Publié sur Courant Communiste International (https://fr.internationalism.org)

Accueil > Revue Internationale, les années 1990: n°60 - 99 > Revue Int. 1994 - 76 à 79 > Revue Internationale no 78 - 3e trimestre 1994

Revue Internationale no 78 - 3e trimestre 1994

  • 2774 lectures

Rwanda, Yémen, Bosnie, Corée : derrière les mensonges de « paix », la barbarie capitaliste

  • 3008 lectures

Sous les auspices de « la paix », de « la civilisation » et de la « démo­cratie », les plus grandes puissances militaires du monde viennent de cé­lébrer en grandes pompes l'anniver­saire du débarquement Allié en Normandie. Les festivités organi­sées à cette occasion, le répugnant reality show mis en scène sur les lieux mêmes de la boucherie cin­quantenaire, les phrases sonores à leur propre gloire que se sont échangés les chefs d'Etat les plus puissants de la planète, n'en finis­sant pas de se congratuler, ont donné lieu à un déballage médiati­que phénoménal à l'échelle mon­diale. Le message a été assené sur tous les tons : « Nous autres, grands Etats industrialisés et nos institutions démocratiques, sommes les héritiers des libérateurs qui chassèrent d'Europe l'incarnation du mal qu'était le régime nazi. Aujourd'hui comme hier, nous sommes les garants de la "civilisation", de la "paix" et de l'"humanitaire", contre l'oppression, la terreur, la barbarie et le chaos. »

Ces gens-là veulent nous faire croire, qu'aujourd'hui comme hier, la barbarie, c'est ... les autres. Le vieux mensonge selon lequel la boucherie de 1939-45, ses 50 millions de morts, son cortège d'atrocités et de souffrances, aurait eu pour seul responsable la folie barbare d'un Hitler et non le capitalisme comme un tout, et non les sordides intérêts im­périalistes de tous les camps en pré­sence. Cela fait un demi-siècle qu'on nous le rabâche, dans l'espoir qu'un mensonge mille fois répété devienne un vérité. Et s'ils nous le resservent au­jourd'hui en mondovision, c'est encore pour disculper le capitalisme, et en par­ticulier les grandes puissances « démocratiques », de la responsabilité des massacres, des guerres, des génoci­des et du chaos grandissant qui ravagent aujourd'hui la planète.

Un demi-million d'hommes impliqués dans l'opération, la plus gigantesque ex­pédition militaire de tous les temps, une boucherie effroyable qui -en quelques heures - laissa sur le terrain des dizaines de milliers de cadavres. Voilà, ce que, « au nom de la paix », les têtes couron­nées, galonnées, suffragées, de la « communauté internationale » célé­braient en choeur le 6 juin 1994. En se recueillant hypocritement devant les champs de croix blanches à perte de vue où s'inscrivent l'âge de ces enfants qu'ils appellent des « héros » - 20 ans, 18 ans, 16 ans - la seule émotion vraie que res­sentaient cette brochette de canailles, c'était bien le regret du « bon temps », celui d'il y a 50 ans, où la classe ou­vrière était défaite et la chair à canon abondante et soumise. ([1] [1])

La « paix », tous, Clinton, Major, Mit­terrand et les autres, n'ont eu que ce mot à la bouche. Ce même mot de "paix", dont ils se gargarisaient il y a 5 ans lors de la chute du mur de Berlin. Ce mot de "paix", au nom duquel cette même "communauté internationale" déchaî­na, quelques mois plus tard, la "tempête du désert" en Irak avec ses centaines de milliers de victimes. De cette boucherie sans nom -ils nous l'avaient encore promis- un "nouvel ordre mondial" allait naître. Depuis lors, c'est encore en porte-parole de "la paix" et de la "civilisation" qu'ils se sont tous présentés, en Yougoslavie, en Afrique, dans les Etats de l'ex-URSS, au Moyen et en Extrême-Orient. Plus ces régions du monde étaient ravagées par la guerre, plus les grandes puissances s'y sont présentées en défenseurs de "la paix", et plus en réalité elles étaient présentes et actives sur tous les théâtres des conflits guerriers, pour y défendre la seule "juste cause" que connaissent tous les pays capitalistes : leurs intérêts impérialistes.

Il n'y a pas de paix possible dans le capitalisme. La fin de la seconde bou­cherie mondiale, si elle avait chassé la guerre d'Europe et des pays les plus dé­veloppés, n'avait fait que la reporter vers la périphérie du capitalisme. Depuis 50 ans, les puissances impérialistes, gran­des et petites, n'ont pas cessé de s'affronter militairement à travers les conflits locaux. Pendant des décennies, les guerres locales incessantes ont été autant de moments de l'affrontement entre les deux grands blocs impérialistes qui se disputaient le partage du monde. L'effondrement du bloc de l'Est et, par suite, l'éclatement de celui qui lui faisait face en Occident, loin de mettre fin à cette réalité guerrière et impérialiste du capitalisme a été le signal de son dé­chaînement tous azimuts et sans limites.

Dans un monde où le chacun pour soi règne désormais en maître, ce sont les anciens alliés d'hier qui se disputent aujourd'hui leurs zones d'influence im­périaliste aux 4 coins de la planète. Les célébrations du « D day », où les plus puissants Etats se félicitaient mutuelle­ment d'avoir ensemble chassé la guerre d'Europe il y a 50 ans, se sont déroulées alors même que la guerre est de retour sur ce continent et qu'elle y est active­ment nourrie, depuis trois ans en You­goslavie, par les rivalités qui opposent ces mêmes Etats « civilisés ».

Non, le chaos guerrier qui ravage au­jourd'hui la planète ne peut simplement s'expliquer par le soudain retour de "haines ancestrales" entre populations arriérées, comme le prétendent ceux qui veulent nous faire croire, encore une fois, que la barbarie, c'est les autres. Il est partout alimenté, attisé, entretenu, quand ce n'est pas carrément provoqué, par les rivalités et les ambitions impé­rialistes de ceux-là même qui nous abreuvent de discours sur leurs bonnes intentions "civilisatrices", "humani­taires", et "pacificatrices"

RWANDA : Les rivalités franco-américaines sont responsables de l'horreur

Un bain de sang effroyable. Des popu­lations entières froidement assassinées, à coups de machettes et de gourdins à clous, les enfants égorgés dans leur ber­ceaux, les familles pourchassées par des hordes de tueurs déchaînés jusque dans le moindre lieu où elles croient trouver refuge et mises à mort avec une sauva­gerie inouïe. Le pays transformé en un immense charnier et dont l'effroyable évocation du lac Victoria charriant des milliers de cadavres putréfiés donne l'odieuse mesure. Le nombre des victi­mes ? Un demi-million au moins, sans doute plus encore. L'ampleur du géno­cide restera inconnu. Jamais dans l'his­toire un tel exode de populations fuyant à l'aveugle les massacres ne s'était pro­duit en si peu de temps.

L'évocation d'une telle horreur par les médias de la bourgeoisie « démocrati­que », qui se sont vautrées dans ces images d'holocauste, nous a renvoyé à l'envi le message : « regardez à quelles horreurs aboutissent les haines raciales ancestrales qui déchirent les popu­lations arriérées de l'Afrique "sauvage" et face auxquelles les Etats civilisés sont impuissants. Et réjouissez vous de vivre dans nos contrées démocratiques à l'abri d'un tel chaos. Le quotidien de misère et de chômage que vous vivez ici est un paradis à côté des massacres que subissent ces populations. »

Le mensonge est cette fois d'autant plus énorme, que le prétendu conflit ethnique ancestral entre Hutus et Tutsis a été créé de toutes pièces par les puissances im­périalistes à l'époque de la colonisation. Tutsis et Hutus correspondaient alors beaucoup moins à des critères « ethniques » qu'à des castes sociales. Les Tutsis désignaient la caste féodale au pouvoir sur laquelle se sont d'abord appuyées les puissances coloniales. Héritant de la colonie rwandaise lors du dépeçage de l'empire allemand entre les vainqueurs de la première guerre mon­diale, c'est la Belgique qui introduit la mention ethnique sur la carte d'identité des Rwandais, attisant la haine entre les deux castes pour mieux s'appuyer sur la monarchie tutsi.

En 1959, changeant son fusil d'épaule, Bruxelles soutient la majorité hutu qui s'est emparée du pouvoir. La fameuse carte d'identité « ethnique » est mainte­nue et les discriminations entre tutsis et hutus dans les divers domaines de la vie sociale sont renforcées.

Plusieurs centaines de milliers de Tutsis fuient le pays pour s'installer au Bu­rundi ou en Ouganda. Dans ce dernier pays, ils seront une base de recrutement pour la clique de l'actuel président ou­gandais Museveni qui prend le pouvoir avec leur soutien à Kampala en 1986. En retour, le nouveau régime ougandais favorise et arme la guérilla tutsie qui va se concrétiser par la création du Front patriotique rwandais (FPR) qui entre au Rwanda en octobre 1990.

Entre temps, le contrôle de l'impéria­lisme belge sur Kigali a laissé la place à la France qui apporte un soutien mili­taire et économique sans faille au ré­gime hutu d'Habyarimana, lequel fait régner la terreur dans le pays en renfor­çant les ressentiments ethniques contre les Tutsis. C'est grâce au soutien de l'impérialisme français qui l'arme acti­vement et qui envoie en renfort des militaires, que le régime repoussera l'avance du FPR, lequel est soutenu discrètement par les Etats-Unis, à tra­vers l'Ouganda qui l'arme et l'entraîne.

A partir de là, la guerre civile s'emballe, les pogroms anti-Tutsis se multiplient en même temps que ceux menés par le FPR contre tous ceux qu'il soupçonne de « collaborer » avec le régime. Au nom de « protéger ses ressortissants », Paris renforce encore son corps expédition­naire. En réalité l'État français ne fait que défendre sa chasse gardée face à l'offensive des Etats-Unis qui n'a de cesse, depuis l'effondrement du bloc de l'Est, de disputer à Paris ses zones d'in­fluence en Afrique. La guérilla du FPR prend la forme d'une véritable offensive américaine visant à faire tomber le ré­gime pro-français de Kigali.

Pour tenter de sauver le régime, la France finit par mettre sur pied en août 1993 un accord de «paix » qui prévoit une nouvelle constitution plus "démocratique", octroyant une partie du pouvoir à la minorité tutsi ainsi qu'aux diverses cliques d'opposition.

Cet accord va s'avérer irréalisable. Non pas parce que les "haines ancestrales" sont trop fortes, mais tout simplement parce que l'enjeu impérialiste et les cal­culs stratégiques des grandes puissances ne pouvaient pas s'en accommoder. L'assassinat le 6 avril 94, à la veille de la mise en place de la nouvelle constitu­tion, des présidents rwandais et burundais fait capoter l'accord et met le feu au poudres, déclenchant le bain de sang que l'on sait. Les dernières révélations publiées par la presse belge (qui a des raisons d'en vouloir à son rival français en Afrique) mettant directement en cause des mili­taires français dans l'attentat du 6 avril suggèrent que Paris a très bien pu com­manditer l'attentat dans l'espoir qu'en en faisant porter le chapeau aux rebelles du FPR, il obtiendrait toutes les justifica­tions et la mobilisation nécessaires de la part de l'armée gouvernementale pour en finir avec la rébellion tutsi. Si tel est le cas la réalité a dépassé toutes ses es­pérances. Mais peu importe laquelle des deux cliques, gouvernementale ou FPR, et derrière elles qui, de la France ou des Etats-Unis, avait le plus intérêt à faire ainsi passer le conflit rwandais de la guérilla larvée à la guerre totale. La lo­gique même du capitalisme le veut ainsi : la "paix" n'est qu'un mythe dans le capitalisme, au mieux une pause préparant les prochains affrontements, et en dernière instance la guerre reste son seul mode de vie, la seule manière de régler ses contradictions.

Aujourd'hui les apprentis sorciers font semblant de s'émouvoir devant l'am­pleur prise par le brasier qu'ils ont eux-mêmes attisé. Pourtant, pendant des mois, tout ce beau monde à laissé faire le massacre se contentant de déplorer l'"impuissance de l'ONU". Le prin­cipe adopté à la mi-mai par le conseil de sécurité de l'ONU -plus d'un mois après le début de la guerre alors qu'on dé­comptait déjà 500 000 morts !- d'expé­dier 5 000 hommes dans le cadre de la MINUAR ne devrait pas voir un début de mise en oeuvre avant le mois de juillet ! Même si certains Etats africains de la région se sont dits prêts à fournir les troupes, du côté des grandes puis­sances, chargées d'assurer l'équipement et les moyens financiers, c'est la lenteur et l'apathie qui ont présidé, faisant s'in­digner le responsable de la MINUAR : "c'est comme si nous étions devenus to­talement insensibles, comme si cela nous était devenu indifférent." Ce à quoi rétorquaient les diplomates du con­seil de sécurité : "de toutes façons le gros des massacres est passé, il faut at­tendre la suite." Les autres résolutions de l'ONU, censées mettre fin à l'alimentation de la guerre et aux livraisons d'armes à partir de l'Ouganda et du Zaïre, n'ont eu pas plus d'effet. Et pour cause, cette " impuissance", c'est la même qui règne dans la guerre en Bos­nie. Elle ne fait que refléter les diver­gences d'intérêts impérialistes qui divi­sent ceux qui se font passer pour des forces de "maintien de la paix".

C'est de la bouche du gouvernement français que le sursaut militaro-humanitaire a refait surface en juin, après l'adoption d'un cessez-le-feu immédia­tement violé. "On ne peut plus suppor­ter ça" a clamé le ministre français des Affaires étrangères, et de proposer une intervention, "dans le cadre de l'ONU", mais à condition que l'opéra­tion soit menée sous le commandement direct de l'État français. L'initiative a évidemment provoqué une réaction im­médiate des représentants du FPR s'indignant que « la France ne peut arrêter le génocide qu'elle a aidé à mettre en action. » Quant aux autres "grands" ils freinent des quatre fers, Etats-Unis en tête. D'une part parce qu'il ne fait pas de doute que si la France veut prendre la direction des opérations, c'est bien pour s'assurer la conservation de son rôle de puissance dominante dans le pays et dans le but de peser de tout son poids pour arrêter la progression du FPR. D'autre part, parce que les USA, de leur côté, non seulement s'appuient juste­ment sur le dit FPR sur le terrain, mais tiennent plus généralement à faire en­tendre qu'il n'est pas question qu'une autre puissance qu'eux-mêmes prétende s'arroger le rôle du gendarme. Voilà les véritables ressorts de cette nouvelle va­gue de gesticulations " humanitaires", le sort des populations massacrées n'a rien à y voir.

YEMEN : Les calculs stratégiques des grandes puissances

Née de la réunification des deux Yémen il y a 4 ans - dans l'euphorie de l'effon­drement du bloc de l'Est, qui laissa brutalement Aden et son parti unique dirigeant le PSY sans parrain - la toute nouvelle République yéménite unifiée n'aura pas fait long feu. La sécession du Sud et le conflit militaire qui opposent à nouveau les deux parties du pays n'est qu'un révélateur de plus de ce que vaut le « nouvel ordre mondial » promis : un monde d'instabilité et de chaos, des Etats qui se déchirent et éclatent sous la pression de la décomposition sociale. Mais comme au Rwanda, comme en Yougoslavie, ce chaos est nourri, ali­menté par les puissances impérialistes de la région et au-delà, qui là encore sont bel et bien derrière dans le but d'es­sayer de tirer les marrons du feu pour leur propre compte.

Régionalement le conflit yéménite est ainsi nourri d'un côté par l'Arabie Saoudite qui reproche les trop grandes sympathies des factions islamistes du Nord avec son menaçant voisin l'Irak et avec le régime soudanais. C'est elle -et derrière elle son puissant allié améri­cain- qui a ainsi attisé et soutenu la cli­que sécessionniste d'Aden dans le but d'affaiblir les factions yéménites pro­ irakiennes De l'autre, c'est aussi sa zone d'influence impérialiste régionale que défend Khartoum, en particulier contre son rival local l'Egypte, autre place-forte américaine, en appuyant l'offensive nordiste. Offensive dont l'enjeu n'est autre que le contrôle de la position éminemment stratégique que constitue le port d'Aden, en face de la place-forte française de Djibouti. Et que trouve-t-on derrière le régime militaro islamiste soudanais ? Comme par hasard l'appui discret de la France qui ne fait là qu'ap­porter la réponse du berger à la ber­gère, après que l'offensive des Etats-Unis en Somalie est venue menacer sa chasse gardée de Djibouti.

Le bras de fer qui se joue sur le conti­nent africain et au Moyen-Orient entre les grandes puissances, en particulier entre les Etats-Unis et la France, aboutit à cette sordide réalité qui voit d'un côté l'Etat français dénoncer à cor et à cri l'obscurantisme islamiste, quand il sévit en Algérie et déstabilise ses propres zo­nes d'influence avec la bénédiction des Etats-Unis qui soutiennent désormais sans se cacher le FIS. De l'autre côté, c'est Washington qui s'en va dénoncer ce même islamisme quand il contrarie ses prérogatives dans la péninsule ara­bique, tandis que la France, oubliant ses laïcs états d'âmes, le trouve plutôt à son goût quand il s'agit de défendre ses inté­rêts impérialistes à l'entrée de la Mer Rouge. Voilà encore une justification idéologique qui s'effondre devant la sordide réalité de l'impérialisme.

BOSNIE : Les missions « pacificatrices » attisent la guerre

C'est le même cynisme, la même du­plicité des grandes puissances « civilisatrices » qui se révèlent dans l'enlisement de la guerre en Bosnie ([2] [2]). Les dernières évolutions de l'imbroglio diplomatico-militaire des principales puissances, tandis que les massacres continuent de plus belle, n'ont fait que confirmer le mensonge du caractère prétendument « humanitaire » de leurs prétentions et le sourd affrontement en­tre les « grands » qui se joue par popu­lations serbes, croates et musulmanes interposées.

Le théâtre du conflit bosniaque, long­temps terrain privilégié de l'affirmation impérialiste des diverses puissances européennes est aujourd'hui devenue une des pierres angulaire de la contre-offensive américaine. Avec l'ultimatum de l'OTAN et la menace de frappes aé­riennes sur les forces serbes, Washing­ton est parvenu à reprendre complètement l'initiative, à rabattre les nouvelles prétentions de la Russie à s'engouffrer dans le conflit et à sanctionner l'im­puissance totale de la Grande-Bretagne et de la France, qui durent accepter une ingérence américaine qu'elles avaient jusque là refusée et sabotée par tous les moyens. Et ce sont encore les Etats-Unis qui ont marqué des points en parrainant la création d'une fédération croato-musulmane. Du coup les prétentions de l'Allemagne à s'appuyer sur la Croatie pour prendre pied sur les bords de la Méditerranée sont complètement mises sur la touche. Là encore, toutes ces grandes manoeuvres militaro-diplomatiques n'ont pas grand chose à voir avec le "retour de la paix".

Comme nous le disions dans notre pré­cédent numéro : « l'alliance croato-musulmane qu'ils (les Etats-Unis) pa­tronnent - si elle va jusqu'à son terme -va porter l'affrontement avec la Serbie à un niveau supérieur. Les puissances européennes qui viennent de prendre une gifle ne vont pas manquer de jeter de l'huile sur le feu. » Le vote par le Sé­nat américain, qui s'est prononcé pour la levée de l'embargo sur les armes en Bosnie - et qui a trouvé un appui inat­tendu de la part d'une poignée d'intellectuels français va-t-en-guerre de salon-, ne peut qu'encourager l'armée bosniaque, déjà réarmée par les bourgeoisie américaine à reprendre l'offensive militaire. Et ce n'est pas le plan européen de partition de la Bosnie, totalement inacceptable par les Musul­mans et auquel la Maison blanche - en apparent désaccord avec son Congrès -fait semblant de se rallier qui risque de permettre l'arrêt des massacres. Son prévisible échec, tandis que l'appui de Washington au nouveau front anti-serbe croato-musulman rend inévitable un élargissement de la guerre, ne fait qu'annoncer de nouvelles tueries.

La boucherie qui ensanglante l'ex-Yougoslavie, depuis maintenant trois ans, n'est pas près de se terminer. Elle n'a fait que démontrer à quel point les conflits guerriers et le chaos nés de la décomposition du capitalisme se trou­vent attisés par les menées des grands impérialismes. Et aussi, qu'au bout du compte, au nom du « devoir d'ingérence humanitaire », la seule alternative qu'ils aient, les uns et les autres, à proposer, c'est la suivante : soit bombarder les for­ces serbes, soit envoyer plus d'armes aux bosniaques. En d'autres termes, face au chaos guerrier que provoque la décomposition du système capitaliste, la seule réponse que celui-ci ait à donner, de la part des pays les plus puissants et les plus industrialisés, c'est d'y ajouter en­core plus de guerre.

COREE : Vers de nouveaux déchaînements militaires

Tandis que les foyers de conflits se multiplient, un autre brasier couve avec la Corée du Nord, qui prétend se doter d'un embryon d'arsenal nucléaire. La réaction des Etats-Unis qui ont engagé le bras de fer avec Pyongyang menaçant celle-ci d'une escalade de sanctions, nous est encore une fois présentée comme l'attitude responsable de puis­sances « civilisées » soucieuses de com­battre la course aux armements et de défendre la paix. En fait, cette « crise majeure », n'est pas sans rappeler le bras de fer engagé par ces mêmes Etats-Unis il y a quatre ans face à l'Irak et qui déboucha sur la boucherie de la guerre du Golfe. Et, comme à l'époque, les prétentions d'une Corée du Nord -qui est déjà un des pays les plus militarisés du monde, fort d'une armée d'un million d'hommes - à enrichir son énorme arse­nal d'un « plus » nucléaire, ne sont fon­damentalement qu'un prétexte.

Derrière la « crise coréenne » et l'intox médiatique sur les risques d'agression de Pyongyang sur son voisin du Sud, il y a fondamentalement la réaction amé­ricaine à la menace sur son hégémonie et son statut de gendarme du monde que fait peser l'alliance qui se noue entre les deux géants de la région : la Chine et le Japon. Les premiers visés dans cette af­faire, à travers la détermination affichée par Washington à « aller jusqu'au bout s'il le faut », sont bien moins le régime de Pyongyang que ces deux derniers pays. Elle fait partie de la pression ap­puyée de la Maison blanche sur la Chine qui, tendant d'une main la ca­rotte, avec le maintien de la « clause de la nation la plus favorisée » accordée à Pékin, brandit de l'autre le bâton, en s'attaquant à son petit protégé nord co­réen.

L'objectif, en faisant volontairement monter la tension avec la Corée, est de contraindre la Chine et le Japon à se ranger derrière eux, d'obliger Pékin à se désolidariser de Pyongyang, et mettre à mal l'axe sino-japonais et toute velléité de politique indépendante de la part de ces deux pays. Exactement comme lors de la crise du Golfe, où les Etats-Unis avaient eux même provoqué la crise en encourageant les visées de Saddam Hus­sein sur le Koweït, dans le seul but de contraindre les puissances européennes à se ranger derrière eux et, contre leurs propres intérêts au Moyen Orient, à faire acte d'allégeance devant la toute puissance militaire américaine. L'opé­ration avait parfaitement réussi alors. Les velléités d'affirmations impérialistes de ses rivaux européens avaient été un temps étouffées au prix d'une ignoble boucherie.

Que les Etats-Unis aillent jusqu'au bout cette fois-ci, que, rééditant leur « exploit » sanglant, ils mettent une fois de plus en branle leur énorme machine­rie guerrière, dans le seul but de faire plier les puissances d'Asie à leurs dik­tats, n'est pas encore dit. En tout cas cette nouvelle crise montre l'avenir que prépare le capitalisme.

LE CAPITALISME C'EST LA GUERRE

Les cérémonies commémorant le « D day » avaient elles aussi pour but de rappeler à tous ceux qui seraient tentés de passer outre, que ce sont les Etats-Unis qui entendent faire la loi dans le monde en 1994, comme en 1944. Ainsi la gifle adressée à l'Allemagne, osten­siblement exclue des festivités, est ve­nue sèchement lui rappeler sa position de vaincue de la seconde guerre mon­diale et lui faire entendre qu'il serait mal venu de sa part de prétendre obtenir un autre statut dans le rapport de forces impérialiste actuel. L'absence encore plus remarquée de la Russie -qui n'a pas manqué de protester contre un tel oubli de sa participation à la victoire de 1945 et aux millions de prolétaires qu'elle avait sacrifiés sur l'autel de la boucherie mondiale- entendait bien aussi rabattre le caquet aux prétentions de Moscou à retrouver place au premier rang des puissances mondiales. Quant aux risettes hypocrites que se sont mu­tuellement adressés les invités de la fête, clamant leur volonté commune d'agir « pour la paix » elles cachaient décidé­ment mal la sordide réalité des conflits qui les opposent aux quatre coins de la planète.

Il n'y aura pas de pause dans le rythme des foyers guerriers de par le monde. La guerre est inscrite depuis sa naissance dans l'histoire du capitalisme. Elle de­vient le mode de vie permanent de ce système à l'heure de sa décomposition. On veut nous faire croire qu'il s'agit d'une fatalité, qu'on est impuissant et que le mieux à faire encore est de s'en remettre à la bonne volonté des grandes puissances et de leurs efforts pour en limiter les effets les plus dévastateurs. Rien n'est plus faux. Comme on vient de le voir, ce sont elles les premiers fau­teurs de guerre de part le monde. Et pour une raison bien simple : ce chaos guerrier et ce déchaînement du milita­risme trouvent leurs fondements dans la faillite même de l'économie capitaliste.

LA REPONSE EST ENTRE LES MAINS DU PROLETARIAT

La barbarie guerrière, qui se répand dans les zones les plus sous-développées de la planète, a pour pendant la misère et le chômage massif, qui s'étendent dé­sormais à l'autre pôle de la planète, dans les grands pays industrialisées. Guerre permanente et plongée catastrophique dans la crise économique sont, l'une et l'autre, des manifestations de la même faillite totale du système capitaliste. Oui, il est impuissant à résoudre ces fléaux. Tout au contraire, en continuant à pourrir sur pied, le capitalisme n'a d'autre chose à offrir que toujours plus de misère, de chômage et de guerres.

La réponse à l'avenir effroyable que nous promet le capitalisme existe. Elle est entre les mains de la classe ouvrière internationale et d'elle seule. Il appar­tient en particulier aux prolétaires des pays les plus industrialisés, qui subis­sent de plein fouet les conséquences dramatiques de la crise de ce système, d'y répondre par la lutte sur leur terrain de classe, de la manière la plus détermi­née, la plus unie, la plus consciente.

Au sentiment d'impuissance face à la barbarie que veut lui inoculer la classe dominante, à ses tentatives de l'entraî­ner derrière elle dans ses aventures guerrières, la classe ouvrière doit ré­pondre par le développement de sa ri­poste de classe aux attaques capitalistes. Cette riposte, et elle seule, est une ré­ponse à la barbarie de ce système. Parce qu'elle seule porte en elle la possibilité de détruire le capitalisme avant que sa logique meurtrière n'aboutisse à la destruction de l'humanité. L'avenir de l'espèce humaine est entre les mains du prolétariat.

PE, 19/6/1994.


[1] [3] Voir l'article « 50 ans de mensonges im­périalistes », dans ce numéro.

[2] [4] Voir l'article «Les grandes puissances impérialistes sont les fauteurs de guerre, dans l'ex-Yougoslavie tout comme dans le reste du monde », Revue internationale n° 76.

Questions théoriques: 

  • Décomposition [5]
  • Guerre [6]

Crise économique mondiale : L'étude de l'OCDE sur l'emploi

  • 3854 lectures

LE CYNISME DE LA BOURGEOISIE DECADENTE

La bourgeoisie a conscience qu'elle s'installe dans la crise. La faiblesse momentanée de la classe ouvrière internationale lui permet de tenir le langage cynique d'une classe historiquement moribonde qui sait qu'elle ne peut survivre qu'en intensifiant l'oppression et l'exploitation.

Les médecins ont parlé. Les économis­tes « experts » du Secrétariat de l'OCDE ([1] [7]), après deux ans de réflexion intense, déclarent avoir rempli « le mandat que leur ont confié les Ministres en mai 1992. » L'objet de l'examen : le chô­mage, hypocritement appelé « le pro­blème de l'emploi ». Mais, quel est le diagnostic? Quels sont les remèdes proposés ?

L’Etude commence par tenter de mesu­rer les symptômes. « Il y a 35 millions des personnes au chômage dans les pays de l'OCDE. Quinze millions d'au­tres, peut-être, ont soit renoncé à cher­cher du travail, soit accepté faute de mieux un emploi à temps partiel. » La mesure de la maladie est déjà elle-même problématique : la définition du chô­mage est souvent différente suivant les pays et, dans tous les cas, elle sous-estime la réalité pour des raisons politiques évidentes. Mais, même avec ces déformations les chiffres sont sans précédent : 50 millions de personnes touchées directement par le problème du chômage, cela équivaut presque à la totalité de la population active de l'Allemagne et de la France ensemble !

Comment expliquent les médecins « experts » qu'on en soit arrivés là, eux pour qui le système capitaliste est éter­nel et est supposé connaître une nou­velle jeunesse depuis l'effondrement du stalinisme ?

« L'émergence d'un chômage à grande échelle en Europe, au Canada et en Australie et la prolifération d'emplois médiocres alliée à l'apparition du chô­mage aux Etats-Unis ont donc une seule et même cause profonde : l'incapacité de s'adapter de manière satisfaisante au changement. »

 

Quel changement ? « (...) Les technolo­gies nouvelles, la globalisation et la concurrence intense qui s'exerce au ni­veau national et international. Les politiques et les systèmes en place ont rendu les économies rigides et para­lysé la capacité, voire la volonté d'adaptation. »

En quoi consiste cette « inadaptation », cette « rigidité » ? Les naïfs qui croient encore que les économistes sont autre chose que des charlatans de mauvaise foi chargés de «justifier» le capita­lisme, auraient pu s'attendre à ce qu'on parle de la rigidité de lois qui, par exemple, contraignent à payer les agri­culteurs pour qu'ils ne cultivent pas la terre, ou à fermer des milliers d'usines en parfait état de marche alors que la misère ne cesse d'étendre sur la planète. Mais, pas du tout. Les rigidités dont parlent nos médecins sont au contraire celles qui peuvent gêner le libre et impi­toyable jeu des lois capitalistes, ces lois qui plongent l'humanité dans un chaos croissant.

L’Etude illustre cyniquement ce point de vue par les remèdes, les « recomman­dations » qu'elle formule :

« ... Supprimer toute connotation néga­tive, dans l'opinion publique, à l'égard des défaillances d'entreprises... Accroître la flexibilité du temps de tra­vail...

Accroître la flexibilité des salaires, ré­duire les coûts de main-d'oeuvre non salariaux...

Réévaluer le rôle des salaires mini­mums légaux... en modulant suffisam­ment les taux de salaire en fonction de l'âge et des régions... Introduire des "clauses de renégocia­tion " qui permettent de renégocier à un niveau inférieur des conventions collec­tives conclues à un niveau supérieur... Réduire les coûts de main d'oeuvre non-salariaux... en allégeant les prélève­ments au titre du facteur travail (impôts payés par les patrons, NDLR) rempla­çant ce type de prélèvements par d'autres impôts, notamment sur la consom­mation ou le revenu (impôts payés principalement par les travailleurs). Fixer les rémunérations offertes dans le cadre des programmes de création d'emplois à un niveau inférieur à celles que le participant pourrait obtenir sur le marché du travail afin de l'inciter à continuer de chercher un emploi régu­lier...

Les systèmes (d'assurance chômage) ont fini par constituer une garantie de re­venu quasi permanente dans beaucoup de pays, ce qui n'incite pas à tra­vailler...

Limiter la durée de versement des pres­tations de chômage dans les pays où elle est particulièrement longue... »

Rarement la bourgeoisie s'était permis de tenir un langage aussi brutal à une échelle aussi importante. Les conclu­sions de l'OCDE ne diffèrent pas sur le fond de celles formulées par les « experts » de l'Union européenne ou par le président américain lors du der­nier G7 ([2] [8]). L’Etude devra servir de base aux travaux de la prochaine réu­nion du G7, consacrée une fois encore au problème du chômage.

La classe dominante connaît la puis­sance que lui donne le chantage au chômage sur la classe exploitée, elle connaît la difficulté à laquelle se heurte la classe ouvrière dans tous les pays pour retrouver le chemin de la lutte. Et cela lui permet d'élever le ton. De parler un langage sans fioritures.

En réalité, dans la pratique tous les gouvernements du monde, à des degrés divers, appliquent déjà de telles politi­ques. Ce qu'annonce ce document c'est simplement une aggravation de cette orientation.

Quelle efficacité peuvent avoir les « remèdes » proposés ?

Il n'y a pas d'adaptation saine du capi­talisme aux changements que lui même provoque au niveau de la productivité technique du travail et de l'interdépen­dance de l'économie mondiale.

L'intensification de la concurrence entre capitalistes, exacerbée par la crise de surproduction et la rareté de marchés solvables, pousse ceux-ci à une moder­nisation à outrance des processus de production, remplaçant des hommes par des machines, dans une course effrénée à la «baisse des coûts». Cette même course les conduit à déplacer une partie de la production vers des pays où la main d'oeuvre est meilleur marché (Chine et Sud Est asiatique actuelle­ment, par exemple).

Mais, ce faisant, les capitalistes ne ré­solvent pas le problème chronique du manque de débouchés qui frappe l'en­semble de l'économie mondiale. Tout au plus permet-il à certains de survivre aux dépens des autres, mais du point de vue global le problème ne s'en trouve qu'ag­gravé.

Là où il y a inadaptation ce n'est pas en­tre le capitalisme et la politique des gouvernements, qui ont tous depuis ^longtemps entrepris de s'attaquer progressivement au niveau de vie des ex­ploités des pays les plus industrialisés. "L'inadaptation est entre la réalité des capacités techniques de la société : pro­ductivité du travail, explosion des communications, internationalisation de la vie économique, d'une part, et la subsistances des lois capitalistes, les lois de l'échange, du salariat, de la propriété privée individuelle ou étatique, d'autre part. C'est le capitalisme lui-même qui est devenu inadapté aux capacités et nécessités de l'humanité.

Comme le disait le Manifeste commu­niste : « Les institutions bourgeoises sont devenues trop étroites pour conte­nir la richesse qu'elles ont créée. »

Le seul intérêt du « nouveau » discours de la classe dominante c'est qu'il recon­naît que celle-ci est confrontée à une crise économique destinée à durer. Même si les bourgeois pensent toujours que leur système est éternel, même s'ils reparlent de nouvelle reprise de l'éco­nomie mondiale, ils admettent aujour­d'hui que celui-ci est condamné,  du

moins pour les prochaines années à vi­vre dans une situation où le chômage massif continuera d'être une constante, que le processus qui a vu le nombre de chômeurs sur la planète augmenter de façon continue depuis un quart de siècle est loin de pouvoir être arrêté.

L'Etude fait encore preuve d'une cer­taine lucidité lorsqu'elle envisage l'ave­nir social : « Certaines personnes ne se­ront pas capables de s'adapter aux im­pératifs d'une économie qui progresse... (Ils auraient du écrire : d'une économie dont la maladie mortelle progresse). Leur exclusion du grand courant des activités économiques risque de provo­quer des tensions sociales qui pour­raient être lourdes de conséquences sur les plans humain et économique ».

Ce que ne voient pas et ne peuvent voir ce « experts » c'est que ces « tensions sociales » sont porteuses de la seule is­sue pour l'humanité et que les « conséquences sur les plans humain et économique » peuvent être la révolution communiste mondiale.

18 juin 1994, RV

VERS UNE NOUVELLE TOURMENTE FINANCIERE

L'énorme effort d'endettement consenti par les Etats des principales puissances pour lutter contre la récession est en train d'ébranler le monstrueux et instable système financier international. L'anémi­que « reprise » annoncée, qui devait venir soulager l'aggravation des conditions d'existence des pro­létaires s'en trouve, une fois encore, compromise.

 

La récession où s'enfonce le capitalisme mondial depuis le début des années 1990 fait connaître à la classe ouvrière la pire dégradation de ses conditions d'existence depuis la deuxième guerre mondiale. Les gouvernements annon­cent cependant « la fin de la récession ». Ils prédisent des sacrifices sup­plémentaires pour les exploités, comme toujours, mais aussi, un renversement de la tendance dans le bon sens: le re­tour de la croissance, des emplois, la prospérité.

 

Est-ce vrai?

Il est vrai que les gouvernements ont fait des efforts pour limiter le désastre, freiner l'hémorragie d'emplois, faire reamarrer certains secteurs. Les résultats nt anémiques, là où ils ont eu le plus efficacité (Etats Unis, Canada, Grande

Bretagne) et à peine perceptibles en Europe ou au Japon.

Mais les remèdes employés par les gou­vernements pour redonner un peu de to­nus au corps défaillant de leur économie, en particulier l'accroissement de l'endettement public, sont en train de se transformer en un dangereux poison pour le système financier.

Depuis quatre ans, pour financer la lutte contre la récession, pour pallier au manque de débouchés solvables qui pa­ralyse la croissance, les gouvernements des principales puissances ont eu re­cours à des augmentations massives de la dette publique. (Voir graphiques)

Le phénomène a pris une telle ampleur qu'il est devenu un des principaux facteurs de déstabilisation de l'appareil fi­nancier.

Les autorités monétaires ne cessent d'adresser des mises en garde aux Etats et aux organisations gouvernementa­les... « qui lèvent des fonds en nombre croissant et pour des montants toujours plus élevés. Le risque est grand que les autres candidats à l'emprunt soient évincés. Les gouvernements pourraient bien finir par occuper presque tout le terrain et donc pratiquement interdire l'accès du marché international à la plupart des entreprises industrielles et commerciales. » ([3] [9])

La demande de crédits à long terme se trouve ainsi violemment augmentée en­traînant une hausse du coût de ces crédits, c'est-à-dire des taux d'intérêt à long terme.

Dette publique brute

(pourcentage du PIB)

 

Au début juin 1994 le journal Le monde pouvait constater: « Depuis la fin 1993 les taux d'intérêt à long terme alle­mands ont fortement progressé (de 5,54 à près de 7 %).La hausse a encore été plus forte en France (de 5,63 à 7,30 %) ou, pis encore au Royaume-Uni (de 6,18 à 8,30 %) » ([4] [10]) Aux Etats-Unis le rendement des bons du Trésor sur 30 ans, est passé de 6,4 au début de l'année à 7,3 % mi-juin.

 

Du coup on commence à parler de début de panique financière. Pourquoi ? A un premier niveau, celui de la spéculation boursière, parce que cela se traduit mé­caniquement par une dévaluation cor­respondante d'une part énorme des pla­cements   financiers :   les   obligations. Cette dévaluation se répercute inévita­blement tôt ou tard sur la valeur des ac­tions elles-mêmes, ne fut-ce que parce de nombreux possesseurs d'obligations sont obligés de vendre des actions afin de couvrir leurs pertes. ([5] [11]) De façon générale, la spéculation se fait à crédit, et M toute hausse des taux d'intérêt, du coût || de l'argent pour spéculer, provoque des //secousses boursières.

Mais c'est au niveau de l'économie réelle que les conséquences de la hausse des taux d'intérêt à long terme sont les plus destructrices. Ces taux comman­dent aux investissements à long terme, c'est-à-dire aux investissements sur les­quels doit reposer une reprise économi­que : investissement d'équipement in­dustriel, logements. Alors que les gouvernements s'efforcent d'encourager ce type d'investissements pour assurer la /relance de l'économie, la hausse des taux d'intérêt contrecarre frontalement [cette possibilité. Cet effet de frein est d'autant plus puissant que l'inflation étant généralement faible, les hausses des taux d'intérêt en termes réels sont d'autant plus lourdes.

L'inquiétude croissante des milieux fi­nanciers et gouvernementaux n'est pas feinte. La proposition formulée par Jac­ques Delors de constituer au niveau mondial une sorte de Conseil de sécurité économique, pour faire face à d'éven­tuelles crises financières mondiales, comme le Conseil de sécurité de l'ONU fait face aux crises militaires internatio­nales, en dit long sur le sujet.

Le monde financier n'est que la surface de la réalité économique. Mais c'est dans cette surface que se manifeste le capital sous sa forme la plus abstraite. C'est là qu'il trouve toute sa spécificité historique. C'est là que le capital s'oriente, s'investit et se ruine.

Les difficultés financières du capita­lisme mondial ne sont que la manifesta­tion des contradictions profondes qui déchirent le capitalisme lui-même. C'est ien trichant avec ses propres lois, en (particulier au niveau financier, que le (capitalisme est parvenu à survivre de­puis un quart de siècle. Depuis l'effon­drement du bloc de l'Est, cette tendance n'a fait que se développer. ([6] [12]) La spécu­lation a pris une ampleur sans précédent historique transformant une partie de la machine financière en un inextricable casino électronique que plus personne ne peut contrôler véritablement. La dette des Etats, la dette des agents sup­posés maintenir « l'ordre » est devenue le principal facteur de désordre.

Non. Le « retournement de tendance » que promettent les gouvernements aux exploités pour justifier les sacrifices im­posés, est condamné à faire long feu. La tendance de fond de l'économie capita­liste mondiale vers le marasme et la mi­sère ne fait que se confirmer annonçant de nouvelles convulsions à tous les ni­veaux.

RV.

 

[1] [13] Organisation de coopération et de développement économique. Elle regroupe les 24 pays les plus industrialisés de l'ex-bloc américain (tous les pays d'Europe occidentale, les Etats-Unis et le Canada, le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Le Mexique est en cour d'intégration

[2] [14] Voir l'article «r L'explosion du chômage » dans le numéro précédent de cette revue.

[3] [15] Le monde, 29 mai 94.

[4] [16] Le monde, 12 juin 94.

[5] [17] La bourse de Paris, qui connaît une sorte de krach étalé dans le temps depuis quelques mois, a été particulièrement victime de ce mécanisme.

[6] [18] Même si c'est dans les grandes puissances occidentales que se concentre le jeu financier mondial, la situation financière n'est pas pour autant plus saine dans le reste du monde. L'évolution de la situation en Russie est à elle seule une bombe à retardement : « (...) sur l'ensemble de la Russie, les prêts à moins de trois mois représentent 96 % du total des crédits accordés. Les taux d'intérêt sont faramineux : 25 % par mois au minimum. Et les ratios de bilan deviennent fous : 513 milliards de roubles de capitaux propres, pour l'ensemble des banques commerciales... contre 16 000 milliards de crédits distribués. Soit une rapport de 1 à 31. Sur l'ensemble de la Russie les impayés se sont accrus de 559 % de janvier à septembre ; ils représentent aujourd'hui 21 % de l'encours de crédit distribué.

C'est   ainsi,    bien   sûr,   que   s'annoncent   les catastrophes financières. » Libération, 9 décembre 93.

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [19]

Questions théoriques: 

  • Décadence [20]

Les commémorations de 1944 : 50 ans de mensonges impérialistes (1e partie)

  • 3568 lectures

Jamais la commémoration du débar­quement du 6 juin 1944 n'aura connu une telle intensité. Jamais la victoire des impérialistes « Alliés » en Europe n'aura donné lieu à tant de bourrage de crâne médiatique. Un tel battage vise une nouvelle fois à masquer le caractère impérialiste du second holocauste mondial, tout comme le premier. Non contente d'agiter à nouveau l'épouvantail fasciste, la bourgeoisie se sert des miasmes de sa société en décomposi­tion. A commencer par l'Allemagne, peu après l'effondrement du mur de Berlin, une publicité croissante allait mettre en vedette les partisans du retour de la « germanité » derrière les exac­tions de bandes de voyous au crâne rasé. Le meurtre et les incendies de foyers de la communauté turque ont servi de toile de fond pour diaboliser ces ennemis de la « démocratie » héritiers de la « peste brune », grossissant jusqu'à aujourd'hui ces bagarres de rues de voyous néonazis contre des prolétaires immigrés. Grossi à la loupe des médias cela devient de nouvelles « scènes de chasse aux étran­gers » à Magdebourg..., sous-entendu comme les ennemis hitlériens de la dé­mocratie dans les années 1930. Quand, en Italie, le démagogue Berlusconi as­socie cinq ministres d'extrême-droite et que peu après la municipalité de Vicence autorise un défilé d'une centaine de « néonazis » avec croix gammées, la classe politique bourgeoise crie son émotion devant cette nouvelle « marche sur Rome ». En fait de « marche sur Rome », la gauche de la bourgeoisie a réussi à entraîner, malgré la pluie, 300 000 personnes le 25 avril 1994 derrière le drapeau de l'anti-fascisme ! Les simplismes habituels de l'ordre dominant depuis 1945 se donnent libre cours.

En France les chefs des PS et PC bran­dissent la menace fasciste après de lon­gues années où la gauche au pouvoir a agité l'épouvantail du politicien d'ex­trême-droite Le Pen. Pour parfaire le tableau de la menace du resurgissement de la « bête immonde », une visite sou­venir d'une dizaine de vétérans de la Waffen SS sur les plages de Normandie vient figurer la montée en puissance des ennemis de la démocratie.

Près de 50 millions de morts tous pays confondus sont invoqués comme victi­mes exclusives de la « barbarie nazie ». De CNN au moindre journal régional, plus c'est gros mieux çà passe ! Dans la plupart des pays d'Europe, les moindres faits et gestes de ces groupuscules de voyous sont montés en mayonnaise. Hollywood fournit à point nommé un film qui s'appesantit sur le seul massa­cre des Juifs d'Europe et exalte le dé­vouement des braves GI's tombés par milliers sur les plages de Normandie au nom de la « liberté ».

Ces festivités militaristes esquivent soi­gneusement les crimes des grandes « démocraties victorieuses » qui, lorsqu'on les connaît ([1] [21]), placent incon­testablement les chefs démocratiques sur la même stèle de barbarie que Hitler, Mussolini et Hirohito. Mais déjà dire cela est faire une concession au men­songe dominant sur la personnification des « crimes de guerre ». C'est une classe sociale, la bourgeoisie, qui est la principale criminelle de guerre. Les dic­tateurs ne sont que ses sous-fifres. Quand le sinistre Goebbels assurait qu'un mensonge répété à outrance finit par devenir une vérité, son vis-à-vis le cynique Churchill renchérissait : « En temps de guerre la vérité est si pré­cieuse qu'elle devrait toujours être pré­servée par un rempart de mensonges ». ([2] [22])

La victoire d'Hitler

Pourtant la plupart des combattants en­rôlés dans les deux camps ne sont pas partis la fleur au fusil, encore tétanisés par la mort de leurs pères à peine 25 ans auparavant. L'exode massif en France, la terreur de l'Etat nazi encadrant la population allemande, les déportations massives de l'Etat capitaliste stalinien, rien de tout cela ne transpire des « actualités » nasillardes de l'époque qu'on nous ressert aujourd'hui. Un seul nom apparaît en lettres géantes dans tous les commentaires et filmographies « objectives » mais abjectes : HITLER. Au Moyen Age il y avait LA PESTE comme explication du fléau de Dieu. En plein milieu de l'ère capitaliste déca­dente, la bourgeoisie a trouvé l'équiva­lent pour le Dieu « Démocratie » : LA PESTE BRUNE. Les classes dominan­tes successives de l'histoire de l'huma­nité ont toujours eu recours à l'invoca­tion d'un haut mal pour fabriquer un in­térêt commun aux classes opprimées et à leurs exploiteurs. Un proverbe chinois résume fort bien la chose : « quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt ». La personnification des évé­nements autour du nom des dictateurs ou des généraux Alliés est au demeurant très utile pour gommer l'idée qu'ils n'étaient que les porte-voix de leur bourgeoisie respective, et pour faire dis­paraître par la magie des noms, toute idée de classes au moment de la guerre ; tout le monde ne peut être qu'uni der­rière la nouvelle croisade contre le MAL.

L'année de l'accession au pouvoir de l'élu bourgeois Hitler, 1933, est une an­née-clé, comme l'ont souligné les révolutionnaires qui publiaient la revue Bi­lan, non parce qu'elle signait « l'échec des démocraties », mais parce qu'elle signifiait la victoire décisive de la con­tre-révolution, en particulier dans le pays où le prolétariat est le plus impor­tant traditionnellement dans le mouve­ment ouvrier. Ce n'est pas simplement l'humiliant traité de Versailles de 1918, dont l'exigence de « réparations » met­tait à genoux l'Allemagne, qui expli­quait la venue au pouvoir d'Hitler, mais la disparition de la scène sociale du prolétariat comme menace pour la bour­geoisie.

En Russie, les massacres par l'Etat russe, des bolcheviks et ouvriers révolu­tionnaires, commençaient à prendre de l'ampleur, avec l'approbation muette des démocraties occidentales qui avaient tant fait pour armer les armées blan­ches. En Allemagne, c'est le régime so­cial-démocrate de la République de Weimar qui avait passé tout naturelle­ment le relais aux hitlériens, vainqueurs des élections républicaines. Les chefs « socialistes », massacreurs des ouvriers révolutionnaires allemands, les Scheidemann, Noske et tutti quanti, aban­donnaient démocratiquement leurs postes ministériels ; ils ne furent jamais in­quiétés personnellement pendant les cinq années du régime hitlérien.

Les luttes en France et en Espagne aux cours des années 1930 ne furent que des queues de grève face à l'ampleur de la défaite internationale de la classe ou­vrière. La victoire électorale du fascisme en Italie et en Allemagne n'était pas la cause, mais le produit de la défaite du prolétariat sur son terrain social. La bourgeoisie en sécrétant le fascisme ne produisait pas un régime original, mais une forme capitaliste d'Etat dans la même lignée que le Welfare State de Roosevelt et du capitalisme stalinien. En période de guerre, les fractions bourgeoises s'unissent naturellement au niveau national puisqu'elles ont éliminé mondialement la menace du prolétariat, et cette unification peut prendre la forme du parti stalinien ou nazi.

En complicité avec la bourgeoisie russe et son Staline, la « montée des périls » est organisée par la plupart des PC inféodés au nouvel impérialisme russe, sous couvert de l'idéologie des Fronts Populaires qui permettent de maintenir les ouvriers désorientés derrière les pro­grammes d'union nationale et de prépa­ration à la guerre impérialiste.

Le PCF avait annoncé la couleur trico­lore dès 1935 lors du pacte Laval-Sta­line, s'engageant à ce que les ouvriers aillent se faire massacrer : « Si Hitler, malgré tout, déclenchait la guerre, qu'il sache bien qu'il trouverait devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécu­rité du pays, la liberté et l'indépendance des peuples ». Ce sont les PC qui brisent les dernières grèves et qui con­frontent et tirent sur les ouvriers en Es­pagne avec l'aide de la Guepeou, avant que les franquistes ne parachèvent la sale besogne. Puis les dirigeants stali­niens se réfugient en France et en Rus­sie, comme les De Gaulle et Thorez qui ne manqueront pas de suivre cet exem­ple, l'un à Londres, l'autre à Moscou.

La marche à la guerre imperialiste

De 1918 à 1935, les guerres n'avaient pas cessé dans le monde, mais il s'agis­sait de guerres limitées, éloignées de l'Europe, ou de guerres de « pacification » du type de celles du colonialisme français (Syrie, Maroc, Indochine). Pour les révolutionnaires qui publient Bilan, la première alerte grave est signifiée par la guerre d'Ethiopie qui met en présence l'impérialisme britan­nique et l'armée de Mussolini. Elle sert à une partie des alliés occidentaux à confondre fascisme et guerre. Le fa­scisme devient ainsi le principal fauteur de la prochaine guerre mondiale. L'épouvantail fasciste sera donc confir­mé avec la victoire de l'armée franquiste en 1939. Le battage idéologique trouve sa concrétisation sanglante en exhibant les centaines de milliers de victimes du franquisme. Une période de statu quo va suivre, au nom de la recherche de la « paix », quand l'Allemagne annexe la Rhénanie, puis l'Autriche en 1938, puis la Bohème en 1939. Lorsque la Tché­coslovaquie est envahie le 27 septembre 1938 par l'armée allemande, les futurs Alliés ne bougent pas pour renchérir leur mensonge de « paix à tout prix ». Le 1er octobre se tient la conférence de Munich où la Tchécoslovaquie n'est pas invitée... De retour de cette sinistre pa­rodie de conférence de la paix, le premier ministre français Daladier, chaleureu­sement accueilli par la foule, n'est pas dupe et sait que chaque camp en pré­sence joue la montre. Les historiens of­ficiels se contentent d'invoquer le retard de réarmement des Etats français et anglais alors qu'en fait, en sous-main, le jeu des alliances n'était pas encore véri­tablement tranché et que la bourgeoisie allemande caressait l'espoir de faire front commun avec la France et l'Angle­terre. Pendant ce temps, les foules sont aussi abusées en Allemagne et en An­gleterre qu'en France :

« (...) Les Allemands acclament folle­ment Chamberlain en lequel ils voient, eux aussi, l'homme qui va les sauver de la guerre. Il y a plus de monde pour le saluer qu'il n'y en avait pour saluer Mussolini. (...) A Munich pavoisé de drapeaux anglais, c'est le délire. A l'aé­roport d'Heston, on accueille également Chamberlain comme le messie. A Paris, on propose une souscription publique pour offrir un cadeau au premier  ministre anglais ». ([3] [23])

En 1937 a commencé la guerre sino-japonaise qui menace l'hégémonie améri­caine dans le Pacifique. Le 24 août 1939 est le coup de tonnerre qui fait basculer dans l'abîme. Le pacte Hitler-Staline laisse les mains libres à l'Etat allemand pour foncer vers l'Europe de l'ouest. En attendant, la Pologne est envahie le 1er septembre par l'armée allemande, mais aussi pour partie par l'armée russe. Piteux, les Etats anglais et français dé­clarent la guerre en bonne et due forme à l'Allemagne, deux jours après. L'ar­mée italienne s'est emparée de l'Alba­nie. Sans déclaration de guerre, l'armée de Staline envahit la Finlande le 30 no­vembre. Pendant ce temps l'armée alle­mande débarque en Norvège en avril 1940.

L'armée française commence son offen­sive dans la Sarre, bientôt bloquée au prix d'un millier de morts de part et d'autre. Ce qui permet à Staline de dé­clarer, démentant ses partisans chauvins selon lesquels son pacte avec la bourgeoisie allemande était un pacte avec le diable pour lui éviter de s'en prendre à l'Europe :

« Ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué la France et l'Angleterre, mais la France et l'Angleterre qui ont attaqué l'Allemagne (...) Après l'ouverture des hostilités, l'Allemagne a fait des propo­sitions de paix à la France et à l'Angleterre, et l'Union Soviétique a ouverte­ment soutenu les propositions de paix de l'Allemagne. Les cercles dirigeants de France et d'Angleterre ont brutale­ment repoussé, tant les propositions de paix de l'Allemagne que les tentatives de l'Union Soviétique de mettre fin ra­pidement à la guerre ».

Personne ne veut endosser la tunique de fauteur de guerre face au prolétariat. Après la « Libération » il n'existera d'ailleurs plus de ministres « de la guerre » mais uniquement des ministres « de la défense ». Il est aussi frappant de constater ce fait, en Allemagne, que l'Etat nazi tient à apparaître lui aussi comme l'agressé. Le haut dignitaire na­zi, Albert Speer, confie dans ses Mé­moires une déclaration personnelle d'Hitler : « Nous ne commettrons pas une nouvelle fois l'erreur de 1914. Il s'agit maintenant de rejeter la faute sur l'adversaire ». A la veille de l'affronte­ment avec le Japon, Roosevelt ne dira pas antre chose : « Les démocraties ne doivent jamais apparaître comme l'agresseur ». Les neuf mois de confron­tation l'arme au pied, nommés « drôle de guerre » confirment cette valse-hési­tation de tous les belligérants. L'histo­rien Pierre Miquel explique qu'Hitler avait remis l'ordre d'attaque à l'ouest pas moins de quatorze fois en raison de l'impréparation de l'armée allemande et des conditions météorologiques.

Le 22 juin 1941, l'Allemagne se retour­nera contre la Russie, surprenant tota­lement le « génial stratège » Staline. Le 8 décembre, après que l'impérialisme américain ait laissé massacrer ses pro­pres soldats à Pearl Harbor (les services secrets savaient l'imminence de l'attaque japonaise), les Etats-Unis, « victimes » de la barbarie nippone, déclareront la guerre au Japon. Enfin l'Allemagne et l'Italie lanceront leur cri guerrier aux Etats-Unis le 11 décembre 1941.

Quelques observations s'imposent, après ce rapide survol de la marche diploma­tique à la guerre mondiale dans une situation où le prolétariat mondial est mu­selé. Deux guerres locales (Ethiopie et Espagne) ont achevé de mettre en accu­sation le fascisme comme «fauteur de guerre », après des années d'excitation médiatique en Europe contre les exac­tions et parades hitlériennes et mussoliniennes, qui étaient certes plus ordon­nées que les 14 juillet français ou les festivités nationalistes anglaises et américaines, mais non moins ridicules. Deux autres guerres locales au coeur de l'Europe (Tchécoslovaquie et Pologne) ont donné lieu à la défaite extrêmement rapide des deux pays « démocratiques » concernés. La « honteuse » non-inter­vention pour aider la Tchécoslovaquie (et l'Espagne) a rendu la « défense de la démocratie » et la conception de la li­berté bourgeoise incontournables après l'invasion par les deux pays « totalitaires » de la Pologne. Les ma­noeuvres politico-diplomatiques peuvent traîner pendant des années, le conflit militaire, lui, tranche partiellement en quelques heures sur le terrain au prix d'un massacre inouï. La guerre ne de­vient mondiale véritablement qu'un an après la conquête de l'Europe par l'ar­mée allemande. Pendant plus de quatre ans les Etats-Unis ne tenteront aucune opération décisive pour contrer les « envahisseurs », laissant la bourgeoisie allemande gendarmer l'Europe. Les Etats-Unis, éloignés du territoire euro­péen, étaient initialement plus préoccu­pés par la menace japonaise dans le Pa­cifique. La guerre mondiale connaîtra donc une plus longue durée que les guerres locales, et cette durée ne s'ex­plique pas seulement par la toute-puis­sance de l'armée allemande ni par les aléas des tractations impérialistes. Elle

est notoire, par exemple, la préférence d'une partie de la bourgeoisie améri­caine pour s'allier avec la bourgeoisie allemande plutôt qu'avec le «régime communiste » stalinien, tout comme la bourgeoisie allemande avait tenté et at­tendu en vain de s'allier avec la France et l'Angleterre contre les « Rouges ». En 1940 et en 1941, la bourgeoisie anglaise a été l'objet de propositions de paix par le gouvernement d'Hitler au moment des débuts de l'opération « Barbarossa » contre la Russie, et lors de la défaite de l'armée de Mussolini en Afrique du nord, et elle a hésité d'autant qu'elle pouvait laisser les deux puissances « totalitaires » se détruire mutuelle­ment. En rester là cependant, serait rai­sonner comme si la principale classe ennemie de toutes les bourgeoisies, le prolétariat, avait disparu des soucis des chefs impérialistes en lice, du fait de la guerre « unificatrice » et... « Simplifi­catrice » !

De plus, les marxistes ne peuvent rai­sonner sur la guerre en soi, indépen­damment des périodes historiques. La guerre, dans le capitalisme juvénile au 19e siècle fut un moyen indispensable permettant des possibilités de dévelop­pement ultérieur, ouvrant à coups de canon des marchés. C'est ce que mon­trait en 1945, la Gauche communiste de France, un des rares groupes ayant maintenu l'étendard de l'internationa­lisme prolétarien pendant la seconde guerre mondiale, précisant que, par con­tre : « ...dans sa phase de décadence, le capitalisme ayant épuisé historiquement toutes les possibilités de développe­ment, trouve dans la guerre moderne, la guerre impérialiste, l'expression de cette décadence qui, sans ouvrir aucune possibilité de développement ultérieur pour la production, ne fait qu'engouf­frer dans l'abîme les forces productives et accumuler à un rythme accéléré rui­nes sur ruines. (...) Plus se rétrécit le marché, plus devient âpre la lutte pour la possession des sources de matières premières et la maîtrise du marché mondial. La lutte économique entre di­vers groupes capitalistes se concentre de plus en plus, prenant la forme la plus achevée des luttes entre Etats. La lutte économique exaspérée entre Etats ne peut finalement se résoudre que par la force militaire. La guerre devient le seul moyen par lequel chaque impéria­lisme national tend à se dégager des difficultés avec lesquelles il est aux prises, aux dépens des Etats impérialistes rivaux ». ([4] [24])

L'UNION NATIONALE PENDANT LA GUERRE

Les historiens bourgeois ne s'appesan­tissent pas sur ce fait : la défaite rapide de l'ancienne grande puissance continentale française. Ce ne sont pas sim­plement les conditions climatiques qui ont retardé l'attaque de l'armée allemande. L'appareil d'Etat allemand n'a pas choisi Hitler par erreur et n'est pas composé de crétins tout juste bons à marcher au pas de l'oie. La raison prin­cipale en est encore une fois le jeu des consultations diplomatiques secrètes. Même en pleine guerre des alliances peuvent être renversées. Au surplus, il existe toujours un souci chez la bourgeoisie allemande, en souvenir de l'insu­bordination des soldats allemands en 1918, que les soldats n'aient jamais faim... En 1938, la bourgeoisie alle­mande est l'héritière de la première Ré­publique de Weimar qui a su écraser dans le sang la tentative de révolution prolétarienne en 1919 ; les bataillons SS sont constitués des anciens « corps francs » démocratiques qui ont massa­cré les ouvriers insurgés. Ni l'éruption de la Commune de Paris en 1870, ni la révolution d'octobre 1917, ni l'insurrec­tion spartakiste de 1919 n'ont été ou­bliées. Même défaite politiquement, la classe ouvrière reste la classe dange­reuse face à la guerre bourgeoise qui dure.

La rapide victoire de l'impérialisme al­lemand en Tchécoslovaquie avait été le résultat de la guerre des nerfs, du bluff, de manoeuvres raffinées, et surtout de la spéculation sur la crainte de tous les gouvernements des conséquences d'une guerre trop vite généralisée sans adhé­sion certaine du prolétariat. Plus avisé que les généraux français demeurés aux vieilles conceptions de la «guerre de position » de 1914, l'Etat-major alle­mand avait « modernisé » en faveur de la « Blitzkrieg » (guerre-éclair). Avan­cer lentement sans frapper férocement est, selon cette conception militariste (très prisée de nos jours, voir la guerre du Golfe), gage de défaite. Pire encore, d'autant que les bases d'adhésion des populations sont fragiles, traîner en longueur, laisser le temps aux combat­tants de s'interpeller par-dessus les tranchées, induit les risques de mutineries et d'explosion sociale. Au 20e siècle, la classe ouvrière devient inévitablement le premier bataillon contre la guerre im­périaliste. Hitler, lui-même, confia un jour à son affidé Albert   Speer : « l'industrie est un facteur favorable au développement du communisme ». Hitler déclarera même à ce confident, après la mise en vigueur du travail obli­gatoire en 1943 en France, que l'éven­tualité de voir surgir des troubles et des grèves qui freineraient la production, est un risque à courir en temps de guerre. La bourgeoisie allemande a donc un ré­flexe « bismarkien », tout comme Bis­mark fût confronté à l'insurrection des ouvriers parisiens contre leur propre bourgeoisie, ce qui avait bloqué l'action de l'envahisseur allemand et l'avait in­quiété pour les risques de propagation d'une telle révolution parmi les soldats et ouvriers allemands, d'autant que ces mêmes ouvriers allemands avaient réagi de la même manière face à la guerre contre la Russie révolutionnaire, par la guerre civile contre leur propre bour­geoisie.

C'est pourtant une véritable guerre de lassitude qui est menée pendant près d'un an en France, après l'arrêt subit de la première offensive militaire alle­mande. L'Allemagne veut surtout s'ou­vrir un « espace vital » à l'Est et préfé­rerait encore s'allier avec les deux dé­mocraties occidentales plutôt que de gâ­cher une partie de son potentiel mili­taire pour les envahir. L'Allemagne ap­portait son soutien au «parti de la guerre » de Laval et Doriot, anciens pacifistes qui s'étaient réclamés du so­cialisme. Ces fractions pro-fascistes qui militaient pour l'alliance franco-alle­mande restaient minoritaires. L'ensem­ble de la bourgeoisie se méfiait de la non-mobilisation du prolétariat français. Là, le prolétariat n'avait pas été vaincu frontalement à coups de baïonnettes et de lance-flammes en 1918 et 1923 le prolétariat allemand.

La bourgeoisie allemande se doit donc aussi, dans un second temps, d'avancer prudemment face à un pays qu'elle sait fragile pas tant militairement que socia­lement. En fait elle n'aura qu'à observer la lente décomposition de la bourgeoisie française entre ses lâches militaires et ses pacifistes futurs collaborateurs du régime d'occupation, qui maintiendront dans l'impuissance les ouvriers.

Les fronts populaires avaient contribué à un important effort de réarmement (tout en désarmant politiquement les ouvriers), mais n'avaient pas complète­ment réussi à réaliser l'union nationale. La police avait certes brisé beaucoup de grèves et interné des centaines de mili­tants peu clairs eux-mêmes sur com­ment s'opposer à la guerre. La gauche de la bourgeoisie française avait calmé les ouvriers avec les boniments du Front populaire qui avait accordé les « congés payés » aux ouvriers, lesquels avaient été mobilisés pendant ces mêmes vacan­ces. C'est le travail de sape des fractions pacifistes d'extrême-gauche qui permet d'achever toute alternative de classe. Complétant le travail de sabotage des staliniens, les anarchistes encore très influents dans les syndicats, publient le tract « Paix immédiate » en septembre 1939, signé par une brochette d'intellec­tuels : « (...) Pas de fleurs aux fusils, pas de chants héroïques, pas de bravos au départ des militaires. Et l'on nous assure qu'il en est ainsi chez tous les belligérants. La guerre est donc con­damnée dés le premier jour, par la plu­part des participants de l'avant et de l'arrière. Alors faisons vite la paix. »

La « paix » ne peut pas être l'alternative à la guerre dans le capitalisme décadent. De telles résolutions ne servent qu'à en­courager le sauve-qui-peut, les solutions individuelles de départ à l'étranger pour les plus fortunés. Le désarroi des prolé­taires est accru, leur inquiétude et leur impuissance s'articulent sur une déban­dade généralisée des partis et groupus­cules de gauche qui les ont enfermés dans le « bon sens » antifasciste et qui ont prétendu défendre leurs intérêts.

Le délitement de la société française est tel que la « drôle de guerre » d'un côté, « komischer Krieg » de l'autre, n'aura été qu'un intermède permettant à l'ar­mée allemande, peu après le premier grand bombardement meurtrier de Rotterdam (40 000 morts), d'enfoncer le 10 mai 1940 sans résistance la fragile ligne Maginot française. Les officiers de l'ar­mée française fuient les premiers, lais­sant en plan leurs troupes. Les popula­tions néerlandaise, belge, luxembour­geoise et du nord de la France, y inclus Paris et le Gouvernement, fuient de manière massive, irraisonnée et incon­trôlable vers le centre et le sud de la France. Ainsi se produit un des plus gi­gantesques exodes modernes. Cette ab­sence de « résistance » de la population lui sera d'ailleurs reprochée par les idéologues du « maquis » (dont beaucoup, comme Mitterrand et les chefs « socialistes » belges ou italiens n'ont tourné leur veste qu'à partir de 1942), et après la guerre, pour autoriser tous les chantages pour que la classe ouvrière se sacrifie à la reconstruction.

La Blitzkrieg n'en a pas moins causé 90 000 morts et 120 000 blessés côté français, 27 000 morts côté allemand. La débâcle aura drainé dix millions de personnes dans des conditions épouvan­tables. Un million et demi de prison­niers sont expédiés en Allemagne. Et c'est peu comparé aux 50 millions de morts de l'holocauste.

En Europe, la population civile subira les pertes les plus importantes que l'hu­manité ait jamais connue en période de guerre. Jamais autant de femmes et d'enfants n'auront rejoint dans la mort les soldats. Les victimes civiles seront pour la première fois de l'histoire mon­diale plus nombreuses que les pertes militaires.

Avec son réflexe «  bismarkien », la bourgeoisie allemande prendra soin de diviser en deux la France : une zone occupée, le nord avec la capitale, pour surveiller directement les côtes face à l'Angleterre ; et une zone libre, le sud, légitimée avec le gouvernement du gé­néral potiche de Verdun Pétain et l'an­cien « socialiste » Laval pour l'hono­rabilité internationale ; cet Etat collabo­rateur soulagera un temps l'effort de guerre nazi jusqu'à ce que l'avancée des Alliés amène l'impérialisme allemand à le culbuter.

La crainte permanente d'une levée des ouvriers, même affaiblis, contre la guerre transparaît même chez ceux que la gauche présente comme « anti-so­ciaux ». Un journal collaborationniste, « L'Oeuvre », parle crûment la nécessité des syndicats - ce soi-disant acquis so­cial du Front populaire- pour l'occu­pant, et dans les mêmes termes que n'importe quel parti de gauche ou trotskyste : « Les occupants ont le plus vif souci de ne pas dresser contre eux les éléments ouvriers, de ne pas perdre le contact, de les intégrer dans un mou­vement social bien organisé (...). Les Allemands souhaitent que tous les ou­vriers soient effectivement intégrés au corporatisme et, pour cela, il leur pa­rait que les cadres sont nécessaires, qui aient effectivement la confiance des travailleurs (...) Pour obtenir des hom­mes qui aient autorité et qui soient ef­fectivement suivis (...) ». ([5] [25]).

Dès 1941, une partie du gouvernement français collaborateur s'inquiète en effet du caractère provisoire de l'occupation et de la garantie d'ordre qui s'y ratta­chait. La bourgeoisie avec Pétain, tout autant que sa fraction émigrée, la « France libre » de De Gaulle, plus ou moins en contact discret, auront pour principal souci le maintien de l'ordre politique et social d'une époque à une autre. Sécrétée par sa fraction libérale planquée en Angleterre et par les stali­niens français, l'idéologie des bandes armées de résistants -d'un impact très faible- aura tout d'abord de grandes difficultés à attirer les ouvriers dans l'Union nationale en vue de la « Libération ». La bourgeoisie alle­mande prêtera main-forte, malgré elle, avec « la relève » - l'obligation pour tout ouvrier d'aller travailler en Allema­gne en échange du retour d'un prison­nier de guerre -, pour que subitement, en 1943, soient renforcés les rangs de l'action « terroriste » contre « l'occupant ». Mais, fondamentale­ment, ce sont les partis de gauche et d'extrême-gauche qui réussissent à ra­meuter les ouvriers en s'appuyant sur « la victoire de Stalingrad ».

Les revirements d'alliances impérialistes et les possibles réactions du prolétariat constituent les lignes d'orientation de la bourgeoisie en pleine guerre. Formelle­ment, le tournant de la guerre contre l'Allemagne a lieu en 1942 avec l'arrêt de l'expansion du Japon et la victoire d'El Alamein qui libère les champs de pétrole. La même année débute la ba­taille de Stalingrad où l'Etat stalinien ne devra la victoire qu'à l'adjonction des fournitures militaires américaines (tanks et armes plus sophistiquées que la Russie ne pouvait en produire face à la moderne armée allemande). Au cours des négociations secrètes, l'Etat stali­nien avait mis dans la balance son ac­cord pour déclarer la guerre au Japon. La guerre aurait pu dès lors s'acheminer rapidement vers sa fin d'autant qu'il existait des velléités non déguisées d'une partie de la bourgeoisie allemande de se débarrasser d'Hitler, dont les tenants tenteront un attentat contre Hitler en juillet 1944, mais seront laissés isolés par les Alliés, et massacrés par l'Etat nazi (le plan Walkyrie avec l'amiral Ca­naris).

C'était sans compter avec le réveil du prolétariat italien. Il sera donc néces­saire de prolonger deux ans encore la guerre pour massacrer les forces vives du prolétariat et éviter une nouvelle paix précipitée comme en 1918, la révolution aux trousses.

1943 est un tournant dans la guerre, à la suite de l'éruption du prolétariat italien. Au niveau mondial, la bourgeoisie va se servir de l'isolement et de la défaite des ouvriers italiens pour développer la stra­tégie de la « résistance » dans les pays occupés, afin de faire adhérer les popu­lations « de l'intérieur » à la future paix capitaliste. Alors que jusque là, la plu­part des bandes de résistants étaient animées essentiellement par d'infimes minorités d'éléments des couches petites-bourgeoises nationalistes et aux mé­thodes terroristes, la bourgeoisie anglo-américaine va glorifier l'idéologie de la résistance plus pragmatiquement à la suite de la « victoire de Stalingrad » et des retournements pro-occidentaux des PC. Les ouvriers non prisonniers ne voyaient pas de différence entre l'exploi­tation par un patron allemand ou un pa­tron français. Ils n'avaient pas eu envie de mourir au nom des alliances impé­rialistes anglo-françaises pour soutenir la Pologne, ils n'avaient fait aucun effort pour s'impliquer dans la guerre qui leur était restée étrangère. Pour les mobiliser en vue de la défense de la « démocratie » il fallait leur fixer une perspective qui leur parut valable du point de vue de classe. L'exhibition de la victoire de Stalingrad comme le tour­nant de la guerre, et donc la possibilité de mettre fin tout de même aux exac­tions militaires de l'occupant, de retrou­ver « la liberté » même avec les gen­darmes autochtones, souleva l'espoir aux côtés du « communisme libérateur » représenté par Staline. Sans l'aide de ce mensonge (et l'opportune relève comme oppression supplémentaire), les ouvriers restaient hostiles aux bandes de résis­tants armés dont les exactions décu­plaient la terreur nazie. Sans le renfort sur le terrain des staliniens et des trotskistes, la bourgeoisie de Londres et Wa­shington n'avait aucune chance de ra­mener les ouvriers dans la guerre. Con­trairement à 1914, il ne s'agit pas d'ali­gner en rang, au front, les ouvriers pour les envoyer à la boucherie, mais d'obte­nir leur adhésion et de les encadrer sur le terrain civil dans les réseaux d'ordre résistant, derrière le culte de la glorieuse bataille de Stalingrad !

En effet, en Italie comme en France, beaucoup d'ouvriers rejoignent le ma­quis dès cette époque, encouragés dans l'illusion du combat de classe retrouvé, et le parti stalinien et les trotskistes leur resservent même l'exemple frauduleusement travesti de la Commune de Paris (les ouvriers ne se dressent-ils pas con­tre leur propre bourgeoisie menée par le nouveau Thiers, Pétain, alors que les allemands occupent la France?). Au milieu d'une population terrorisée et impuissante dans le déchaînement de la guerre, beaucoup d'ouvriers français et européens, embrigadés dans les bandes de résistants, vont désormais se faire tuer en croyant se battre pour la « libération socialiste » de la France ou de l'Italie, en somme dans une nouvelle « guerre civile contre sa propre bour­geoisie » ; tout comme on avait envoyé les prolétaires de chaque côté du front en 1914 au nom du fait que la France et l'Allemagne étaient les pays « exportateurs » du socialisme. Les bandes de résistants staliniens et trots­kistes concentrent particulièrement leur chantage pour que les ouvriers soient « au premier rang pour la lutte pour l'indépendance des peuples », dans un secteur-clé pour paralyser l'économie, celui des cheminots.

Au même moment, la prééminence des fractions de droite pro-alliés dans les bandes armées, pour la restauration du même ordre capitaliste dans la paix, est l'objet d'un âpre combat, à l'insu des ou­vriers. Des équipes d'agents secrets américains de l'AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories) sont envoyées sur le terrain en France et en Italie (c'est l'origine de la loge P2 en totale complicité avec la Mafia), pour veiller à ce que les staliniens n'accapa­rent pas tout le pouvoir qui leur aurait permis de se rattacher au giron de l'im­périalisme russe. De bout en bout les staliniens sauront ainsi à quoi ils de­vaient s'en tenir, et en particulier dans leur domaine de prédilection, saboter la lutte ouvrière, désarmer les résistants utopistes illuminés, cogner sur les ou­vriers hostiles aux exigences de la reconstruction. Dès la « Libération », et comme preuve de l'unité bourgeoise contre le prolétariat, la bourgeoisie oc­cidentale - tout en condamnant pour la galerie une poignée de « criminels de guerre » - recrutera même un certain nombre d'anciens tortionnaires nazis et staliniens pour en faire des agents se­crets efficaces dans la plupart des capi­tales européennes. Ces recrues retour­nées auront pour tâche en premier lieu évidemment de contrer les séides de l'impérialisme russe, mais surtout de lutter « contre le communisme », c'est-à-dire le but naturel de toute lutte autonome généralisée des ouvriers eux-mêmes, menaçant inévitablement après l'horreur de la guerre et avec la disette aux débuts de la paix capitaliste.

LA DESTRUCTION MASSIVE DU PROLETARIAT

Nous laissons les bourgeois débattre en­tre eux du nombre respectif de massa­cres selon les communautés ([6] [26]), mais il est incontestable qu'il faut commencer par en souligner le principal : les 20 millions de russes tués sur le front euro­péen. Ce sont les grands oubliés des festivités du cinquantenaire du débar­quement de juin 1944. Les historiens russes actuels continuent d'ailleurs à ac­cuser les Etats-Unis d'avoir retardé le débarquement en Normandie à la seule fin de saigner davantage l'URSS, en prévision de la guerre froide : « Le dé­barquement a eu lieu alors que le sort de l'Allemagne était déjà scellé par les contre-offensives soviétiques du front de l'Est». ([7] [27])

Les bourgeois libéraux, à la fin des fas­tes de la reconstruction avec leur pape Soljetnitsyne, se sont mis tout à coup à épiloguer sur les millions de morts des Goulags sous Staline, faisant semblant d'oublier que le véritable parachèvement de la contre-révolution a été effectué avec la totale complicité de l'occident... dans la guerre. Nous savons comment la classe bourgeoise est impitoyable après une défaite du prolétariat (des dizaines de milliers de communards et de femmes et enfants ont été massacrés et dé­portés en 1871). Sa façon de mener la deuxième guerre mondiale lui permit de décupler le massacre de la classe qui lui avait flanqué la trouille en 1917. Les Russes ont supporté seuls le poids de quatre ans de guerre en Europe. Ce n'est qu'au tout début 1945 que les Américains prendront pied en Allemagne, économisant, si on peut dire, les victi­mes chez eux, et préservant leur paix sociale. Tragique « héroïsme » que celui des millions de victimes russes, puisque sans l'aide militaire américaine, le ré­gime stalinien arriéré eût été défait à plate couture par l'Allemagne industria­lisée.

Après un tel massacre et sur la paix des tombes, dans la Russie exsangue, le pouvoir d'Etat n'eut aucunement nécessité des subtilités démocratiques pour faire régner l'ordre. Les Alliés laissèrent de plus la soldatesque russe se venger sur des millions d'allemands, consacrant ainsi la Russie au rang de puissance « victorieuse », statut dont on sait que, comme en 1914, il est générateur de paix sociale et d'admiration de la bourgeoisie. De même qu'il a laissé massacrer le prolétariat de Varsovie, le gou­vernement russe et son dictateur ont pour leur part clairement et impuné­ment laissé massacrer et crever sans nourriture à Stalingrad et à Leningrad des centaines de milliers de civils, tout comme les staliniens se sont empressés, ainsi qu'en témoigne Souvarine, de met­tre au compte des pertes dues à la guerre les millions de morts des Goulags.

Pour que les impérialismes victorieux soient repus (dépeçage des usines en Europe de l'est pour le régime stalinien et reconstruction à l'ouest au bénéfice des Etats-Unis), encore fallait-il que le prolétariat ne risque pas de voler sa « libération » à la bourgeoisie.

Un intense battage idéologique commun à l'occident et à la Russie « totalitaire » mit en exergue le génocide des Juifs, dont les Alliés étaient au courant depuis le début de la guerre. Comme les histo­riens les plus sérieux l'ont reconnu, le génocide des Juifs ne trouve pas son explication au... Moyen Age, mais dans le cadre de la guerre mondialisée. Le massacre prend une ampleur incroyable au moment du déclenchement de la guerre contre la Russie, pour « résoudre » plus rapidement le pro­blème des masses énormes de réfugiés et de prisonniers parqués, en particulier en Pologne. Les préoccupations de l'Etat nazi sont encore une fois de nourrir avant tout ses propres soldats quitte à faire crever de façon expéditive une po­pulation qui pesait sur l'effort de guerre (il fallait économiser les balles pour le front russe, et simplifier le travail des bourreaux d'autant que la décimation par balles individu par individu s'était avérée démoralisante même pour les tueurs).

A la conférence des Alliés aux Bermudes en 1943, les Alliés avaient même décidé de ne rien faire pour les Juifs, préférant de fait cette extermination à l'immense exode qu'ils auraient eu à charge si les nazis avaient pu choisir l'expulsion. Plusieurs marchandages eu­rent lieu depuis la Roumanie et la Hon­grie. Tous essuyèrent le refus poli de Roosevelt sous prétexte de ne pas four­nir des subsides à l'ennemi. La proposi­tion la plus connue, mais masquée aujourd'hui derrière l'action humaniste très limitée du seul Schindler, mit en présence des représentants des Alliés avec Eichmann pour l'échange de 100 000 Juifs contre 10 000 camions, échange que les Alliés refusèrent expli­citement par la bouche de l'Etat britan­nique : « transporter tant de monde ris­querait de nuire à l'effort de guerre ». ([8] [28])

Ce génocide des Juifs, «purification ethnique » des nazis, devait trop bien excuser la « victoire » des Alliés dans la pire des barbaries. L'ouverture des camps se fit avec énormément de publi­cité.
 

Ce rempart de mensonges diabolisant à outrance le camp vaincu, servit à faire taire les questionnements face aux bom­bardements de terreur des Alliés pour pacifier avant tout le prolétariat mon­dial. Les chiffres suffisent à dévoiler l'horreur :

-en juillet 1943, bombardement de Hambourg, 50 000 morts ;

-en 1944, à Darmstadt, Kônigsberg, Heilbronn, 24 000 victimes ;

- à Braunschweig, 23 000 victimes ;

- à Dresde, ville de réfugiés de tous les pays, les 13 et 14 février 1945 le bom­bardement intensif par les avions démocratiques cause 250 000 victimes, c'est l'un des plus grands crimes de cette guerre ;

- en 18 mois, 45 des 60 principales vil­les allemandes avaient été quasiment détruites et 650 000 personnes avaient péri;

-en mars 1945, le bombardement de Tokyo fait plus de 80 000 victimes ;

- en France, comme ailleurs, ce sont les quartiers ouvriers qui sont l'objet des bombardements des Alliés : au Havre, à Marseille, faisant apparemment sans distinction de nouveaux milliers de morts ; les populations civiles des lieux de débarquement comme Caen (et jusque dans le Pas-de-Calais) ont vécu avec terreur le massacre (plus de 20 000 victimes de part et d'autre) du débarquement, quand elles n'en ont pas été victimes également ;

- quatre mois après la reddition du Reich, alors que le Japon était pratiquement à genoux, au nom de la vo­lonté de limiter les pertes américaines, l'aviation démocratique bombarde, avec l'arme la plus meurtrière et terri­fiante de tous les temps, Hiroshima et Nagasaki ; le prolétariat doit en retenir désormais pour longtemps que la bourgeoisie est une classe toute puis­sante...

Dans un prochain article, nous revien­drons sur les réactions des ouvriers pen­dant la guerre, passées sous silence par les livres de l'histoire officielle, et sur l'action et les positions des minorités ré­volutionnaires de l'époque.

Damien.



[1] [29] Voir dans la Revue Internationale n° 66 : <r Les massacres et les crimes des "grandes démocraties " », 3e trimestre 1991.

[2] [30] La guerre secrète, A.C. Brown.

[3] [31] 34-39,L'avant-guerre,Michel Ragon, Ed. Denoêl, 1968.

[4] [32] Rapport sur la situation internationale, 14 juillet 1945.

[5] [33] L’œuvre, 29 août 1940.

[6] [34] Voir dans la Revue Internationale n° 66 : «  Les massacres et les crimes des "grandes démocraties"», 3e trimestre 1991, ainsi que le Manifeste du 9e congrès du CCI : Révolution communiste ou destruction de l'humanité.

[7] [35] Le Figaro, 6 juin 1994.

[8] [36] Voir L'histoire de Joël Brand par Alex Weissberg.

Un demi-siècle plus tard le problème des réfugiés fait l'objet des mêmes restrictions capitalistes honteuses : « Pour des raisons économiques et politiques (chaque réfugié représentant une dépense de 7000 dollars), Washington ne veut pas que l'augmentation des réfugiés juifs se fasse au détriment d'autres exilés -d'Amérique Latine, d'Asie ou d'Afrique- qui ne disposent d'aucun soutien et sont peut-être plus persécutés » {Le Monde du 4 octobre 1989, « Les juifs soviétiques seraient les plus affectés par des restrictions à l'immigration »). L'Europe de Masstricht n'est pas en reste : « ...pour l'Europe, la majorité des demandeurs d'asile ne sont pas de "vrais" réfugiés, mais de quelconques migrants économiques. Intolérable sur un marché de l'emploi saturé » {Libération du 9 octobre 1989, « L'Europe veut trier les réfugiés ». Voilà où aboutit le capitalisme dans sa décadence. Comme il ne peut plus permettre le développement des forces productives, il préfère, en temps de guerre comme en temps de paix, laisser crever de mort lente la plus grande partie de l'humanité. L'impuissance hypocrite affichée face à la «r purification ethnique » de milliers d'hommes dans l'ex-Yougoslavie et au massacre de 500 000 êtres humains en quelques jours au Rwanda, du jamais vu, sont les dernières preuves de ce dont le capitalisme est capable AUJOURD'HUI. En laissant faire ces massacres, comme elles avaient laissé faire le génocide des Juifs, les démocraties occidentales prétendent être étrangères à l'horreur alors qu'elles en sont complices, et même plus directement partie-prenante qu'au temps des nazis.

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [37]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [38]

Le rejet de la notion de décadence conduit à la démobilisation du prolétariat face à la guerre (2e partie)

  • 2921 lectures

Polémique avec Programme Communiste sur la guerre impérialiste (2e partie)
 

Le courant bordiguiste appartient incontestablement au camp du prolétariat. Sur un certain nombre de questions essentielles, il défend fermement les principes de la Gauche Communiste qui a mené le combat contre la dégénérescence de la 3e Internationale dans les années 1920 et qui, aprés son exclusion de celle-ci, a poursuivi la bataille, dans les conditions terribles de la contre-révolution, pour la défense des intérêts historiques de la classe ouvrière. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la question de la guerre impérialiste. Dans la première partie de cet article, nous avons mis ce fait en évidence pour ce qui concerne une organisation de ce courant : celle qui publie ll Comunista en Italie et la revue Programme Communiste (PC) en France. Nous avons cependant démontré, à travers les écrits de cette organisation, comment l'ignorance, par le courant bordiguiste, de la notion de décadence du capitalisme, pouvait conduire à des aberrations théoriques sur la question de la guerre impérialiste. Mais le plus grave, dans les erreurs théoriques des groupes « bordiguistes », c'est qu'ils conduisent à un désarmement politique de la classe ouvrière. C'est ce que nous allons mettre en évidence dans cette seconde partie.

A la fin de la première partie de cet article nous citions une phrase du PCI dans PC n° 92 particulièrement significative du danger que représente la vision de cette organisation : « Il en découle aussi [de la guerre comme mani-festation d'une rationalité économique] que la lutte inter-impérialiste et l'affrontement entre puissances rivales ne pourra jamais conduire à la destruction de la planéte, parce qu'il s'agit justement, non d'avidités excessives mais de la nécessité d'échapper à la surproduction. Quand l'excédent est détruit, la machine de guerre s'arrête, quel que soit le potentiel destructif des armes mi-=ses en jeu, car disparaissent du même coup les causes de la guerre. » Une telle vision, qui met sur le même plan les guerres du siécle dernier, qui avaient, effectivement, une rationalité économique, et celles de ce siècle qui ont perdu une telle rationalité, découle directement de l'incapacité de la part du courant bordiguiste de comprendre le fait que le capitalisme, conformément à ce que disait déjà l'Internationale com-=muniste, est entré dans sa période de décadence depuis la 1re guerre mondiale. Cependant, il est important de revenir sur une telle vision car, non seulement elle tourne le dos à l'histoire réelle des guerres mondiales, mais elle démobilise complétement la classe ouvrière.

 

Imagination bordiguiste et histoire réelle

 

Ce n'est pas vrai que les deux guerres mondiales ont pris fin du fait de la dis-parition des causes économiques qui les avaient engendrées. Il faut déjà s'enten-dre, évidemment, sur les causes éco-nomiques véritables de la guerre. Mais, même en se plaçant du point de vue du PCI : la guerre a pour objectif de dé-truire suffisamment de capital constant pour permettre de retrouver un taux de profit suffisant, on peut constater que l'histoire réelle est en contradiction avec la conception imaginaire qu'en donne cette organisation.

Si nous prenons le cas de la 2e guerre mondiale, affirmer une telle chose est une trahison honteuse du combat mené par Lénine et les internationalistes tout au long de celle-ci (à moins qu'il ne s'agisse que d'une ignorance crasse de ces faits historiques). En effet, conformément à la résolution adoptée au congrés de 1907 de la 2e internationale (Congrés de Stuttgart), qu'un amendement présenté par Lénine et Rosa Luxemburg avait rendue trés claire, et conformément au Manifeste adopté par le Congrés de Bâle, en 1912, Lénine a mené le combat, dés aoùt 1914, pour que les révolutionnaires : « utilisent de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires -les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste. ». (Résolution du Congrés de Stuttgart) Il n'allait pas dire aux ouvriers : « De toutes façons, la guerre impérialiste prendra fin lorsque les causes économiques qui l'ont engendrée seront épuisées. » Au contraire, il mettait en évidence que le seul moyen de mettre fin à la guerre impérialiste, avant qu'elle ne conduise à une hécatombe catastrophique pour le prolétariat et pour l'ensemble de la civilisation, consistait dans la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Evidemment, PC reprend à son compte ce mot d'ordre, et il approuve la politique des internationalistes au cours de cette guerre. Mais en même temps, il n'est pas capable de comprendre que justement, le scénario qu'il présente de la fin de la guerre impérialiste généralisée ne s'est pas réalisé en 1917-18. Au contraire, la ler guerre mondiale a pris fin, et trés rapidement, en novembre 1918, parce que le prolétariat le plus puissant du monde, celui d'Allemagne, s'était soulevé contre elle et était en train de prendre le chemin de la révolution comme l'avait fait, un an auparavant, le prolétariat de Russie. Les faits sont éloquents : le 9 novembre 1918, aprés plusieurs mois de grèves ouvrières dans toute l'Allemagne, les marins de Kiel de la « Kriegsmarine » se mutinent contre leurs officiers, en même temps qu'une ambiance insurrectionnelle se développe au sein du prolétariat ; le 11 novembre, les autorités allemandes signent un armistice avec les pays de l'Entente. La bourgeoisie a trés bien compris la leçon de la Russie un an au-paravant oú, la décision du gouvernement provisoire, issu de la révolution de février 1917, de poursuivre la guerre avait constitué le principal facteur de mobilisation du prolétariat vers l'issue révolutionnaire d'Octobre et la prise du pouvoir par les soviets. Ainsi, l'histoire avait donné raison à la vision défendue par Lénine et les bolcheviks : c'est la lutte révolutionnaire du prolétariat qui a mis fin à la guerre impérialiste et non une quelconque destruction de l'excé-dent de marchandises.

La 2° guerre mondiale, contrairement à la première (et à l'attente de beaucoup de révolutionnaires) n'a pas ouvert le chemin d'une nouvelle vague révolutionnaire. Et ce n'est malheureusement pas faction du prolétariat qui y a mis fin. Cependant, cela ne veut pas dire qu'elle ait répondu au schéma abstrait de PC. Si on étudie sérieusement les faits historiques, et autrement qu'avec les lunettes déformantes des dogmes « invariants » du bordiguisme, on constate facilement que la fin de la guerre n'a eu rien a voir avec une quelconque « destruction suffisante de l'excédent ». En réalité, la guerre impéria-liste a pris fin avec la destruction com-pléte du potentiel militaire des vaincus et par l'occupation de leur territoire par les vainqueurs. Le cas le plus explicite a été celui de l'Allemagne, encore une fois. Si les Alliés ont pris la peine d'occuper chaque pouce du territoire allemand, en se le partageant en quatre, ce n'était pas pour des raisons économiques mais pour des raisons sociales : la bourgeoisie avait conservé le souvenir de la l'e guerre mondiale. Elle savait qu'elle ne pouvait compter sur un gouvernement vaincu pour garantir l'ordre social dans les énormes concentrations prolétariennes d'Allemagne. C'est d'ailleurs ce que dit lui-même PC (et encore une fois on peut constater son incohérence) :

« Au cours des 3 années 45-48, une grave crise économique frappe tous les pays européens touchés par la guerre [tiens ! pourtant c'est là qu'il y avait eu le plus de destruction de capital constant, NDLR] (..) On voit donc que le marasme d'aprés-guerre ne fait pas de différence entre vaincus et vainqueurs. Mais forte de l'expérience du premier aprés-guerre, la bourgeoisie mondiale a appris que ce marasme pouvait donner naissance à des flambées classistes et révolutionnaires. C'est la raison pour laquelle la période de dépression économique d'aprés-guerre sera aussi la période de l'occupation militaire massive de l'Europe. Cette occupation ne commencera à s'atténuer, dans le secteur occidental, qu'à partir de 1949, quand le spectre du "désordre social" se sera éloigné. » (PC n° 91, p. 43)

En réalité, au nom du « marxisme » et même de la « dialectique », PC nous donne une vision matérialiste vulgaire et mécaniste du processus de déclenchement et de fin de la guerre impérialiste mondiale.

 

Une vision schématique du déclenchement de la guerre impérialiste

 

Le marxisme établit qu'en dernière instance, ce sont les infrastructures économiques de la société qui déterminent ses superstructures. De même, l'ensemble des faits historiques, qu'ils affectent la scéne politique, militaire ou sociale, ont des racines économiques. Cependant, c'est encore une fois « en dernière instance » que s'exerce cette détermination économique, de façon dialectique et non mécanique. Il existe, notamment depuis le début du capitalisme, une origine économique aux guerres. Mais le lien entre les facteurs économiques et la guerre a toujours été médiatisé par une série de facteurs historiques, politiques. diplomatiques qui ont justement permis à la bourgeoisie de masquer aux yeux des prolétaires la véritable nature de la guerre. Cela est déjà valable au siécle dernier, lorsque la guerre présente une certaine rationalité économique pour le capital. Il en est ainsi, par exemple de la guerre franco-prussienne de 1870.

Du côté prussien, cette guerre n'a pas de but économique immédiat (même si, évidemment, le vainqueur se permet le luxe de faire verser au vaincu 6 milliards de francs-or en échange du départ de ses troupes d'occupation). Fondamentalement, la guerre de 1870 permet à la Prusse de réaliser autour d'elle l'unité allemande (aprés qu'elle ait vaincu son concurrent autrichien pour un tel rôle lors de la bataille de Sadowa, eu 1866). L'annexion de l'Alsace-Lorraine n'a pas d'intérêt économique décisif, mais elle constitue la corbeille du mariage entre les différentes entités politiques allemandes. Et c'est justement à partir de cette unité politique que peut se développer de façon impétueuse la nation capitaliste qui deviendra en peu de temps la première puissance économi-que d'Europe et qui l'est restée.

Du côté français, le choix fait par Napoléon III de se lancer dans la guerre est encore plus éloigné d'une détermination économique directe. Fondamentalement, comme le dénonce d'ailleurs Marx, il s'agit pour le monarque de mener une guerre « dynastique » permettant au second Empire, en cas de victoire, de s'enraciner de façon beaucoup plus solide à la tête de la bourgeoisie française (qui, dans sa grande majorité, qu'elle soit royaliste ou républicaine, ne porte pas « Badinguet » dans son cceur) et de permettre au fils de Napoléon de lui succéder. C'est pour cela, d'ailleurs, que Thiers, représentant le plus avisé de la classe capitaliste, était farouchement opposé à cette guerre.

Lorsqu'on examine les causes du déclenchement de la 2e guerre mondiale, on peut constater également à quel point le facteur économique, qui est évidemment fondamental, ne joue que de façon indirecte. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cet article, nous étendre sur l'ensemble des ambitions impérialistes des différents protagonistes de cette guerre (au début du siécle, les révolutionnaires ont consacré à cette question de nombreuses brochures). Il suffit de dire que l'enjeu fondamental pour les deux principaux pays de l'Entente, la Grande-Bretagne et la France, était de conserver leur empire colonial face aux ambitions de l'Allemagne, la puissance montante, dont le potentiel industriel ne disposait pratiquement pas de débouchés coloniaux. C'est pour cela, qu'en dernier ressort, la guerre se présente pour l'Allemagne, qui pousse le plus au conflit, comme une lutte pour un repartage des marchés au moment oú ces derniers sont déjà tous entre les mains des puissances plus anciennes. La crise économique qui commence à se développer à partir de 1913 constitue évidemment un facteur important d'exacerbation des rivalités impérialistes qui débouche sur le 4 aoùt 1914, mais il serait totalement faux de prétendre (et aucun marxiste ne l'a fait à l'époque) que la crise avait déjà pris une telle ampleur que le capital ne pouvait faire autre chose, afin de la surmonter, que de déchaîner la guerre mondiale avec ses immenses destructions.

En réalité, la guerre aurait trés bien pu éclater dés 1912, lors de la crise des Balkans. Mais justement, à ce moment précis, l'Internationale Socialiste avait su se mobiliser et mobiliser les masses ouvrières contre la menace de la guerre, notamment avec le Congrés de Bâle, pour que la bourgeoisie renonce à avancer plus sur le chemin de l'affrontement généralisé. En revanche, en 1914, la raison principale pour laquelle la bourgeoisie peut déclencher la guerre mondiale ne réside pas dans le niveau atteint par la crise de surproduction, qui était bien loin du niveau qu'elle a atteint aujourd'hui par exemple. Elle réside dans le fait que le prolétariat, endormi par l'idée que désormais la guerre ne menaçait plus, et plus généralement par l'idéologie réformiste (propagée par l'aile droite des partis socialistes qui dirigeait la plupart de ces partis), n'a opposé aucune mobilisation sérieuse face à la menace qui se profilait de plus en plus à partir de l'attentat de Sarajevo, le 20 juin 1914. Pendant un mois et demi, la bourgeoisie des principaux pays a eu tout loisir de vérifier qu'elle avait les mains libres pour déclencher les massacres. En particulier, tant en Allemagne qu'en France, les gouvernements ont pu contacter directement les chefs des partis socialistes qui les ont assurés de leur fidélité et de leur capacité à entraîner les ouvriers vers la boucherie. Nous n'inventons pas ces faits : ils ont été mis en évidence et dénoncés par les révolutionnaires de l'époque, comme Rosa Luxemburg et Lénine.

En ce qui concerne la 2° guerre mondiale, on peut évidemment mettre en évidence comment, à partir de la crise économique de 1929, se mettent en place tous les éléments qui vont aboutir au déclenchement de la guerre en septembre 1939 : arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, accession au gouvernement en 1936 des «fronts populaires » en France et en Espagne, guerre civile dans ce dernier pays, à partir de juillet de la même année. Le fait que la crise ouverte de l'économie capitaliste débouche finalement sur la guerre impérialiste est d'ailleurs perçu trés clairement par les dirigeants de la bourgeoisie. Ainsi, Cordell Hull, proche collaborateur du président américain Roosevelt, déclare : « Quand les marchandises circulent, les soldats n'avancent pas ». Pour sa part Hitler, à la veille de la guerre dit clairement à propos de l'Allemagne : « Ce pays doit exporter ou mourir ». Cependant, on ne peut rendre compte du moment oú se déclenche la guerre mondiale uniquement dans les termes oú le fait PC: «Aprés 29, on chercha à sur-monter la crise aux USA par une espéce de "nouveau modéle de développement ». L'Etat intervient de façon massive dans l'économie... et lance de gigantesques plans d'investissements pu-blics. On reconnaît aujourd'hui que tout cela n'eut que des effets secondaires sur l'économie qui, en 37-38 plongeait de nouveau vers la crise : seuls les crédits en 38 pour le réarmement purent amorcer une "vigoureuse" reprise et faire atteindre des maximums historiques de production. Mais l'endettement public et la production d'armements ne peuvent que freiner, mais pas éliminer la tendance aux crises. Constatons le fait qu'en 39 la guerre éclate pour éviter la chute dans une crise encore plus ruineuse... La crise d'avant la guerre dura 3 ans et elle fut suivie aprés 33 par une reprise qui conduisit directement à la guerre. » (PC n° 90, p. 29) Déjà il faut rejeter l'idée que la guerre serait moins ruineuse que la crise: quand on a vu dans quel état s'est retrouvée l'Europe aprés la 2° guerre mondiale, une telle affirmation n'est pas sérieuse. Cependant, l'explication donnée par PC des origines de la guerre n'est pas fausse en soi, mais elle le devient si on en fait la seule permettant de comprendre pourquoi la guerre a été déclenchée en 1939 et non pas dés le début des années 1930, lorsque le monde, et particulièrement l'Allemagne et les Etats-Unis, plongent dans la plus profonde récession de l'histoire.

Pour mettre en évidence le schématisme incroyable de l'analyse de PC, il suffit de citer le passage suivant : « C'est le cours de l'économie impérialiste qui, à un certain moment, 'fait" la guerre. Et, s'il est vrai que l'affrontement militaire résout provisoirement les problémes posés par la crise, il faut cependant souligner que l'affrontement militaire ne découle pas de la récession, mais de la reprise artificielle qui le suit. Droguée par l'intervention de l'Etat, financée par la dette publique (de l'industrie mili-taire pour une bonne partie), la production reprend de la hauteur ; mais la conséquence immédiate est l'engorgement d'un marché mondial déjà saturé, la reproduction sous une forme aiguë de l'affrontement inter-impérialiste, et donc la guerre. A ce moment les Etats se jettent les uns contre les autres, ils doivent se faire la guerre, et ils la feraient au besoin à coup de bulldozers, de rnoissonneuses-batteuses ou de toutes les machines pacifiques qu'on peut imaginer... Le pouvoir de déclencher la guerre n'appartient pas aux fusils mais aux masses de marchandises invendues. » (PC n° 91, p. 37)

Une telle vision fait complétement abstraction des conditions concrétes à travers lesquelles la crise économique débouche sur la guerre. Pour PC, les choses se réduisent au mécanisme : récession, reprise "droguée", guerre. Rien d'autre. On peut déjà noter que ce schéma ne s'applique nullement à la 1e guerre mondiale. Mais, concernant la 2e, il faut constater que PC ne se penche pas sur la forme que prend la reprise droguée en Allemagne à partir de 1933 : celle de la mise en ceuvre d'un effort d'armement colossal par le régime nazi, ni sur la signification de la venue au pouvoir de ce régime lui-même. De même, la signification de l'arrivée du Front populaire en France, par exemple, ne fait pas l'objet du moindre examen par PC. Enfin, des événements de la scéne internationale aussi importants que l'expédition italienne de 1935 con-tre l'Ethiopie, la guerre d'Espagne en 1936, la guerre entre le Japon et la Chine un an aprés sont ignorés.

En réalité, aucune guerre n'a jamais été menée avec des moissonneuses-batteuses. Quelle que soit la pression exercée par la crise, la guerre ne peut être déclenchée si ne sont pas mûres, si n'ont pas été préparées ses conditions militaires, diplomatiques, politiques et sociales. Et justement, l'histoire des années 1930 est celle de l'ensemble de ces préparatifs. Sans revenir ici longuement sur ce que nous avons déjà développé dans d'autres numéros de cette revue, on peut dire qu'une des fonctions du régime Nazi a été d'impulser l'effort de reconstitution à grande échelle et à « un rythme qui surprend même les gé-néraux »([1] [39]) du potentiel militaire de l'Allemagne, un potentiel que les clauses du traité de Versailles de 1919 avaient bridé jusque là. En France également, le Front Populaire a eu la responsabilité de relancer l'effort d'arme-ment à une échelle inconnue depuis la 1e guerre mondiale. De même, les guerres que nous avons évoquées plus haut s'inscrivaient dans les préparatifs militaires et diplomatiques de l'affrontement généralisé. Il faut mentionner particulièrement la guerre d'Espagne : c'est le terrain oú les deux puissances de l'Axe, Italie et Allemagne, non seulement testent de façon directe les armements pour la guerre à venir mais renforcent leur alliance en vue de celle-ci. Mais non seulement cela : la guerre d'Espagne constitue le parachévement de l'écrasement physique et politique du prolétariat mondial aprés la vague révolutionnaire qui avait commencé en 1917 en Russie et qui avait jeté ses derniers feux en Chine en 1927. Entre 1936 et 1939, ce n'est pas seulement le prolétariat d'Espagne qui est défait, d'abord par le Frente Popular, ensuite par Franco. La guerre d'Espagne a été un des moyens essentiels par lesquels la bourgeoisie des pays « démocratiques », particulièrement en Europe, a fait adhérer les ouvriers à l'idéologie anti-fasciste, l'idéologie qui a permis qu'ils soient utilisés une nouvelle fois comme « chair à canon » pour la 2° guerre mondiale. Ainsi, l'acceptation de la guerre impérialiste par les ouvriers que les régimes fasciste et nazi ont imposée par la terreur a été obtenue dans les autres pays au nom de la « défense de la Démocratie », avec la participation active, évidemment, des partis de gauche du capital, « socialistes » et « communistes ».

Le schéma du mécanisme qui conduit au déclenchement de la 2° guerre mondiale, tel que nous le propose PC, coincide avec la réalité. Mais s'il en est ainsi, c'est dans les conditions bien spécifiques de cette période, qu'on ne peut comprendre, loin de là, à partir de ce seul schéma. En particulier, en ce qui concerne l'Allemagne, notamment, mais aussi des pays comme la France et la Grande-Bretagne (avec un certain retard sur les autres pays, cependant) l'effort d'armement constitue un des aliments de la reprise aprés la dépression de 1929. Mais cela n'est possible que par le fait que les principaux Etats capitalistes avaient considérablement réduit leurs moyens militaires au lendemain de la 1e guerre mondiale dans la mesure où, à ce moment-là, la principale préoccupation de la bourgeoisie mondiale était de faire face à la vague révolutionnaire du prolétariat. De même, forte de son expérience de la l°guerre mondiale, la bourgeoisie sait pertinemment qu'elle ne peut se lancer dans la guerre impérialiste sans avoir au préalable soumis totalement le prolétariat afin de s'éviter un surgissement révolutionnaire de celui-ci au cours même de la guerre.

Ainsi, la « méthode » de PC consiste a établir comme loi historique, un schéma qui ne s'est appliqué qu'une seule fois dans l'histoire (puisqu'on a déjà vu qu'il ne s'était pas appliqué au premier avant-guerre non plus). Pour qu'il puisse être valable dans la période actuelle, il faudrait que les conditions historiques d'aujourd'hui soient fondamentalement les mêmes que celles des années 1930, ce qui est loin d'être le cas : jamais les armements n'ont été aussi développés et le prolétariat ne vient pas de subir une profonde défaite comme ce fut le cas dans les années 1920. Au contraire, il est sorti, depuis la fin des années 1960, de la profonde contre-révolution qui pesait sur lui depuis le début des années 1930.

 

Les conséquences de la vision schématique de Programme Communiste

 

La vision schématique de PC débouche sur une analyse particulièrement dangereuse de la période actuelle. C'est vrai que de temps en temps, dans son étude, PC semble retrouver une conception un peu plus marxiste du processus qui con-duit à la guerre mondiale. C'est le cas lorsqu'il écrit:

« Pour que de telles masses humaines puissent être efficacement envovées au massacre, il faut que les populations soient préparées à temps à la guerre ; et pour qu'elle puissent résister ait cours d'une guerre à outrance, il faut que ce travail de préparation soit suivi d'un travail de mobilisation constante des énergies et des consciences de la nation, de toute la nation, en faveur de la guerre. (..) Sans la cohésion de tout le corps social, sans la solidarité de toutes les classe envers une guerre pour laquelle on sacrifie ses propres existences et ses propres espoirs, même les troupes les mieux armées sont condamnées à se désagréger sous le coup des privations et des horreurs quotidiennes du conflit. » (PC n° 91, p. 41) Mais de telles affirmations, tout-à-fait justes, entrent en contradiction flagrante avec la démarche adoptée par PC lorsqu'il s'essaie à faire des prévisions sur les années à venir. En s'appuyant sur son schéma récession, reprise "droguée", guerre, PC se livre à de savants calculs (dont nous ferons ici grâce au lecteur) pour aboutir à la conclusion que : « Il nous faut maintenant réfuter la thése de l'imminence de la troisiéme guerre mondiale. » (PC n° 90, p. 27) « Il faudrait alors situer la date présumée de la maturité économique du conflit autour de la moitié de la première décennie du prochain millénaire (ou si l'on préfére, du prochain siécle). » (Ibidem., p. 29) Il faut noter que PC fonde une telle prévision sur le fait que : « Le processus de relance droguée typique de l'économie de guerre, qui suit la crise, ne se dessine pas encore, et ceci dans une situation économique, qui, de récession en récession, est encore loin d'avoir épuisé la tendance à la dépression inaugurée en 74-75. » (Ibidem.) Nous pourrions évidemment démontrer (voir toutes nos analyses sur les caractéristiques de la crise actuelle dans cette même Revue) en quoi, depuis plus d'une décennie déjà, les « reprises » de l'éco-nomie mondiale sont parfaitement « droguées». Mais c'est PC qui le dit lui-même quelques lignes plus haut : « Nous voulons seulement souligner que le systéme capitaliste mondial a utilisé pour prévenir la crise les mêmes moyens dont il s'était servi aprés le krach de 1929 pour s'en sortir. » La cohérence n'est vraiment pas le fort de PC et des bordiguistes : c'est peut-être leur conception de la « dialectique » eux qui se flattent d'être « rompus au maniement de la dialectique. » (PC n° 91, p. 56) ([2] [40])

Cela-dit, au-delà même des contradictions de PC, il importe de souligner le caractére parfaitement démobilisateur des prévisions qu'il s'amuse à faire sur la date du prochain conflit mondial. Depuis sa fondation, le CCI a mis en évidence que, dés lors que le capitalisme avait épuisé les effets de la reconstruction du second aprés guerre, dés lors que la crise historique du mode de production capitaliste se manifestait une nouvelle fois sous forme de crise ouverte (cela, dés la fin des années 1960, et non en 1974-75, comme le veulent les bordiguistes pour essayer de prouver la confirmation d'une vieille « prévision » de Bordiga) les conditions économiques d'une nouvelle guerre mondiale étaient données. II a également mis en évidence que les conditions militaires et diplomatiques d'une telle guerre étaient totalement mùres avec la constitution depuis plusieurs décennies des deux grands blocs impérialistes regroupés au sein de l'OTAN et du Pacte de Varsovie derrière les deux principales puissances militaires du monde. La raison pour laquelle l'impasse économique oú se trouvait le capitalisme mondial n'a pas dé-bouché sur une nouvelle boucherie généralisée se trouvait fondamentalement dans le fait que la bourgeoisie n'avait pas les mains libres sur le terrain social. En effet, dés les premières morsures de la crise, la classe ouvrière mondiale - en mai 1968 en France, à l'automne 1969 en Italie, et dans tous les pays développés par la suite - a redressé la tête et s'est dégagée de la profonde contre-révolution qu'elle avait subie pendant quatre décennies. En expliquant cela, en basant sa propagande sur cette idée, le CCI a participé (de façon trés modeste évidemment, compte-tenu de ses forces actuelles) à redonner confiance en elle même à la classe ouvrière face aux campagnes bourgeoises visant en permanence à saper cette confiance. Au contraire, en continuant à propager l'idée que le prolétariat était encore totalement absent de la scéne historique (comme lorsqu'il était « minuit dans le siécle »), le courant bordiguiste a apporté (involontairement, certes, mais cela ne change rien), sa petite contribution aux campagnes bourgeoises. Pire encore, en laissant croire que, de toutes façons, les conditions matérielles d'une 3e guerre mondiale n'étaient pas encore réunies, il a participé à démobiliser la classe ouvrière contre sa menace, jouant, à une petite échelle, le rôle qu'avaient tenus les réformistes à la veille de la le guerre mondiale lorsqu'ils avaient convaincu les ouvriers que la guerre n'était plus une menace. Ainsi, ce n'est pas seulement, comme on l'a vu dans la première partie de cet article, en affirmant qu'une 3e guerre mondiale ne risquait pas de détruire l'humanité que PC contribue à masquer les véritables enjeux du combat de classe aujourd'hui, c'est aussi en faisant croire que ce combat de classe n'est pour rien dans le fait que cette guerre mondiale n'ait pas eu lieu depuis le début des années 1970.

L'effondrement du bloc de l'Est, à la fin des années 1980, a momentanément fait disparaître les conditions militaires et diplomatiques d'une nouvelle guerre mondiale. Cependant, la vision erronée de PC continue d'affaiblir les capacités politiques du prolétariat. En effet, la disparition des blocs n'a pas mis fin aux conflits militaires, loin de là, des con-flits dans lesquels les grandes et moyen-nes puissances continuent de s'affronter par petits Etats, ou même par ethnies interposées. La raison pour laquelle ces puissances ne s'engagent pas plus directement sur le terrain, ou pour laquelle, lorsqu'elles le font effectivement (comme lors de la guerre du Golfe en 1991) elles n'envoient sur place que des soldats professionnels ou des volontaires, c'est la crainte que continue d'avoir la bourgeoisie que l'envoi du contingent, c'est à dire des prolétaires en uniforme, ne provoque des réactions et une mobilisation de la classe ouvrière. Ainsi, à l'heure actuelle, le fait que la bourgeoisie ne soit pas capable d'embrigader le prolétariat derrière ses objectifs guerriers constitue un facteur de premier plan limitant la portée des massacres impérialistes. Et plus la classe ouvrière sera capable de développer ses combats, plus la bourgeoisie sera entravée dans ses projets funestes. Voilà ce que les révolutionnaires doivent dire à leur classe pour lui permettre de prendre conscience et de ses réelles capacités et de ses responsabilités. Malheureusement, malgré sa dénonciation tout à fait valable des mensonges bourgeois sur la guerre impérialiste, et notamment du pacifisme, c'est ce que ne fait pas le courant bordiguiste, et notamment PC.

Pour conclure sur cette critique des analyses de PC sur la question de la guerre impérialiste, il nous faut relever les quelques « arguments » employés par cette revue lorsqu'elle tente de stigmatiser les positions du CCI. Pour PC, nous sommes des « sociaux pacifistes d'extrême gauche », au même rang que les trotskistes (PC n° 92, p. 61). Notre position serait « emblématique de l'impuissance du petit bourgeois en colére » (Ibidem., p. 57). Et pourquoi, s'il vous plaît ? Parce que : « si l'éclatement de la guerre exclut définitivement la révolution, alors la paix, cette paix bourgeoise, devient malgré tout un "bien" que le prolétariat, tant qu'il n'a pas la force de faire la révolution, doit protéger comme la prunelle de ses yeux. Et voila que pointe à l'horizon la vieille "lutte pour la paix"... au nom de la révolution. L'axe fondamental de la pro-pagande du CCI lors de la dernière guerre du Golfe n'était-elle pas la dénonciation des "va-t-en guerre" de tout poil, et les lamentations sur le "chaos", le "sang" et les "horreurs" de la guerre ? Certes la guerre est horrible, mais la paix bourgeoise l'est tout autant et les "va-t-en paix" doivent être dénon-cés tout aussi sévérement que les "va-t-en guerre"; quant au "chaos" grandissant du monde bourgeois, il ne peut qu'être accueilli favorablement par les communistes véritables parce qu'il signifie que se rapproche l'heure oú la violence révolutionnaire devra être opposée à la violence bourgeoise. » (Ibidem.)

Sincérement, les « arguments » de PC sont un peu pauvres, et surtout, ils sont mensongers. Lorsque les révolutionnaires du début du siécle, les Luxemburg et les Lénine, à chaque congrés de l'Internationale Socialiste et dans leur propagande quotidienne, mettaient les ouvriers en garde contre la menace de la guerre impérialiste, qu'ils dénonçaient les préparatifs de celle-ci, ils ne faisaient pas la même chose que les pacifistes et il nous semble que PC se réclame encore de ces révolutionnaires. De même, lorsque, au cours de la guerre elle-même, ils stigmatisaient avec la dernière énergie tant la bestialité impérialiste que les « jusqu'au-boutistes » et autres « socio-chauvins », ce n'est pas pour cela qu'ils mêlaient leur voix à celle des pacifistes à la Romain Rolland. Et bien c'est exactement du même combat que celui de ces révolutionnaires dont se revendique le CCI, et sans la moindre concession aux discours pacifistes qu'il dénonce avec la même vigueur que les discours guerriers contrairement à ce que prétend PC (qui ferait bien de lire un peu mieux notre presse). En réalité, le fait que PC soit obligé de mentir sur ce que nous disons réell-ment ne fait que démontrer une seule chose : le manque de consistance de ses propres analyses.

Et pour clore, nous voudrions dire à ces camarades qu'il ne sert à rien de consacrer tant d'énergie à prévoir presque à l'année prés la date de la future guerre mondiale pour aboutir à une «  prévision » pour la période qui vient qui ne comporte pas moins de quatre scénarios possibles (voir PC n° 92, p. 57 à 60). Le prolétariat, pour s'armer politiquement, attend des révolutionnaires des perspectives claires. Pour tracer de telles perspectives, il ne suffit pas à ces derniers de se contenter de la « stricte répétition de positions classiques »comme veut le faire le PCI (PC n° 92, p. 31). Si le marxisme ne peut s'appuyer que sur un strict respect des principes prolétariens, notamment par rapport à la guerre impérialiste, comme le considére autant le CCI que le PCI, il n'est pas une théorie morte, incapable de rendre compte des différentes circonstances historiques dans lesquelles la classe ouvrière développe son combat, tant pour la défense de ses intérêts immédiats que pour le communisme (les deux faisant d'ailleurs partie du même tout). II doit permettre, comme le disait Lénine, « l'analyse concréte d'une situation concréte ». Dans le cas contraire, mais ce n'est plus le marxisme, il ne sert à rien, sinon à semer encore plus de confusion dans les rangs de la classe ouvrière. C'est malheureusement ce qui arrive au « marxisme » tel que nous le sert le PCI.

FM.


[1] [41] « Histoire des      relations internationales », Tome 8, page 142, par Pierre Renouvin, (Paris, 1972)

[2] [42] Dans le domaine des incohérences du PCI, on peut encore donner la citation suivante « si la paix a régné jusqu'ici dans les métropoles impérialistes, c'est précisément en raison de cette domination des USA et de l'URSS, et si la guerre est inévitable c'est pour la simple raison que quarante années de "paix" ont permis la maturation de forces qui tendent à remettre en question cet équilibre issu du dernier conflit mondial. » (PC n° 91, page 47) Il faudrait, une fois pour toutes, que le PCI se mette d'accord avec lui-même. Pourquoi la guerre n'a-elle pas eu lieu encore ? A cause, exclusivement, du fait que ses conditions économiques n'étaient pas encore mùres comme essaie de le démontrer PC à longueur de pages, ou bien du fait que ses préparatifs diplomatiques n'étaient pas encore réalisés. Comprenne qui pourra.

Courants politiques: 

  • Bordiguisme [43]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la décadence [44]

Questions théoriques: 

  • Décadence [20]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [45]

Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessite matérielle [9e partie]

  • 3672 lectures

Le communisme contre le « socialisme d’Etat »

La conscience de classe est quelque chose de vivant. Le fait qu'une partie du mouvement prolétarien ait atteint un certain niveau de clarté, ne veut pas dire que l'ensemble du mouvement y ait aussi accédé, et même les fractions les plus claires peuvent, dans certaines cir­constances, ne pas réussir à tirer toutes les implications de ce qu'elles ont ap­préhendé, et peuvent même régresser par rapport à un niveau de compréhen­sion atteint auparavant.

Ceci est certainement vrai en ce qui concerne la question de l'Etat et les le­çons que Marx et Engels ont tirées de la Commune de Paris, que nous avons analysées dans le précédent article de cette série ([1] [46]). Durant les décennies qui suivirent la défaite de la Commune, la montée du réformisme et de l'opportu­nisme dans le mouvement ouvrier a me­né, au tournant du siècle, à la situation absurde selon laquelle la position marxiste « orthodoxe », telle qu'elle était défendue par Kautsky et ses acolytes, était que la classe ouvrière pouvait prendre le pouvoir au moyen des élec­tions parlementaires, c'est-à-dire en s'emparant de l'Etat existant. Aussi quand Lénine, dans L'Etat et la révolu­tion qu'il a rédigé pendant les événe­ments révolutionnaires de 17, s'est atta­ché à « déterrer » le véritable héritage de Marx et Engels sur cette question, les « orthodoxes » l'accusèrent-ils de reve­nir à un anarchisme à la Bakounine !

En fait, la lutte pour faire connaître les leçons de la Commune de Paris, pour maintenir le mouvement prolétarien sur le chemin de la révolution communiste, avait déjà commencé au lendemain de l'insurrection des ouvriers français. Dans ce combat contre l'influence répugnante de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise sur le mouvement ouvrier, le marxisme a mené une bataille sur deux fronts : contre les « socialistes d'Etat » et les réformistes qui étaient particulièrement forts au sein du parti allemand, et contre la tendance anarchiste de Bakounine qui avait un forte présence dans les pays capitalistes moins développés.

Dans ce conflit à trois, beaucoup de questions étaient en débat, ou consti­tuaient les germes de débats futurs. Dans le parti allemand, existait déjà la confusion entre la nécessaire lutte pour les réformes, et l'idéologie du réformisme qui oublie complètement les buts ultimes du mouvement. De l'autre côté, les Bakouninistes posaient aussi la question des réformes, mais dans le sens opposé : ils n'avaient que du mépris pour les luttes défensives immédiates de la classe et voulaient sauter par dessus, pour passer directement à la grande « liquidation sociale ». Avec ces der­niers, devait également être posée de fa­çon aiguë la question du rôle et du fonctionnement interne de l'Internatio­nale, ce qui devait accélérer la chute de l'Internationale elle-même.

Dans les deux articles qui suivent, nous traiterons principalement de la façon dont ces conflits étaient reliés à la con­ception de la révolution et de la société future, bien qu'il y ait inévitablement de nombreux autres liens avec les questions mentionnées ci-dessus.

Le socialisme d'Etat est un capitalisme d'Etat

Au 20e siècle, l'identification entre le socialisme et le capitalisme d'Etat a constitué l'un des obstacles les plus te­naces au développement de la con­science de classe. Les régimes staliniens dans lesquels la brutalité de l'Etat totali­taire a violemment assuré le contrôle de la quasi-totalité de l'appareil économique, s'arrogeaient le nom de « socialistes », ce à quoi le reste de la bourgeoisie mondiale apportait obli­geamment son accord. Et tous les cou­sins du stalinisme, des plus « démocra­tiques » aux plus « révolutionnaires », de la social-démocratie à sa droite au trotskisme à sa gauche, se sont attachés à répandre ce même mensonge fonda­mental.

Non moins pernicieuse que la version stalinienne est l'idée social-démocrate selon laquelle la classe ouvrière peut bénéficier de l'activité et de l'interven­tion de l'Etat, même dans les régimes qui sont explicitement identifiés comme « capitalistes » : selon ce point de vue, les conseils locaux, les gouvernements centraux contrôlés par les partis so­ciaux-démocrates, les institutions de l'Etat-providence, les industries natio­nalisées peuvent tous être utilisés pour le compte des ouvriers, et même consti­tuer des étapes vers une société socia­liste.

L'une des raisons pour lesquelles ces mystifications sont si profondément enracinées, c'est que les courants qui les défendent, ont appartenu dans le passé au mouvement ouvrier. Et beaucoup de pièges   idéologiques qu'ils colportent aujourd'hui, trouvent leurs origines dans les confusions authentiques qui exis­taient dans une phase antérieure de ce mouvement. La vision marxiste du monde surgit d'un combat réel contre l'idéologie bourgeoise dans les rangs du mouvement prolétarien, et, pour cette raison même, est inévitablement con­frontée à une lutte sans fin pour se libé­rer des subtiles influences de l'idéologie de la classe dominante. Dans le mar­xisme de la phase ascendante du capita­lisme, nous pouvons donc voir une diffi­culté récurrente à abandonner l'illusion que l'étatisation du capital équivaut à la suppression de ce dernier.

Dans une large mesure, de telles illu­sions résultaient des conditions de l'époque dans lesquelles le capitalisme était encore perçu à travers la personna­lité des capitalistes individuels, et où la concentration et la centralisation du capital était encore dans une phase pré­coce. Face à l'anarchie évidente créée par la pléthore d'entreprises individuel­les concurrentes, il était assez facile d'aboutir à l'idée que la centralisation du capital entre les mains de l'Etat national constituerait un pas en avant. En fait beaucoup de mesures de contrôle par l'Etat mises en avant dans Le Manifeste Communiste (une banque d'Etat, la na­tionalisation de la terre, etc ([2] [47]) sont pré­sentées dans le but explicite de dévelop­per la production capitaliste dans une période où elle avait encore un rôle pro­gressif à jouer. Malgré cela, la question est restée obscure, même dans les tra­vaux ultérieurs de Marx et Engels. Dans le précédent article de cette série, par exemple, nous avons cité l'un des com­mentaires de Marx sur les mesures économique de la Commune de Paris dans lequel il semble dire que si les coopéra­tives ouvrières centralisaient et plani­fiaient la production à l'échelle natio­nale, ce serait alors du communisme. Ailleurs, Marx semble défendre comme une mesure transitoire vers le commu­nisme, l'administration par l'Etat d'opé­rations typiquement capitalistes telles que le crédit ([3] [48]).

En soulignant ces erreurs, nous n'émet­tons aucun jugement moral sur nos an­cêtres politiques. La clarification de ces questions ne pouvait être réalisée que par le mouvement révolutionnaire du 20e siècle, après des décennies d'expé­rience douloureuse : la contre-révolution stalinienne en Russie en particulier, et plus généralement, le rôle croissant de l'Etat en tant qu'agent organisateur de la vie économique à l'époque de la déca­dence capitaliste. La clarification qui s'est opérée aujourd'hui, est entièrement fondée sur la méthode d'analyse élabo­rée par les fondateurs du marxisme, et sur certains aperçus prophétiques sur le rôle que l'Etat aurait ou pourrait avoir dans l'évolution du capital.

Ce qui a permis aux générations ulté­rieures de marxistes de corriger certai­nes des erreurs « capitalistes d'Etat » précédentes, a été, par dessus tout, l’instance de Marx selon laquelle le capital est un rapport social, et ne peut défini d'une manière purement juridique. Tout l'objectif du travail de Marx est de définir le capitalisme comme un système d'exploitation fondé sur le travail salarié, l'extraction et la réalisation de la plus-value. De ce point de vue, cela n'a absolument aucun rap­port de savoir si celui qui arrache la plus-value des ouvriers, qui réalise cette valeur sur le marché en vue d'accroître un profit et d'étendre son capital, est un bourgeois individuel, une corporation, ou un Etat national. Alors que le rôle l'économique de l'Etat s'accroissait peu à peu et nourrissait par conséquent les at­tentes illusoires de certaines parties du mouvement ouvrier, c'est cette rigueur théorique qui permit à Engels de formuler un passage souvent cité dans lequel il souligne que « ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives. Pour les sociétés par actions, cela est évident Et l'Etat moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures gé­nérales du mode de production capita­liste contre des empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes iso­lés. L'Etat moderne, quelle qu'en soit la forme, est une machine essentiellement capitaliste : l'Etat des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de ci­toyens. Les ouvriers restent des sala­riés, des prolétaires. Le rapport capita­liste n'est pas supprimé, il est au con­traire poussé à son comble ». ([4] [49])

Parmi les apologues les plus sophisti­qués du stalinisme, il y a des courants, habituellement les trotskystes et leur progéniture, qui ont défendu que si on ne pouvait traiter de socialiste le mons­trueux cauchemar bureaucratique de l'ancienne URSS et d'autres régimes similaires, on ne pouvait pas non plus les appeler capitalistes car, lorsque existe la nationalisation totale de l'économie (bien qu'en réalité aucun régime stali­nien n'ait atteint ce point-là), la produc­tion et la force de travail perdent leur caractère marchand. Tout au contraire, Marx était capable d'envisager théori­quement la possibilité d'un pays dans lequel tout le capital social se trouve en­tre les mains d'un seul agent sans que ce pays cesse d'être capitaliste : « Le capi­tal pourra grossir ici par grandes mas­ses en une seule main, parce que là il s'échappera d'un grand nombre. Dans une branche de production particulière, la centralisation n'aurait atteint sa der­nière limite qu'au moment où tous les capitaux qui s'y trouvent engagés ne formeraient plus qu'un seul capital in­dividuel. Dans une société donnée elle n'aurait atteint sa dernière limite qu'au moment où le capital national tout en­tier ne formerait plus qu'un seul capital entre les mains d'un seul capitaliste ou d'une seule compagnie de capitalistes. » ([5] [50])

Du point de vue du marché mondial, les « nations » ne sont, de toutes façons, rien de plus que des capitalistes ou des compagnies particuliers, et les rapports sociaux en leur sein sont entièrement dictés par les lois globales de l'accumulation capitaliste. Ca ne change pas grand chose si l'achat et la vente ont disparu à l'intérieur de telles ou telles frontières nationales : de tels pays ne sont pas plus des « îles de non capita­lisme » dans l'économie capitaliste mondiale, que les kibboutz ne sont des îles de socialisme en Israël.

Ainsi la théorie marxiste contient-elle donc toutes les prémisses nécessaires au rejet de l'identification entre le capita­lisme d'Etat et le socialisme. De sur­croît, déjà à leur époque, Marx et En­gels se sont trouvés confrontés à la né­cessité de traiter cette déviation « socialiste d'Etat ». 

« Le socialisme allemand »

L'Allemagne n'a jamais traversé de phase de capitalisme libéral : la fai­blesse de la bourgeoisie allemande a fait que c'est un puissant Etat bureaucrati­que dominé par des éléments semi-féo­daux qui a veillé sur le développement du capitalisme en Allemagne. Le résul­tat a été ce qu'Engels a appelé « cette vénération superstitieuse de l'Etat » ([6] [51]) qui était particulièrement forte en Alle­magne et a énormément corrompu le mouvement ouvrier dans ce pays. Cette tendance était personnifiée par Ferdi­nand Lassalle dont la croyance dans la possibilité d'utiliser l'Etat existant par les ouvriers l'a même conduit à faire une alliance avec le régime de Bismarck « contre les capitalistes. » Mais le problème ne se réduisait pas au « socialisme d'Etat bismarckien » de Lassalle. Il y avait, dans le mouvement ouvrier allemand, un courant marxiste dirigé par Liebknecht et Bebel. Mais cette tendance est souvent tombée dans le genre de marxisme qui a amené Marx lui-même à déclarer qu'il n'était pas marxiste : une tendance mécaniste, schématique, et surtout, manquant d'audace révolutionnaire. Le fait même que ce courant s'appelait « social-démocrate », constituait en lui-même un pas en arrière : dans les années 1840, la social-démocratie avait été synonyme du « socialisme réformiste » de la petite-bourgeoisie, et Marx et Engels s'étaient délibérément définis comme communistes pour souligner le caractère prolétarien et révolutionnaire de la politique qu'ils défendaient.

Les faiblesses du courant Liebknecht-Bebel se révélèrent ouvertement en 1875, lorsqu'il fusionna avec le groupe de Lassalle pour former le Parti Ouvrier Social Démocrate (SDAP, plus tard SDP). Le document fondateur du nou­veau parti, le Programme de Gotha faisait un certain nombre de concessions totalement inacceptables au Lassallisme. C'est ce qui amena Marx à rédiger la Critique du Programme de Gotha au cours de la même année.

Cette attaque cinglante contre les pro­fondes confusions contenues dans le programme du nouveau parti resta un document « interne » jusqu'à 1891 : jusque là, Marx et Engels avaient eu peur que sa publication ne provoque une scission prématurée dans le SPD. On peut rétrospectivement se poser la ques­tion de la sagesse d'une telle décision, mais la logique qui y présidait est assez claire : avec toutes ses erreurs, le SPD était une réelle expression du mouve­ment prolétarien - il l'a montré en parti­culier dans la position internationaliste adoptée par Liebknecht et son courant -et même par beaucoup de Lassalliens -durant la guerre franco-prussienne et la Commune de Paris. Plus encore, le développement rapide du parti allemand avait déjà démontré l'importance crois­sante du mouvement en Allemagne pour l'ensemble de la classe ouvrière interna­tionale. Marx et Engels ont vu la né­cessité de mener un combat long et pa­tient contre les erreurs idéologiques du SPD, et ils l'ont fait dans nombre de do­cuments écrits après la Critique. Mais cette lutte était motivée par l'effort de instruire le parti, non de le détruire. C'est là la méthode qui a toujours fondé la lutte de la gauche marxiste contre la montée de l'opportunisme au sein du parti de classe : c'était une lutte pour le parti tant que celui-ci contenait une vie prolétarienne en son sein.

Dans la critique que font Marx et En­gels du parti allemand, nous pouvons voir l'esquisse de bien des questions re­prises plus tard par leurs successeurs, et qui devaient devenir des questions de vie ou de mort dans les grands événe­ments historiques du début du 20e siè­cle. Et ce n'est absolument pas par ha­sard que celles-ci furent toutes centrées autour de la conception marxiste de la révolution prolétarienne, qui a toujours été la question clé qui différenciait les révolutionnaires des réformistes et des utopistes dans le mouvement ouvrier.

Réforme ou révolution

Dans la seconde moitié du 19e siècle, le capitalisme a connu sa plus grande ac­célération et un développement mon­dial. Dans ce contexte, la classe ouvrière a été capable d'arracher des concessions significatives à la bourgeoisie, amélio­rant considérablement les terribles con­ditions de travail et d'existence qui avaient présidé durant les phases anté­rieures de la vie du capitalisme (limitation du temps de travail, du tra­vail des enfants, augmentation des salai­res réels, etc.). Combiné à cela, il y eut des gains de nature plus politique - le droit de se réunir, de former des syndi­cats, de participer aux élections, etc. -qui permirent à la classe ouvrière de s'organiser et de s'exprimer dans la ba­taille pour l'amélioration de sa situation au sein de la société bourgeoise.

Marx et sa tendance ont toujours sou­tenu la nécessité de cette lutte pour des réformes, rejetant les arguments sectai­res d'éléments tels que Proudhon, et, plus tard, Bakounine, qui voyaient ces luttes comme futiles ou comme une di­version par rapport à la voie vers la ré­volution. Contre de telles idées, Marx a affirmé qu'une classe incapable de dé­fendre ses intérêts les plus immédiats, ne serait jamais capable d'organiser une nouvelle société.

Mais le succès même de la lutte pour des réformes a eu des conséquences né­gatives - la croissance de courants qui transformèrent cette lutte en une idéo­logie de réformisme, rejetant ouverte­ment le but communiste final en faveur de la lutte pour des acquis immédiats, ou bien amalgamant les deux en un mélange confus et déroutant. Marx et Engels peuvent ne pas avoir vu tous les dangers qu'impliquait la croissance de tels courants -c'est-à-dire qu'ils fini­raient par attirer la majorité des organi­sations de la classe ouvrière au service de la bourgeoisie et de son Etat - mais le combat contre le réformisme en tant que type d'idéologie bourgeoise au sein du mouvement prolétarien, combat qui de­vait ultérieurement occuper les énergies de tant de révolutionnaires tels Lénine et Luxemburg, a certainement sérieuse­ment commencé avec eux.

Ainsi, dans la Critique du Programme de Gotha, Marx souligne que non seu­lement les  revendications  immédiates que celui-ci contient (sur l'éducation, le travail des enfants) sont formulées de façon confuse ; mais pire que ça, le parti nouvellement formé ne parvient abso­lument pas à faire la distinction entre ces revendications immédiates et le but ultime. C'est particulièrement vrai dans l'appel à « des coopératives de produc­tion avec l'aide de l'Etat, sous le contrôle démocratique du peuple travailleur » qui serait sensé paver le chemin vers « l'organisation socialiste du travail ». Marx critique sans merci cette panacée du prophète Lassalle : « Au lieu de découler du processus de transformation révolutionnaire de la société, "l'organisation socialiste de l'ensemble du travail résulte" de "l'aide de l'Etat", aide que l'Etat fournit aux coopératives de production que lui-même (et non le travailleur) a "suscitées". Croire qu'on peut construire une société nouvelle au moyen de subventions de l'Etat aussi facilement qu'on construit un nouveau chemin de fer, voilà qui est bien digne de la présomption de Lassalle ! » ([7] [52]).

C'est un avertissement explicite vis-à-vis de ceux qui proclament que l'Etat capitaliste existant peut être d'une quel­conque façon utilisé comme instrument de création du socialisme - même s'ils le présentent d'une façon plus sophistiquée qu'elle ne l'est dans le Programme de Gotha.

A la fin des années 1870, les défenseurs du réformisme dans le parti allemand sont devenus encore plus culottés, au point de mettre en question le fait que le parti se présente comme ...une organi­sation de la classe ouvrière. Dans leur « Circulaire à A. Bebel, W. Liebknecht, W.Bracke » rédigée en Septembre 1879, Marx et Engels portent ce qui constitue probablement l'attaque la plus lucide contre les éléments opportunistes qui infiltraient de plus en plus le mouve­ment :

« On joue aujourd'hui au social-démo­crate, comme on jouait au démocrate bourgeois en 1848. Comme ces derniers considéraient la république démocrati­que comme quelque chose de très loin­tain, nos sociaux-démocrates d'aujour­d'hui considèrent le renversement de l'ordre capitaliste comme un objectif lointain, et, par conséquent, comme quelque chose qui n'a absolument au­cune incidence sur la pratique politique actuelle. On peut donc à coeur joie faire le philanthrope, l'intermédiaire, et couper la poire en deux. Et c'est ce que l'on fait aussi dans la lutte de classe en­tre prolétariat et bourgeoisie. On la reconnaît sur le papier - de toute façon, il ne suffit pas de la nier pour qu'elle cesse d'exister -, mais dans la pratique on la camoufle, on la dilue et on l'édulcore. Le parti social-démocrate ne doit pas être un parti ouvrier ; il ne doit pas s'attirer la haine de la bourgeoisie, aucune autre ; c'est avant tout dans bourgeoisie qu'il faut faire une propa­gande énergique. Au lieu de s'appesan­tir sur des objectifs lointains qui, même s'ils ne peuvent être atteints par notre génération, effraient les bourgeois, le parti ferait mieux d'user toute son éner­gie à des réformes petites-bourgeoises de rafistolage qui vont consolider le vieil ordre social et peuvent éventuel­lement transformer la catastrophe fi­nale en un processus de dissolution lent, fragmentaire, si possible pacifi­que. » ([8] [53])

Telles sont les grandes lignes de la cri­tique marxiste envers toutes les varian­tes ultérieures de réformisme qui de­vaient avoir un effet désastreux dans les rangs de la classe ouvrière international.

La dictature du prolétariat contre l’« Etat du peuple »

L'incapacité du Programme de Gotha à définir le lien réel entre les phases défensive et offensive du mouvement prolétarien s'exprimait également dans sa totale confusion sur l'Etat. Marx dé­molit son appel à fonder un « Etat libre et une société socialiste » comme un non-sens, puisque l'Etat et la liberté sont deux principes opposés : « La liberté consiste à transformer l'Etat, organe supérieur de la société, en un organe entièrement subordonné à elle. » ([9] [54]). Dans une société pleinement dévelop­pée, il n'y aura pas d'Etat. Mais plus important encore est la mise en évi­dence par Marx que cet appel à un « Etat du peuple » qui devrait se réali­ser par l'attribution de réformes « démocratiques » que nombre de pays capitalistes avaient déjà concédées, constituait   un   moyen   d'esquiver   la question cruciale de la dictature du prolétariat. C'est dans ce contexte que Marx soulève la question : « Quelle transformation subira l'Etat dans une société communiste ? Autrement dit : quelles fonctions sociales s'y maintien­dront-elles qui soient analogues aux fonctions actuelles de l'Etat ? Cette question ne peut avoir de réponse que par la science, et ce n'est pas en accou­plant de mille manières le mot Peuple avec le mot Etat qu'on fera avancer le problème d'un saut de puce. Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de la première en la seconde. A quoi corres­pond une période de transition politique où l'Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du proléta­riat.

Le programme n'a pas à s'occuper, pour l’instant, de cette dernière, non plus que de la nature de l'Etat futur dans la so­ciété communiste » ([10] [55])

Comme nous l'avons vu dans le précé­dent article de cette série, cette notion de dictature du prolétariat était, en 1875, quelque chose de très réel pour Marx et sa tendance : la Commune de Paris, quatre ans seulement auparavant, avait été le premier épisode vivant de la classe ouvrière au pouvoir, et il avait montré qu'un tel bouleversement politique et social ne pouvait avoir lieu que si les ouvriers renversaient l'appareil d'Etat et le remplaçaient par leurs propres organes de pouvoir. Le Programme de Gotha a démontré que cette leçon n'avait pas été assimilée par le mouvement ouvrier dans son ensemble, et, au fur et à mesure que grandissait le courant réformiste dans le mouvement, elle devait être de plus en plus oubliée.

Dans l'intérêt de l'exactitude historique, il est nécessaire de souligner que Marx et Engels n'avaient pas eux-mêmes pleinement assimilé cette leçon. Dans un discours au Congrès de L'In­ternationale à La Haye, en septembre 1872, Marx pouvait encore développer que « Il faut tenir compte des institu­tions, des coutumes et des traditions des différents pays, et nous ne nions pas qu'il y a des pays, comme l'Amérique et l'Angleterre, et si je connaissais mieux ses institutions, la Hollande, où les ou­vriers peuvent parvenir à leurs buts par des moyens pacifiques. Ceci étant dit, nous devons reconnaître que dans la plupart des pays du continent, il faudra forcer le levier de la révolution ; le re­cours à la force sera nécessaire un jour afin d'établir la domination du tra­vail ».

Il faut dire que cette idée était une illu­sion de la part de Marx - la mesure du poids de l'idéologie démocratique, même sur les éléments les plus avancés du mouvement ouvrier. Dans les années qui suivirent, toutes sortes d'opportunis­tes devaient se saisir de telles illusions pour donner l'estampille d'approbation de Marx à leurs efforts pour abandonner toute idée de révolution violente et cal­mer la classe ouvrière avec la croyance qu'elle pourrait se débarrasser, pacifi­quement et par des moyens légaux, du capitalisme, en utilisant les organes de la démocratie bourgeoise. Mais la tradi­tion marxiste authentique n'est pas avec eux. Elle est avec les pairs de Pannekoek, Boukharine et Lénine qui ont pris les éléments les plus audacieux et révolutionnaires de la pensée de Marx sur la question, ce qui menait inexora­blement à la conclusion que pour établir la domination du travail dans n'importe quel pays, la classe ouvrière devrait uti­liser le levier de la force, et, d'abord et avant tout, contre l'appareil d'Etat exis­tant, quelles que soient ses formes dé­mocratiques. De plus, c'est la réalité, l'évolution réelle de l'Etat démocratique, qui leur ont permis de tirer cette con­clusion, car, comme le dit Lénine dans L'Etat et la révolution :

«Aujourd'hui en 1917, à l'époque de la première grande guerre impérialiste, cette restriction de Marx ne joue plus. L'Angleterre comme l'Amérique, les plus grands et les derniers représentants de la "liberté" anglo-saxonne dans le monde entier (absence de militarisme et de bureaucratisme) ont glissé entiè­rement dans le marais européen, fan­geux et sanglant, des institutions mili­taires et bureaucratiques, qui se subor­donnent tout et écrasent de tout leur poids. Maintenant en Angleterre comme en Amérique, la "condition première de toute révolution populaire réelle", c'est la démolition, la destruction de la "machine d'Etat toute prête". » ([11] [56])

La critique du substitutionisme

L'Association internationale des tra­vailleurs (AIT) avait proclamé que « l'émancipation des travailleurs doit être l'oeuvre des travailleurs eux-mê­mes ». Bien qu'il ne fût pas possible dans le mouvement ouvrier au 19e siècle de clarifier tous les aspects des rapports entre le prolétariat et sa minorité révolutionnaire, cette affirmation consti­tue une prémisse de base pour toute clarification ultérieure. Et, dans les po­lémiques au sein du mouvement après 1871, la fraction marxiste a eu de nom­breuses occasions pour pousser la ques­tion plus loin que dans l'affirmation gé­nérale de l'AIT. En particulier dans le combat contre les véritables éléments réformistes qui infestaient le parti al­lemand, Marx et Engels étaient amenés à montrer que les visions élitistes et hié­rarchiques des rapports entre le parti et la classe provenaient de l'idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, dont étaient porteurs, en particulier, les intel­lectuels des classes moyennes qui voyaient le mouvement ouvrier comme le véhicule de leurs propres schémas d'amélioration de la société.

La réponse des marxistes à ce danger n'était pas de se retirer dans l'ouvrié­risme, dans l'idée qu'une organisation uniquement composée d'ouvriers indus­triels serait la meilleure garantie contre la pénétration des idées de la classe en­nemie. « C'est un phénomène inévitable et inhérent au cours historique que des individus ayant appartenu jusqu'alors à la classe dominante se rallient au prolé­tariat en lutte et lui apportent des élé­ments de formation théorique. C'est ce que nous avons expliqué déjà dans le Manifeste Communiste, cependant, il convient défaire deux observations à ce sujet :

Premièrement : ces gens, pour être uti­les au mouvement prolétarien, doivent vraiment lui apporter des éléments de formation d'une valeur réelle, or ce n'est pas du tout le cas de la grande majorité des bourgeois allemands con­vertis... Deuxièmement : lorsque ces in­dividus venant d'autres classes se rallient au mouvement prolétarien, la première chose qu'il faut exiger d'eux, c'est de n'apporter avec eux aucun ves­tige de leurs préjugés bourgeois, petits-bourgeois, etc., mais de s'approprier sans réserve les conceptions proléta­riennes. Or, ces messieurs ont démontré qu'ils sont enfoncés jusqu'au cou dans les idées bourgeoises et petites-bour­geoises... Nous ne pouvons donc mar­cher avec des gens qui expriment ouver­tement que les ouvriers sont trop incul­tes pour s'émanciper eux-mêmes et qu'ils doivent donc être libérés d'abord par en haut, par les grands et philan­thropes petits bourgeois. » ([12] [57])

L'idée que les ouvriers ne pourraient s'émanciper que grâce à l'action béné­vole d'un Etat tout puissant va de pair avec celle d'un parti de « bienfaiteurs » descendus tout droit du ciel pour libérer ces pauvres ouvriers des ténèbres de leur ignorance et de leur servitude. Elles font toutes deux partie du même emballage réformiste socialiste d'Etat que Marx et son courant ont combattu avec tant d'énergie. Il faut dire, cependant, que l'illusion selon laquelle une petite élite pourrait agir au nom de la classe ou­vrière ou à sa place, ne se limitait pas à ces éléments réformistes : elle pouvait être également défendue par des cou­rants authentiquement prolétariens et révolutionnaires, et les Blanquistes en étaient l'exemple par excellence. La version blanquiste du substitutionisme était un vestige de la première phase du mouvement révolutionnaire ; dans son Introduction à La guerre civile en France, Engels montre comment l'ex­périence vivante de la Commune de Pa­ris avait réfuté, dans la pratique, la con­ception blanquiste de la révolution :

« Elevés à l'école de la conspiration, liés par une stricte discipline qui lui est propre, (les blanquistes) partaient de cette idée qu'un nombre relativement petit d'hommes résolus et bien organi­sés était capable, le moment venu, non seulement de s'emparer du pouvoir, mais aussi,  en déployant une grande énergie et de l'audace, de s'y maintenir assez longtemps pour réussir à entraî­ner la masse du peuple dans la révolu­tion et à la rassembler autour de la pe­tite troupe directrice. Pour cela, il fal­lait avant toute autre chose la plus stricte centralisation dictatoriale de tout le pouvoir entre les mains du nou­veau gouvernement révolutionnaire. Et que fit la Commune qui, en majorité, se composait précisément de blanquistes ? Dans toutes ses proclamations aux Français de la province, elle les conviait à une libre fédération de toutes les communes françaises avec Paris, à une organisation nationale qui, pour la première fois, devait être effectivement créée par la nation elle-même. Quant à la force répressive du gouvernement naguère centralisé, l'armée, la police politique, la bureaucratie créées par Napoléon en 1798, reprises, depuis, avec reconnaissance par chaque nou­veau gouvernement et utilisées par lui contre ses adversaires, c'est justement cette force qui devait partout être ren­versée, comme elle l'avait été déjà à Paris. » ([13] [58])

Que ce qu'il y avait de meilleur chez les blanquistes ait été obligé d'aller au-delà de leur propre idéologie s'est également confirmé dans les débats au sein de l'or­gane central de la Commune : lorsqu'un membre important du Conseil de la Commune a voulu suspendre les règles démocratiques de celle-ci et ériger un « Comité de Salut public » dictatorial sur le modèle de la révolution française bourgeoise, un nombre considérable de ceux qui s'y opposèrent étaient des blanquistes - preuve qu'un courant au­thentiquement prolétarien peut être in­fluencé par le développement du mou­vement réel de la classe, chose qui est rarement arrivé dans le cas des réfor­mistes qui représentaient une tendance très matérielle de l'organisation de la classe à tomber entre les mains de son ennemi de classe.

Le contenu économique de la transformation communiste

Bien que le Programme de Gotha parle de « l'abolition du système salarié », sa vision sous-jacente de la société future était celle d'un « socialisme d'Etat ». Nous avons vu qu'il contenait la notion absurde d'un mouvement vers le socialisme au moyen de coopératives ouvrières assistées par l'Etat. Mais même lorsqu'il traite plus directement de la société socialiste future (dans la­quelle existe toujours un «Etat li­bre »...), il est incapable d'aller au-delà de la perspective d'une société essentiel­lement capitaliste, dirigée par l'Etat au bénéfice de tous. Marx est capable de détecter cela sous le couvert des belles phrases du Programme, en particulier les parties qui parlent de la nécessité que « le travail collectif soit réglementé en communauté avec partage équitable du produit » et « d'abolir le système salarié avec la loi d'airain des salaires ». Ces expressions reflètent la contribution lassallienne à la théorie économique qui était, en fait, un aban­don complet de la vision scientifique de Marx qui voit l'origine de la plus-value dans un temps de travail non payé, ex­trait des ouvriers. Les mots vides du Programme sur la «juste distribution » dissimulent le fait qu'il ne fait en réalité aucun projet pour se débarrasser des mécanismes fondamentaux de la production de valeur qui constitue la source infaillible de toute « injustice » dans la distribution des produits du tra­vail.

Contre ces confusions, Marx affirme que : «Au sein de la société coopératrice, fondée sur la propriété commune des moyens de production, les produc­teurs n'échangent pas leurs produits ; de même, le travail employé à des pro­duits n'apparaît pas davantage ici comme valeur de ces produits, comme une qualité réelle possédée par eux, puisque désormais, au rebours de ce qui se passe dans la société capitaliste, ce n'est plus par la voie d'un détour, mais directement, que les travaux de l'indi­vidu deviennent partie intégrante du travail de la communauté. L'expres­sion : "produit du travail", condamna­ble, même aujourd'hui, à cause de son ambiguïté, perd ainsi toute significa­tion. » ([14] [59])

Mais plutôt que d'offrir une vision utopique de l'abolition immédiate de toutes les catégories de la production capita­liste, Marx souligne la nécessité de dis­tinguer les phases inférieure et supé­rieure du communisme : « Ce à quoi nous avons affaire ici, c'est à une socié­té communiste non pas telle qu'elle s'est développée sur une base qui lui soit propre, mais telle qu'elle vient, au con­traire, de sortir de la société capitaliste ; par conséquent, une société qui, sous tous les rapports, économique, mo­ral, intellectuel, porte encore les mar­ques matérielles de l'ancienne société du sein de laquelle elle sort. » ([15] [60])

Dans cette phase, existe encore la pé­nurie ainsi que tous les vestiges de la « normalité »   capitaliste.   Au   niveau économique, l'ancien système salarié a été remplacé par un système de bons du travail : « le producteur reçoit donc in­dividuellement... l'équivalent exact de ce qu'il a donné à la société. Ce qu'il lui a donné, c'est son quantum indivi­duel de travail... Il reçoit de la société un bon constatant qu'il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail ef­fectué pour le fonds collectif) et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux une quantité d'objets de consommation cor­respondant à la valeur de son travail. » ([16] [61])

Comme Marx le souligne dans Le Capital, ces bons ne sont plus de l'argent au sens où ils ne peuvent ni circuler, ni être accumulés ; ils ne peuvent qu'« acheter » des articles de consommation individuels. D'une autre côté, ils ne sont pas complètement libérés des principes de l'échange de marchandises : « C'est évidemment ici le même principe que celui qui règle l'échange des marchandises pour autant qu'il est un échange de valeurs égales. Le fond et la forme diffèrent parce que, les conditions étant différentes, nul ne peut rien fournir d'autre que son travail £t que, par ailleurs, rien d'autre que des objets de consommation individuelle ne eut entrer dans la propriété de l'individu. Mais en ce qui concerne le par­tage de ces objets entre producteurs pris individuellement, le principe direc­teur est le même que pour l'échange de marchandises équivalentes : un même quantité de travail sous une forme s'échange contre une même quantité de travail sous une autre forme. Le droit égal est donc toujours ici, en principe, le droit bourgeois... » ([17] [62]) parce que, comme l'explique Marx, les ouvriers ont des besoins et des capacités très diffé­rents. C'est seulement dans la phase su­périeure du communisme, quand « toutes les sources de la richesse col­lective jailliront avec abondance, alors seulement l'étroit horizon du droit bourgeois pourra   être   complètement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux : De chacun selon ses ca­pacités, à chacun selon ses besoins !» ([18] [63])

Quelle est la cible exacte de cette polé­mique ? Ce qu'il y a derrière, c'est la conception classique du communisme non comme un « état » qui doit être im­posé mais en tant que « mouvement réel qui abolit l'état de choses existant » comme l'a exprimé L'idéologie alle­mande trente ans auparavant. Marx éla­bore donc la vision de la dictature du prolétariat comme initiant un mouve­ment vers le communisme, d'une société communiste émergeant de l'effondre­ment du capitalisme et de la révolution prolétarienne. Contre la vision socialiste d'Etat selon laquelle la société capita­liste se transforme elle-même, en quel­que sorte, en communisme à travers l'action de l'Etat opérant comme em­ployeur unique et bénévole de la société, Marx envisage une dynamique vers le communisme fondée sur une base com­muniste.

L'idée des bons du travail doit être con­sidérée à cette lumière. Dans le premier exemple, ils sont conçus comme une attaque contre la production de valeur, comme un moyen de se débarrasser de l'argent en tant que marchandise uni­verselle, pour mettre halte à la dynami­que de l'accumulation. Ils ne sont pas considérés comme un but, mais comme un moyen vers un but, moyen qui pour­rait être immédiatement introduit par la dictature du prolétariat comme première étape d'une société d'abondance qui n'aura plus besoin de mesurer la con­sommation individuelle en fonction de la production individuelle.

Au sein du mouvement révolutionnaire, il y a eu et continue d'y avoir un débat pour savoir si ce système est le plus ap­proprié pour réaliser ces buts. Pour un certain nombre de raisons, nous dirions qu'il ne l'est pas. Pour commencer, la socialisation « objective » de bien des aspects de la consommation (électricité, gaz, logement, transport, etc.) sera, dans le futur, rendue possible très rapidement par la fourniture gratuite de la plus grande part de ce genre de biens et de services, étant uniquement assujettis au contrôle de l'ensemble des réserves par les ouvriers ; de même, pour beaucoup d'articles de consommation individuels, un système de rationnement contrôlé par les conseils ouvriers aurait l'avan­tage d'être plus «collectif», moins dominé par les conventions de l'échange de valeur. Nous reviendrons là-dessus et sur d'autres problèmes dans un autre ar­ticle. Notre préoccupation principale, ici, est de mettre à nu la méthode fon­damentale de Marx : pour lui, le système des bons du travail avait une vali­dité comme moyen d'attaquer les fon­dements du système de travail salarié et c'est par rapport à ce critère qu'il doit être jugé ; en même temps, il en re­connaissait clairement les limites, parce que le communisme intégral ne peut être réalisé en une nuit, mais seulement après « une période de transition plus ou moins longue ». En ce sens, Marx est lui-même le critique le plus sévère du système des bons du travail, insistant sur le fait qu'ils n'échappent pas à « l'étroit horizon du droit bourgeois » et qu'ils incarnent la persistance de la loi de la valeur. Ici, tout faux radicalisme est fatal (et, en fait, conservateur dans la pratique) parce qu'il amènerait le prolé­tariat à mélanger des moyens temporai­res et contingents avec les buts réels. Ceci est, comme nous le verrons, une erreur dans laquelle beaucoup de révo­lutionnaires sont tombés durant la pé­riode de soi-disant communisme de guerre en Russie. Pour Marx, il fallait toujours garder en tête le but final du communisme, sinon le mouvement qui y conduit s'égarerait, et, finalement, serait pris une fois de plus dans l'orbite de la planète Capital.

Le prochain article de cette série exami­nera le combat de Marx contre la prin­cipale version du faux radicalisme à l'époque : le courant anarchiste autour de Bakounine.

CDW.

« Voila ce qui distingue les marxistes des anarchistes : les premiers tout en se proposant de supprimer complètement l'Etat, ne croient la chose réalisable qu'après la sup­pression des classes par la révolution socialiste, comme résultat de l'instauration du socialisme qui mène à la disparition de l'Etat; les seconds veulent la suppression complète de l'Etat du jour au lende­main, sans comprendre les condi­tions qui la rendent possible (...) » Lénine, L'Etat et la révolution

chap. 6, Oeuvres choisies II, Ed. Moscou.



[1] [64] Revue Internationale n° 77, 8e partie

[2] [65] Lire l'article de cette série dans la Revue Interna­tionale n° 72

[3] [66] Cf. Le Capital, Volume 3, chapitre XXXVI.

[4] [67] Anti-Dühring, Chapitre 2 : « Notions théori­ques », Editions sociales (3e édition), page 315. En­gels continue plus loin : « En poussant de plus en plus à la transformation des grands moyens de production socialisés en propriété d'Etat, (le mode de production capitaliste) montre lui-même la voie à suivre pour accomplir ce bouleversement. Le prolétariat s'empare du pouvoir d'Etat et trans­forme les moyens de production d'abord en pro­priété d'Etat », ce dont il conclut que « le premier acte dans lequel l'Etat apparaît réellement comme représentant de toute la société, - la prise de pos­session des moyens de production au nom de la société -, est en même temps son dernier acte propre en tant qu'Etat. » (ibid., pages 316 et 317). Engels se réfère ici sans aucun doute à l'Etat post-ré­volutionnaire qui se forme après la destruction du vieil Etat bourgeois. Cependant, l'expérience de la révolution russe a mené le mouvement révolutionnaire à mettre en question cette formulation même : la propriété des moyens de production même par « Etat-Commune » ne conduit pas à la disparition de l'Etat, et peut même contribuer à son renforcement et à sa perpétuation. Mais évidemment Engels ne bénéficiait pas d'une telle expérience.

[5] [68] Le Capital, Chapitre XXV, septième section, Editions La Pléiade, Tome I, page 1139. Bien que Marx utilise ici le terme « société », il ne peut que vouloir dire « pays » et non société capitaliste comme un seul tout : comme il le remarque ailleurs, un capital qui n'affronte pas d'autres capitaux, n'existe pas.

Le capitalisme ne peut exister sans la concurrence entre des unités capitalistes. De plus, l'histoire a montré que l'Etat-nation constitue le niveau le plus élevé d'unité effective que le capital puisse atteindre. Ceci a été confirmé récemment par la désintégration des blocs impérialistes formés en 1945 : une fois que la nation dominante n'est plus capable d'imposer l'unité du bloc, il éclate en différentes unités nationa­les qui le composent et sont concurrentes.

[6] [69] Introduction à La guerre civile en France, Ed. sociales, page 301.

[7] [70] Editions Spartacus, page 32.

[8] [71] « La social-démocratie allemande », Editions 10 18, page 146.

[9] [72] Critique du Programme de Gotha, Ed. Spartacus, page 33.

[10] [73] Ibid., page 34. Dans le précédent article de cette série, nous faisons référence à l'expérience de la ré­volution russe qui selon nous a montré la nécessité de faire une distinction entre l'Etat de la période de transition et la dictature du prolétariat, entre l'organe qui émane de la société transitoire et a la tâche de maintenir sa cohésion, et les instruments réels du pouvoir prolétarien (les conseils ouvriers, les comités d'usines, etc.) qui ont la tâche d'initier et de diriger le processus de transformation communiste. A certai­nes occasions, des groupes du milieu prolétarien ont utilisé ce passage de la Critique du Programme de Gotha (c'est-à-dire que l'Etat ne peut être que la dictature du prolétariat) pour argumenter contre cette distinction qui serait en contradiction avec Marx et le marxisme. En réponse, nous ne pouvons qu'affirmer que le mouvement réel de la classe a clarifié cette question dans la pratique ainsi qu'en théorie ; mais il est également important de comprendre le contexte historique de ce passage qui était une polémique contre ceux qui voulaient laisser l'Etat bourgeois existant tel quel et avaient peur de l'idée même de révolution.

[11] [74] Editions sociales, pages 57-58.

[12] [75] « Circulaire à A. Bebel », idem note 8, pages 147-148-149.

[13] [76] Idem note 6, pages 299-300.

[14] [77] Idem note 9, pages 21 -22.

[15] [78] Idem

[16] [79] Idem

[17] [80] Idem

[18] [81] Idem, page 24.

Approfondir: 

  • Le communisme : une nécessité matérielle [82]

Questions théoriques: 

  • Communisme [83]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [45]

URL source:https://fr.internationalism.org/content/revue-internationale-no-78-3e-trimestre-1994

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/rinte78/edito.htm#_ftn1 [2] https://fr.internationalism.org/rinte78/edito.htm#_ftn2 [3] https://fr.internationalism.org/rinte78/edito.htm#_ftnref1 [4] https://fr.internationalism.org/rinte78/edito.htm#_ftnref2 [5] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decomposition [6] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/guerre [7] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftn1 [8] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftn2 [9] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftn3 [10] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftn4 [11] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftn5 [12] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftn6 [13] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftnref1 [14] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftnref2 [15] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftnref3 [16] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftnref4 [17] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftnref5 [18] https://fr.internationalism.org/rinte78/crise.htm#_ftnref6 [19] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/crise-economique [20] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/decadence [21] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn1 [22] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn2 [23] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn3 [24] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn4 [25] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn5 [26] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn6 [27] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn7 [28] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftn8 [29] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref1 [30] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref2 [31] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref3 [32] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref4 [33] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref5 [34] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref6 [35] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref7 [36] https://fr.internationalism.org/rinte78/commemo.htm#_ftnref8 [37] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/deuxieme-guerre-mondiale [38] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/imperialisme [39] https://fr.internationalism.org/rinte78/decad.htm#_ftn1 [40] https://fr.internationalism.org/rinte78/decad.htm#_ftn2 [41] https://fr.internationalism.org/rinte78/decad.htm#_ftnref1 [42] https://fr.internationalism.org/rinte78/decad.htm#_ftnref2 [43] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/bordiguisme [44] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/polemique-milieu-politique-decadence [45] https://fr.internationalism.org/tag/heritage-gauche-communiste/marxisme-theorie-revolution [46] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn1 [47] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn2 [48] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn3 [49] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn4 [50] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn5 [51] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn6 [52] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn7 [53] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn8 [54] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn9 [55] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn10 [56] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn11 [57] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn12 [58] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn13 [59] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn14 [60] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn15 [61] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn16 [62] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn17 [63] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftn18 [64] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref1 [65] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref2 [66] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref3 [67] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref4 [68] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref5 [69] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref6 [70] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref7 [71] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref8 [72] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref9 [73] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref10 [74] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref11 [75] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref12 [76] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref13 [77] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref14 [78] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref15 [79] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref16 [80] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref17 [81] https://fr.internationalism.org/rinte19/comm.htm#_ftnref18 [82] https://fr.internationalism.org/tag/approfondir/communisme-necessite-materielle [83] https://fr.internationalism.org/tag/questions-theoriques/communisme