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III - Les principales leçons de ce mouvement de lutte

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Géographique: 

  • France [1]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

1a) Une manoeuvre d'ampleur de la bourgeoisie contre l'ensemble de la classe ouvrière

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Les luttes ouvrières ne peuvent se développer et vaincre qu’en dehors et contre les syndicats et les coordinations

le 23 octobre la "coordination infirmière" décidait l'arrêt de la grève. Après l'avoir suscitée artificiellement, avec la complicité active du parti socialiste et de la CFDT, elle a décidé de l'enterrer.

Une manoeuvre d'ampleur contre toute la classe ouvrière,

Tout son déroulement montre que nous avons été confrontés à une manœuvre d'ampleur de la gauche montée de toutes pièces depuis le retour des socialistes au gouvernement : celle-ci, prévoyant l'inévitable montée du mécontentement et de la combativité au sein de la classe ouvrière contre sa politique d'austérité accrue, a pris les mesures préventives nécessaires pour la désamorcer.

A cette fin et pour ne pas laisser la CGT exploiter ce mécontentement à son seul bénéfice ainsi qu'à celui du P.C.F., les autres composantes de la gauche, le P.S., le gouvernement, ainsi que les gauchistes de L.O. et de la L.C.R., ont monté un véritable spectacle dont l'avant-scène a été occupée par la fameuse "coordination infirmière".

Devenues, depuis la grève à la SNCF de décembre 86, une véritable tarte à la crème, les coordinations sont la réponse systématique de la bourgeoisie pour faire face à la méfiance croissante des ouvriers vis-à-vis des syndicats et au phénomène de désyndicalisation massive. En effet, c'est pour mieux les tromper qu'à travers ses gauchistes elle les appelle de lus en plus à suivre cette nouvelle structure "toute trouvée", leur faisant croire qu'il s'agit d'une organisation extra-syndicale.

Pour déployer sa manœuvre, la bourgeoisie a porté son choix sur une corporation, celle des infirmières, qui a effectivement subi depuis des années une dégradation particulièrement importante des salaires et des conditions de travail. Mais surtout, cette corporation présentait l'immense avantage pour la bourgeoisie d'être au sein de la classe ouvrière, une des fractions les moins expérimentées, avec le moins de traditions de lutte, de ce fait politiquement parmi les plus arriérées et donc les plus vulnérables à la manœuvre. En un mot, une fraction de la classe ouvrière la plus "utilisable" par la bourgeoisie pour faire face à la vague de mécontentement de fond qui se développe aujourd'hui au sein de la classe ouvrière.

Exploitant à fond la faiblesse et les préjugés qui règnent dans, cette corporation à l'égard de l'ensemble du personnel  hospitalier moins qualifié et considéré comme "subalterne", la Gauche a pu faire éclater prématurément et préventivement cette lutte qui avait ainsi toutes les chances de rester isolée.

La manœuvre apparaît clairement tout au long du mouvement, et même avant :

  • déjà au mois de juin dernier, la date de la première manifestation est planifiée au 29 septembre par ceux qui allaient constituer le noyau central du bureau de la coordination ;
  • dès le début de la lutte, c'est cette coordination, inconnue de tous et constituée dans le dos des ouvriers, qui appelle uniquement les infirmières à la lutte ;
  • par la suite, tout le paquet est mis pour développer l'isolement et la division au sein même des hôpitaux (pas moins de 9 coordinations pour ce seul secteur !) ;
  • à travers la bienveillance que lui ont témoignée Mitterrand, Rocard, ainsi que l'ex-ministre Schwarzenberg, et les flatteries que ces hypocrites n'ont cessé de prodiguer aux infirmières ;
  • à travers la raison élitiste et hiérarchique mise en avant par tous pour justifier l'augmentation salariale : le niveau d'études ("bac+3" comme répétaient beaucoup d'infirmières et la coordination) ;
  • à travers une revendication salariale démagogique (environ 40 % d'augmentation pour les bas salaires), alors que même dans des mouvements d'une autre ampleur comme en 36 ou 68, les ouvriers n'ont obtenu que 10% au mieux. Une telle surenchère démagogique ne peut en aucun cas mobiliser la grande majorité des ouvriers ni servir de revendication unificatrice.

En fin de compte, le gouvernement a sorti sa carte, "le milliard pour les infirmières" (prévu d'ailleurs de longue date dans le budget) auquel le P.S. a "obtenu" une rallonge (également prévue) ; et il a surtout remis en selle les syndicats aujourd'hui revenus en force à travers la comédie des négociations.

La manœuvre prévue et mise en place par la bourgeoisie a abouti

1) elle a amené à la défaite les secteurs qui, dans les hôpitaux, s'étaient engagés massivement dans la bataille en même temps que les infirmières et qui - après 3 semaines de lutte - n'ont RIEN obtenu ;

2) elle a désamorcé temporairement la combativité montante dans l'ensemble de la classe ouvrière en France.

La comédie de la "coordination infirmière" est terminée.

                                             *  *  * 

Mais la bourgeoisie se trompe si elle croit qu'avec toutes ses manœuvres elle est venue à bout de cette combativité. Si aujourd'hui, après un premier élan, les ouvriers sont en partie déboussolés -mais sûrement pas démoralisés,- on n'en est qu'au début d'une vague de luttes. Les ouvriers n'ont pas d'autre issue que de se battre pour faire face aux nouvelles attaques.

 

QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LES PROCHAINES LUTTES ?
  • la classe ouvrière doit se défier de ceux qui, par démagogie, essaient de la pousser à rentrer prématurément et précipitamment dans la lutte, qui la poussent 3 des aventures minoritaires, comme la CGT cherche aujourd'hui à le faire dans les PTT, à l'EDF, à la SNCF, comme les gauchistes qui mettent en place une floraison de coordinations un peu partout.
  • la classe ouvrière ne doit pas déléguer son pouvoir à un quelconque appareil préfabriqué comme les syndicats ou les coordinations. La seule garantie de sa lutte, c'est qu'elle la conduise elle-même. Cela ne peut se faire qu'à travers des assemblées ouvrières régulières et fréquentes sur les lieux de travail, assemblées qui sont seules autorisées à prendre les décisions, assemblées qui ne peuvent se relier les unes aux autres que par ville, quartier, région, et en aucun cas sur une base corporatiste.
  • les ouvriers doivent se sentir plus responsables de leur lutte et donc s'impliquer plus massivement et de façon plus déterminée dans sa prise en charge et sa conduite, dans la confrontation à ceux - syndicats et coordinations - qui veulent leur en soustraire le contrôle.
  • les ouvriers doivent rejeter les revendications ‑strictement démagogiques et corporatistes lancées, à des fins électoralistes, par les partis de gauche, leurs syndicats, leurs appendices gauchistes. Ils ne doivent mettre en avant que des revendications réellement unificatrices susceptibles de mobiliser l'ensemble de la classe ouvrière.

Aujourd'hui, l'essentiel est d'être capable d'engager les prochaines luttes - qui sont inévitables - dans les meilleures conditions possibles. Pour cela il faut s'y préparer en se regroupant pour réfléchir ensemble, discuter, prendre des contacts entre les différents lieux de travail, en formant des comités de lutte quand c'est possible.

  • PRÉPARER LES LUTTES A VENIR, C'EST NOTRE RESPONSABILITÉ A TOUS!
24/10/88

 

LE MACHIAVÉLISME DE LA BOURGEOISE
  •  Par rapport au prolétariat, l'État peut utiliser différentes branches de son appareil dans une division du travail cohérente : même dans une seule grève, les ouvriers peuvent avoir à faire face à une combinaison des syndicats, de la propagande et des campagnes de presse et de télévision avec leurs différentes nuances et de celles des différents partis politiques, de la police, des services sociaux, et parfois de l'année. Comprendre que ces différentes parties de l'État agissent de façon concertée ne veut pas dire que chacune d'entre elles est consciente de tout le cadre général au sein duquel elle accomplit ses tâches et sa fonction.
  • La bourgeoisie n'a pas besoin que toutes ses parties comprennent ce qui se passe. La bourgeoisie peut déléguer ses pouvoirs à une minorité de ses membres. C'est pour cela que 1 État n'est pas entravé d'une façon significative par le fait que l'ensemble de la classe dominante ne se rende pas compte de tous les aspects de la situation. Il est donc possible de parler de "plans" de la bourgeoisie même si ce n'est qu'une partie de celleci qui les fait.
 (Revue Internationale N' 31, 4ème  trimestre 82, "Machiavélisme, conscience, unité de la bourgeoisie", Extrait du point 11)

 

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1b) Une manoeuvre d'ampleur de la bourgeoisie contre l'ensemble de la classe ouvrière

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 NON à la dispersion organisée ;
OUI à l'unité des luttes ouvrières

 

OUVRIERS,

C'est à un véritable travail de sape de votre combativité et de déboussolement que se livrent depuis plusieurs semaines contre vous l'ensemble de la gauche et en particulier, ces derniers temps, la CGT. Malgré cela votre colère reste intacte et elle est plus que jamais légitime.

DEPUIS 2 MOIS, VOUS AVEZ MANIFESTE VOTRE MÉCONTENTEMENT ET VOTRE COMBATIVITÉ COMME CELA N'AVAIT PAS ÉTÉ LE CAS DEPUIS BIEN LONGTEMPS.

Mais surtout jamais comme en ce début d'automne, les conditions n'avaient été autant réunies pour que vous exprimiez massivement avec force et dans l'unité votre volonté de lutter :

  • d'un côté, jamais depuis des années le ras-le-bol contre l'austérité n'avait été aussi fort et généralisé;
  • d'un autre côté, les appareils de contrôle de la paix sociale que sont les syndicats se trouvaient dans une situation de discrédit jamais vue.

Et c'est ce qui s'est manifesté au début de la lutte dans le secteur hospitalier, quand plus de 60.000 personnes se sont retrouvées dans la rue lors de la manifestation du 6/10, quand les premières assemblées générales ont monte une réelle vie ouvrière, quand de nombreux ouvriers de tous secteurs s'y retrouvaient.

Cette lutte était alors l'expression non seulement d'une volonté d'en découdre, commune à l'ensemble de la classe ouvrière, mais aussi de la méfiance générale vis-à-vis des syndicats et de la compréhension qu'on ne peut se battre réellement qu'en dehors d'eux. .

OUVRIERS,

Malheureusement cette lutte dans les hôpitaux x aussi et surtout montré que la bourgeoisie avait une grande capacité de manœuvre et que la classe ouvrière faisait preuve de beaucoup de naïveté. C'est ce qui a fait trébucher le mouvement des hospitaliers, c'est ce qui vous a conduit à la situation de déboussolement actuelle.

LA BOURGEOISIE, ELLE, S'ÉTAIT PRÉPARÉE DE LONGUE DATE A CETTE SITUATION qu'elle savait inévitable et périlleuse. Depuis le printemps dernier, le P.S., la CFDT et les gauchistes de L.O. et de la L.C.R. mettaient en place UNE STRUCTURE PRÉFABRIQUÉE, LA "COORDINATION INFIRMIÈRE", destinée à combler le vide laissé par des syndicats discrédités. Ils sont passés à la 2ème  phase en septembre, en déclenchant la lutte prématurément et de surcroît dans un secteur - celui des infirmières - sans expérience de lutte et très marqué par un esprit corporatiste et étroit.

C'est la "coordination" préfabriquée quia déclenché la Fève et qui s'est auto‑proclamée dirigeante et expression de lutte. D'ailleurs, quelques jours à peine après le début de la grève en région parisienne, alors lu en province il y avait très peu d'hôpitaux en lutte, elle s est attribuée le titre de "coordination nationale" prétendant ainsi représenter des luttes qui n'existaient pas encore, des ouvriers qui ne lui avaient rien demandé.

Elle affirmait centraliser des organes locaux de lutte là où il n'y avait ni lutte ni organe que la classe ouvrière aurait fait surgir dans ses assemblées générales, mais seulement des ramifications d'appareils politiques et syndicaux de la bourgeoisie.

Dès qu'elle a pu acquérir un minimum de crédibilité -grandement aidée en cela par les médias- LA COORDINATION A QUADRILLE LE TERRAIN, ISOLE TOTALEMENT LES SRS DES AUTRES CATÉGORIES DES HÔPITAUX ET A ÉTOUFFE TOUTE VELLÉITÉ DE RÉFLEXION CHEZ LES OUVRIERS ET D'EXTENSION DE LA LUTTE.

La volonté de lutter dans l'unité à laquelle aspiraient les ouvriers s'est ainsi brisée contre le mur dressé par la coordination ou plutôt les coordinations. La bourgeoisie a joué sur le fort sentiment anti‑syndical  qui régnait parmi les ouvriers et leur volonté de contrôler eux-mêmes leur lutte pour :

  • accentuer la division en multipliant les coordinations (9 dans les hôpitaux).
  • dénaturer ]a réelle prise en main de la lutte en suscitant des caricatures d'AG avec des faux délégués et un présidium auto-proclamé et imposé.
  • favoriser l'isolement de la lutte en poussant les ouvriers à ne pas s'occuper de ce qui se passe à côté ni à tolérer que ceux d'à côté viennent s'immiscer dans leur lutte. Voilà la face cachée des coordinations, voilà ce qu'a été le 'début de la manœuvre.

Une nouvelle étape était franchie quand la ,site dans les hôpitaux a commencé à s'essouffler et que la "coordination infirmière" mendiait un strapontin pour les négociations avec le gouvernement, AUX COTES DES SYNDICATS, c'est-à-dire qu'elle livrait la lutte aux syndicats alors qu'elle avait basé sa crédibilité sur leur dénonciation.

LES SYNDICATS FAISAIENT LEUR RETOUR EN FORCE et de leur côté revendiquaient, avec l'aide du gouvernement, leur "légitimité", leur "représentativité" face aux coordinations auto-proclamées. Derrière un langage soi-disant unitaire et des critiques au corporatisme des coordinations, ILS ONT, LA CGT EN TETE, PRIS LE RELAIS DU SABOTAGE en lançant un peu partout des grèves successives, ultra-minoritaires, spectaculaires, (chauffeurs postiers, ateliers du RER...) épuisantes, qui ont encore ajouté au déboussolement des ouvriers.

L'ALTERNATIVE ÉTAIT ALORS, SOIT DE SE LAISSER ENFERMER DANS SA CATÉGORIE PAR LES COORDINATIONS, SOIT SUIVRE LA CGT SUR LE TERRAIN POURRI DE LA DISPERSION DES LUTTES ET DE L'ÉPUISEMENT, sous prétexte d'extension. En somme la peste ou le choléra !

Voilà pourquoi la grande majorité d'entre vous ne se sont pas engagés dans cette impasse d'autant que la CGT et le P.C.F. cherchent à vous utiliser pour leurs tractations politiciennes avec le P.S. en vue des élections municipales. Vous vous rendez bien compte que cela ne vous rapportera rien en termes d'augmentation de salaire, sans compter qu'avec leur tactique politicienne ils vous apportent des emmerdements au quotidien (courrier, transport...), vous font perdre des journées de salaire pour rien et cherchent à vous écœurer de lutter.

OUVRIERS,

VOUS DEVEZ TIRER PROFIT DE CE QUE VOUS VENEZ DE VIVRE car les semaines qui viennent de s'écouler sont riches d'enseignements; les vraies questions commencent à se poser dans notre classe et les vraies réponses commencent à émerger

  • OUI, LA BOURGEOISIE A RÉUSSI SA MANOEUVRE POUR VOUS DISPERSER. Elle a joué sur votre méfiance à l'égard des syndicats pour vous pousser dans le piège des coordinations (qui ne sont que des syndicats masqués) et celles-ci, une fois leur sale boulot effectué, vous remettent dans les pattes des syndicats traditionnels sous prétexte de ne pas diviser le "monde ouvrier" ou bien qu'on ne peut se passer d'eux pour les négociations .avec le gouvernement et le patronat.
  • OUI, VOUS AVEZ ÉTÉ NAÏFS, VOUS ETES TOMBES DANS LE PIÈGE et le prix à payer est l'échec ce la lutte, la dispersion de vos forces et le déboussolement.

Mais votre mécontentement et votre combativité sont toujours présents et vous savez que vous serez contraints de lutter pour votre survie même; la bourgeoisie et son gouvernement socialiste ne vous laissent pas le choix (Rocard lui-même a promis la rigueur au moins jusqu'en 1990). Maintenant, il est clair que :

  • VOUS NE POUVEZ FAIRE CONFIANCE A PERSONNE, ni aux syndicats, ni aux coordinations, ni à tous ceux qui se proposent de diriger et organiser la lutte à votre place. Pour mener le combat, vous devez surmonter vos hésitations, ne compter que sur vos propres forces, prendre vous-mêmes en main la conduite de votre lutte;
  • des luttes minoritaires et dispersées font le jeu de la bourgeoisie. C'est pour cela QU'IL FAUT ENGAGER MASSIVEMENT LB COMBAT dans tous les secteurs en même temps car les problèmes sont les mêmes partout. Il faut se mobiliser TOUS ENSEMBLE, développer une riposte DE CLASSE et non par catégorie ou par secteur;
  • des luttes catégorielles, isolées, divisées ne mènent qu'à la défaite paquets par paquets. il faut ÉLARGIR LE COMBAT en sortant de "son" entreprise, de "son" secteur, aller chercher IMMEDIATEMENT LA SOLIDARITÉ AUX ENTREPRISES LES PLUS PROCHES, étendre la lutte sur une base géographique, briser les divisions sectorielles, catégorielles, afin d'entraîner le plus grand nombre dans le combat. Car seule une riposte généralisée, unifiée de toute la classe ouvrière pourra faire céder la bourgeoisie ;
  • CE SONT VOS ASSEMBLÉES GÉNÉRALES QUI DOIVENT DÉCIDER SOUVERAINEMENT DE LA CONDUITE DE LA LUTTE, élire des délégués, des comités de grève, contacter les autres secteurs, les associer à la lutte pour que vous vous regroupiez et centralisiez vos organes de lutte sous le contrôle constant des assemblées générales;
  • c'est sur DES MOTS D'ORDRE COMMUNS ET DES REVENDICATIONS UNIFICATRICES que e vous devez vous battre : pour une augmentation générale des salaires en sachant que plus vous serez nombreux, plus vous serez forts, et plus vous pourrez exiger.
LA LUTTE EST INEVITABLE !

LA DÉFENSE EFFECTIVE DES CONDITIONS DE VIE DES OUVRIERS DU PUBLIC ET DU PRIVE, ACTIFS ET AU CHÔMAGE, NE PEUT-ÊTRE QUE L'Œuvre DE L'ACTIVITÉ DES OUVRIERS Eux-mêmes, DANS LEUR PLUS GRANDE UNITÉ.

RI, -

décembre 1988

 


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2) Une nouvelle arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière : LES "COORDINATIONS"

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Le terme de "coordination" a été employé déjà en de multiples reprises ces dernières années dans différents pays d'Europe. Ainsi nous avons connu, au milieu des années 80 en Espagne, une "Coordinadora de Estibadores" (Coordination de dockers)[1] [3] dont le langage radical et la très grande ouverture (notamment en permettant aux révolutionnaires d'intervenir dans ses assemblées) pouvait faire illusion, mais qui n'était pas autre chose qu'une structure permanente du syndicalisme de base. De même, nous avons vu se constituer en Italie, au cours de l'été 87, un "Coordinamento di Macchinisti" (Coordination des conducteurs de train), qui s'est révélé rapidement comme étant de même nature. Mais la terre d'élection des "coordinations" est incontestablement, à l'heure actuelle, la France où, depuis l'hiver 86-87, toutes les luttes ouvrières importantes ont vu se manifester des organes portant ce nom :

  • "coordinations" des "agents de conduite" (dite de Paris-Nord) et "inter-catégorielle" (dite de Paris Sud-Est) lors de la grève dans les chemins de fer en décembre 86 [2] [4];
  • "coordination des instituteurs" lors de la grève de cette catégorie en février 87 ;
  • "coordination INTER SNECMA" lors de la grève dans cette entreprise de l'aéronautique au printemps 88 [3] [5].

Parmi ces différentes "coordinations", 'certaines sont de simples syndicats, c'est-à-dire des structures permanentes prétendant représenter les travailleurs dans la défense de leurs intérêts économiques. Par contre, d'autres de ces organes n'ont pas à priori la vocation de se maintenir de façon permanente. Ils surgissent, ou apparaissent au grand jour, au moment des mobilisations de la classe ouvrière dans un secteur et disparaissent avec elles. Il en a été ainsi, par exemple, des coordinations qui avaient surgi lors de la grève dans les chemins de fer en France fin 86. Et c'est justement ce caractère "éphémère" qui, en donnant l'impression qu'ils sont des organes constitués par la classe spécifiquement pour et dans la lutte, qui les rend d'autant plus pernicieux.

En réalité, l'expérience nous a montré que de tels organes, quand ils n'étaient pas préparés depuis de longs mois à l'avance par des forces politiques précises de la bourgeoisie, étaient "parachutés" par celles-ci sur un mouvement de luttes en vue de son sabotage. Déjà, dans la grève des chemins de fer en France, nous avions pu constater comment la "coordination des agents de conduite", en fermant complètement ses assemblées à tous ceux qui n'étaient pas conducteurs, avait contribué de façon très importante à l'isolement du mouvement et à sa défaite. Or cette "coordination" s'était constituée sur la base de délégués élus par les assemblées générales des dépôts. Pourtant, elle avait été immédiatement contrôlée par des militants de la "Ligue Communiste" (section de la 4ème Internationale trotskiste) qui, évidemment, ont pris en charge le sabotage de la lutte comme c'est leur rôle. Mais avec les autres "coordinations" qui ont surgi par la suite, déjà avec la "coordination inter-catégorielle des cheminots" (qui prétendait combattre l'isolement corporatiste), et plus encore avec la "coordination des instituteurs" qui est apparue quelques semaines après, on a constaté que ces organes étaient constitués de façon préventive avant que les assemblées générales n'aient commencé à envoyer des délégués. Et à l'origine de cette constitution on retrouvait toujours une force bourgeoise de gauche ou gauchiste, preuve que la bourgeoisie avait compris le parti qu'elle pouvait tirer de ces organismes.

Mais l'illustration la plus claire de cette politique bourgeoise nous a été donnée par la constitution et les agissements de la "Coordination Infirmière" à qui la bourgeoisie a confié le` rôle principal dans la première phase de sa manœuvre : le déclenchement de la grève dans les hôpitaux en octobre 88. En fait cette "coordination" avait été constituée dès mars 88, dans les locaux du syndicat socialisant CFDT, par des militants de celui-ci. Ainsi, c'est directement le Parti socialiste, qui s'apprêtait à revenir au pouvoir, qui a porté sur les fonts baptismaux cette soi-disant organisation de lutte des travailleurs. Le déclenchement de la grève elle-même porte la marque de l'action du parti socialiste et donc du gouvernement. Il s'agissait pour la bourgeoisie (non pas ses forces d'appoint comme les gauchistes, mais directement ses forces dominantes, celles qui se trouvent au sommet de l'État) de lancer un mouvement de lutte dans un secteur particulièrement arriéré sur le plan politique afin de pouvoir "mouiller la poudre" du mécontentement qui s'accumulait depuis des années dans l'ensemble de la classe ouvrière. Il est clair que les infirmières qui allaient involontairement constituer l'infanterie de cette manœuvre bourgeoise avaient elles aussi de réelles raisons d'exprimer leur mécontentement (des conditions de travail invraisemblables qui ne cessaient de s'aggraver et des salaires de misère). Mais l'ensemble des événements qui se sont déroulés sur plus d'un mois permet de mettre en évidence la réalité du plan bourgeois destiné à établir un contre-feu face à la montée du mécontentement ouvrier.

Les agissements des "coordinations"
dans la grève des hôpitaux en France

En choisissant les infirmières pour développer sa manœuvre, la bourgeoisie savait ce qu'elle faisait. C'est un secteur parmi les plus corporatistes qui soient, où le niveau de diplômes et de qualification requis a permis l'introduction de préjugés très forts et un certain mépris vis-à-vis d'autres personnels hospitaliers (aides soignantes, ouvriers de l'entretien, etc.) considérés comme "subalternes". De plus, en France, l'expérience de lutte est très faible dans ce secteur. L'ensemble de ces éléments donnait à la bourgeoisie la garantie qu'elle pourrait contrôler globalement le mouvement sans crainte de débordements significatifs, et en particulier que les infirmières ne pourraient en aucune façon constituer le fer de lance de l'extension des luttes.

Cette garantie était renforcée par la nature et la forme des revendications mises en avant par la "Coordination infirmière". Parmi celles-ci, la revendication d'un "statut" et de la "revalorisation de la profession" recouvrait en réalité la volonté de mettre en avant la "spécificité" et la "qualification particulière" des infirmières vis-à-vis des autres travailleurs de l'hôpital. De plus cette revendication contenait l'exigence répugnante de n'accepter dans les écoles d'infirmières que des élèves ayant leur baccalauréat. Enfin, dans la même démarche élitiste, la revendication d'une augmentation de 2.000 francs par mois (qui représentait de 20 à 30 %) était rattachée au niveau d'études des infirmières (baccalauréat plus 3 ans), ce qui voulait dire que les autres travailleurs hospitaliers moins qualifiés, et encore moins payés, n'avaient aucune raison d'avoir les mêmes exigences et cela d'autant plus que, sans le prendre officiellement à son compte évidemment, la "Coordination" faisait et laissait dire qu'il ne fallait pas que les autres catégories revendiquent des augmentations de salaire car cela serait déduit des augmentations des infirmières.

Un autre indice de la manœuvre est le fait que c'est dès le mois de juin que le noyau initial de la "Coordination infirmière" a planifié le début du mouvement pour le 29 septembre avec une journée de grève et une grande manifestation dans la capitale. Cela donnait le temps à la "Coordination" de bien se structurer et d'élargir son assise avant l'épreuve du feu. Ce renforcement de la capacité de contrôle des travailleurs par la "Coordination" s'est poursuivi dès la fin de la manifestation par une assemblée de plusieurs milliers de personnes ors les membres de sa direction se sont présentés pour la première fois en public. Cette assemblée a constitué une première légitimation a posteriori de la "Coordination" où elle a "magouillé" du mieux possible pour empêcher que la grève ne démarre immédiatement, tant qu'elle n'aurait pas bien "les choses en main". Elle lui a permis également de bien affirmer sa "spécificité infirmière", notamment en "encouragent" les autres catégories qui avaient participé à la manifestation (preuve de l'énorme "ras-le-bol" existant), et qui se trouvaient dans la salle, à créer leurs "propres coordinations". Ainsi était mis en place le dispositif qui allait permettre un émiettement systématique de la lutte au sein des hôpitaux, de même que son isolement à l'intérieur de ce secteur. Les "coordinations" qui allaient se créer à partir du 29 septembre dans la foulée de la "Coordination infirmière" (pas moins de 9 dans le seul secteur de la santé) se sont chargées de compléter le travail de division de celle-ci parmi les hospitaliers, alors qu'il revenait à une "coordination des personnels de santé" (créée et contrôlée par le groupe trotskiste "Lutte ouvrière"), qui se voulait "ouverte" à toutes les catégories, d'encadrer les travailleurs qui rejetaient le corporatisme des autres "coordinations" et de paralyser toute tentative de leur part d'élargir le mouvement en dehors de l'hôpital.

Le fait que ce soit une "coordination" et non un syndicat qui ait lancé le mouvement (alors qu'elle avait été constituée par des syndicalistes), n'est évidemment pas le fait du hasard. En réalité, c'était le seul moyen permettant une mobilisation importante compte tenu du discrédit considérable que subissent en France les syndicats, notamment depuis le gouvernement de la "gauche unie" entre 1981 et 1984. Ainsi, les "coordinations" ont comme fonction d'assurer cette "mobilisation massive" qui est ressentie par tous les ouvriers comme une nécessité pour faire reculer la bourgeoisie et son gouvernement. Cette mobilisation massive, il y a un bon moment déjà que les syndicats ne l'obtiennent plus derrière leurs "appels à la lutte". En fait, dans de nombreux secteurs, il suffit souvent qu'une "action" soit appelée par tel ou tel syndicat, pour qu'un nombre important d'ouvriers considère que c'est une manœuvre destinée à servir les intérêts de chapelle de ce syndicat et décide de s'en détourner. Cette méfiance, et le faible écho que rencontrent les appels syndicaux, ont d'ailleurs été souvent employés par la propagande bourgeoise pour faire entrer dans la tête des ouvriers l'idée d'une "passivité" de la classe ouvrière en vue de développer en son sein un sentiment d'impuissance et de démoralisation. Ainsi, seul un organisme ne portant pas l'étiquette syndicale était en mesure d'obtenir au sein de la corporation choisie par la bourgeoisie comme principal terrain de sa manœuvre, une "unité", condition d'une participation massive derrière ses appels. Mais cette "unité" que la "Coordination infirmière" prétendait être seule à garantir contre les habituelles "chamailleries" entre les différents syndicats n'était que le revers de l'écœurante division qu'elle a promue et renforcée parmi les travailleurs de l'hôpital. L'"anti-syndicalisme" qu'elle a affiché s'accompagnait de l'argument crapuleux suivant lequel les syndicats ne défendent pas les intérêts des travailleurs justement parce qu'ils sont organisés non par profession mais par secteur d'activité. Un des thèmes majeurs mis en avant par la "Coordination" pour justifier l'isolement corporatiste était que les revendications unitaires avaient pour résultat de "diluer" et "d'affaiblir" les revendications "propres" aux infirmières. Cet argument n'est pas nouveau. Il nous a notamment été servi lors de la grève des chemins de fer de décembre 86 par la "coordination des agents de conduite". On le retrouve également dans le discours corporatiste tenu par le "Coordinamento di Macchinisti" dans les chemins de fer italiens en 1987. En fait, au nom de la "remise en cause" ou du "dépassement" des syndicats on en revient ici à une base d'organisation qui appartenait à la classe ouvrière au siècle dernier, lorsqu'elle a commencé par constituer des syndicats de métier, mais qui dans la période actuelle ne peut être moins bourgeoise que les syndicats eux-mêmes. Alors que la seule base sur laquelle peut aujourd'hui s'organiser la classe ouvrière est la base géographique, par-delà les distinctions entre entreprises et branches d'activité (distinctions que les syndicats ne cessent évidemment de cultiver dans leur travail de division et de sabotage des luttes), un organisme qui se constitue spécifiquement sur la base de la profession ne peut se situer que dans le camp bourgeois. On voit ainsi le piège dans lequel les "coordinations" se proposent d'enfermer les ouvriers : ou bien ils "marchent" derrière les syndicats (et dans les pays où il existe le "pluralisme syndical" ils deviennent les otages des différents gangs qui entretiennent leurs divisions), ou bien ils se détournent des syndicats mais c'est pour se diviser d'une autre façon. En fin de compte les "coordinations" ne sont pas autre chose que le complément des syndicats, l'autre mâchoire de l'étau qui vise à emprisonner la classe ouvrière.

Le partage du travail entre les "coordinations" et les syndicats

Cette complémentarité entre le travail des syndicats et celui des "coordinations" s'est révélée de façon claire dans les deux mouvements les plus importants qui se sont déroulés en France ces deux dernières années : dans les chemins de fer et dans les hôpitaux. Dans le premier cas, le rôle des "coordinations" s'est réduit essentiellement à "contrôler le terrain" en laissant le soin aux syndicats de mener les négociations avec le gouvernement. En cette circonstance elles ont d'ailleurs joué un rôle utile de rabatteurs pour le compte des syndicats en affirmant bien fort qu'elles ne leur contestaient nullement la responsabilité de "représenter" les travailleurs auprès des autorités (elles ont tout juste réclamé sans succès d'avoir un petit strapontin à la table de négociation). Dans le second cas, alors que les syndicats étaient bien plus contestés, la "Coordination infirmière" a été finalement gratifiée d'une place à part entière à cette même table. Après que le ministre de la santé ait au début refusé de la recevoir (à l'issue de la première manifestation du 29 septembre), c'est par la suite le premier ministre lui-même qui, le 14 octobre, après une manifestation rassemblant près de 100.000 personnes à Paris, lui a accordé cette faveur. C'était la moindre des récompenses que le gouvernement pouvait donner à ces gens qui lui rendaient de si fiers services. Mais le partage des tâches s'est également réalisé en cette circonstance : finalement, ce 14 octobre les syndicats (à l'exception du plus "radical", la CGT contrôlée par le PC) ont signé un accord avec le gouvernement alors que la "coordination" continuait à appeler à la lutte. Soucieuse d'apparaître jusqu'au bout comme un "véritable défenseur" des travailleurs, elle n'a jamais officiellement accepté les propositions du gouvernement. Le 23 octobre, elle a enterré le mouvement à sa façon en appelant à la "poursuite de la lutte sous d'autres fortes" et en organisant de temps en temps des manifestations où l'assistance de moins en moins nombreuse ne pouvait que démobiliser les travailleurs. Cette démobilisation résultait également du fait que le gouvernement, s'il n'avait rien donné aux autres catégories d'hospitaliers et s'il avait refusé toute augmentation d'effectif du personnel infirmier (une des revendications importantes), avait accordé à celui-ci des augmentations de salaire non négligeables (de l'ordre de 10 %) sur des fonds (1,4 milliard de francs) qui d'ailleurs étaient déjà prévus à l'avance dans le Budget. Cette "demi-victoire" des seules infirmières (prévue et planifiée depuis longtemps par la bourgeoisie : on avait pu voir l'ancien ministre de la santé participer aux manifestations de la "Coordination" et même Mitterrand avait déclaré que les revendications des infirmières étaient légitimes) présentait le double avantage d'aggraver encore la division entre les différentes catégories de travailleurs de l'hôpital et d'accréditer l'idée qu'en se battant sur un terrain corporatiste, notamment derrière une "coordination", on pouvait obtenir quelque chose.

Mais la manœuvre bourgeoise visant à désorienter l'ensemble de la classe ouvrière ne s'arrêtait pas avec la reprise du travail dans les hôpitaux. La dernière phase de l'opération débordait largement le secteur de la santé et appartenait pleinement aux syndicats que le travail des coordinations avait remis en selle. Alors que pendant toute la montée du mouvement dans la santé, les syndicats et les groupes "gauchistes" avaient fait tout leur possible pour empêcher le démarrage de grèves dans d'autres secteurs (notamment dans les postes où la volonté de lutte était très forte), à partir du 14 octobre, ils ont commencé à appeler à la mobilisation et à la grève un peu partout. C'est ainsi que le 18 octobre la CGT a convoqué une "journée d'action inter-catégorielle"  et que le 20 octobre les autres syndicats, rejoints au dernier moment par la CGT, ont appelé à une journée d'action dans la fonction publique. Par la suite, les syndicats, et en première ligne la CGT, ont commencé à appeler systématiquement à la grève dans les différentes branches du secteur public, les unes après les autres : postes, électricité, chemins de fer, transports urbains des villes de province puis de la capitale, transports aériens, sécurité sociale... Il s'agit pour la bourgeoisie d'exploiter à fond la désorientation créée dans la classe ouvrière par le mouvement dans les hôpitaux au moment de son reflux, pour déployer sa manœuvre dans tous les autres secteurs. On assiste à une "radicalisation" des syndicats -CGT en tête- qui font de la "surenchère" par rapport aux "coordinations" en appelant à "l'extension", qui organisent, là où ils conservent une influence suffisante, des grèves "Jusqu'au-boutistes" et minoritaires, faisant appel à des "actions de commando" (comme parmi les conducteurs des camions des postes qui ont bloqué les centres de tri) ce qui a pour effet de les isoler encore plus. A l'occasion, d'ailleurs, les syndicats n'hésitent pas à se coiffer ouvertement de la casquette des "coordinations" lorsque cela peut "aider" comme ce fut le cas aux postes où la CGT a créé la sienne.

Ainsi, le partage des tâches entre "coordinations" et syndicats couvre tout le champ social : aux premières il revenait de lancer et de contrôler à la base le mouvement "phare", le plus massif, celui de la santé ; aux seconds, après qu'ils aient négocié de façon "positive" avec le gouvernement dans cette branche, il revient maintenant la responsabilité de compléter le travail dans les autres catégories du secteur public. Et en fin de compte, l'ensemble de la manœuvre a réussi puisque, aujourd'hui, la combativité ouvrière se retrouve dispersée en de multiples foyers de lutte isolés qui ne pourront que l'épuiser, ou paralysée chez les ouvriers qui refusent de se laisser entraîner dans les aventures de la CGT.

Quelles leçons pour la classe ouvrière ?

Alors que, deux mois après le début du mouvement dans les hôpitaux, les grèves se poursuivent encore en France dans différents secteurs, ce qui met bien en évidence les énormes réserves de combativité qui s'étaient accumulées dans les rangs ouvriers, les révolutionnaires peuvent déjà en tirer un certain nombre d'enseignements pour l'ensemble de la classe.

En premier lieu, il importe de souligner la capacité de la bourgeoisie d'agir de façon préventive et en particulier de susciter le déclenchement de mouvements sociaux de façon prématurée lorsqu'il n'existe pas encore dans l'ensemble du prolétariat une maturité suffisante permettant d'aboutir à une réelle mobilisation. Cette tactique a déjà été souvent employée dans le passé par la classe dominante, notamment dans des situations où les enjeux étaient encore bien plus cruciaux que ceux de la période actuelle. L'exemple le plus marquant nous est donné par ce qui s'est passé à Berlin en janvier 1919 où, à la suite d'une provocation délibérée du gouvernement social-démocrate, les ouvriers de cette ville s'étaient soulevés alors que ceux de la province n'étaient pas encore prêts à se lancer dans l'insurrection. Le massacre de prolétaires (ainsi que la mort des deux principaux dirigeant` du Parti communiste d'Allemagne : Rosa Luxemburg et Kart Liebknecht) qui en a résulté a porté un coup fatal la Révolution dans ce pays où, par la suite, la classe ouvrière a été défaite paquet par paquet.

Aujourd'hui et dans les années à venir, cette tactique visant à prendre les devants pour battre les ouvriers paquet par paquet sera systématiquement employée par la bourgeoisie alors que la généralisation des attaques économiques du capital commande une riposte de plus en plus globale et unie de la part de la classe ouvrière. L'exigence de l'unification des luttes qui est ressentie de façon croissante par les ouvriers est appelée à se heurter à une multitude de manœuvres, impliquant un partage des tâches entre toutes les forces politiques de la bourgeoisie, et particulièrement la Gauche, les syndicats et les organisations gauchistes, visant à diviser la classe ouvrière et à émietter son combat. Ce que nous confirment les événements récents en France, c'est que parmi les armes les plus dangereuses mises en oeuvre par la bourgeoisie dans la conduite de cette politique, il faut ranger les "coordinations" dont l'utilisation se fera de plus en plus fréquente à mesure que se développera le discrédit des syndicats et la volonté des ouvriers de prendre en main leurs luttes.

Face aux manœuvres de la bourgeoisie visant à chapeauter les luttes par ces fameuses "coordinations", il appartient à la classe ouvrière de comprendre que sa force véritable ne provient pas de ces prétendus organes de "centralisation" mais, en Premier lieu, de ses assemblées générales à la base. La centralisation du combat de classe constitue un élément important de sa force, mais une centralisation précipitée, lorsqu'à la base n'existe pas un niveau suffisant de prise en main de la lutte par l'ensemble des travailleurs, lorsque ne se manifestent pas des tendances significatives à l'extension, ne peut aboutir qu'au contrôle de l'ensemble du mouvement par des fonces bourgeoises (en particulier les organisations gauchistes) et à son isolement, c'est-à-dire, deux éléments de sa défaite. L'expérience historique a démontré que plus on s'élève dans la pyramide des organes créés par la classe pour centraliser son combat, que plus on s'éloigne du niveau où l'ensemble des ouvriers peut s'impliquer directement dans celui-ci, et plus les forces de gauche de la bourgeoisie ont le jeu facile pour établir leur contrôle et développer leurs manœuvres. Cette réalité on a pu la constater même dans des périodes révolutionnaires. C'est ainsi qu'en Russie, durant la plus grande partie de l'année 1917, le Comité exécutif des soviets a été contrôlé par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires ce qui a conduit les bolcheviks pendant toute une période à insister pour que les soviets locaux ne se sentent pas liés par la politique menée par cet organe de centralisation. De même, en Allemagne, en novembre 1918, le Congrès des Conseils ouvriers ne trouve rien de mieux à faire qu'à remettre tout le pouvoir aux sociaux-démocrates passés à la bourgeoisie, prononçant ainsi l'arrêt de mort de ces mêmes conseils.

Cette réalité, la bourgeoisie l'a parfaitement comprise. C'est pour cela qu'elle va systématiquement susciter l'apparition d'organes de "centralisation" qu'elle pourra facilement contrôler en l'absence d'une expérience et d'une maturité suffisantes de la classe. Et pour mieux se garantir, elle va le plus souvent possible, notamment par l'entremise de ses fonces gauchistes, fabriquer à l'avance de tels organes qui vont par la suite se faire "légitimer" par des simulacres d’assemblées générales empochant de cette façon que celles-ci ne créent elles-mêmes de véritables organes de centralisation: comités de grève élus et révocables au niveau des entreprises, comités centraux de grève au niveau des villes, des régions, etc.

Les luttes récentes en France, mais aussi dans les autres pays d'Europe, ont fait la preuve que, quoi qu'en puissent dire les éléments conseillistes-ouvriéristes qui aujourd'hui se pâment devant les "coordinations", la classe ouvrière n'a pas encore atteint à l'heure actuelle la maturité suffisante lui permettant de constituer des organes de centralisation de ses luttes à l'échelle de tout un pays comme se proposent de le faire les "coordinations". Elle ne pourra pas prendre de raccourci et sera contrainte de déjouer pendant une longue période tous les pièges et obstacles que la bourgeoisie dispose devant elle. Elle devra en particulier poursuivre l'apprentissage de l'extension de ses luttes et d'une réelle prise en main de celles-ci à travers les assemblées générales souveraines sur les lieux de travail. Le chemin est encore long pour le prolétariat, mais il n'en existe pas d'autre.

Le 22 - 11 - 88

[1] [6] ) Voir "Accion Proletaria" n' 72.

[2] [7] Voir "Révolution Internationale" n' 153.

[3] [8] Voir "Révolution Internationale" n' 168 et 169.

Géographique: 

  • France [1]

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

3a) Le rôle actif des trotskistes dans la stratégie de la bourgeoisie : Introduction

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Dans l'énorme opération anti-ouvrière montée par la bourgeoisie lors de la lutte des hôpitaux, les gauchistes -et en particulier les trotskystes de "Lutte Ouvrière" et de la "Li­gue Communiste Révolutionnaire"- ont joué un rôle de premier plan et de grande enver­gure. Fers de lance de la mise sur pied des coordinations qui se sont partagé l'encadre­ment des travailleurs en lutte, champions de première de la magouille et de la manipula­tion au sein des assemblées convoquées par celles-ci, ils ont contribué efficacement au succès de la manœuvre d'ensemble de la bourgeoisie. Ils ont ainsi fait une fois de plus la preuve que la bourgeoisie peut compter sur eux contre les ouvriers !

Dans les années 70, alors que l'union de la gauche avait le vent en poupe et que les syn­dicats parce qu'ils jouissaient encore d'un certain crédit au sein de la classe ouvrière parvenaient à assurer seuls l'encadrement et le sabotage des luttes, les gauchistes oeu­vraient déjà en arrière plan. La bourgeoisie comptait déjà sur eux pour se faire ouverte­ment les rabatteurs de la gauche et la caution "radicale" des syndicats. Aujourd'hui s'ils apparaissent beaucoup plus directement sur le devant de la scène, s'ils tiennent plus vo­lontiers un discours "anti-gauche" et adop­tent un ton critique radical vis à vis des syn­dicats, ce n'est pas parce qu'ils ont changé de camp, bien au contraire. Au moment où la classe ouvrière se détourne massivement des syndicats et des partis de gauche, qu'elle re­jette ouvertement leurs mots d'ordre et qu'elle cherche activement les moyens de développer son propre contrôle sur ses lut­tes, la bourgeoisie fait de plus en plus appel directement aux gauchistes pour qu'ils se chargent du sale boulot que les forces classi­ques d'encadrement ne peuvent plus faire comme auparavant. Et si aujourd'hui on voit surtout les trotskystes au premier plan des efforts déployés par la classe dominante pour combler la brèche profonde qui s'est ouverte dans son dispositif anti-ouvrier, ils seront rejoints demain par toute la kyrielle d'autres petits groupes gauchistes, maoïstes, anar­chistes, qui, eux aussi, ont déjà rendu ce bons et loyaux services à la bourgeoisie.

La classe ouvrière n'a pas d'illusions à avoir, elle rencontra de plus en lus les gau­chistes sous les masques les plus variés, "combatifs", "radicaux", voire même "révo­lutionnaires", comme obstacle majeur au développement de ses combats. Et si elle doit être plus consciente de cela, elle doit aussi savoir qu'elle ne pourra pas éviter l'obstacle mais, plus encore, qu'elle devra affronter tous ces faux amis.

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  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • Trotskysme [9]

3b) Le rôle actif des trotskistes dans la stratégie de la bourgeoisie : Les magouilles de "Lutte Ouvrière''

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"Coordination du Personnel de Santé" 

 

"Lutte Ouvrière" prétend défendre de façon intransigeante les intérêts des travailleurs. Mais, une nouvelle fois, la politique et les méthodes de cette organisation au cours de la grève dans les hôpitaux ont fait la preuve qu'elle n'a d'ouvrier que le nom et la phraséologie.

L.O. magouille pour saboter les votes

Le 8 octobre se réunit l'assemblée générale de la "Coordination du personnel de santé" créée le 29/9 et chapeautée sur le champ par un "Bureau" contrôlé par L.O. Immédiatement, L.O. déploie ses magouilles. Dès le début de la réunion, urne infirmière, soutenue par plusieurs participants, demande un vote sur la proposition d'envoyer une délégation massive à l'AG de la "Coordination infirmière", qui se tient au même moment juste à côté, afin de lui proposer une fusion des deux assemblées. Mais le Bureau, et notamment son porte parole (membre de L.O.), refuse systématiquement qu'elle soit mise aux voix malgré l'insistance d'une partie de l'assemblée.

Les arguments spécieux donnes par L.O. pour combattre la proposition (du style : "ce ne serait pas "poli" de faire une intrusion à l'assemblée de la Coordination infirmière contre sa volonté") cachent mal sa propre volonté de ne pas remettre en cause le partage du territoire qu'elle a négocié, dans le dos des travailleurs, avec la "Coordination infirmière". D'ailleurs, malgré toutes ses déclamations "unitaires" et "anti-corporatistes",  le journal "Lutte Ouvrière" du 8/10 se trahit en écrivant: "une 'Coordination des Personnels de Santé", cherchant à regrouper et à diriger la lutte du personnel non infirmier, s'est créée." On ne peut être plus clair ! Comme les gangsters se partagent les commerçants à racketter ("à toi les restaurants, à moi les fripiers"), L.O. et les autres organisations de gauche et gauchistes se sont partagé le personnel hospitalier : "A toi les infirmières, à moi les autres".

Ce mépris pour les travailleurs, nous le retrouvons dans la volonté du Bureau de censurer le vote. L.O. a beau se gargariser dans sa presse de phrases du style "Oui, c'est aux travailleurs de la base de prendre l'initiative. Car la base peut faire mieux que constituer les troupes de la lutte dirigée par d'autres" (Éditorial de "LO" du 8/10). Dans la pratique, ses grandes déclarations se révèlent n'être que purs mensonges démagogiques. Lorsque la "base" risque de prendre une position pouvant compromettre ses petits rackets, LO, avec son savoir faire politicard, s'arrange pour lui fermer sa gueule. Bravo LO ! Tu as bien appris de tes maîtres staliniens.

L.O. récidive et aggrave son cas

Ce même mépris pour les assemblées qu'il convoque lui-même, le Bureau-LO nous en a donné une nouvelle preuve lors de l'AG de la coordination du 13/10. Ainsi; à cette assemblée, il est remis au Bureau une lettre adressée par l'AG de tous les personnels d'un grand hôpital de la banlieue parisienne (le CHS de Maison Blanche), protestant contre la magouille du 8/10 et demandant que "cette lettre soit lue aux prochaines assemblées... de la coordination des personnels de santé". Évidemment, le Bureau-LO n'en souffle mot : comme il se sent morveux, il a peur qu'on le mouche.

Ensuite, on va voir le Bureau, par toute une série de manœuvres provoquant la plus grande confusion, s'arranger pour empêcher une nouvelle fois que deux amendements contrariant sa politique de sabotage de la lutte ne soient soumis au vote.

Le premier amendement proposait que cette coordination soit basée sur des délégués élus et révocables des AG des hôpitaux. C'était un gros pavé dans la mare de LO qui voulait continuer à pouvoir "bourrer" les AG de la coordination par la claque de ses propres militants et sympathisants.

Quant au second amendement,, il proposait que l'AG se prononce en faveur de l'extension immédiate de la lutte aux autres secteurs. Là encore on voit clairement la distance qui sépare les déclarations platoniques de la presse de LO de sa tactique réelle. Ainsi, les éditoriaux de "LO" des 24/9, 1/10 et 22/10, c'est-à-dire avant et après le plus fort de la mobilisation dans les hôpitaux, sont autant d'appels à l'extension et à l'unification des luttes dans tous les secteurs de la classe ouvrière. En revanche, dans "LO" des 8 et 15/10, au moment où cette question est immédiatement cruciale, on ne trouve pas un mot dessus tandis que, sui le terrain, les militants de LO font toutes les magouilles possibles pour empêcher de tels appels.

Le naïf ou l'amnésique pourrait croire que c'est un hasard ou une erreur de L.O. Il n'en est rien. En réalité, LO nous a déjà fait le coup à deux reprises : au sein de la coordination inter-catégorielle de la SNCF en décembre 86 (cf. RI de février 87) et dans la coordination INTER-SNECMA au printemps 88 (cf. RI 169). Non, LO n'a pas fait "des erreurs" ! Elle a appliqué une politique systématique d'enfermement des luttes comme le font les syndicats et le P.C.F.. Et pour mettre en oeuvre la même politique que les staliniens, LO a fait appel aux mêmes méthodes "musclées". Ces méthodes, nous en avions eu un avant-goût lors de l'AG du 13/10 lorsque, face à la colère que toutes ces magouilles avaient provoqué dans l'assemblée, un membre du Bureau-LO s'était écrié : "C'est fini ce bordel ! Maintenant taisez-vous et écoutez le Bureau !". Ces pratiques de petits voyous devaient être utilisées avec leur pleine "vigueur" lors de l'assemblée du 15/10.

Les mœurs staliniennes de L.O.

Comme celle du 8/10, cette assemblée était "filtrée" : à l'entrée, il fallait donner son nom et son adresse au service d'ordre de LO (à quelles fins ?). Quelques travailleurs d'autres secteurs de la Fonction Publique ont pu quand même entrer dans la salle en signalant qu'ils n'étaient pas hospitaliers et que, par conséquent, ils ne participeraient pas aux votes. Avant même le début de la séance, ces travailleurs ont été systématiquement mitraillés sous tous les angles par un photographe (était-ce une tentative d'intimidation ou l'occasion pour LO de compléter son propre fichier policier des éléments "perturbateurs ? Les deux probablement). Puis, dès le début de la séance, le porte-parole du Bureau demandait à ces travailleurs de quitter la salle sous prétexte que cette assemblée ne devait pas être "troublée par des personnes extérieures à la santé". Et comme ces travailleurs tentaient de défendre la nécessité pour les assemblées ouvrières d'être ouvertes, ils ont été vidés manu-militari par le service d'ordre de LO, en même temps d'ailleurs que les travailleurs de la santé qui protestaient contre ces méthodes répugnantes.

Ainsi, L.O. reprend aujourd'hui à son compte la politique crapuleuse des "ouvriers" sociaux-démocrates allemands, Ebert et Noske, qui, en novembre 1918, firent interdire la porte du Congrès des conseils ouvriers aux révolutionnaires Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg sous prétexte qu'ils n'étaient pas ouvriers. L.O. ne puise pas son inspiration uniquement auprès des staliniens mais aussi auprès de ceux qui les ont précédés dans la trahison du prolétariat : ces mêmes sociaux-démocrates qui, deux mois après, allaient faire assassiner Liebknecht et Luxembourg en même temps qu'un millier d'ouvriers de Berlin.

"Camarades" de L.O., à quand les coups de flingue contre les "perturbateurs" ?

Mais LO ne devait pas en rester là: à la brutalité il fallait encore ajouter l'hypocrisie. Arès l'interruption de séance, le porte-parole du Bureau faisait, la main sur le cœur, une déclaration pour s'excuser de "ce malencontreux incident" (dixit LO) résultant, à ses dires, d'un "malentendu". Pourquoi de telles "excuses" ? Tout simplement parce que, durant la pause, les "expulsés" étaient revenus distribuer le texte d'une motion qu'ils voulaient proposer à l'assemblée et qui appelait "tous les travailleurs du public et du privé à entrer immédiatement et massivement dans la lutte".. Il était alors difficile pour le Bureau-LO, pris au dépourvu, de continuer à dénoncer ces éléments comme de simples "fouteurs de merde" (d'autant plus que certains des hospitaliers expulsés avec eux avaient distribué de leur côté la lettre de protestation du personnel de Maison Blanche que le Bureau avait mise sous la table lors de l'AG du 8/10). Pour montrer sa "bonne foi", le Bureau-LO, contraint de tourner casaque, a alors annoncé qu'il allait soumettre aux voix cette motion. Mais pour éviter toute "mauvaise surprise", il a encore magouillé en ne la faisant voter qu'au dernier moment alors que beaucoup de participants étaient déjà partis ou s'apprêtaient à partir. Magouille encore renforcée par sa proposition d'une motion concurrente "allant dans le même sens", à ses dires, mais qui en réalité, derrière ses phrases verbeuses, n'était qu'un salut" platonique à "l'entrée en lutte des autres secteurs de la fonction publique".

La grève des hôpitaux n'a pas seulement permis à "Lutte Ouvrière" d'apporter sa petite contribution au succès de la manœuvre bourgeoise visant à prévenir une explosion généralisée du mécontentement ouvrier. Elle a été aussi une occasion pour cette organisation d'utiliser le type de méthodes qui accompagnent nécessairement une telle politique bourgeoise : les magouilles politicardes, la manipulation, les votes truqués, les mensonges, l'intimidation, le flicage et, pour couronner le tout, la violence physique contre les empêcheurs de magouiller en rond. Et ce n'est qu'un début. Il ne faut pas se faire d'illusions: comme ses aînés P.S. et PC, LO n'hésitera pas demain à massacrer les ouvriers quand ce sera "nécessaire".

Révolution internationale N' 173

*  *  *  *  *

  • Si la classe ouvrière a des illusions sur la nature des "coordinations", la bourgeoisie, elle, sait ce qu'elle fait quand elle les met en place. Voila ce qu'en dit le "Monde", célèbre et réputé organe de presse bourgeois, dans son édition du 21 octobre 1988, au sein de l'article "Le retour du "baron noir" de l'agitation sociale" :

"Allumée depuis plusieurs mois auparavant, la mèche lente a fait son office. Une conjonction d'intérêts (UNASIF) avait poussé à entrer dans la danse l'encadrement infirmier par le canal d'une union syndicale et associative, corporatiste, l'Union nationale des associations et syndicats infirmiers et des infirmières français (UNASIF) reprise en main récemment par les amis de M. Chevènement. M. Bernard Desormière, secrétaire général de la fédération CGT de la santé, voit du reste, dans l'UNASIF "la première tentative de recomposition du mouvement syndical" effectuée en juin, qui, selon lui, se poursuit aujourd'hui d travers la coordination pour le compte du P.S. et de la social-démocratie."

 

Situations territoriales: 

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  • Trotskysme [9]

3c) Le rôle actif des trotskistes dans la stratégie de la bourgeoisie : LCR...

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LCR : les faiseurs de coordinations à la rescousse du syndicalisme

 
"Les infirmières et les personnels de santé ont retrouvé le chemin d'un syndicalisme originel, à vocation majoritaire, efficace, unitaire, dirigé par tous dans la plus grande démocratie".

C'est en ces termes que, à l'occasion de la récente constitution de la "coordination infirmière" en "association loi 1901", "Rouge", organe de la "Ligue Communiste Révolutionnaire" trotskyste, lâche le morceau dans son numéro du 10/11 sur la véritable nature des fameuses "coordinations" qui ont tant fait parler d'elles pendant la grève des hôpitaux. Et on peut dire que la LCR sait de quoi elle parle, elle qui fait partie des principaux animateurs de la plupart des coordinations qui fleurissent un peu partout en ce moment.

A l'heure où la classe ouvrière rejette de plus en plus ouvertement les syndicats, refuse de marcher derrière leurs consignes et développe une saine méfiance contre l'encadrement syndical, ce sont ces "nouvelles organisations", surgies on ne sait trop d'où, qui sont "offertes" aux ouvriers comme une prétendue alternative au syndicalisme. Elles se prétendent des structures qui n'auraient rien à voir avec les syndicats, mais qui au contraire, permettraient de lutter enfin contre les manœuvres de division et de sabotage systématiques des luttes ouvrières par les syndicats, auxquelles s'est heurtée depuis des décennies la classe ouvrière.

Eh bien, les masques tombent ! Un des principaux promoteurs de ce mensonge, en la personne de la LCR, passe aux aveux complets ! Les lanternes n'étaient les des vessies !

En effet, si nous laissons de côté les grands mots d'unitaire'', "démocratique", "dirigé par tous", qui sont là pour faire joli, c'est par contre une profonde vérité que contient la révélation de "Rouge" : les coordinations, c'est du syndicalisme pur, et c'est du syndicalisme efficace !

D'ailleurs il n'est pas besoin de gratter bien loin : qui fabrique les coordinations ? Celle des infirmières ? Elle a été montée par la CFDT, aidée de divers militants gauchistes, qui sont en même temps des militants syndicaux (cachant leur carte pour les besoins de la cause). De même il n'est un secret pour personne que la plupart des coordinations qui ont vu le jour récemment dans les PTT sont des simples cache-sexe de... la CGT !

Auto-proclamées, préexistant le plus souvent à la mobilisation réelle, centralisation artificielle et prématurée sur laquelle les ouvriers en lutte n'ont aucun contrôle, elles œuvrent -exactement comme les syndicats- à empêcher la prise en mains de la lutte par les assemblées souveraines de grévistes, en se présentant comme des organes spécialisés, à qui revient le rôle de diriger, coordonner et orienter le mouvement au nom et à la place des ouvriers. A ce niveau les coordinations sont à peu près autant "dirigées par tous" que le sont les syndicats et elles savent aussi bien et mieux qu'eux mener "démocratiquement" la danse dans une AG, à qui il est demandé simplement de leur faire confiance. Exactement comme les syndicats !

Championnes du corporatisme et de l'enfermement dans le secteur, elles oeuvrent, exactement comme les syndicats, à saboter l'extension et l'unification du mouvement. Et si elles protestent à grands cris contre les divisions entre syndicats, c'est parce qu'elles leur préfèrent... les divisions entre coordinations se partageant le travail pour saucissonner la lutte !

Les coordinations : des syndicats auxquels il ne manque que le nom

C'est d'ailleurs à ce propos que la L.C.R explique pourquoi la "coordination infirmière" a préféré se constituer en association 1901 plutôt qu'en syndicat. Selon "Rouge" : "Créer un syndicat des seules infirmières, alors que sont nées bien d'autres coordinations remplissant les mêmes fonctions pour leur catégorie, c'eût été offrir au syndicalisme corporatiste déjà existant un cadeau royal, celui de la division confirmée entre corps de métier". Discours plus puant, tu meurs ! S'il est un organe qui s'est fait depuis sa création le champion du corporatisme et de "la division entre corps de métier", c'est bien la "coordination des infirmières d'Île de France", (et avec elle les autres coordinations selon le principe "à chacun sa catégorie" !).

Plus prosaïquement, la raison pour laquelle, en devenant une institution permanente légale, la coordination des infirmières préfère ne pas prendre le nom de syndicat, c'est que ce serait dégonfler la baudruche ! L'efficacité des coordinations, leur capacité à jouer leur rôle d'organe d'encadrement "new look" des ouvriers et à ne pas se laisser déborder, dépend du masque apparemment extra-syndical dont elles se parent.

De plus ‑comme le dit la L.C.R. elle-même‑ "les syndiqués auraient été sommés de choisir entre leur syndicat d’origine et le nouveau" et "aucun reniement syndical ne doit être exigé". Et pour cause ! Ce sont les mêmes militants gauchistes et syndicalistes qui sont à l'œuvre dans les deux structures. Et pour eux, champions du syndicalisme et fabricants  de "coordinations" en tout genre, il ne s'agit pas tant de remplacer les syndicats, que de les compléter, de se partager le travail avec eux, et finalement leur permettre de revenir en force sur le devant de la scène, comme ils viennent de le montrer dans la grève des hôpitaux, mais aussi dans les PTT, tout comme à la SNCF en 86, ou à la SNECMA  au printemps dernier.

Et c'est là le second aveu de "Rouge" : "II (le mouvement des coordinations) ne s'est pas bâti contre les syndicats traditionnels, mais à cause de leurs carences. Que les syndicats classiques en prennent de la graine, qu'ils procèdent à la révision critique nécessaire", (...) "les syndicalistes unitaires (autrement dit les militants trotskystes, bâtisseurs de coordinations) ont compris, ont participé, ont appuyé le mouvement. Ils ne peuvent qu'en faire bénéficier leur syndicat maintenant".

En vérité, les trotskystes se désolent, avec l'ensemble de la bourgeoisie, de ce qu'ils appellent "la crise de crédibilité du syndicalisme traditionnel" et ils ne font rien d'autre que de multiplier les offres de service pour tenter de le requinquer.

Révolution Internationale N' 174* * * * *
  • Si la classe ouvrière a des doutes sur la nature et le rôle des gauchistes, la bourgeoisie, elle, sait reconnaître les siens, en tant que maîtres d'œuvre des coordinations. Voilà ce qu'en dit le "Monde" au sein de l'article cité précédemment :

 "Comme ce fut le cas avec les étudiants et les cheminots (hiver 1986‑1987), dans le conflit de la SNECMA  (début 1988), les amis d'Alain Krivine, l'indéboussolable dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire (L.C.R.) sont montés en ligne. Avec d autant plus de facilité, dans ce milieu faiblement syndicalisé, que le terrain avait été préparé pendant les vacances. La L.C.R. avait lancé un ballon d'essai au printemps parmi les infirmières aides-anesthésistes, "celles qui vont déjeuner avec les internes quand les autres vont au self', comme dit M. René Champeau, secrétaire général de la fédération FO des personnels de la fonction publique et de la santé".

  • Voilà ce qu'en dit le "Point", dans son N' 840 au sein de l'article
    "Parti socialiste : Les trotskistes ont pignon sur rue" :

 "... Or, les militants trotskistes, qui, lors de la dernière élection présidentielle ont plafonné autour de 2% des suffrages (...), sont riches dune expérience organisationnelle et d'une pratique militante qui leur permettent de s'installer sans difficulté dans les courants sociaux‑démocrates prompts d s'embourgeoiser et d s'encroûter dans l'exercice du pouvoir. Mieux : les socialistes, dés lors qu'ils sentent le souffle leur manquer, n'hésitent jamais d faire appel d ce sang neuf."

 "Que fait François Mitterrand entre 1971 et 1973 ? Il ouvre les portes du PS aux anciens du PC, au risque de se faire traiter de cryptocommuniste. Que fait le candidat de la gauche après l'élection présidentielle de 1974 ? Il accueille la deuxième gauche, conduite par Michel Rocard, ancien porte-voix du mouvement de Mai 68 qui, quelques mois plus tôt, défilait encore aux côtés d'Alain Krivine, le patron de la L.C.R. (Ligue communiste révolutionnaire). Que dit enfin François Mitterrand au congrès de l'unification d Épinay ? "Nous avons d conquérir chez les gauchistes..". Pas étonnant, donc, que des trotskistes s'installent aujourd'hui au P.S.


Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en France [2]

Courants politiques: 

  • Trotskysme [9]

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Liens
[1] https://fr.internationalism.org/tag/5/36/france [2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france [3] https://fr.internationalism.org/french/brochures/lutte_infirmieres_coordinations.htm#_ftn1 [4] https://fr.internationalism.org/french/brochures/lutte_infirmieres_coordinations.htm#_ftn2 [5] https://fr.internationalism.org/french/brochures/lutte_infirmieres_coordinations.htm#_ftn3 [6] https://fr.internationalism.org/french/brochures/lutte_infirmieres_coordinations.htm#_ftnref1 [7] https://fr.internationalism.org/french/brochures/lutte_infirmieres_coordinations.htm#_ftnref2 [8] https://fr.internationalism.org/french/brochures/lutte_infirmieres_coordinations.htm#_ftnref3 [9] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme