemburg met clairement en évidence les motivations. La dernière décennie du 19e siècle, qui voit la fin de l'ascendance du capitalisme, est désormais marquée par le déchaînement de l'impérialisme.
A partir de 1897, la Grande-Bretagne règne sur un empire de 33 millions de kilomètres carrés peuplé de 450 millions d'habitants comprenant le Canada, l'Australie, l'Inde, l'axe africain allant du Caire au Cap, etc. La France, plus modeste, étend son empire sur près de 10 millions de kilomètres carrés et sur 48 millions d'habitants (Afrique de l'Ouest et Indochine surtout). La Chine est dépecée, les puissances impérialistes obtenant l'octroi de territoires à bail, de zones d'influence, de concessions de mines et de chemin de fer. Idem pour l'empire ottoman et l'Amérique latine, qui n'ont conservé que l'apparence d'une indépendance économique et politique. Vers 1890, le partage territorial du monde entre les grandes puissances capitalistes est à peu près achevé. Or ces pays conquis adoptent à leur tour le mode de production capitaliste. En conséquence, on ne sait plus où écouler le surplus de marchandises, faute de nouveaux territoires extra-capitalistes de quelque importance. Le marché mondial est saturé.
De fait, au crépuscule du 19e siècle, l'heure n'est plus à l'exploration de nouvelles terres et au libre-échange ; c'est à présent le temps des canons et du protectionnisme qui a sonné. L'ère des guerres mondiales qui visent au repartage du marché planétaire entre les différents États bourgeois s'ouvre. Le capitalisme vient d'entrer dans sa phase de décadence, c'est-à-dire la pire période que l'humanité ait jamais endurée. C'est cette époque, dans laquelle nous sommes toujours, actuellement, qui pose au prolétariat international l'alternative suivante : communisme ou barbarie.

D'après RI n°217

Récent et en cours: 

  • Crise économique [6]

Questions théoriques: 

  • L'économie [7]

Janvier 1933, arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne : c'est la démocratie qui a fait le lit du fascisme

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Il y a soixante dix ans, en janvier 1933, un événement d'une portée historique mondiale est venu frapper la "civilisation" capitaliste : l'arrivée d'Hitler au pouvoir et l'instauration du régime nazi en Allemagne. A en croire la bourgeoisie, le fascisme se serait imposé brutalement à la société capitaliste, à son "corps défendant". Ce mensonge ne tient pas un seul instant à l'épreuve des faits historiques. En réalité, le nazisme en Allemagne, comme le fascisme en Italie, est le produit organique du capital. La victoire du nazisme s'est effectuée démocratiquement. Quant au racisme répugnant, l'hystérie nationaliste ou la barbarie qui, toujours selon la bourgeoisie démocratique, caractériseraient en propre les régimes fascistes, ils ne sont pas du tout spécifiques à ces régimes. Ils sont au contraire le produit du capitalisme, en particulier dans sa phase de décadence, et l'attribut de toutes les fractions de la bourgeoisie, démocrates, staliniennes ou fascistes.

La terrible réalité de l'holocauste est souvent utilisée, en faisant appel à l'émotion plus qu'à l'objectivité, pour étayer l'idée d'une nature du fascisme qui le différencierait dans le fond du capitalisme en général et de la démocratie en particulier. L'examen objectif des faits eux-mêmes montrent que la barbarie n'est pas l'exclusivité du fascisme mais que la démocratie capitaliste, si prompte à dénoncer les crimes nazis, est directement responsable de millions de morts et de souffrances équivalentes pour l'humanité (bombardements de Dresde et Hambourg, bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki). Le comble du cynisme criminel est d'ailleurs allé jusqu'au refus catégorique des puissances "démocratiques", notamment anglo-américaine, de toute proposition visant à faire libérer plusieurs centaines de milliers de juifs des camps hitlériens. D'ailleurs, contrairement à la propagande officielle accréditant la thèse de la découverte des camps d'extermination à la fin de la guerre, les états-majors alliés étaient parfaitement au courant de leur existence dès 1942 (voir notre brochure "Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital".)

 

La victoire du nazisme en Allemagne

Le mensonge selon lequel la classe dominante ne savait pas quels étaient les vrais projets du parti nazi, en d'autres termes qu'elle se serait fait piéger, ne tient pas un seul instant face à l'évidence des faits historiques. L'origine du parti nazi plonge ses racines dans deux facteurs qui vont déterminer toute l'histoire des années 1930 : d'une part l'écrasement de la révolution allemande ouvrant la porte au triomphe de la contre-révolution à l'échelle mondiale et d'autre part la défaite essuyée par l'impérialisme allemand à l'issue de la première boucherie mondiale. Dès le départ, les objectifs du parti fasciste naissant sont, sur la base de la terrible saignée infligée à la classe ouvrière en Allemagne par le Parti social-démocrate, le SPD des Noske et Scheidemann, de parachever l'écrasement du prolétariat afin de reconstituer les forces militaires de l'impérialisme allemand. Ces objectifs étaient partagés par l'ensemble de la bourgeoisie allemande, au-delà des divergences réelles tant sur les moyens à employer que sur le moment le plus opportun pour les mettre en œuvre. Les SA, milices sur lesquelles s'appuie Hitler dans sa marche vers le pouvoir, sont les héritiers directs des corps francs qui ont assassiné Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht ainsi que des milliers de communistes et de militants ouvriers. La plupart des dirigeants SA ont commencé leur carrière de bouchers dans ces mêmes corps francs. Ils ont été "la garde blanche" utilisée par le SPD au pouvoir pour écraser dans le sang la révolution, et cela avec l'appui des très démocratiques puissances victorieuses. Celles-ci d'ailleurs, tout en désarmant l'armée allemande, ont toujours veillé à ce que ces milices contre-révolutionnaires disposent des armes suffisantes pour accomplir leur sale besogne. Le fascisme n'a pu se développer et prospérer que sur la base de la défaite physique et idéologique infligée au prolétariat par la gauche du capital, laquelle était seule en mesure d'endiguer puis de vaincre la vague révolutionnaire qui submergea l'Allemagne en 1918-19. C'est ce qu'avait compris parfaitement l'état-major de l'armée allemande en donnant carte blanche au SPD afin de porter un coup décisif au mouvement révolutionnaire qui se développait en janvier 1919. Et si Hitler ne fut pas suivi dans sa tentative de putsch à Munich en 1923, c'est parce que l'avènement du fascisme était jugé encore prématuré par les secteurs les plus lucides de la classe dominante. Il fallait, au préalable, parachever la défaite du prolétariat en utilisant jusqu'au bout la carte de la mystification démocratique. Celle-ci était loin d'être usée et bénéficiait encore, au travers de la République de Weimar (bien que présidée par le junker Hindenburg), d'un vernis radical grâce à la participation régulière, dans ses gouvernements successifs, de ministres venant du soi-disant parti "socialiste".
Mais dès que la menace prolétarienne fut définitivement conjurée, la classe dominante, sous sa forme - soulignons le - la plus classique, au travers des fleurons du capitalisme allemand tels Krupp, Thyssen, AG Farben, n'aura de cesse de soutenir de toutes ses forces le parti nazi et sa marche victorieuse vers le pouvoir. C'est que, désormais, la volonté de Hitler de réunir toutes les forces nécessaires à la restauration de la puissance militaire de l'impérialisme allemand, correspondait parfaitement aux besoins du capital national. Ce dernier, vaincu et spolié par ses rivaux impérialistes suite à la Première Guerre mondiale, ne pouvait que chercher à reconquérir le terrain perdu en s'engageant dans une nouvelle guerre. Loin d'être le produit d'une prétendue agressivité congénitale germanique qui aurait enfin trouvé dans le fascisme le moyen de se déchaîner, cette volonté n'était que la stricte expression des lois de l'impérialisme dans la décadence du système capitaliste comme un tout. Face à un marché mondial entièrement partagé, ces lois ne laissent aucune autre solution aux puissances impérialistes lésées dans le partage du "gâteau impérialiste" que celle d'essayer, en engageant une nouvelle guerre, d'en arracher une plus grosse part. La défaite physique du prolétariat allemand d'une part, et le statut de puissance impérialiste spoliée dévolu à l'Allemagne suite à sa défaite en 1918 d'autre part, firent du fascisme - contrairement aux pays vainqueurs où la classe ouvrière n'avait pas été physiquement écrasée - le moyen le plus adéquat pour que le capitalisme allemand puisse se préparer à la seconde boucherie mondiale. Le fascisme n'est qu'une forme brutale du capitalisme d'Etat qui était en train de se renforcer partout, y compris dans les Etats dits "démocratiques". Il est l'instrument de la centralisation et de la concentration de tout le capital dans les mains de l'Etat face à la crise économique, pour orienter l'ensemble de l'économie en vue de la préparation à la guerre. C'est donc le plus démocratiquement du monde, c'est-à-dire avec l'aval total de la bourgeoisie allemande, qu'Hitler arrive au pouvoir. En effet, une fois la menace prolétarienne définitivement écartée, la classe dominante n'a plus à se préoccuper de maintenir tout l'arsenal démocratique, suivant en cela le processus alors déjà à l'œuvre en Italie.

 

Il n'y a pas d'antagonisme entre la barbarie nazie et les "valeurs" de la démocratie

"Oui, peut-être..." nous dira-t-on, "mais ne faites-vous pas abstraction de l'un des traits qui distinguent le fascisme de tous les autres partis et fractions de la bourgeoisie, à savoir, son antisémitisme viscéral, alors que c'est justement cette caractéristique particulière qui a provoqué l'holocauste ?" C'est cette idée que défendent en particulier les trotskistes. Ceux-ci, en effet, ne reconnaissent formellement la responsabilité du capitalisme et de la bourgeoisie en général dans la genèse du fascisme que pour ajouter aussitôt que ce dernier est malgré tout bien pire que la démocratie bourgeoise, comme en témoigne l'holocauste. Selon eux donc, devant cette idéologie du génocide, il n'y a pas à hésiter un seul instant : il faut choisir son camp, celui de l'antifascisme, celui des Alliés. Et c'est cet argument, avec celui de la défense de l'URSS, qui leur a servi à justifier leur trahison de l'internationalisme prolétarien et leur passage dans le camp de la bourgeoisie durant la Seconde Guerre mondiale (non sans avoir traficoté pour certains d'entre eux dans la milice en France au temps du pacte Germano-soviétique, défense de l'URSS oblige). Il est donc parfaitement logique de retrouver aujourd'hui en France, par exemple, les groupes trotskistes - la Ligue Communiste Révolutionnaire et son leader Krivine avec le soutien discret, mais bien réel, de Lutte Ouvrière - en tête de la croisade antifasciste et "anti-négationniste", défendant la vision selon laquelle le fascisme est le "mal absolu" et, de ce fait, qualitativement différent de toutes les autres expressions de la barbarie capitaliste ; ceci impliquant que, face à lui, la classe ouvrière devrait se porter à l'avant-garde du combat et défendre voire revitaliser la démocratie.
Que l'extrême droite (le nazisme en particulier) soit profondément raciste, cela n'a jamais été contesté par la Gauche communiste pas plus d'ailleurs que la réalité effrayante des camps de la mort. La vraie question est ailleurs. Elle consiste à savoir si ce racisme et la répugnante désignation des juifs comme boucs émissaires, responsables de tous les maux, ne seraient que l'expression de la nature particulière du fascisme, le produit maléfique de cerveaux malades ou s'il n'est pas plutôt le sinistre produit du mode de production capitaliste confronté à la crise historique de son système, un rejeton monstrueux mais naturel de l'idéologie nationaliste défendue et propagée par la classe dominante toutes fractions confondues. Le racisme n'est pas un attribut éternel de la nature humaine. Si l'entrée en décadence du capitalisme a exacerbé le racisme à un degré jamais atteint auparavant dans toute l'histoire de l'humanité, si le 20e siècle est un siècle où les génocides ne sont plus l'exception mais la règle, cela n'est pas dû à on ne sait quelle perversion de la nature humaine. C'est le résultat du fait que, face à la guerre désormais permanente que doit mener chaque Etat dans le cadre d'un marché mondial sursaturé, la bourgeoisie, pour être à même de supporter et de justifier cette guerre permanente, se doit, dans tous les pays, de renforcer le nationalisme par tous les moyens. Quoi de plus propice, en effet, à l'épanouissement du racisme que cette atmosphère si bien décrite par Rosa Luxemburg au début de sa brochure de dénonciation du premier carnage mondial : "(...) la population de toute une ville changée en populace, prête à dénoncer n'importe qui, à molester les femmes, à crier : hourrah, et à atteindre au paroxysme du délire en lançant elle-même des rumeurs folles ; un climat de crime rituel, une atmosphère de pogrom, où le seul représentant de la dignité humaine était l'agent de police au coin de la rue." Et elle poursuit en disant : "Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse, voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est..." (La Crise de la Social-démocratie). On pourrait reprendre exactement les mêmes termes pour décrire les multiples scènes d'horreur en Allemagne durant les années 1930 (pillages des magasins juifs, lynchages, enfants séparés de leurs parents) ou évoquer, entre autres, l'atmosphère de pogrom qui régnait en France en 1945 quand le journal stalinien du PCF titrait odieusement : "A chacun son boche !". Non, le racisme n'est pas l'apanage exclusif du fascisme, pas plus que sa forme antisémite. Le célèbre Patton, général de la très "démocratique" Amérique, celle-là même qui était censée libérer l'humanité de "la bête immonde", ne déclarait-il pas, lors de la libération des camps : "Les juifs sont pires que des animaux" ; tandis que l'autre grand "libérateur", Staline, organisa lui-même des séries de pogroms contre les juifs, les tziganes, les tchétchènes, etc. Le racisme est le produit de la nature foncièrement nationaliste de la bourgeoisie, quelle que soit la forme de sa domination, "totalitaire" ou "démocratique". Son nationalisme atteint son point culminant avec la décadence de son système.

 

Quand le prolétariat est absent de la scène de l'histoire,
la barbarie capitaliste ne connaît pas de limite

La seule force en mesure de s'opposer à ce nationalisme qui suintait par tous les pores de la société bourgeoise pourrissante, à savoir le prolétariat, était vaincue, défaite physiquement et idéologiquement. De ce fait, le nazisme, avec l'assentiment de l'ensemble de sa classe, put s'appuyer notamment sur le racisme latent de la petite-bourgeoisie pour en faire, sous sa forme antisémite, l'idéologie officielle du régime. Encore une fois, aussi irrationnel et monstrueux que soit l'antisémitisme professé puis mis en pratique par le régime nazi, il ne saurait s'expliquer par la seule folie et perversité, par ailleurs bien réelles, des dirigeants nazis. Comme le souligne très justement la brochure publiée par le Parti Communiste International, "Auschwitz ou le grand alibi", l'extermination des juifs "... a eu lieu, non pas à un moment quelconque, mais en pleine crise et guerre impérialistes. C'est donc à l'intérieur de cette gigantesque entreprise de destruction qu'il faut l'expliquer. Le problème se trouve de ce fait éclairci : nous n'avons plus à expliquer le 'nihilisme destructeur' des nazis, mais pourquoi la destruction s'est concentrée en partie sur les juifs."
Pour expliquer pourquoi la population juive, même si elle ne fut pas la seule, fut désignée tout d'abord à la vindicte générale, puis exterminée en masse par le nazisme, il faut prendre en compte deux facteurs : les besoins de l'effort de guerre allemand et le rôle joué dans cette sinistre période par la petite-bourgeoisie. Cette dernière fut réduite à la ruine par la violence de la crise économique en Allemagne et sombra massivement dans une situation de lumpen-prolétarisation. Dès lors, désespérée et en l'absence d'un prolétariat pouvant jouer le rôle de contrepoison, elle donna libre cours à tous les préjugés les plus réactionnaires, caractéristiques de cette classe sans avenir, et se jeta, telle une bête furieuse, encouragée par les formations fascistes, dans le racisme et l'antisémitisme. Le "juif" était supposé représenter la figure par excellence de "l'apatride" qui "suce le sang du peuple" ; il était désigné comme le responsable de la misère à laquelle était réduite la petite-bourgeoisie. Voilà pourquoi les premières troupes de choc utilisées par les nazis étaient issues des rangs d'une petite-bourgeoisie en train de sombrer. Et cette désignation du "juif" comme l'ennemi par excellence aura aussi comme fonction de permettre à l'Etat allemand, grâce à la confiscation des biens des juifs, de ramasser des fonds destinés à contribuer à son réarmement militaire. Au début, il dut le faire discrètement pour ne pas attirer l'attention des vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Les camps de déportation, au départ, eurent la fonction de fournir à la bourgeoisie une main-d'œuvre gratuite, tout entière dédiée à la préparation de la guerre.
C'est au nom de cette barbarie nazie que le camp des forces démocratiques alliées a pu tenter de justifier aux yeux des ouvriers son implication dans la boucherie mondiale et tous ses crimes. Loin de permettre d'éviter à l'avenir de nouveaux holocaustes, la défense des valeurs démocratiques de la classe dominante ne peut que servir la survie d'un système à l'agonie, le capitalisme, qui depuis le début du siècle dernier n'a cessé d'accumuler les massacres et les génocides.

RI

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La mystification parlementaire [8]

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