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Internationalisme no.323

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"Pacte de solidarité entre les générations": Syndicats et partis socialistes ont rempli leur mission... pour la bourgeoisie

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Le jeudi 15 décembre dernier, le parlement adoptait le “pacte de solidarité entre les générations” et le financement alternatif de la sécurité sociale, malgré un ras-le-bol profond au sein de la classe ouvrière qui s’est en particulier exprimé par le rassemblement de 100.000 travailleurs à Bruxelles lors de la manif syndicale nationale le 28 octobre. “Mesures inacceptables” claironnait pourtant la FGTB en octobre; mais en décembre, cette même organisation annonçait sans sourciller: “suspension des actions et recherche d’autres moyens de pression plus ciblés (sic)”. Gouvernement et patronat peuvent être satisfaits de l’efficacité de leurs organisations syndicales: s’ils ont réussi à imposer le pacte, ils le doivent largement aux magouilles des FGTB, CSC et CGSLB.

Le dernier trimestre 2005 a été la période la plus socialement agitée depuis une quinzaine d’années en Belgique. Sur moins de trois mois, en réponse à une série d’attaques du gouvernement libéral-socialiste de caractère global contre ses conditions de vie, la classe ouvrière a largement manifesté son inquiétude et son mécontentement avec un début de réelle combativité. Mais les socialistes dans le gouvernement et les syndicats sur le terrain social ont magistralement coalisé leur capacité de nuisance pour faire passer les plans de la bourgeoisie. Et sur un plan immédiat, ils ont pleinement réussi à atteindre leur objectif.

Pacte "de solidarité" … avec l’Etat bourgeois

Sur le plan politique, les socialistes, maîtres d’œuvre des attaques, n’ont pas ménagé leurs efforts, en collaboration avec les syndicats, pour enfermer la résistance ouvrière dans les limites du jeu démocratique bourgeois à travers la "négociation" d’un «pacte de solidarité» entre "citoyens" pour le bien de l’économie nationale. Dès le début des "négociations", ils ont fait croire aux travailleurs que c’est en leur faveur que le gouvernement réforme les pré-pensions et la sécurité sociale. Onkelinx, la vice-Première PS, se mouille à fond dans cette rhétorique : "Au sortir des discussions, tant la CSC que la FGTB ont salué le travail que j”avais réalisé en négociation gouvernementale… Et toutes les corrections pour améliorer les pensions…Les libéraux voulaient des malus pension, on a décroché des bonus pension…Si le PS adhère au «pacte pour les générations», c’est parce que tout cela est indispensable. Si on ne fait rien c’est tout le modèle social qui va y passer. Je vous le dis, on n’a pas le choix !” (Le Soir, 24.10.05). De fait, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix, face à la pression de la crise sur l’économie nationale, que de s’en prendre aux conditions de vie de la classe ouvrière et la mystification consiste justement à faire croire aux travailleurs que les mesures prises par un gouvernement de gauche font moins mal. En réalité, le PS n’est pas au gouvernement pour y défendre les intérêts des travailleurs mais pour faire gober aux travailleurs la fable que les attaques de la bourgeoisie se font … pour leur bien et dans leur intérêt. D’ailleurs, lorsque le mécontentement monte et que le rideau de fumée tend à se déchirer, ces grands défenseurs des travailleurs n’hésitent pas à sortir une rhétorique des plus crapuleuses pour opposer les travailleurs entre eux. Ainsi, le président des socialistes flamands, Vande Lanotte, tente d’attiser les tensions entre les générations de travailleurs : “A vous d'aller expliquer dans les entreprises les choix que nous avons faits. On a beaucoup parlé retraites, mais, à long terme, ce sont les jeunes qui sont concernés” (La libre Belgique, 17.10.05). En d’autres mots, ceux qui critiquent les mesures sont des ingrats et des égoïstes qui ne pensent qu’à leur future pension et sacrifient l’avenir des jeunes.

Pour crédibiliser encore plus l’illusion d’un débat déchirant autour des «intérêts des travailleurs» et pour enfermer encore mieux les actions dans un cadre démocratique légaliste, tout en crédibilisant l’image "radicale" du syndicat FGTB, la bourgeoisie a fait mousser dans ses médias une prétendue opposition entre partis et syndicats socialistes. Dans l’inter-view citée plus haut, Onkelinx "enrage" contre la FGTB, accusée de désinformation au sujet du contenu "progressiste" du pacte, et Vande Lanotte déclarait à l’intention des syndicalistes que “ceux qui se détournent de la gauche se tournent vers la droite”. Le syndicat socialiste pour sa part demandait “à nos représentants nationaux de ne plus participer aux bureaux de parti du PS et du Spa” (BHV, 9.11.05), et son "patron", Vandermeeren, d’ajouter: “Le syndicat et ses affiliés se souviendront lors des prochaines élections où se trouvent leurs véritables amis”. Le piège fondamental envers la classe ouvrière est de faire croire que l’objectif des actions ouvrières ne peut être que la pression sur les forces parlementaires afin d’obtenir un compromis honorable dans le cadre des structures de concertation de l’Etat bourgeois. Ainsi, les mobilisations syndicales s’inscrivaient d’emblée dans la logique démocratique bourgeoise et ce n’est que pleinement dans cette logique que les syndicats arrêtent leurs actions après le vote du parlement car “les syndicats ne font pas grève contre un parlement élu démocratiquement (sic)” (X. Verboven, leader du syndicat socialiste, De Morgen, 17.12.05).

Front commun syndical pour mieux étouffer un début de combativité

Sur le terrain social, les syndicats n’ont, pour ainsi dire, pas chômé. Ils ont bien rempli leur fonction consistant à encadrer et à saboter les tentatives de résistance ouvrière pour instiller un sentiment d’impuissance face aux attaques. Dès Juin 2005, la centrale chrétienne est la première à rouler des mécaniques en annonçant une grève générale pour la rentrée. La FGTB retient son souffle pour l’instant. En septembre, lorsque le contenu du pacte est dévoilé, la FGTB annonce une grève générale pour le 7 octobre,  tandis que la CSC placarde dans toute la presse “10 bonnes raisons de ne pas faire grève”. C’est le premier acte de la manœuvre syndicale, celui de la division.  Cependant, la grève générale FGTB voit la participation importante de délégations CSC et même de la petite centrale libérale CGSLB aux côtés des travailleurs en grève. Les jours suivants, la "direction" de la CSC est "mise en minorité lors d’une consultation interne des délégués" et le syndicat opère un virage à 180 °. Cette victoire de la «démocratie syndicale» doit faire croire aux travailleurs -les gauchistes et les syndicalistes de base en sont les meilleurs propagandistes-, que "les syndicats sont au service de la volonté des travailleurs" et donc que c’est "l’outil par excellence pour mener la lutte".

En réalité, le deuxième acte de la manœuvre est engagé: le Front Commun Syndical est réanimé illico et c’est l’unité des diviseurs qui se met en place pour mieux étouffer les premières montées de combativité parmi les travailleurs. Les instances syndicales s’accordent sur des déclarations radicales contre le pacte et le refinancement de la Sécu : “Ces mesures sont inacceptables” ; “Pas touche aux pré-pensions ! La FGTB et la CSC exigent que le gouvernement renégocie son «pacte de solidarité entre les générations” (Syndicats, n° 17, 21.10.05) et elles dénoncent vigoureu-sement les mesures du contrat de solidarité. Ce front commun syndical, l’unité des saboteurs, n’a rien à voir avec l’unité de la classe. Cette unité, la classe la réalise dans l’action en dehors des instances syndicales, en créant ses propres organes de décisions et d’actions, comme les assemblées générales, les comités de grèves avec l’élection de délégués immédiatement révocables et ne répondant que devant les assemblées générales souveraines. Le front commun, par contre, est un barrage visant à encadrer le ras-le-bol et la colère qui vont crescendo et surtout à préparer la manœuvre qui devra culminer dans la grève générale et la manifestation nationale du 28 octobre. Pour la bourgeoisie, il faut que les actions du 28 octobre apparaissent aux yeux de la classe ouvrière comme une victoire du front commun syndical, censé être l’expression la plus élevée de l’unité de la classe ouvrière, afin de pouvoir engager le désamorçage de la combativité dans les semaines qui suivent.

Et effectivement, après le 28 octobre, les syndicats changent de ton. Le Soir du 26 et 27.11.05 en rend compte: “Face au gouvernement fédéral qui campe sur ses positions, les syndicats peuvent-ils changer les rigueurs du "pacte" ? Oui. Ils ne peuvent rien contre l’esprit du pacte ni contre le report de la pré-pension de 58 à 60 ans en 2008. Mais une gamme d’adoucissement est possible. Les revendications syndicales distribuées par tracts sont modérées”. La presse bourgeoise fait clairement passer le message que les dés sont jetés. Pour parachever la démoralisation, les syndicats mettent en place un «plan d’action graduel», annoncé le mercredi 23 novembre par le président de la FGTB qui "joue encore au dur" : “Nous n”allons pas faire des actions symboliques. On ne va pas se limiter à des communiqués de presse ! Ne prenez pas cela à la légère. Il y aura des actions sérieuses, dures des grèves s’il le faut (sic)”. En réalité, les "journées de sensibilisation et d’information" du front commun sont l’occasion d’épuiser définitivement les restes de colère dans les entreprises en les orientant vers des actions caricaturales, telles que les barrages filtrants, les blocages de grands magasins qui décrédibilisent les méthodes de lutte de la classe ouvrière. L’objectif étant de susciter le découragement et l’impuissance, mais aussi d’attiser la division entre les travailleurs, grévistes et non grévistes, d’autant plus que les "raisons de lutter" encore avancées par les syndicats – modifier l’un ou l’autre point secondaire du "pacte" - ne motivent plus grand monde.

Une défaite riche de leçons

La gauche et les syndicats ont réussi à saboter la résistance ouvrière, les mesures sont passées et donc, sur un plan immédiat, l’aboutissement du mouvement apparaît comme une défaite pour les travailleurs. En situant les mouvements dans une perspective plus globale toutefois, on constate que le bilan est nettement plus nuancé.

Tout d’abord, il faut souligner l’importance des mois d’octobre et novembre dans le développement long et difficile du combat de la classe ouvrière en Belgique. En effet, ils ont marqué une reprise, certes encore limitée, de la combativité ouvrière après un recul et une stagnation de plus de 10 ans face aux coups de la bourgeoisie. Ce début de reprise de la combativité en Belgique s’inscrit pleinement dans un vaste mouvement du prolétariat qui, face aux attaques généralisées dans la plupart des pays industrialisés, s’efforce de retrouver le terrain de la lutte de classe contre les effets de la crise du capitalisme. Par ailleurs et plus important encore, les thèmes autour desquels s’est cristallisé le combat, les pensions et les pré-pensions, représentent une problématique fondamentale qui pose la question de la faillite du système capitaliste et donc des perspectives d’avenir pour la classe ouvrière.

Le second constat c’est que les actions syndicales ont débouché sur une défaite immédiate manifeste, ressentie par beaucoup de travailleurs comme la conséquence de magouilles syndicales cousues de fil blanc, et non pas sur une défaite camouflée en victoire par la gauche. Or, les pires défaites pour la classe ouvrière sont justement celles qui sont appréhendées comme des victoires, qui génèrent des illusions. Ce n’est certes pas le cas ici dans la mesure où le sabotage syndical est apparu au grand jour. Aussi, la défaite peut générer des leçons précieuses, en particulier sur la manière de mener la lutte et de faire confiance à la gauche et les syndicats. Ces leçons sont capitales pour les combats à venir qui s’annoncent encore de grande ampleur puisque  le gouvernement a annoncé qu’il voulait imposer d’urgence un nouveau «pacte de modération» sur les salaires pour garantir la position concurrentielle de l’économie nationale dans la lutte à mort entre Etats capitalistes n

Jef & Jos / 08.01.06

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [1]

30 ans d'Internationalisme: Forger les armes politiques pour la lutte révolutionnaire

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En octobre 1975, il y a donc plus de 30 ans, paraissait le premier numéro d’Internationalisme, l’organe du Courant Communiste International en Belgique. A l’époque des médias “bourrage de crâne”, assurer la sortie et la diffusion d’une publication communiste pendant trois décennies est une réalisation importante à reconnaître, réalisation qui n’est bien sûr pas que le travail d’un groupe en Belgique, mais surtout le produit de l’effort de l’ensemble du CCI.

A cette occasion, il n’est pas inutile de se remémorer -en reprenant de larges extraits de la "présentation du journal et de l’organisation" qui ouvrait ce numéro- dans quel contexte une série de groupes de révolutionnaires avaient décidé de se regrouper et d’éditer un journal. Pour les initiateurs d’alors, la situation de crise dans laquelle le capitalisme se débattait posait des enjeux cruciaux pour la lutte de classe: “Après plusieurs décennies de barbarie, illustrée depuis le début de ce siècle par près de cent millions de morts, la moitié de l’humanité plongée dans la misère la plus noire, des conditions de vie qui se dégradent de plus en plus …  le capitalisme ne possède plus aujourd’hui, pour faire face à la crise mortelle qui le touche, que d’un éventail limité de mesures. (…)Toutes ces tentatives [pour endiguer la crise (ndlr)] ne font que reporter à plus tard l’échéance de son anéantissement. Le mode de production capitaliste est devenu désormais caduc pour l’humanité, et, à mesure que la société se développe dans les limites de plus en plus étroites d’un système de rapports sociaux périmés, à mesure que l’étranglement des forces productives par les rapports de production se fait de plus en plus serré et contraint une classe sociale à l’inhumanité de plus en plus grande, la lutte de classe elle-même s’accentue, ainsi que le besoin vital pour le prolétariat de se doter des instruments nécessaires à la destruction de ce système historique et transitoire”. Face à cela, l’introduction pose l’immense responsabilité reposant sur les épaules des groupes révolutionnaires, “conscients des problèmes immenses devant lesquels se trouve confronté le prolétariat, conscients aussi de la mystification et de la tendance pour le capitalisme à maintenir la classe ouvrière atomisée, isolée”. Dès lors, le besoin de rejoindre une organisation internationale afin de défendre la perspective révolutionnaire au sein du prolétariat s’imposait : “Décidés à ne pas rester isolés dans le simple cadre des problèmes nationaux et conscients de la nécessité pour le prolétariat à se former en classe révolutionnaire mondiale, ces groupes ont lié depuis le début le processus de leur unification à celui du regroupement international (…). Une vision globale et internationale est indispensable à toute organisation révolutionnaire soucieuse d’une intervention cohérente au sein de la lutte des classe . Dans cette mesure-là seulement, le processus de la prise de conscience du prolétariat et sa marche vers la révolution communiste peuvent s’accomplir effectivement”.

Trente ans plus tard, on ne peut que relever combien le cadre d’analyse de la situation du capitalisme qui était avancé en 1975 – et qui était alors considéré par beaucoup comme de la mauvaise science-fiction – a largement été entériné par les faits: trente années de crise ont gangrené le mode de production capitaliste et celui-ci a entraîné l’humanité dans une spirale infernale de destruction, de misère et de mort. Plus que jamais, l’alternative que les révolutionnaires ont mis en avant dès 1914, socialisme ou barbarie, se révèle être aujourd’hui une réalité incontournable. Dans ce contexte, les 322 numéros d’Internationalisme ont représenté, au sein de la presse de l’ensemble du CCI, une défense intransigeante des perspectives prolétariennes face aux événements et mouvements qui ont marqué l’époque, et ceci dans les deux langues principales du pays, tandis que les mensonges et les mystifications de la bourgeoisie, en particulier de ses fractions de «gauche» socialistes et syndicales ou «extrême gauche» staliniennes ou trotskistes, étaient démasquées et dénoncées. Par ailleurs, ils ont constitué un outil indispensable pour l’intervention des révolutionnaires dans les moments clés de la lutte de classe en Belgique, comme lors du mouvement de luttes généralisées du printemps 1986, de la lutte des mineurs ou des sidérurgistes contre les fermetures ou encore pendant les mouvements récents contre le «pacte des générations».

Dans sa lutte, la classe ouvrière ne dispose que de deux armes, son organisation et sa conscience. La presse révolutionnaire est le moyen par excellence pour élargir et approfondir la conscience dans la classe, et ceci plus que jamais aujourd’hui, alors que la perspective du communisme s’impose comme seule alternative pour l’humanité face à la barbarie, mais dans un contexte de décomposition dans lequel la classe ouvrière n’a pas facile à développer sa lutte. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir à ce qui est immédiatement en jeu, à un certain moment, dans un conflit précis. Pour développer sa lutte, la classe ouvrière a besoin de visions plus larges et de perspectives à long terme, comme la compréhension de la décadence et de la décomposition du capitalisme, qui provoquent guerres et misère mais aussi la possibilité de le détruire, et de la nécessité de sa propre tâche révolutionnaire, la perspective du communisme.

Pour ces raisons, la publication régulière d’un journal qui défend les positions de la classe ouvrière contre les mensonges du capitalisme est aujourd’hui au moins aussi important que du temps de Marx ou Lénine, ou que dans les années ’30 et ’40, quand de petits groupes de la Gauche Communiste éditaient leur publication n

 

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [2]

Débats sur les émeutes dans les banlieues françaises: La solidarité, ce n'est pas applaudir à un mouvement sans perspective

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Les émeutes dans les banlieues françaises ont suscité beaucoup de discussions parmi les éléments en recherche d’une alternative au capitalisme. Ainsi, tout un débat s’est développé sur la question du soutien à apporter à la révolte sur le forum du groupe Eurodusnie de Leyde. Et la discussion ne fut pas moins passionnée lors de notre permanence d’Amsterdam ou de la réunion publique de Bruxelles, ce dont nous remercions d’ailleurs les présents.

A notre sens, la discussion touchait à deux questions capitales pour comprendre la dynamique et les perspectives de la lutte de classe:

1) Est-ce que tout mouvement social, quelle que soit sa nature, peut contribuer à la lutte révolutionnaire contre le capitalisme ?

2) Et les révoltes en France constituent-elles un pas en avant dans le développement de la lutte prolétarienne ou sont-elles au contraire un obstacle à sa maturation et à son avancée ?

Pour certains, dans le forum d’Eurodusnie tout comme lors de nos activités publiques, l’important était «le mouvement», «l’action», la «violence», la «subversion de l’ordre établi», la révolte, qui représenteraient en soi un pas en avant dans la lutte contre le capitalisme. Il suffirait en quelque sorte d’y joindre un zeste d’orientations et de positions politiques et des consignes précises pour que, par un coup de baguette magique, cette jeunesse exclue par le capitalisme se convertisse en un agent puissant de lutte contre celui-ci.

Nous pensons que c’est une profonde erreur d’analyse : tous les mouvements sociaux ne contribuent pas à la lutte contre le capitalisme ; au contraire, certains, même s’ils ne trouvent pas leur origine dans une provocation ou ne sont pas instigués par le capitalisme, peuvent être exploités par celui-ci pour se renforcer et marquer des points contre le prolétariat, contre sa conscience et son unité. Ceci n’implique nullement que notre position serait celle de «l’observateur au balcon», «du théoricien de salon», car action n’est pas synonyme d’activisme, être concret ne veut pas dire tomber dans l’empirisme, avancer des réponses immédiates à des situations n’implique pas de céder à l’immédiatisme. Les moyens, les armes, la logique de la lutte ouvrière n’ont rien à voir avec les moyens, les armes, la logique de la classe bourgeoise. Pour le prolétariat et plus particulièrement dans la lutte pour le communisme, tous les moyens ne sont pas bons. Et justement, si aujourd’hui le prolétariat international rencontre d’importantes difficultés et a besoin d’un long chemin pour redévelopper ses luttes, c’est précisément parce que durant des années, ses meilleures forces ont été détournées par les forces capitalistes (souvent de gauche ou syndicales) vers des terrains marécageux au nom des «résultats pratiques, des «principes qui ne sont bons qu’aux théoriciens», etc.

Lorsqu’elle combattait le féodalisme et était elle-même une classe révolutionnaire, la bourgeoisie pouvait soutenir n’importe quelle lutte et gagner n’importe quelle classe à sa cause car elle était une classe exploiteuse qui ne cherchait pas à abolir l’exploitation, mais au contraire à en installer une nouvelle forme. Cela est contraire à la pratique du prolétariat : celui-ci ne possède aucun pouvoir économique dans la société capitaliste et n’a pas pour objectif d’établir une nouvelle exploitation, mais au contraire de l’abolir sous toutes ses formes. C’est pourquoi ses armes sont l’unité, la conscience, l’auto-organisation et son autonomie politique de classe. Des armes qui s’acquièrent incontestablement dans la lutte mais pas dans n’importe quelle lutte!

Mais justement, rétorquaient plusieurs intervenants à nos activités publiques, «l’essentiel des émeutiers provenaient pourtant des cités ouvrières». Un mouvement n’est pas prolétarien parce qu’il est composé majoritairement d’ouvriers, ni parce qu’il crée des «problèmes» au capitalisme, parce qu’il est violent ou se soulève contre des injustices patentes. Les discours sur des concepts tels que la «radicalité», la «violence», «l’opposition» ou la «massivité» éludent la question essentielle, l’unique critère valide pour analyser et soutenir un mouvement : est-ce qu’il développe et renforce l’unité, la conscience, l’autonomie de classe du prolétariat ? En d’autre mots, est-ce qu’il se situe, même de manière embryonnaire, sur son terrain de classe?

Question cruciale effectivement puisque certains parti-cipants d’Amsterdam suggéraient au début de la réunion que le CCI devait appeler l’ensemble de la classe ouvrière à se joindre aux émeutiers des cités. En partant des critères définis ci-dessus, ce serait l’expression d’une profonde incompréhension de la dynamique de la lutte ouvrière que d’attendre des mouvements de révolte dans les banlieues françaises une contribution à la lutte révolutionnaire contre le capitalisme. Certes, les actions n’ont pas été provoquées par la bourgeoisie (même si les déclarations et les actes de Sarkozy ont indéniablement jeté de l’huile sur le feu), et on peut comprendre la rage de ces «laissés pour compte»; cependant, nous sommes convaincus que leurs actions n’appartiennent ni de près ni de loin à la lutte de la classe ouvrière, mais vont au contraire directement contre elle.

Les émeutes dans les banlieues sont majoritairement inspirées par le désespoir, le manque de perspective, par une haine aveugle et impuissante. La lutte de classe, par contre, se base sur un minimum de confiance dans le futur et sur un sentiment d’indignation contre la barbarie et les souffrances que cause la capitalisme. Ceux qui accordent un «pouvoir révolutionnaire» à ces actions confondent haine avec indignation et le désespoir avec une action consciente. Si l’indignation est un sentiment positif qui alimente la combativité et la fermeté contre l’exploitation capitaliste et sa barbarie, la haine est un sentiment purement négatif, qui alimente uniquement une rage de destruction totale, quoi qu’on puisse détruire. Et tandis que le désespoir peut provoquer des actions brutales qui ne mènent nulle part, l’action consciente permet un développement de la lutte, à travers la critique et le dépassement des erreurs, vers le combat révolutionnaire.

Soulignons en outre le caractère minoritaire et le type d’actions commando orientées essentiellement sur la mise à feu des voitures en stationnement. Les chocs avec la police, découlant d’une haine compréhensible envers son attitude arrogante et provocatrice insupportable, furent relativement limités. Il n’y eut guère de mouvements de masse, mais une somme hétéroclite d’actions nocturnes réalisées par de petits groupes. Ceci est en contraste radical avec la lutte du prolétariat : une lutte vaillante, à visage découvert, menée massivement, soulignant sa force en pleine lumière, sans aventures rocambolesques de petits fanfarons de la «guérilla urbaine». Elle affiche clairement ses objectifs et lève devant toute la société son étendard de combat. Elle ne cherche pas à l’aveuglette le choc frontal avec son ennemi de classe, ni ne l’évite d’ailleurs, mais se consacre à le préparer avec patience et ténacité.

Mais surtout, dans les mouvements en France, il y a un aspect particulièrement dangereux : l’affrontement entre enfants mêmes de la classe ouvrière. L’essentiel de la violence de ces jeunes s’est orientée contre d’autres ouvriers, compagnons de souffrance, qui partagent les mêmes doutes à propos de l’avenir que leur offre le capitalisme. Ils ont mis le feu aux voitures de leurs frères de classe, ils se sont attaqués aux pompiers, ils ont bombardé de pierres ou mis le feu à des autobus dans lesquels voyageaient leurs voisins de quartier. Les révoltes de paysans du moyen âge étaient des mouvements de désespérés, certes, mais ils étaient clairement orientés contre les seigneurs, ils prenaient d’assaut leurs châteaux, saccageaient leurs biens de luxe …. Les jeunes des banlieues, exclus par l’évolution actuelle du capitalisme, ne se sont pas attaqués aux «beaux quartiers» ou aux symboles du système, mais à leurs propres voisins dans des cités misérables. La violence de la classe ouvrière a comme destinataire le capital et son Etat, jamais les propres camarades de classe. La répression de Kronstadt en 1921 a accéléré la dégénérescence des Bolcheviks et la défaite de la Révolution russe, car elle a instauré la violence entre frères de classe.

Si des enfants d’ouvriers se sont tournés contre leurs frères de classe et en ont même fait la quintessence de leur mouvement, c’est sous le poids d’un phénomène qui se développe au sein du capitalisme et qui tend à contaminer et affaiblir des secteurs de la classe ouvrière même : la décomposition de ce système de plus en plus pourri. Les Thèses sur la décomposition, adoptées en 1990, mettaient déjà en garde contre ce danger (point 13):

«En fait, il importe d’être particulièrement lucide sur le danger que représente la décomposition pour la capacité du prolétariat à se hisser à la hauteur de sa tâche historique. De la même façon que le déchaînement de la guerre impérialiste au coeur du monde «civilisé» constituait «Une saignée qui [risquait] d’épuiser mortellement le mouvement ouvrier européen», qui «menaçait d’enterrer les perspectives du socialisme sous les ruines entassées par la barbarie impérialiste» en fauchant sur les champs de bataille (...) les forces les meilleures (...) du socialisme international, les troupes d’avant-garde de l’ensemble du prolétariat mondial» (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie), la décomposition de la société, qui ne pourra aller qu’en s’aggravant, peut aussi faucher, dans les années à venir, les meilleures forces du prolétariat et compromettre défini-tivement la perspective du communisme».

Cette lumpénisation tend à toucher plus spécifiquement les secteurs jeunes de la classe, d’office exclus du marché du travail, et les mène à une lutte non seulement désespérée mais aussi auto-destructrice et même suicidaire. Dans le point 14 des thèses, nous écrivions à ce propos:

«Un des facteurs aggravants de cette situation est évidemment le fait qu’une proportion importante des jeunes générations ouvrières subit de plein fouet le fléau du chômage avant même qu’elle n’ait eu l’occasion, sur les lieux de production, en compagnie des camarades de travail et de lutte, de faire l’expérience d’une vie collective de classe. En fait le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s’il n’est pas ‘en soi’ une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition. S’il peut en général contribuer à démasquer l’incapacité du capitalisme à assurer un futur aux prolétaires, il constitue également, aujourd’hui, un puissant facteur de «lumpénisation» de certains secteurs de la classe, notamment parmi les jeunes ouvriers, ce qui affaiblit d’autant les capacités politiques présentes et futures de celle-ci. Cette situation s’est traduite, tout au long des années 1980, qui ont connu une montée, considérable du chômage, par l’absence de mouvements significatifs ou de tentatives réelles d’organisation de la part des ouvriers sans emploi».

Cela signifie-t-il qu’il n’y a qu’à tomber dans le fatalisme et le désespoir? Non, car la classe ouvrière possède les moyens pour combattre cette situation:

«Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique:

- l’action collective, la solidarité, trouvent en face d’elles l’atomisation, le «chacun pour soi», la «débrouille indi-viduelle»;

- le «besoin d’organisation» se confronte à la décom-position sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société;

- la confiance dans l’avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le «no future»;

- la conscience, la lucidité, la cohérence et l’unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque».

Et c’est justement parce que ces différents éléments de force existent dans le prolétariat, parce que nous sommes conscients qu’il existe actuellement au sein de la classe ouvrière un développement au niveau de sa conscience et, très pénible-ment aussi, de ses luttes qui vont dans le sens de générer des anticorps contre la pénétration de la décomposition capitaliste dans les rangs ouvriers, qu’il est tellement important de mener énergiquement la polémique contre l’exaltation béate de «l’action» pour «l’action».

Nous ressentons une solidarité profonde envers ces jeunes, enfants d’ouvriers, qui se sont perdus dans un mouvement sans futur, destructif et suicidaire. Toutefois, la solidarité ne signifie pas applaudir à une forme de lutte qui les conduit droit à l’abîme. La solidarité inclut nécessairement une critique dure. Ces jeunes ne sont pas devenus des ennemis de leur classe. Ils pourront rejoindre le combat prolétarien dans le cadre de son développement général, de l’extension des positions révolutionnaires, du débat et de la critique et de l’autocritique. La classe ouvrière commettra encore beaucoup d’erreurs, subira de nombreuses défaites partielles. Elles seront toutefois toutes des contributions à sa lutte révolutionnaire si elle tire des leçons de celles-ci, si elle est capable d’une autocritique dure qui va au fond des problèmes et qui permet d’approfondir et d’étendre ses positions révolutionnaires n

Jos / 23.12.2005

Questions théoriques: 

  • Décomposition [3]

Face à la misère capitaliste: Unité et solidarité de tous les ouvriers

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Le problème du chômage se retrouve au coeur des questions posées par les émeutes des banlieues qui viennent de se dérouler en France mais, contrairement à ce que nous présente la bourgeoisie et ses politiciens, ce n’est pas un problème limité aux jeunes issus de l’immigration. Tous leurs débats et leurs discours hyper-médiatisés pendant plusieurs semaines ont cherché à nous persuader que la question posée serait uniquement celle des jeunes d’origine africaine ou maghrébine entassés dans le ghetto des cités de banlieues, même si le chômage atteint parmi eux des taux de 30 à 40 %. En le faisant apparaître comme un problème spécifique, catégoriel de laissés-pour-compte, la classe dominante, en France comme dans tous les pays, a focalisé l’attention sur une catégorie particulière de la population, sur des jeunes sans perspective d’avenir afin de masquer et évacuer le problème de fond posé par cette situation. Le chômage est une question qui concerne et menace l’ensemble de la classe ouvrière. Tous les jours, ce sont de nouvelles charrettes de licenciements massifs, des milliers d’ouvriers sup-plémentaires sont mis sur le pavé non seulement en France, mais dans tous les pays les plus “développés”, comme partout dans le monde. Ce que la bourgeoisie cherche à cacher, c’est la signification profonde de ce chômage de masse. Elle cherche à empêcher de faire le lien existant entre le phénomène des banlieues et les licenciements de prolétaires au quotidien. Cette polarisation sur la partie la plus défavorisée, la plus fragile, vulnérable et décomposée du prolétariat, n’est pas nouvelle : dans les années 1980, l’apparition d’un chômage de masse, le démantèlement du système de protection sociale et le brutal enfoncement dans la paupérisation de la classe ouvrière avaient été mis sur le compte de l’apparition d’une nouvelle catégorie sociologique baptisée les “nouveaux pauvres” que l’on marginalisait et qu’on isolait ainsi du reste de la population ouvrière.

La bourgeoisie a toujours cyniquement exploité la misère et le désespoir qu’engendre le capitalisme. Ceux qui sont présentés comme les laissés-pour-compte, qui ont perdu tout espoir en l’avenir, qui n’ont pas de perspective ni de repères, délibérément ignorés et méprisés depuis des décennies, sont projetés du jour au lendemain sur le devant de la scène comme s’ils étaient devenus le centre du monde. C’est l’arbre qui cache la forêt de la misère croissante qui frappe de plus en plus d’ouvriers. A travers cela, la classe dominante tente de nous livrer une panoplie d’explications sur l’origine et la nature du problème : crise identitaire des jeunes, insuffisance d’intégration des immigrés, inégalité des chances, problèmes de discrimination à l’embauche, manque d’éducation citoyenne, résultat d’une mise en échec scolaire, montée du racisme et de la xénophobie…

 Toutes ces explications superficielles et partielles lui servent à mettre en avant la mystification qu’il y aurait des "solutions", des réformes possibles à l’intérieur du capi-talisme pour améliorer le sort des jeunes des banlieues. Ce ne sont pourtant nullement toutes les propositions avancées et les mesures totalement illusoires du gouver-nement qui pourront résoudre le problème du chômage : contrats d’apprentissage dès 14 ans, débloquer davantage d’argent et de moyens aux organismes associatifs, multiplication de stages de formation, service civil volontaire, etc. Ces mesures ne sont au contraire qu’une tentative vouée à l’échec d’un aménagement du poids croissant du chômage, de la précarité de l’emploi et de la misère dans la société. Tout cela est fondamentalement de la poudre aux yeux. Toutes les fractions de la bourgeoisie, de gauche comme de droite n’ont rien d’autre à proposer. Mais cela permet aussi de déverser à flots le poison d’une propagande idéologique qui sert fondamentalement à diviser les exploités, à opposer les intérêts des uns par rapport aux autres. La classe dominante justifie ainsi un clivage permanent entre générations, entre ouvriers autochtones et ouvriers immigrés, entre ouvriers en activité et ouvriers au chômage. D’un côté, elle pousse les chômeurs à considérer les ouvriers qui ont encore un emploi comme des privilégiés qui ne devraient pas se plaindre ni lutter pour la défense de leurs salaires, contre la diminution de leurs pensions de retraite ou la détérioration de leurs conditions de travail. De l’autre côté, elle incite les travailleurs à se représenter toute future lutte de chômeurs comme une émanation de la «racaille», seulement capable de déchaîner la rage aveugle, la haine, l’autodestruction.

Le profond malaise social qu’ont révélé les émeutes dans les banlieues est l’expression de la crise économique mondiale du capitalisme et une manifestation révélatrice de la faillite irréversible de ce système. C’est pour cela que les violences urbaines en France ont soulevé une réelle inquiétude parmi les autres bourgeoisies européennes qui sont confrontées au même problème. Si les émeutes des jeunes des banlieues, sous le signe du «no future», n’est porteuse d’aucun avenir, d’aucune perspective en elles-mêmes car elles sont le simple reflet de l’enfer capitaliste, elles sont néanmoins révélatrices du malaise profond et de l’absence de perspective d’un système capitaliste en crise qui est désormais incapable d’intégrer les jeunes générations dans son appareil productif. Cette manifestation particulièrement éloquente de la faillite du capitalisme pose plus que jamais l’alternative : renversement de l’ordre bourgeois ou enfoncement de toute la société humaine dans le chaos, la misère et la barbarie.

La seule réponse nécessaire et possible au chômage qui menace de plus en plus les enfants d’ouvriers, c’est la mobilisation, le développement unitaire et massif des luttes de résistance de la classe ouvrière, face aux licenciements et à toutes les attaques qu’elle subit. Seule cette lutte de classe pourra permettre aux ouvriers réduits aux chômage comme aux éléments aujourd’hui impliqués dans les émeutes de trouver leur place dans l’affirmation d’une perspective révolutionnaire et internationaliste. Face au «no future» et au désespoir exprimés par les émeutes des banlieues, le prolétariat est la seule classe porteuse d’avenir parce qu’elle est la seule force sociale capable de renverser le système d’exploitation capitaliste, d’éradiquer la misère, le chômage, d’abolir le salariat, le profit et les rapports de concurrence. C’est la seule classe qui puisse permettre l’instauration et l’épanouissement d’autres rapports sociaux à travers lesquels l’humanité pourra enfin développer une activité déterminée par la réalisation de ses besoins n

W / 18.11.05

 

France: la bourgeoisie utilise les émeutes contre la classe ouvrière

Durant trois semaines, les émeutes dans les banlieues ont fait la Une de l’actualité. Des milliers de jeunes, issus pour une grande part des couches les plus pauvres de la population, ont crié leur colère et leur désespoir à coup de cocktails Molotov et de caillasses.

Les premières victimes de ces destructions sont les ouvriers. Ce sont leurs voitures qui sont parties en fumée. Ce sont leurs lieux de travail qui ont été fermés, plaçant plusieurs centaines d’entre eux au chômage technique. Un ouvrier interviewé pour le journal de 20h a magistralement résumé la parfaite absurdité de ces actes en ces termes  : «Ce matin, j’ai trouvé sur le pare-brise de ma voiture calcinée cette affiche. C’est marqué dessus ‘Nique Sarkozy’. Mais c’est pas Sarkozy qu’on a niqué, c’est moi !»

Même si l’explosion de colère des jeunes des banlieues est tout à fait légitime, la situation sociale qu’elle a créée représente un réel danger pour la classe ouvrière. Comment réagir ? Faut-il se ranger derrière les émeutiers ou derrière l’Etat «républicain» ? Pour la classe ouvrière, il s’agit là d’une fausse alternative car les deux pièges sont à éviter. Le premier serait de voir à travers la révolte désespérée de ces jeunes un exemple de lutte à suivre. Le prolétariat n’a pas à s’engouffrer sur ce chemin auto-destructeur. Mais la «solution» criée partout haut et fort par la bourgeoise est une impasse tout aussi grande.

En mettant à profit la peur que suscitent de tels événements, la classe dominante, avec son gouvernement, son Etat et son appareil répressif, se présente aujourd’hui comme le garant de la sécurité des populations et notamment des quartiers ouvriers.. Mais derrière ses beaux discours qui se veulent «sécurisants», le message qu’elle cherche à faire passer est lourd de menaces pour la classe ouvrière  : «Lutter contre l’ordre républicain, c’est-à-dire l’Etat capitaliste, c’est ce comporter en voyou, en racaille».

La bourgeoisie utilise la peur pour renforcer son arsenal répressif…

Incapable de résoudre le problème de fond, la crise économique, la bourgeoisie préfère naturellement le cacher et exploiter à son profit le côté spectaculaire des émeutes : les destructions et les violences… Et là, on peut dire que les journalistes ont su mouiller leur chemise afin d’alimenter au mieux cette propagande de la peur.

Ils sont allés chercher l’information au cœur des cités, livrant par centaines des images de voitures en flammes ou calcinées, multipliant les témoignages de victimes, réalisant des enquêtes sur la haine de ces jeunes pour toute la société.

Les reportages ont fourmillé montrant, dans la nuit, ces bandes de jeunes, casquette vissée sur la tète et recouverte elle-même d’une capuche masquant le visage. C’est en gros plan qu‘on a eu droit aux jets de cocktails Molotov et de cailloux, aux affrontements avec les forces de l’ordre et, de temps en temps, à l’interview d’un des émeutiers exultant en direct sa colère : «On existe, la preuve : les voitures brûlent» (Le Monde du 6.11.05) et aussi «on parle enfin de nous».

La bourgeoisie a ici exploité à merveille la violence désespérée des jeunes banlieusards pour créer un climat de terreur. C’est pour elle une occasion idéale pour justifier le renforcement de son arsenal répressif. La police peut en effet s’octroyer le luxe d’apparaître comme la protectrice des ouvriers, la garante de leur bien-être et de leur sécurité. Le débat entre le PS et l’UMP sur ce point a donné d’ailleurs le «la». Pour la droite, la solution est évidemment de donner plus de moyens aux forces de l’ordre en renforçant les unités d’intervention type CRS. Et pour la gauche c’est la même chose avec un autre enrobage. Le PS a proposé le retour de la police de proximité. Autrement dit, plus de flics dans les quartiers ! C’est bien pour cela que ces deux grands partis bourgeois se sont prononcés en faveur de l’Etat d’urgence.

Toutes ces mesures de renforcement de l’appareil répressif ne pourront mettre fin aux violences dans les banlieues. Au contraire, si elles peuvent être efficaces de façon immédiate et temporaire, à terme, elles ne peuvent qu’alimenter la tension et la haine de ces jeunes envers les forces de l’ordre. Les hommes politiques le savent très bien. En réalité, ce que vise la bourgeoisie avec le renforcement du quadrillage policier des quartiers «sensibles», ce ne sont pas les bandes d’adolescents désœuvrés mais la classe ouvrière. En faisant croire que l’Etat républicain veut protéger les prolétaires contre les actes de vandalisme de leurs enfants ou ceux de leurs voisins, la bourgeoisie se prépare en fait à la répression des luttes ouvrières lorsque celles-ci constitueront une véritable menace pour l’ordre capitaliste. La mise en place de l’Etat d’urgence, par exemple, vise à habituer la société, à banaliser le contrôle permanent, le flicage permanent et les perquisitions légales dans les quartiers ouvriers.

…Et pour diviser la classe ouvrière

La dimension la plus répugnante de la propagande actuelle est celle qui consiste à désigner les immigrés comme boucs émissaires.

Du fait que les émeutiers sont en partie des enfants issus de l’immigration, les ouvriers immigrés ont été insidieusement accusés de menacer «l’ordre public» et la sécurité des populations puisqu’ils sont incapables de tenir leurs enfants, de leur donner une «bonne éducation» en leur transmettant des valeurs morales. Ce sont ces parents «irresponsables» ou «démissionnaires» qui ont été montrés du doigt comme les vrais coupables. Et la palme du racisme affiché est revenue au ministre délégué à l’emploi, Gérard Larcher, pour qui la polygamie serait «l’une des causes des violences urbaines» (Libération du 17.11.05) !

Mais les forces de gauche ont apporté elles aussi leur petite pierre à l’édifice, mettant en avant, sous couvert d’humanisme, les difficultés de la société française à intégrer des populations de «divers horizons culturels» (pour reprendre leur terminologie). Les deux plus grands sociologues actuels sur la question des banlieues, Didier Lapeyronie et Laurent Mucchilie, qui se positionnent à la gauche radicale de l’échiquier politique, insistent ainsi sur le fait qu’aux yeux des jeunes issus de l’immigration «la promotion par l’école est réservée aux ‘blancs’, les services publics ne sont plus du tout des vecteurs d’intégration […] et les mots de la République […] sont perçus comme les masques d’une société ‘blanche’.» (Libération du 15.11.05). Les prolétaires immigrés auraient donc un problème spécifique qui n’aurait rien à voir avec le reste de la classe ouvrière.

En désignant les travailleurs immigrés comme les vrais responsables des violences urbaines, la bourgeoisie cherche ainsi à monter les ouvriers les uns contre les autres, à créer une division entre français et immigrés. Elle exploite la révolte aveugle des jeunes des banlieues afin de masquer la réalité : la paupérisation croissante de l’ensemble de la classe ouvrière, quelle que soit sa nationalité, ses origines ou sa couleur. Le problème de la misère, du chômage, de l’absence de perspective ne serait pas la conséquence de la crise économique insurmontable du capitalisme mais se résumerait à un problème «d’intégration» ou de «culture» ! En diabolisant ainsi les parents des jeunes émeutiers, la classe dominante justifie par la même occasion des attaques prétendument ciblées sur les «fauteurs de troubles» d’aujourd’hui mais qui, en réalité, toucheront toute la classe ouvrière demain. C’est par exemple le cas de la suppression des allocations pour les familles de «délinquants». Et que dire des mesures d’expulsion immédiate des étrangers pris dans les émeutes ? Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a demandé aux préfets d’expulser «sans délai de notre territoire national» les étrangers condamnés dans le cadre des violences urbaines des treize dernières nuits, «y compris ceux qui ont un titre de séjour» (Libération du 9.11.05). Mais la classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusion. Cette mesure ne restera pas une exception réservée aux seuls «petits voyous». Ces expulsions territoriales pour ‘trouble de l’ordre public’, l’Etat républicain n’hésitera pas à les utiliser dans le futur contre l’ensemble de la classe ouvrière lorsque celle-ci développera ses luttes  : pour briser une grève et son unité en obligeant les ouvriers qui justement «ont un titre de séjour» à reprendre le travail sous peine de «reconduction aux frontières» n

Pawel / 17.11.05

Questions théoriques: 

  • Décadence [4]

Les délocalisations illustrent les lois de l'exploitation capitaliste

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Les délocalisations sont utilisées à toutes les sauces dans la propagande de la bourgeoisie, à tel point que non seulement elles éclipsent toutes les autres attaques qui s’abattent sur le prolétariat, mais en deviennent même l’explication. Altermondialistes, gauchistes et partis de gauche occupent les avant-postes pour dénoncer «l’ultra-libéralisme»de patrons charognards et d’actionnaires assoiffés de juteux dividendes, qui, au milieu de différentes options possibles pour «un autre monde» choisiraient la politique du pire. Au contraire, dans cet article, nous allons montrer que les délocalisations résultent des lois les plus fondamentales qui régissent le système capitaliste lui-même.

Contrairement aux élucubrations altermondialistes «contre la marchandisation du monde», voilà belle lurette que sous l’égide du capitalisme les rapports marchands régissent l’ensemble des rapports sociaux et humains de la société. Dans la société capitaliste, fournir et vendre une marchandise, constitue, sous peine de se trouver privé de tout moyen de subsistance, le seul moyen d’obtenir une part des biens produits. Pour ceux qui ne possèdent aucun moyen de production, les prolétaires, et se trouvent de ce fait dans l’impossibilité matérielle de produire des marchandises, il ne leur reste plus qu’à proposer sur le marché une marchandise particulière, leur force de travail.

L’exploitation capitaliste de la force de travail

Comme pour toute autre marchandise, la valeur de la force de travail se traduit sur le marché par un prix et en argent : le salaire. La marchandise force de travail ne se distingue en rien des autres marchandises sur le marché, si ce n’est qu’elle est inséparable de son vendeur, le travailleur, et qu’elle ne supporte pas d’attendre trop longtemps l’acheteur, parce qu’elle périra avec son porteur, le travailleur, par manque de vivres.

La force de travail constitue pour l’acheteur capitaliste, le bourgeois, qui la consomme, la source de son profit. Si le capitaliste industriel ne faisait travailler le salarié qu’il a engagé que pendant le temps suffisant à l’ouvrier pour créer le salaire qu’il touche, le patron ne réaliserait aucun bénéfice. Il faut que le salarié travaille en plus de ce temps. Le temps de travail de tout ouvrier se compose, sans qu’il ne s’en rende compte, de deux parties : une partie payée, où l’ouvrier ne fait que restituer la valeur de son salaire, et une partie non payée, où il accomplit du travail gratuit ou du surtravail pour le capitaliste qui s’approprie la totalité de la production.

La condition du prolétaire se résume à l’insécurité de son existence. «Le prolétaire est démuni de tout ; il ne peut pas vivre un seul jour pour soi. La bourgeoisie s’est arrogée le monopole de tous les moyens d’existence au sens le plus large du terme. Ce dont le prolétaire a besoin, il ne peut l’obtenir que de cette bourgeoisie dont le monopole est protégé par le pouvoir d’Etat. Le prolétaire est donc, en droit comme en fait, l’esclave de la bourgeoisie ; elle peut disposer de sa vie et de sa mort. Elle lui offre les moyens de vivre mais seulement en échange d’un «équivalent», en échange de son travail ; elle va jusqu’à lui concéder l’illusion qu’il agit de plein gré, qu’il passe contrat avec elle librement, sans contrainte, en être majeur. Belle liberté, qui ne laisse au prolétaire d’autre choix que de souscrire aux conditions que lui impose la bourgeoisie (…)» (1).

Dans le système capitaliste, la soif d’exploitation du surtravail n’a pas de limites : plus le capitalisme tire du travail non payé des travailleurs, mieux c’est. Extorquer de la plus-value, et l’extorquer sans limites, tel est le but et le rôle de l’achat de la marchandise force de travail par le capitaliste. «Le capitaliste industriel n’en reste pas moins au fond un marchand. Son activité comme capitaliste (…) se réduit à celle qu’exerce un marchand sur le marché. Sa tâche consiste à acheter aussi judicieusement, à aussi bas prix que possible, les matières premières et accessoires, les forces de travail, etc., qui lui sont nécessaires, et à vendre aussi cher que possible les marchandises fabriquées dans sa maison. Dans le domaine de la production, un seul point doit le préoccuper : il lui faut faire en sorte que l’ouvrier fournisse, pour le salaire le plus petit possible, le plus de travail possible, rende le plus de plus-value possible.» (2).

Cette exploitation ne trouve sa limite que dans l’épuisement de l’exploité et dans la capacité de résistance que la classe ouvrière oppose à l’exploiteur. Pour augmenter la partie du temps de travail gratuit, où le prolétaire fournit au capitalisme sa plus-value, le capital dispose de différents moyens : l’allongement de la journée de travail, l’intensification des cadences pendant la durée du travail et l’abaissement des salaires, et même le minimum nécessaire au simple maintien en vie de l’ouvrier.

Comme toute marchandise, la force de travail est soumise à la concurrence et aux aléas du marché capitaliste. «…Quand il y a plus de travailleurs que la bourgeoisie ne juge bon d’en occuper, lorsque par conséquent au terme de la lutte des concurrents, il en reste encore un certain nombre sans travail, ceux-là précisément, devront mourir de faim ; car le bourgeois ne leur donnera probablement pas de travail, s’il ne peut vendre avec profit les produits de leur travail.» (3). La concurrence, «expression la plus parfaite de la guerre de tous contre tous qui fait rage dans la société bourgeoise moderne» où «les travailleurs se font concurrence tout comme les bourgeois se font concurrence» opposant actifs et chômeurs, autochtones et immigrés ou différentes fractions nationales du prolétariat constitue «l’arme la plus acérée de la bourgeoisie dans sa lutte contre le prolétariat.» (4).

Les délocalisations, produit de la concurrence capitaliste

La délocalisation de sites de production des pays industrialisés vers des pays à main-d’œuvre à bon marché constitue une évidente expression des lois capitalistes de la recherche d’un taux de profit maximum. Sous la pression de la concurrence à tout va entre grands pays industrialisés capitalistes pour des marchés de plus en plus limités, les salaires horaires moyens de 18 € en Espagne, 4 € en Pologne et en République Tchèque, 2 € au Brésil et au Mexique, 1 € en Roumanie, 0,7 € en Inde ou en Chine contre 23 € en Europe de l’Ouest ou aux Etats-Unis, constituent une immanquable aubaine pour le capitalisme, vampire de la force de travail.

Dès le 19e siècle, la bourgeoisie n’a jamais hésité, quand la technique de production le permettait, à démonter, par exemple, les métiers à tisser, pour aller chercher ailleurs, dans une autre région, une main d’œuvre moins chère ou plus docile à l’exploitation.

Même si les délocalisations, ne sont pas pour la classe ouvrière, une nouveauté, mais constituent un phénomène ancien et international, commun à tous les pays, depuis les années 1990, sous l’impulsion de la crise économique qui dure depuis plus de trois décennies, ce phénomène a connu une certaine accélération. Dans maints secteurs où le coût de la main-d’œuvre représente une part importante du coût de revient global de la production, ce transfert des pays industrialisés vers ceux où les coûts de production sont les plus faibles est même « déjà largement réalisé.» (5).

Dans le secteur automobile par exemple il y a longtemps que les grands constructeurs ont eu recours aux délocalisations. Renault produit la R12 depuis 1968 en Roumanie. «Dès les années 1970, Renault, comme d’ailleurs PSA, multiplie les partenariats locaux au Brésil, au Mexique, en Argentine, en Colombie et en Turquie. (…) Après les restructurations des années 80, Renault se lance dans le rachat de Samsung en Corée du Sud et de Dacia en Roumanie, en 1999 .» (6). La bourgeoisie n’a d’ailleurs pas attendu l’effondrement des régimes staliniens et la fin d’une prétendue «économie socialiste» pour que les puissances occidentales investissent et délocalisent dans les pays de l’ex-bloc de l’Est.

Si tous les secteurs de la production capitaliste sont touchés par les délocalisations, toute la production n’est pas destinée à être délocalisée comme le laisse entendre la propagande de la bourgeoisie. «Les secteurs de l’industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement, métallurgie, électroménager, automobile, électronique… Egalement touché le secteur tertiaire : centres téléphoniques, informatique, comptabilité… A vrai dire, toute production de masse et tout service répétitif sont susceptibles d’être délocalisés dans des territoires où le coût de la main d’œuvre est nettement moindre.» (7). La baisse drastique des prix des transports accomplie dans les années 1990 (baisse de 45% du coût du fret maritime et de 35% de celui du fret aérien entre 1985-93) a rendu encore plus infime l’inconvénient de l’éloignement des lieux de production de nombre de marchandises du marché où elles seront consommées.

L’exploitation à bas prix de la force de travail intellectuelle high-tech, trop chère dans les pays occidentaux, est frénétiquement recherchée, tout en s’épargnant les frais de sa formation, assurée sur place. En Chine, organismes publics occidentaux et entreprises privées sont de plus en plus nombreux «à créer sur place, telle France Télécom à Canton en juin 2004, des centres de recherche afin de bénéficier du fantastique vivier de scientifiques à bas prix qu’offrent les laboratoires chinois.» (9). L’Inde est aussi devenue en quelques années un pays de destination pour la conception de logiciels.

D’autre part, les délocalisations sont largement mises à profit pour réduire les coûts non productifs des grosses entreprises (gestion informatisée, exploitation de réseaux et maintenance, gestion des salaires, services financiers, service clientèle, gestion des commandes, centres d’appels téléphoniques), jusqu’à 40 à 60%. A tel point que «tout ce qui peut être fait à distance et transmis par téléphone ou satellite est bon à délocaliser.» C’est ainsi que l’Inde «tend à devenir l’arrière-boutique des entreprises américaines et britanniques.» (5).

Dans la compétition à mort que se livrent les nations, les Etats des pays développés mettent explicitement un coup de frein au départ à l’étranger de certaines activités. Posséder sur le territoire certaines industries garantes d’une puissance militaire capable de rivaliser avec les nations du même ordre constitue une nécessité stratégique et une question de survie dans l’arène impérialiste. Plus généralement, sur le plan économique, conserver sur son sol les productions centrales des différents secteurs-clés qui font la force de tel capital national face à la concurrence est tout aussi indispensable. Dans l’automobile, «Sous la pression de la concurrence qui oblige à produire à des coûts toujours plus bas se dessine un mouvement de délocalisation de la production des petites voitures destinées au marché français dans des pays à faible coût de main-d’œuvre, tandis que l’on garde dans l’Hexagone la production de véhicules haut de gamme dans des usines très automatisées. (…)» (6). Idem dans le textile où «aujourd’hui seuls les textiles incorporant technologie et savoir-faire sont encore fabriqués dans l’Hexagone.» (6).

Le nombre des pays bénéficiaires des délocalisations est réduit : « l’Inde, le Maghreb, la Turquie, les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) et l’Asie (notamment la Chine).»(7). Si chaque capital national possède sa terre d’élection, chacune répond à une même série de critères impératifs. Ces pays doivent non seulement posséder une certaine stabilité intérieure, ce qui est le cas d’un nombre toujours plus réduit de pays, tant bourgeonnent à la surface de la planète les zones entières livrées aux ravages de la guerre. Mais ils doivent également avoir une infrastructure adaptée et disposer d’une force de travail, rompue à l’exploitation capitaliste, voire relativement formée. La plupart des pays-cibles, ont connu un passé industriel (pays de l’Est) ou un semblant d’industrialisation. A contrario, les pays de l’Afrique subsaharienne, candidats à recevoir des délocalisations, n’en ont pas vu la couleur.

La crise de surproduction sans issue

La définition même des délocalisations comme «le déplacement vers l’étranger d’une activité économique existante [par exemple] en France dont la production est ensuite importée en France» (8) nous livre une partie du secret des chiffres mirifiques alignés par la bourgeoisie au sujet des prétendus miracles chinois ou hindou. A prendre la totalité de la production mondiale, les délocalisations forment une opération blanche. S’il y a bien création d’un pôle industriel qui n’existait pas avant, en aucun cas il n’y a développement ou nouvel essor de la production capitaliste puisque la création d’une activité inexistante auparavant dans tel pays d’accueil a au contraire pour corollaire direct la désindustrialisation et la stagnation des économies les plus avancées.

Pendant des décennies, ces pays ne sont pas parvenus à réaliser les investissements pour l’acquisition massive, d’une technologie moderne, condition indispensable pour soutenir la concurrence des pays plus développés et à accéder à une industrialisation digne de ce nom, même avec une main d’œuvre à très bas coût. Leur sous-développement, et le maintien dans cet état sont même actuellement une des conditions de l’intérêt que trouve le capitalisme à l’exploitation de la classe ouvrière sur place.

L’absence de perspective d’amélioration des conditions de vie du prolétariat des pays destinataires des délocalisations ainsi que le développement du chômage dans les pays occidentaux, vers lesquels se dirige le gros de la production délocalisée, ne peuvent pas contribuer à l’expansion du marché mondial, mais à l’aggravation de la crise de surproduction.

Les délocalisations ne constituent pas par elles-mêmes la cause du chômage et de la baisse du niveau de vie du prolétariat. Elles ne sont que l’une des formes que prennent les attaques qu’il subit, mais toutes possèdent la même racine : les lois économiques du système capitaliste qui s’imposent à chaque nation et à chaque bourgeois et qui plongent le monde capitaliste dans une crise de surproduction sans issue.

Pour engranger la plus-value produite par la classe ouvrière et enfermée dans les marchandises fabriquées, il faut encore que le capitaliste vende celles-ci sur le marché.

Les crises capitalistes de surproduction, fléau du système capitaliste, trouvent toujours leur origine dans la sous consommation des masses à laquelle est contrainte la classe ouvrière par le système capitaliste d’exploitation du travail salarié qui diminue constamment la part de la production sociale qui revient au prolétariat. Le capitalisme doit trouver une part de ses acheteurs solvables en dehors de ceux qui se trouvent soumis au rapport travail-capital.

Auparavant, l’existence sur le marché intérieur, de larges secteurs de production précapitalistes (artisanale et surtout agricole) relativement prospères, formaient le sol nourricier indispensable à la croissance capitaliste. Au plan mondial, le vaste marché extra-capitaliste des pays coloniaux en cours de conquête, permettait de déverser le trop plein des marchandises produites dans les pays industrialisés. Depuis qu’au début du 20e siècle, le capitalisme a soumis l’ensemble de la planète à ses rapports économiques, il ne dispose plus des conditions historiques qui lui avaient permis de faire face à ses contradictions.

Il entre dès lors dans sa phase de déclin irréversible qui condamne l’humanité aux guerres, aux convulsions des crises et à la misère généralisée, faisant peser la menace de sa destruction pure et simplen

 

Scott

 

(1) Engels, La situation laborieuse en Angleterre, (1845) Editions sociales p.119.

(2) K. Kautsky, Le programme socialiste, (1892), chapitre «Le prolétariat».

(3) Engels, Ibidem p.121.

(4) Engels, Ibid. p119.

(5) Novethics.fr. 10 janvier 2001.

(6) L’Expansion 27 janvier 2004.

(7) Vie publique.fr.12 janvier 2004.

(8) Le Monde.fr. 27 juin 2004.

 

 

Questions théoriques: 

  • L'économie [5]

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