La guerre des îles Malouines vient alimenter une propagande intensive de la bourgeoisie. Le spectre d'une 3ème guerre mondiale vient hanter la conscience des prolétaires. Pourtant, la préoccupation essentielle de la bourgeoisie, ce n'est pas la guerre, c'est la perspective des affrontements de classe dans les centres du capitalisme. Le cours historique est à la révolution. C'est ce cours que la bourgeoisie essaie de renverser pour ouvrir le chemin vers la guerre mondiale. Sur son chemin, elle doit s'affronter au prolétariat qui n'est pas embrigadé. Les campagnes incessantes n'ont pas d'autre but que d'affaiblir le prolétariat avant cet affrontement.
La lutte de classe en Pologne est venue montrer que le prolétariat n'est pas vaincu, que son potentiel de combativité est énorme. La crise est là qui frappe toujours plus fort et pousse le prolétariat vers la révolution. Le conflit des îles Malouines est utilisé par la bourgeoisie pour "distraire" le prolétariat de cette perspective, pour lui faire oublier qu'il ne peut être mis fin à la guerre sans d'abord mettre fin au capital.
L'enjeu du conflit n'est pas aux îles Malouines, il est au coeur du prolétariat mondial, là où se dessine 1'avenir de 1'humanité.
LES CAUSES DE LA GUERRE
Depuis le début des hostilités, le 2 avril 1982, le conflit des îles Malouines a fait des centaines de morts et de blessés. Déclenchée par le débarquement des troupes argentines, entamée au rythme lent de la mise en place du blocus naval par la marine britannique, la guerre a été brutalement débarrassée de ses oripeaux folkloriques sous les coups des armes les plus sophistiquées de la marine et de 1'aviation.
Toute l'histoire de la bourgeoisie et de ses guerres nous montre que les alibis humanistes ne sont que des mensonges. Ce conflit ne fait pas exception à la règle : le régime des tortionnaires de Buenos-Aires se fait le chantre de 1'anti-colonialisme, de 1'anti-yankee, lui qui a toujours survécu grâce au soutien politique, militaire et économique des Etats-Unis ; la bourgeoisie anglaise se pose comme le défenseur intransigeant des valeurs démocratiques, elle dont l'histoire est jalonnée de massacres coloniaux, de guerres impérialistes, elle qui aujourd'hui s'est faite la spécialiste de la répression en Irlande du Nord. Tout cela n'est que de la propagande. Mais où sont donc les intérêts en jeu qui peuvent justifier un tel conflit ?
QUELS INTERETS ECONOMIQUES ?
Quasiment inconnues il y a encore quelques mois, les îles Malouines se retrouvent propulsées aujourd'hui au centre de l'actualité mondiale. 1800 habitants, dont la richesse ne reposait que sur 300 000 moutons et sur la pêche se retrouvent aujourd'hui prisonniers sous un déluge de bombes. Ce ne sont pas ces pauvres activités économiques qui peuvent réellement susciter des convoitises et une guerre de cette envergure. Alors, les Malouines recèlent-elles des ressources cachées ? La presse a pu parler à loisir des richesses cachées des océans : pétrole, krill, nodules poly-métalliques, etc. pour essayer d'expliquer le conflit. Pourtant, à l'heure de la crise de surproduction généralisée, qui va investir dans l'Atlantique Sud, surtout dans la région des Malouines, près du cercle polaire, aux conditions climatiques terribles? L'Atlantique Sud n'est pas la mer du Nord, entourée de pays industrialisés qui ont permis l'exploitation pétrolière dans des conditions climatiques comparables et on sait avec quelles difficultés.
Il n'y a pas d'enjeux économiques majeurs aux Malouines. Ces rochers perdus au milieu de l'océan, balayés par des vents glacés, sont-ils des enjeux stratégiques ?
QUELS ENJEUX STRATEGIQUES ?
Les îles Malouines étaient jusqu'à présent éloignées des préoccupations militaires. Les vieilles revendications territoriales des argentins semblaient faire partie du folklore latino-américain, tandis que la présence militaire de la Grande-Bretagne était symboliquement constituée avant le débarquement des troupes argentines par une poignée de soldats. Ces îles ne constituent un enjeu stratégique ni pour la Grande-Bretagne, ni pour 1'Argentine
Pour l'ensemble du bloc occidental qui voit deux de ses piliers s'affronter, les îles Malouines ne représentaient pas plus un enjeu stratégique crucial. Le bloc adverse, contrôlé par l'URSS, est bien incapable d'intervenir militairement dans cette région du globe. L'Amérique du Sud est la chasse gardée des Etats-Unis. A mille kilomètres des côtes du continent sud-américain, les îles Malouines sont à des milliers de kilomètres des bastions militaires pro-russes les plus proches, Cuba et l'Angola. Quant aux mythiques bases russes de l'Antarctique, elles se trouvent de l'autre côté du pôle sud. La plus importante présence militaire de l'URSS dans cette région, c'est encore l'oeil de ses satellites.
Le danger"russe"viendrait-il alors de l'Argentine elle-même ? On peut en effet difficilement soupçonner la Grande-Bretagne de sympathie prorusse. Le principal argument à l'appui de cette thèse réside dans le commerce argentin avec l'URSS, et notamment les exportations de blé à destination du bloc de l'Est. L'Argentine ne s'est-elle pas opposée ainsi à l'embargo sur le blé qu'avait décidé le président des Etats-Unis, Carter, après l'invasion de l'Afghanistan. Cet argument tombe à l'eau de lui-même, lorsqu'on sait que les exportations de céréales des Etats-Unis vers l'URSS sont bien supérieures à celles de l'Argentine. Ce serait quoi qu'il en soit7faire bien peu de cas du contrôle exercé par les Etats-Unis sur l'Argentine, dont le gouvernement et l'armée vivent au rythme des conseillers américains ([1] [1]). Un tel conflit n'a pu se déclencher sans que ceux-ci soient au courant.
Malgré la prétendue surprise affichée à Londres et Washington devant le débarquement des troupes argentines, celui-ci n'a pu se préparer et s'effectuer sans que les principales puissances occidentales ne soient au courant.
Dans ces conditions, s'il n'y a pas d'enjeux économiques et militaires qui justifieraient un tel déploiement de forces, pourquoi cette guerre, pourquoi ces morts ?
En voyant ce que le conflit des Malouines n'est pas, nous devinons ce qu'il cache : un gigantesque mensonge, son but est double : tester les armes navales modernes, et surtout nourrir une campagne intense de propagande qui vise à annihiler la prise de conscience du prolétariat mondial et notamment immobiliser les gros bataillions du prolétariat des pays industrialisés d’Europe.
DES GRANDES MANOEUVRES MEURTRIERES
Le bloc occidental contrôlé par les Etats-Unis trouve là l'occasion dans des conditions réelles de tester ses armes les plus sophistiquées. Tout cela loin de toute possibilité d'ingérence de l'URSS, en toute "tranquillité" vis-à-vis du grand rival impérialiste : le bloc de l'Est.
Cette guerre, qui met aux prises deux alliés fidèles et importants des Etats-Unis, n'est pas un affaiblissement pour le bloc occidental, bien au contraire. Elle lui sert à organiser pour l'avenir sa stratégie aéronavale et à orienter les milliards de dollars d'investissement nécessaires à la modernisation de son armement.
La Guerre des Six-Jours entre Israël et l'Egypte avait bouleversé les conceptions des stratégies de la mort moderne sur les batailles de blindés. Des centaines de chars détruits en quelques heures avaient montré l'importance des missiles et de l'électronique dans la guerre moderne sur terre. Le conflit des îles Malouines vient clarifier dans le même sens les conceptions actuelles de la bataille navale.
Au milieu de la tempête, dans des eaux glacées qui tuent en quelques minutes ceux qui tombent dedans, avec des nuits qui durent 15 heures, la bourgeoisie fait manoeuvrer ses troupes, expérimente ses armements les plus sophistiqués avec tout le mépris de la vie humaine que cela implique. Sous-marins atomiques, destroyers ultra-modernes aux noms ronflants, avions et missiles aux noms "innocents", transports de troupes dans le "luxe" des grands paquebots transatlantiques, bombardiers à long rayon d'action : la bourgeoisie nous demande de nous extasier devant la sophistication technologique et la perfection mortelle de sa panoplie guerrière, comme autrefois la presse alliée avait salué le bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki comme un "grand progrès scientifique" !
La bourgeoisie française trahit l'hypocrisie de toute la bourgeoisie lorsqu'elle s'extasie et se frotte les mains devant 1'efficacité des avions Mirage et Super-Etendard et des missiles Exocet qui sont pourtant employés contre son allié britannique.
Un capitaine de vaisseau britannique trahit les préoccupations militaires réelles de la bourgeoisie occidentale lorsqu'il déclare que, si le missile Exocet a coulé le destroyer Sheffield, c'est parce que ce dernier n'avait pas de défense contre ce système d'arme, mais que de toute façon, les russes n'ont pas d'armes équivalentes à l'Exocet. Derrière le conflit des îles Malouines, la bourgeoisie occidentale prépare le réarmement des forces aéronavales de l'OTAN face à l'URSS.
Mais là n'est pas encore l'essentiel. Dans ce conflit, la bourgeoisie vise un autre but, autrement important dans la période actuelle : la propagande pour égarer, déboussoler et museler le prolétariat.
LA CAMPAGNE IDEOLOGIQUE
Depuis le 2 avril 82, le spectacle de la guerre entre l'Argentine et la Grande-Bretagne fait la une et mobilise les médias du monde entier. La guerre entre l'Irak et l'Iran qui a fait plus de 100 000 morts et qui continue, n'a jamais eu un tel "succès". Ce ne sont certainement pas des motifs humanistes ou simplement la volonté de l'information qui animent une telle campagne, lancée à l'échelle internationale.
Dans la période de décadence du capitalisme, la bourgeoisie maintient sa domination sur la société par la terreur et le mensonge. Jamais l'humanité n'avait vécu une telle barbarie. Ce siècle a fait plus de 100 millions de morts dans les guerres ; des milliards d'hommes croupissent dans la famine et la misère les plus extrêmes. Chaque jour, dans ses usines, la bourgeoisie assassine plus d'ouvriers soumis à des conditions de travail désastreuses, qu'en deux mois de conflit aux îles Malouines. Chaque jour, les conditions de vie désespérantes qu'impose le capital, poussent des milliers de nouvelles victimes vers le suicide. C'est cette réalité de la barbarie du capitalisme en faillite que la bourgeoisie veut toujours faire oublier par sa propagande.
La campagne sur la guerre des îles Malouines ne fait pas exception à la règle. Déjà, la manière dont la bourgeoisie argentine se lance dans le conflit, utilisant celui-ci comme dévoiement du mécontentement social grandissant, la manière dont la bourgeoisie britannique réagit en développant un matraquage chauvin, nous montrent de façon caricaturale le poison idéologique que veut semer la bourgeoisie : accentuer la division du prolétariat mondial par le nationalisme. De ce processus, seule la bourgeoisie sort renforcée, aussi bien l'union nationale ([2] [2]) que la fausse opposition entre "pacifistes" et "bellicistes" sont autant de thèmes dont le seul but est d'empêcher la classe ouvrière de se concevoir de façon autonome par rapport à ses exploiteurs, et de l'entraîner derrière la bourgeoisie.
Mais si cette campagne trouve son expression la plus claire en Argentine et en Grande-Bretagne, les deux pays directement engagés dans la guerre, l'essentiel, même si cela peut paraître moins évident, c'est sa dimension internationale, à l'échelle du bloc de l'Ouest. C'est tout le prolétariat du bloc impérialiste contrôlé par les Etats-Unis qui est visé.
Pourquoi une telle campagne idéologique de la part de la bourgeoisie ? D'abord pour semer la confusion au sein du prolétariat. La crise pousse toujours plus la bourgeoisie vers la faillite économique ; elle est de plus en plus obligée d'attaquer le prolétariat, d'amputer son niveau de vie, de le réduire à des conditions de misère toujours pires. Après celui des pays sous-développés, c'est au tour du prolétariat des pays développés à être soumis à une paupérisation accélérée.
Dans les années 70, face à une attaque limitée de la bourgeoisie, le prolétariat a montré dans les métropoles du capitalisme qu'il n'était pas vaincu. La crise est là qui vient balayer les dernières illusions. Les grèves en Pologne sont venues montrer que le potentiel de combativité est intact. Au coeur historique, au centre de gravité du prolétariat mondial, en Europe, les conditions s'accumulent qui poussent vers une situation explosive, qui poussent le prolétariat vers la prise de conscience de la nécessité et de la possibilité de la révolution prolétarienne. C'est cette prise de conscience que la bourgeoisie veut entraver, dévoyer, affaiblir au travers d'incessantes campagnes menées depuis deux ans : sur l'Iran, sur l'Afghanistan, sur le Salvador, sur la Pologne, sur le pacifisme, etc...([3] [3]). La campagne sur la guerre des îles Malouines se situe dans cette continuité ; c'est dans ce cadre qu'elle prend tout son sens.
La propagande de la bourgeoisie sert d'abord un but : faire oublier au prolétariat le terrain de la lutte de classe. Avec la guerre locale des îles Malouines, après l’Afghanistan, l'Iran, le Salvador, la bourgeoisie occupe la tête des prolétaires et tente de faire oublier l'essentiel. Elle cherche à habituer à l'idée de la guerre, à en faire le centre des préoccupations de la classe ouvrière, et ainsi la déboussoler. La propagande bourgeoise cherche à hypnotiser le prolétariat, comme le serpent qui paralyse ainsi sa proie avant de la tuer et de la dévorer.
Le corollaire des campagnes bellicistes, c'est la pacifisme. Enfermer le prolétariat dans le faux choix "guerre ou paix" ne vise qu'un but : faire accepter au prolétariat la "paix" capitaliste, c'est-à-dire la misère. La "paix" capitaliste n'est qu'un leurre, ce n'est que la préparation de la guerre impérialiste dans un système qui, depuis des dizaines d'années, ne survit que par et pour la guerre.
Tant que le sang n'avait pas coulé, l'aspect folklorique du conflit ne permettait pas un plein développement de la campagne à partir du conflit des îles Malouines. La bourgeoisie a tué ce qu'il fallait (des centaines de soldats) pour crédibiliser aux yeux du prolétariat mondial le danger de guerre. Faire peur avec la guerre, afin d'amener le prolétariat à oublier la perspective révolutionnaire qui se dessine, seule alternative réelle à la crise de l'économie capitaliste. Créer au sein de la classe ouvrière le réflexe de l'autruche afin que le prolétariat plonge la tête dans les sables mouvants du nationalisme.
La bourgeoisie n'avait pas procédé autrement lors des campagnes anti-terroristes : créer un sentiment d'insécurité en alimentant les campagnes à coup de bombes sanglantes, de statistiques et faits divers sur la délinquance, afin de justifier le renforcement de l'appareil policier, de diviser le prolétariat et renforcer son atomisation au nom de l'ordre social.
L'impact de la campagne sur les îles Malouines ne se mesure pas tant dans un embrigadement du prolétariat en Argentine ou en Grande-Bretagne derrière l'étendard national (ce qui reste on ne peut plus hypothétique et de toute façon provisoire), mais dans la peur de la guerre mondiale et les réflexes isolationnistes induits, derrière lesquels rode le nationalisme ([4] [4]).
La campagne sur ia guerre des îles Malouines rejoint les campagnes qui l'ont précédée dans la tentative d'utiliser la peur de la guerre comme moyen de paralyser le prolétariat en lui faisant croire que toute instabilité sociale accélère le danger de guerre mondiale. Ce fut le thème véhiculé lors des grèves en Pologne : prétendre que la lutte des ouvriers polonais serait un facteur d'accroissement des tensions inter-impérialistes. C'est exactement l'inverse : la grève de masse en Pologne a constitué un frein aux tendances bellicistes de l'ensemble de la bourgeoisie mondiale. Le dispositif militaire du Pacte de Varsovie a été paralysé en même temps que l'économie polonaise ; les bourgeoisies des pays occidentaux, inquiètes des risques de généralisation de la lutte de classe en Europe, ont du également mettre leurs préoccupations militaires vis-à-vis du bloc adverse au second plan.
Pour isoler le prolétariat dans chaque pays, pour l'affaiblir, le nationalisme est une arme essentielle. C'est un réflexe isolationniste et nationaliste que la bourgeoisie s'évertue à recréer derrière le pacifisme, le neutralisme, le bellicisme, 1'anti-américanisme, 1'anti-totalitarisme, etc. Derrière le conflit des îles Malouines, la stratégie de la bourgeoisie se prof4-le : diviser le prolétariat pour mieux l'affronter.
Ce conflit truqué permet à la bourgeoisie au travers des "divisions" entre camps belligérants d'essayer d'opposer des fractions du prolétariat mondial à d'autres.
- Le déchaînement d'une violente campagne anti-USA en Amérique Latine a pour but, après la campagne sur le Salvador d'exacerber les sentiments anti-gringos, anti-yankee très vivaces en Amérique latine et ainsi d'opposer le prolétariat d'Amérique du Sud à celui d'Amérique du Nord. De la même manière les thèmes anti-coloniaux de la propagande argentine face à l'Alliance des pays développés, USA et Marché Commun visent à opposer le prolétariat des pays sous-développés à celui des pays développés. Dans les pays d'Europe de l'Ouest le prolétariat est appelé à soutenir l'effort de guerre de sa bourgeoisie au nom des valeurs occidentales, de la démocratie face au militarisme et au totalitarisme, les mêmes thèmes de propagande utilisés contre le bloc adverse, des forces du pacte de Varsovie.
Les grandes campagnes internationales de la bourgeoisie ont pour but essentiel dans la période actuelle, quelque en soit le prétexte, de développer les divisions au sein du prolétariat mondial, d'isoler chaque fraction de la classe ouvrière par rapport aux autres. Diviser pour régner, c'est toujours la même vieille recette éprouvée de la domination des exploiteurs.
La victoire que la bourgeoisie de tous les pays attend de la guerre des Malouines, ce n'est pas celle des armes, c'est celle de la propagande, du mensonge. Son but, ce n'est pas la domination sur un archipel de rochers, mais la domination sur le prolétariat.
GUERRE OU REVOLUTION
Avec le conflit des îles Malouines, ce qui se profile ce n'est pas immédiatement le spectre d'une troisième guerre mondiale, contrairement à ce que veut faire croire la classe dominante, c'est d'abord la préparation d'une attaque du prolétariat sur le plan économique, idéologique et militaire que la bourgeoisie met en place. C'est de cet ennemi-là que la bourgeoisie a peur.
Tous les palliatifs de la classe capitaliste pour faire face à la crise se révèlent impuissants. Les centres industriels sont touchés de plein fouet et le pire est à venir. L'affaissement du système économique mondial en son centre créé les conditions d'une explosion sociale au cœur du prolétariat mondial, là d'où le capital s'est élancé à la conquête du monde, là où se trouve l'enjeu des guerres mondiales, là où, au début du siècle, a été concrètement posée la question de la révolution prolétarienne : l'Europe.
La Pologne a été un avertissement pour la bourgeoisie mondiale. La dégradation accélérée de ses conditions de vie pousse la classe ouvrière vers un nouveau saut qualitatif de sa lutte et de sa conscience, au niveau international.
Les campagnes de division de la bourgeoisie ont pour but d'entraver ce processus qui mène vers la révolution communiste parce que c'est lui qui est à 1'ordre du jour.
Le chemin vers la guerre mondiale est barré par la dynamique de la lutte de classe prolétarienne. Le cours historique est vers des affrontements révolutionnaires et la bourgeoisie ne parvient pas^à embrigader le prolétariat mondial pour l'entraîner vers une guerre mondiale. La nature même du conflit des Malouines montre paradoxalement que la guerre mondiale n'est pour l'instant pas à l'ordre du jour. L'importance des moyens mis en œuvre pour cette campagne est à la hauteur des appréhensions de la bourgeoisie.
Pourtant s'il n'est pas immédiat au niveau mondial, le danger de guerre,est toujours présent. Le capitalisme ne peut vivre sans guerre; d'une certaine manière le conflit des Malouines vient encore le démontrer. Le prolétariat, s'il ne veut pas être entraîné dans la guerre capitaliste, doit détruire le capital. Les armes qui sont expérimentées dans l'Atlantique Sud donnent un avant-goût de ce que prépare la bourgeoisie. Si le prolétariat ne réagit pas, elle n'en restera pas là.
Mettre fin à la guerre, c'est mettre fin au capital car les deux sont indissolublement liés. C'est ce que la bourgeoisie veut nous faire oublier. Plus que jamais, l'alternative reste la division du prolétariat et la guerre ou l'union de la classe ouvrière et la révolution.
J.J.
"Mais les "faucons ", comme les "colombes ", commencent à s'interroger 1 'effort militaire en temps de paix est-il la meilleure façon de sortir de la crise économique? Jusqu'où l'austérité peut-elle être imposée sans menacer les équilibres internes? " ("Le monde diplomatique", avril 82)
"Le problème de la défense européenne est sérieux, mais il est avant tout d'ordre politique et économique. Le risque en Europe n'est pas 1 ' invasion peu probable par l'URSS mais l'échec moral économique et politique qui pourrait faire le jeu de ce pays."(Citation du co-directeur de l’Institut des Sciences politiques de Washington idem)
Le problème numéro un que confronte la bourgeoisie aujourd'hui, c'est le danger d'affrontement avec la classe ouvrière. La presse et les théoriciens de la bourgeoisie eux-mêmes l'expriment de plus en plus clairement.
[1] [5] Par ailleurs, 1'affrontement met face à face 1 'Argentine et la Grande-Bretagne, qui{, culturellement (150 000 argentins d'origine britannique), économiquement (la City de Londres a d'énormes investissements en Argentine) et militairement (la Grande-Bretagne fournit une part notable des armes qui massacrent ses propres soldats), sont des pays étroitement liés. Le Japon de son côté, aide 1'Argentine à faire face à ses dépenses de guerre en acceptant le report du paiement des dettes de celle-ci. Tous ces éléments ne peuvent que faire douter de la réalité des antagonismes
[2] [6] En Argentine les tortionnaires sont soutenus par leurs anciennes victimes, les torturés de l'opposition. Le nationalisme efface tout. Là est le rêve de la bourgeoisie que les victimes acceptent leurs bourreaux et que les exploités vénèrent leurs exploiteurs.
[3] [7] Sur la Pologne, voir Revue Internationale, N°27, 28 et 29. Sur le Salvador, voir le N° 25. Sur 1'Iran, voir Revue Internationale N°20 et 22.
[4] [8] La bourgeoisie est friande de sondages, instruments d'intoxication sur le thème de "1 'opinion publique" et qui lui servent aussi d'indications sur l'impact de ses campagnes idéologiques. L'Institut Gallup a ainsi fait un sondage international sur le thème de "la défense de la patrie". En France, à un sondage IFRES-Wickert, 47 % des personnes interrogées pensent que 1 'affaire des Malouines peut déboucher sur un conflit mondial, tandis que 87 % des allemands de l'Ouest estiment que les risques d'une guerre mondiale a augmenté à cause de ce conflit. Corollairement, face à cette peur, le vieux réflexe nationaliste joue au travers de la volonté saine mais détournée de rester en dehors du conflit : 61 % de gens en France s 'opposent au soutien à la Grande-Bretagne si cela devait impliquer un engagement ; 75 % des allemands réclament une stricte neutralité. En partie, ces chiffres montrent un manque d'adhésion à la guerre.
De 1845 à 1847, le monde, particulièrement l'Europe, par suite de mauvaises récoltes agricoles, va connaître une grave crise économique : le prix du blé double en France, éclatent alors des émeutes de la faim. Les paysans ruinés ne peuvent plus acheter aux industriels, la construction de chemins de fer s'arrête, le chômage se généralise, les salaires baissent, les faillites se multiplient. La classe ouvrière engage une lutte pour des réformes : pour la limitation de la durée de travail pour un salaire minimum, pour l'obtention de travail, pour un droit de coalition et de grève, pour l'égalité civique et la suppression des privilèges, etc. Consécutivement : les journées explosives de février 1848 en France, si bien condensées dans le fameux opuscule de Marx "Les luttes de classe en France", devaient léguer comme leçon majeure à la postérité la nécessité pour la classe ouvrière de se démarquer désormais de la classe bourgeoise, de préserver une indépendance de classe. On oubli un aspect essentiel de cette révolution, pourtant : elle n'avait pas été provoquée par une guerre. Les causes en étaient oubliées, l'attention se concentrait sur l'écrasement de l'insurrection de juin 48 et la question d'un meilleur armement des ouvriers, de combats de rue mieux organisés, à l'encontre des leçons tirées par Marx et Engels sur la période historique et la nature de la lutte de classe.
Plus tard, si le désastre de Sedan entraîna l'effondrement de l'Empire en septembre 1870 puis la constitution d'un "gouvernement de Défense Nationale" avec le bourgeois Thiers à sa tête - qui allait échouer à désarmer la population parisienne et entraîner en réaction l'érection de la Commune au mois de mars - ce fût certes la première insurrection prolétarienne victorieuse de l'histoire, ce fut malgré tout un "accident" comme le reconnut Marx en cette période encore ascendante du capitalisme. Une nouvelle fois la bourgeoisie triomphait du prolétariat en train de se constituer. L'invocation de la Commune de Paris réitérée en oubliant son caractère accidentel conforta bien des confusions sur les possibilités pour une révolution prolétarienne de sortir victorieuse à long terme d'une guerre. Certes comme le notait Engels dans une introduction à "La Guerre Civile en France" : "... dès le 18 mars, le mouvement parisien avait un caractère de classe jusqu'alors dissimulé par la lutte contre l'invasion étrangère". Mais les conditions objectives n'étant pas réunies les communards étant en avance sur la marche de l'histoire, deux facteurs contribuèrent à la défaite : l'isolement (une ville assiégée) et le terrain militaire propre à la bourgeoisie ("la guerre contre l'armée versaillaise, sans cesse renforcée, absorba toutes les énergies" Engels), sans oublier le poids de l'entier soutien des forces prussiennes à la bourgeoisie française. Incroyable "ironie" de l'histoire, la Commune, tout en montrant concrètement la possibilité et la nécessité de la dictature du prolétariat, laissait accroire que toute révolution pouvait désormais émerger d'une guerre, et par vacuité théorique entraîna de fausses théorisations dans le mouvement ouvrier ; par exemple Franz Mehring et Jules Guesde théorisèrent la guerre "révolutionnaire" ; cette thèse confinera chez Guesde avec la thèse nationaliste de soumission à sa propre bourgeoisie. Or, surtout avec la fin du siècle consacrant l'entrée en décadence du capitalisme, il n'y avait plus de guerre "révolutionnaire", il n'y en avait d'ailleurs jamais eu pour le prolétariat. Nous verrons tout au long de ce texte pourquoi la guerre n'est pas en soi un "mal nécessaire" à la révolution.
Evidemment, comme toute expérience originale, la Commune -bien qu'à l'origine réaction ultime de "Défense Nationale"- confrontait pour la première fois en temps de guerre une bourgeoisie surprise et inexpérimentée face à la menace prolétarienne et révélait qu'une guerre est inévitablement stoppée par l'éruption du prolétariat ou en tout cas qu'elle ne peut pas être menée n'importe comment s'il subsiste le moindre îlot de résistance prolétarienne. L'arrêt de la guerre dans de telles conditions permet un repli des forces bourgeoises, la fin temporaire de leurs antagonismes guerriers et impérialistes afin de contourner puis étrangler conjointement le prolétariat.
En dépit de ce type de situation plus favorable à la bourgeoisie, pendant des décennies on accepta comme un axiome dans le mouvement ouvrier que les guerres créaient ou pouvaient créer les conditions les plus favorables à la généralisation des luttes et ainsi à l'explosion révolutionnaire. On s'abstint de considérer le handicap presque insurmontable créé par les situations de guerre mondiale qui limite ou réduit à néant une réelle extension victorieuse de la révolution. C'est véritablement à l'orée de la période décadente du capitalisme que l'enjeu va apparaître plus clairement dans le cours vers la 1ère guerre mondiale à travers la question : Guerre OU Révolution, et non pas Guerre ET Révolution.
La lutte de classe dans les conditions de guerre
Les révolutions de 1905 et 1917 dans le cours vers la guerre mondiale
N'en déplaise aux glorificateurs d'un passe considéré comme sans failles, les minorités révolutionnaires russes et allemandes à l'intérieur de la IIème Internationale n'ont pas considéré suffisamment les conditions imposées par le changement de période du capitalisme. Même s'il est vrai qu'il était terriblement difficile de s'extraire du processus d'involution de la IIème Internationale, les futurs fondateurs de l'Internationale Communiste furent surpris par l'entrée en guerre et ne se sont pas consacrés à tout le travail de préparation nécessaire pour le prolétariat.
Depuis quelques années, le CCI est parvenu à dégager l'importance de la notion de cours historique et le poids défavorable des conditions de guerre par le passé pour les révolutions (il est utile de se reporter à l'article "Le cours historique" Revue Internationale n°26). Rétrospectivement, on peut considérer qu'il revient à l'audacieux et lucide Trotsky avec sa fraction au début du siècle, non seulement d'avoir compris dès avant 1914 mieux que la majorité des bolcheviks qu'il n'y avait plus de révolution bourgeoise à l’ordre du jour en Russie, mais d'avoir aussi commencer à déblayer le terrain des fausses théorisations en délimitant les conditions aggravantes de cette révolution de 1905 en Russie "attardée" et "ratée" selon ses propres termes :
"La guerre, incontestablement, a joué un rôle énorme dans le développement de notre révolution, elle a désorganisé matériellement l'absolutisme : elle a disloqué l'armée, elle a donné de l'audace à la masse des habitants. Mais heureusement elle n'a pas créé la révolution et c'est une chance parce que la révolution née de la guerre est impuissante : elle est le produit de circonstances extraordinaires, repose sur une force extérieure et en définitive se montre incapable de conserver les positions conquises". (Notre révolution) La minorité autour de Trotsky, publiant "Naché Slovo" (Notre parole), produit et cristallisation d'une forte poussée de la classe au début du siècle en Russie, sera une des plus aptes à tirer des leçons cruciales sur la spontanéité historique du prolétariat se dotant de Conseils ouvriers, mais aussi mettra en lumière une raison essentielle à l'échec de 1905 : la situation de guerre. Dans son article "Catastrophe militaire et perspectives politiques" (Naché Slovo, avril-sept 1915), Trotsky, au nom de sa fraction, se refuse à spéculer sur la guerre en soi, non par motifs d'ordre humanitaires, mais pour des conceptions internationalistes. Il met en évidence le clivage insurmontable introduit par le processus de guerre : si la défaite ébranle le gouvernement vaincu et peut par conséquent favoriser sa décomposition, il n'en est rien pour le gouvernement victorieux qui est au contraire renforcé. De surcroît, dans le pays défait, rien n'est joué s'il n'existe pas un prolétariat fortement développé et apte à déstabiliser complètement son gouvernement vaincu militairement par homologue ennemi. Les contradictions entraînées par la guerre constituent un facteur très douteux d'impulsion historique du prolétariat dans la voie du succès ; constatation qui ne peut être infirmée à posteriori par aucun des échecs révolutionnaires, y compris la courte vague de bouleversements sociaux ouverte par l'année 1917.
La guerre n'est pas un tremplin assuré pour la révolution, elle est un phénomène dont le prolétariat ne peut avoir un parfait contrôle ou en disposer de son plein gré pour la faire disparaître alors qu'elle sévit mondialement. Trotsky au cours de ces années d'apprentissage, conçoit ainsi parfaitement l'impuissance d'une révolution basée uniquement sur des "circonstances extraordinaires". Les circonstances défavorables d'une révolution issue d'une défaite militaire dans un pays, sont, outre d'être circonscrite à ce seul pays, de trouver en héritage : "Une vie économique détruite, des finances exsangues et des relations internationales peu favorables" (Naché Slovo). Par conséquent, la situation de guerre ne peut conduire qu'à une réalisation plus difficile, voire impossible, des objectifs d'une révolution. Sans nier qu'une situation de défaitisme puisse préfigurer la catastrophe militaire et politique d'un Etat bourgeois et doive être utilisée par les révolutionnaires, Trotsky répète que ceux-ci ne font pas à leur guise les circonstances historiques mais représentent une des forces du processus historique. D'ailleurs ces révolutionnaires n'avaient-ils pas été induits en erreur en 1903 croyant à l'imminence d'une révolution avec un développement massif des grèves en Russie, qui devaient être paralysées dans un premier temps par la guerre russo-japonaise, puis, malgré le sursaut de 1905, défaites avec l'arrêt de cette même guerre ? Trotsky peut tracer une analogie historique avec les importantes grèves de 1912-1913 qui tiraient profit, à un niveau plus élevé pourtant des expériences précédentes, pour être en fin de compte bloquées à nouveau par la préparation de la guerre mondiale cette fois-ci. La défaite russe dans ces nouvelles circonstances ne dit rien qui vaille à Trotsky, d'autant plus que les sociaux- patriotes Lloyd George, Vandervelde et Hervé envisagent favorablement cette défaite comme propre à éveiller "le bon sens gouvernemental des classes dirigeantes", autrement dit spéculent en vulgaires défaitistes sur "la force automatique du krach militaire, sans intervention directe des classes révolutionnaires". Cette méfiance se justifiait d'autant plus que la défaite militaire en soi n'est pas la voie royale à la victoire révolutionnaire ; il faut, dit encore Trotsky insister sur l'importance de l'agitation des révolutionnaires dans cette période de bouleversements qui s'ouvre bien que défavorablement compte tenu de l'expérience historique antérieure.
La catastrophe militaire en épuisant les moyens de domination économique et politique de l'autocratie capitaliste ne risque-t-elle pas de ne provoquer mécontentement et protestations que dans une certaine limite ? Le risque ne demeure-t-il pas que l'épuisement des masses consécutif à la guerre ne les conduise à l'apathie ou au désespoir ? Le poids de la guerre est colossal, il n'y a pas d'automatisme vers une explosion révolutionnaire. Les dégâts prolongés de la guerre peuvent couper l'herbe sous le pied à toute alternative révolutionnaire. Malheureusement Trotsky se trompe sur un point, il croit que l'accumulation de défaites guerrières ne favoriserait pas la révolution, tout le contraire est vrai, c'est justement pour éviter cela que la bourgeoisie mondiale, prévoyante et inspirée par son passé, arrêtera la guerre en 1918. D'autre part, il utilise encore le mot d'ordre de "lutte pour la paix" au lieu de défaitisme révolutionnaire plus conséquent et défendu fermement par Lénine. Cependant, et déjà dans les circonstances tragiques et défavorables à long terme de la 1ère guerre mondiale, Trotsky détermine clairement le saut qualitatif nécessaire par rapport à 1905 : le mouvement révolutionnaire ne peut plus être "national" mais "de classe" à l’encontre des pleurnicheries des sociaux-patriotes mencheviks et libéraux alignés derrière le slogan capitaliste de "victoire", c'est à dire de prolongation de la guerre. Le prolétariat en Russie est confronté à toutes les fractions bourgeoises qui veulent l'isoler et l'empêcher de réagir sur son terrain de classe ; contrairement à 1905, il ne peut plus bénéficier de la "neutralité bienveillante" de la bourgeoisie. En 1905, il était faible car sans aide externe, isolé des masses prolétariennes d'Europe, quand au contraire le tsarisme bénéficiait de l'appui des Etats européens. En 1915, se posent deux questions : faut-il recommencer une révolution nationale où le prolétariat serait de nouveau dépendant de la bourgeoisie, ou bien faut-il faire dépendre la révolution russe de la révolution internationale ? Trotsky répond par l'affirmative à la deuxième question. Plus nettement qu'en 1905, le mot d'ordre "A bas la guerre !" doit se transformer en "A bas le pouvoir !". En conclusion : "seule la révolution internationale peut créer les forces grâce auxquelles le combat du prolétariat en Russie peut être mené jusqu'au bout". Ce long résumé de l'intéressant article de Trotsky nous fournit, par sa pertinence dans l'analyse des circonstances défavorables au prolétariat en période de guerre impérialiste, des éléments pour pourfendre les idéologies gauchistes et trotskistes de nos jours qui veulent nous faire avaler que les luttes de classe auraient toujours pris leur véritable essor révolutionnaire dans le cadre du nationalisme et de la guerre ; ainsi ces idéologues ne font que révéler que leur camp d'appartenance est celui de la bourgeoisie.
L’explosion d'octobre 17 contraignit le monde capitaliste à faire cesser la guerre, mais, bien que compte tenu de la faiblesse et maladresse de la bourgeoisie russe, le capitalisme mondial ait été pris de vitesse par le prolétariat des centres industriels de Russie, il saura se ressaisir pour stopper la vague révolutionnaire soulevée par ce premier succès. L'écrasement du mouvement révolutionnaire en Allemagne portera un coup décisif à l'internationalisation de la révolution. Ce ressaisissement de la bourgeoisie mondiale condamnera le prolétariat en Russie à l'isolement et par conséquent à une longue mais inéluctable dégénérescence fatale pour toute cette période à l'ensemble du prolétariat mondial. Cette première gigantesque apparition du prolétariat sur la scène du XXème siècle aura été brièvement victorieuse, la bourgeoisie le lui fera payer très cher par une contre-révolution dont le prolétariat international ne devait pas se relever de sitôt, même au cours de la IIème guerre mondiale.
L'absence de réaction du proletariat pendant et après la deuxième guerre mondiale
Au milieu de ce demi-siècle de contre-révolution triomphante, la IIème guerre mondiale ne fera que parachever la défaite dans l'isolement des années 20, On ne verra pas surgir de mouvements révolutionnaires un tant soit peu comparables à ceux de 1905 ou 1917-19. On peut citer bien sûr la dite Commune de Varsovie social-démocrate de 1944- réaction désespérée d'une population martyrisée et décimée sous la botte militaire- qui tint 63 jours puis fut exterminée par les hitlériens avec le consentement de Staline. On peut aussi citer les grèves de 1943-44 en Italie réprimées avec l'aval des "Alliés" anglais. Aucun de ces cas n'est probant pour estimer qu'il y aurait eu amorce d'un resurgissement du prolétariat à l'échelle mondiale menaçant la continuation de la guerre impérialiste.
Dans l'ensemble ce fut le coma le plus intense, le plus tragique du mouvement ouvrier dont les meilleures forces avaient été décimées par la contre-révolution stalinienne et achevées par le déchaînement terrible des belligérants capitalistes démocrates et hitlériens avec leurs blocs de résistance et leurs bombardements aveugles. Ce deuxième carnage impérialiste mondial montait un degré plus haut dans l'horreur que le précédent. Une révolution allait-elle mettre fin, surgir dans ou après cette tuerie planétaire ? Des révolutionnaires isolés et dispersés ont pu l'espérer vainement, quand les contre-révolutionnaires des maquis de "libération nationale" l'ont fait croire impunément dans le cadre de leurs idéologies chauvines, avec pour toute perspective une "libération" dans l’ordre, par étape, avec les démocrates briseurs de grève, les Churchill, De Gaulle et Eisenhower aux côtés de leur"camarade" Staline. La guerre cessa enfin, non sous une nouvelle menace prolétarienne, mais parce que les limites de la destruction totale avaient été atteintes, parce que plusieurs capitalistes "alliés" étaient venus à bout de la volonté d'hégémonie mondiale de l'un d'entre eux. Aucun nouvel Octobre 17 n'avait vu le jour. Le capitalisme retrouvant des airs de jeunesse, comme les herbes qui poussent sur les charniers humains, amorçait une période de reconstruction sur des ruines. Période de reconstruction temporaire qui ne devait pas l'empêcher de retomber un peu plus de deux décennies plus tard dans le marasme économique, poursuivant implacablement le développement de son économie de guerre en préparation...d'une 3ème guerre mondiale. Les quelques révoltes ouvrières dans le monde qui se produisirent les années suivantes restèrent fragmentées et isolées, que ce soit en France, en Pologne ou dans le tiers-monde, elles furent canalisées et étouffées dans l'ornière de la reconstruction capitaliste ou dans les dites libérations des colonies planifiées par les deux "Grands". Fondamentalement le cours de l'histoire était encore défavorable au prolétariat, il devait mettre longtemps à se remettre de l'échec physique et idéologique des années 20. Il faut se rendre compte de la profondeur d'une telle défaite pour comprendre comment la guerre mondiale a pu se reproduire inéluctablement dans les années 40.
Les limites du processus révolutionnaire dans les conditions de guerre
La guerre mondiale est le plus haut moment de la crise du capitalisme décadent, elle ne favorise pas en soi les conditions de la généralisation de la révolution. Prendre conscience de cela est mettre en évidence la responsabilité historique du prolétariat contre une possible 3ème guerre mondiale. En examinant la période de la 1ère guerre mondiale, nous pouvons considérer que, après avoir été battu idéologiquement et bien que ressurgissant en Russie, en Allemagne et en Europe centrale, le prolètariat resta cloisonné dans chaque nation. La bourgeoisie stoppant la guerre pour mieux faire face à l'attaque prolétarienne renforçait les barrières nationales. Bien que produites par la situation d‘aggravation économique et reprise des fortes luttes du début des années 1910, ces actions combatives du prolétariat ne pourront pas dépasser l'illusion véhiculée par la IIème Internationale traître selon laquelle la révolution devait se produire graduellement pays par pays et malgré la fondation justifiée d'une 3ème Internationale réellement communiste, la boucle du nationalisme étant refermée par le social-chauvinisme. En outre, avec cet arrêt de la guerre, l'inégalité des retombées économiques dans les pays vaincus et vainqueurs maintiendra et favorisera une division illusoire dans le prolétariat international. En avançant l'idée de "paix" la bourgeoisie mondiale était consciente des dangers du défaitisme révolutionnaire et des risques de contagion malgré tout des pays vaincus aux pays vainqueurs. Seul l'armistice entre les différents belligérants capitalistes pouvait leur permettre de souder leurs rangs pour rétablir la "paix sociale". Ainsi Clemenceau pût venir prêter main forte à Hindenbourg et Noske contre le prolétariat en Allemagne. Le prolétariat isolé sera ainsi acculé à des insurrections rapides et défavorables. Les conditions de l'échec sont réunies contre le prolétariat par cet arrêt de la guerre en Allemagne, la réussite est isolée en Russie dans des conditions exceptionnelles de "maillon faible" c'est à dire ne frappant pas de façon décisive au coeur géographique du capitalisme: l'Europe. Dans ce premier affrontement historique déterminant et inévitable entre la bourgeoisie réactionnaire et la classe révolutionnaire, la bourgeoisie restait maîtresse du terrain. Nous pouvons donc considérer que toute la période de la 1ère guerre mondiale n'a pas sécrété les meilleures conditions pour favoriser la révolution prolétarienne. Répétition sanglante de la barbarie capitaliste, la 2ème guerre mondiale était issue directement des clauses de l’"Armistice" de 1918, une paix provisoire et hypocrite pour justifier un nouveau partage capitaliste du monde. Cette répétition était d’autant plus possible qu'après la défaite physique du prolétariat au début des années 20, triomphaient les idéologies contre-révolutionnaires du stalinisme, du fascisme et de 1'anti-fascisme. Si le prolétariat a pu entraver sérieusement le processus de la 1ère guerre mondiale c'est bien sûr parce qu'il n'avait pas été écrasé physiquement et frontalement auparavant, c'est parce que en se battant sur son terrain de classe il avait été amené inévitablement à s'opposer à la guerre, c'est aussi parce que le type de guerre de tranchées favorisait, par la proximité des combattants la contagion révolutionnaire. Ce dernier facteur n'existait déjà plus au cours de la seconde avec l'utilisation des bombardiers et des sous-marins. Le capitalisme en perfectionnant les capacités de destruction à longue portée de ces engins de mort, et en mettant au point ses premières armes nucléaires -"testées" à Hiroshima par la très "démocratique" bourgeoisie américaine - faisait déjà des préparatifs en 1945 pour "aller plus loin" dans une 3ème guerre mondiale, pour empêcher toute possibilité de révolte interne en pouvant détruire des villes entières, en instaurant la menace de guerre sur n'importe quel recoin de la planète. Faire état de ce danger de gradation dans la destruction de la part du capitalisme n'a rien de mystique, mais rehausse la responsabilité du prolétariat qui a pour tâche historique de s'opposer à cette marche à la destruction généralisée avec les armes de la lutte de classe avec une vigueur au moins comparable à celle de la vague révolutionnaire du début du siècle. Pouvons nous croire une 3ème guerre mondiale inévitable pourtant ? Ces dernières années peuvent incliner à établir des comparaisons avec les périodes qui ont précédé les deux guerres mondiales : "paix armée", détérioration des relations internationales capitalistes, guerres locales, accroissement illimité du militarisme, social-pacifisme, bourrage de crânes tout azimut. La comparaison est facile et les arguments ne sont pas solides face à la réalité sociale. Il ne s'agit pas de prendre ses désirs pour des réalités mais de prendre la réalité des années 80 à bras le corps.
QUATRE CONDITIONS POUR LA REVOLUTION A NOTRE EPOQUE
Si nous restions obnubilés en surface par les phénomènes et les conséquences des deux plus grands carnages impérialistes de l'histoire de l'humanité, nous pourrions dire avec dépit : "jamais deux sans trois !", comme le philistin superstitieux du bistrot à côté. Mais, en utilisant la méthode marxiste,
nous répétons que "les grands événements de l'histoire se répètent pour ainsi dire deux fois : la première fois comme tragédie la seconde fois comme farce"! Mais que le communisme ne soit pas inéluctable si le prolétariat ne se hausse pas à la hauteur de sa responsabilité historique, nous le savons bien, mais la 3ème guerre mondiale n'est pas fatale non plus si sont comprises les potentialités immenses du prolétariat à notre époque. Plus que jamais, il revient aux révolutionnaires qui ont tiré le bilan des défaites passées de montrer à la racine la voie laissée ouverte par les générations mortes.
Il faut constater cependant, aujourd'hui encore, que les masses prolétariennes dans leur grande majorité ne sont pas encore pleinement conscientes de 1'enjeu, ni prêtes â engager les batailles décisives ; elles sont malgré tout amenées de plus en plus à poser de sérieux jalons de préparation. Nous ne prouverions rien en parlant vaguement des mécontentements sociaux ou en décomptant des millions d'heures de grèves dans tous les pays depuis 20 ans. Les courbes de ces grèves ont été plutôt décroissantes, et la plupart des luttes échouent régulièrement. La bourgeoisie réussit même à organiser de fausses grèves, des simulacres de luttes et à illusionner des ouvriers pour l'autogestion de leurs usines en faillite. Mais, malgré le tableau peu reluisant et à signification limitée des statistiques et données journalistiques, un certain nombre d'événements et d'explosions de luttes ouvrières se sont produits depuis près de deux décennies aux quatre coins du globe du Brésil à la Pologne, accumulant toute une série d'expériences internationales. Cette série de jalons, bien qu’irrégulière, révèle par contre-coup des conditions essentielles pour la révolution mondiale.
Le marasme économique mondial
La première véritable condition favorable pour la révolution réside dans le marasme économique mondial qui a endeuillé définitivement toutes les espérances bourgeoises en un monde capitaliste en perpétuel développement. Cette crise économique mondiale imparable et inguérissable est venue mieux que tout discours révolutionnaire déchirer la mystification du progressisme vers une humanité capitaliste heureuse (reléguant l'avenir de la classe ouvrière au 19ème siècle).
Bien supérieure en longueur et en intensité aux crises économiques cycliques du 19ème siècle ou à la période charnière du début de ce siècle, cette crise atteint indifféremment tous les recoins de la planète, pas un seul capitaliste n'en réchappe, pas un seul pays, pas un seul bloc. Ses effets concernent, mutilent, aggravent la situation de l'ensemble de la classe ouvrière mondiale. L'infrastructure économique s'effondre lentement révélant les vices de forme du système. Ce n'est plus la faute à l'ennemi de l'autre côté du Rhin ou des Pyrénées, c'est "partout pareil". Malgré les diverses censures, déformations ou désinformations à l'Est comme à l'Ouest, "ils" ne peuvent plus gouverner comme avant. Dans sa décadence avérée ce système capitaliste dévoile sa nature rétrograde et doit renouveler incessamment ses panoplies de mystifications. En tant que force étatique de contrainte, "ils" ce n'est plus seulement les patrons de droit divin mais surtout une superstructure d'encadrement social : gouvernements, syndicats, partis de gauche et de droite au langage commun d'austérité. L'effritement de l'infrastructure économique n'est pas sans ébranler la superstructure politique bourgeoise mais celle-ci tente de freiner et d'empêcher l'entière prise de conscience par le prolétariat des causes du marasme économique. Trouver des dérivatifs aux responsabilités du capitalisme n'est pas tâche aisée car ce système en crise fondamentale dans ses soubassements -ne disposant plus de débouchés réels comme dans sa phase ascendante du 19ème siècle- peut difficilement cacher à l'humanité que sa seule perspective n'est que la destruction, le gaspillage et la paupérisation, culminant dans une nouvelle guerre mondiale.
La perspective de guerre mondiale
Cette unique perspective de guerre mondiale dans l'optique capitaliste, particulièrement invoquée partout depuis deux ans, devient ainsi la deuxième condition impliquant la nécessaire émergence de l'alternative prolétarienne. Ce n'est pas paradoxal. Deux guerres mondiales laissent encore des traces indélébiles malgré la vanité capitaliste des "libérateurs". Au départ, la bourgeoisie à travers toutes ses composantes, avait toujours préparé et présenté ces deux guerres mondiales comme : - permettant la résolution des difficultés économiques ("exporter ou périr")
- inévitables, indépendamment des bonnes volontés conciliatrices ("la faute aux autres", "on ne peut faire autrement" ).
L'exacerbation de la compétition impérialiste et la paupérisation consécutives à ces deux guerres, de même que la gigantesque crise économique mondiale aujourd'hui, révèlent l'inanité du premier argument. La barbarie de deux guerres mondiales n'a pu se produire qu'en fonction d'une bourgeoisie impuissante à résoudre les aberrations de son système, et même si une fraction de celle-ci -le stalinisme- a pu se parer outrageusement du terme, entraver et retarder d'autant plus la marche vers le "communisme".
Quant à l'idée d'inévitabilité de guerre au futur, elle est d'autant plus mensongère que les capitalistes n'en sont pas persuadés eux-mêmes tant que le prolétariat et l'immense population de la planète n'en sont pas convaincus. Guerre inévitable s'il fallait s'en tenir simplement à l'argument militaire, mais en réalité la bourgeoisie n'est pas simplement son appareil militaire, même si celui-ci est aux rênes de commande pendant la guerre ou aux premiers rangs pour la répression physique. La bourgeoisie ne pourrait pas faire fonctionner sa société avec les seuls militaires ; elle n'a jamais pu entraîner à la guerre et réprimer le prolétariat simplement autour de cartes d’Etat-major qui ne recouvrent pas la réalité sociale. Un raisonnement d'Etat major militaire ne peut pas permettre de comprendre pourquoi le prolétariat ne se laisse pas soumettre par la bourgeoisie, il n'y a pas de troupes dans un camp donné avec des uniformes distincts, des généraux, des munitions, face à un camp adverse. La menace provient de l'intérieur même de tous les pays capitalistes amis ou ennemis, elle a pour nom conscience et unité prolétarienne. L'hypothèse à court terme d'une 3ème guerre mondiale supposerait une parfaite imbécillité, folie suicidaire ou tout au moins une incapacité à vouloir en contrôler le déclenchement et le déroulement de la part de la bourgeoisie. Il ne faut jamais oublier que les capitalistes et leurs généraux ne peuvent faire une guerre sans troupes. Les guerres mondiales précédentes n'ont pas été des conflits d'armées de métier ou de seuls mercenaires.
Il ne s'agit pas de croire que les capitalistes voudraient préparer de nouvelles guerres de tranchées ou d'arquebuses dépassées, mais de comprendre qu'en regard du monde entier, ils ne peuvent apparaître comme des assassins de l'humanité ; il y a toujours un Hitler ou un vaincu pour être gratifié de cette réputation. Le capitalisme en tant que tel doit être exempté de cette responsabilité pour être perpétué. Jamais ni Foch, ni Clemenceau, ni Churchill, ni Wilson, ni Staline, ni Eisenhower n'ont avoué organiser la guerre pour les mesquins intérêts de rapine capitaliste, ils invoquaient la "liberté", le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", le "socialisme". Chacun se parait d'une mystification pour entraîner ses troupes au massacre et tous se retrouvèrent en fin de compte pour parader devant les catafalques de ceux qu'ils y avaient expédiés au nom de "la patrie ou la mort". Aujourd'hui 1'administration Reagan peut-elle invoquer les intérêts de l'humanité sans honte, l'administration Brejnev ou Mitterrand le socialisme sans faire vomir ? Seule la révolution prolétarienne peut permettre de rejeter à jamais les guerres locales et mondiales dans les ordures du passé capitaliste.
LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA CLASSE V OUVRIERE
Troisième condition fondamentale pour l'affaiblissement de la perspective de guerre, mais surtout en faveur de la révolution, qui transparaît dans les deux premières, c'est le sursaut conscient organisé et centralisé de la seule force révolutionnaire :1e prolétariat en action depuis la fin des années 60.
Il n'était pas resté endormi après la fin de la 2ème guerre mondiale, mais pendant les années de reconstruction ses réactions furent des coups de butoir isolés et la prospérité relative retrouvée par le capitalisme avait permis des concessions économiques. Tournant capital, l'année 1968 fût marquée par la grève massive de mai en France, mais surtout par le fait que des luttes ouvrières se produisaient en plusieurs endroits du monde simultanément. Le début des années 70 fut marqué par une succession de luttes importantes dans plusieurs pays européens; mais avec le sabotage réussi de la gauche bourgeoise déviant plus spécialement dans cette zone le mécontentement sur le terrain électoral, on pouvait croire jusqu'à la fin des années 70 que le prolétariat avait été calmé. D'ailleurs la bourgeoisie avec sa ribambelle de larbins sociologiques à la Marcuse, Bahro ou Gorz semblait vouloir faire croire à sa nouvelle disparition (et énième), quand les prolétaires en Pologne se sont chargés de la ramener sur terre. Tant pis pour les idéologues, aujourd'hui comme en 1918 le prolétariat est la seule classe apte dans les faits à stopper la perspective de guerre et à présenter à l'humanité l'alternative communiste. Contre tous ceux qui encouragent d'une façon ou d'une autre la survie du capitalisme le prolétariat doit opposer le cri "Guerre OU Révolution". Ce cri on ne l'a pas entendu monter de la Pologne, mais une affirmation de la lutte de classe comme celle d'août 80, cela revient au même. Alors que depuis deux ans on nous rebattait les oreilles en occident avec l'invasion de l'Afghanistan "confirmant" la "menace russe", qu'on renchérissait sur le soi-disant retard du potentiel militaire américain comparé à celui du pacte de Varsovie, tout à coup le spectre prolétarien est revenu hanter l'Europe et l'ensemble des capitalistes et, confirmer, malgré des luttes inégales dans le temps, le sursaut de la classe ouvrière depuis la fin des années 60.
Ce sursaut du prolétariat s'il prend racine dans la lutte contre l'austérité capitaliste, mûrit également grâce aux contradictions du capitalisme décadent.
L'essentiel, la conscience de classe, se développe à partir de l'usure d'un certain nombre de mystifications bourgeoises. Au 19ème siècle déjà Marx pouvait considérer dans le "Manifeste communiste' que la bourgeoisie produisait ses propres fossoyeurs, de même aujourd'hui nous pouvons considérer que "la bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments de sa propre éducation, c'est à dire des armes contre elle-même" (Le Manifeste p. 45). Au tournant du siècle, certains pouvaient douter encore de la proximité de la révolution en fonction d'une classe ouvrière sortie peu à peu de l'artisanat ou émergeant des campagnes, en fonction des résidus du féodalisme, de l'analphabétisme. Aujourd'hui, il n'y a plus d'hésitations possibles, dans les principaux pays industrialisés, le prolétariat est vraiment constitué en classe, de même dans beaucoup de pays du tiers-monde, il existe comme une force contrainte historiquement de dépasser les faiblesses et les échecs de son passé. Aujourd'hui les leçons de toute l'histoire du mouvement ouvrier peuvent être réappropriées beaucoup plus vite dans les fanges du capitalisme, il n'y a pas nécessité d'une "éducation socialiste" ni d'écoles de cadres du parti. En combattant les lois économiques du Capital, le prolétariat introduit du même coup le chambardement dans la superstructure idéologique de domination bourgeoise. Ceci à travers deux facteurs, avec les réserves d'usage : l'éducation dispensée par la société bourgeoise et les moyens de communication moderne,
Il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de l'éducation bourgeoise qui a pour but de reproduire les inégalités sociales, ni d'exalter le savoir qui n'est pas un gage de conscience de classe. D'ailleurs cette éducation dispensée et fabriquée par le capitalisme est pour une grande part un moyen de manipulation considérable qui, en un sens, vulnérabilise les individus, les discipline socialement, remplace l'obscurantisme religieux féodal. Mais il s'agit de comprendre que, à un certain degré de dégénérescence de toute société, même les meilleurs pare-feux peuvent provoquer un retour de flamme. L'analphabétisme n'existe pratiquement plus dans les principaux pays industrialisés, de nombreux prolétaires ont suivi des études secondaires et pratiquent une autre langue que la leur. En soi ce "progrès" et cette "éducation" ne sont pas "révoltants" ; s'ils favorisent la révolte c'est uniquement parce qu'ils sont synonymes de DEQUALIFICATION et de chômage car la bourgeoisie a développé anarchiquement la formation scolaire et universitaire. Nombreux sont les ouvriers ou les employés bacheliers, nombreux les chômeurs diplômés d'université, donc sans qualification "productive". Après avoir été bercé tout au long de ses études par la promesse de pouvoir échapper à la condition ouvrière, l'ancien élève ou étudiant confronte durement la réalité capitaliste s'il ne l'a pas sérieusement appréhendée auparavant, un ouvrier analphabète pouvait avaler des discours de maître d'école, croire à l'inégalité d'intelligence à la naissance, s’en remettre à ceux qui "savaient", s'en laisser compter sur "1'ennemi" ; est-ce comparable aujourd'hui? Les moyens de communication électronique modernes sont également une arme à double tranchant. Si au premier abord l'émission radio et TV, avec son caractère veule et son usage du mensonge par omission atteint jusqu'à la moindre cellule d'immeuble, jusqu'au moindre prolétaire atomisé même s'il ne veut pas lire un journal, et tente d'endormir la conscience de classe, en revanche ces émissions de propagande sophistiquée de la bourgeoisie -il faut bien les appeler par leur nom- ne peuvent plus à un certain moment prétendre jouer un rôle de "directeur de conscience" quand les conditions de vie sont aggravées ou que l'huissier frappe à la porte, elles ne peuvent même pas cacher l'horreur du capitalisme en décomposition. . Cette crise générale des valeurs idéologiques bourgeoises d'abrutissement est d'autant plus avérée par la simple comparaison avec le 19ème siècle. De 1’ouvrier analphabète, recevant tardivement les nouvelles du monde, gavé de patriotisme, le système en est venu à procréer un ouvrier constamment insatisfait et pénétré d'un doute tout aussi constant quant aux promesses des diverses idéologies. De démoralisants en soi en l'absence de lutte de classe ces facteurs d'aliénation de la société contemporaine se retournent contre la bourgeoisie avec le développement de cette même lutte de classe, et hâtent la remise en cause de son système d'oppression.
L'internationalisation des luttes proletariennes
L'internationalisation des luttes prolétariennes est ce quatrième facteur qui va non seulement favoriser, mais être l'étape décisive vers la révolution mondiale. Au 19ème siècle encore, le développement des luttes pouvait être perçu au sein des nations, et, comme l'exprimait Marx : "Les nations ne peuvent constituer le contenu de l'action révolutionnaire. Elles ne sont que des formes à l'intérieur desquelles fonctionne le seul moteur de l'histoire : la lutte des classes". Dans la 1ère et 2 ième Internationale, on conçut ainsi l'idée de la réalisation du socialisme mondial : des luttes s'additionneraient d'abord entreprises par entreprises (nationalisations), puis elles deviendraient des révolutions pays par pays, ceux-ci se "fédérant" ensuite entre eux ; c'est encore la vision de l'aile bordiguiste du mouvement révolutionnaire. Cependant, si les conditions du changement de période historique du capitalisme déclinant ont brisé cette vision, l'idée de Marx n'est pas remise en cause, elle est prolongée : la forme à l'intérieur de laquelle fonctionne la lutte de classe est l'ensemble du monde capitaliste, par delà ses barrières nationales ou de blocs. La bourgeoisie mondiale exploite tout prolétaire en n'importe quel pays, le tourneur italien, le maçon russe comme l'électricien américain. L'ouvrier sud-américain employé dans une filiale de Renault sait que son principal patron réside en France, le métallurgiste polonais qu'il dépend d'un commanditaire en Russie. Si tout ceci explique concrètement, à la racine, l'intérêt de tous les capitalistes à serrer les coudes contre toute grève ou lutte de masse, par contre l'appartenance corporative à une même branche industrielle n'a jamais permis réellement à la solidarité ouvrière de franchir les clivages nationaux. La nature de la classe ouvrière ne passe pas par la définition corporatiste mais indépendamment des diverses professions. Les aiguilleurs du ciel américain ont fait récemment la tragique expérience de l'absence de solidarité internationale de corporation, l'idéologie de gauche du capitalisme laissant croire à cette illusion. Dans une concurrence capitaliste débridée, les métallurgistes anglais en grève ont pu voir un acier "étranger" préféré au "leur" et à meilleur coût, les mineurs français voir livrer du charbon "polonais" ou "allemand". Le terrain de la défense ou de l'exaltation du produit d'une corporation est celui où le capital règne en maître, en particulier par l'entremise des syndicats, c'est un lieu où le chauvinisme peut encore être entretenu. Espérer l'extension de la lutte à la même branche ou filiale c'est placer les prolétaires sur le même terrain concurrentiel que les diverses firmes qui fabriquent un même produit, c'est sous-estimer le patriotisme d'entreprise lié à la production d'une marchandise donnée quand les capitalistes font accroire que le produit de leur travail appartiendrait aux ouvriers ; ainsi les prolétaires sont limités et déterminés aux bornes de l'entreprise, au mode de fabrication déviés de la remise en cause de l'ensemble du mode de production capitaliste.
Le prolétariat dans son entier produit toutes les richesses, la production capitaliste parcellisée et mercantile lui est étrangère, et il n'a pas droit de regard sur son utilisation en bout de chaîne. Dans ces conditions un prolétaire se définit avant tout comme être salarié, sujet exploité dans un système social marchand qui lui est hostile. Lorsque les prolétaires luttent, ils ne luttent pas au premier abord pour un meilleur charbon français ou un meilleur acier anglais, ils luttent -quelles que soient leurs professions- contre les condition d'exploitation et de soumission, et en prolongement au niveau plus élevé du développement de leurs luttes- s'ils ne se laissent pas entraver par les barrages syndicalistes- remettent en cause l'Etat capitaliste. La généralisation des luttes au niveau international ne peut donc provenir d'une extension corporative. La grève massive de mai 68 en France et les grèves dans le monde au même moment, ou la grève de masse d'août 80 en Pologne ne se sont pas produites par une addition de corporations en lutte, par la même branche puis les unes aux côtés des autres. C'est en dépassant la vision d'une somme de corporations que les prolétaires en Pologne ont trouvé le réel chemin de la lutte contre l'Etat, en posant les mêmes objectifs des usines vers la rue ; leur révolte contre les conditions d'exploitation devint lutte contre l'ordre capitaliste et non pas meilleure gestion ou production de marchandises. La réaction de l'Etat polonais témoigna de la solidarité des divers Etats capitalistes contre la lutte ouvrière, derrière lui se tenaient à la fois l'Etat russe et les Etats occidentaux. Cette coalition de la bourgeoisie est une leçon de choses en ce qui concerne le manque d'unité internationale du prolétariat. A charge de revanche cette coalition bourgeoise montre la nécessité d'une unité de combat de l'ensemble du prolétariat contre la force capitaliste qui sait faire cesser momentanément ses divisions intrinsèques pour parer à la lutte de classe. Si toutes les fractions de la bourgeoisie mondiale se sont jetées comme un seul homme sur l'incendie polonais, cela prouve que, malgré ses difficultés économiques insurmontables, cette classe rétrograde veille à empêcher à tout prix sa destruction par le prolétariat ; cela prouve qu'elle a la hantise de 1'imitation et de la contagion. La répression organisée de longue main internationalement pour apparaître comme un "règlement de compte" entre "polonais", ne peut cacher que derrière la milice et l'armée polonaise se tenait toute la bourgeoisie mondiale (il était plus lucide d'avoir recours à la mystification nationaliste de "charbonnier maître chez soi"). L'utilisation renouvelée des barrières nationales est encore un trait dominant de la politique bourgeoise et rend plus difficile à envisager une simultanéité absolue d'explosions de luttes de classe dans plusieurs pays à la fois où les prolétaires, hors des corporations, se tendraient la main par-dessus les frontières. Mais l'approfondissement de la crise économique brise ces barrières dans la conscience d'un nombre grandissant de prolétaires à travers les faits qui montrent qu'il s'agit d'une MEME lutte de classe. Il faut tirer les leçons du fait que les principales luttes de ces dernières années se soient succédées étalées dans le temps, sans liens de classe directs d'un pays à l'autre. En effet, d'autant plus que la crise économique ne frappe pas un pays puis un autre, le premier remontant la pente quand l'autre la redescend, comme dans la période de reconstruction suivant la 2ème guerre mondiale, elle tend à frapper en même temps l'ensemble des pays et surtout les plus industrialisés et têtes de pont capitalistes florissants jusque là. Ainsi le tourbillon du marasme économique, s'il procède avec lenteur, tend à rapprocher le moment où comme pendant l’année 68 et avec une accélération soudaine, les luttes ouvrières se produiront dans plusieurs pays à la fois sur les mêmes bases : lutte contre l'austérité capitaliste, contre la menace du chômage et implicitement contre la menace de guerre. Beaucoup plus qu'à travers ces luttes qui se sont succédées ces dernières années, c'est à travers une simultanéité dans la mesure du possible de nouvelles luttes en plusieurs pays que se posera le problème de la jonction par delà les barrières nationales et de blocs impérialistes, contraignant la bourgeoisie mondiale à une réaction dispersée, encourageant la prise de conscience que 1'ennemi capitaliste est le même partout. Qu'il le veuille ou non, c'est la prochaine étape qualitative nécessaire pour le prolétariat, possible dans la conjoncture mondiale, obligatoire pour son renforcement. Dans une telle situation un mouvement de masse comparable à celui de la Pologne en 1980 ne restera pas isolé mais trouvera la solidarité par le développement d'autres mouvements de masse.
En ces années 80 le prolétariat devra frapper au coeur des principales métropoles capitalistes s'il veut donner un solide élan à son combat international. C'est particulièrement au vieux coeur du capitalisme, l'Europe, que les échanges entre zones de lutte ne devront plus être une caricature de bons offices syndicaux. La concrétisation d'échanges internationaux sera là exemplaire pour le monde entier. Cela sera décisif pour la révolution internationale. Le problème de la destruction des Etats bourgeois sera posé plus abruptement mais ne sera pas résolu pour autant.
Gieller
"La guerre, incontestablement, a joué un rôle énorme dans le développement de notre révolution, elle a désorganisé matériellement l'absolutisme : elle a disloqué 1'armée, elle a donné de 1'audace à la masse des habitants. Mais heureusement, elle n'a pas créé la révolution, et c'est une chance parce que la révolution née de la guerre est impuissante : elle est le produit de circonstances extraordinaires, repose sur une force extérieure et en définitive se montre incapable de conserver les positions conquises. "(Trotsky, "Notre Révolution").
Cette juste conception que Trotsky développe après le mouvement de 1905 en Russie, sera contredite par les théories que Trotsky développera après la révolution de 1917, elle aussi déclenchée à la suite d'une guerre.
Pourtant, l'échec de la révolution russe après son isolement fut une vérification supplémentaire du caractère défavorable que constituent les conditions que crée la guerre.
(à propos de la critique des thèses de Rosa Luxembourg par Nicolas Boukharine)
"Si on veut savoir ce que sera le communisme, il faut commencer par savoir qu'est-ce qui ne va pas dans la société présente". Dans l'article précédent ([1] [16]), nous avons montré comment d'un point de vue marxiste, l'idée que l'on se fait du socialisme dépend de l'analyse que l'on partage des contradictions internes du capitalisme. Derrière les critiques que formule en 1924 Nicolas Boukharine, bolchevik, "théoricien" de l'Internationale Communiste, aux analyses des contradictions capitalistes par Rosa Luxemburg ([2] [17]), se dessinent les bases de la théorie de la possibilité du socialisme en un seul pays et de l'identification du capitalisme d'Etat avec le socialisme. Pour démontrer cela, nous avions commencé par rejeter certaines des principales objections avancées par Boukharine. Nous avons ainsi répondu à l'argument suivant lequel le problème de base posé par Rosa Luxemburg -l'incapacité du capitalisme de créer en permanence ses propres débouchés- n'existerait pas. Nous avons rappelé en quoi et pourquoi les crises de SURPRODUCTION étaient et restent une donnée essentielle et inévitable du capitalisme, et montré la vacuité de l'argument suivant lequel les ouvriers, leur consommation, pourraient constituer un débouché suffisant pour absorber la surproduction capitaliste.
Nous nous attacherons dans cette 2ème partie à répondre à un des arguments les plus fréquemment employés contre l'analyse de Rosa Luxemburg. Boukharine le formule ainsi : "Rosa Luxemburg se rend l'analyse trop aisée. Elle privilégie une contradiction, à savoir, celle entre les conditions de la production de la plus-value et les conditions de la réalisation, la contradiction entre la production et la consommation dans les conditions du capitalisme". (L'impérialisme et l'accumulation du capital. Chap.5).
Comme tout ce qui est vivant, le système de production capitaliste est et a toujours été traversé de multiples contradictions, c'est-à-dire de nécessités s'excluant et s'opposant les unes aux autres. Sa vie, son développement, sa marche impétueuse dans l'histoire, bouleversant en quelques siècles des millénaires d'histoire et modelant un monde à son image, furent le résultat non pas d'une volonté idéaliste de domination en soi, mais le produit de sa lutte permanente pour dépasser ses contradictions internes.
Ce fut l'essentiel de l'oeuvre de Marx que de montrer comment et pourquoi ces contradictions devaient conduire un jour le capitalisme, tout comme les sociétés passées (esclavagisme antique, féodalisme) à connaître une phase de décomposition, de décadence, mettant à l'ordre du jour l'instauration de nouveaux rapports sociaux, l'avènement d'une nouvelle société qui devrait être le communisme.
Marx a mis en lumière un grand nombre de ces contradictions. Boukharine en reprochant à Rosa Luxemburg de "privilégier une contradiction" en cite quelques-unes que Rosa Luxemburg néglige selon lui : "La contradiction entre les branches de production; la contradiction entre 1'industrie et 1'agriculture limitée par la rente foncière ; 1'anarchie du marché et la concurrence ; la guerre en tant que moyen de cette concurrence ; etc." (Id.)
Il faudrait ajouter, parmi les plus importantes:
la contradiction entre d'une part le caractère de plus en plus social de la production (techniquement parlant, le monde tend à produire comme une seule usine, chaque produit contenant du travail des quatre coins de la planète) et d'autre part le caractère parcellarisé, limité, privé de l'appropriation de cette production ;
la contradiction entre le fait que le capital ne peut tirer de profit que de l'exploitation du travail vivant (le capitaliste ne peut pas "exploiter" la machine) alors que dans le processus de production, la part du travail vivant par rapport à celle du travail mort (les machines) tend à se restreindre au fur et à mesure du progrès technique (contradiction qui s'exprime dans la "baisse tendancielle du taux de profit");
enfin, et surtout, la contradiction vivante que constitue l'exploitation elle-même, l'antagonisme de plus en plus aigu entre les producteurs et le capital.
C'est l'ensemble de toutes ces contradictions qui -après avoir été pendant des siècles un stimulant à l'expansion- conduit dans sa décadence le capitalisme, à l'étouffement, à la paralysie et à la banqueroute historique.
L'objet du débat n'est pas de reconnaître ou non l'existence de ces contradictions. Mais d'abord de savoir pourquoi,à un moment donné de leur développement, ces contradictions internes, de stimulants, d'aiguillons du développement se transforment en entraves ?
Rosa Luxemburg y répond effectivement en "privilégiant" une contradiction : celle entre les conditions de la production de la plus-value et celles de sa réalisation sur le marché mondial; cette contradiction est elle-même un produit de celle entre valeur d'usage et valeur d'échange au sein de la marchandise capitaliste.
Pour Rosa Luxemburg, c'est lorsque le capitalisme ne parvient plus à élargir ses marchés "par rapport aux besoins d'expansion des entreprises capitalistes existantes", que toutes ses contradictions internes tendent à éclater dans leur plus grande évidence. La contradiction découverte par Marx entre les conditions de production de la plus-value, (le profit) et les conditions de la réalisation de cette plus-value (la réalisation sous forme argent, la vente du sur-travail extirpé), cette contradiction commande à toutes les autres. Si la contradiction entre la nécessité de produire à une échelle toujours plus large et celle de réduire la part de la production qui revient à la masse des salariés est dépassée, surmontée, toutes les autres contradictions se trouvent atténuées, voire transformées en simples stimulants. Tant que le capitalisme trouve des marchés, des débouchés à la taille des nécessités de son expansion, toutes ses difficultés internes sont aplanies.
C'est ainsi que les crises éclatent lorsque les marchés sont devenus trop restreints, et elles sont dépassées lorsque de nouveaux débouchés sont ouverts. C'est au niveau du marché mondial et de ses crises que toutes les contradictions internes au mode de production éclatent ou sont aplanies. C'est ce qu'exprime Marx lorsqu'il écrit :
Le caractère déterminant de cette contradiction sur les autres contradictions apparaît clairement lorsqu'on analyse les conditions concrètes dans lesquelles d'autres contradictions importantes se trouvent exacerbées ou atténuées. Considérons le cas des deux contradictions les plus fréquemment mises en avant par les critiques de Rosa Luxemburg : la concurrence entre capitalistes, la baisse tendancielle du taux de profit.
Tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, à un moment ou à un autre, ont cherché à théoriser l'idée de l'existence d'un système de production "non capitaliste" en URSS ont toujours -tel Boukharine- accordé une place prépondérante à la concurrence entre capitalistes parmi les contradictions internes du capitalisme.
L'URSS ne serait pas capitaliste parce qu'elle serait parvenue à éliminer la concurrence et donc l'anarchie dans la production. Et pourtant, il suffit d'analyser quelle est la réalité de cette concurrence pour comprendre qu'il s'agit d'une contradiction dont l'ampleur et la nature dépendent étroitement de l'abondance des débouchés solvables existants.
L'objet de la concurrence entre capitalistes, ce sont les marchés.
L'objet des luttes entre tribus primitives anthropophages, c'était les corps humains à dévorer; les cités esclavagistes se battaient pour piller les richesses d'autres populations et pour des esclaves; les seigneurs féodaux pour des terres, des serfs, des animaux. Les capitalistes, eux, se battent pour quelque chose de beaucoup plus abstrait et universel : des marchés. Certes, ils ne se privent pas de piller lorsqu'ils le peuvent, à la façon de leurs ancêtres, mais ce qui leur est plus spécifique, c'est de s'affronter sans pitié et par tous les moyens pour le contrôle des marchés.
De ce fait, 1'exacerbation de la concurrence entre capitalistes et l'intensité de ses effets dépendent étroitement de l'ampleur des marchés qui sont l'objet de cette concurrence. Dans les périodes où le capitalisme dispose de débouchés solvables suffisants pour l'élargissement de la production, la concurrence joue un rôle de stimulant pour la compétition. Sans limite de marchés, la "libre concurrence" pourrait apparaître comme un simple affrontement sportif entre capitalistes. Mais dès que ces débouchés se restreignent, les capitalistes s'entre-déchirent dans des affrontements meurtriers, les survivants se nourrissant des cadavres des victimes du manque de débouchés. La concurrence se transforme alors en une entrave au développement du capital et des forces productives de la société en général. Ainsi, depuis plus d'un demi-siècle, la concurrence capitaliste, non seulement conduit la société à des guerres mondiales de plus en plus destructrices, mais en outre, en temps de "paix", elle provoque des frais de plus en plus lourds, destinés non pas à entretenir ou accroître la production, mais à"faire face à la concurrence" : développement de la bureaucratie d'Etat, des dépenses militaires, des dépenses en "marketing" ou publicité.
Ce n'est pas la concurrence qui engendre la pénurie des marchés, c'est la pénurie des marchés qui exacerbe et rend destructrice la concurrence.
C'est de la capacité du capitalisme à faire reculer les limites du marché mondial que dépend le degré d'exacerbation et de "nocivité" de la concurrence capitaliste.
Il en est de même de la tendance permanente à la baisse du taux de profit. Cette tendance, mise en lumière pour la première fois par Marx, est une tendance provoquée par :
{C}{C}{C}{C}1) {C}{C}{C}{C}la nécessité pour le capitalisme de "moderniser" en permanence sa production, introduisant dans le processus de production une part toujours plus grande de machines par rapport au travail vivant;
{C}{C}{C}{C}2) {C}{C}{C}{C}l'impossibilité pour les capitalistes d'extraire du surtravail d'autre source que de l'exploitation du travail vivant lui-même.
Mais, si cette loi est dite "tendancielle", c'est justement parce qu'elle est constamment contrecarrée, freinée, ou compensée par d'autres tendances au sein du système. Marx a aussi clairement mis en évidence les facteurs qui la contrecarrent et ceux qui en compensent les effets.
La tendance à la baisse elle-même est freinée principalement par la baisse des coûts réels de" production (salaires, machines, matières premières) que provoque l'accroissement de la productivité du travail. Il faut moins de temps de travail pour produire les biens nécessaires à l'entretien d'un ouvrier, une machine ou telle matière première.
Les effets de cette baisse du taux de profit lui-même, tendent à être compenses par l'accroissement de la masse de profit. Un taux de 20% de profit est plus faible qu'un taux de 22%, mais un profit de 20% sur 2 millions de dollars investis, c’est beaucoup plus que 22% sur un million. Mais pour le capitaliste la capacité d’augmenter sa productivité comme celle d’accroître la masse de son profit, sont étroitement dépendantes de sa capacité à élargir l’échelle de sa production et donc de sa capacité de « vendre plus » (cette question est plus longuement développée dans l’article « les théories des crises de Marx à l’Internationale Communiste » déjà cité).
La baisse du taux de profit, de TANDANCIELLE devient EFFECTIVE et DESTRUCTRICE de capital, lorsque que les forces qui la contrecarrent et la compensent « en temps normal » s’affaiblissent, ce qui se produit essentiellement lorsque l’élargissement de la production est devenu impossible par l’insuffisance des marchés solvables où réaliser la plus-value. Tout comme pour la concurrence, la baisse tendancielle du taux de profit, est une contradiction qui DEPEND elle-même de celle qui existe au niveau des conditions de réalisation de la plus-value.
Rosa Luxemburg ne privilégie pas une contradiction au hasard parmi d'autres. Elle souligne celle où se concentrent toutes les autres, celle qui traduit la pression et les tensions de l'ensemble des contradictions internes au capitalisme. Et cela permet de déterminer à quel moment l'ensemble des contradictions du capitalisme se transforme en entrave.
Boukharine, après avoir affirmé qu'il ne faut privilégier aucune contradiction du capitalisme pour comprendre ses crises, se trouve cependant confronté à la question : à quel moment ces contradictions deviennent des limites définitives ? Et la seule réponse qu'il peut donner, c'est :
"Un degré déterminé" ? Mais quel degré ? Quel est le degré de "concurrence" à atteindre ? Quel est le taux de profit minimum ? Ce sont des questions auxquelles Boukharine ne répond pas, parce qu'il n'y a pas de réponse à ces questions sans se référer spécifiquement à la capacité du capitalisme à trouver des débouchés.
L'analyse de Luxemburg permet par contre de déterminer comment ces limites sont celles du marché mondial, et en son sein, plus particulièrement «les marchés extra-capitalistes.
Comment -d'après Rosa Luxemburg- le capitalisme a-t-il pu surmonter la contradiction entre sa nécessité d'élargir toujours plus ses débouchés et la nécessité de réduire toujours plus la part de production revenant aux exploités? En trouvant des acheteurs en dehors du processus de production capitaliste. Pour l'entreprise capitaliste mondiale, vendre et racheter elle-même ses propres produits n’a aucun sens. Il lui faut des "clients" extérieurs à son entreprise auxquels vendre ce surplus, cette part de la plus value que ne peuvent acquérir ni l’ouvrier, ni le capitaliste. Ces clients, ces « tierces personnes » -explique Rosa Luxembourg– le capitaliste les a trouvé dans les premiers temps du capitalisme, principalement dans les seigneurs féodaux.
Dans la période de la révolution industrielle, il la trouve surtout dans les secteurs agricoles et artisanaux demeurés en dehors de son contrôle, en particulier dans les territoires coloniaux que les puissances finirent par se disputer dans deux guerres mondiales.
Dans sa phase de décadence, c’est dans la reconstruction des centres industriels détruits pendant les guerres que le capitalisme trouvera une compensation momentanée à son manque de débouchés extérieurs. Et depuis la fin des années soixante, depuis la fin de la reconstruction consécutive à la seconde guerre mondiale, le capitalisme a eu recours à une fuite en avant par des crédits de plus en plus massifs aussi bien aux pays moins développés qu'aux capitaux des métropoles.
L'introduction dans l'analyse des contradictions du capital de cet élément que constituent les secteurs extra-capitalistes, l'élargissement du cadre de l'analyse au niveau de sa réalité la plus globale, celle du marché mondial, est considérée par les critiques de Luxemburg comme une "hérésie" par rapport à Marx, et comme une recherche des contradictions du capitalisme en dehors du processus de production capitaliste. Ainsi, pour Boukharine par exemple, le manque de clients n'appartenant pas aux entreprises capitalistes, de "tierces personnes" est une contradiction qui ne serait pas "interne". "Le capitalisme -oppose-t-il à Luxemburg- développe ses contradictions internes. Ce sont elles et non le manque de "tierces personnes" qui la fait finalement périr". (Idem. p. 140).
En d'autres termes, pour comprendre les contradictions du capitalisme, il faudrait s'en tenir à la réalité du capitalisme dans 1'usine et ignorer ce qui se passe sur le marché mondial ; le marché mondial serait en quelque sorte "extérieur" à la réalité profonde du capitalisme!
Cette critique de Luxemburg est formulée de façon particulièrement nette par Raya Dunayevskaya (ancienne collaboratrice de Trotsky) dans un article écrit à la fin de la seconde guerre mondiale sur les analyses "de l'Accumulation du Capital" :
"Pour Marx, le conflit fondamental dans une société capitaliste, c'est celui entre le capital et le travail ; tout autre élément lui est subordonné. S'il en est ainsi dans la vie, la première nécessité dans la théorie, beaucoup plus même que dans la société, c'est de poser le problème comme un problème entre le capitaliste et 1'ouvrier, purement et simplement. D'où l'exclusion des "tierces personnes" et, comme il le dit lui-même à plusieurs reprises, 1'exclusion du marché mondial comme n'ayant rien à voir avec le conflit entre ouvriers et capitalistes". (Raya Dunayevskaya "Analysis of R.Luxemburg's Accumulation of capital". Publié en 1967 en appendice de la brochure "State Capitalism and Marx's Humanism").
Il est vrai que pour expliquer comment le capitaliste extirpe du surtravail à l'ouvrier, il n'est pas nécessaire de faire intervenir le marché mondial et plus particulièrement les secteurs extra-capitalistes. Mais si l'on veut comprendre les conditions pour que cette exploitation puisse se prolonger et se développer, ou être bloquée dans le temps, il est indispensable d'avoir en vue le processus global de reproduction et d'accumulation du capital. Cela ne peut être fait qu'à l'échelle d'existence réelle du capital : celle du marché mondial
En lui-même, le marché constitué par les secteurs extra-capitalistes n'est pas le produit de l'exploitation de l'ouvrier par le capital, mais sans lui, l'exploitation ne peut se reproduire à une échelle élargie.
Si le capital a un besoin vital de ce type de marchés pour survivre, c'est parce que le rapport entre ouvrier et capital est tel que, ni l'ouvrier, ni le capitaliste ne peuvent constituer une demande solvable pour réaliser la part du profit destiné à être réinvesti. Sans la consommation des masses limitée par le salaire, sans l'exploitation de l'ouvrier par le capitaliste, si les ouvriers pouvaient consommer directement ou indirectement tout ce qu'ils produisent, bref, si le salaire n'existait pas, le problème des marchés extérieurs ne se poserait pas; mais ce ne serait plus du capita1isme.
L'extension du marché mondial n'est pour le capitalisme une limite que dans la mesure où il est indispensable à l'existence de la reproduction du capitalisme dans des conditions contradictoires.
En ce sens, il n'y a pas une opposition entre ce que seraient "les contradictions internes" du capitalisme et la nécessité de ces débouchés extra-capitalistes. Aussi bien la nécessité de ces débouchés, que l'incapacité du capitalisme de les élargir indéfiniment jusqu'à intégrer l'ensemble de l'humanité directement au sein du processus de production capitaliste, ne sont pas des phénomènes déterminés par des forces ou des lois extérieures au capitalisme, mais par le caractère contradictoire de ses lois internes.
Pour mieux éclairer cet aspect de la question, considérons le cas des convulsions de la fin du mode de production féodal.
Pour beaucoup d'historiens bourgeois, les catastrophes qui caractérisent la société féodale, en particulier au cours du XIVème siècle, trouvent leur explication dans le manque de terres défrichables. Les famines, les épidémies, les guerres, la stagnation ou le recul général qui couvraient l'Europe au XIVème siècle, auraient ainsi traduit une limite en quelque sorte "naturelle".
Il est vrai que le féodalisme s'est heurté -entre autre- à la difficulté d'étendre les surfaces cultivables dans sa période de déclin. Mais s'il en était ainsi, ce n'était pas du fait d'une mauvaise volonté de la "mère nature" mais parce que les rapports sociaux de production ne permettaient pas la mise en place des moyens techniques et humains indispensables pour entreprendre des défrichements plus difficiles.
L'économie féodale était trop cloisonnée en millions de fiefs, de corporations, de privilèges pour permettre la concentration des forces productives qu'exigeait la situation. Ce n'est pas "la nature" qui explique l'effondrement historique du féodalisme, mais les incapacités propres, les contradictions internes de celui-ci.
La nature par elle-même n'est ici, ni une contradiction "externe", ni une contradiction "interne". Elle n'est que le mi1ieu dans lequel et face auquel les contradictions du système s'exacerbent.
Il est un peu de même avec le capitalisme et sa pénurie de marchés extra-capitalistes. La vie même du capitalisme, son expansion, est synonyme de transformation de nouveaux hommes en prolétaires et le remplacement d'anciennes formes de production en rapports de production capitalistes. Une entreprise capitaliste qui se développe est une entreprise qui embauche plus de prolétaires. Une entreprise particulière peut prendre des ouvriers à une autre.
Mais l'ensemble constitué par tout le capitalisme mondial ne peut embaucher que des travailleurs non-capitalistes. Le capital, doit, pour vivre, absorber le monde non-capitaliste (artisans, petits commerçants, paysans) comme sa nourriture. Mais ce n'est pas uniquement pour se procurer de la main d'oeuvre que la capital vit aux dépens du secteur non-capitaliste. Comme on l'a vu, c'est surtout parce qu'il y trouve des clients, une demande solvable pour la part du surproduit qu'il ne peut acheter lui-même.
Malheureusement pour lui, le capital ne peut faire du commerce avec des clients non-capitalistes sans les ruiner. Qu'il vende des biens de consommation ou des moyens de production, il détruit automatiquement l'équilibre précaire de toute économie pré-capitaliste (donc moins productive que lui). Introduire des habits bon marchés, implanter un chemin de fer, installer une usine suffisent à détruire toute organisation économique pré-capitaliste.
Le capital aime ses clients pré-capitalistes comme l'ogre aime les enfants : en les dévorant.
Le travailleur des économies pré-capitalistes qui a eu "le malheur de toucher au commerce avec les capitalistes" sait que tôt ou tard, il finira, dans le meilleur des cas, prolétarisé par le capital, dans le pire -et c'est chaque jour le plus fréquent depuis que le capitalisme s'enfonce dans la décadence- dans la misère et l'indigence, au milieu de champs stérilisés, ou marginalisés, dans les bidonvilles d'une agglomération.
Le capital est ainsi confronté à la situation suivante : d'une part, il a besoin de plus en plus de clients non-capitalistes pour écouler une partie de sa production; d'autre part, au fur et à mesure qu'il commerce avec eux, il les ruine. L'impérialisme, la décadence du capitalisme, la vie suivant le cycle crise-guerre-reconstruction- sont la manifestation du fait que, depuis plus d'un demi-siècle, les débouchés non-capitalistes sont devenus insuffisants en égard aux nécessités d'expansion du capital mondial.
Mais, tout comme la nature par rapport aux rapports de production féodaux, les secteurs non-capitalistes ne sont ni une contradiction "interne" ni un élément "externe" aux rapports capitalistes. Ils font partie du milieu dans lequel et face auquel le capital existe.
En formulant sa critique à Rosa Luxemburg : ce sont les contradictions internes du capitalisme et non le manque de "tierces personnes" qui font finalement périr le capitalisme, Boukharine bataille contre des hommes de paille. Rosa Luxemburg n'a pas plus prétendu que c'étaient les économies pré-capitalistes qui "faisaient périr" le capitalisme qu'el le n'a affirmé que c'était les cailloux des terres européennes qui ont fait périr le féodalisme.
Ce qu'elle a fait, c'est replacer les contradictions internes du capitalisme, découvertes non par elle, mais par Marx, dans leur milieu vivant : le marché mondial.
Boukharine comme Raya Dunayevskya prétendent pouvoir comprendre les mécanismes les plus fondamentaux du capitalisme, ceux qui le conduisent à la crise, sans se soucier du milieu dans lequel vit le système. Autant vouloir comprendre le fonctionnement d'un poisson sans tenir compte du fait qu'il vit dans l'eau ou d'un oiseau, sans intégrer dans l'analyse ses rapports avec l'air. Ne pas comprendre l'importance du marché mondial pour l'analyse des crises du capitalisme, c'est en fait ne pas comprendre la nature même du capitalisme.
C'est oublier qu'avant d'être producteur, le capitaliste est d'abord et avant tout UN MARCHAND, UN COMMERÇANT.
Dans la mythologie bourgeoise, le capitaliste est toujours présenté comme un petit producteur qui, grâce à son travail, est devenu un grand producteur. Ce serait le petit artisan du Moyen-Âge devenu le grand industriel ou l'Etat patron de nos jours. La réalité historique est autre.
Dans le féodalisme en décomposition, ce ne sont pas tant les artisans des villes qui se dégagent comme la classe capitaliste, c'est plutôt les marchands. Qui plus est, les premiers prolétaires n'ont souvent été autres que les artisans soumis à la "domination formelle".
Le capitaliste est un marchand dont le commerce principal est celui de la force de travail. Il achète du travail sous la forme de marchandises de force de travail et il le revend sous la forme de produits ou services. Son profit, la plus-value, c'est la différence entre le prix de la marchandise force de travail et celui des marchandises que celle-ci produit. Le capitaliste est contraint de s'occuper du processus de production dont il est le maître mais il n'en reste pas moins ainsi un marchand. Le monde d'un marchand, c'est le marché et dans le cas du capitaliste : le marché mondial.
Les secteurs non-capitalistes font partie du marché mondial.
Ceux qui rejettent l'analyse de Rosa Luxemburg ont généralement du marché mondial -lorsqu'ils finissent par en admettre l'existence- une vision totalement fausse. Celui-ci est considéré que comme l'ensemble des capitalistes et des salariés des capitalistes. Ce faisant, ils nient les conditions pour comprendre la réalité des crises capitalistes et pourquoi elles prennent la forme de crise du marché mondial.
L'ensemble des capitalistes et leurs salariés constituent le marché de la plus grande partie de la production capitaliste; c'est le marché "intérieur" du capitalisme; mais il y a aussi tous les secteurs non-capitalistes : le marché "extérieur". Voici comment Rosa Luxemburg définit ces deux parties du marché mondial :
Le marché mondial c'est tout cet ensemble et c'est comme tel qu'il doit être intégré dans toute analyse de ses crises.
Dans les travaux du "Capital", Marx a très souvent fait abstraction du marché mondial, car il s'attachait, dans cette partie de ses travaux essentiellement à analyser les rapports internes du fonctionnement du système. Certains épigones y ont vu un argument contre les analyses de Rosa Luxemburg. En intégrant cette analyse dans son cadre plus général, et plus concret du marché mondial, Rosa Luxemburg n'a fait que développer les travaux inachevés de Marx, poursuivant le cheminement que celui-ci s'était méthodologiquement fixé :
Qu'on la privilégie ou pas, la contradiction entre les conditions de production de la plus-value et celle de sa réalisation, cet antagonisme "interne" découvert par Marx, ne peut être réellement compris si on ne connaît pas toutes les "conditions de sa réalisation". Or la réalisation de la plus-value induit la vente d'une part de celle-ci à des clients autres que les capitalistes ou leurs salariés, c'est à dire à des secteurs non-capitalistes. En introduisant ces derniers dans l'analyse des contradictions du capitalisme, Rosa Luxemburg ne nie pas les contradictions internes au mode de production capitaliste ; au contraire, elle donne les moyens de les comprendre dans toute leur réalité concrète et historique.
Mais en privilégiant la contradiction entre production et réalisation de la plus-value, elle "privilégie" la contradiction de base du capitalisme : celle entre la valeur d'usage et la valeur d'échange de la marchandise en général, et de la principale marchandise en particulier : la force de travail et son prix en argent : le salaire. C'est l'existence même du salariat qui apparaît à la base de l'impasse capitaliste.
La réalisation de la plus-value, la métamorphose en argent des marchandises produites par le surtravail des ouvriers, est contradictoire parce que le salariat limite inévitablement la consommation des ouvriers eux-mêmes.
Dans les théories sur la plus-value, Marx écrivait :
"... C'est la métamorphose de la marchandise elle-même qui renferme, en tant que mouvement développé, la contradiction -impliquée dans l'unité de la marchandise- entre valeur d'échange et valeur d'usage, puis entre argent et marchandise. "
La contradiction entre la valeur d'usage de la force de travail et sa valeur d'échange, le salaire, n'est autre que celle de l'exploitation du prolétaire par le capital.
Aussi est-ce seulement dans le cadre de l'analyse de Rosa Luxemburg que l'élimination du salariat apparaît de façon cohérente comme la caractéristique PREMIERE du dépassement du capitalisme.
La question prend toute son importance politique lorsqu'il s'agit d'un problème comme l'évaluation de la nature de classe de l'URSS: "socialiste" ou "en marche vers le socialisme" selon les partis "socialistes ou "communistes" et l'ensemble des partis de centre et de droite ; "Etat ouvrier dégénéré" selon Trotsky et les trotskystes; il revient à la "gauche allemande" des années 20 d'avoir la première analysé d'un point de vue marxiste l'URSS comme du capitalisme d'Etat ; ce n'est pas un hasard si c'était un des seuls courants dans le mouvement ouvrier à connaître et partager l'analyse des crises de Rosa Luxemburg.
Dans sa brochure de critique à l'"Accumulation du Capital", Boukharine affirme nettement la nature non capitaliste de l'URSS :
"A toutes les contradictions du système capitaliste mondial s'ajoute encore une autre contradiction cardinale: la contradiction entre le monde capitaliste et le nouveau système économique de l'Union Soviétique."(Idem p.136)
Ce n'est pas non plus un hasard. Lorsque, dans l'analyse des crises du capitalisme, on "privilégie" des contradictions telles que "la concurrence et l'anarchie capitaliste", on tend inévitablement à voir dans les nationalisations d'entreprises, dans le développement 'du pouvoir d'Etat, dans la planification, des preuves de rupture réelle avec le capitalisme. Lorsqu'on ignore la réalité du marché mondial et son importance dans la vie du capitalisme, on laisse la porte ouverte à l'idée de la possibilité du socialisme en un seul pays.
A travers la critique théorique de l'analyse de Rosa Luxemburg, Boukharine jetait les bases des théories qui sous le stalinisme serviront à présenter avec un verbiage marxiste un régime d'exploitation capitaliste, comme du socialisme.
La compréhension des problèmes économiques de la période de transition du capitalisme au communisme est étroitement dépendante de l'analyse des crises du capitalisme. Il faudra demain avoir tiré toutes les leçons de l'expérience pratique de la révolution russe dans ce domaine. Cela comporte aussi d'avoir dépassé toutes les aberrations théoriques que la dégénérescence de la révolution a engendrées.
R.V.
Sont déjà parus sur les théories des crises dans la Revue Internationale, les articles suivants :
Marxisme et théories des crises - n° 13
Théories économiques et lutte pour le socialisme - n°16
Sur l'impérialisme (théories de Marx, Lénine, Boukharine, R.Luxemburg) - n°19.
Les théories des crises, de Marx à l'Internationale Communiste - n°22.
{C}{C}{C}{C}[1]{C}{C}{C}{C} [18] Revue Internationale N°29. Voir aussi "Lesthéories des crises,de Marx à l'Internationale Communiste" dans la Revue Internationale N°22, 3ème trimestre 80).
{C}{C}{C}{C}[2]{C}{C}{C}{C} [19] Nicolas Boukharine. "L'impérialisme et l'accumulation du capital". Ed.EDI.
LES CONCLUSIONS DE HARPER SUR LA REVOLUTION RUSSE ET L'ASPECT DE LA DIALECTIQUE MARXISTE QU'IL A CRU BON DE LAISSER DANS L'OMBRE...
Il y a trois façons de considérer la révolution russe :
a) La première est celle des "socialistes" de tout poil, droite, centre et gauche, révolutionnaires et Cie (en Russie), indépendants et tutti quanti, ailleurs.
Avant la révolution, leur perspective était : la révolution russe sera une révolution bourgeoise démocratique, au sein de laquelle, -démocratie bourgeoise,- la classe ouvrière pourra lutter "démocratiquement" pour "ses droits et libertés".
Tous ces messieurs étaient, en plus de "révolutionnaires démocrates sincères", de fervents défenseurs du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", et arrivaient à la défense de la nation par le détour d'un internationalisme à sens unique partant du pacifisme et aboutissant à la lutte contre les agresseurs et les oppresseurs. Ces gens là étaient des"moralistes" dans le plus pur sens du terme, défendant le "droit" et la "liberté", avec un grand D et un grand L des pauvres et des opprimés.
Bien entendu, quand la première révolution, celle de février éclata, ce fut un torrent de larmes de joie et d'allégresse, la confirmation de la sainte perspective, enfin, la sainte révolution tant attendue.
Ils avaient seulement oublié que le coup de pouce donné par l'insurrection générale de février ne faisait qu'ouvrir les portes à la vraie lutte de classe des classes en présence.
Le tzar tombé, la révolution bourgeoise en voie d'accomplissement au sein même de la vieille autocratie, signifiait le pourrissement de cet appareil, et la nécessité de son remplacement : février ouvre la porte à la lutte pour le pouvoir.
Au sein de la Russie même, quatre forces se révèlent en présence :
Les éléments "réactionnaires" (les soutiens du régime tsariste), s'étaient convaincus de l'inéluctabilité et de la nécessité de l'introduction du grand capitalisme industriel en Russie, et ils n'aspiraient pas à autre chose qu'à être les gérants et les gendarmes du grand capital financier étranger, au prix d'un conservatisme social à eux favorable, le maintien du système bureaucratique impérial, la "libération" du servage, nécessaire à fournir une main- d'oeuvre à l'industrie, tout en maintenant le haut contrôle de la bureaucratie et de la noblesse sur la moyenne paysannerie, considérée comme une classe de métayers.
Ceci était, évidemment, déjà, la "révolution bourgeoise". Mais les forces sociales qui entraient sur l'arène de l'histoire ne tenaient pas compte des desideratas de la bureaucratie. Le capital introduit en Russie, cela signifiait, d'un côté le prolétariat, de l'autre la classe capitaliste, qui ne se compose pas que des possesseurs de capitaux, mais de toute la classe sociale qui dirige effectivement l'industrie et administre la circulation des capitaux.
L'importation du capital eut pour conséquence de révéler aux classes dirigeantes russes, dans le sens le plus large du terme, toutes les possibilités énormes de développement que pouvait fournir le capitalisme à la Russie.
Se créaient donc,au sein de ces classes, deux tendances ambivalentes : la première, nécessité de se servir du capital financier étranger pour le développement capitaliste en Russie ; la deuxième, une tendance à l'indépendance nationale, et donc, à se libérer de l'emprise de ce capital.
Dès l'ouverture du cours révolutionnaire, les pays qui avaient investi des capitaux en Russie, tels la France et l'Angleterre et bien d'autres encore, comprirent surtout le danger du point de vue des intérêts de "leurs" capitaux. Or, on sait que la mentalité du possédant, en général, est la pleutrerie, la peur,et, par réaction le déchaînement et l'explosion de la force dont il peut disposer.
Ces pays savaient très bien qu'un gouvernement démocratique sauvegarderait leurs intérêts, mais comme tout capitaliste, ils voyaient dans l'installation d'un quelconque putsch réactionnaire, la possibilité de dicter leur politique et celle d'avoir effectivement la mainmise sur un territoire extrêmement riche. Les pays étrangers misaient donc sur tous les tableaux, soutenaient tout le monde, Kerinsky et Dénikine, les bandes réactionnaires et le gouvernement provisoire, etc.. Les uns recevaient de l'argent, des armes et des conseillers techniques militaires, les autres recevaient les "conseils désintéressés" de la part d'ambassadeurs ou autres consuls. De plus, à travers cette grande bagarre pour le pouvoir, se faisaient jour avec d'autant plus d'acuité les luttes pour la prépondérance d'influence, les rivalités d'impérialismes, unis pour un jour, se tirant dans le dos et complotant par derrière contre l'allié, etc..
Le terme le plus adéquat pour caractériser la géographie politique de la période qui va de la première révolution (février) à la seconde, (octobre), c'est le marasme, le chaos, où l'histoire contemporaine n'a pu mettre son nez que très peu de temps grâce aux publications, par le gouvernement bolchevik,de tous les accords secrets officiels.
b) La guerre impérialiste elle-même était dans une impasse, les cadavres pourrissaient dans les "no man's land" séparant les tranchées d'un front couvrant tout l'est de l'Allemagne et de l'Empire Austro-Hongrois, et le sud de ces mêmes pays, sans que la guerre, ne sembla être en passe de trouver une issue.
Dans ce chaos général, un petit groupe politique qui avait représenté l'internationalisme révolutionnaire aux conférences de Zimmerwald et de Kienthal, et qui avait posé comme principe premier de la renaissance d'un mouvement ouvrier révolutionnaire sur le cadavre de la IIème Internationale :
Le prolétariat devra AVANT TOUT proclamer son internationalisme en entrant en lutte, QUOI QU'IL ARRIVE contre sa propre bourgeoisie, ayant bien en vue que ce mouvement n'est qu'un mouvement international du prolétariat qui doit, pour permettre de réaliser le socialisme, s'étendre aux principales puissances bourgeoises.
La seule divergence qui existait entre sociaux-démocrates et le noyau de la future Internationale Communiste était ce point fondamental :les sociaux-démocrates pensaient réaliser le socialisme par des"progrès dans l'élargissement de la démocratie intérieure" du pays, et de plus ils pensaient que la guerre était un "accident" dans le mouvement de l'histoire, et que pendant la guerre, plus de luttes de classe, qui devaient être mises à la naphtaline, en attendant la victoire sur le méchant ennemi qui venait empêcher cette "lutte" de s'opérer "pacifiquement".
(Il faudrait avoir plus de place et montrer les manifestes des différents partis, S.D, S.R etc.. de l'époque de la guerre de 1914 à 1917-et des extraits d'articles de journaux de ces partis destinés aux troupes russes en France, et où le "socialisme" y était défendu avec une ardeur., vraiment héroïque).
La gauche qui commença à se regrouper après les deux conférences de Suisse, avait ses assises politiques les plus solides autour de la personnalité de Lénine, à l'époque presque totalement isolé, de ses propres ex-partisans du parti bolchevik et même dans la gauche de la social-démocratie, considéré comme un illuminé, Lénine proclamait en substance :
"... Prêcher la collaboration des classes, renier la révolution sociale et les méthodes révolutionnaires, s1adapter au nationalisme bourgeois 3 oublier le caractère changeant des frontières nationales et des patries, ériger en fétiche la légalité bourgeoise, renier l'idée de classe et la lutte de classe par crainte d1éloigner la "masse de la population" (lisez : la petite bourgeoisie) voilà, sans nul doute la base théorique de l’opportunisme .."
"...La bourgeoisie abuse les peuples en jetant sur le brigandage impérialiste le voile de l’ancienne idéologie de la "guerre nationale". Le prolétariat démasque le mensonge en proclamant la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. C'est le mot d'ordre indiqué par les résolutions de Stuttgart de Baie, qui prévoyaient, non la guerre en général, mais bien cette guerre-ci, et qui parlaient non pas de la "défense de la patrie", mais "d'accélérer la faillite du capitalisme" et d'exploiter à cet effet la crise produite par la guerre, en donnant l'exemple de la Commune. La Commune a été la transformation de la guerre nationale en guerre civile.
Cette transformation n'est pas facile à faire et ne s'opère pas au gré de tel ou tel parti. Et c'est précisément ce qui correspond à l'état objectif du capitalisme en général, et de sa phase terminale en particulier. C'est dans cette direction et dans cette direction seulement, que doivent travailler les socialistes. Ne pas voter les. crédits de guerre, ne pas approuver le "chauvinisme" de SON pays et des pays alliés, mais au contraire, combattre avant tout autre le chauvinisme de SA bourgeoisie, et ne pas se cantonner dans les moyens légaux lorsque la crise est ouverte et que la bourgeoisie elle-même a annulé la légalité créée par elle, voilà la LIGNE DE CONDUITE qui MENE à la guerre civile et qui amènera fatalement à un moment ou à un autre de l'incendie qui embrase l'Europe. .. "
"... La guerre n'est pas un accident, un "péché" comme pensent les curés (qui prêchent le patriotisme, l'humanité et la paix, au moins aussi bien que les opportunistes), mais une phase inévitable du capitalisme, une forme de 'la vie capitaliste aussi légitime que la paix. La guerre actuelle est une guerre des peuples. De cette vérité il ne résulte pas qu'il faille suivre le courant "populaire" du chauvinisme, mais que pendant la guerre, à la guerre, et sous des aspects guerriers, continuent à exister et continueront à sa manifester les antagonismes sociaux qui déchirent les peuples... "
"... A bas les niaiseries sentimentales et les soupirs imbéciles après "la paix à tout prix"! L'impérialisme a mis en jeu le sort de la civilisation européenne. Si cette guerre n'est pas suivie d'une série de révolutions victorieuses, elle sera suivie à bref délai d'autres guerres. La fable de la "dernière guerre" est un conte creux et nuisible, un "mythe" petit bourgeois (selon l'expression très juste du Golos).
Aujourd'hui ou demain, pendant cette guerre ou après elle, actuellement ou bien lors de la prochaine guerre, l'étendard prolétarien de la guerre civile ralliera non seulement des centaines de milliers d'ouvriers conscients, mais des millions de semi-prolétaires et des petits bourgeois abêtis actuellement de chauvinisme et que les horreurs de la guerre pourront effrayer et déprimer, mais surtout instruiront,éclaireront, éveilleront, organiseront, tremperont et prépareront à la guerre contre la bourgeoisie, celle de "leur" pays et celle des pays "étrangers"...."
".. La IIème Internationale est morte, vaincue par l’opportunisme. A bas l'opportunisme et vive l'Internationale épurée non pas seulement des "transfuges" (comme le désire le Golos) mais aussi de l'opportunisme, la IIIème Internationale !
La IIème Internationale a accompli sa part de travail utile. (…)
A la IIIème Internationale appartient l'organisation des forces prolétariennes pour l'offensive révolutionnaire contre les gouvernements capitalistes, pour la guerre civile contre la bourgeoisie de tous les pays, pour la conquête du pouvoir, pour la victoire du socialisme..."
En comparant cela à Marx, on voit combien, contrairement à ce qu'Harper veut bien nous faire croire, Lénine a compris le marxisme et a su Rappliquer au moment adéquat :
".,. Il va absolument de soi que, pour pouvoir lutter d'une façon générale, la classe ouvrière doit s'organiser chez elle EN TANT QUE CLASSE et que l'intérieur du pays est le théâtre immédiat de sa lutte. C'est en cela que sa lutte de classe est nationale, non pas quant à son contenu, mais comme le dit le Manifeste Communiste, "quant à sa forme". Mais le "cadre de l'Etat national actuel", c'est à dire de l'Empire allemand, entre lui-même à son tour, économiquement, "dans le cadre" du système des Etats. Le premier marchand venu sait que le commerce extérieur et la grandeur de Mr Bismarck réside précisément dans une sorte de politique internationale.
Et à quoi le Parti Ouvrier allemand réduit-il son internationalisme ? A la conscience que le résultat de son effort "sera la fraternité internationale des peuples" phrase empruntée à la bourgeoise Ligue de la liberté et de la paix, et qu'on fait passer comme un équivalent de la fraternité internationale des classes ouvrières dans la lutte commune contre les classes dominantes et leurs gouvernements. " (Critique du Programme de Gotha) (1-5)
Ce qui distinguait donc cette gauche de la S.D de l'ensemble du mouvement ouvrier, c'était ses positions politiques :
1- SUR LA NOTION DE LA PRISE DU POUVOIR (la querelle démocratie bourgeoise et démocratie ouvrière intégrale par la dictature du prolétariat)
2- sur la nature de la guerre et la position des révolutionnaires dans cette guerre.
Sur tout le reste, notamment sur l'organisation "économique" du socialisme, on en était encore aux mots d'ordre des nationalisations de la terre et de l'industrie, comme beaucoup gardaient en politique le mot d'ordre de la "grève générale insurrectionnelle". Quoi qu'il en soit, il est bon de rappeler que très peu nombreux étaient les militants socialistes, même dans la gauche, qui avaient compris les positions de Lénine au cours de la guerre, et qui se rallieront APRES COUP à la Révolution Russe, quand la théorie se sera trouvée réalisée dans les faits.
Ceci est tellement vrai, que dans la querelle de Kautsky-Lénine, il n'est pas soufflé mot de la part de Kautsky, de ce côté du problème et pourtant, Lénine le fait remarquer, Kautsky avait pris position antérieurement, au Congrès de Baie, pour des positions analogues et très avancées sur le pouvoir ouvrier et sur l'internationalisme. Cependant il ne suffit pas de signer des résolutions, faut-il encore savoir les appliquer pratiquement. C'est là, est quand on trouve transposé du plan théorique au plan pratique qu'on voit le vrai marxiste. Toute la valeur d'un Plékhanov et d'un Kautsky, des hommes considérables dans le mouvement ouvrier socialiste de la fin du 19ème siècle, s'effondre comme statue de sel à côté de ce petit groupe de bolcheviks qui a du transposer sur le plan pratique leurs théories, d'abord pour la prise du pouvoir, ensuite devant la guerre, face aux S.R de gauche et à la fraction bolchevique qui était pour la "guerre révolutionnaire" à Brest-Litovsk, et devant l'offensive allemande, et devant la guerre civile intérieure qui se poursuivait.
En attendant que la révolution gagne internationalement, on ne pouvait faire en Russie qu'une organisation bourgeoise de l'économie, mais sur le modèle du capitalisme le plus avancé : le capitalisme d'Etat.
Seul le règlement ultérieur de la révolution internationale, (QUI AVAIT EU SON POINT DE DEPART INTERNATIONALEMENT, sur les positions et devant L'EXEMPLE DES BOLCHEVIKS), permettrait la possibilité d'une évolution et d'une transformation de la société vers le socialisme. En dehors de cela, on pourrait citer cent exemples de fausses positions, avant et après la révolution, de ce même Lénine.
En 1905, Trotsky lui donne une sévère leçon dans "Nos différents"et c'est sur la synthèse de la position de Trotsky dans "Nos différents" et de Lénine dans "Que faire ?" que s'est opérée la prise de position dans la guerre. Après la prise du pouvoir, une somme formidable d'erreurs ont été commises de part et d'autres à l'intérieur du parti, chez Lénine, Trotsky etc.. Il ne s'agit pas ici de se voiler les yeux sur toutes ces erreurs, nous y reviendrons par la suite en d'autres endroits, où il s'agira surtout des "léninistes purs". Mais les enseignements qu'on peut tirer après 30 ans de recul, alors que les conditions économiques ont changé, que les caractères se sont accentués, cette méthode est différente de celle qui consiste à faire face aux événements qui se présentent d'une façon anarchique et imprévue. Aujourd'hui on peut dire quelles furent les erreurs des bolcheviks, on peut étudier la révolution russe comme un événement historique, on peut voir quels étaient les groupes politiques en présence, analyser et étudier leurs documents, leur action etc..
Mais, pour hier, avec toutes leurs positions retardataires, les bolcheviks, Lénine et Trotsky en tête, étaient-ils engagés dans un mouvement qui avait pour fin immédiate d'être un mouvement vers le socialisme ? Les chemins pris par les bolcheviks y conduisaient-ils ? Ou bien ceux pris par Kautsky, ou ceux pris par X, Y, ou Z ?
Nous répondons, il n'y avait qu'une seule base de départ pour que le mouvement s'engage dans la voie de la révolution socialiste, et cette base, seuls les bolcheviks, -en Russie-, (et encore pas tous, loin de là), l'avaient mis en avant et l'avaient appliquée. C'est cette base qui faisait que leur action était engagée dans une lutte de classe où le but était le renversement du capitalisme à l'échelle internationale et où les positions politiques générales conduisaient réellement à ce renversement.
Sorti de là, de ces bases qui ont présidé dans les grandes lignes à l'éclosion du mouvement bolchevik octobriste, il y aurait bien des choses à dire, et la discussion, loin d'être close là dessus, ne fait au contraire que commencer, mais elle ne peut avoir lieu et ne peut avoir pour bases que au minimum, le programme révolutionnaire d'octobre et bien entendu, au travers de ce programme, valable pour une époque et toute l'expérience du mouvement ouvrier de ces 30 dernières années.
Le mouvement révolutionnaire qui s'est engagé en 1917 en Russie A PROUVE qu'il était international, de par les répercussions qu'il a eues en Allemagne l'année d'après.
Au début du mois de novembre 1918, les marins allemands se révoltent, les soviets se propagent dans toute l'Allemagne.
Mais quelques jours après, l'armistice était signé, quelques mois après, Noske avait fait son travail de répression, enfin en 1919,,.quand le 1er Congrès de l'I.C s'est tenu, -et quoique le grand mouvement provoqué par la révolution russe-allemande ait secoué le prolétariat encore pendant de longues années,- le point culminant de la révolution était déjà dépassé, la bourgeoisie s'était ressaisie, la paix retrouvée émoussait la lutte de classe peu à peu, le prolétariat refluait idéologiquement au fur et à mesure que la révolution allemande était brisée par morceaux. L'échec de la révolution allemande avait laissé la Russie isolée, devant poursuivre son organisation économique et attendre une nouvelle vague révolutionnaire.
Mais l'histoire est ainsi faite qu'un mouvement ouvrier ne peut être victorieux par étapes. La Révolution russe n'étant qu'une victoire partielle, le résultat final du mouvement qu'elle a déchaîné ayant été une défaite à l'échelle internationale, la "soi-disant" construction du "socialisme" en Russie devait surtout être l'image de cette défaite du mouvement ouvrier international.
L'I.C tenant ses congrès à Moscou montrait déjà que la révolution était stoppée, le reflet de cette défaite se traduit, dans l'étude des congrès, qui marquent à chaque nouveau congrès, un nouveau recul du mouvement ouvrier international, sur le plan théorique à Moscou, physiquement à Berlin.
De nouveau, les révolutionnaires se trouvaient mis en minorité puis exclus. L'Internationale Communiste, après la IIème et la 1ère, les partis communistes après tant d'autres partis "socialistes", "ouvriers" et autres, voyaient leur idéologie embourgeoisée peu à peu.
Mais à côté de ce recul du mouvement ouvrier, deux phénomènes marquant se produisent, un parti ouvrier dégénéré gardait le pouvoir d'un Etat pour lui seul et le capitalisme dans une nouvelle ère, se trouvait entré en 1914 et, par la suite replongé, au fur et à mesure du recul du mouvement ouvrier, dans des crises internes à un degré bien plus élevé qu'auparavant.
C'est pensons nous, l'analyse de ces deux phénomènes que seule la Fraction Italienne de la G.C (en publiant "Bilan", dont le nom seul est tout un programme, de 1933 à 1938), a su dégager d'une façon claire, et qui aurait du permettre de donner naissance à un nouveau mouvement ouvrier révolutionnaire.
c) Devant cette dégénérescence du mouvement ouvrier, devant l'évolution du capitalisme moderne, devant l'Etat stalinien russe, devant les problèmes qui se sont posés aux insurrections de soviets, il y a une troisième position qui consiste à ne pas se fatiguer dans une recherche trop approfondie des pourquoi et des comment HISTORIQUES ET POLITIQUES de ces 30 dernières années, et à tout mettre sur le dos d'une "tête de turc". Les uns choisissent comme "tête de turc" Staline, et font de 1'antistalinisme qui les conduit à la participation à la guerre dans le camp américain "démocratique" ; d'autres choisissent un "dada" quelconque. Le "dada" varie selon les besoins de la mode politique. En 1938-42, la mode était de mettre sur le dos du fascisme la guerre et la dégénérescence de la société dues au maintien du système capitaliste dans son ensemble. Aujourd'hui c'est le stalinisme qui sert de "tête de turc". Alors les théories et les théoriciens fleurissent : Burnham, contre la bureaucratie, Bettelheim pour, etc.. Sartre et la "liberté" et toute la clique des écrivains salariés des partis politiques de la bourgeoisie et du journalisme moderne pourri d'arrivistes. Dans le tableau, l'accusation de Harper contre le "léninisme", dont le "stalinisme serait le produit fatal", n'est qu'une pièce à conviction de plus et une surenchère.
Dans une heure ou le "marxisme" subit sa plus grande crise (espérons seulement que c'est une crise de croissance), Harper ne fait que mettre un peu plus de confusion là où il y en a déjà de trop.
Quand Harper affirme :
".., Mais non, on ne trouve rien chez Lénine qui indiquerait que les idées sont déterminées par la classe. Les divergences théoriques chez lui planent dans l'air. Bien entendu,une opinion théorique ne peut être critiquée qu'à l'aide d'arguments théoriques. Mais quand les conséquences sociales sont mises au premier plan avec une telle violence, on ne devrait pas laisser dans l'ombre l'origine sociale des conceptions théoriques. Ce coté essentiel du marxisme, visiblement, n'existe pas chez Lénine. . "
("Lénine als philosophe" -Harper La science de la nature -Lénine-)
Il va ici plus loin que la simple confusion, plus loin que ne pourrait l'être, entraîné par la polémique, un excès de langage. Harper est un de ces nombreux marxistes qui ont vu dans le marxisme l'affirmation plus d'une méthode philosophique et scientifique en théorie, mais qui restent dans le ciel astronomique de la théorie sans jamais l'appliquer à la pratique historique du mouvement ouvrier. Pour ces "marxistes" la "praxis" est encore un objet de philosophie, pas encore un sujet agissant.
N'y a-t-il pas une philosophie à tirer de cette période révolutionnaire ?
Si certainement. Je dirai même que pour un marxiste, on ne peut tirer de philosophie que d'un mouvement de l'histoire, pour en tirer les leçons pour la suite du mouvement historique. Or, que fait Harper ? il philosophe sur la philosophie de Lénine en l’enlevant de son contexte historique. S’il n’y avait que cela, il aurait été amené seulement à exprimer une demi-vérité. Mais voilà qu’il veut appliquer cette conclusion, cette demi-vérité, à un contexte historique qu’il ne s’est même pas donné la peine d’examiner. Là il nous fournit la preuve qu’il n’a pas fait mieux, sinon pire que Lénine dans « Matérialisme et Empiriocriticisme ». Il a parlé du marxisme, et la montré dans sa position par rapport au problème de la connaissance. Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce que Harper a dit ; il y a surtout à dire que l’aspect principal de la position du problème de la PRAXIS et de la connaissance, pour un marxisme, ne se fait pas en dehors de l’aspect politique immédiat que revêt la « praxis » véritable révolutionnaire, c'est-à-dire le développement du mouvement de la pensée et de l’action révolutionnaire !!! Or Harper répète comme une litanie : « Lénine n’était pas un marxiste !!! Il n’a rien compris à la lutte de classe !!! », et il s’avère que, point par point Lénine suit les enseignements de Marx, dans le développement de sa pensée politique révolutionnaire pratique.
La preuve que Lénine a compris et appliqué à la révolution russe les enseignements du marxisme, est contenue dans la « préface » de Lénine au « lettres de Marx à Kugelmann », où il a puisé l’enseignement que Marx a tiré de la commune de Paris ; on trouve encore une curieuse analogie entre les texte de Lénine que nous avons cité et ce passage de Marx, critique du programme de Gotha « I-5 ».
Lénine et Trotski sont en plein dans la ligne du marxisme révolutionnaire. Ils ont suivi ses enseignements pas à pas. La théorie de « Révolution permanente » de Trotski n’est autre que la leçon du Manifeste Communiste et du marxisme en général, son aspect non dégénéré : la révolution russe en reproduit d’ailleurs fidèlement les schémas et obéit à ce marxisme. On a oublié une seule chose, chez Harper comme chez tant d’autres marxiste : la perspective valable pour les révolutions du 19° siècle, pendant la période ascendante du capitalisme, et sur laquelle encore se trouve à cheval la révolution russe, est-elle valable pour la période dégénérescente de cette société ?
Lénine avait bien dégagé la nouvelle perspective en parlant d’une nouvelle période dite « des guerres et des révolutions » ; Rosa avait bien dégagé l’idée que le capitalisme entré dans une époque de dégénérescence, cela n’a pas empêché l’I.C. et à sa suite tout le mouvement ouvrier trotskiste et autre opposition de gauche de resté sur l’ancienne perspective, ou d’y revenir, comme Lénine le fit après l’échec de la révolution allemande. Harper pense bien qu’il y a une nouvelle perspective, mais il prouve par son analyse de Lénine et à travers lui de la révolution russe, qu’il n’a pas su après tant d’autres l’a dégager et qu’il s’est perdu dans des tas de considérations vague ou fausses comme tant d’autres avant lui.
Et ce n’est pas un hasard que se soient les héritiers d’une partie du bagage idéologique de « Bilan » qui lui répondent, comme ils répondent d’ailleurs au « léninistes » pure.
Les « pro » et les « anti » Lénine oublient seulement une chose c’est que si les problèmes d’aujourd’hui ne se comprennent qu’à la lueur de ceux d’hier ils sont cependant différent.
Philippe
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