VERS LA RECESSION DE L'ECONOMIE MONDIALE
L'année 1985 va connaître une nouvelle accélération de la crise économique mondiale. Après la réélection de Reagan à la présidence des Etats-Unis à l'automne 1984, l'ampleur de la crise, qui était cachée par la "reprise américaine", réapparaît dans toute sa brutalité. La dissipation des effets des mesures employées pour cette "relance", qui n'ont eu d'impact que sur quelques indicateurs de l'économie capitaliste, essentiellement aux Etats-Unis, confirme les caractéristiques de la récession inéluctable des années 80, années que nous avons appelées, dès janvier 1980, les "années de vérité". "Mais qu'est-ce qui permet d'affirmer que la récession dans laquelle s'enfonce actuellement le capitalisme, sera la plus large, la plus longue et la plus profonde depuis la guerre ? Trois types de facteurs :
1) L'ampleur de la dégradation que connaît l'économie mondiale ;
2) L'inefficacité croissante des moyens dont se sert le capital pour relancer la croissance économique ;
3) L'impossibilité grandissante pour les Etats de continuer à recourir aux moyens de relance." ([1] [1])
LA FIN DE LA "REPRISE AMERICAINE"
Et en effet, la récession de 1980-82 a été la plus large, la plus longue et la plus profonde depuis la 2ème guerre mondiale, et la reprise de l'économie américaine de 1983-84, la moins efficace depuis l'ouverture de la crise mondiale, à la fin des années 60.
Aujourd'hui, les prévisions, qui étaient optimistes, sont révisées à la baisse : "Le département du commerce vient de faire connaître le chiffre relatif à la croissance du PIB au 3ème trimestre : 1,9 % contre les 2,7 % annoncés précédemment. C'est le taux le plus faible depuis le 4ème tri mestre 1982, date qui avait marqué la fin de la récession." (Libération, 22 nov. 84). La menace d'effondrement du système bancaire international, avec la faillite de la Continental Illinois (10ème banque américaine) et de 43 autres au cours des six premiers mois de 1984, a montré que, plus encore que par le passé, les artifices monétaires (endettement, fixation arbitraire du cours du dollar) n'ont aucune contrepartie dans le domaine de la production. Les "experts" remarquaient d'ail leurs dès le début, 1'"originalité" de cette "reprise" : l'absence de croissance significative des investissements productifs. Comme nous l'avions prévu : "Le mécanisme actuel de la 'reprise' aux Etats-Unis annonce un avenir catastrophique pour l'économie mondiale." ([2] [2]). Contrairement à la propagande de Reagan, le ralentissement de l'inflation n'a pas été le fruit des mesures "monétaristes", mais la conséquence de la récession, de l'engorgement du marché mondial. Ce dernier pousse chaque entreprise à baisser les prix sous peine d'élimination par la concurrence. Et aujourd'hui, à nouveau, la bombe à retardement de l'endettement énorme du monde capitaliste (dettes du Tiers-Monde et des pays industrialisés, déficits budgétaires) amène le retour du spectre de l'inflation, inflation qui est restée la règle dans les pays plus périphériques (1000 % en Israël par exemple). Aujourd'hui, la dette publique s'élève à 1500 mil liards de dollars aux Etats-Unis, 42 % du PNB, contre 25 % en 1979. 40 % des dollars ne sont que du papier, ce qui est pudiquement avoué par les "experts" comme une "surévaluation du dollar de 40 %". Le déficit budgétaire de l'Etat américain dépasse les 200 milliards de dollars
Le capitalisme essaie de tricher avec la loi de la valeur ; il ne fait que reporter chaque fois, à un niveau supérieur et plus explosif, les contradictions du système.
LA PAUPERISATION ABSOLUE DE LA CLASSE OUVRIERE
Un des éléments de la "reprise" économique a été l'attaque massive contre les salaires, justifiée au nom de la "sauvegarde de l'entreprise", "le maintien de l'emploi", la "solidarité nationale". En fait, freinage et blocage des salaires, limitations et suppressions du "salaire social" (santé, retraites, éducation, logement, allocations-chômage, etc.), ont accéléré brutalement, sans que le chômage ne diminue de manière significative, sauf aux Etats-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans des pays comme la Belgique et la Hollande où l'attaque contre les salaires dans le secteur public a provoqué les premières grandes grèves de la remontée des luttes ouvrières à l'automne 1983, le taux de chômage s'est maintenu à plus de 15 %. Dans un pays comme la France, des chômeurs de plus en plus nombreux comme les jeunes ou les chômeurs "de longue durée", disparaissent purement et simplement des statistiques. Aux Etats-Unis, le chômage a diminué momentanément, mais la classe ouvrière a subi une des plus fortes baisses des salaires de son histoire, jusqu'à plus de 15 % comme aux automobiles Chrysler par exemple.
Les prévisions de licenciements comptent en dizaines de milliers les ouvriers jetés à la rue avec de moins en moins de ressources, dans les mines, la sidérurgie, les travaux publics, les chantiers navals, l'automobile, etc., et ceci de plus en plus simultanément dans différents pays. Dans des régions entières, qui dépendent d'une industrie dominante, ce sont toutes les activités qui sont menacées : en Espagne, en France, en Grande-Bretagne. Les "avantages", primes, congés, allocations diverses, sont supprimés, rognés, soumis à des conditions d'obtention plus restrictives. Les "soupes populaires", disparues depuis la 2ème guerre mondiale, font leur réapparition, dans des pays "riches" comme la France. Ce n'est pas seulement une paupérisation relative, c'est une paupérisation absolue qui s'abat sur la classe ouvrière dans tous les domaines de ses conditions de vie.
La "découverte" par la bourgeoisie, sa presse, ses organismes de "charité", du "quart-monde" ou des "nouveaux pauvres", dans les pays industrialisés, n'exprime pas des réticences morales ou humanitaires, mais l'inquiétude face aux réactions que risque de susciter l'aggravation de la misère. La paupérisation de la classe ouvrière et le chômage massif n'ont pas les mêmes conséquences que dans les pays sous-développés. En effet, les couches pauvres et marginalisées du Tiers-Monde constituent une masse énorme qui n'a pas été intégrée au rapport social capitaliste et au sein de laquelle le prolétariat n'est qu'une petite minorité. La conscience de la classe ne peut s'y développer en dehors de mouvements très puissants du prolétariat ; les mouvements sociaux y prennent la forme d'émeutes de la faim et de la misère, sans possibilité de dégager les buts et les moyens de lutte contre le capitalisme. Dans les pays développés, c'est directement le prolétariat qui est touché. C'est 10, 15, 20 % des ouvriers qui forment le prolétariat constitué, qui sont éjectés de tout moyen de subsistance. Ce sont les familles qui comptent un, puis deux, puis trois chômeurs. C'est le prolétariat comme un tout qui subit l'attaque.
Le chômage massif constitue, avec le développement de la combativité et de la conscience de la classe, un élément décisif de dépassement du cadre sectoriel et corporatiste, favorisant l'extension, la capacité du prolétariat à assumer le caractère social et non catégoriel de son combat. La réelle inquiétude de la bourgeoisie sur les "nouveaux pauvres", c'est le développement de la lutte de classe, et elle utilise ce thème pour renforcer une idéologie des "privilèges" et faire passer les appels à 1'"effort" et les taxes de "solidarité nationale".
Contre la montée du mécontentement ouvrier et les luttes, la bourgeoisie va poursuivre sa politique : austérité, multiplication des campagnes idéologiques de diversion, utilisation de plus en plus systématique de la répression ; et surtout, renforcement de ses fractions de gauche dans les rangs ouvriers, dans leur rôle d'"opposition", pour tenter de contenir et de dévoyer la colère que suscitent les mesures de crise.
L'INTENSIFICATION DES TENSIONS IMPERIALISTES
La seule "issue" que le capitalisme peut donner à sa crise, c'est la fuite en avant vers une tentative de repartage violent du marché mondial, dans la guerre entre les blocs impérialistes. C'est ce que traduit l'effort permanent d'armement auquel se livrent tous les pays, alors que les dépenses militaires constituent pourtant un facteur accélérateur de la crise ([3] [3]). C'est ce que manifeste la tension constante et accrue de l'affrontement Est-Ouest, en particulier dans les zones du monde qui servent de "théâtres d'opérations" : Moyen-Orient, Extrême-Orient. L'offensive américaine contre le bloc russe va se poursuivre. Le battage belliciste de l'administration Reagan, n'a été atténué que pour des raisons intérieures aux Etats-Unis : ne pas faire peur pour assurer la réélection des Républicains. Les manoeuvres diplomatico-militaires visent à dépouiller le bloc russe de tous les restes de son influence en dehors de son "glacis". Elles passent par une reprise en mains de l'Iran et des mises au pas au sein du bloc occidental.
Ces manoeuvres sont réapparues au premier plan de la "tension internationale" dès la fin 1984 : pression sur la France pour régler la situation Tchad-Lybie et voyage de Mitterrand en Syrie ; nouvelle orientation de "paix" d'Arafat, marquant la soumission accrue de l'OLP aux visées occidentales; assassinat d'I. Gandhi, qui est tombé à pic pour ancrer plus fermement l'Inde dans le bloc de l'Ouest.
Nous ne développons pas cette question dans le cadre de cet article. Tant que la bourgeoisie garde l'initiative historique, les tensions inter impérialistes vont s'exacerber. Si la guerre mondiale ne peut pas se généraliser, c'est pour une seule raison : la bourgeoisie n'est toujours pas parvenue à déboussoler la classe ouvrière, au point de la plier aux impératifs de défense de l'économie nationale dans chaque pays, à la discipline et à l'embrigadement idéologique qu'exige la menée de la guerre généralisée, qui si elle s'étendait, signerait la destruction de l'humanité.
L'ACCELERATION DE LA LUTTE DE CLASSE
Les perspectives que nous avions tracées dès le début des années 80 restent valables : la classe ouvrière a ouvert une période de l'histoire qui va mener à des affrontements, des luttes de classes décisives pour l'avenir de l'humanité. Ou le prolétariat est capable internationalement "de paralyser le bras meurtrier du capitalisme aux abois et ramasse ses forces pour son renversement, ou bien il se laisse piéger, fatiguer, démoraliser par ses discours et sa répression, et alors, la voie est ouverte à un nouvel holocauste qui risque d'anéantir la société humaine." ([4] [4]). Depuis 1980, la bourgeoisie a infligé une défaite partielle à la vague de luttes du prolétariat mondial de 1978-81. Elle a annihilé la résistance ouvrière en Europe occidentale par le passage de la gauche capitaliste dans l'opposition, dans la plupart des pays hautement industrialisés. Cette défaite a été sanctionnée par l'isolement du prolétariat en Pologne et l'instauration de l'"Etat de guerre" en décembre 1981. Après cette défaite, la question posée était donc celle de la capacité du prolétariat mondial de poursuivre, dans les pays industrialisés occidentaux, ce que la classe ouvrière n'avait pas pu atteindre en Pologne -."Les ouvriers polonais ne pouvaient que poser objectivement le problème de la généralisation internationale. Seul, le prolétariat des autres pays industrialisés, en particulier en Europe occidentale, pourra y apporter une réponse pratique." ([5] [5]). C'est cette réponse qui a commencé a se manifester dans la situation présente, avec le regain depuis moins de deux ans, des luttes ouvrières dans les pays de l'Ouest, après un repli en 1982-83.
Depuis l'automne 1983, grèves et mouvements de la classe ouvrière se sont multipliés dans le monde entier : des Etats-Unis à l'Inde, du Pérou à l'Afrique du Sud. Nous ne rappellerons ici que les mouvements les plus significatifs contre les licenciements et l'attaque des salaires en Europe de l'Ouest : Belgique, Hollande, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Espagne. Les grèves ont touché des secteurs vitaux de l'industrie : respectivement, en ne citant également que les plus importants : en Belgique, le secteur public, les mines; en Hollande, le secteur public, les docks de Rotterdam (le plus grand port du monde) ; en Allemagne, les chantiers navals, l'imprimerie, la métallurgie ; en Grande-Bretagne, les mines, les docks, l'automobile ; en France, contre la gauche au gouvernement, l'automobile, la sidérurgie, les mines; et en Espagne, la sidérurgie, les chantiers navals. Ces grèves, auxquelles s'ajoutent une kyrielle de grèves et de manifestations, dans ces mêmes pays, dans d'autres pays et dans d'autres secteurs industriels, se poursuivent et vont s'accélérer ([6] [6]). Elles constituent le début d'une troisième vague internationale de luttes ouvrières, après celles de 1968-75 et 1978-81. La période est ouverte au cours de laquelle va se poser la question de la capacité du prolétariat à passer de la résistance contre l'austérité, à la généralisation internationale de son combat contre le capitalisme.
La reprise des luttes a surgi d'une maturation de la conscience de la classe. Elle manifeste la perte des illusions sur la possibilité de sortir de la crise, et la prise de conscience de la nécessité d'engager la lutte ouverte contre les attaques du capitalisme : les luttes reprennent malgré le battage sur la "reprise économique" et les appels à la "solidarité pour l'économie nationale". Dans cette remontée des luttes se manifeste un dégagement lent et tâtonnant de l'emprise des manoeuvres de la gauche, et de ses appendices syndicalistes et gauchistes : après deux années de reflux jusqu'à des niveaux les plus bas, jamais atteints depuis des décennies parfois (Grande-Bretagne en 1982), ces manoeuvres ne suffisent plus à empêcher l'éclatement des grèves. Les fractions de gauche doivent encore plus directement tenter de contenir le mécontentement sur le terrain de la classe ouvrière. Cette orientation accentuée a été illustrée en particulier par le retour du PC dans l'opposition en France et les soins apportés à la réélection de Reagan. Tout a été mis en oeuvre pour éviter tout accident électoral aux Etats-Unis, d'une part pour assurer aux Etats-Unis mêmes la présence du Parti Démocrate, et donc des syndicats dans l'opposition, et d'autre part et surtout, parce qu'en tant que chef de file du bloc, la politique américaine doit impulser et donner l'exemple pour tous les pays, et donc en particulier dans l'orientation des manoeuvres sur le terrain social, contre la classe ouvrière.
LA SIMULTANEITE INTERNATIONALE DES LUTTES OUVRIERES, PREMIER PAS DE LA GENERALISATION
La simultanéité grandissante des grèves constitue un premier pas montrant l'étendue de la riposte internationale du prolétariat. C'est une situation de simultanéité d'ores et déjà la plus importante qu'à tout autre moment de l'histoire du mouvement ouvrier, même si on la compare aux années 1917-23 de la vague révolutionnaire. Elle contribue à mettre au grand jour l'unité profonde des nécessités et des besoins de la lutte de classe, malgré les efforts de black-out, les campagnes de diversion, le travestissement des événements sous des "particularités nationales" ("problème basque" en Espagne face aux mouvements des chantiers navals) ou "sectorielles" ("problème des mines"1 en Grande-Bretagne). Elle est un creuset où, au cours d'une même période, avec de moins en moins de décalage dans le temps, des dizaines de milliers d'ouvriers font des expériences analogues, se confrontent à des obstacles similaires, accélérant les possibilités de dégager des lignes d'action générales pour toute la classe ouvrière.
La force de la classe ouvrière réside dès à présent dans le fait, qu'en multipliant les grèves, elle fait obstacle à la planification et la concertation internationales de la bourgeoisie, dans des moments de lutte ouverte de plus en plus fréquents, imposant des reports et aménagements des mesures de licenciements, contre la "logique" des nécessités capitalistes. Dans la sidérurgie européenne, par exemple, ce sont dès 1982 plus de 100000 licenciements qui sont nécessaires à 1'"assainissement" de l'appareil productif ; si la bourgeoisie n'est pas encore parvenue pleinement à ses fins, c'est à cause du danger que représentent des mouvements prévisibles dans les unités rapprochées de la sidérurgie en France, en Belgique, en Hollande, en Allemagne, des secteurs qui ont plusieurs fois montré leur "indiscipline". Et lors des grèves en Belgique, les ouvriers parlaient d'aller à Longwy en France.
La simultanéité des grèves ébauche la réponse politique internationale du prolétariat. Celui-ci, dans la période de décadence du capitalisme et en particulier avec la crise ouverte, se trouve face à " une unité et une solidarité bien plus grande qu'auparavant entre les capitalistes. Ceux-ci ont créé des organisations spécifiques afin de ne plus affronter individuellement la classe ouvrière"([7] [7]). Le déroulement de grèves et de mouvements de la classe ouvrière, d'un secteur à l'autre, d'un pays à l'autre, entrave les velléités de la bourgeoisie de la démobiliser et de la défaire paquet par paquet, usine après usine, secteur après secteur. La simultanéité des grèves ouvrières, au milieu de ces années 80 que nous avons appelées les "années de vérité", exprime une prise de conscience de la classe de ses intérêts et constitue un pas vers la capacité d'unfier son combat internationalement.
Cette "analyse est optimiste", "le CCI voit la révolution partout", "le CCI surestime la lutte de classe" disent beaucoup de groupes et organisations politiques. Le scepticisme règne encore dans le milieu révolutionnaire ([8] [8]). Ce scepticisme sur l'évaluation de la lutte de classe part du constat des faiblesses de la vague actuelle de luttes, et se base sur les faits suivants, pris ensemble ou séparément :
- les luttes ouvrières restent encadrées par les appareils politiques de gauche et les syndicats ;
- elles restent sur des revendications économiques sans se dégager significativement du corporatisme; il n'y a pas de "saut qualitatif" dans l'évolution des grèves ;
- la classe ouvrière n'a pas constitué ses propres organisations autonomes (comités de grève, comités de coordination, etc.) ;
- il n'y a pas de parti, d'organisation politique influençant et orientant le mouvement des luttes dans un sens révolutionnaire.
Si ces faiblesses sont toutes bien réelles, en rester à ce simple constat est pourtant faux. C'est prendre le début d'un mouvement pour son plein essor, c'est oublier le contexte international du développement de la lutte de classe, sa dimension historique qui requiert la prise de conscience de l'ensemble de la classe ouvrière et sa capacité à forger un véritable parti révolutionnaire mondial. Vouloir la révolution ou même la grève de masse tout de suite, c'est faire preuve d'une vision immédiatiste et étriquée, typique de l'impatience de la petite bourgeoisie "radicale", c'est dédaigner et s'interdire de reconnaître les véritables avancées et potentialités de la situation présente. "En prenant chaque lutte en soi, en 1'examinant de manière statique, photographique, on s'ôte toute possibilité d'appréhender la signification des luttes, et, en particulier, de la reprise actuelle de la lutte de classe." ([9] [9]). C'est ce qui se manifeste dans les critiques de notre "optimisme", notre "surestimation" des luttes, ou de 1'"abstraction" de notre intervention qui, dès à présent, défend l'extension de la lutte. C'était souvent un même scepticisme, mais à l'époque dans l'autre sens, qui régnait face aux positions du CCI sur le recul de la lutte de classe de 1982-83. Le CCI était alors taxé de "défaitisme", d'avoir une conception d'une bourgeoisie "toute-puissante", parce que nous défendions que le prolétariat avait été déboussolé par la capacité de la bourgeoisie de manoeuvrer internationalement contre la lutte de classe. C'est avec retard que les minorités révolutionnaires ont compris le recul, c'est avec retard qu'elles commencent timidement à reconnaître la vague actuelle de la lutte après plus d'un an de grèves dans toute l'Europe. Le prolétariat est sorti d'une période de déboussolement, mais les groupes révolutionnaires montrent une difficulté profonde à comprendre "ce qui se déroule sous nos yeux", où en est la lutte et où elle va.
Le prolétariat est aujourd'hui encore loin de la révolution ; il n'est pas encore passé à l'offensive qui suppose la généralisation internationale des luttes. Les grèves sont des luttes de défense contre les attaques du capitalisme. Mais, par les conditions historiques objectives et subjectives de notre époque, les caractéristiques des luttes actuelles marquent le début d'un processus qui aura une énorme portée historique.
"Dans les pays avancés d'Europe de l'Ouest, le prolétariat ne pourra déployer pleinement la grève de masse qu'à l'issue de toute une série de combats, d'explosions violentes, d’avancées et de reculs, au cours desquels il démasquera progressivement tous les mensonges de la gauche dans 1'opposition, du syndicalisme, et du syndicalisme de base." ([10] [10]). C'est dans cette "série de combats" qu'est engagée la classe ouvrière. En reprenant la lutte, elle étend et approfondit la conscience de l'unité des problèmes auxquels elle est confrontée et de la force qu'elle constitue dans la société. Quelle solidarité ? Comment lutter ? Quelles actions entreprendre et qu'opposer aux "actions" stériles des syndicats ? Que répondre aux discours sur la "défense de l'entreprise" ? Comment affronter la répression ? Toutes ces questions, posées en pratique dans toutes les luttes présentes, affaiblissent le carcan des "spécificités" qui cache l'unité, renforcent la conscience déjà présente que le capitalisme n'a rien à offrir que la misère et la mitraille, que seule la lutte peut entraver puis mettre fin à l'exploitation. C'est sa conscience communiste que la classe ouvrière se réapproprie et étend en poursuivant ses luttes.
Le pas que constitue la reprise ouvrière ne se situe pas dans la forme de chaque lutte, dans une grève "exemplaire" ici ou là, mais dans son contenu politique sous-jacent qui va au delà d'un constat événementiel de l'encadrement qui pèse sur la classe ouvrière. Ce contenu politique, c'est la simultanéité internationale des grèves qui en est l'expression actuelle la plus avancée.
Que le prolétariat parvienne à démystifier la "démocratie" de l'Ouest, et c'est tout un pan de la domination idéologique de la bourgeoisie qui s'écroulera pour toute la classe ouvrière mondiale. C'est cette voie dans laquelle sont engagées les luttes actuelles. Simultanément, la "démocratie" jette son masque et montre son vrai visage, aussi bien dans la "jeune" démocratie espagnole, où les affrontements avec les forces de l'ordre sont quotidiens dans la grève des chantiers navals, que dans la plus "vieille" démocratie, la Grande-Bretagne, où les ouvriers se battent avec la "police la plus démocratique du monde".
La reprise actuelle trace les contours, forge la pré condition indispensable, de la généralisation internationale des luttes ouvrières. Ce qui va de plus en plus être le catalyseur de la simultanéité vers une généralisation, est déjà contenu dans les luttes actuelles : la tendance à l'extension au delà des secteurs et des barrières catégorielles. Au cours de l'année 1984, c'est la situation de la lutte de classe en Grande-Bretagne qui a illustré le plus clairement cette tendance.
SOLIDARITE ET EXTENSION, UN EXEMPLE : LES GREVES EN GRANDE-BRETAGNE
C'est en Grande-Bretagne que la classe ouvrière est allée le plus loin depuis le mouvement de Pologne en 1980-81. Dans ses forces et dans ses faiblesses, ce mouvement y confirme plusieurs caractéristiques de la période actuelle.
La durée d'une grève, dans un secteur, comme l'a montré la grève des mineurs, n'est pas la force principale pour la lutte, dans des conditions de relatif isolement géographique (bassins miniers) et économique (le charbon est "un secteur en déclin). L'effort pour faire durer la grève, expression au départ de la détermination des mineurs, a été utilisé par l'encadrement syndical pour maintenir l'isolement et le corporatisme, entre autres par les aspects "administratifs" d'une telle grève (paiements et collectes), pour entretenir l'esprit de métier. La bourgeoisie a déployé une pression idéologique contre laquelle ce n'est pas la durée dans l'isolement qui peuvent résister, d'autant plus dans un secteur "sacrifié" : déclarations sur les "services rendus" par les mineurs pendant la 2ème guerre mondiale à la patrie ; image entretenue par le NUM, syndicat des mineurs, d'une sorte de bataillon "héroïque" et "jusqu'auboutisme", etc.
La force de la grève vient de la situation générale d'ébullition de la classe ouvrière dans beaucoup d'autres secteurs et internationalement, et des poussées vers la solidarité et l'extension dans cette situation générale.
La grève des mineurs a ouvert une voie en montrant la détermination à rejeter la logique économique capitaliste des "secteurs non rentables". Elle a contribué à faire tomber le mythe du "pacifisme" et du "fair-play" dans les conflits sociaux "à la britannique". Mais c'est surtout dans les tendances à l'extension que les événements en Grande-Bretagne sont un exemple pour toute la classe ouvrière. Ce sont plus les syndicats que les ouvriers qui ont poussé à la durée, pour écarter ce danger.
Dès le début de la grève des mineurs, la question de la solidarité s'est posée, vis-à-vis des sidérurgistes. Les syndicats ont insisté sur l’"erreur commise" par les mineurs lors de la grève des sidérurgistes en 1980, pour faire renonce à cette idée, 1'"erreur" étant qu'en 1980 les mineurs ne s'étaient pas solidarisés avec les sidérurgistes. Ils ont alors fixé l'attention uniquement sur l'extension dans le même secteur, comme condition première à toute extension, mettant tout en oeuvre pour qu'elle n'ait pas lieu avec l'aide des barrages de police entre grévistes et non grévistes, pour éviter les contacts directs.
La grève a été isolée. C'est le surgissement spontané des grèves des dockers, une première fois en juillet 84, une deuxième fois en septembre, montrant une solidarité explicite avec les mineurs, qui a reposé la question de l'extension. Que les dockers se joignent aux mineurs n'a pas été possible, mais la tendance s'est clairement exprimée et elle a ainsi commencé à briser l'idéologie de "la" grève des mineurs, en ouvrant un second front de résistance, ce qui a constitué un encouragement à la poursuite des luttes. La bourgeoisie a dénoncé la grève. Droite et gauche se sont partagé le travail, la droite dénonçant le caractère "politique" de la grève, la gauche s'en défendant de toutes ses forces pour maintenir les préoccupations des ouvriers sur le terrain corporatiste de l'économie capitaliste. C'est une illustration classique du rôle de la gauche dans l'opposition : la droite parle clair et dit la vérité, la gauche dit le contraire. Le prolétariat qui a des illusions sur le caractère "ouvrier" de la gauche se laisse prendre à ce jeu, et cela exprime une des faiblesses majeures actuelles : la difficulté pour le prolétariat à assumer le caractère politique de sa lutte, la compréhension que c'est l'Etat capitaliste tout entier qui doit être combattu. Tout comme dans les mines, le poids du corporatisme dans les docks, qui est également un vieux secteur, l'a emporté momentanément. La poussée de solidarité a été enrayée, malgré plus de difficultés pour la .bourgeoisie : après la deuxième grève, des mouvements se sont poursuivis dans le docks, à Londres, à Southampton, montrant que le découragement ne l'a pas emporté.
Les grèves dans l'industrie automobile, début novembre 1984, ont porté la situation à un niveau plus large pour le prolétariat et plus dangereux pour la bourgeoisie.
"Si les luttes dans le secteur automobile en Grande-Bretagne, simultanément avec les mineurs et d'autres luttes, n'ont pas soulevé, de manière explicite, la question de la solidarité au sein de la classe dans son ensemble, elles ont néanmoins représenté une accélération plus forte dans l'évolution de la lutte comme un tout, parce que :
- elles ont impliqué des ouvriers au coeur du capital national : un ouvrier sur dix en Grande-Bretagne est employé dans l'automobile ou des secteurs qui en dépendent ;
- elles ont impliqué des ouvriers qui se trouvent physiquement dans ou près des grandes villes, en contact régulier avec les ouvriers des autres secteurs, ni géographiquement ou physiquement isolés comme les mineurs ;
- elles ont eu à surmonter toute une gamme de manipulations pour lancer la lutte, et à faire face à toute la chaîne des mystifications syndicalistes de base, au contraire des mineurs qui, contrairement à la règle, ont fait face à l'appareil syndical dont la rhétorique la plus radicale est généralement venue du "sommet" ;
- elles ont du dépasser une multiplicité de divisions rigides (au moins dix syndicats encadrent les ouvriers à Austin-Rover par exemple), alors que les mineurs, en général, appartiennent tous à un même syndicat ;
- elles ont démontré une solidarité, non pas embrouillée par les mystifications syndicales (telles que les boycotts des transports, etc.), mais de la nécessité de lutter, de faire grève contre les attaques actuelles, pour tenter de renverser le rapport de forces avec la bourgeoisie ;
- elles ont démontré que la lutte pour maintenir le niveau de vie sur le plan des salaires et la lutte contre les licenciements (mineurs), sont une même lutte, face au même ennemi de classe, ses syndicats et sa police ;
- elles ont démontré, comme la lutte des mineurs l'a montré, les limites d'une lutte défensive au travers de l'échec à parvenir à leurs fins, posant ainsi la question d'un niveau plus haut, plus unifié de lutte.
Dans ce sens, les luttes dans l'industrie automobile, luttes explosives courtes, impliquant des secteurs-clés de la classe en grand nombre, contre l'appareil syndical expérimenté, simultanément avec des luttes dans d'autres industries et d'autres pays, sont typiques des luttes dans cette période de capitalisme décadent." (Communiqué de World Révolution, 30 nov.84).
Face à la grève dans l'automobile, la bourgeoisie a immédiatement cédé quelques miettes dans certaines usines (Jaguar par exemple) pour casser l'unité ; elle a redoublé de battage sur la "reprise du travail" dans les mines ; elle a renforcé la répression (plus de 2000 arrestations, plusieurs centaines de blessés, 3 morts, depuis le début de la grève des mineurs). Elle a monté une campagne avec l'attentat de l'IRA à Brighton où un ministre a été blessé, pour faire le parallèle entre la violence des ouvriers et le terrorisme manipulé, pour appeler à la défense de la "démocratie". Elle a multiplié les "révélations" sur les liens Khadafi-Scargill (leader du NUM) et sur les liens URSS-NUM, pour faire passer la classe ouvrière pour une masse "manipulée par l'étranger", etc.
Si les luttes ne convainquent pas certains "révolutionnaires", la bourgeoisie est convaincue du danger que représente pour elle la solidarité active des ouvriers qui se profile dans les tendances à l'extension et la simultanéité des luttes, et ceci internationalement, et même par delà les antagonismes entre les blocs : "La lutte des mineurs en Grande-Bretagne a gagné la sympathie et la solidarité des ouvriers du ronde entier. La bourgeoisie essaie de répondre en torpillant la conscience :
- en France, l'idée que les ouvriers doivent montrer la solidarité par le biais des collectes syndicales et l'envoi de denrées ;
- en Belgique, les tournées de bureaucrates syndicaux qui veulent réduire la solidarité à une attente passive des réunions syndicales, dont le point culminant est... les collectes ;
- en URSS, l'organisation par l'Etat de vacances payées pour les mineurs anglais, et qu'il utilise pour sa propagande." (Ibid.).
1984 ne restera pas dans l'histoire comme le cauchemar imaginé par le romancier britannique Orwell, qui voyait le monde soumis à un "Big Brother" tout puissant. Au contraire, le prolétariat en Europe, en Grande-Bretagne et en Espagne surtout à la fin 1984et dans les autres pays, a accéléré sa réponse, en se dégageant de l'emprise du totalitarisme démocratique, qui partout licencie et réprime, sous la pression de la crise qui ne fait que s'intensifier. Le "bras de fer" des mineurs avec la "dame de fer" laisse la place à un "bras de fer" beaucoup plus général de la classe ouvrière contre le capital. En Europe, c'est dans les grandes villes qui n'ont pas encore été au coeur des luttes, que va se poursuivre, s'étendre et s'approfondir le mouvement du prolétariat.
MG. 6/12/84.
[1] [11] Revue Internationale n.20, 1er trimestre 1975, "Années 80 : l'accélération de la crise".
[2] [12] Revue Internationale n.37, 2ème trimestre 1984, "Le mythe de la reprise économique".
[3] [13] Lire "Le poids des dépenses militaires", Revue Internationale n.36, 1er trimestre 1984.
[4] [14] Revue Internationale n.20, 1er trimestre 1980, "Années 80, années de vérité".
[5] [15] Revue Internationale n.33, 2ème trimestre 1983, "Vers la fin du repli de 1'après-Pologne".
[6] [16] Nous ne pouvons pas donner, dans le cadre de cet article, un compte-rendu détaillé des événements. Le lecteur peut se reporter aux articles parus dans les numéros 37, 38 et 39 de la Revue Internationale et également à la presse territoriale qui essaie, autant que possible, contre le black-out de la bourgeoisie, de rendre compte des luttes. Les lecteurs sont également invités à nous faire parvenir des informations sur les luttes.
[7] [17] Revue Internationale n.23, 4ème trim. 1980, "La lutte prolétarienne dans la décadence du capitalisme".
[8] [18] Nous ne parlons pas ici des groupes gauchistes et syndicalistes dont la problématique, quel que soit le langage "ouvrier" employé, vise à 1'encadrement du prolétariat et ne se situe pas dans le camp ouvrier.
[9] [19] Revue Internationale n.39, 4ème trim. 1984, "Quelle méthode pour comprendre la reprise des luttes ouvrières".
[10] [20] Revue Internationale n.35, 4ème trim.1983, "Résolution sur la situation internationale au 5ème Congrès du CCI".
Le Courant Communiste International a dix ans. C'est en effet en janvier 1975 que s'est constituée formellement notre organisation internationale. Cette expérience d'une décennie d' existence appartient à la classe ouvrière mondiale dont le CCI, comme toutes les organisations révolutionnaires, est une partie, un facteur actif en son sein dans sa lutte historique vers son émancipation. C'est en ce sens qu'à l'occasion du 10ième anniversaire de la fondation de notre organisation nous nous proposons de tirer, pour l'ensemble de notre classe, un certain nombre d'enseignements de notre expérience parmi ceux qui nous paraissent les plus importants et notamment ceux qui apportent des réponses à la question : comment construire une organisation révolutionnaire, comment préparer la constitution du parti communiste mondial de demain qui sera un instrument indispensable de la révolution prolétarienne ?
Mais avant que de pouvoir répondre à ces questions, il est nécessaire de faire un très court historique de notre organisation et notamment de la période qui précède sa constitution formelle dans la mesure où c'est au cours de cette période qu'ont été jetées les bases de ce qui allait être 1'ensemble de notre activité.
UNE COURTE HISTOIRE DE NOTRE COURANT.
La première expression organisée de notre courant a surgi au Venezuela en 1964. Elle consistait en un petit noyau d'éléments très jeunes qui ont commencé à évoluer vers des positions de classe à travers des discussions avec un camarade plus âgé ayant derrière lui toute une expérience militante au sein de l'Internationale Communiste, dans les fractions de gauche qui en avaient été exclues à la fin des années 20, et notamment dans la Fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie ([1] [23]), et qui avait fait partie de la "Gauche Communiste de France" jusqu'à sa dissolution en 1952. D'emblée donc, ce petit groupe du Venezuela - qui, entre 1964 et 1968, a publié une dizaine de numéros de la revue Internacionalismo - s'est situé en continuité politique avec les positions qui avaient été celles de la Gauche Communiste et notamment de la GCF. Cela s'est particulièrement exprimé par un rejet très net de toute politique de soutien aux prétendues "luttes de libération nationale" dont le mythe, dans ce pays d'Amérique latine, pesait très lourdement sur les éléments qui essayaient de s'approcher vers les positions de classe. Cela s'est exprimé également par une attitude d'ouverture et de contact vers les autres groupes communistes, attitude qui avait déjà caractérisé la Gauche Communiste Internationale avant la 2de Guerre Mondiale et la GCF après celle-ci.
C'est ainsi que le groupe "Internacionalismo" a établi ou tenté d'établir des contacts et des discussions avec le groupe américain "News and Letters" ([2] [24]) (au congrès duquel, en 1965, il envoie trois représentants et soumet des thèses sur la "libération nationale") et, en Europe, avec toute une série de groupes se situant sur des positions de classe comme le "Fomento Obrero Révolueionario" (Espagne), le "Partito Comunista Internazionalis-ta"-"Battaglia Comunista", le PCI-"Programma Comunista", le "Groupe de liaison pour l'Action des Travailleurs", "Informations et Correspondances Ouvrières", "Pouvoir Ouvrier" (France) ainsi qu'avec des éléments de la gauche hollandaise au Pays-Bas.
Avec le départ de plusieurs de ses éléments vers la France en 67 et 68, ce groupe a interrompu pendant plusieurs années sa publication avant de reprendre Internacionalismo (Nouvelle Série) en 74 et d'être une partie constitutive du CCI en 75. La deuxième expression organisée de notre courant est apparue en France sur la lancée de la grève générale de mai 68 qui marque le ressurgissement historique du prolétariat mondial après plus de 40 ans de contre-révolution. Un petit noyau se forme à Toulouse autour d'un militant d'"Internacionalismo", noyau qui participe activement dans les discussions animées du printemps 68, adopte une "déclaration de principes" ([3] [25]) en juin et publie le premier numéro de la revue Révolution Internationale à la fin de la même année. Immédiatement, ce groupe reprend la politique d'"Internacionalismo" de recherche des contacts et discussions avec les autres groupes du milieu prolétarien tant au niveau national qu'international. Il participe ainsi aux conférences nationales organisées par ICO en 1969 et 70 ainsi qu'à la conférence internationale organisée à Bruxelles en 1969. A partir de 70, il établira des liens plus étroits avec deux groupes qui surnagent au milieu de la décomposition générale du courant conseilliste qui a suivi mai 68 : 1'"Organisation Conseilliste de Clermont-Ferrand" et les "Cahiers du Communisme de Conseils" (Marseille) après une tentative de discussion avec le GLAT qui avait fait apparaître que ce groupe s'éloignait de plus en plus du marxisme. La discussion avec les deux groupes précédents s'avérera par contre beaucoup plus fructueuse et, après toute une série de rencontres où ont été examinées de façon systématique les positions de base de la gauche communiste, aboutira à une unification en 72 de R.I, l'O.C de Clermont et des C.C.C autour d'une plateforme ([4] [26]) qui reprend de façon plus précise et détaillée la déclaration de principes de R.I. de 68. Ce nouveau groupe va publier la revue Révolution Internationale (Nouvelle Série) ainsi qu'un Bulletin d'Etude et de Discussion et va constituer l'animateur du travail de contacts et discussions internationales en Europe jusqu'à la fondation du CCI deux ans et demi plus tard.
Sur le continent américain, les discussions engagées par "Internacionalismo" avec "News and Letters" ont laissé des traces aux Etats-Unis et, en 70, se constitue à New York un groupe (dont font partie d'anciens militants de "News and Letters" auxquels cette organisation n'avait opposé que le dénigrement et des mesures disciplinaires et non un débat sérieux lorsqu'ils avaient tenté de soulever des questions sur ses confusions politiques) autour d'un texte d'orientation ([5] [27]) reprenant les mêmes positions fondamentales que "Internacionalismo" et "R.I.". Ce groupe commence la publication de la revue Internationalism et s'engage dans la même orientation que ses prédécesseurs d'établissement de discussions avec les autres groupes communistes. C'est ainsi qu'il maintient des contacts et discussions avec "Root and Branch" de Boston (qui est inspiré par les positions conseillistes de Paul Mattick), mais qui se révèlent infructueux, ce groupe évoluant de plus en plus vers un cénacle de marxologie. C'est ainsi surtout qu'en 72, "Internationalism" envoie à une vingtaine de groupes une proposition de correspondance internationale dans les termes suivants ([6] [28]) :
"Pendant les cinq dernières années, nous avons vu une remontée de la combativité de la classe ouvrière d'une manière inconnue depuis la seconde guerre mondiale. Ces luttes ont très souvent pris la forme de grèves sauvages et illégales avec la création de comités de base.
Ces luttes ont atteint une intensité particulière et, grâce à l'ampleur de la crise mondiale du capitalisme, elles ont pris un caractère international.
Avec le réveil de la classe ouvrière, il y a eu un développement considérable des groupes révolutionnaires qui se revendiquent d'une perspective communiste internationaliste. Cependant les contacts et la correspondance entre groupes ont été malheureusement négligés et laissés au hasard. C'est pourquoi "Internationalism" propose, en vue d'une régularisation et d'un élargissement de ces contacts, une correspondance suivie entre groupes se réclamant d'une perspective communiste internationaliste.
Evidemment, le choix des groupes appelés à participer à cette correspondance internationale est déterminé par des critères politiques. Les groupes nommés, quoiqu'ils divergent sur certains points fondamentaux, en général :
- reconnaissent la nature contre-révolutionnaire de la Russie, des pays de 1'Est et de la Chine ;
- s'opposent à toutes les formes de réformisme, de frontisme et de collaboration de classe (fronts nationaux, fronts populaires et anti-fascistes) ;
- ont une théorie et une pratique critiques au sujet de la 3ème Internationale ;
- ont de même la conviction que seul le prolétariat est le sujet historique de la révolution ;
- ont la conviction que la destruction du capitalisme nécessite 1'abolition du salariat ;
- ont une perspective internationaliste„"
Dans sa réponse positive "R.I." précise : "Comme vous, nous sentons la nécessité de ce que les activités et la vie de nos groupes aient un caractère aussi international que les luttes actuelles de la classe ouvrière. C'est pour cette raison que nous avons entrepris des contacts épistolaires ou directs avec un certain nombre de groupes européens auxquels a été envoyée votre proposition. Il s'agit des groupes "Workers' Voice" et "Solidarity" pour la Grande-Bretagne, "Sociale Révolution" et "Révolution Kampf" pour 1 'Allemagne, "Spartacus" pour les Pays-Bas, "Lutte de classe" et "Bilan" pour la Belgique
Nous pensons que votre initiative permettra d'élargir le champ de ces contacts et, tout au moins, de mieux connaître et faire connaître nos positions respectives.
Nous pensons également que la perspective d'une éventuelle conférence internationale est la suite logique de l'établissement de cette correspondance sans toutefois penser qu'il faille trop en hâter la venue. Une telle conférence devrait pouvoir se tenir après une période de correspondance politique suivie permettant une pleine connaissance des positions des autres groupes ainsi qu'une décantation des points d'accord et de divergence."
Par sa réponse, R.I. soulignait donc la nécessité de s'acheminer vers la tenue de conférences internationales de groupes de la gauche communiste. Cette proposition se trouvait en continuité des propositions répétées (en 68, 69 et 71) qui avaient été faites au "Partito Communista Internazionalista" ("Battaglia") d'appeler à de telles conférences dans la mesure où cette organisation était à l'époque en Europe la plus importante et sérieuse dans le camp de la gauche communiste (à côté du PCI-Programma Comunista qui, lui, se confortait dans son "splendide isolement". Mais ces propositions, en dépit de l'attitude ouverte et fraternelle de "Battaglia", avaient été à chaque fois repoussées (voir notre article "La constitution du BIPR : un bluff opportuniste" dans ce numéro de la Revue).
En fin de compte, l'initiative d1"Internationalism" et la proposition de "R.I." devaient aboutir à la tenue en 73 et 74 d'une série de conférences et rencontres ([7] [29]) en Angleterre et en France au cours desquelles s'est opérée une clarification et une décantation qui se sont traduites notamment par une évolution vers les positions de "R.I-Internationalism" du groupe anglais "World Révolution" (issu d'une scission de "Solidarity-London") qui allait publier le premier numéro de sa revue en mai 74. Cette clarification et cette décantation avaient également, et surtout, créé les bases qui allaient permettre la constitution du CCI en janvier 75.
Pendant cette même période, en effet, R.I. avait poursuivi son travail de contacts et discussions au niveau international, non seulement avec des groupes organisés mais également avec des éléments isolés lecteurs de sa presse et sympathisant avec ses positions. Ce travail avait conduit à la constitution de petits noyaux en Espagne et en Italie autour de ces mêmes positions et qui, en 74, ont commencé la publication de Acciôn Proletaria et Rivoluzione Internazionale.
Ainsi, a la conférence de janvier 75 étaient présents "Internacionalismo", "Révolution Internationale", "Internationalism", "World Révolution", "Acciôn Proletaria" et "Rivoluzione Internazionale" partageant les orientations politiques développées à partir de 64 par "Internacionalismo". Etaient également présents "Revolutionary Perspectives" (qui avait participé aux conférences de 73-74), le "Revolutionary Workers Group" de Chicago (avec qui "R.I-Internationalism" avaient engagé des discussions en 74) et "Pour une Intervention Communiste" (qui publiait la revue "Jeune Taupe" et était constitué autour de camarades ayant quitté "R.I" en 73 parce qu'ils estimaient que ce groupe "n'intervenait pas assez dans les luttes ouvrières"). Quant au groupe "Workers'Voice" qui avait participé activement aux conférences des années précédentes, il avait rejeté l'invitation à cette conférence car il estimait désormais que "R.I", "World Révolution" etc. étaient des groupes bourgeois (!) à cause de la position de la majorité de leurs militants (mais qui n'allait être adoptée officiellement par le CCI que quatre ans et demi plus tard) sur la question de l'Etat dans la période de transition du capitalisme au communisme ([8] [30]).
Cette question figurait d'ailleurs à l'ordre du jour de la conférence de janvier 75 et de nombreuses contributions avaient été préparées à cet effet (comme on peut le constater dans le n°1 de la Revue Internationale). Cependant, elle n'y fut pas discutée, la conférence préférant consacrer un maximum de temps et d'attention à des questions beaucoup plus cruciales à ce moment-là : l'analyse de la situation internationale,
- les tâches des révolutionnaires dans celle-ci,
- l'organisation dans le courant international. Finalement, les six groupes dont les plateformes étaient basées sur les mêmes orientations décidaient de s'unifier en une organisation unique dotée d'un organe central international et publiant une revue trimestrielle ([9] [31]) en trois langues
- anglais, français" et espagnol - (la publication de recueils de cette revue en italien, néerlandais et allemand sera entreprise par la suite) qui prenait la relève du Bulletin d'Etude et de Discussion de "R.I.". Le CCI était fondé. Comme l'écrivait la présentation du n°1 de la Revue Internationale : "Un grand pas vient d'être fait." En effet, la fondation du CCI constituait l'aboutisse ment d'un travail considérable de contacts, de discussions, de confrontations entre les différents groupes que la reprise historique des combats de classe avait faits surgir. Elle témoignait de la réalité de cette reprise que beaucoup de groupes communistes contestaient encore à l'époque. Mais surtout, elle jetait les bases pour un travail bien plus considérable encore.
Ce travail, les lecteurs de la Revue Internationale (ainsi que de notre presse territoriale) ont pu le constater depuis dix ans et vient confirmer ce que nous écrivions dans la présentation du n°1 de la Revue :
"D'aucuns pensent que c'est là (la constitution du CCI et la publication de la Revue) une action précipitée. Rien de tel ! On nous connaît assez pour savoir que nous n'avons rien de ces braillards activistes dont 1'activité ne repose que sur un volontarisme autant effréné qu'éphémère." On peut se faire une petite idée de ce travail en constatant que, depuis sa fondation il y a dix ans, le CCI a publié (sans compter-les brochures) plus de 600 numéros de ses différentes publications régulières (alors que pendant les dix années précédentes, les six groupes fondateurs n'avaient publié qu'une cinquantaine de numéros). Evidemment cela n'est rien si on le compare à la presse du mouvement ouvrier du passé avant la première guerre mondiale et dans les années de l'Internationale Communiste. Par contre, la comparaison avec ce qu'ont pu publier les différents groupes de la gauche communiste depuis les années 30 jusqu'à la fin des années 60 témoigne de la vitalité de notre organisation.
Mais les publications du CCI ne sont qu'un aspect de ses activités. Depuis sa fondation, le CCI a été partie prenante des luttes de la classe ouvrière, de ses efforts vers sa prise de conscience. Cela s'est traduit par une intervention aussi large que lui permettaient ses faibles forces dans les différents combats de classe (diffusion de la presse, de tracts, prises de parole dans des assemblées, des meetings, à la porte des usines...) mais également par une participation active à l'effort international de discussion et de regroupement des révolutionnaires et, comme condition de l'ensemble des autres activités, par la poursuite du travail de réappropriation et de développement des acquis de la gauche communiste, du travail de renforcement politique de l'organisation.
QUEL BILAN ?
Tout au long de ses dix années d'existence, le CCI a évidemment rencontré de nombreuses difficultés, a dû surmonter de nombreuses faiblesses dont la plupart étaient liées à la rupture d'une continuité organique avec les organisations communistes du passé, à la disparition ou à la sclérose des fractions de gauche qui s'étaient détachées de l'Internationale Communiste lors de sa dégénérescence. Il a également dû combattre l'influence délétère de la décomposition et de la révolte des couches de la petite-bourgeoisie intellectuelle, influence particulièrement sensible après 68 à la suite des mouvements estudiantins. Ces difficultés et faiblesses se sont par exemple traduites par plusieurs scissions - dont nous avons rendu compte dans notre presse - et par des soubresauts importants en 1981, en même temps que l'ensemble du milieu révolutionnaire ([10] [32]), et qui ont notamment abouti à la perte de la moitié de notre section en Grande-Bretagne. Face à ses difficultés de 81, le CCI a même été conduit à organiser une Conférence extraordinaire en janvier 1982 en vue de réaffirmer et de préciser ses bases programmatiques, en particulier sur la fonction et la structure de l'organisation révolutionnaire ([11] [33]). De même, certains des objectifs que s'était fixés le CCI n'ont pu être atteints. C'est ainsi que la diffusion de notre presse est restée en deçà de nos espérances, ce qui nous a conduits à ralentir le rythme de parution de la Revue Internationale en langue espagnole et de suspendre sa parution en langue néerlandaise (vide en partie comblé par la revue Wereld Revolutie).
Cependant, s'il nous faut faire un bilan global de ces dix années, il faut affirmer qu'il est nettement positif. Il est particulièrement positif si on le compare à celui des autres organisations communistes qui existaient au lendemain de 1968. Ainsi, les groupes du courant conseilliste, même ceux qui avaient fait un effort pour s'ouvrir au travail international comme ICO, ont soit disparu, soit sombré dans la léthargie : le GLAT, ICO, l'Internationale Situationniste, le Spartacusbond, "Root and Branch", le PIC, les groupes conseillistes du milieu Scandinave, la liste est longue (et non exhaustive)... Quant aux organisations se rattachant à la gauche italienne et qui, toutes, s'auto-proclamaient LE PARTI, soit elles ne sont pas sorties de leur provincialisme, soit elles se sont disloquées ou ont dégénéré en groupes gauchistes tel "Programme Communiste", soit elles en sont aujourd'hui encore à imiter ce que le CCI a réalisé il y a dix ans, et ceci de façon poussive et dans la confusion comme c'est le cas de "Battaglia Comunista" et du CWO (voir notre article dans ce n° de la Revue). Aujourd'hui, après l'effondrement comme un château de cartes du (prétendu) Parti Communiste International, après les échecs du FOR (Fomento Obrero Révolutionario) aux USA (Focus), le CCI reste la seule organisation communiste vraiment implantée au niveau international. Depuis sa fondation en 75, le CCI non seulement a renforcé ses sections territoriales d'origine mais il s'est implanté dans d'autres pays. La poursuite du travail de contacts et de discussions à l'échelle internationale, l'effort de regroupement des révolutionnaires a permis l'établissement de nouvelles sections du CCI :
- 1975 : constitution de la section en Belgique qui publie en deux langues (français et néerlandais) la revue, puis le journal Internationalisme et qui comble le vide laissé par la disparition, au lendemain de la 2ème guerre, de la fraction belge de la Gauche Communiste Internationale.
- 1977 : constitution du noyau au Pays-Bas qui entreprend la publication de la revue Wereld Revolutie ; c'est un événement de premier plan dans ce pays qui fut la terre d'élection du conseillisme.
- 1978 : constitution de la section en Allemagne qui commence la publication de la Revue Interna-tionale en langue allemande et, l'année suivante, de la revue territoriale Welt Revolution. La présence d'une organisation communiste en Allemagne est évidemment de la plus haute importance compte tenu de la place prise par le prolétariat de ce pays dans le passé et qu'il prendra dans 1'avenir.
- 1980 : constitution de la section en Suède qui publie la revue Internationell Révolution.
A l'heure actuelle, le CCI a donc dix sections territoriales implantées dans des pays où habitent plus d'un demi-milliard d'êtres humains et eu travaillent plus de 100 millions d'ouvriers. Il publie sa presse en sept langues qui sont parlées -par près d'un quart de l'humanité. Mais, plus important encore, le CCI est présent dans les plus grandes concentrations ouvrières du monde (Europe occidentale, Etats-Unis) qui joueront un rôle décisif au moment de la révolution. Et même si nos forces dans ces différents pays sont encore très faibles, elles sont une première pierre, un point d'appui pour une présence beaucoup plus large et influente dans la lutte de classe lorsque celle-ci se développera avec l'aggravation inévitable de la crise du capitalisme.
Si nous donnons ces éléments, si nous tirons un bilan positif du travail du CCI en constatant la faillite des autres organisations communistes ce n'est nullement pour nous décerner des auto félicitations satisfaites. En réalité, nous ne sommes nullement satisfaits de la faiblesse actuelle de l'ensemble du milieu communiste. Nous avons toujours affirmé que toute disparition, toute dégénérescence ou tout échec des groupes communistes constitue un affaiblissement pour l'ensemble de la classe ouvrière dont ils sont une partie, un gaspillage et une dispersion d'énergies militantes qui cessent d'agir pour l'émancipation du prolétariat. C'est pour cela que notre objectif principal dans nos débats avec les autres groupes communistes n'a jamais été de les affaiblir, encore moins de les détruire pour "récupérer" leurs militants, mais bien de les pousser à surmonter ce que nous considérions être leurs faiblesses et leurs confusions afin qu'ils puissent pleinement assumer leurs responsabilités dans la classe. Si nous soulignons le contraste entre la relative réussite de l'activité de notre Courant et l'échec des autres organisations, c'est parce que cela met en évidence la validité des orientations qui furent les nôtres depuis 20 ans dans le travail de regroupement des révolutionnaires, de construction d'une organisation communiste, orientations qu'il est de notre responsabilité de dégager pour l'ensemble du milieu communiste.
LES ORIENTATIONS INDISPENSABLES POUR UN REGROUPEMENT COMMUNISTE.
Les bases sur lesquelles s'est appuyé, dès avant sa constitution formelle, notre Courant dans son travail de regroupement ne sont pas nouvelles. Elles ont toujours par le passé constitué les piliers de ce type de travail. On peut les résumer ainsi :
- la nécessité de rattacher l'activité révolutionnaire aux acquis passés de la classe, à l'expérience des organisations communistes qui ont précédé, de concevoir l'organisation présente comme un maillon de toute une chaîne d'organismes passés et futurs de la classe ;
- la nécessité de concevoir les positions et analyses communistes non comme un dogme mort mais comme un programme vivant, en constant enrichissement et approfondissement ;
- la nécessité d'être armé d'une conception claire et solide sur l'organisation révolutionnaire, sur sa structure et sa fonction au sein de la classe.
1- Se rattacher aux acquis du passé.
"Le CCI se revendique des apports successifs de la Ligue des Communistes, des 1ère, 2ème et 3ème Internationales, des Fractions de gauche gui se sont dégagées de cette dernière, en particulier des Gauche allemande, hollandaise et italienne. Ce sont ces apports essentiels, permettant d'intégrer 1'ensemble des frontières de classe' dans une vision cohérente et générale, qui sont présentés dans la présente plateforme." (Plateforme du CCI, Préambule)
Ainsi, dans sa plateforme adoptée lors de son 1er Congrès en 1976, le CCI réaffirmait ce qui était déjà un acquis lors de la constitution de "Internacionalismo" en 1964. Alors que dans 1'après 68, comme cela avait déjà été le cas auparavant lors de la dégénérescence de l'I.C. (notamment de la part de la Gauche hollandaise), il existait une forte tendance à "jeter le bébé avec l'eau du bain", à remettre en cause non seulement les organisations dégénérées ayant basculé dans le camp bourgeois, non seulement les positions erronées des organisations révolutionnaires du passé mais également les acquis essentiels de ces organisations. De même que le courant conseilliste des années 30 avait abouti à ranger le parti bolchevik, et donc toute l'Internationale Communiste, dans la bourgeoisie dès leur constitution, le courant "moderniste" - dont "Invariance" et "le Mouvement Communiste" furent les mentors - s'est attelé à "faire du neuf", à rejeter d'un revers de main et avec la suffisance propre aux ignorants, les organisations passées du prolétariat d'où ils tenaient justement le peu qu'ils savaient des positions de classe. L'incapacité à reconnaître les apports de ces organisations, notamment de l'Internationale Communiste, incapacité qui a touché également tout le courant qui venait de "Socialisme ou barbarie" tel "Pouvoir Ouvrier" ainsi que les groupes de la mouvance conseilliste (depuis "Spar-tacusbond" jusqu'au PIC) fut directement à l'origine de la disparition de ces organisations. Se refusant tout passé, ces organisations ne pouvaient avoir aucun avenir.
Il n'existe pas de "nouveau" mouvement ouvrier qu'il faudrait opposer au "vieux" mouvement ouvrier. Le mouvement ouvrier est un tout comme la classe ouvrière elle-même qui constitue un même être historique depuis son apparition il y a bien plus d'un siècle jusqu'à sa disparition dans la société communiste. Toute organisation qui ne comprend pas cette chose élémentaire, qui rejette les acquis des organisations du passé, qui refuse de se concevoir en continuité avec celles-ci, aboutit à se mettre en dehors du mouvement historique de la classe, en dehors de la classe elle-même. En particulier dans la mesure où :
"Le marxisme est 1'acquis théorique fondamental de la lutte prolétarienne. C'est sur sa base que 1'ensemble des acquis du prolétariat s'intègre dans un tout cohérent" (Plateforme du CCI, point 1) toute activité révolutionnaire aujourd'hui est nécessairement basée sur des positions et analyses marxistes. Tout rejet du marxisme explicite (comme ce fut le cas de "Socialisme ou Barbarie", et à sa suite de "Solidarity") ou implicite (comme pour le GLAT et "Pouvoir Ouvrier" qui venaient du même "Socialisme ou Barbarie") condamne un groupe,lorsqu'il se maintient,à être un véhicule d'idéologies étrangères au prolétariat, notamment l'idéologie petite-bourgeoise.
2- Un programme vivant, non un dogme mort,
"..bien qu'il ne soit pas un système ni un corps de doctrine fermé, mais au contraire une théorie en élaboration constante, en liaison directe et vivante avec la lutte de classe, et bien qu'il ait bénéficié des manifestations théoriques de la vie de la classe qui l'ont précédé, il (le marxisme) constitue, depuis le moment où ses bases ont été jetées, le seul cadre à partir et au sein duquel la théorie révolutionnaire peut se développer." (Plateforme du CCI, point 1)
Si la réappropriation des acquis du mouvement ouvrier et notamment de la théorie marxiste constitue donc le point de départ indispensable de toute activité révolutionnaire aujourd'hui, encore faut-il comprendre ce qu'est le marxisme, encore faut-il savoir que ce n'est pas un dogme immuable, "invariant", comme diraient les bordiguistes, mais bien l'arme de combat d'une classe révolutionnaire pour qui "l'auto-critique impitoyable n'est pas seule ment un droit vital" mais "aussi le devoir suprême" (Rosa Luxemburg). La fidélité au marxisme qui caractérise les grands révolutionnaires comme Rosa Luxemburg ou Lénine n'a jamais été une fidélité "à la lettre" mais une fidélité à l'esprit, à la démarche. C'est ainsi que Rosa, dans L'accumulation du Capital critique certains des écrits de Marx (dans le Livre II du Capital) en employant la démarche du marxisme, démarche qu'elle avait employée dans Grève de masse, parti et syndicat pour combattre les dirigeants syndicaux qui prenaient à la lettre Marx et Engels afin de rejeter la grève de masse, démarche qu'elle emploiera lors de la fondation du Parti Communiste d'Allemagne pour critiquer les illusions parlementaristes de Engels (dans sa préface de 1895 à Les luttes de classes en France). C'est ainsi que Lénine, pour démontrer la possibilité et la nécessité de la révolution prolétarienne en Russie doit combattre le "marxisme orthodoxe" des mencheviks et de Kautsky pour qui seule une révolution bourgeoise est possible dans ce pays.
C'est ainsi que "Bilan", dans son n°1 (novembre 1933), recommande une "connaissance profonde des causes et des défaites" laquelle "ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme". Toute la démarche de "Bilan" sera déterminée par ces deux préoccupations :
- partir des acquis de la 3ème Internationale, s'appuyer fermement dessus ;
- soumettre les positions de celle-ci à la critique de l'expérience historique, avancer avec prudence mais de façon résolue dans cette critique.
C'est la démarche de "Bilan" qui lui a permis d'apporter une contribution fondamentale aux positions révolutionnaires, de jeter, par sa critique des positions erronées de l'I.C. (en bonne partie responsables de sa dégénérescence), les bases du programme révolutionnaire d'aujourd'hui.
C'est en particulier parce qu'il a tourné le dos à cette démarche de "Bilan" que le courant bordiguiste, en voulant rester attaché à l'intégralité des positions du 2ème Congrès de l'I.C. (comme les trotskystes se réclamaient des quatre premiers congrès) a régressé en réalité bien en deçà des erreurs de l'I.C. Une même erreur sur une position n'a pas la même valeur à quarante ans d'intervalle. Ce qui peut être une erreur de jeunesse, une immaturité, se transforme, à la suite de toute une expérience de la classe, en une mystification bourgeoise. Une organisation qui aujourd'hui veut reprendre à la lettre les positions du 2ème Congrès de l'I.C. sur la question nationale, le "parlementarisme révolutionnaire", les syndicats, se condamne soit à rejoindre à terme le gauchisme, soit à se disloquer : deux choses qui sont arrivées au courant bordiguiste.
Par contre, c'est la démarche de "Bilan", puis de la Gauche Communiste de France qui a toujours animé notre Courant. C'est parce que le CCI conçoit le marxisme comme une théorie vivante qu'il a à coeur de creuser et approfondir les enseignements du passé. Cela s'est notamment manifesté par la mise à l'ordre du jour de chacun de ses cinq Congrès - à côté de l'examen de la situation internationale et des activités - de questions à approfondir :
- 1er Congrès (janvier 1976) : discussion approfondie de l'ensemble de nos positions en vue de l'adoption d'une plateforme, de statuts et d'un manifeste (voir Revue Internationale n°5) ;
- 2ème Congrès (juillet 1977) : discussion sur la question de l'Etat dans la période de transition, adoption d'une résolution sur les groupes prolétariens permettant de mieux s'orienter face au milieu politique (voir Revue Internationale n°11);
- 3ème Congrès (juillet 1979) : adoption d'une résolution sur l'Etat dans la période de transition et d'un rapport sur le cours historique (voir Revue Internationale n°18) ;
- 4ème Congrès (juin 1981) : rapport sur "les conditions historiques de la généralisation de la lutte historique de la classe ouvrière" qui précise pourquoi les conditions les plus favorables pour la révolution ne sont pas données par la guerre impérialiste (comme en 1917-18) mais par une crise économique mondiale comme c'est le cas aujourd'hui (voir Revue Internationale n°26) ;
- 5ème Congrès (juillet 1983) : rapport "sur le Parti et ses rapports avec la classe" qui, sans apporter d'élément vraiment nouveau sur la question, fait une synthèse de nos acquis (voir Revue Internationale n°35).
Les textes d'approfondissement et de développement de nos positions n'ont pas seulement été préparés et discutés pour les Congrès. Il en fut ainsi des textes sur "la lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme" (voir Revue Internationale n°23) et sur la "critique de la théorie du maillon faible" (voir Revue Internationale n°31 ) qui précisaient et approfondissaient notre analyse sur les conditions présentes et futures de la lutte prolétarienne vers la révolution.
De même, il est nécessaire de souligner les approfondissements que constituent nos différentes brochures sur Les syndicats contre la classe ouvrière, La décadence du capitalisme, Nation ou classe, Organisations communistes et conscience de classe, La période de transition du capitalisme au communisme.
Enfin, c'est la capacité de notre Courant à ne pas être enfermé dans les schémas du passé qui lui a permis de comprendre, dès avant 1968, les enjeux et la perspective de la situation mondiale présente. En effet, alors que la Gauche Communiste de France ne voyait de possibilité de surgissement du prolétariat que dans et au cours d'une 3ème guerre mondiale ([12] [34]), "Internacionalismo" était conduit à réviser cette vision et à ébaucher notre analyse du cours historique vers les affrontements de classe surgissant de la crise économique et empêchant la bourgeoisie d'apporter sa propre réponse à ses contradictions insolubles : la guerre généralisée. C'est pour cela que "Internacionalismo" pouvait écrire dès janvier 1968 (c'est-à-dire avant le surgissement de mai 68 et alors que pratiquement personne n'évoquait la possibilité de la crise) :
"L'année 67 nous a laissé la chute de la livre sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson. . . voici que se dévoile la décomposition du système capitaliste qui, durant quelques années, était restée cachée derrière 1'ivresse du 'progrès ' qui avait succédé à la 2ème guerre mondiale. . .
Au milieu de cette situation, lentement et par à coups, la classe ouvrière se fraie un chemin dans un mouvement souterrain qui, par moments, paraît inexistant, explose ici, jette une lumière aveuglante pour s’éteindre subitement et se rallumer plus loin : c'est le réveil de la classe ouvrière, du combat ouvert. .
Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement sûrs et conscients, concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n'est pas possible de 1'arrêter. . et qu'il mène directement à la crise. Et nous sommes sûrs également que le processus inverse de développement de la combativité de la classe, qu'on vit actuellement de façon générale, va conduire la classe ouvrière à une lutte sanglante et directe pour la destruction de l'Etat bourgeois." (Internacionalismo n°8 , "1968: une nouvelle convulsion du capitalisme commence")
Ainsi, tout l'effort de notre Courant en direction du regroupement des révolutionnaires s'appuyait sur une base de granit (et non sur du sable comme pour "Battaglia Comunista" pour qui les révolutionnaires devaient organiser des conférences à cause de la "social-démocratisation" des PC).
Cette base de granit c'est la reconnaissance de la fin de la période de contre-révolution, d'un nouvel essor historique de la lutte prolétarienne qui impose aux révolutionnaires d'orienter leur travail vers la reconstitution du parti mondial.
Mais pour que les révolutionnaires puissent oeuvrer efficacement dans ce sens il faut encore qu'ils aient les idées claires sur leur fonction dans la classe et leur mode d'organisation.
3- Etre armé d'une conception claire et solide sur l'organisation révolutionnaire.
La première nécessité pour une organisation révolutionnaire c'est de comprendre quelle est sa fonction dans la classe. Cela suppose qu'elle soit consciente qu'elle a une fonction. De ce fait, la disparition à peu près complète des groupes du courant conseilliste telle qu'on l'a constatée depuis 1968 était logique et prévisible : lorsqu'on théorise sa non existence on a de fortes chances de cesser d'exister.
Mais reconnaître qu'on a une fonction dans la classe, un rôle fondamental à jouer dans la révolution, ne veut pas dire qu'on doit se concevoir ni comme "l'organisateur de la classe", ni comme son "état major" ni son "représentant" dans la prise du pouvoir. De telles conceptions héritées de la 3ème Internationale et reprises en forme de caricature par le courant bordiguiste ne peuvent aboutir qu'à :
- sous-estimer ou même nier toute lutte de classe sur laquelle on n'a pas d'influence directe (ce n'est pas un hasard si le courant bordiguiste et même "Battaglia Comunista" ont traité par le mépris la reprise historique de mai 68) ;
- tenter d'avoir à tout prix une influence immédiate dans la classe, à "se faire reconnaître" comme "direction" par celle-ci : c'est la porte ouverte à l'opportunisme qui a emporté et disloqué le "Parti Communiste International" (Programme) ;
- en fin de compte, discréditer l'idée même de parti révolutionnaire, en faire un repoussoir favorisant les thèses conseillistes.
Une conception claire de la fonction de l'organisation suppose qu'on la conçoive comme partie prenante de la lutte de classe : c'est en ce sens que depuis "Internacionalismo" jusqu'au CCI d'aujourd'hui la nécessité d'une intervention politique dans la classe a toujours été affirmée contre toutes les tendances voulant transformer l'organisation en cénacle de marxologie, en "groupe de travail" ou de "réflexion". C'est également pour cela que le CCI a toujours combattu pour que les trois Conférences Internationales tenues entre 1977 et 1980 ne soient pas "muettes", qu'elles prennent position comme telles sur les enjeux de la période présente.
Intervenir dans la classe ne veut absolument pas dire négliger le travail de clarification et d'approfondissement politique-théorique. Bien au contraire. La fonction essentielle des organisations communistes, contribuer activement au processus de prise de conscience de la classe, suppose qu'elles se dotent des positions les plus claires et cohérentes possibles. C'est en ce sens que les différents groupes qui allaient constituer le CCI se sont tous dotés d'une plateforme, que le CCI en a fait de même à son 1er Congrès. C'est pourquoi nous avons toujours combattu contre tout "recrutement" d'éléments confus, contre tout regroupement dans la précipitation et la confusion et pour la plus grande clarté dans les débats. C'est aussi pourquoi nous avons défendu dès le début, et notamment dans l'appel d'"Internationa-lism" de 72 comme dans notre réponse à l'initiative de "Battaglia Comunista" en 76 (voir l'article sur "la constitution du BIPR" dans ce n° de la Revue), la nécessité de critères politiques pour la tenue de conférences internationales.
Nous n'avons pas la prétention mégalomane d'être les seuls à défendre des positions communistes : ceux qui nous accusent de sectarisme ne savent pas de quoi ils parlent comme le démontre toute notre histoire. Par contre, nous avons toujours affirmé que le regroupement des révolutionnaires, la création du futur parti, ne peuvent se faire que dans la plus grande clarté, la plus grande cohérence programmatiques. C'est pourquoi en 75 nous avons refusé que"Revolutionary Perspectives" s'intègre au CCI comme "minorité" comme ce groupe le proposait avant de s'unifier de façon éphémère avec "Wor-kers' Voice" pour constituer le CWO. C'est pourquoi nous n'avons pas conçu les conférences de 1977 à 1980 comme devant aboutir à un regroupement immédiat contrairement à la vision défendue par "Battaglia Comunista" aujourd'hui (cf. article cité) même si nous n'avons jamais été opposés à une unification entre certains participants de ces conférences dès lors qu'ils se trouvaient sur les mêmes positions politiques. C'est enfin pourquoi nous considérons que la tentative présente de "Battaglia" et du CWO de constituer une organisation internationale bâtarde, à mi-chemin entre une organisation politique centralisée et une fédération de groupes autonomes à la mode anarchiste, a les plus grandes chances de constituer non un pôle de clarté politiques mais un pôle de confusion. En effet, une des conditions essentielles pour qu'une organisation communiste soit en mesure d'assumer sa fonction, c'est la clarté sur sa structure. Depuis ses débuts, notre Courant a défendu la nécessité d'une organisation internationale et centralisée. Ce n'était nullement une conception "nouvelle". Elle se basait sur la nature même de la classe ouvrière qui doit assumer et prendre en charge son unité à l'échelle internationale pour être en mesure d'accomplir la révolution. Elle s'appuyait sur toute l'expérience des organisations prolétariennes depuis la Ligue des Communistes et l'AIT jusqu'à l'Internationale Communiste et la Gauche Communiste Internationale. Cette nécessité était affirmée très clairement à la Conférence constitutive du CCI en 75 (voir le rapport "sur la question de l'organisation de notre courant international" dans la Revue Internationale n°1) mais elle était dès le début à la base de toute notre attitude en faveur des contacts et discussions au niveau international telle qu'elle s'est illustrée tout au long de notre histoire. De même, nous avons affirmé cette nécessité dans tout notre travail de participation aux cycles de Conférences Internationales dont nous avons été partie prenante : 1973-74, 1977-80, Conférences du milieu Scandinave à la fin des années 70 (où nous avons insisté pour que soient invités les groupes se réclamant de la Gauche italienne comme "Battaglia"). Dans ces Conférences, nous avons donc combattu la conception d'une organisation internationale basée sur une sorte de fédération de groupes nationaux avec chacun sa propre plateforme telle qu'elle était défendue par "Battaglia Comunista" en 77 et qu'elle reprend aujourd'hui à son compte dans la pratique avec la constitution du BIPR.
Un autre enseignement qu'il faut dégager de l'expérience du CCI c'est qu'une organisation de combat, comme l'est l'organisation communiste, se construit par le combat. Cet enseignement n'est pas nouveau lui non plus. Ainsi, le parti bolchevik ne put parvenir à jouer son rôle dans la révolution d'octobre 17 et la fondation de l'I.C. que parce qu'il avait été trempé par une série de combats successifs contre le populisme et le socialisme agraire, contre le "marxisme légal", contre le terrorisme, contre l'économisme ouvriériste, contre l'intellectualisme rejetant la notion d'engagement militant, contre le menchévisme, contre les liquidateurs, contre la défense nationale et le pacifisme, contre tout soutien au gouvernement provisoire de 17. De même, notre organisation s'est fondée et trempée par une série de combats contre toutes sortes de déviations, y compris en son sein :
- combat de "Internacionalismo" contre l'ouvriérisme conseilliste de "Proletario" (cf. Bulletin d'étude et de discussion de R.I. n°10) ;
- combat de "R.I" contre le conseillisme d'ICO (1969-70), contre 1'accadémisme des tendances "Parti de classe" (1971) et Bérard (1974), contre l'activisme de la tendance qui allait former le PIC (1973) ;
- combat du CCI contre l'activisme et la vision substitutionniste de la tendance qui allait former le "Groupe Communiste Internationaliste" (1978) ;
- combat du CCI contre 1'immédiatisme, la dilution des principes et pour la défense de l'organisation face à la "tendance Chénier" (1981).
Le dernier enseignement qu'il faut tirer de notre expérience c'est qu'on ne peut pas sérieusement s'acheminer vers la constitution du futur parti si on ne sait pas à quels moments de l'histoire il peut surgir : lors des périodes de développement historique de la lutte de classe. C'est la vision que défendit la Gauche Communiste d'Italie contre la constitution de la "4ème Internationale" trotskyste, que défendit le GCF contre la fondation du PCI en Italie après la guerre. Les organisations qui aujourd'hui s'auto-proclament "Parti" ne sont pas des partis, elles ne peuvent en assumer la fonction mais, ce faisant, elles n'assument pas non plus la fonction qui leur revient à l'heure présente et que "Bilan" assignait aux fractions : préparer les bases programmatiques et organisationnelles du futur parti mondial.
Voilà quelques enseignements "classiques" du mouvement ouvrier que 10 années d'expérience du CCI sont venues reconfirmer et qui sont des conditions indispensables pour contribuer réellement à la constitution du parti révolutionnaire et à la révolution communiste elle-même.
FM.
[1] [35] Sur l'histoire de la "Gauche italienne" voir notre brochure : La Gauche communiste d'Italie.
[2] [36] "News and Letters" : groupe venant du trotskysme, animé par une ancienne secrétaire de Trotsky et qui, mal gré beaucoup de confusions sur les "luttes de libération nationale", sur le problème noir, sur le féminisme, etc. défendait des positions de classe sur la question essentielle de la nature capitaliste et impérialiste de 1'URSS
[3] [37] Voir "R.I" n°2 (Ancienne Série).
[4] [38] Voir "R.I." n°1 (Nouvelle série)
[5] [39] Voir "R.I" n°2 et "Internationalism" n°4."
[6] [40] Voir "R.I" n°2 et"Internationalism " n°4.
[7] [41] Voir "R.I" n°4 et 7, "Bulletin d'Etude et de Discussion" n°5 et 9, "Internationalism" n°4.
[8] [42] Voir les articles "Sectarisme Illimité" dans WR n °3 et "Réponse à Workers' Voice" dans la Revue Internationale n°2
[9] [43] Le fait que nous en soyons aujourd'hui au n°40 de Revue Internationale démontre donc que sa régularité a été maintenue sans défaillance.
[10] [44] Voir 1'article "Convulsions actuelles du milieu révolutionnaire" dans la Revue Internationale n°28.
[11] [45] Voir les rapports à cette conférence publiés dans la Revue Internationale n°29 et 33
[12] [46] Voir l'article dans le n°46 d'Internationalisme (été 1952): "L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective" reproduit dans le Bulletin d’étude et de discussion n°8.
Cet article a pour fonction d'exprimer la position du CCI sur le danger du conseillisme. Il porte vers l'extérieur le fruit de discussions internes pour la clarification du milieu révolutionnaire.
Le CCI a toujours eu comme principe de porter à l'extérieur ses propres débats internes, dès le moment où la clarification était suffisante pour que s'exprime le point de vue de l'ensemble de l'organisation. Tout débat théorique et politique n'est pas réservé à usage interne, pas plus qu'il ne vise à la réflexion pour la réflexion. Une organisation révolutionnaire digne de ce nom rejette aussi bien le monolithisme' qui enferme et étouffe les débats que l'esprit de cercle qui débouche sur la logomachie. Organisation militante du prolétariat, l'organisation révolutionnaire se conçoit comme un corps politique sécrété par la classe, où celle-ci n'est pas seulement intéressée mais directement impliquée dans la lutte théorique et politique des organisations qu'elle a fait surgir. Les débats d'une organisation révolutionnaire ne peuvent être secrets pour la classe, car une organisation révolutionnaire n'a pas de secrets à dissimuler au prolétariat. La politique du secret pouvait être le propre des sectes bakouninistes au 19ème siècle, mais jamais celui des organisations marxistes. Le caractère "secret" de ces sectes débouchait inévitablement sur la politique de manoeuvres. L'organisation secrète de l'Alliance de la démocratie socialiste de Bakounine dans la 1ère Internationale ne faisait que manifester une attitude d'extériorité au prolétariat.
Les organisations marxistes ont toujours reflété dans leurs publications les divergences existantes afin de travailler dans le sens d'une prise de conscience toujours plus aigue du prolétariat de son combat pour son émancipation. Les bolcheviks, avant l'interdiction des fractions au sein de leur organisation en 1921, le KAPD et la gauche communiste italienne ont toujours eu cet objectif. Non point pour donner - à la façon des "conseillistes" dégénérés - des "points de vue" dont le prolétariat n'aurait qu'à prendre passivement connaissance, mais pour orienter et trancher de façon ferme les débats afin que la pratique de la classe soit libérée de toute erreur ou hésitation.
Ce mode de fonctionnement de l'organisation marxiste découle tout naturellement de sa fonction dans la classe : être un facteur actif dans la praxis du prolétariat. Le CCI rejette aussi bien les groupes d'opinion des conseillistes dont l'aboutissement est l'éclectisme et la dissolution de l'organisation dans la passivité que les organisations monolithiques du "bordiguisme" dont la vie interne est étouffée et figée par l'interdiction de toute position minoritaire. Dans les deux cas, cette incompréhension de la fonction de l'organisation ne peut mener qu'à la désagrégation. La disparition des principales organisations conseillistes, puis l'éclatement du PCI, est finalement la sanction de cette incompréhension.
LE CCI N'EST PAS CONSEILLISTE.
Le CCI - contrairement aux affirmations gratuites de "Battaglia Comunista", puis du CWO qui, depuis peu, rejette aux orties les acquis du KAPD et se découvre des "sympathies" bordiguistes après avoir été tiré à grand peine par le CCI du marais "conseilliste libertaire" de "Solidarity" - ne vient pas du "conseillisme". Il s'est formé contre lui. L'existence d'Internacionalismo au Venezuela a été possible et s'est consolidée dès la fin des années 60 par une lutte théorique et politique contre la tendance conseilliste de "Proletario" ([1] [50]). La naissance de R.I. en France s'est effectuée en montrant, face au milieu conseillo-libertaire particulièrement présent à l'époque, la nécessité d'une organisation révolutionnaire militante et donc d'un regroupement des révolutionnaires. Après quelques hésitations à reconnaître la nécessité d'un parti révolutionnaire ([2] [51]) R.I n'a cessé de montrer l'importance d'un regroupement sans lequel ne pouvaient être posées les bases du parti. Le regroupement de 1972 entre R.I., l'organisation conseilliste de Clermont Ferrand et les "Cahiers du Communisme des Conseils" n'a pas été un regroupement "conseilliste" mais un regroupement sur la base marxiste de la reconnaissance du rôle irremplaçable de l'organisation dans la classe. Il a été possible après de longues discussions grâce auxquelles ont été levées les confusions conseillistes des groupes de Clermont et Marseille. A l'époque, faute d'une continuité organique avec la gauche communiste allemande et italienne, il était inévitable que les groupes surgissant du bouillonnement de 1'après 68 soient des groupes en recherche des principaux acquis de la gauche. Face au stalinisme et au gauchisme, et sous l'influence du milieu contestataire "anti-autoritaire", ils subissent pleinement les effets de l’idéologie conseilliste anti-organisation et anti-bolchevik. Vis-à-vis de ces groupes en France, Puis en"Grande Bretagne et aux USA, R.I. (puis le CCI après 1975) a mené un patient travail contre cette idéologie qui pénétrait les groupes de discussion en recherche et qui, en réaction au stalinisme, rejetait finalement toute l'histoire du mouvement ouvrier. C'est en reconnaissant la nature prolétarienne de" la révolution russe, en janvier 74, que le groupe "World Révolution" rompt avec le conseillisme. Le même cas se présente pour " Internationalism" aux USA, après discussions avec R.I. et "Internacionalismo".
Certes ; le CCI a eu à combattre jusqu'en son sein les idées bordiguistes sur la conception de l'organisation, sur le rôle du parti et ses rapports avec 1' Etat surgi de la révolution ([3] [52]). Depuis le groupe "Parti de classe" en 1972 jusqu'à la tendance qui allait donner le jour au GCI en 79 le CCI a montré que sa lutte contre les fausses conceptions de l'organisation n'était pas plus une régression vers le conseillisme que vers un "néobordiguisme" façon "Battaglia Comunista" et actuellement CWO. Si le combat politique et théorique dans sa presse s'est surtout essentiellement dirigé contre le bordiguisme et le néo-bordiguisme c'est surtout parce que la disparition du milieu conseilliste - par nature anti-organisation -laissait le champ libre au courant du PCI, qui se développait en raison directe de ses capitulations opportunistes. En quelque sorte, le développement du "bordiguisme" était la rançon que devait payer le milieu révolutionnaire à la disparition progressive des groupes d'orientation conseilliste disparus dans la tourbe de la confusion. Mais d'autre part aussi, le "bordiguisme", avec le PCI, constituait un véritable repoussoir pour les éléments nouveaux et groupes de discussion pouvant surgir. Ses conceptions d'un parti monolithique ("compact et puissant" suivant sa terminologie) devant exercer dans la révolution sa dictature et la "terreur rouge" ont eu pour effet de déconsidérer idée de parti. Incapable de faire, comme 1'avait fait "Bilan", le bilan de la contre-révolution et d'en tirer les implications sur la fonction et le fonctionnement de l'organisation, préférant dialoguer "avec les morts" et "avec Staline" ([4] [53]), le PCI et les sous-produits du bordiguisme n'ont fait qu'apporter de l'eau au moulin du conseillisme anti-organisation. Le bordiguisme, comme courant, véhicule les vieilles conceptions substitutionnistes qui avaient cours dans le mouvement révolutionnaire du passé. Ces conceptions, le CCI les a toujours combattues et les combattra encore demain. Parce que le conseillisme, sur un plan théorique du moins à défaut de le faire politiquement de façon organisée, combat le "substitutionnisme", cela ne signifie nullement que le CCI se trouve aux côtés du conseillisme.
Le CCI, en effet, a eu bien l'occasion de combattre les erreurs et aberrations conseillistes, jusque dans son sein. Face à des conceptions activistes-ouvriéristes, s'exprimant en particulier dans sa section en Grande-Bretagne, le CCI a été contraint de convoquer une conférence extraordinaire de toute l'organisation en janvier 82, afin de rappeler, et non d'établir, quelle était la conception du CCI de la fonction et du fonctionnement d'une organisation révolutionnaire.
Malheureusement les idées conseillistes continuent à s'exprimer de façon indirecte - et cela est d'autant plus dangereux - jusque dans notre organisation. En effet, au début de l'année 84, s'est ouvert un débat sur le rôle de la conscience de classe en dehors des luttes ouvertes. Des hésitations se manifestaient pour reconnaître alors la fin du recul de 1'après Pologne (1981-82), avec la reprise de la lutte de classe en automne 83. Cette reprise montrait de façon évidente une maturation de la conscience dans la classe, qui s'accomplissait de façon souterraine en dehors des périodes visibles de lutte de classe. ([5] [54])
Bien que la question ne soit pas nouvelle pour le CCI, un débat s'est ouvert dans notre organisation sur la conscience de classe. Il prolonge de façon militante le travail déjà accompli dans la brochure "Organisations communistes et conscience de classe". Reprenant la distinction classique du marxisme ([6] [55]), le CCI distingue les deux dimensions de la conscience : sa profondeur et son étendue. De cette façon, le CCI veut souligner plusieurs points fondamentaux :
- la continuité et le développement de la conscience dans la classe en étendue et en profondeur qui se manifeste par une maturation souterraine et s'explique par l'existence d'une conscience collective ;
- la conscience de classe a nécessairement une forme (organisations politiques et unitaires) et un contenu (programme et théorie) ; elle trouve son expression la plus élaborée, à défaut d'être achevée, dans les organisations révolutionnaires sécrétées par la classe ;
- cette conscience ne se développe pas chez les ouvriers pris comme entités individuelles mais collectivement ; elle ne se manifeste pas de façon immédiatiste mais historiquement ;
- contrairement aux assertions mégalomaniaques des bordiguistes, la conscience de classe n'est pas la propriété exclusive du parti ; elle existe nécessairement dans la classe, existence sans laquelle il n'existerait pas d'organisation révolutionnaire ;
- contrairement à la démagogie "ultra-démocratiste" du conseillisme, le CCI affirme que l'expression la plus haute de la conscience n'est pas les conseils ouvriers - où elle se développe de façon heurtée et à travers bien des erreurs - mais l'organisation politique révolutionnaire, lieu privilégié où se cristallise tout le trésor de l'expérience historique du prolétariat. Elle est la forme la plus élaborée, découlant de sa fonction, de concentrer la mémoire collective du prolétariat, qui n'existe qu'à l'état diffus dans la classe avant la période révolutionnaire, moment où la classe se la réapproprie avec le plus d'acuité.
Au cours de ce débat, le CCI a eu à combattre des positions qui soit rejetaient l'idée d'une maturation souterraine, soit (tout en reconnaissant ce processus) sous-estimaient le rôle indispensable des organisations révolutionnaires, en rejetant les dimensions de la conscience de classe ([7] [56]).
Réaffirmant que sans parti il ne peut y avoir de révolution, car la révolution engendre nécessairement des partis révolutionnaires, la majorité du CCI réaffirme que ces partis ne sont pas à la queue des conseils ouvriers mais son avant-garde la plus consciente. Etre une avant-garde ne leur donne aucun droit mais le devoir d'être à la hauteur de leur responsabilité, en raison de leur conscience théorique et programmatique plus élevées.
A la suite de ce débat - qui n'est pas terminé - le CCI a pu relever une tendance chez les camarades "minoritaires"à la conciliation avec le conseillisme (oscillations "centristes" par rapport aux idées conseillistes) . Bien que ceux-ci prétendent le contraire, nous pensons que le conseillisme constitue le plus grand danger pour le milieu révolutionnaire dès aujourd'hui, et bien plus que le " substitutionnisme, il deviendra un très grand péril pour l'intervention du parti dans les luttes révolutionnaires futures.
LE SUBSTITUTIONNISME EST-IL LE PLUS GRAND DANGER DE DEMAIN ?
A- Les bases objectives du substitutionnisme.
Lorsque nous parlons de substitutionnisme, nous entendons par là la pratique de groupes révolutionnaires qui prétendent diriger la classe et prendre le pouvoir en son nom. Dans ce sens, les gauchistes ne sont pas des organisations substitutionnistes : leur activité ne vise pas à se substituer à l'action de la classe, mais à la détruire de l'intérieur pour perpétuer la domination de la classe capitaliste. En tant que telles, elles ne commettent pas d1"erreurs" substitutionistes mais visent à prendre la direction de la lutte de classe pour la dévoyer et la soumettre à l'ordre bourgeois (parlementarisme, syndicalisme). Le substitutionnisme est en fait une mortelle erreur qui s'est développée dans le camp ouvrier, avant 1914, puis après 1920 au sein de l'Internationale Communiste. De la prétention à diriger de façon militaire la classe (cf. la discipline confinant "à la discipline militaire" affichée au 2ème Congrès) il n'y avait qu'un pas à la conception d'une dictature d'un parti unique vidant les conseils ouvriers de leur propre substance. Mais ce pas qui mène progressivement à la contre-révolution ne put être franchi que dans des conditions historiques déterminées. Les ignorer et oublier que de telles conceptions existaient jusque dans la gauche allemande, c'est ne pas comprendre les racines du substitutionnisme comme phénomène unique.
a) L'héritage de la conception social-démocrate du parti, unique porteur de la conscience qui devait être injectée de l'extérieur par des "intellectuels bourgeois" (cf. Kautsky et le "Que faire?" de Lénine) à 1'"armée disciplinée" des prolétaires, a lourdement pesé sur le mouvement révolutionnaire. Il a pesé d'autant plus lourdement qu'il trouvait un terrain fertile dans les pays sous-développés - comme en Russie et en Italie - où le parti était conçu comme un "état-major" représentant les intérêts de la classe et donc amené à prendre le pouvoir en son nom ;
b) de telles erreurs ont pu prendre pied dans une période de croissance numérique du prolétariat, où ce dernier - à peine sorti des illusions petites-bourgeoises rurales et artisanales - était éduqué politiquement par l'action des organisations politiques du prolétariat. Faute d'une riche expérience révolutionnaire capable de le mûrir politiquement et de lui donner une véritable culture politique, les tâches d'organisation et d'éducation des partis avant 1914 prenaient une place considérable. La conception que le parti est " l'état-major" de la classe et apporte aux ouvriers la conscience politique trouva un écho essentiellement dans les pays où le mouvement révolutionnaire manquait encore de maturité, et d'autant plus que son action se déroulait dans la plus stricte clandestinité, avec la centralisation et la discipline la plus stricte.
c) Les idées substitutionnistes, avant 1914, étaient encore une erreur au sein du mouvement révolutionnaire. Déjà les événements de 1905, où se manifestaient de façon incroyablement rapide la spontanéité créative du prolétariat, par la grève de masse, montraient la fausseté de telles conceptions. Lénine, lui-même, n'allait pas tarder à abandonner les thèses qu'il avait défendues dans "Que faire?". La révolution de 1905 entraîna dans la gauche communiste en Europe, et particulière ment chez Pannekoek, une remise en question de la conception kautskyste ; il montrait l'importance décisive de l'auto-organisation du prolétariat, que nul plan d'état major social-démocrate ou syndical ne pouvait susciter. Le change ment de tactique noté par Pannekoek dans les tactiques parlementaire et syndicale, qui passait désormais au second plan, montrait un changement profond dans la fonction de l'organisation révolutionnaire.
d) Il est faux de voir dans Lénine et les bolcheviks les théoriciens du substitutionnisme avant 1917, et même avant 1920. Les bolcheviks en 17 sont portés au pouvoir - avec les socialistes révolutionnaires de gauche - par les conseils ouvriers. L'insurrection, à laquelle participent de nombreux anarchistes dans la Garde Rouge, se fait sous la direction et le contrôle des conseils ouvriers. C'est beaucoup plus tard, avec l'isolement de la révolution russe et le début de la guerre civile, que commence à être théorisée - sous la forme de "léninisme" - la théorie d'une dictature de parti. Le substitutionnisme en Russie, où les conseils se vident de toute vie à mesure qu'ils sont vampirisés par le parti unique, est moins le résultat d'une volonté préexistante des bolcheviks que du tragique isolement de la révolution russe de la révolution en Europe occidentale.
e) Le courant de la gauche communiste italienne -contrairement aux assertions des conseillistes qui amalgament "léninisme" et "bordiguisme" (le "bordigo-léninisme") - a toujours rejeté en 1920 avec Bordiga la conception d'une conscience importée de l'extérieur dans le prolétariat par des "intellectuels bourgeois". Pour Bordiga, le parti est d'abord une partie de la classe ; le parti est le résultat d'une croissance organique issue de lai classe où fusionnent en une même totalité le programme et une volonté militante. Dans les années! 30, "Bilan" a toujours rejeté la conception défendue au 2ème congrès de l'I.C. d'une dictature d'un parti. Il a fallu la profonde régression de la gauche italienne après 1945, sous l'influence de Bordiga lui-même, pour que s'opère un retour à la théorie du substitutionnisme, codifiée après 1923 sous le vocable de "léninisme". C'est justement le rejet de la conception d'une "dictature de parti" qui a été en automne 1952 l'une des raisons de la scission qui donna le jour au groupe actuel "Battaglia Comunista".
B- Un danger moindre.
Aujourd'hui, les conceptions substitutionnistes présentent un moindre danger que par le passé, en raison :
- de la profonde réflexion théorique au sein des gauches communistes allemande, italienne et hollandaise dans les années 30, même si cela s'est fait partiellement au sein de chaque gauche, réflexion issue du bilan de la révolution russe et qui a permis de comprendre les racines de la contre-révolution y
- de la contre-révolution stalinienne qui a développé au sein du prolétariat, dans les pays développés en particulier, un sens plus aigu de la critique à l'égard des organisations politiques surgies de son sein et qui peuvent être amenées à le trahir. Le prolétariat, fort de son expérience historique, n'accordera plus désormais aveuglément et"naïvement sa confiance aux organisations qui se réclament de lui;
- de l'impossibilité d'une révolution dans les pays arriérés, tant que l'épicentre de la révolution mondiale ne se sera pas manifesté au cœur des pays industrialisés d'Europe occidentale. Le schéma d'une révolution isolée surgissant de la guerre impérialiste dans un pays où la bourgeoisie se trouve dans un état de faiblesse comme en Russie en 1917 ne se reproduira plus. C'est à l'issue d'une crise économique touchant tous les pays – et non plus les pays vaincus- là où le prolétariat est le plus concentré et le plus éduqué politiquement que surgira de façon beaucoup plus consciente la révolution communiste. Le prolétariat ne pourra s'organiser qu'internationalement et ne se reconnaîtra dans ses partis que dans la mesure où ils seront une partie des conseils ouvriers internationaux surgis non d'une révolution "française", "allemande", etc., mais véritablement internationale. L'isolement géographique de la révolution dans un seul pays, facteur objectif du substitutionnisme, n'est plus possible. Le danger véritable serait l'isolement sur un seul continent. Mais même dans ce cas, il ne pourrait y avoir prédominance d'un parti national comme en Russie : l'internationale (parti communiste mondial) se développera pleinement au sein des conseils ouvriers internationaux.
Cela ne signifie pas, bien entendu, que le danger de substitutionnisme a disparu à jamais. Dans les phases descendantes du cours révolutionnaire - qui sera étendu dans le temps, comme le montre l'exemple de la révolution allemande -, les hésitations inévitables et même l'épuisement momentané du prolétariat au cours d'une guerre civile longue et dévastatrice, peuvent être le terrain fertile où germe la plante empoisonnée du substitutionnisme ou du putschisme, bien proche de la conception substitutionniste blanquiste. D'autre part, la maturité du milieu révolutionnaire, où se sera opérée préalablement une décantation impitoyable des organisations prétendant être le "cerveau" ou l'"état major" de la classe sera un facteur décisif pour lutter énergiquement contre ce danger.
CONDITIONS D'APPARITION ET CARACTERISTIQUES DU CONSEILLISME.
Mais si le substitutionnisme constitue un danger surtout en période de recul dans la vague révolutionnaire, le conseillisme est un danger bien plus redoutable, surtout dans la période de montée de la vague révolutionnaire et encore plus à son point culminant où le prolétariat a besoin d'agir rapidement et avec la plus grande décision. Cette rapidité dans sa réaction et son sens aigu de la décision culminent dans la confiance qu'il manifeste aux programmes et mots d'ordre de ses partis. C'est pourquoi l'esprit d'indécision et le suivisme des conseillistes qui se trouvent flatter la moindre action des ouvriers sont particulièrement dangereux dans cette période. Les tendances conseillistes qui se manifestèrent entre 1919 et 1921 au sein du prolétariat allemand ne sont pas une expression de force du prolétariat. Si elles ne sont pas responsables de la défaite, elles traduisent une grande faiblesse au sein de la classe. Faire de ces faiblesses une vertu, comme le font les conseillistes, est la voie la plus sûre pour mener demain la révolution à la défaite. Il importe donc de comprendre les réactions de type conseilliste au sein du prolétariat allemand au cours de ces années pour éviter la répétition de ces faiblesses.
Contrairement aux apparences, le conseillisme n'apparaît pas d'abord comme une variété d'anarchisme, lequel trouva son terrain d'élection d'abord dans les pays sous-développés où le prolétariat était à peine sorti d'un état campagnard et artisanal. Il surgit au sein d'un prolétariat de longue souche, déjà aguerri par la lutte de classe et fortement politisé, agissant collectivement et débarrassé de l'individualisme petit- bourgeois.
Les tendances conseillistes surgirent d'abord dans le KPD (Spartakus) puis dans le KAPD, lorsqu'il se forma en avril 1920. Bien que Rühle (ex-IKD) fut le porte-parole de ces tendances, finalement assez isolé dans le KAPD, en dehors de la Saxe, l'écho des idées conseillistes se répercuta finalement dans l'ensemble du prolétariat radical allemand de toutes les régions. L'exclusion de Rühle et de ses partisans saxons par le XAP en décembre 1920 n'empêcha pas un rapide développement des thèses conseillistes qui devinrent celles des Unions unitaires (AAU-E), regroupant à un moment donné quelques centaines de milliers d'ouvriers.
Les caractéristiques du conseillisme allemand qu'on retrouve aujourd'hui d'ailleurs en grande part, sont :
- le rejet de tout parti politique du prolétariat comme "bourgeois". Selon Rühle : "le parti est d'essence bourgeoise. Il représente 1'organisation classique pour la représentation d'intérêts de la bourgeoisie. Sa naissance se fait à l'époque où la classe bourgeoise venait au pouvoir. Il naquit justement avec le parlementarisme..."
("Von der bürgerlichen zur prolatarischen révolution", 1924). Ici, Rühle exprime la haine légitime du prolétariat contre le parlementarisme, sans comprendre que la fonction du parti révolutionnaire change dans la décadence, ce que comprend par contre parfaitement le KAPD;
- le rejet du centralisme comme expression de la dictature d'une classe : "L'essence bourgeoise est organisativement représentée par le centralisme." (Otto Rühle, op. cit.)
Les conseillistes ici s'attaquent aux formes en soi, croyant pouvoir éviter par ce moyen 1'apparition" d'une "caste de chefs". En préconisant la décentralisation et en cultivant "l’anti-autorité" ils ne font que favoriser l'absence de contrôle effectif des ouvriers des organisations qu'ils mettent en place. L'anti-centralisme affiché par les "unitaires" partisans de Rühle, n'empêcha pas que l'AAU-E tombe sous la poigne des intellectuels et artistes de "Die Aktion" (Franz Pfempfert en particulier), qui constituèrent véritablement des chefs auto-proclamés;
- le localisme, corollaire de 1'anti-centralisme, débouché nécessairement sur l'usinisme ouvriériste. L'usine devient l'univers borné des unionistes (AAU proche du KAP, comme l'AAU-E) qui y voient une forteresse contre l'influence des partis. Le culte de l'ouvrier dans son entreprise s'accompagne d'un anti-intellectualisme, les non-ouvriers "intellectuels" militants dans le KAPD étant soupçonnés d'aspirer au rôle de "chefs" en se substituant a l'initiative spontanée des ouvriers;
- la confusion entre conseils ouvriers et organisations politiques ramène plusieurs décennies en arrière le mouvement ouvrier lorsque dans l'AIT on trouvait syndicats, partis, coopératives, etc. Ainsi, les Unions ont un programme révolutionnaire inspiré d'ailleurs de celui du KAP, mais sont mi-chèvres mi-chou, mi-politiques et mi-syndicales. Une telle confusion mena inévitablement à un néosyndicalisme révolutionnaire. Ce n'est pas par hasard si l'AAU-E - proche de Rühle et de Pfemfert -collabora rapidement avec les anarcho-syndicalistes de la FAUD
- finalement, le conseillisme politique glisse fatalement vers un semi-anarchisme, dans sa pire forme, l'individualisme. Rühle lui-même glissa progressivement vers un anti-marxisme anarchisant, pour ne voir dans Marx qu'un bilieux impénitent face à Bakounine. Son culte de l'individualisme débouche sur la "pédagogie" de l'ouvrier individuel, dont l'esprit est celui de "la cheminée d'usine", pour reprendre l'ironique expression du KAP définissant l'individualisme saxon.
DANGER "CONSEILLISTE" DANS LA REVOLUTION.
Le conseillisme ne fait qu'exprimer les faiblesses de la classe ouvrière. Il est d'abord une réaction négative, alors que la classe passe d'un état de confiance aveugle dans ses anciennes organisations - gagnées progressivement par l'opportunisme pour sombrer finalement dans la contre-révolution - à un état de défiance à l'égard de toute organisation politique. Les tendances conseillistes en Allemagne, pendant la révolution, furent directement proportionnelles à la naïve confiance qu'accordèrent en novembre-décembre 1918 les ouvriers allemands organisés en conseils à la social-démocratie, qui devait les massacrer pendant 3 années durant. Face à ce que les ouvriers croyaient n'être qu'une trahison des "chefs", chaque organisation sécrétant le "poison" des chefs, se développèrent des tendances anti-parti et "anti-autoritaires" (anti-"bonzes"). Le repliement des ouvriers d'industrie dans des organisations d'entreprise locales (Betriebsorganisation des unions) et des unions corporatives (union des mineurs, union des marins en 1919) n'était pas l'expression d'une force croissante d'une classe se ressaisissant après le massacre de janvier 1919,[mais le produit d'une faiblesse énorme, sous le coup d'un terrible déboussolement.
Parce qu'elle se déroule dans un pays hautement industrialisé, clef de la révolution mondiale, la lutte de classe en Allemagne est beaucoup plus caractéristique de la révolution communiste de demain que celle qui se déroula en Russie. Les réactions de type conseilliste où le prolétariat dans les conseils manifestera la plus grande méfiance pour toute organisation révolutionnaire sont des réactions qu'un parti révolutionnaire devra affronter avec la plus grand fermeté
Ces réactions seront d'autant plus puissantes que la contre-révolution stalinienne et l'image du parti unique dans les pays de l'Est - à côté d'une certaine méfiance des ouvriers pour les partis politiques de gauche - ont rendu la classe viscéralement méfiante à l'égard de toute organisation révolutionnaire. De telles réactions expliquent - conjuguées avec le totalitarisme de l'Etat qui rend impossible toute organisation révolutionnaire de masse - le manque d'engagement politique militant dans la classe. Malgré l'écho grandissant de leurs positions et de leurs interventions, les militants révolutionnaires inévitablement se heurteront à des préjugés tels : "la révolution avec des partis, même révolutionnaires, mène à la dictature". Il est vrai que le bordiguisme, avec sa conception d'un parti unique exerçant la "dictature rouge" par la violence dans la classe, avec son soutien odieux du massacre des ouvriers et marins de Kronstadt, ne peut que renforcer les réflexes conseillistes au sein ae la classe. On peut même dire que le bordiguisme et le néo-bordiguisme sont les meilleurs sergents recruteurs du conseillisme.
Les organisations révolutionnaires, et le CCI en particulier, doivent être conscientes que leur action organisée dans les conseils de demain ne sera pas facile. Elles seront le plus souvent au début interdites de parole, car organisées en partis. La bourgeoisie d'ailleurs, à travers ses agents les plus dangereux que sont les syndicalistes de base, ne manquera pas d'attiser les sentiments anti-organisation des ouvriers, voire leurs réflexes ouvriéristes, en présentant les organisations révolutionnaires comme des organisations d'"intellectuels" voulant "diriger" la classe pour prendre le pouvoir. Comme Rosa Luxemburg en 1918, les militants non ouvriers du parti pourront être exclus de toute prise de parole dans les conseils, sous prétexte qu'ils ne sont pas ouvriers.
Le danger de conseillisme dans les événements révolutionnaires ne doit donc pas être sous-estime, Il peut même être mortel. Dans la mesure où les idées anti-organisation prédominent, le prolétariat peut être en proie aux provocations les plus délibérées de la bourgeoisie. Le culte des minorités agissantes "anti-autoritaires" peut mener au putschisme le plus dévastateur pour la classe. La méfiance pour le programme et la théorie révolutionnaires, censés violer la conscience de l'ouvrier individuel, ne peut que favoriser l'emprise de l'idéologie petite-bourgeoise individualiste véhiculée par la troupe innombrable des petits bourgeois prolétarisés par la crise et le chômages Pire, cette méfiance favorise l'emprise de l'idéologie bourgeoise qui est l'idéologie dominante.
UN DANGER REEL DES AUJOURD'HUI, DANS LE MILIEU REVOLUTIONNAIRE.
le danger du conseillisme - bien qu'il se manifeste pleinement dans les événements révolutionnaires - est un danger dès aujourd'hui. Il guette essentiellement le faible milieu révolutionnaire, faute d’une continuité organique avec les organisations révolutionnaires du passé (Gauches communistes). Il se présente sous des formes diverses, toutes aussi négatives :
- l'activisme immédiatisme qui mène fatalement au marais libertaire, sinon gauchiste. ICO en France, "Arbetarmakt" en Suède ont disparu finalement pour leur activisme ouvriériste proche du gauchisme. Un groupe comme "Arbetarmakt" finissait par tomber sous la pression de l'idéologie petite-bourgeoise, puis bourgeoise, en glissant dans un néo-syndicalisme de base ;
- la conception des groupes de travail et d'études mène à une remise en cause du rôle militant des révolutionnaires ; cénacles d'où l'on observe de haut la lutte de classe. Ces groupes mettent en cause finalement le rôle révolutionnaire du prolétariat et tombent très facilement dans le pessimisme ou le modernisme. Les avatars issus du cercle de Barrot ("le mouvement communiste") en témoignent. De tels cercles n'ont rien à voir avec le milieu révolutionnaire ; ils ne font que patauger dans la confusion distillée par une petite-bourgeoisie en pleine décomposition ;
- l'idéologie "anti-bolchévik" - où tout le passé révolutionnaire des bolcheviks est volontairement nié - ne peut que mener à une remise en cause de] toute l'histoire du mouvement ouvrier et même à une remise en cause du marxisme. L'évolution dur groupe "Pour une Intervention Communiste" en France (P.I.C.) est symptômatique. De l'activisme primitif, il y a glissement vers l'esprit de cercle d'étude académique. Bientôt - à l'exception de la "Gauche polonaise"([8] [57]), dada de certains militants du P.I.C. - l'ensemble du mouvement révolutionnaire est considéré comme marqué par l'esprit de parti. Marx lui-même devient le grand responsable de tous les malheurs du mouvement ouvrier en "inventant" le concept (sic!) de parti. Pire encore, toute cette réaction "anti-bolchévik" ne peut mener qu'à des compromissions avec le socialisme de gauche (cf. la dissolution finale des membres du P.I.C. dans les "cahiers Spartacus", éditeurs de brochures de socialistes de gauche les plus divers) ;
- la sous-estimation du rôle de l'organisation, et ne voyant plus que la conscience des ouvriers pris comme autant d'entités aussi - sinon plus - conscientes que l'organisation, mène à sa propre négation, comme partie militante de la classe. Cette sous-estimation est un véritable suicide pour les militants qui défendent dans des organisations ou cercles des positions conseillistes. C'est ce danger qui menace les groupes se réclamant du "Communisme des Conseils".
Même si aujourd'hui le conseillisme s'est désagrégé, principalement en Europe occidentale, étant un rassemblement hétéroclite de cercles aux positions floues et viscéralement anti-organisation, son idéologie subsiste. Les groupes de discussion qui ont surgi ces dernières années en Scandinavie (Danemark) et au Mexique sont particulièrement vulnérables à ces conceptions. Il est évident que le CCI n'a pas à ignorer de tels groupes et à les laisser s'enfoncer dans leur confusion. Il est conscient que la rupture organique avec les organisations de la Gauche communiste fera de plus en plus surgir des groupes très confus se réclamant du communisme des conseils, et marqués en fait par une idéologie conseilliste individualiste petite-bourgeoise. Le CCI a une responsabilité énorme - en étant devenu avec l'éclatement du PCI le seul véritable pôle révolutionnaire au niveau international - qui pèse sur ses épaules pour faire évoluer de tels cercles vers une conception marxiste militante. De tels cercles, qui bien souvent sortent de la petite-bourgeoisie avec ses préjugés et ses préoccupations académiques, dans le milieu estudiantin, sont particulièrement vulnérables à l'idéologie conseilliste. Le CCI ne pourra amener de tels éléments, comme il a pu le faire en Suède et en Hollande, à une conception révolutionnaire prolétarienne que s'il reste intransigeant dans sa conception d'une organisation centralisée et militante et s'il combat avec la plus grande énergie, sans la moindre hésitation ou oscillation, les concept ions conseillistes.
Ce danger conseilliste ne guette pas seulement les groupes confus ou les cercles de discussion ; il peut se manifester jusque dans les rangs des groupes se revendiquant de la Gauche communiste italienne, tels "Battaglia Comunista" et maintenant l'anguille politique nommée CWO. Leur conception d'une double organisation politique avec le "parti" (mégalomanie oblige) et les groupes d'usine" (groupes fantômes) n'est pas sans rappeler celle du KAPD avec ses organisations d'usine, avec le bluff en plus, et toutes proportions gardées puisqu'il est difficile de comparer des nains avec le géant que fut le KAPD. Demain, la logique du bluff des "groupes d'usine" pourrait les pousser à dissoudre, par pur suivisme, leur organisation politique en en faisant un simple appendice de ces groupes, pour peu qu'ils rencontrent un écho dans la classe. Bien qu'hostiles par principe - par ignorance ou opportunisme, ce qui vaut dans le premier cas pour "Battaglia Comunista" et dans le second pour la CWO champion tous azimuth des tournants politiques - au KAPD, ces deux petits groupes qui se gonflent d'importance feraient bien de modestement étudier l'histoire du KAPD. A force de prêcher la double organisation, le KAPD allait finalement commencer à se désagréger en 1929, la plus grande partie s'organisant en une Union activiste (la KAU), tandis que les restes du KAPD maintenu - hostiles désormais à toute double organisation - ne constituaient plus qu'un tout petit groupe. Le suivisme avéré de "Battaglia Comunista" et du CWO pour des organisations iraniennes nationalistes du type "Komala" ou "parti communiste d'Iran" n'augure rien de bon sur la capacité de ces organisations à maintenir fermement un cadre programmatique et organisationnel intransigeant.
Le danger du conseillisme ne se trouve donc pas seulement chez les négateurs de parti ; il peut menacer même une organisation révolutionnaire aussi armée que le CCI. Il est d'autant plus dangereux que bien souvent le conseillisme n'ose dire\son nom et se cache derrière une reconnaissance formelle du cadre programmatique et organisationnel centralisé.
Le CCI demeure plus que jamais vigilant pour remplir sa fonction militante dans la classe. Il est convaincu que sa fonction est irremplaçable et qu'il explique de la façon la plus 'élevée la conscience de classe. Son fonctionnement centralisé est décisif pour maintenir son cadre programmatique légué par les gauches communistes.
Le CCI, comme le KAPD et "Bilan", est convaincu du rôle décisif du parti dans la révolution. Sans parti révolutionnaire, fruit d'un long travail de regroupement et de bataille politique, il ne peut y avoir de révolution prolétarienne victorieuse. Aujourd'hui, toute sous-estimation du rôle de l'organisation, toute négation de la nécessité d'un parti dans la révolution, ne peut que contribuer à la désagrégation d'un milieu révolutionnaire déjà particulièrement faible.
Le danger conseilliste est un danger face auquel le CCI doit être particulièrement armé, jusque dans son sein. En soulignant le danger des oscillations conseillistes, qui n'osent dire leur nom, le CCI ne tombe pas ou ne régresse pas vers une sorte de "bordiguisme" ou de "léninisme".
L'existence du CCI est le fruit de toutes les fractions communistes du passé. Il défendra leurs acquis positifs - à la fois contre les groupes de tendance conseilliste et les groupes bordiguistes, sans en reprendre les côtés négatifs : substitutionnisme dans la gauche russe, négation du parti dans la gauche hollandaise, double organisation dans la gauche allemande. Le CCI n'est pas une organisation passéiste. Le CCI n'est ni "conseilliste" ni "bordiguiste", il est le produit actuel de la longue histoire de la gauche communiste internationale. C'est par une lutte politique sans concessions contre toute hésitation touchant sa fonction et sa place dans la lutte de classe que le CCI pourra être à la hauteur de ses prédécesseurs et même les dépasser dans le feu du combat.
Chardin.
[1] [58] cf. " Bulletin d'études et de discussions" 1974.
[2] [59] Le 1er numéro de R.I. manifestait des tendances conseillistes. Mais en 1969, fut présenté à la conférence nationale d'ICO, un texte très clair sur la nécessité d'un parti (cf. R.I. ancienne série n°3).
[3] [60] Cf la brochure organisations communistes et conscience de classe,
[4] [61] "Dialogue avec les morts" et "Dialogue avec Staline" (sic!) sont les titres de brochures de Bordiga
[5] [62] Résolution du CCI en janvier 1984 : "Il existe entre les moments de lutte ouverte, une maturation souterraine de la conscience (la "vieille taupe" chère à Marx), laquelle peut s'exprimer tant par l'approfondissement et la clarification des positions politiques des organisations révolutionnaires, que par une réflexion et une décantation dans 1'ensemble de la classe, un dégagement des mystifications bourgeoises.
[6] [63] cf. Marx, "Idéologie Allemande" (La Pléiade, p. 1122) : Marx parle de la "conscience de la nécessité d'une révolution en profondeur". Cette conscience communiste est produite "massivement" par une transformation" qui touche la masse des hommes, laquelle ne peut s'opérer que dans un mouvement pratique, dans un révolution". (p. 1123).
[7] [64] Nous donnons ici des extraits de la résolution adoptée en janvier 84 (et qui a provoqué des "réserves" et désaccords de la part de certains camarades) : "Même si elles font partie d'une même unité et agissent l'une sur l'autre, il est faux d'identifier la conscience de classe avec la conscience de la classe ou dans la classe, c 'est à dire son étendue à un moment donné... Il est nécessaire de distinguer ce qui relève d'une continuité dans le mouvement historique du prolétariat : 1'élaboration progressive de ses positions politiques et de son programme, de ce qui est lié aux facteurs circonstanciels : 1'étendue de leur assimilation et de leur impact dans la classe."
[8] [65] Ces militants font la preuve qu'ils ne connaissent pas grand chose à l'histoire ; le parti bolchevik auquel ils reprochent d'être trop centralisé, l'était bien moins encore que cette Gauche Polonaise, la SDKPiL
Avec la publication du premier numéro, (avril 1984) en anglais et en français de la "Revue Communiste", le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire récemment formé par le PC Internationaliste (BC) d’Italie et la CWO de Grande-Bretagne, a enfin trouvé une voix. L'événement est d'autant plus important que l'effondrement du PC International (Programme Communiste) avait privé les organisations issues de la tradition "bordiguiste" du PC Int fondé en 1943 de toute expression sur le plan international. Le regroupement de BC et de la CWO est l'aboutissement d'un processus annoncé par la CWO (RP n°18) après la 3ème Conférence Internationale. Le milieu prolétarien aurait été en droit d'attendre un compte rendu des discussions qui avaient permis aux deux groupes de surmonter leurs divergences programmatiques au point de fonder une organisation commune. La formation du BIPR est dans la droite lignée des manoeuvres qui ont saboté les Conférences Internationales ; elle est faite d'un bluff et d'un opportunisme politique qui ne peut que déconsidérer l'importance des organisations révolutionnaires et du rôle qu'elles ont à jouer dans la lutte de classe.
Incapables de comprendre leurs origines de façon scientifique, historique, les peuples primitifs ont inventé des explications mythiques de la création du monde et de l'humanité. BC et CWO qui ne comprennent guère mieux les origines et les fonctions de l'organisation révolutionnaire, ont inventé une histoire mythique des Conférences Internationales afin d'expliquer la création du BIPR. Si nous ne nous donnons pas le but ici de défendre notre conception des conférences (voir article dans ce numéro), une mise au point historique est néanmoins nécessaire.
D'après ce mythe de la création, c'est grâce à la clarté de BC que les Conférences ont vu le jour :
"Face à la nécessité de serrer les rangs et de relancer de façon systématique et organisative le travail politique des révolutionnaires au sein du prolétariat mondial, une pluralité de groupes et d'organisations non reliés entre eux se présentaient divisés par des divergences politiques et théoriques dont ils ignoraient 1'existence et la nature.
Concentrés dans un travail local ou de pure abstraction théorique ils étaient incapables de se comporter de façon à jouer un rôle dans les événements qui se préparaient alors et qui se préparent encore aujourd'hui...cette situation devait être bousculée, il fallait faire tout ce qui était possible pour la modifier..(..)..A cette nécessité le PC Int. répondait en convoquant une première Conférence internationale entre les groupes qui se reconnaissaient dans les critères suivants ;
Bravo Battaglia ! Mais pourquoi, en 1976, était-il devenu nécessaire de "serrer les rangs" ? Qu'est-ce qui avait changé depuis 1968, quand le petit noyau qui allait devenir RI vous a demandé de lancer une conférence afin de faire face à la nouvelle situation créée par les grèves de 68 ? Qu'est-ce qui avait changé depuis novembre 1972, quand nos camarades d'Internationalism (qui allait devenir notre section aux USA) ont lancé un appel à une "correspondance internationale" dans la perspective d'une conférence internationale ? A l'époque vous avez répondu :
En plus "à la suite des expériences que notre parti a fait dans les temps passés, nous ne croyons pas au sérieux et à la continuité de liens internationaux établis uniquement sur de simples bases cognitives (correspondance, contacts personnels et débats entre groupes sur des problèmes théoriques et de praxis politique) "
(Lettre de BC à Internationalism, 5/12/72 : citée dans la lettre du CCI à BC du 9/6/80. Voir compte-rendu de la 3ème Conférence Internationale). Qu'est-ce qui avait changé en 1976 ? La lutte de classe ? Les tensions entre puissances impérialistes ? C'est en vain qu'on cherche une réponse dans les textes du BIPR.
Par contre, si on relit le texte de convocation de la 1ère Conférence, on se rend compte que la nouvelle situation qui a poussé BC à son appel n'est ni le développement de la lutte de classe (puisque la vague de luttes qui va de 1968 à 74 est vue par BC comme une simple affaire d'étudiants et de couches petites-bourgeoises) ni le développement des tensions inter-impérialistes mais ...la "social-démocratisation des partis Communistes". Depuis ce fameux "Euro-communisme" s'est révélé purement conjoncturel, lié à la période de la gauche au pouvoir face à la lutte de classe. BC, par contre, ne s'est toujours pas révélée capable de comprendre la signification de La rupture avec la contre-révolution constituée par les luttes de 1968-74.
Quant aux critères d'adhésion à la Conférence, On n'en trouvera pas trace dans les textes de BC. Au contraire, c'est le CCI qui répond à BC : "Pour que cette initiative soit une réussite, pour qu'elle soit un véritable pas vers le rapprochement des révolutionnaires, il est vital d'établir clairement les critères politiques fondamentaux qui doivent servir de base et de cadre, pour que la discussion et l'affrontement des idées soient fructueux et constructifs..(..)..Les critères politiques pour la participation dans une telle conférence doivent être strictement délimités par :
(2ème lettre du CCI au PC Int le 15/7/76, compte-rendu de la 1ère Conférence)
Ce sait les critères que nous avons proposés et défendus dès avant les conférences. Mais BC peut au moins se vanter d'une originalité : la proposition d'un critère supplémentaire, celui de la reconnaissance des conférences comme faisant partie du "processus qui doit conduire à la constitution du parti international du prolétariat, organe politique indispensable à la direction politique du mouvement , révolutionnaire de la classe et du pouvoir prolétarien lui-même." (Revue Communiste n°l) Ce critère est introduit dans le but, on ne peut plus "sérieux", d'exclure le CCI des Conférences et donc d'ouvrir la voie "à la constitution du parti international". "La conclusion de la 3ème Conférence est la prise d'acte nécessaire d'une situation en phase de dégénérescence, c'est la fin d'une phase de travail des Conférences ; c'est la réalisation de la première sérieuse sélection des forces.. .Nous avons assumé la responsabilité qu'on est en droit d'attendre d'une force sérieuse dirigeante". (Réponse de BC à notre "Adresse au milieu").
On ne juge pas un individu d'après l'idée qu'il a de lui-même mais par ce qu'il fait ; de la même façon, une position politique abstraite et platonique ne vaut rien : l'important c'est son application dans la pratique. Il n'est donc pas sans intérêt d'examiner le compte rendu de la 4ème "Conférence Internationale", dont l'ouverture annonce déjà : "maintenant il existe le fondement du début du processus de clarification sur les véritables tâches du parti.. (..)..Bien qu'aujourd'hui nous n’ayons moins de participants qu'aux 2ème et 3ème Conférences, nous commençons sur une base plus claire et plus sérieuse" (c-r 4ème Conférence).
Déjà on peut juger le grand "sérieux" de cette Conférence par le fait :
Mais ce serait mesquin de notre part de nous attacher à de tels détails "pratiques" sans importance. Passons donc en revue les "forces" que BC et CWO ont "sérieusement sélectionnées" pour "commencer le processus de clarification des tâches du parti" :
Tous les anciens mythes de la création mettent sur scène trois éléments : le Bien, le Mal et les simples mortels. Dans la mythologie de BC-CWO il y avait aux Conférences, le Bien (BC-CWO), le Mal (le CCI) et de simples mortels constitués par "Divers groupes (qui) se présentaient non seulement désarmés sur le plan théorique et politique, mais de plus, par leur nature même, ils ne pouvaient tirer aucun élément positif de la polémique en cours pour favoriser leur propre croissance politique et la maturation." (Revue Communiste)
Ici, comme dans la Bible, on "arrange" un peu l’histoire; pour les besoins du mythe. Ainsi on "oublie" que pendant les Conférences, et en partie grâce à elles le groupe For Konmunismen a su "favoriser sa propre croissance et: maturation" en devenant la section du CCI en Suède.
Quant au Mal, il est évidemment incarné par le CCI, "faiseurs de résolutions" (CWO), qui "veulent faire passer les divergences pour des problèmes de formulations" (BC : c-r de la 2ème Conférence Internationale). C'est le CCI qui "voulait que les Conférences imitent, sur une échelle plus large, sa propre méthode pour résoudre les divergences politiques –c’est à dire les minimiser- afin de maintenir l'unité de l'organisation" (RP n°18). C'est le CCI, dont "la motivation (en rejetant l'opposition à la libération nationale en tant que critère de participation aux Conférences Internationales) était marxiste dans sa forme, nais opportuniste dans son contenu, puisque le but était de faire accepter l'adhésion aux réunions futures de leurs sbires Nucleo Ccmunista, un groupe bordiguiste avec lequel le CCI a manoeuvré de façon opportuniste contre le PC Int" (RP n°21). C'est le CCI qui "a fait de son mieux pour saboter tout débat significatif à la 3ème Conférence en refusant une résolution parfaitement franche sur le rôle fondamental du parti révolutionnaire proposée par BC. Dans la réalité, le CCI est toujours le premier pour saboter la discussion dans un nuage de verbosité". (WV n°16)
Loin de nous de plaider pour Satan. En tant que marxistes révolutionnaires, ce qui nous intéresse, c'est la réalité historique du prolétariat et de ses organisations politiques. Ainsi, nous rappelons à BC/CWO que ce n'est certainement pas le CCI qui veut faire passer les divergences politiques pour des problèmes de formulation ; même avant la 1ère Conférence, c'est BC qui propose, pour l'ordre du jour, "les moyens de discuter et dépasser les divergences techniques et pratiques entre les groupes (telles que le parti et les syndicats, le parti et les conseils, l'impérialisme et les guerres coloniales et semi-coloniales). " (3ème lettre circulaire du PC Int, c-r 1ère Conférence)
A quoi nous répondions : "Nous devons nous garder de précipiter les choses et escamoter nos divergences, tout en maintenant un engagement solide et conscient envers la clarification et le regroupement des révolutionnaires. Ainsi, bien qu'un accord avec l'ordre du jour proposé, nous ne comprenons pas pourquoi des questions telles que "parti et syndicat, parti et conseils, impérialisme et guerres coloniales ou semi-coloniales" sont vues comme "divergences techniques et pratiques" (c-r 1ère Conférence). Quant aux résolutions que nous avons proposées aux conférences, il suffit de lire la première (c-r 1ère Conférence) pour se rendre compte que son but est de mettre en avant avec le maximum de clarté possible, ce qui réunit le PC Int et le CCI et ce qui les distingue, comme base de discussion et de clarification.
Le BIPR est d'ailleurs fort mal placé pour parler, de "minimisation de divergences" - nous le verrons plus loin.
Pour ce qui est de nos "sbires", si notre but au sein des Conférences était de manoeuvrer, de les "contrôler", de façon opportuniste nous n'avions nullement besoin de "sbires". Il nous suffisait d'accepter l'invitation initiale de BC, adressée non pas au CCI en tant que tel, mais à nos diverses sections territoriales ; le calcul arithmétique est simple : neuf sections territoriales égalent neuf votes dans les Conférences, largement suffisant pour que nous puissions "contrôler" les Conférences du début jusqu'à la fin, voter toutes les résolutions qu'il nous plaisait, faire que les Conférences prennent position autant que nous l'aurions voulu. Au lieu de cela, nous avons répondu : "puisque nous ne sommes pas une fédération de groupes nationaux, mais un Courant international avec des expressions locales, notre réponse ici est celle de tout le Courant". En réalité, la critique principale qu'on peut adresser au CCI lors des Conférences n'est pas celle de l'opportunisme, mais celle de la naïveté. Notre conception de l'action révolutionnaire exclut les majorités de façade, les magouilles, les manoeuvres dignes du crétinisme parlementaire, et nous étions suffisamment naïfs pour penser qu'il en était de même pour BC, pour la CWO ; qu'ils se rassurent nous ne nous tremperons pas une deuxième fois.
Quant à nos "manoeuvres opportunistes", on ne peut que remarquer que la CWO est incapable de donner le moindre exemple concret, et encore moins documenté - et ce n'est pourtant pas l'envie qui leur fait défaut. Après tout ce n'est pas le CCI mais BC et la CWO qui tenaient des réunions intergroupes clandestines dans les coulisses de la 3ème Conférence. Ce n'est pas le CCI mais BC qui, après avoir nié tout désir d'exclure le CCI jusqu'à la veille de la 3ème Conférence, a lancé leur critère d'exclusion à la fin de cette même conférence. Pourquoi ? Pour pouvoir faire voter leur manoeuvre après le départ de la délégation du NCI, dont les interventions avaient soutenu notre rejet de ce critère, (voir le compte rendu de la 3ème Conférence et la lettre du CCI au PC Int suite à leur opération de sabotage). Ce genre de manoeuvre, bien connu dans le parlement américain sous le non de "filibuster", est digne de démocrates bourgeois, pas de révolutionnaires prolétariens.
C'est avec ces méthodes de parlementaires bourgeois que BC/CWO ont l'intention de construire le Parti de Classe qui défendra les principes du communisme au sein du mouvement prolétarien.
Apparemment pour BC/CWO, la fin justifie les moyens ; et la fin, au moins provisoirement, c'est le fameux BIPR. Le Bureau est un animal véritablement bizarre, qui nous fait penser à cette créature mythique, le Griffon qui est constitué à partir de plusieurs animaux réels : la tête et les ailes d'un aigle, les pattes de devant d'un lion et la queue d'un dauphin. Afin de déterminer la véritable nature du Bureau, il nous semble nécessaire de procéder par élimination, et décider d'abord ce que le Bureau n'est pas.
D'abord, le Bureau n'est pas un simple comité de liaison, canne par exemple l'ancien Comité Technique des Conférences Internationales. La fonction du CT était de coordonner un travail entrepris en commun par plusieurs organisations séparées, sans que cela implique un quelconque regroupement, ni identité de positions politiques. Le CT exécutait des tâches à la fois "techniques" (édition de bulletins etc.) et "politiques" (décisions sur l'ordre du jour des Conférences, sur les groupes devant y participer, etc.) ; tout ceci dans le cadre des critères d'adhésion aux Conférences acceptés par ses participants. Par contre, le Bureau qui se définit comme "produit d'une première sélection et d'un processus d'homogénéisation dans le cadre des quatre premières Conférences Internationales" (Statuts, Revue Communiste n°1) ressemble plus à une véritable organisation politique où l'adhésion est basée sur une plateforme de positions politiques, et dont le fonctionnement est déterminé par des Statuts. On considère apparemment que la plateforme constitue une homogénéité politique, puisque : "Sauf cas exceptionnel et pour une période transitoire, il ne peut exister qu'une organisation adhérente dans un même pays" (Statuts) .Dès le départ le Bureau est infecté par une forte dose de fédéralisme : les organisations adhérentes dans différents pays gardent leur identité distincte, et "le Bureau entretiendra des rapports seulement avec les comités dirigeants de celles-ci" (Statuts). Encore un signe du désir, si cher au petit-bourgeois, de rester "maître chez soi".
Cependant, le BIPR n'est pas non plus une organisation politique, au moins pas dans le sens où nous l'entendons. Le CCI est une seule organisation internationale, basée sur une seule plateforme ([1] [68]), des statuts communs et dont les sections dans chaque pays ne sont que les expressions locales de l'ensemble. Fidèle au principe communiste de la centralisation, le CCI dans son ensemble est représenté par son Bureau International, élu au Congrès International ; les positions du BI sont toujours minoritaires à tous les niveaux de l'organisation, tout comme l'ensemble prime sur la partie.
Le BIPR, par contre, n'est pas une seule organisation ; il doit "organiser et coordonner le travail d'intervention (des organisations affiliées) et favoriser leur homogénéisation politique dans la perspective de leur centralisation organisative" (Statuts). Il n'a pas non plus une seule plateforme, mais trois : celle du Bureau, de BC, de La CWO (sans compter les plateformes "des groupes d'usines", "groupes de chômeurs", etc., un véritable embarras de richesses). En regardant le contenu de la plateforme du BIPR, nous sommes en droit de demander à BC/CWO quelle est leur "méthode pour résoudre les divergences politiques., afin de maintenir l'unité de l'organisation" sinon les "minimiser" ; quelle position, par exemple, doivent défendre les malheureux "camarades français","considérés comme militants du Bureau" (Statuts), sur le parlementarisme révolutionnaire, quand on sait que BC est pour, la CWO plutôt contre, tandis que la plateforme du BIPR, n'en parle pas du tout. Effectivement, nous ne pouvons pas accuser BC et la CWO de "minimiser" leurs divergences : ils les font carrément disparaître !
"Le Bureau n'est pas le Parti, il est pour le Parti" (Revue Communiste). Mais "pour" quel type de Parti est-il ?
Ici n'est pas le lieu pour revenir sur nos conceptions de base sur la constitution et la fonction du Parti de classe : nous renvoyons le lecteur à nos textes, notamment celui "Sur le Parti" du 5ème Congrès du CCI. Cependant, il faut, insister que la notion de Parti ne peut pas inclure tout et n'importe quoi, et un aspect essentiel de cette notion est le lien étroit entre l'existence du Parti et le développement de la lutte de classe. Le Parti est nécessairement une organisation politique avec une large influence au sein de la classe ouvrière, qui la reconnaît comme une de ses expressions.
Cette influence ne saurait être réduite à une simple question d'action mécanique du Parti où les "idées révolutionnaires" gagnent une "audience" de plus en plus grande dans la classe. Ceci, en fin de compte, revient à la vision idéaliste pour qui les "idées" du Parti deviennent la force motrice de la "masse" inerte du prolétariat. Dans la réalité il s'agit d'un rapport dialectique entre parti et classe, où l'influence croissante du Parti dépend de la capacité organisationnelle du prolétariat dans les assemblées et les soviets de faire sien et de mettre en action les orientations politiques du parti. Le programme révolutionnaire n'est pas simplement une question "d'idées" mais une "critique pratique" pour reprendre le terme de Marx. Seulement à travers l'action révolutionnaire de la classe ouvrière les positions du Parti peuvent trouver une vérification concrète : "la question de savoir si le penser humain peut prétendre à la vérité objective n'est pas une question de théorie, mais une question pratique." (Thèses sur Feuerbach)
On ne peut donc parler de Parti, en période de décadence/ en dehors de périodes révolutionnaires où pré-révolutionnaires, ce qui évidemment ne veut pas dire que le Parti se crée du jour au lendemain, à l'image d'Athéna qui est née adulte de la tête de Jupiter. Il sera le fruit d'un long effort de clarification et d'organisation préalable parmi les minorités révolutionnaires, ou il ne sera pas.
Notre conception du Parti est donc radicalement opposée à celle du bordiguisme "pur" de "Programme Communiste", pour qui c'est le parti qui définit la classe. BC et la CWO, par contre, occupent une position centriste entre les aberrations du bordiguisme et la position marxiste.
La définition du parti donnée par les bordiguistes de Proqramma a au moins la vertu de la simplicité : il existe un Parti Communiste International unique, fondé sur un programme qui est non seulement unique, mais invariant depuis 1848. Pour le BIPR également, l'existence du parti n'a rien à voir avec son "influence" dans la classe, mais dépend du programme, bien que le contenu du programme évolue dans l'histoire :
"La résolution théorique et politique des problèmes liés au repli de la grande expérience bolchevique sur le terrain du capitalisme d'Etat a permis, en pleine seconde guerre impérialiste, la réorganisation, autour de la doctrine et du programme communistes, de petites minorités érigées en parti, en ce sens qu'elles s'opposaient sur le plan théorique, sur le plan politique et sur le plan organisationnel à tous les autres partis bourgeois agissant aussi bien à l'extérieur qu'à 1'intérieur de la classe ouvrière" (Plateforme du BIPR)
Le BIPR reconnaît également que les conditions objectives de l'existence prolétarienne font que le même programme est valable pour tous les pays ; pour lui donc, "l'organe de direction politique pour l'assaut révolutionnaire ne peut être que centralisé et international" (Plateforme).
Un seul programme international donc, défendu par un Parti unique au niveau international. Mais alors à quoi sert le BIPR ? Si BC et la CWO sont vraiment convaincus que "les problèmes liés au repli de la grande expérience bolchevique" ont été "résolus" de façon à permettre "l'érection" d'un parti - c'est à dire le PC Int de 1942 (ou 1945 ? 1952 ?) - alors pourquoi un Bureau pour en créer un autre ? Pourquoi la CWO n'est pas devenue la section du PC Int en Grande-Bretagne ? A en croire le BIPR, il y a encore une étape à franchir :
"La fondation du Parti International du Prolétariat interviendra au travers de la dissolution des diverses organisations qui, à l'échelle nationale auront travaillé à la définition de sa plateforme et de son programme d'action et les auront mis en pratique". (Plateforme)
Voilà le Parti International qui sera fondé à partir d'organisations nationales dont certaines, au moins, sont déjà des partis, sur la base d'une plateforme qui reste à définir malgré la "résolution théorique et politique des problèmes liés à la grande expérience bolchevique". Malheureusement, nous devons faire preuve de la plus grande patience révolutionnaire, puisqu'il n'y a pas la moindre indication dans les textes de BC/CWO de ce qui reste "à définir" dans leurs plateformes.
Au moins nous n'aurons pas à attendre longtemps. "Où est-ce que la conscience communiste réside aujourd'hui au début du processus révolutionnaire ?" nous demande la CWO ("Consciousness and the rôle of revolutionaries, WV 16) ; et elle répond : "Elle réside dans le parti de classe. Le parti est dans la lutte quotidienne de la classe, jouant un rôle d'avant-garde à chaque instant afin de renvoyer à la masse prolétarienne d'aujourd'hui (nous soulignons) les leçons politiques de ses luttes d'hier" (WV 16). Formidable ! Le parti de classe existe déjà ! La conscience communiste "réside dans le parti de classe. Elle réside chez ceux qui débattent, définissent et promeuvent les buts basés sur les derniers 150 ans d'expérience de la lutte prolétarienne" (WV 16). Avec une définition pareille, même le CCI pourrait être le Parti !
Eh bien non, tout n'est pas si simple, parce que quelques paragraphes plus loin dans le même article de WV, nous lisons : "C'est pourquoi nous affirmons le besoin d'un parti qui est constamment actif au sein de la classe ouvrière jusqu'aux limites de ses forces et qui s'unit internationalement afin de coordonner le mouvement de classe à travers les frontières nationales. La naissance d'un tel parti à l'échelle internationale dépend à la fois d'une croissance de la conscience de classe chez les ouvriers et de l'activité croissante des minorités communistes dans la lutte quotidienne" (WV 16, nous soulignons).
Voilà donc la situation : le Parti existe et intervient aujourd'hui, c'est lui qui détient la conscience de classe ; mais le parti de demain reste à construire, grâce à la "croissance de la conscience chez les ouvriers". C'est pour cette raison que la CWO et le Parti Communiste Internationaliste ont crée un Bureau "pour le Parti".
Quant à ce que va faire ce Parti, là aussi nous regrettons la clarté bordiguiste, qui affirme sans détours que le Parti gouverne pour la classe et que la dictature du prolétariat est la dictature du parti. La plateforme de Battaglia, par contre, est. moins nette : d'un côté, "Le prolétariat ne cesse à aucun moment et pour aucune raison d'exercer sa fonction antagonique ; il ne délègue pas à d'autres sa mission historique ni ne délivre de procurations générales, même pas à son parti politique " (Plateforme de BC) ; mais de l'autre côté, le Parti doit "diriger politiquement la dictature prolétarienne", tant que "l'Etat ouvrier (est) maintenu sur la voie de la révolution par les cadres du Parti, qui ne devront en aucun cas se confondre avec lui ou s'y intégrer" (Plateforme de BC).
La CWO n'est pas meilleure : d'un côté, "Le communisme a besoin de la participation active de la masse des travailleurs qui doivent être tout à fait conscients des objectifs révolutionnaires propres au prolétariat, et celui-ci, dans son ensemble, participe à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique communiste par l'intermédiaire de ses organes de masse dont il contrôle les délégués" ([2] [69]) mais d'un autre côté, comme la CWO l'a plusieurs fois affirmé, c'est le Parti qui prend le pouvoir, et "C'est le parti communiste, avant-garde de la classe, qui organise et dirige le soulèvement révolutionnaire et toutes les actions importantes du prolétariat au cours de la période de transition, et le parti n'abandonnera pas ce rôle tant qu'il faudra un programme politique". (CWO, "La Période de Transition")
Nous attendons avec impatience que les camarades de BC/CWO, qui aiment tant le "concret", nous expliquent "concrètement" comment le Parti va "prendre" le pouvoir que la classe ouvrière "ne délègue pas". En tout cas ce n'est pas chez le BIPR qu'on doit chercher une réponse, puisque sa plateforme n'en souffle mot.
Le BIPR, en fin de compte, n'est ni un simple comité de liaison, ni une véritable organisation politique révolutionnaire. Il n'est pas le Parti, il est "pour" le Parti, mais il ne sait pas vraiment "pour" quel parti il est. C'est un animal encore plus monstrueux que le Griffon et, il faut bien le dire, encore moins viable.
S'il ne s'agissait là que de simples bouffons de music-hall, on pourrait en rire. Mais BC et la CWO font partie des maigres forces révolutionnaires dont la responsabilité est de défendre les positions de classe au sein de la lutte prolétarienne ; leurs défaillances, leurs concessions à l'idéologie bourgeoise dans la défense des principes, affaiblissent le milieu révolutionnaire et la classe dans son ensemble.
Parce qu'elle est une classe exploitée, le développement de la conscience de la classe ouvrière passe à travers une lutte permanente et acharnée. La moindre faille théorique devient une brèche par laquelle l'ennemi de classe peut introduire son poison mortel. C'est pourquoi le marxisme est une véritable arme de combat, indispensable à la lutte ; ceci explique aussi pourquoi les révolutionnaires marxistes ont toujours accordé tant de 1’importance aux questions théoriques générales qui peuvent sembler à première vue très éloignées des problèmes pratiques de la lutte de classe. Tout comme un défaut dans les fondations d'un immeuble affecte la stabilité de toute la structure, un défaut dans les conceptions de base d'une organisation révolutionnaire amène immanquablement l'affaiblissement de l'ensemble de son activité.
Les positions de BC/CWO sur la question syndicale sont une démonstration éclatante de ce principe.
Les premières déclarations générales de BC/CWO semblent être d'une clarté irréprochable :
"Le Parti affirme catégoriquement que dans la phase actuelle de la domination totalitaire de 1'impérialisme, les organisations syndicales sont indispensables à 1'exercice de cette domination dans la mesure même où elles poursuivent des buts qui correspondent aux exigences de conservation et de guerre de la classe bourgeoise. En conséquence, le parti estime fausse et rejette la perspective selon laquelle ces organisations pourraient, dans 1'avenir, "avoir à remplir une fonction prolétarienne et selon laquelle le parti devrait opérer un virage et adopter la position de conquérir par l'intérieur leurs postes de direction", (plateforme de BC)
"Au même titre que la social-démocratie, les syndicats montrèrent qu'ils étaient passés dans le camp du capitalisme en 1914 par leur soutien à la guerre impérialiste et leur appui à 1'intérêt national(...)...L'activité syndicale a toujours comme but de contrôler et dévoyer la lutte de classe" (Plateforme de la CWO).
Mais, l'explication du pourquoi de cette situation est fondamentalement erronée. Pour BC/CWO, les syndicats, aussi bien dans le capitalisme ascendant que dans le capitalisme décadent, ont été et sont les "médiateurs" entre le capital et le travail. Leur "fonction historique (est celle) de médiateurs avec le capital" ; ils sont les "médiateurs avec le patronat afin de négocier les termes de vente de la force de travail des ouvriers" (Marxism and the TU Question, RP 20). Il est impossible pour le "capitalisme de réaliser les objectifs de la transformation monopoliste de son économie sans la collaboration des syndicats avec une politique salariale qui concilie les exigences des ouvriers avec celles de la grande industrie" (BC, "Plateforme des Groupes Syndicaux Communistes Internationalistes. -Nous soulignons-)
"Le syndicat est l'organe de médiation entre le travail et le capital" (Plateforme du BIPR). Et la CWO finit même par affirmer qu'au début de la décadence "c'était le capitalisme qui a changé, non pas les syndicats" (TU's and Workers Struggles, WV n°16).
Au contraire, le passage du capitalisme au stade décadent, impérialiste, a modifié la nature des syndicats de fond en comble en les transformant en partie intégrante de l'Etat bourgeois. Evidemment, cette transformation n'a pas été réalisée du jour au lendemain : les syndicats anglais, par exemple, étaient déjà associés aux premières mesures de sécurité sociale dès 1911. Le processus n'était pas non plus immédiatement perçu par les révolutionnaires, comme en témoignent les positions souvent contradictoires de l'IC sur la question syndicale ; mais ceci dit, nous rejetons absolument toute idée de "médiation" qui, en introduisant une vision parfaitement interclassiste du syndicalisme, cache la réalité que, d'organes de la lutte ouvrière contre le capital, les syndicats sont devenus des rouages dans l'appareil policier de l'Etat capitaliste. BC et la CWO n'ont toujours pas compris cette réalité, parce qu'ils n'ont pas compris que le capitalisme d'Etat n'est pas une simple question de gestion d'une économie décadente mais aussi -et même surtout- une question d'un encadrement sans faille de toute la société civile.
Nous ne sommes donc pas surpris de voir la notion de syndicats "appartenant" aux ouvriers, que BC/CWO viennent d'éjecter par la porte, revenir par la fenêtre :
"La nature objective, irrémédiablement contre-révolutionnaire et anti-ouvrière des syndicats dans la période impérialiste ne modifie ni leur composition ouvrière, ni le fait que ce sont des organisations au sein desquelles le prolétariat agit collectivement pour s'auto-défendre au niveau immédiat". (Thèses du 5ème Congrès du PC Int (1982), traduit dans WV 16)
Immanquablement, les défaillances théoriques ont amené des concessions au syndicalisme dans la pratique. Déjà en 1952, BC était loin d'être aussi clair que la CWO aime le prétendre. Malgré la dénonciation de la nature bourgeoise des syndicats, "le parti estime que ses militants doivent participer, dans l’intérêt général du prolétariat, à toutes les manifestations intérieures de la vie syndicale, en critiquant et en dénonçant la politique des dirigeants syndicaux ...(...)...le parti ne sous-estime pas l'importance d'être présent, là où les rapports de force le permettent, aux élections des organes représentatifs du syndicat ou de l'usine" (BC, Plateforme de 1952).
L'ambiguïté est encore plus marquée dans un texte intitulé "Formation et devoirs des groupes d'usines": "A la vie du "groupe d'usine " participent autant les inscrits que les non-inscrits au syndicat ; le devoir du groupe est avant tout celui de conduire la lutte contre l'usage et l'abus de la délégation imposée par la direction syndicale qui limite et empêche la libre participation au syndicat adoptant envers les travailleurs une discrimination policière visant à écarter tous ceux qui sont suspects d'être porteurs d'une ligne syndicale en opposition avec la ligne dominante" (nous soulignons) . En somme c'est la lutte pour la démocratie syndicale...
La plateforme de BC adoptée en 1982 n'est pas plus claire mais elle est plus pudique : on ne parle plus des élections syndicales mais seulement de "l'activité du Parti (qui) sera conduite à l'intérieur ou à l'extérieur des organisations syndicales, suivant les conditions matérielles dans lesquelles les communistes se trouvent."
Par contre, la CWO dans ses derniers textes, est en train d'abandonner la clarté (très relative) de sa propre plateforme. D'après la plateforme (adoptée en 1982) :
"A ceux qui disent que les révolutionnaires doivent travailler à 1'intérieur du cadre syndical (par exemple : dans les comités d'atelier, dans les comités de base, dans les réunions de section) afin d'accroître leur influence dans la classe, nous rétorquons qu'une telle activité ne peut que répandre des illusions sur la nature de classe des syndicats et sur la possibilité de les transformer ...la seule façon dont la classe peut commencer à lutter pour ses propres intérêts c'est en sortant du cadre syndical...". Neuf mois plus tard, (dans RP 20) nous lisons : "Si le fait d'être membre des syndicats donne aux communistes un accès aux assemblées générales, aux comités de grève, aux réunions de section (bien que la présence à ces dernières serait inutile actuellement en Grande-Bretagne) (nous soulignons) afin de dénoncer les manoeuvres des syndicats envers la majorité des ouvriers et de mettre en avant une alternative pratique révolutionnaire, nous ne nous abstiendrons pas". Un an plus tard, c'est le vieux refrain gauchiste : "Souvent ceux qui restent dans les syndicats sont parmi les plus militants...Le fait d'être membres ordinaires des syndicats peut permettre aux révolutionnaires de combattre les manoeuvres syndicales plus efficacement". (WV 16)
BC/CWO nous ont accusé de "saboter la discussion". Comment pouvons nous discuter sérieusement avec des gens qui changent de position sur les principes de base, les lignes de classe, d'un mois à l'autre et sans un mot d'explication ?
Le pire c'est que le flou et l'équivoque de BC/CWO sur le travail syndical à la base sont devenus doublement dangereux dans la période actuelle. La CWO déclare ne rien comprendre à notre analyse de "la gauche dans l'opposition" parce qu'elle n'aurait pas d'impact sur notre intervention. Ce que vous n'avez pas compris, camarades, c'est que son but n'est pas tant de modifier notre intervention que de la maintenir face aux tactiques de la gauche bourgeoise. Cette analyse donne un cadre théorique à un processus que tous ceux avec une expérience minime de la lutte quotidienne ont déjà pu constater : face au dégoût croissant pour les partis de gauche, c'est de plus en plus les syndicats qui doivent encadrer les ouvriers, et face à l'abandon progressif des syndicats, c'est de plus en plus le syndicalisme de base qui doit ramener les ouvriers "sur le bon chemin". C'est à partir de ce cadre que nous pouvons comprendre l'implication croissante des gauchistes dans les syndicats, l'apparition de syndicats "autonomes" (France) ou du "syndicalisme de combat" (Italie), la radicalisation et la politisation du syndicalisme de base en général.
Et parce qu'ils n'ont rien compris à cette période, ni au développement de la conscience de classe qu'elle implique, ni à la nature de l'attaque bourgeoise, BC et la CWO sont en train de foncer tête baissée dans les pratiques d'un syndicalisme de base radical.
Dans la grève des mineurs en Grande-Bretagne, toute l'intervention de la CWO tourne autour du slogan "victoire aux mineurs". La dénonciation effrénée des "jaunes", l'insistance sur la nécessité d'empêcher le transport de charbon revient simplement à faire une politique syndicale radicale. Les dizaines de milliers de mineurs qui ont refusé de suivre la ligne syndicale, les dockers qui ont fait de même lors des dernières grèves, ne sont certes pas une expression claire d'une conscience anti-syndicale ; mais la réaction débile de la CWO, qui ne trouve rien de mieux que de surpasser le syndicat dans ses attaques contre les "jaunes" ignore totalement le développement ces dernières années d'une énorme méfiance chez les ouvriers envers tout ce qui est syndical. La bourgeoisie, elle, en est consciente ; elle est prête à tout pour empêcher la jonction de ces deux masses de combativité et de méfiance, de peur qu'elles ne deviennent une masse critique.
Nous nous souvenons des revendications "pratiques" de la CWO dans le passé : celles-ci allaient d’un aventurisme ridicule (l'appel à la "révolution maintenant" en Pologne 1980) à un gauchisme banal (les slogans contre les hausses de salaire en pourcentage et pour les hausses égales pour tous). Evidemment ces glissements dans le gauchisme ne lui ont rien appris, puisque aujourd’hui encore la CWO appelle les mineurs anglais à établir des "revendications précises" (sans toutefois préciser lesquelles). Voir "Miners'Strike Must be Won, WV 16) Une telle attitude envers la lutte met l'intervention des communistes sur sa tête. Dans la réalité, toute lutte importante a sa propre dynamique qui tend à dépasser très rapidement les "revendications spécifiques" avec lesquelles elle a démarré. L'exemple de la Pologne 1980 est frappant à cet égard : la revendication initiale des ouvriers des chantiers navals Lénine pour la réintégration d'un camarade licencié, est devenue parfaitement secondaire quand la lutte s'est étendue aux autres secteurs. La grève des mineurs montre la même tendance : partie sur la question des licenciements, elle a soulevé depuis des revendications pour la réduction des heures de travail, l'augmentation des salaires etc. -
Ceux, par contre, qui se font les spécialistes des "revendications spécifiques", ce sont les syndicats et les syndicalistes de base. Pour les syndicats, les "revendications spécifiques" sont une arme précieuse afin de freiner la lutte, de la figer sur son point de départ, de la dévoyer vers des perspectives bourgeoises, de 1'isoler dans sa spécificité au lieu de la généraliser vers le reste de la classe. Là encore, la Pologne 1980 et la Grande-Bretagne 1984 fournissent des exemples frappants. Ce n'est pas un accident si l'existence du syndicat Solidarnosc est fondée sur les accords de Gdansk. Quant à la grève des mineurs, tout le jeu des soi-disant "négociations" entre le NUM et le patronat sur la définition exacte d'un puits "non rentable" ne sert qu'à cacher la profonde identité de la grève des mineurs avec la lutte du prolétariat dans son ensemble contre une attaque générale de la bourgeoisie.
De la même façon, au niveau de l'extension de la lutte, la CWO reste prisonnière des "précisions". Dans l'article sur la grève des mineurs que nous venons de citer, la solidarité ouvrière est vue simplement en termes de lutte des mineurs et de la nécessité d'empêcher le mouvement du charbon. Mis à part le fait que ce genre d'action est très facilement récupérable (on se rappelle des campagnes nationalistes de la CGT contre le "minerai allemand" lors des dernières luttes en Lorraine), cette perspective "économiste" de la lutte ignore le réel développement politique de la lutte ; surtout, elle passe complètement à côté de ce que doit être l'intervention spécifique d'une organisation communiste : dissiper les nuages de fumée sur le charbon anglais, l'économie nationale, la politique de la droite etc., pour faire apparaître en pleine lumière la nécessité de la solidarité ouvrière et comment la construire. Pour en donner un exemple, la participation des mineurs dans l'occupation des chantiers navals de Camnell Laird n'avait rien à voir avec le mouvement du charbon ; elle avait tout à voir avec la conscience grandissante au sein du prolétariat que sa lutte est une lutte générale et politique contre le capital. C'est cette conscience que les communistes ont le devoir de pousser, de développer en s'attaquant inlassablement à tout ce qui risque de l'empêtrer dans les "spécificités", les "précisions" de chaque lutte.
Là où la CWO est en train de tomber dans les pratiques du syndicalisme de base, BC ne s'en est jamais vraiment sorti. Un article de"Battaglia Comunista" traduit dans WV 16 ("Communist Intervention in Italy") nous montre ce dont les "groupes d'usine" sont réellement capables, et nous ne pouvons que regretter que cet article significatif soit aussi limité dans le détail. Après le nouveau "Décret sur les salaires" du gouvernement Craxi, "Nos camarades (c'est à dire les militants du PC Int, NDLR) avaient du pain sur la planche, rien que pour faire démarrer la première assemblée à la gare de Milan Farini. Ils n'ont réussi qu'en récoltant avec les délégués combatifs (dont un seulement était membre du PC italien), les signatures de tous les ouvriers du secteur marchandises".
L'article ne précise pas d'où venaient ces "délégués combatifs" - des syndicats ? Des "comités de lutte"? On ne nous explique pas non plus pourquoi il est nécessaire de "récolter des signatures" pour démarrer une PG - à moins qu'il ne s'agisse d'une assemblée appelée selon les règles syndicales. En tout cas, le résultat de l'AG est - une grève de 24 heures. Là encore, on ne précise pas quelle était l'attitude de BC envers cette proposition, qui est parfaitement typique des artifices du syndicalisme de base destinés à laisser "échapper la vapeur".
Mieux encore "L'assemblée., décida de ne pas fixer le jour de la grève tout de suite, puisqu'il y avait des nouvelles que des assemblées devaient être appelées dans d'autres ateliers et parmi les ouvriers de Milan Central". Ici, une fois de plus, nous n'avons aucune indication de la position de BC sur cette manoeuvre classique du syndicalisme de base : sous le couvert de la "solidarité" on fait poiroter les ouvriers dans une attente débilitante afin de casser la dynamique vers l'extension et la radicalisation de la lutte.
Et la conclusion que tirent BC et la CWD de cet épisode lamentable ?
"Il reste pour nos camarades la tâche difficile d'organisation et de clarification de l'avant-garde combative qui a émergé pendant cette lutte, dans le but d'empêcher sa réabsorption dans les forces du PC italien et de la majorité (?) de la CGIL" (nous soulignons). Là au moins, BC va "assumer la responsabilité qu'on est en droit d'attendre d'une force sérieuse dirigeante". BC ferait mieux de se demander à quoi correspond une activité qui consiste :
Avant de conclure sur la question syndicale, il convient de relever une dernière "tactique" particulièrement répugnante que la CWO a puisée dans l'arsenal du syndicalisme de base : le dénigrement des organisations révolutionnaires. Effectivement, dans WV 16 ("Miners Strike and Communist Intervention") nous lisons que le CCI "défend les jaunes et contribue à la démoralisation", qu’il "sème le défaitisme et l'aventurisme", qu'il "sape les tentatives de la classe de frapper le patronat en bloquant le transport de charbon" ; en conclusion, le CCI "défend avec Thatcher et la police, le droit de faire le jaune". Surtout depuis ces derniers mois, nos militants sont systématiquement dénoncés à la police, ou menacés physiquement par les syndicalistes. A plusieurs reprises, ils s'en sont tirés, sous le nez des syndicats, uniquement grâce à la protection des ouvriers. Les syndicats nous accusent de "briser l'unité des ouvriers" d'être des "casseurs" ou des "provocateurs", d'être "à la solde des fascistes" ou de la CIA. Nous avons l'habitude de ce genre d'injure de la part des syndicats et des gauchistes. La CWO vient de nous apprendre que nous devons également nous habituer à l'entendre de la part de révolutionnaires. Pour notre part, nous continuerons d'insister au sein du prolétariat Pour que ses assemblées, réunions, comités de grève soient ouverts à tout ouvrier et à toute organisation révolutionnaire. C'est le seul chemin pour le développement de la conscience politique de la classe prolétarienne.
Dans un prochain article, nous analyserons les glissements de CWO-BC sur le parlementarisme et les luttes de libération nationale.
Arnold
[1] [70] Jusqu'en 1976 plusieurs sections territoriales avaient leur propre plateforme ; mais à l'encontre du BIPR il s'agissait là de simples survivances historiques de la même façon que l'appendice chez l'homme est une survivance de nos origines herbivores. L'élimination de ces survivances a été aussi banale qu’une appendicectomie.
[2] [71] La CWO a depuis (RP n°21) taxé cette position "d'éclectisme". Les camarades devraient nous donner une indication détaillée des positions de leur plateforme auxquelles nous pouvons faire confiance.
Les positions politiques d'un groupe révolutionnaire constituent un élément crucial pour comprendre sa réalité. Mais cela ne suffit pas.
Il faut aussi envisager la pratique du groupe et la dynamique globale de son évolution : d'où vient-il, vers où peut-il aller ? Une même erreur politique, par exemple, aura une signification très différente suivant qu'elle est le fait d'un jeune groupe qui tâtonne à la recherche d'une cohérence politique de classe, ou qu'elle soit commise par une "vieille" organisation sur la pente d'une dégénérescence ou sclérose irréversible.
'Les thèses du collectif Alptraum que nous publions ici sont par elles-mêmes un document intéressant du point de vue de classe. Mais leur valeur apparaît plus importante si on les envisage dans leur contexte et leur dynamique.
Dans un pays comme le Mexique, le rejet ferme et explicite de toute démarche nationaliste, la dénonciation - d'un point de vue prolétarien - du capitalisme d'Etat cubain ou nicaraguayen ainsi que des luttes de libération nationale, ont d'autant plus de valeur et d'importance que le prolétariat y est abreuvé du matin au soir par toutes les organisations politiques d'une pernicieuse et omniprésente propagande nationaliste reposant sur l'idéologie de 1'"anti-yankee". Dans ces conditions, une voix qui affirme clairement et fortement le caractère international du combat prolétarien et 1'irréconciliabilité totale de celui-ci avec toute idéologie nationaliste, constitue un souffle d'air et de lumière inestimable
Par ailleurs, ces thèses sont le produit d'une évolution qui, depuis plus de deux ans, ont conduit les éléments du collectif Alptraum à rompre avec leur organisation d ' origine, le PMP (Parti Mexicain du Prolétariat), où des positions politiques authentiquement de classe flottaient dans une totale inconsistance et à s'orienter avec une assurance toujours plus grande vers une cohérence politique réelle.
Ces thèses peuvent ainsi constituer une étape importante vers le développement au Mexique d'une expression communiste véritablement consistante et agissante, et elles doivent être saluées comme telles. Cela ne nous empêche pas, au contraire, de signaler ce qui nous semble y traduire des faiblesses qui doivent être surmontées si les camarades d'Alpatraum veulent mener à bien leur présente dynamique. C'est ce que nous chercherons à faire dans les commentaires qui suivent ces thèses.
THESES :
"La vie de l’industrie se convertit en une suite de périodes d'activité moyenne, de prospérité et de stagnation" Karl Marx, Le Capital.
1- La crise capitaliste actuelle possède une dimension internationale et doit être conçue corme une crise classique de suraccumulation, dans laquelle se vérifie le cycle industriel dont la séquence contient nécessairement les moments de prospérité, de crise et de stagnation.
La nature et le mouvement contradictoire du capitalisme apparaissent clairement dans le déroulement du cycle périodique qui parcourt l'industrie et dans le mouvement final de celui-ci : la crise générale.
Carme crise de suraccumulation, elle explose d’abord dans le domaine de la spéculation pour atteindre plus tard la production, le commerce et le marché financier. La spéculation ne fait que fournir des issues momentanées à la suraccumulation capitaliste. La désorganisation de la production qui suit la spéculation existe nécessairement carme résultat de l'exubérance de la période précédente de prospérité.
Le scénario de la crise est universel, tant par l'extension mondiale du capitalisme, que par l'intensification de son emprise sur la totalité des branches de la production qui constituent l'économie mondiale.
La crise a une dimension mondiale, puisque dans son développement, elle a décrit une orbite qui s'étend, une spirale qui, partant des pays capitalistes développés (avec une composition organique du capital plus grande), a inclus le reste des pays qui constituent avec les nations développées, le système capitaliste mondial. Ses effets se font sentir de manière intense dans l'ensemble de l'économie capitaliste.
La crise que nous vivons est le résultat du choc entre le développement énorme atteint par les forces productives, c'est-à-dire par la richesse existante, et les rapports capitalistes de production qui imposent l'appropriation privée de celle-ci. De cette façon, nous observons comment le développement des forces productives se transforme en obstacle pour le capital. De ce fait, le rapport capitaliste de production se transforme en une barrière pour le développement du travail en tant que force productive.
La crise exprime dans son développement la nature contradictoire de la réalité capitaliste et le caractère historiquement limité de ses rapports de production qui ne peuvent contenir, en leur sein, le développement progressif des forces productives sociales. Les moments de crise sont ceux dans lesquels le capitalisme doit nécessairement détruire une masse croissante de forces productives, mettant en évidence de cette manière sa nature décadente.
Le capitalisme dans cette logique impose alors la destruction violente et périodique d'une masse croissante de forces productives sociales parmi lesquelles se trouve le prolétariat. De cette tendance interne surgit la nécessité des guerres pour prolonger son existence comme un tout. Historiquement, on a vu qu1 après chaque guerre apparaît une période de reconstruction.
2- Avec 1'exacerbation de la crise, le système capitaliste établit les conditions de la possibilité de sa subversion.
La crise, avec son approfondissement croissant, fournit les conditions pour le développement de la conscience prolétarienne et de son auto organisation. En conséquence, le capital tente de détruire le germe de cette conscience en intégrant le prolétariat de chaque pays à ses schémas idéologiques ; en renforçant de cette manière 1'i-déologie nationaliste et les idéologies marginales comme : le féminisme, 1fécologisme, la lutte pour la paix, le mouvement homosexuel, etc, afin de fragmenter et disperser la conscience prolétarienne qui d1 elle-même est internationale et totale.
Le capital sait que l'unique issue à la crise de surproduction est la guerre et pour y arriver, en premier lieu, il doit détruire tout vestige de conscience prolétarienne.
Hier, le fascisme et 1'antifascisme ont été des moyens efficaces pour intégrer la prolétariat à l'idéologie bourgeoise ; aujourd'hui c'est le mythe du"bloc socialiste" contre le "monde occidental démocratique". La défense du capitalisme d'Etat à Cuba, au Nicaragua, et des mouvements de libération nationale au Guatemala, au Salvador, etc, a une intention claire, enrôler le prolétariat mondial pour la cause d'un des deux blocs capitalistes qui s'affrontent, et le conduire à une troisième guerre mondiale.
3- À partir années 60, s'est produit le resurgissement, au niveau mondial, de l'activité révolutionnaire du prolétariat.
Un mouvement international se développe sous la forme de vagues successives d'offensive de recul dans lequel les diverses fractions nationales du prolétariat se lancent contre le pouvoir bourgeois mondial.
Le cours historique de la lutte de classe actuelle est déterminé par les rapports de force entre le capital et le prolétariat en Europe occidentale, étant donné que c'est de cette corrélation que dépend l'ampleur de l'affrontement de la lutte de classes dans le reste des pays qui forment le capitalisme dans son unité mondiale.
A partir de la défaite du mouvement prolétarien polonais, due, fondamentalement aux actions médiatrices du syndicat Solidarnosc, s'est ouverte une période de reflux qui a été dépassée rapidement par le développement des grèves en Hollande et en Belgique, en 1983, et les mobilisations récentes en France, en Angleterre et en Allemagne.
Nous vivons une période qui se caractérise par le réveil du prolétariat dans son unité et sa continuité historique comme sujet. De ce fait le surgissement de groupes communistes constitue un moment du développement de son auto-conscience.
4- Les organisations qui ne reconnaissent pas le rôle révolutionnaire du prolétariat ne pourront pas assumer les tâches que leur impose le mouvement historique de la classe. Les organisations communistes devront se transformer en ponts théorico-politiques qui transmettent et assimilent les expériences et héritages révolutionnaires du mouvement prolétarien dans le sens de son histoire.
Le programme de ces organisations développera et synthétisera l'expérience et l'héritage historique du prolétariat en tant qu'unité. De cette manière, les principes de classe prolétariens exprimeront la dimension historique du mouvement prolétarien et synthétiseront son expérience théorico-politique.
5- Nous reconnaissons l'existence d'un milieu marxiste révolutionnaire international constitué par des organisations révolutionnaires (CCI, OO, PCI (Battaglia Ccmunista) , etc.) qui, malgré leurs multiples faiblesses, soutiennent et défendent les principes politiques essentiels de la lutte prolétarienne.
Les communistes ne sont pas extérieurs à la classe prolétarienne, ils constituent les éléments les plus lucides de celle-ci. Leur rôle ne réside pas seulement à pousser l'organisation du prolétariat comme moment nécessaire de sa propre organisation, mais à développer son activité pour développer l'auto-conscience du prolétariat. Les communistes incarnent la continuité de la lutte historique de classe dans ses moments les plus hauts comme la Commune de Paris, la Révolution Russe, la Révolution Allemande, etc.
Les points centraux qui de notre point de vue vont les différencier du camp bourgeois sont :
- la reconnaissance de la décadence du système capitaliste ;
- la reconnaissance de la classe ouvrière comme sujet de la Révolution ;
- le rejet des syndicats (en se maintenant en dehors d'eux) ;
- le rejet du parlementarisme et de toute opposition électorale ;
- le rejet de tout type d'alliance avec un quelconque secteur de la bourgeoisie ;
- le rejet des fronts populaires et des mouvements de libération nationale ;
- la reconnaissance que dans les pays dits "socialistes" domine le mode de production capitaliste dans sa forme spécifique du capitalisme d'Etat ;
- la reconnaissance que la Révolution Communiste aura un caractère éminemment international ;
- la reconnaissance que le socialisme ne réussira que par l'abolition des rapports capitalistes (Je production, et spécifiquement, avec l'abolition du travail salarié ;
- la reconnaissance de la nécessité de forger le parti du prolétariat, qui aura une dimension internationale.
De notre point de vue, avec l'accélération de la lutte de classes, la discussion entre révolutionnaires et leur intervention organisée à l'échelle internationale sont nécessaires et inévitables.
6- Nous considérons que le capitalisme se trouve en décadence. Décadence qui implique le déclin du mode de production spécifiquement capitaliste, dans lequel domine le capital industriel, comme rapport social de production.
La décadence du système implique l'accentuation de la concurrence et de l'anarchie de la production spécifiquement capitaliste, et en général, 1'exacerbation et l'approfondissement de toutes ses contradictions, parce que le capitalisme a atteint ses limites historiques, celles que lui imposent son propre développement et sa nature contradictoire. Ceci s'exprime dans le choc périodique et chaque fois plus violent entre les forces productives et les rapports de production.
La loi qui nous explique le développement du système capitaliste de production est aussi la base adéquate pour comprendre sa nature décadente. De notre point de vue, aussi bien le développement que le déclin du système reposent sur deux déterminations essentielles, à savoir, une qui se manifeste par la baisse tendancielle du taux de profit et l'autre qui constitue son contenu et s'exprime dans la subordination formelle et réelle du travail au capital.
Dans la baisse tendancielle du taux de profit s'exprime la nature décadente du système capitaliste. Ce système a pour objet la formation ininterrompue et croissante de capital. Cela implique une expansion croissante du capital et l'augmentation concomitante de la productivité sociale du travail qui se traduit à son tour par un développement accéléré des forces productives.
A mesure que s'effectue cet accroissement du capital sa composition organique change, augmente ; il se produit ainsi une augmentation du volume des moyens de production et de la production même par rapport à la composition de la valeur du capital. Ceci aboutit à la baisse graduelle du taux de profit, puisque la partie variable du capital, celle qui produit la plus-value, diminue.
C'est à ce moment qu'apparaît la crise capitaliste, quand le capital accumulé est supérieur par rapport au taux de profit qu'il est capable de fournir ou bien quand la composition organique croissante ne correspond pas à une augmentation équivalente de valeur.
De cette manière, la suraccumulation de capital _ par rapport à la capacité d'exploiter le travail conduit le système capitaliste à la crise, laquelle peut-être contrecarrée par l'accumulation même de capital, au travers de diverses mesures inhérentes au processus même de l'accumulation. L'une d'elles est l'augmentation de la masse de plus-value obtenue par l'augmentation de la masse totale de capital qui emploie un_ plus grand nombre de travailleurs ; ou bien, elle peut être contrecarrée aussi au moyen de la productivité croissante du travail qui implique une augmentation du taux d'exploitation, laquelle s'obtient au moyen de l'extraction de plus-value absolue et relative. Mais ces actions pour contrecarrer la baisse ne peuvent être utilisées indéfiniment, car il arrive un moment où le nombre de travailleurs ne peut plus être augmenté, où le temps de travail ne peut plus être prolongé et où le travail socialement nécessaire ne peut être réduit, du fait des limites naturelles et sociales qui existent. Le développement des forces productives mène ainsi à une contradiction ouverte avec les rapports de production capitalistes, qui portée à ses limites absolues signifierait un manque de plus-value par rapport à la masse du capital accru et à ses exigences d'expansion. C'est à ces limites qu'arrive le capitalisme, qui mené par sa propre nature contradictoire entrave en son sein le développement progressif des forces productives.
Nous reconnaissons corme seul sujet révolutionnaire le prolétariat. A ce marient de la décadence irréversible du système capitaliste (voir thèse 6 ) le prolétariat doit rompre avec toute entente idéologico-politique avec le capital (que ce soit le capital avancé ou privé) .
Nous considérons que toute perspective qui part du cadre national se trouve d'avance aliénée au capital qui fonde son existence dans l'humus de la nation. La lutte prolétarienne se propose d'emblée de rompre avec tout type de barrières nationales.
Toutes les tendances et partis bourgeois (de la droite à la gauche) se trouvent sur des positions inter-classistes (féminisme, fronts populaires, etc.) pour lutter contre le prolétariat.
Le prolétariat s'affronte au capital dans sa totalité, en marge de ses fractions ou secteurs, et même si sa lutte s'effectue de manière formelle dans le cadre national, elle est par son contenu internationale.
8- Nous considérons que le parlement et le syndicalisme ne constituent pas un moyen de lutte pour le prolétariat dans ce pays ou dans n'importe quel autre, puisque ces formes sont utilisées par la bourgeoisie pour médiatiser les luttes prolétariennes et les intégrer. Le parlement et le Syndicalisme constituent une mystification de plus du capital, qui renforce son schéma de domination sur la classe ouvrière, aliénant son activité révolutionnaire.
9- Nous considérons qu'il n'existe aucune fraction bourgeoise progressiste, et que la stratégie du prolétariat ne doit comporter aucune alliance avec un secteur quelconque de la bourgeoisie, pour aissi "progressiste" qu'elle paraisse. La lutte de la classe ouvrière doit être l'oeuvre de la classe ouvrière elle-même.
10- Nous considérons que la notion de capital monopoliste d'Etat ne parvient pas à rendre compte du développement du capitalisme dans ses déterminations essentielles, mais constitue un subterfuge idéologique de plus sur l'interprétation de la réalité capitaliste, qui sert de base à la gauche du capital pour justifier ses alliances avec les secteurs privés de la bourgeoisie. L'intervention croissante de l'Etat dans l'économie obéit uniquement à l'anarchie même de la production capitaliste, et sa présence exprime 1 ' exacerbation des contradictions du système capitaliste.
11- Nous considérons que toute nationalisation.» ou étatisation des moyens de production, loin de nous préparer au communisme, renforce la domination du capital social sur le travail salarié.
Dans le cas de l'étatisation bancaire, et spécifiquement celle qui s'est effectuée il y a deux ans au Mexique, le capital financier en tant que rapport de production spécifique n'a pas été éliminé, puisque le rôle de celui-ci au sein du processus de reproduction du capital continue d'être en vigueur.
Le capital social n'est pas non plus éliminé comme tel, puisque qu'avec l'étatisation, seule est modifiée la propriété juridique sur un mécanisme qui organise la circulation du capital, au sein du cadre des rapports capitalistes de production.
De cette manière, l'Etat se transforme en propriétaire juridique du capital, en une de ses expressions reproductives : le capital qui donne ses intérêts.
Ce qui résulte de ce mouvement, c'est la dépersonnalisation de la fonction qu'accomplit le capital financier, au sein des rapports capitalistes de production et de sa logique reproductive, la préservant à un niveau supérieur de développement.
De cette manière, nous observons que les rapports capitalistes de production adoptent un caractère plus abstrait et impersonnel, rendant ainsi plus évident le fétichisme inhérent à ceux-ci. L'Etat, en tant que capitaliste collectif réel intégrant le personnel bancaire et salarié en général à un schéma de domination plus abstrait et aliénant. L'Etatisation est un moyen pour garantir la logique reproductive du capitalisme national et international, indépendamment et par dessus toute fraction bourgeoise.
Dans ce sens, nous pouvons affirmer que la mesure prise par l'Etat mexicain a, comme but principal celui de préserver la configuration sociale capitaliste.
NOS COMMENTAIRES ET CRITIQUES
Le CCA (Collectif Communiste Alptraum) a réalisé depuis les temps où ses membres faisaient encore partie du PMP, une évolution - déterminée en grande partie par ses contacts avec le CCI - qui les a conduits à rompre avec le flou et l'inconsistance du PMP et à se définir politiquement dans le camp prolétarien. Leurs "thèses" constituent effectivement un cadre politique qui le situe au sein du cadre défini à travers l'histoire par l'expérience théorico-politique du mouvement révolutionnaire prolétarien.
Les thèses se prononcent sur l'ensemble des questions qui ont été au centre des préoccupations du mouvement ouvrier depuis la dernière grande vague de luttes internationales (1917-23) et la 3ème Internationale qui en fut la principale manifestation politique.
En réaffirmant la nature décadente du capitalisme dans sa phase historique actuelle, ainsi que l'ensemble des conséquences de cette réalité sur les formes et le contenu de la lutte ouvrière dans cette époque : impossibilité de la lutte pour des réformes durables au sein du système capitaliste, rejet du syndicalisme, du parlementarisme, des luttes de libération nationale, des politiques de front unique ; en reconnaissant la nature capitaliste des pays dits "communistes" et le caractère universel de la tendance au capitalisme d'Etat ; en réaffirmant la nature internationale de la lutte prolétarienne ainsi que son organisation politique et la nécessité de son intervention, le CCA a su, à travers ses thèses, se définir politiquement en sachant se situer dans la réalité historique du combat de classe.
Les thèses tracent aussi une analyse du cours historique de la lutte de classe et savent reconnaître 1'ampleur et 1'importance des combats prolétariens présents ainsi que la situation centrale du prolétariat d'Europe occidentale.
Tout cela exprime une véritable lucidité de classe qui sait dégager de l'histoire des moyens de comprendre le présent.
Nous avons signalé des qualités importantes de ce texte. Penchons-nous maintenant plutôt sur ce qui nous semble y traduire des manques. Deux faiblesses principales : la première au niveau de l'analyse du rôle des organisations révolutionnaires ; la deuxième au niveau de l'analyse économique, qui tient dans ces thèses tant de place.
Les organisations révolutionnaires.
Les thèses d'Alptraum affirment clairement l'appartenance des organisations communistes au prolétariat et ce qu'elles représentent du point de vue de la clarté de vue et de la continuité du combat historique de leur classe. Mais elles disent peu, trop peu, sur le rôle actif de celles-ci au sein des combats prolétariens et le caractère crucial de leur intervention à l'époque présente.
Alptraum reprend bien cette idée du célèbre extrait du Manifeste Communiste de 1848 suivant laquelle "du point de vue théorique, (les communiste ) ont sur le reste de la masse prolétarienne 1'avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier."
C'est ainsi que les thèses disent : "Les communistes ne sont pas extérieurs à la classe prolétarienne, ils constituent les éléments les plus lucides de celle-ci. (...) Les communistes incarnent la continuité de la lutte historique de classe dans ses moments les plus hauts comme la Commune de Paris, la révolution russe, la révolution allemande, etc. . " (Thèse 5)
Tout cela est vrai et important à comprendre.
Mais la plus grande "lucidité", les plus grandes "synthèses de l'expérience historique" ne seraient rien si elles n'étaient que moyens "d'interpréter le monde". Les organisations communistes sont un instrument du prolétariat pour s'autotransformateur et pour transformer le monde.
Tournant le dos à tout esprit académiste, les communistes n'analysent pas la réalité pour le goût de l'analyse en soi mais pour mieux participer et orienter le combat réel concret ~di leur classe, c'est-à-dire pour intervenir dans celui-ci.
Sur cet aspect de l'activité des communistes, les thèses se contentent d'affirmer, en passant :
"De notre point de vue, avec 1'accélération de la lutte de classes, la discussion entre révolutionnaires et leur intervention organisée à l'échelle internationale sont nécessaires et inévitables. "
Au moins, au niveau de 1'insistance il manque aux thèses de mieux souligner la place pratique des organisations dans leur classe, leur caractère d'avant-garde la plus résolue au sein des combats.
Il manque cet autre partie de l'extrait déjà cité du Manifeste et qui dit : "Pratiquement, les communistes sont donc la partie la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui va toujours de l'avant."
Ce n'est pas dans un avenir plus ou moins lointain que l'intervention des organisations révolutionnaires sera "nécessaire" et "inévitable". C'est dès à présent, dans les combats actuels, que cette intervention est indispensable.
Dans ses thèses Alptraum rend bien compte de la gravité de la situation historique actuelle :
"Nous vivons une période qui se caractérise par le réveil du prolétariat dans son unité et sa continuité historique comme sujet."
Et de façon plus précise :
"A partir de la défaite du mouvement prolétarien polonais, due fondamentalement aux actions médiatrices du syndicat Solidarnosc, s'est ouverte une période de reflux qui a été dépassée rapidement par le développement des grèves en Hollande et en Belgique en 1983, et les mobilisations en France, Angleterre et Allemagne." (Thèse 3)
On est en droit d'être surpris qu'aucun accent ne soit mis sur l'importance actuelle de l'intervention des organisations communistes dans ces grèves.
Certes, Alptraum n'est encore qu'un "collectif", une sorte de "cercle". Mais, premièrement, cela ne change rien à l'importance de 1'intervention pour définir en termes généraux le rôle des organisations révolutionnaires, et deuxièmement, Alptraum possède déjà un cadre politique qui lui permet et exige de lui d'envisager l'intervention organisée systématique continue dans la classe comme tâche urgente.
L'histoire s'accélère et les révolutionnaires doivent savoir adapter en conséquence leur rythme d'existence.
L'analyse économique.
Il y a peut-être un lien entre cette sorte de "lenteur" ou d'"attentisme" politique et certains aspects de l'analyse économique exposée dans les thèses.
Ainsi, la thèse n°1 dit : "La crise capitaliste actuelle (...) doit être conçue comme une crise classique de suraccumulation." Une crise "classique" de suraccumulation ? Alptraum semble assimiler la crise actuelle à ces crises de croissance que connaissait périodiquement le capitalisme au 19ème siècle.
Il est vrai qu'il y a des mécanismes et des contradictions analogues dans toutes les crises du capitalisme. Mais, alors que dans la phase d'expansion du capital au monde entier ces crises constituaient comme les battements de coeur d'un corps en plein développement, les crises du capitalisme décadent, celui des guerres mondiales et du militarisme universalisé, apparaissent comme les râles d'un corps agonisant. Au 19ème siècle, le capital avait le monde entier à conquérir : il dépassait ses crises par l'ouverture de nouveaux marchés dans le monde. Au 20ème siècle, ses crises le conduisent à la guerre mondiale et totale... et aujourd'hui à la menace d'anéantissement de l'humanité.
Alptraum reconnaît l'entrée du capitalisme dans sa phase de déclin et implicitement parle du cycle crise-guerre-reconstruction suivant lequel le capitalisme vit depuis la 1ère guerre mondiale. Mais au moment d'analyser les fondements, les "déterminations essentielles" qui conduisent le capitalisme aux crises et au déclin, les thèses ne se réfèrent qu'à des éléments insuffisants.
Ignorant ou rejetant l'analyse de Rosa Luxemburg - en réalité de Marx - suivant laquelle la contradiction fondamentale du capitalisme réside dans son incapacité à créer indéfiniment les marchés nécessaires à son expansion, Alptraum écrit :
"De notre point de vue, aussi bien le développement que le déclin du système reposent sur deux déterminations essentielles, à savoir : une qui exprime sa forme dans la loi générale de la baisse tendancielle du taux de profit, l'autre qui constitue son contenu et s'exprime dans la subordination formelle et réelle du procès de travail au capital" (Thèse 6)
Or, ni la distinction entre "domination formelle et domination réelle" du capital, ni la loi de la baisse tendancielle du taux de profit ne suffisent à expliquer pourquoi le capitalisme connaît depuis plus d'un demi siècle un irréversible déclin historique ni pourquoi la crise économique actuelle n'a rien à voir avec les crises de croissance du siècle passé.
La distinction faite par Marx entre "domination formelle" et "domination réelle" du travail par le capital, traduit la différence entre l'époque où les prolétaires étaient encore principalement des artisans "salariés" (les Canuts de Lyon) qui, tout en étant commercialement soumis au capital, continuaient de produire avec pratiquement les mêmes moyens et gestes que leurs ancêtres du féodalisme, et l'époque de la révolution industrielle où les gestes et l'organisation artisanale du travail laissent la place à la grande industrie et ses prolétaires façonnés suivant les nécessités de la grande usine ([1] [74]).
Pour intéressante qu'elle soit, cette distinction ne nous dit en rien pourquoi à un stade donné les rapports de production capitalistes cessent d'être un stimulant du développement des forces productives pour se transformer en entrave chronique et croissante de celui-ci.
Il en est de même de la loi de la baisse tendancielle eu taux de profit. Celle-ci, pour exacte et importante qu'elle soit comme manifestation d'une contradiction du processus de production capitaliste, n'est qu'une loi "tendancielle", c'est-à-dire une tendance constamment contrecarrée. Pour comprendre à quel moment, dans quelles circonstances historiques cette tendance devient effective et se traduit par un effondrement effectif des profits, c'est au niveau des facteurs qui contrecarrent la tendance générale que l'on trouvera une réponse. Depuis Marx, nous savons que c'est par l'augmentation de la masse de plus-value et par l'intensification de l'exploitation (augmentation de la productivité) que le capital ralentit et compense, contrecarre la baisse tendancielle du taux de profit. Or, aussi bien l'un que l'autre de ces moyens dépend essentiellement de la capacité du capital à élargir son champ de production, ce qui, à son tour, dépend de l'existence de marchés solvables - extérieurs à sa sphère de production -Si, comme le fait Alptraum, on ignore la contradiction au coeur du système capitaliste entre d'une part sa nécessité de produire toujours plus pour exister et, d'autre part, son incapacité à créer des marchés solvables suffisants, il faut conclure que le capitalisme, loin d'être à la fin de son existence étouffé par ses propres contradictions, a encore devant lui un bel avenir. Car tant que le capitalisme ne connaît pas de limites à l'expansion de ses débouchés commerciaux, il peut surmonter, compenser toutes ses autres contradictions. C'est le marché qui fait vivre le capital et c'est lui qui en constitue sa dernière limite.
Si, pour que le capitalisme entre en phase de déclin, il fallait attendre - comme semble le dire la thèse 6 - qu'il "arrive un moment où le nombre de travailleurs ne peut plus être augmenté, où le temps de travail ne peut plus être prolongé et où le travail socialement nécessaire ne peut être réduit du fait des limites naturelles (sic !) et sociales qui existent", nous devrions nous résigner à attendre des siècles... voire l'éternité. Jamais le capital n'atteindra des "limites naturelles" qui l'empêcheraient d'augmenter le nombre de travailleurs, d'intégrer tous les chômeurs et marginalités de la terre. Depuis que le capitalisme est en décadence, le nombre de travailleurs non intégrés, de laissés pour compte essentiellement dans les pays sous-développés, ne se réduit pas (approchant de supposées limites naturelles) mais au contraire augmente de façon exponentielle.
Nous ne pouvons ni ne voulons ici développer une polémique détaillée sur l'analyse des contradictions fondamentales du capitalisme ([2] [75]). Ce qui nous importe c'est de signaler :
1°) que 1'analyse présentée par les thèses est insuffisante..sinon erronée ;
2°) qu'elle peut servir de base à la théorisation d'une attitude plus ou moins attentiste qui - en contradiction avec tout ce qui est par ailleurs affirmé dans les thèses - ne comprendrait pas l'importance et l'urgence de l'intervention pratique des communistes aujourd'hui sous prétexte que le capitalisme est encore loin d'avoir attein1; ses "limites naturelles".
Conclusion.
"Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire", disait avec raison Lénine. Les thèses du CCA traduisent sans aucun doute un effort théorique réel et une compréhension de l'importance de cet effort pour le prolétariat. Mais elles montrent aussi que cet effort doit être poursuivi et pour ce faire le CCA doit se situer plus directement, plus activement sur le terrain de l'intervention politique au sein du mouvement présent du prolétariat ([3] [76]).
L'intervention des révolutionnaires est nourrie et soutenue par la théorie révolutionnaire ; mais la théorie révolutionnaire ne peut vivre et se développer qu'en vue de cette intervention, et cela d'autant plus dans la période historique présente.
Lorsqu'ils étaient encore membres du PMP les éléments qui aujourd'hui constituent le CCA étaient parmi les plus actifs sur le plan de l'intervention dans la ville de Mexico. C'est avec eux que le CCI tint dans cette ville, pendant l'été 82, une réunion publique sur les luttes ouvrières en Pologne.
Il ne faudrait pas que la période de réflexion, de rupture et de clarification politique qu'ils ont depuis traversée ne leur fasse oublier le souci primordial, comme parfois les thèses peuvent le laisser penser.
R.V.
[1] [77] Avec la publication en français, au début des années 70, du "chapitre inédit du Capital" - où Marx développe plus particulièrement cette distinction - les courants tel le groupe qui publiait "Invariance", et à sa suite certains "modernistes", ont cru trouver dans cette analyse un élément fondamental, "nouveau", pour la compréhension du capitalisme au 20ème siècle. Goût de 1'innovation pour 1'innovation oblige. Mais en réalité les éléments qui constituent cette distinction (transformation concrète du procès de travail et surtout prédominance de la plus-value relative par rapport à la plus-value absolue) caractérisent essentiellement des étapes au sein de 1 'ascendance du capitalisme et non le passage dans la phase décadente. Ainsi, par exemple, le capitalisme se développe en Russie, à la fin du 19ème siècle, en prenant d'emblée les formes les plus modernes de la domination réelle.
[2] [78]cf. "Théorie des crises" (critique de Boukharine), in Revue Internationale n°29 et 30 (2eme et 3éme trimestre 82) ; "Les théories des crises de Marx à l'Internationale Communiste", in Revue Internationale n°22 (3ème trimestre 80) ; "Les théories des crises de la gauche hollandaise", in Revue Internationale n°16, 17, 21 ; "Sur 1'impérialisme", in Revue Internationale n°19(4ème trimestre 79); "Théories économiques et lutte pour le socialisme", in Revue Internationale n°16 (1er trimestre 79) décadence du capitalisme".
[3] [79] Le langage obscur, souvent inutilement abstrait des thèses exprime non seulement un manque de clarté dans la pensée mais aussi 1'absence du souci d'être compréhensible en dehors d'un milieu intellectuel restreint.
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn1
[2] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn2
[3] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn3
[4] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn4
[5] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn5
[6] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn6
[7] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn7
[8] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn8
[9] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn9
[10] https://fr.internationalism.org/rinte40/edito.htm#_ftn10
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