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ICConline - février 2024

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Colère des agriculteurs: Un cri de désespoir instrumentalisé contre la conscience ouvrière!

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Depuis le début de l’année, les agriculteurs se mobilisent contre la baisse de leurs revenus. Parti d’Allemagne suite à la suppression des subventions sur le diesel agricole, le mouvement touche désormais la France, la Belgique et les Pays-Bas, et commence à se propager à toute l’Europe. Les agriculteurs sont vent debout contre les taxes et les normes environnementales.

Les plus petits producteurs, étranglés par les prix d’achat de l’industrie agro-alimentaire et la politique de concentration des exploitations sont plongés de longue date dans une pauvreté parfois extrême. Mais avec l’accélération de la crise et la flambée des coûts de production, les conséquences du dérèglement climatiques et du conflit en Ukraine, la situation s’est encore fortement aggravée, au point que même les propriétaires d’exploitations moyennes sombrent à leur tour dans la misère. Des milliers de paysans vivent ainsi un quotidien de privation et d’anxiété qui pousse même nombre d’entre eux au suicide.

Un mouvement sans aucune perspective

Si personne ne peut rester insensible face à la détresse d’une partie du monde agricole, il est aussi de la responsabilité des organisations révolutionnaires de le dire clairement : oui, les petits paysans souffrent énormément de la crise ! Oui, leur colère est immense ! Mais ce mouvement ne se situe pas sur le terrain de la classe ouvrière et ne peut tracer aucune perspective pour son combat. Pire, la bourgeoisie instrumentalise la colère des paysans pour mener une véritable attaque idéologique contre le prolétariat !

Depuis que les travailleurs en Grande-Bretagne ont ouvert la voie à l’été 2022, les mobilisations ouvrières n’ont cessé de se multiplier face aux coups de butoir de la crise : d’abord en France, puis aux États-Unis, au Canada, en Suède et en Finlande récemment. Actuellement, l’Europe connaît une série de mobilisations ouvrières : en Allemagne, les cheminots se sont engagés dans une grève massive, suivis par les pilotes de lignes de la Lufthansa ; la plus grande grève de l’histoire d’Irlande du Nord a éclaté en janvier ; en Espagne et en Italie, les mobilisations se poursuivent dans les transports, tout comme dans le métro de Londres ou le secteur de la métallurgie en Turquie. La plupart de ces luttes sont d’une ampleur jamais vue depuis trois ou quatre décennies. Partout, les grèves et les manifestations éclatent, avec un développement balbutiant mais inédit de la solidarité entre les secteurs, voire par-delà les frontières…

Comment réagit la bourgeoisie face à ces événements historiques ? Par un immense silence médiatique ! Un véritable black-out ! En revanche, il n’aura fallu, initialement, que quelques sporadiques mobilisations paysannes pour que la presse internationale et toutes les cliques politiciennes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, se jettent sur l’événement et fasse aussitôt monter la pression pour tenter de mieux occulter tout le reste.

Des petits paysans aux propriétaires de grandes exploitations modernes, bien que directement en concurrence, tous se sont retrouvés, avec la sainte onction des médias, autour des mêmes idoles sacrées : la défense de leur propriété privée et de la nation !

Ni les petits paysans ni les petits patrons ne sont porteurs d’un quelconque avenir face à la crise insoluble du capitalisme. Bien au contraire ! Leurs intérêts sont intimement liés à ceux du capitalisme, même si celui-ci, particulièrement sous l’effet de la crise, tend à faire disparaître les exploitations les plus fragiles et à plonger dans la misère une masse croissante d’entre eux. Aux yeux des paysans pauvres, le salut réside dans la défense désespérée de leur exploitation. Et, face à la férocité de la concurrence internationale, face aux très faibles coûts de la production asiatique, africaine ou sud-américaine, leur survie ne dépend que de la défense de « l’agriculture nationale ». Toutes les revendications des agriculteurs, contre « les charges », contre « les impôts », contre « les normes de Bruxelles », toutes ont pour point commun la préservation de leur propriété, petite ou grande, et la protection des frontières contre les importations étrangères. En Roumanie ou en Pologne, par exemple, les agriculteurs dénoncent la « concurrence déloyale » de l’Ukraine, accusée de brader le prix des céréales. En Europe de l’Ouest, ce sont les traités de libre échange qui sont pris pour cible, ainsi que les poids lourds et les marchandises venus de l’étranger. Et tout cela, avec le drapeau national brandit fièrement et des discours infâmes sur le « vrai travail », « l’égoïsme des consommateurs » et des « urbains » ! Voilà pourquoi, les gouvernements et les politiciens de tout bord, si promptes à dénoncer le moindre feu de poubelle et faire pleuvoir les coups de matraques quand la classe ouvrière est en lutte, se sont précipités au chevet de la « colère légitime ».

Un pas de plus dans le chaos social

La situation est néanmoins très préoccupante pour la bourgeoisie européenne. La crise du capitalisme ne va pas cesser. La petite-bourgeoisie et des petits patrons vont sombrer toujours plus nombreux dans la misère. Les révoltes des petits propriétaires acculés ne peuvent que se multiplier à l’avenir et contribuer à accroître le chaos dans lequel plonge la société capitaliste. Cette réalité se constate déjà à travers les destructions aveugles ou les tentatives « d’affamer » les villes.

Surtout, ce mouvement nourrit très clairement le discours des partis d’extrême-droites partout en Europe. Dans les prochaines années, plusieurs pays pourraient basculer dans le populisme et la bourgeoisie sait parfaitement qu’un triomphe de l’extrême-droite aux prochaines élections européennes contribuerait à renforcer davantage la perte de contrôle de la bourgeoisie sur la société, à effriter sa capacité à maintenir l’ordre et assurer la cohésion de la nation.

En France, là où le mouvement semble le plus radical, l’État cherche par tous les moyens à contenir la colère des agriculteurs, alors que l’atmosphère sociale est particulièrement tendue. Les forces de l’ordre sont ainsi priées d’éviter les affrontements et le gouvernement multiplie les « annonces », y compris les plus ignobles (emploi accru de la main d’œuvre étrangère sous-payée, arrêt de la moindre politique en faveur de l’environnement…). En Allemagne, pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, Scholz a dû reculer en partie sur le prix du gazole agricole, tout comme l’Union européenne sur les normes environnementales.

Après la révolte, en 2013, des petits patrons bretons en « bonnets rouges », (1) puis le mouvement interclassiste des « gilets jaunes » (2) partout en France, c’est désormais l’Europe entière qui est touché par une poussée de violence de la petite-bourgeoisie sans aucune autre perspective que de mettre la pagaille. Le mouvement des agriculteurs représente donc bel et bien un pas supplémentaire dans la désagrégation du monde capitaliste. Mais, comme de nombreuses expressions de la crise de son système, la bourgeoisie instrumentalise le mouvement des agriculteurs contre la classe ouvrière.

Le prolétariat peut-il profiter de la “brèche ouverte par les agriculteurs” ?

Alors que la classe ouvrière reprend massivement le chemin de la lutte partout dans le monde, la bourgeoisie tente de saper le mûrissement de sa conscience, de pourrir sa réflexion sur son identité, sa solidarité et ses méthodes de lutte, en instrumentalisant la mobilisation des paysans. Et pour ce faire, elle peut, encore et toujours, compter sur ses syndicats et ses partis de gauche, trotskistes et staliniens en tête.

La CGT française a ainsi rapidement appelé les ouvriers à rejoindre le mouvement, tandis les trotskistes de Révolution Permanente titraient vaillamment : « Les agriculteurs terrorisent le gouvernement, le mouvement ouvrier doit profiter de la brèche ». Allons bon ! Si la bourgeoisie craint la dynamique de chaos social contenu dans ce mouvement, qui peut croire qu’une petite minorité de la population, attachée à la propriété privée, pourraient effrayer l’État et son énorme appareil de répression ?

Le mouvement des « bonnets rouges » ou celui des « gilets jaunes » ont illustré à eux seuls la capacité de la bourgeoisie à instrumentaliser et stimuler une « peur » bien calculée pour crédibiliser un gros mensonge contre la classe ouvrière : vos manifestations massives et le baratin de vos assemblées générales ne servent à rien ! Ainsi on voudrait nous faire croire que la bourgeoisie ne craint rien de plus que les blocages et les actions coups de poing minoritaires. Rien n’est plus faux ! Et cela tombe bien, car ces méthodes sont typiquement celles qu’utilisent les syndicats pour diviser et déverser la colère des ouvriers dans des actions parfaitement stériles. Les actes de destruction aveugle ne sapent en rien les fondements du capitalisme et ne contribuent pas à préparer son renversement. Ils sont comme des piqûres d’insectes sur la peau d’un éléphant justifiant toujours plus de répression.

Mais la bourgeoisie ne se contente pas de saboter la réflexion du prolétariat sur les moyens de sa lutte, elle cherche aussi à faire reculer le sentiment qui commence à se développer à travers ses mobilisations, celui d’appartenir à une même classe, victimes des mêmes attaques et contrainte de se battre unie et solidaire. Les partis de gauche s’empressent donc de refourguer leur vielle camelote frelatée sur la « convergence » des luttes du « petit peuple » contre les « riches ».

À propos des manifestations en Allemagne, les trotskistes italiens de La Voce delle Lotte ont ainsi pu écrire que « des actions paysannes massives et des grèves de cheminots ont lieu simultanément. Une alliance entre ces deux secteurs stratégiques aurait une énorme force de frappe ». Toujours les mêmes balivernes ! Ces traditionnels appels à la « convergence » n’ont pour finalité que de noyer la lutte de la classe ouvrière dans la révolte « populaire ».

Malgré tout, la bourgeoisie est confrontée à une grande méfiance des ouvriers à l’égard d’un mouvement peu réprimé (contrairement aux manifestations ouvrières) et qui flirte avec l’extrême-droite et des discours très réactionnaires. Les syndicats et la gauche ont donc dû s’employer à toute sorte de contorsions pour prendre quelques distances avec le mouvement, tout en cherchant à pousser les prolétaires à « s’engouffrer dans la brèche » à travers des grèves en ordre dispersé, corporation par corporation.

La mobilisation des agriculteurs ne peut en aucune façon être un tremplin pour la lutte de la classe ouvrière. Au contraire, les prolétaires qui se laisseraient embarquer derrière les mots d’ordre et les méthodes des agriculteurs, dilués dans des couches sociales fondamentalement opposées à toute perspective révolutionnaire, ne pourraient que subir impuissants la pression du nationalisme et de toutes les idéologies réactionnaires charriées par ce mouvement.

La responsabilité des révolutionnaires envers la classe ouvrière s’exprime inlassablement dans la mise en lumière des pièges qui jalonnent tout son combat et qui, hélas, vont le jalonner encore longtemps. Avec l’approfondissement de la crise, de nombreuses couches sociales, non exploiteuses mais non révolutionnaires, vont être amenées, comme les agriculteurs aujourd’hui, à se révolter, sans avoir la capacité d’offrir une véritable perspective politique à la société. Sur ce terrain stérile, le prolétariat ne peut être que perdant. Seule, la défense de son autonomie de classe exploitée et révolutionnaire peut lui permettre d’élargir toujours plus sa lutte et d’agréger, à terme, d’autres couches à son propre combat contre le capitalisme.

EG, 31 janvier 2024

 

 

1 « Les bonnets rouges : une attaque idéologique contre la conscience ouvrière [1] », Révolution internationale n° 444 (2014).

2 « Bilan du mouvement des “gilets jaunes”: Un mouvement interclassiste, une entrave à la lutte de classe [2] », Supplément à Révolution internationale n° 478 (2019).

Géographique: 

  • Europe [3]

Récent et en cours: 

  • Mobilisation des agriculteurs en Europe [4]

Rubrique: 

Mobilisation des agriculteurs en Europe

Correspondance avec Initiative antimilitariste

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Nous publions ici notre réponse à un message de "Initiative antimilitariste"[1], un réseau principalement basé en Europe de l'Est, qui s'inscrit dans une remise en cause plus large de la logique guerrière du capitalisme à la suite des guerres en Ukraine et au Moyen-Orient. Toute une série de groupes, dont la plupart s'identifient à la tradition anarchiste, ont publié des déclarations et appelé à des conférences pour discuter de "ce qu'il faut faire" face aux perspectives de plus en plus catastrophiques ouvertes par ces guerres.

Nous nous félicitons que le blog de l'AMI ait publié un certain nombre d'articles du CCI sur la guerre et l'internationalisme, notamment une interview de Marc Chirik sur les révolutionnaires face à la Seconde Guerre mondiale, et un article montrant les profondes divergences que la guerre en Ukraine a révélées au sein de la "famille" anarchiste, entre ceux qui cherchent à adopter une position internationaliste claire et ceux qui prônent ouvertement la défense de l'État ukrainien[2]. Dans notre réponse, nous encourageons l'AMI à développer davantage les discussions en cours dans ses rangs, tout en plaidant pour la nécessité de développer une analyse globale qui situe ces guerres dans un contexte historique et mondial. Seule cette analyse peut nous permettre de comprendre les perspectives offertes par le système capitaliste, et surtout les possibilités réelles de lutte de classe et d'intervention des révolutionnaires face à la guerre impérialiste. Sans une telle analyse, il est facile de tomber dans un activisme stérile qui ne peut que déboucher sur la démoralisation étant donné son inévitable incapacité à produire des résultats immédiats.

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De CCI à AMI

Chers camarades,

Désolés pour le retard de notre réponse.

Vous avez mentionné dans votre dernière correspondance que vous discutez des questions suivantes :

  1. Analyse de l'escalade des conflits au Moyen-Orient
  2. Comment organiser des actions pratiques contre les guerres capitalistes ?
  3. Comment transformer les conflits inter-impérialistes en une lutte de classe révolutionnaire ?

Nous aimerions vous soumettre quelques points clés pour contribuer à vos débats.

1) Analyse de l'escalade du conflit au Moyen-Orient

Nous avons publié plusieurs articles d'analyse de la situation - au cas où vous ne les auriez pas vus, nous avons mis les liens à la fin de ce texte.

À partir de ces articles, nous pouvons souligner quelques questions.

La dernière guerre au Moyen-Orient - qui se déroule en même temps que la guerre en Ukraine (laquelle va entrer dans sa troisième année) et les tensions croissantes dans le Caucase, les Balkans et ailleurs - ne peut être déconnectée de la confrontation mondiale entre les États-Unis et la Chine.

Mais, alors que les États-Unis ont été confrontés à plusieurs fiascos au Moyen-Orient (Irak-Syrie-Afghanistan) et ont décidé de concentrer leurs forces pour empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale - ce qui signifie détrôner les États-Unis - la dernière escalade au Moyen-Orient est en quelque sorte une guerre "non désirée" pour les États-Unis.

En particulier, la position des États-Unis au Moyen-Orient a été affaiblie par la façon dont Israël a procédé (en imposant l'exode le plus important jamais réalisé de la population de Gaza et en exerçant des représailles brutales par le biais d'une politique de la terre brûlée).

Par ailleurs, les États-Unis ont entraîné la Russie dans la guerre en Ukraine. La Russie a essayé de reconquérir ses positions perdues à l'époque de l'existence des deux blocs - elle ne peut le faire que militairement - comme elle l'a déjà montré en soutenant farouchement le régime syrien. Cette guerre entre l'Ukraine et la Russie pose aujourd'hui des difficultés croissantes - parce qu'elle est devenue une guerre stagnante et que le soutien à l'Ukraine est devenu de plus en plus impopulaire aux États-Unis.

La montée en puissance de la Chine ne s'est pas faite uniquement grâce à son énorme croissance économique. Elle s'est toujours accompagnée d'une stratégie à long terme de modernisation et d'expansion de son armée, et ses projets de "Route de la soie" révèlent l'ampleur de ses ambitions, tout comme sa volonté d'intégrer Taïwan à la Chine et sa politique de renforcement de sa présence dans la mer de Chine méridionale, toutes choses auxquelles les pays occidentaux se sont opposés. L'Union Européenne, les États-Unis et l'Inde ont adopté l'un après l'autre des projets visant à contrecarrer la Route de la soie.

Nous pouvons constater une aggravation des tensions à l'échelle mondiale, qui engloutissent de plus en plus de pays, et la dernière guerre au Moyen-Orient montre également que les États-Unis perdent de plus en plus le contrôle de leur gendarme (Israël) dans la région. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre froide et des nombreuses guerres par procuration qui ont suivi, le militarisme est devenu le mode de survie du système et un véritable cancer qui en ronge le cœur.

Cette dynamique à elle seule montre déjà que nous ne pourrons pas éradiquer le cancer du militarisme si le système n'est pas vaincu.

Dans le même temps, lorsque les principaux politiciens et "experts" se réunissent à Dubaï pour la conférence COP 28, ils montrent que la classe dirigeante est incapable et largement réticente à prendre les mesures nécessaires pour protéger la planète. Laisser le destin de notre planète entre les mains de la classe capitaliste, c'est signer l'arrêt de mort de l'humanité, une raison supplémentaire et urgente de dépasser le système capitaliste.

Nous ne reviendrons pas sur les effets de la crise économique, de la famine, de l'exode massif des réfugiés que nous constatons sur tous les continents, qui sont autant d'expressions de la même impasse dans laquelle le système a conduit l'humanité.

En bref : il n'est pas possible de comprendre ce qui se passe si nous ne regardons qu'un seul aspect, mais nous devons voir la totalité et l'interconnexion entre les différentes composantes destructrices.

Comment voyez-vous ce lien et cette évolution globale à l'échelle mondiale ? Pouvons-nous comprendre les événements dans un pays en les isolant du reste, ou devons-nous les situer dans un cadre global ?

Quelle est votre analyse ? Quels débats avez-vous entre vous à ce sujet ?

Comment voyez-vous ce lien et cette évolution mondiale ? Peut-on comprendre les événements d'un pays en les isolant des autres, ou faut-il les replacer dans un cadre global ?

Nous avons également remarqué que si plusieurs groupes ont réussi à prendre une position claire sur la guerre entre l'Ukraine et la Russie, rejetant le soutien aux deux parties, une position internationaliste claire comme de l'eau de roche contre la guerre au Moyen-Orient a été évitée ou beaucoup plus difficile à prendre pour certains groupes. L'une des raisons est que de nombreux groupes s'accrochent encore à l'idée qu'il pourrait y avoir quelque chose de progressiste derrière la formation d'un État palestinien. Nous défendons la position de la gauche communiste qui, dans la continuité de la défense de l'internationalisme à l'époque de la Première Guerre mondiale, a également défendu l'internationalisme à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale et contre les soi-disant luttes de libération nationale. Le soutien à la formation de tout nouvel État dans ce que la Troisième Internationale a appelé "l'époque des guerres et des révolutions" est une idée totalement réactionnaire, qui ne fait qu'encourager de nouvelles guerres ; nous devons nous prononcer pour l'abolition de tous les États. La survie de la planète - de l'humanité - ne peut être assurée par davantage d'États, mais exige précisément l'abolition de tous les États et du nationalisme.

C'était la tradition de la Gauche Communiste de France et de Marc Chirik, dont vous avez publié récemment l'interview.

2) La question des "actions pratiques" contre les guerres capitalistes

Nous aimerions pouvoir faire quelque chose d'immédiat contre la guerre. Notre indignation et notre révolte face aux actes de barbarie en Ukraine ou au Proche-Orient nous poussent à vouloir pouvoir arrêter la machine de guerre tout de suite !

Mais nous devons comprendre que l'indignation ne suffit pas et qu'il n'est pas réaliste d'attendre de la classe ouvrière qu'elle prenne des mesures immédiates, décisives et efficaces contre la guerre sur une base à court terme. Pour pouvoir mettre fin à cette guerre et à toutes les autres, il ne faut rien de moins que renverser le système !

Pour comprendre l'ampleur réelle du défi et la solution nécessaire, il faut revenir à l'histoire.

Il est vrai que les insurrections et les révolutions de la classe ouvrière en 1905 ou pendant la Première Guerre mondiale sont nées d'une réaction contre la guerre. Mais les conditions de la Première Guerre mondiale et celles d'aujourd'hui sont très différentes. Lors de la Première Guerre mondiale, des millions de soldats ont été mobilisés au cœur du capital, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Les armes utilisées pendant la Première Guerre mondiale étaient des canons, de plus en plus de chars, ainsi que des raids aériens et des armes chimiques (gaz). Mais dans les tranchées, les combats se déroulaient toujours "fusil contre fusil". La guerre s'est "enracinée", a stagné, et il y avait encore la possibilité d'un contact direct (cris entre les tranchées). Au bout d'un certain temps, il pouvait donc y avoir une fraternisation dans les tranchées.

Tout cela n'est plus le cas aujourd'hui. Les armes (balles, missiles, drones, bombes, avions, etc.) peuvent voyager sur de longues distances, de sorte que les soldats ne voient même pas l'ennemi.

Lors de la Première Guerre mondiale, les soldats se sont mobilisés massivement au bout d'un certain temps - et pas seulement par désertion. À partir de 1915, les protestations se multiplient dans les rues et les usines, car la guerre est synonyme d'intensification du travail, de militarisation, de "paix sociale" imposée dans les usines et, surtout, de famine. Liebknecht réunit 60 000 ouvriers sur la place de Potsdam, et de plus en plus de manifestations de rue et de grèves sauvages éclatent - le nombre élevé de femmes enrôlées dans les usines jouant également un rôle important. L'ensemble du front militaire et du front intérieur se désagrège. En Russie, les ouvriers commencent à se battre contre les officiers et à fraterniser ; les nombreux paysans qui ont été enrôlés de force réagissent également contre la guerre. Le facteur humain/social joue un rôle essentiel dans la machinerie de guerre. D'août 1914 à février 1917, puis octobre 1917, trois années de massacres se sont écoulées, et même la révolution en Russie n'a pas encore pu arrêter la guerre sur les autres fronts. Ce n'est qu'en novembre 1918, avec l'éclatement de la révolution en Allemagne, que les choses ont pris un tournant décisif pour mettre fin à la guerre mondiale. Les soldats et les marines de Kiel avaient reçu l'ordre de livrer la "dernière bataille" contre l'Angleterre, mais les marins ont compris que cela signifierait leur mort. Les soldats ont donc dû se battre directement pour leur vie, pour leur survie. La combinaison d'un début de fraternisation sur le front militaire et de l'éclatement des luttes sur le front intérieur a forcé la bourgeoisie allemande à réagir.

Ces conditions ne sont plus réunies aujourd'hui. De plus en plus de soldats sont recrutés en Ukraine et en Russie, et il n'y a pas encore eu de réaction significative contre la guerre - même s'il y a eu un exode massif d'hommes d'Ukraine et bien plus encore de Russie pour échapper au recrutement forcé. Une résistance ouverte et massive contre la guerre en Russie reste à venir. Pour l'instant, il semble qu'il n'y ait pas encore de pénurie alimentaire majeure, ni d'effondrement de l'économie. C'est une spécificité de la situation en Russie que l'économie ait été si fortement dépendante des approvisionnements en pétrole et en gaz, de sorte que les sanctions de l'Occident / des États-Unis ont forcé la Russie à vendre davantage à d'autres pays - ce qui a aidé la Russie à gagner du temps et a aidé le régime de Poutine à éviter d'imposer une attaque économique massive à la classe ouvrière. Mais ce "gain de temps" ne durera probablement pas éternellement et la réaction de la classe ouvrière en Russie, qui serait un facteur clé pour s'opposer à la guerre, reste un facteur inconnu et imprévisible. La classe ouvrière ukrainienne est encore plus confrontée à un nationalisme omniprésent. Toute résistance à la guerre risque d'être écrasée par le régime de Zelensky.

C'est pourquoi nous devons nous tourner vers la classe ouvrière de l'Ouest. Parce que la classe ouvrière occidentale ne peut pas être mobilisée directement pour la guerre - la plupart des travailleurs refuseraient de sacrifier leur vie pour la guerre - et parce que les pays de l'OTAN ont soigneusement évité d'envoyer des troupes sur le terrain parce qu'ils savent que la classe ouvrière et peut-être d'autres parties de la population occidentale ne soutiendraient pas une telle démarche. Ainsi, l'Occident a surtout fourni tout l'arsenal nécessaire à la prolongation de la guerre.

Paradoxalement, les réactions du parti républicain aux États-Unis sont très révélatrices. Ils s'opposent de plus en plus à la poursuite du financement de la guerre en Ukraine, car ils estiment que cela se ferait au détriment de l'économie américaine. Ils estiment également que la classe ouvrière n'est pas disposée à sacrifier ses vies, à souffrir de la faim, etc. pour la guerre en Ukraine.

Un autre facteur doit être pris en considération. En Russie, en octobre 1917, la classe ouvrière est parvenue à renverser une bourgeoisie relativement faible et encore isolée à l'époque. La contre-offensive des Blancs, avec la guerre civile, n'a commencé qu'un an plus tard.

Mais la bourgeoisie allemande était beaucoup plus expérimentée et plus puissante et elle a pu mettre fin à la guerre "du jour au lendemain", en novembre 1918, lorsque les marins de Kiel ont commencé à se déplacer et que les soldats et les conseils ouvriers ont commencé à se mettre en place, empruntant la voie de la révolution russe.

Le prolétariat allemand était donc confronté à une bourgeoisie beaucoup plus rusée et intelligente, qui a obtenu le soutien des autres bourgeoisies dès que le prolétariat a commencé à relever la tête en Allemagne.

Aujourd'hui, la classe ouvrière est confrontée à une classe capitaliste de plus en plus pourrie et décomposée, mais malgré sa pourriture, elle est plus déterminée que jamais à unir ses forces si son ennemi mortel, la classe ouvrière, relève la tête. Et ils peuvent aussi compter sur les syndicats, les partis de gauche, etc. pour saboter les luttes des travailleurs. Il ne faut donc pas s'attendre à une dynamique immédiate de radicalisation des luttes contre la guerre.

3) Comment transformer les conflits inter-impérialistes en une lutte de classe révolutionnaire ?

Où se trouve la clé ?

La clé est toujours entre les mains de la classe ouvrière.

Nous pensons que les travailleurs de Grande-Bretagne, de France et, plus récemment, des États-Unis ont commencé à en apporter la preuve. Parce que poussés par l'inflation ou d'autres fortes attaques, les travailleurs de nombreux pays ont commencé à se lever et à rompre une période de plusieurs décennies de passivité et de désorientation face au déroulement des événements. C'est pourquoi nous parlons de "rupture"[3].

Et nous pensons que cette capacité de la classe ouvrière à défendre ses intérêts économiques est la PRÉCONDITION au développement de sa force, de sa confiance en soi, par laquelle la classe peut se reconnaître et comprendre clairement qu'il y a deux classes qui s'opposent l'une à l'autre.

En ce sens, les luttes économiques défensives sont absolument nécessaires. C'est au cours de ces luttes économiques que les travailleurs doivent apprendre à prendre les luttes en main (ce qu'ils n'ont pas fait depuis longtemps), qu'ils doivent réapprendre à identifier leurs véritables ennemis (s'agit-il des migrants, des réfugiés - comme le prétendent tous les populistes et la droite - ou de ceux qui les exploitent ?) et leurs frères et sœurs de classe qui peuvent développer une solidarité de classe en s'unissant et en prenant en charge les luttes eux-mêmes.

Et c'est à travers les luttes économiques défensives que les travailleurs doivent réapprendre à découvrir que la racine des problèmes sont bien plus profondément enracinés dans le système et ne sont pas la faute de quelque banquier pourri et cupide (comme le Mouvement Occupy de 2011 a essayé de nous le faire croire), et aussi que toutes les autres menaces à la survie de l'humanité sont fondamentalement enracinées dans le système. Ce processus de politisation a donc besoin du véritable "feu de la lutte des classes", mais les discussions en cours dans les différentes couches de la classe peuvent être propulsées et catalysées par ces luttes ouvertes.

Rosa Luxemburg a insisté en novembre/décembre 1918 sur le fait qu'il était indispensable que la pression exercée par les usines et les luttes économiques soit beaucoup plus forte, une fois que la "révolution des soldats" s'était essoufflée avec la décision de la bourgeoisie de mettre fin à la guerre.

Telle est la dynamique de la lutte des classes depuis 1905, lorsqu'il est devenu évident que les luttes politiques et économiques devaient se fondre en un seul et même courant - la grève de masse.

En se rassemblant en tant que classe et en luttant pour ses intérêts économiques, la classe ouvrière peut également bloquer l'influence destructrice de toutes sortes de facteurs de division tels que les questions "identitaires" (autour de la race, du sexe, etc.). En étant forcée, par ses luttes économiques, de rechercher la solidarité de tous les autres travailleurs pour s'opposer à l'État et être plus forte que la classe capitaliste par l'extension et l'unification des luttes, la classe ouvrière peut jouer le rôle d'un aimant dans la société, en offrant une perspective à tous ceux qui sont opprimés par le capital - non pas en se dissolvant dans une masse anonyme d'individus, mais en agissant comme une force unie contre la classe dirigeante.

Si nous insistons sur la nécessité pour la classe de développer ses luttes économiques, ce n'est pas que nous fuyons notre responsabilité vis-à-vis de la guerre. Mais c'est la seule façon de développer une réponse efficace. Croire qu'une solution immédiate peut être trouvée par une sorte d'"Action" minoritaire est une impasse, et finira par démoraliser ceux qui y participent.

Il est indispensable de comprendre, comme le soulignait Pannekoek dans son célèbre livre Révolution mondiale et tactique communiste de 1920, que la révolution prolétarienne est la première révolution de l'histoire qui dépende entièrement de l'action collective, consciente et massive de la classe ouvrière. Elle ne peut compter sur aucune autre force que sa propre force - sa conscience et sa solidarité, sa capacité d'unification.

Créer des illusions sur une issue facile et rapide est trompeur et démoralisant. C'est pourquoi nous avons rejeté le projet de la Tendance Communiste Internationaliste de créer des comités contre la guerre. Selon nous, ces comités rendent confus le rôle essentiellement politique que les organisations révolutionnaires doivent jouer face aux guerres impérialistes. Nous avons écrit plusieurs articles à ce sujet.[4]

Peu après la guerre, nous avons également pris position sur cette question dans un article intitulé "Militarisme et décomposition", que nous citons ici :

"Par le passé nous avons fait la critique du mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire". Ce mot d'ordre mis en avant au cours de la Première Guerre mondiale, notamment par Lénine, se basait sur une préoccupation fondamentalement internationaliste : la dénonciation des mensonges colportés par les social-chauvins affirmant qu'il était nécessaire que leur pays remporte préalablement la victoire pour permettre aux prolétaires de ce pays de s'engager dans le combat pour le socialisme. Face à ces mensonges, les internationalistes ont mis en relief que ce n'était pas la victoire d'un pays qui favorisait le combat des prolétaires de ce pays contre leur bourgeoisie mais au contraire sa défaite (comme l'avaient illustré les exemples de la Commune de Paris après la défaite face à la Prusse et de la Révolution de 1905 suite à la débâcle de la Russie face au Japon). Par la suite, ce mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" a été interprété comme le souhait par le prolétariat de chaque pays de voir sa propre bourgeoisie être défaite afin de favoriser le combat pour le renversement de celle-ci ce qui, évidemment, tourne le dos à un véritable internationalisme. En réalité, Lénine lui-même (qui en 1905 avait salué la défaite de la Russie face au Japon) a surtout mis en avant le mot d'ordre de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" qui constituait une concrétisation de l'amendement que, en compagnie de Rosa Luxemburg et de Martov, il avait présenté et fait adopter au Congrès de Stuttgart de l'Internationale Socialiste en 1907 : "Au cas où la guerre éclaterait néanmoins [les partis socialistes] ont le devoir de s’entremettre pour la faire cesser promptement et d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste.

La révolution en Russie de 1917 a constitué une concrétisation éclatante du mot d'ordre "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" : les prolétaires ont retourné contre leurs exploiteurs les armes que ces derniers leur avaient confiées pour massacrer leurs frères de classe des autres pays. Cela-dit, comme on l'a vu plus haut, même s'il n'est pas exclu que des soldats puissent encore retourner leurs armes contre leurs officiers (pendant la Guerre du Vietnam, il est arrivé que des soldats américains tuent "par accident" des supérieurs hiérarchiques), de tels faits ne pourraient être que d'ampleur très limitée et ne pourraient constituer en aucune façon la base d'une offensive révolutionnaire. C'est pour cette raison que, dans notre propagande, il convient de ne pas mettre en avant non seulement le mot d'ordre de "défaitisme révolutionnaire" mais aussi celui de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile".

Plus généralement, il est de la responsabilité des groupes de la Gauche communiste de faire le bilan du positionnement des révolutionnaires face à la guerre dans le passé en mettant en évidence ce qui reste valable (la défense des principes internationalistes) et ce qui ne l'est plus (les mots d'ordre "tactiques"). En ce sens, si le mot d'ordre de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" ne peut dorénavant constituer une perspective réaliste, il convient en revanche de souligner la validité de l'amendement adopté au Congrès de Stuttgart en 1907 et particulièrement l'idée que les révolutionnaires "ont le devoir d’utiliser de toutes leurs forces la crise économique et politique créée par la guerre pour agiter les couches populaires les plus profondes et précipiter la chute de la domination capitaliste". Ce mot d'ordre n'est évidemment pas réalisable dans l'immédiat compte-tenu de la situation de faiblesse actuelle du prolétariat, mais il reste un poteau indicateur pour l'intervention des communistes dans la classe."[5] "

Quant à ce que cela signifie pour le rôle des révolutionnaires, qui sont nécessairement une petite minorité, nous avons essayé de le développer dans notre Déclaration commune contre la guerre en Ukraine et dans notre Appel aux groupes de la Gauche communiste, que vous avez peut-être vus.[6]

Nous serions heureux que vous nous fassiez part des discussions dans vos rangs et nous sommes bien sûr désireux de discuter avec vous directement. Si vous avez des documents que vous nous recommandez de lire, n'hésitez pas à nous les envoyer.

J'espère que nous pourrons bientôt mettre en place un échange direct.

Dans l'attente de votre réponse... et encore une fois désolé pour cette réponse tardive.

Salutations communistes

Le CCI (10 / 12 / 2023)

Sélection de textes

Le capitalisme mène à la destruction de l'humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin [5]

  • Massacres et guerres en Israël, à Gaza, en Ukraine, en Azerbaïdjan… Le capitalisme sème la mort! Comment l’en empêcher? (Tract international) [6]

Spirale d’atrocités au Moyen-Orient : la terrifiante réalité de la décomposition du capitalisme [7]


[1] ANTIMILITARISTICKÁ INICIATIVA [ AMI ] [8]

[2] Le mouvement révolutionnaire et la seconde guerre mondiale: interview de Marc Chirik, 1985 [9]; Entre l'internationalisme et "la défense de la nation". L'article de AMI, "Antimilitarisme anarchiste et mythes sur la guerre en Ukraine [10]" est une réponse très claire aux arguments des " anarcho-défensiste".

[3] Voir notre article La lutte est devant nous! [11]

[4] Par exemple, La “Tendance Communiste Internationaliste” et l’initiative “No War But the Class War”: un bluff opportuniste qui affaiblit la Gauche communiste [12].

 

[5] Militarisme et décomposition (mai 2022) [13]

[6] Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine [14] ; Appel de la Gauche communiste [15] (Guerre au Moyen Orient)

Rubrique: 

Les internationalistes et la guerre impérialiste

Les travailleurs en Irlande du Nord se joignent à la reprise internationale des luttes

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Le jeudi 18 janvier a eu lieu la plus grande grève de l’histoire de l’Irlande du Nord. (1) Malgré des conditions glaciales et des températures souvent en dessous de zéro, 170 000 travailleurs étaient mobilisés, des membres de seize syndicats, représentants 80 % du secteur public. Des marches et des rassemblements ont eu lieu dans les villes des six comtés, malgré toutes les divisions sectorielles qui ont affecté la classe ouvrière d’Irlande du Nord. Il y avait des piquets de grève devant les écoles et les hôpitaux, les gares et les dépôts municipaux, ainsi que dans de nombreux autres bâtiments publics. Presque toutes les écoles et établissements d’enseignement supérieur ont été fermés. Tous les transports publics ont été arrêtés. Le lendemain, vendredi 19, des centaines d’employés des transports, d’agents de nettoyage, d’assistants de classe et de conducteurs de véhicules de sablage, étaient en grève pour une deuxième journée.

En apparence, la raison de la grève (et l’explication donnée par les partis de gauche, de droite et du centre) tient uniquement au statut de l’Irlande du Nord. Au cours des deux dernières années, depuis les élections de 2022 au cours desquelles le Sinn Fein a remporté le plus de sièges, le Parti unioniste démocrate (DUP) a fait en sorte à ce qu’il n’y ait ni Assemblée ni Exécutif. Pour cette raison, toutes les revendications salariales dans le secteur public ont été déclarées impossibles car, selon le gouvernement britannique, seul le « gouvernement dévolu d’Irlande du Nord » peut autoriser des augmentations de salaire. En décembre, les conservateurs (Tories) ont proposé 600 millions de livres sterling pour les salaires du secteur public, le tout dans le cadre d’un programme de 3,3 milliards de livres sterling, mais à condition de mettre fin au blocage des Institutions.
En réponse, le DUP a accusé le secrétaire nord-irlandais Chris Heaton-Harris d’avoir tenté de les faire chanter, affirmant que l’argent devrait quand même être remis. Pendant ce temps, le Sinn Fein a affirmé que les travailleurs ne pourront être satisfaits que si l’Assemblée et l’Exécutif sont réactivés. Lors des rassemblements du 18 janvier, les dirigeants syndicaux étaient divisés entre blâmer le DUP ou le gouvernement britannique, ou les deux. Même si les syndicats étaient tous d’accord sur le fait que l’argent était là, la réalité est que les travailleurs luttent contre un système qui ne peut pas satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.
Bien que la grève ait été largement contrôlée par les syndicats et que les différentes fractions de la classe dirigeante profitent certainement du chaos politique en Irlande du Nord pour tenter d’entraîner les travailleurs derrière leurs querelles, ce mouvement ne sort pas de nulle part. En décembre, des grèves ont eu lieu dans tout le réseau de transport, bus et trains, durant quatre jours différents. Avant cela, en novembre, il y avait eu des grèves dans le secteur des transports et dans le personnel scolaire. Il est vrai que ces mouvements étaient également contrôlés par les syndicats, mais cela montre qu’il existe un réel mécontentement à l’égard des rémunérations des travailleurs. En Grande-Bretagne, il y a eu au moins quelques hausses de salaires, mais le gel des salaires en Irlande du Nord a encore aggravé la situation et les travailleurs ne peuvent plus supporter les effets de la « crise du coût de la vie ». Les luttes ont été engagées en raison d’une réelle détérioration des conditions matérielles des travailleurs, attaqués dans tous les pays. En cela, les luttes des travailleurs d’Irlande du Nord se situent dans la lignée de celles en Grande-Bretagne à partir de 2022, et des mouvements ultérieurs en France, aux États-Unis, au Canada et en Scandinavie. Elles expriment une rupture avec la passivité des trente années précédentes, et témoignent du potentiel de luttes plus approfondies dans le futur : celui du lien entre la classe ouvrière en Irlande, en Grande-Bretagne continentale et en Europe.

Car, 24 janvier 2024

 

 

1 Cela exclut évidemment l’action loyaliste imposée par les paramilitaires du Conseil des travailleurs d’Ulster en 1974 qui n’était pas une grève ouvrière… et n’était pas dirigée par un « conseil des travailleurs ».

 

Géographique: 

  • Grande-Bretagne [16]
  • Irlande [17]

Récent et en cours: 

  • Reprise internationale de la lutte de classe [18]
  • Lutte de classe dans le monde 2022-2023 [19]

Rubrique: 

Reprise internationale de la lutte de classe

URL source:https://fr.internationalism.org/content/11294/icconline-fevrier-2024

Liens
[1] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201312/8832/bonnets-rouges-attaque-ideologique-contre-conscience-ouvriere [2] https://fr.internationalism.org/content/9960/bilan-du-mouvement-des-gilets-jaunes-mouvement-interclassiste-entrave-a-lutte-classe [3] https://fr.internationalism.org/tag/5/35/europe [4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/mobilisation-des-agriculteurs-europe [5] https://fr.internationalism.org/content/10874/capitalisme-mene-a-destruction-lhumanite-seule-revolution-mondiale-du-proletariat-peut [6] https://fr.internationalism.org/content/11224/massacres-et-guerres-israel-a-gaza-ukraine-azerbaidjan-capitalisme-seme-mort-comment [7] https://fr.internationalism.org/content/11288/spirale-datrocites-au-moyen-orient-terrifiante-realite-decomposition-du-capitalisme [8] https://antimilitarismus.noblogs.org/english/ [9] https://antimilitarismus.noblogs.org/post/2023/08/29/the-revolutionary-movement-and-the-second-world-war-interview-with-marc-chirik-1985/ [10] https://antimilitarismus.noblogs.org/post/2022/09/13/antimilitarisme-anarchiste-et-mythes-sur-la-guerre-en-ukraine/ [11] https://fr.internationalism.org/content/11088/lutte-devant-nous [12] https://fr.internationalism.org/content/11168/tendance-communiste-internationaliste-et-linitiative-no-war-but-the-class-war-bluff [13] https://fr.internationalism.org/content/10785/militarisme-et-decomposition-mai-2022 [14] https://fr.internationalism.org/content/10735/declaration-commune-groupes-gauche-communiste-internationale-guerre-ukraine [15] https://fr.internationalism.org/content/11198/appel-gauche-communiste [16] https://fr.internationalism.org/tag/5/37/grande-bretagne [17] https://fr.internationalism.org/tag/5/44/irlande [18] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reprise-internationale-lutte-classe [19] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-classe-monde-2022-2023