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Cinq mois de lutte, quatorze journées d’action, des millions de manifestants, une multitude de grèves et de blocages, des records de mobilisation… Bref, un mouvement social d’une ampleur inconnue en France depuis 1968. Pourtant la réforme des retraites est passée. Alors, tout ça pour rien ? Absolument pas !
Ce mouvement est une promesse pour l’avenir. Il est le signe que nous, la classe ouvrière, nous avons commencé à redresser la tête. À nouveau, nous nous serrons les coudes dans la lutte. Durant des décennies, nous avons subi les attaques incessantes des gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Mais dorénavant, nous refusons cette dégradation continue de nos conditions de vie et de travail. Voilà ce que montre la massivité de notre mouvement.
Dès la première manifestation, celle du 19 janvier, la grande majorité des travailleurs ne se faisait aucune illusion : le gouvernement n’allait pas reculer. Pourtant, semaine après semaine, nous étions des millions dans la rue à ne pas vouloir nous soumettre. En refusant ainsi de nous résigner, en nous battant tous ensemble, en développant la solidarité entre les secteurs comme entre les générations, nous sommes parvenus à une première victoire : celle de la lutte elle-même.
« Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs ». (Marx et Engels, Manifeste communiste, 1848).
Cette victoire est précieuse pour l’avenir. Parce que nous savons que les attaques vont encore s’accroître. Les prix de la nourriture, de l’électricité, du logement, du carburant… vont continuer à grimper. Dans le privé comme dans le public, la précarité, les sous-effectifs, les cadences infernales et les salaires de misère vont empirer encore et encore. L’État va continuer à détruire le système de santé, celui de l’éducation, des transports… seuls les budgets de l’armement et de la répression vont augmenter !
Il va donc falloir continuer à nous battre, en nous appuyant sur l’expérience de notre mouvement actuel. C’est pourquoi il est indispensable de nous rassembler, partout où c’est possible (à la fin des manifestations, sur nos lieux de travail, dans des comités de lutte ou des cercles de discussion, dans des réunions d’organisations révolutionnaires), pour discuter et tirer les leçons. Parce que, oui, ce mouvement est riche d’enseignements :
– Ces dernières décennies, nous avons subi de multiples attaques, restant isolés les uns des autres, impuissants. Nous avions perdu confiance en notre capacité à nous unir, à lutter massivement. Pire, nous avions même oublié que notre force collective pouvait exister. Ce temps est révolu.
– En étant tous ensemble dans la lutte, nous avons commencé à prendre conscience que nous formons une seule et même force. Nous sommes la classe ouvrière ! Chômeurs, retraités, étudiants précaires, travailleurs salariés du privé ou du public, en bleu de travail ou en blouse blanche, dans les ateliers ou dans les bureaux, nous sommes tous des exploités qui, atomisés, chacun dans leur coin, ne peuvent rien face au capital mais qui, unis dans la lutte, deviennent la plus grande force sociale de l’histoire.
– C’est justement cette reconquête de notre identité de classe qui a permis que rejaillisse à notre mémoire l’expérience de nos luttes passées. Ce n’est pas un hasard si le slogan le plus populaire brandi sur les pancartes était : « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 ». Plus spectaculaire encore est l’apparition dans les discussions de références au mouvement contre le CPE de 2006, alors que jusqu’à maintenant cet épisode était totalement ignoré dans nos rangs, comme effacé, comme s’il n’avait jamais eu lieu. En recommençant à nous battre en tant que classe ouvrière, nous rendons possible le début de la réappropriation de notre histoire, de nos expériences, de nos victoires et de nos défaites pour, demain, être plus unis, plus organisés, plus forts.
– Contrairement à 2018, où les cheminots avaient fait grève seuls durant des semaines et jusqu’à épuisement, tandis que les autres secteurs étaient appelés à la « grève par procuration » et à la solidarité platonique, cette fois aucun secteur n’est resté isolé, aucun secteur ne sort abattu. Même les raffineurs qui ont pourtant été poussés, mois après mois, à se replier sur leur lieu de travail au nom du blocage de l’économie. Cette fois-ci, c’est bien la dynamique de la solidarité active dans la lutte qui l’a emporté. Le piège classique de la division et de l’isolement n’a pas fonctionné.
– En réprimant férocement et en provoquant honteusement, l’État français espérait faire peur à la majorité des travailleurs et pousser une minorité dans la confrontation stérile et perdue d’avance avec les forces de l’ordre. Là aussi, nous avons su éviter ce piège, malgré l’immense colère légitime face aux coups et aux insultes.
– Cette terreur d’État dans la rue, comme le passage en force de la réforme en toute légalité, grâce aux mécanismes constitutionnels de la République, ont même commencé à soulever le masque de la démocratie bourgeoise et faire apparaître ce qui se cache derrière : la dictature capitaliste.
– Enfin, et peut-être surtout, ce mouvement a permis qu’émerge une question essentielle pour l’avenir : comment établir un rapport de forces favorable ? Nous nous sommes mobilisés par millions, durant des mois, et pourtant la bourgeoisie française n’a pas cédé. Pourquoi ? Qu’est-ce qui a manqué à ce mouvement pour faire reculer le gouvernement ?
Pour le comprendre, pour parvenir à aller plus loin la prochaine fois, il nous faut justement poursuivre le chemin que ce mouvement a commencé à prendre : nous rappeler nos expériences de luttes passées et leurs leçons.
Certaines luttes du passé montrent qu’il est possible de faire reculer un gouvernement, de freiner ses attaques.
En 1968, le prolétariat en France s’est uni en prenant en main ses luttes. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales se sont propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec ses 9 millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Face à cette dynamique d’extension et d’unité de la lutte ouvrière, gouvernement et syndicats se sont empressés de signer un accord de hausse généralisée des salaires afin d’arrêter le mouvement.
En août 1980, en Pologne, face à l’augmentation des prix de l’alimentation, les grévistes portaient encore plus loin la prise en main des luttes en se rassemblant en d’immenses assemblées générales, en décidant eux-mêmes des revendications et des actions, et surtout en ayant pour souci constant d’étendre la lutte. Face à cette force, ce n’est pas simplement la bourgeoisie polonaise qui a tremblé mais celle de tous les pays.
En 2006, en France, après seulement quelques semaines de mobilisation, le gouvernement a retiré son « Contrat Première Embauche ». Qu’est-ce qui a fait peur à la bourgeoisie au point de la faire reculer si rapidement ? Les étudiants précaires ont organisé, dans les universités, des assemblées générales massives, ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités. Ils ont mis en avant un mot d’ordre unificateur : la lutte contre la précarisation et le chômage. Les assemblées générales étaient le poumon du mouvement, là où les débats se menaient, là où les décisions se prenaient. Chaque week-end, les manifestations regroupaient de plus en plus de secteurs. Les travailleurs salariés et retraités s’étaient joints aux étudiants, sous le slogan : « Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ! »
En effet, la plus grande force d’une lutte, c’est d’être l’affaire de tous les exploités et non celle des « spécialistes ». En réalité, toutes les « actions » proposées par les organisations syndicales visent justement à leur éviter d’être « débordées », à éviter que la dynamique de ces mouvements victorieux ne réapparaisse, à empêcher que nous débattions et décidions nous-mêmes de la conduite de la lutte. Piquets, grèves, manifestations, blocage de l’économie… tant que ces actions restent sous le contrôle syndical, cela ne peut mener qu’à la défaite.
Depuis maintenant presque un an, au Royaume-Uni, que font les syndicats ? Ils éparpillent la riposte ouvrière : chaque jour, un secteur différent en grève. Chacun dans son coin, chacun sur son piquet. Aucun rassemblement, aucun débat collectif, aucune réelle unité dans la lutte. Il ne s’agit pas là d’une erreur de stratégie mais d’une division volontaire. Déjà, en 1984-85, le gouvernement Thatcher était parvenu à briser les reins de la classe ouvrière au Royaume-Uni par le même sale travail des syndicats. Ils ont isolé les mineurs de leurs frères de classe des autres secteurs. Ils les ont enfermés dans une grève longue et stérile. Pendant plus d’un an, les mineurs ont occupé les puits, sous l’étendard du « blocage de l’économie ». Seuls et impuissants, les grévistes sont allés au bout de leurs forces et de leur courage. Et leur défaite a été celle de toute la classe ouvrière ! Les travailleurs du Royaume-Uni ne relèvent la tête qu’aujourd’hui, plus de trente ans après ! Cette défaite est donc une leçon chèrement payée que le prolétariat mondial ne doit pas oublier.
Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte unie et qui s’étend, portée par la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations. Des assemblées générales dans lesquelles nous pouvons adopter ensemble des revendications de plus en plus unificatrices. Des assemblées générales dans lesquelles nous nous rassemblons et depuis lesquelles nous pouvons partir en délégations massives à la rencontre de nos frères de classe, les travailleurs de l’usine, de l’hôpital, de l’établissement scolaire, de l’administration les plus proches.
Aujourd’hui, nous manquons encore de confiance en nous, en notre force collective, pour oser prendre nous-mêmes nos luttes en main. Voilà la limite actuelle de notre mouvement, voilà pourquoi la bourgeoisie française n’a pas tremblé, pourquoi son gouvernement n’a pas reculé. Mais notre histoire prouve que nous en sommes capables. Et, de toute façon, il n’y a pas d’autre chemin.
Le capitalisme va continuer de nous plonger dans la misère et la barbarie. Laissé à sa seule logique, ce système décadent va entraîner des parties de plus en plus larges de l’humanité dans la guerre et la misère, il va détruire la planète à coups de gaz à effet de serre, de forêts rasées et de bombes.
Le sentiment de solidarité, d’être tous dans le même bateau, le besoin de se serrer les coudes, entre les différents secteurs, entre les différentes générations, sont les témoins de ce qu’est la nature profonde de la lutte ouvrière, une lutte pour un monde radicalement différent, un monde sans exploitation ni classes sociales, un monde sans frontières ni affrontements entre nations où la « guerre de tous contre tous » cédera la place à la solidarité entre tous les humains : le communisme.
Notre lutte historique contre le capitalisme est d’ailleurs internationale. Ces douze derniers mois, on a assisté à des mouvements sociaux d’ampleur inédite depuis les années 1980 au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, au Danemark, au Portugal, aux Pays-Bas, aux États-Unis, au Canada, au Mexique, en Chine… les mêmes grèves contre la même exploitation de plus en plus insoutenable. « Les ouvriers restent soudés », ont crié les grévistes au Royaume-Uni. « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! », ont confirmé les manifestants en France. La bannière « Pour nous tous » sous laquelle a eu lieu la grève contre la paupérisation en Allemagne, le 27 mars, est particulièrement significative de ce sentiment général qui grandit dans la classe ouvrière : nous luttons tous les uns pour les autres.
Dans la lutte face à la dégradation de nos conditions de vie et de travail, particulièrement face à l’inflation, nous allons peu à peu développer notre force collective, notre confiance en nous-mêmes, notre solidarité, notre unité. Dans la lutte, nous allons peu à peu nous rendre compte que nous, la classe ouvrière, sommes capables de prendre nos luttes en mains, de nous organiser, de nous rassembler en assemblées générales pour décider de nos mots d’ordre et de nos actions. Nous allons peu à peu nous rendre compte que nous sommes capables d’offrir une autre perspective que la mort promise par un système capitaliste en décomposition : la révolution communiste.
La perspective de la révolution prolétarienne va faire son retour dans nos têtes et nos combats.
L’avenir appartient à la lutte de classe !
Courant Communiste International, 4 juin 2023
Le vendredi 5 mai, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déclarait que « le Covid-19 n’est plus une urgence de santé publique de portée internationale » et prônait « le retour à la normale ».
Avec « au moins 20 millions de morts » selon directeur générale de l’OMS, (1) la pandémie de Covid-19 a révélé de manière éclatante la décrépitude du capitalisme mondial mais aussi l’incurie et le cynisme avec lequel États et gouvernements ont « géré » la situation. Face au délabrement des systèmes de santé partout dans le monde, fruit de décennies de crise économique et d’attaques massives, la classe dominante de tous les pays n’a eu que le mensonge, le vol, l’imposition arbitraire de « mesures de protection » tels que des confinements drastiques venant tout droit du Moyen-Âge. Et alors que les grandes puissances s’enorgueillissaient au printemps 2021 d’avoir produit des vaccins dans un temps record, force est de constater aujourd’hui qu’aucune politique vaccinale cohérente et généralisée n’est mise en place à l’échelle mondiale.
« Pourquoi faire ? », répondront les responsables des États ou des organismes internationaux. Puisque le Covid-19 peut désormais être considéré « de la même manière que nous considérons la grippe saisonnière, à savoir une menace pour la santé, un virus qui continuera de tuer, mais un virus qui ne perturbe pas notre société ou nos systèmes hospitaliers », comme le déclarait, il y a plusieurs semaines, le chef des programmes d’urgence de l’OMS, Michael Ryan. Cette déclaration illustre à elle seule l’état d’esprit de la bourgeoisie mondiale face aux effets macabres du capitalisme. Le Covid « saisonnier » pourra bien faire des centaines de milliers de morts par an dans le monde, tant qu’il « ne perturbe pas » le fonctionnement de la société capitaliste, vivons avec ! Voilà ce que prône désormais ouvertement tous les États et les gouvernements : l’indifférence la plus totale vis-à-vis de la santé des populations humaines aux profits des uniques intérêts de la bourgeoisie. Cette classe qui ne peut qu’employer les procédés les plus perfides et sournois pour tenter de cacher à la face du monde que son propre système n’a de cesse de plonger l’humanité dans l’abîme.
Toute autre fut la méthode employée par les soviets au cours de la Révolution en Russie alors que la classe ouvrière devait faire face aux ravages de la grippe espagnole, du typhus ou encore du choléra. Nous avons commencé à aborder cette question dans la Revue internationale en publiant un article relatif à l’évolution de la situation sanitaire dans la Russie des soviets en juillet 1919, un an après la mise sur pied du Commissariat de l’hygiène publique. (2)
Nous prolongeons ici la réflexion par la critique du livre La santé et la révolution écrit par un collectif d’auteurs. Si comme nous allons le voir, les auteurs ne peuvent s’empêcher de clore leurs études par un plaidoyer à peine voilé en faveur du capitalisme d’État, ce petit livre a le mérite de mettre en évidence le rôle central que joua la classe ouvrière organisée pour faire face aux défis sanitaires en plein processus révolutionnaire et face aux assauts de la contre-révolution menés par les armées blanches et les grandes puissances capitalistes européennes, « et néanmoins, dans les conditions matérielles parmi les plus difficiles qu’il soit possible d’imaginer, la méthode alors mise en œuvre par le prolétariat, notre méthode, en tout point opposée à celle de la bourgeoisie aujourd’hui confrontée à la pandémie du coronavirus, parvient à des résultats qui, à l’époque, constituent un pas en avant considérable ». (3)
Qu’elle fut donc cette méthode ? En quoi, celle-ci permis un pas en avant considérable et une expérience inestimable pour le futur ?
Au lendemain de la prise du pouvoir, la Russie se trouve dans une situation désastreuse. Trois années de guerre ont fait des ravages au sein de la société et accentué des fléaux déjà bien connus : la misère, la famine, les pénuries, la dégradation des infrastructures de santé ou de transports. Mais aussi de nombreuses épidémies telles que le typhus, le choléra, la variole, la diphtérie ou encore la tuberculose.
Ainsi, des défis gigantesques se posaient déjà à la révolution en Russie et ce d’autant, que son isolement rapide ne lui avait pas permis de trouver le soutien du prolétariat mondial. Mais comme le livre le met bien en évidence, la classe ouvrière en Russie puisa sa force dans son organisation collective et centralisée puisque les soviets furent au cœur de la prise en charge de la politique sanitaire. Ainsi, dès la prise du Palais d’Hiver, le comité révolutionnaire mis en place des détachements sanitaires à Petrograd et Moscou en vue de venir en aide aux blessés. Ces « secouristes de l’insurrection » étaient d’abord composés d’ambulanciers, d’infirmiers et d’infirmières militaires ralliés aux bolcheviques et aussi des ouvrières épaulant les médecins. Après quoi, les soviets étendirent les prérogatives des détachements à la prise en charge de l’ensemble de la santé civile. Un grand pas en avant fut ensuite franchi lorsque le gouvernement des soviets se dota d’un Commissariat du peuple à la santé. Désormais, la politique menée aussi bien pour faire face aux victimes de la guerre encore en cours comme aux épidémies fut l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Cette politique globale tranche déjà drastiquement avec celle mise en œuvre par les différents États lors de la pandémie de Covid-19 consistant à imposer aux populations des mesures visant avant toute chose à pénaliser le moins possible la production capitaliste. Comme l’indique les auteurs du livre : « il n’a jamais été question de prendre des mesures pourtant de bon sens, comme la production massive de matériel médical par les États où la levée des brevets sur les vaccins pour que tous y aient accès. En effet, outre écorner ses profits, cela aurait attenté au droit sacro-saint de la bourgeoisie de disposer à sa guise de son capital. On a là une nouvelle démonstration de ce que la propriété privée des capitalistes passe toujours avant l’intérêt de la collectivité, et dans ce cas précis, de l’humanité tout entière ».
Alors que les États n’ont pas hésité à recourir abondamment au mensonge « pour dissimuler les pénuries de masques, le manque de soignants, de lits de réanimation et de vaccins, et leur responsabilité dans cette situation », à aucun moment, il n’a été question de mobiliser la population dans la lutte contre la pandémie, les gouvernements préférant imposer les mesures sanitaires (confinement, port du masque…) par la coercition.
La politique menée par la « République des soviets » fut là aussi animée par une toute autre démarche. Dans toutes les batailles sanitaires qu’elle dût mener, la première mesure consistait à dire la vérité à la population : exposer le plus clairement possible l’état de la situation, les mesures de protection à adopter, le mode d’organisation préconisé pour faire face à la situation. Mais il s’agissait aussi d’appeler à la mobilisation des masses ouvrières. Ce fut le cas aussi bien au cours de l’épidémie de choléra qui frappa le Sud de la Russie ainsi que Moscou et Petrograd à partir de l’été 1918 que pour l’épidémie de variole en 1919 ou encore la grippe espagnole qui fit près de trois millions de morts en Russie. Cette méthode reposant à la fois sur l’adhésion et la participation de larges masses de la population et la centralisation de la politique menée par le gouvernement des soviets (Commissariat à la santé) fut pleinement mise en œuvre lors de l’épidémie de typhus entre 1918 et 1919. Comme l’indiquent les auteurs, l’expérience de la lutte contre l’épidémie fournit « les bases d’un nouveau système de santé reposant sur l’action des travailleurs eux-mêmes, la centralisation, la gratuité et la prévention ».
Dès lors, avec la fin de la guerre civile, des avancées notables furent réalisées dans la formation du personnel médical, la lutte contre la tuberculose, la prise en charge des addictions, la lutte contre la prostitution ou encore l’amélioration de la maternité. En un mot, la prise en charge de la société par la classe ouvrière permettait de l’arracher aux conditions « arriérées » dans lesquelles elle végétait.
Dans la dernière partie de ce livre, les auteurs montrent à quel point la politique de santé connut une véritable régression sous le stalinisme. La dégénérescence de la révolution en Russie, s’exprimant notamment par la fusion du parti avec l’État et la dévitalisation totale des soviets, engendra une nouvelle classe dominante exploitant la classe ouvrière sous la forme d’un véritable capitalisme d’État. Par conséquent, la politique menée en matière de santé, n’avait plus pour but de participer à l’amélioration et à l’émancipation de la condition humaine mais à pouvoir permettre à l’État d’exploiter toujours plus la force de travail. La mise en place d’une « médecine du travail » menant des études sur les causes de certaines maladies et la mauvaise santé des travailleurs ou encore recensant les pathologies, n’avaient pas d’autre objectif : permettre une plus grande productivité, donc une plus grande exploitation de la classe ouvrière. De même, la création de crèches et de structures d’accueil pour les enfants plus âgés dans les usines ne fit qu’enchaîner toujours plus les ouvriers et les ouvrières à leur lieu de travail et à l’État capitaliste.
Cependant, entichés du catéchisme gauchiste, notre groupe d’auteurs ne peut s’empêcher de trouver dans la barbarie stalinienne des résidus de la période révolutionnaire : « Le système de santé soviétique, tel qu’il perdura pendant plusieurs décennies, était envié par beaucoup […]. Dans des pays comme les Démocraties populaires en Europe de l’Est ou à Cuba, qui sans avoir connu de révolution ouvrière tentaient d’échapper, entre autres, à leur retard dans le domaine médico-social, on prit donc pour modèle le système de santé soviétique. Avec ses avantages, on l’a vu, ainsi qu’avec ses tares : celles d’une société dominée, écrasée par la bureaucratie. Mais malgré tout, et même s’il ne devint jamais un système de santé socialiste, ce système de santé conserva longtemps des traits de son caractère populaire, novateur et progressiste d’une révolution ouvrière victorieuse ».
Les prétendues prouesses médicales des « économies soviétiques » relèvent davantage de la farce plutôt que de la réalité historique. En URSS comme chez tous ces pays satellites, les populations manquaient de tout. Aussi bien de nourriture que de médicaments. Les auteurs reprennent ici à leur compte un vieux mensonge propagé par les canailles de la gauche et de l’extrême gauche du capital consistant à présenter un État tel que Cuba comme le nec plus ultra de la médecine. La pandémie a rappelé l’état de délabrement sanitaire de cet autre résidu du stalinisme. Puisque là-bas aussi les soignants durent faire face à l’afflux de malades sans disposer suffisamment de médicaments, d’oxygène, d’antigènes, de gel ou de seringues, etc.
Derrière ce clin d’œil nostalgique à la prétendue survivance des avancées de la révolution d’Octobre, via le stalinisme, se cache le credo consistant à considérer l’URSS comme un « État ouvrier dégénéré », perverti par la bureaucratie stalinienne. Aujourd’hui, cette erreur de Trotsky, repris à leur compte par les organisations de l’extrême gauche du capital comme Lutte ouvrière en France, sert à entretenir l’illusion qu’un État « bien géré » pourrait être un outil au service de l’intérêt général. Or, s’il est en apparence placé au-dessus des classes sociales, l’État demeure toujours l’expression de la domination d’une classe donnée dans la société. Dans le capitalisme, l’État incarne donc la domination de la bourgeoisie. De plus, depuis l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, la tendance générale vers le capitalisme d’État est une des caractéristiques dominantes de la société. La pandémie a pleinement confirmé que le capitalisme d’État, défendu bec et ongle par tous les partis de gauche et d’extrême gauche, n’est en rien une solution aux contradictions du capitalisme. Bien au contraire, il en est une claire expression, même s’il peut en retarder les effets au prix de leur amplification à terme ! (4)
S’il parvient un jour à renverser le capitalisme, le prolétariat devra poser les fondations de la société communiste dans un monde ravagé par les guerres, le dérèglement climatique et environnemental ou encore des problèmes sanitaires considérables. Cette tâche gigantesque ne s’effectuera pas avec le concours de l’État mais contre celui-ci, en vue de son dépérissement et sa disparition.
Surtout, cette tâche sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même, organisée et consciente de ses buts. Pour cela, s’appuyer sur les expériences du passé, comme la révolution d’Octobre 1917, et savoir en tirer les leçons essentielles demeure une tâche indispensable pour bâtir la société du futur !
Vincent, 7 mai 2023
1 Pour le moment, le décompte officiel fait état de 7 millions de morts.
2 « La prise en charge de la santé dans la Russie des soviets », Revue internationale n°166, (premier semestre 2021).
3 Ibid.
4 – « La pandémie de Covid et la période de décomposition du capitalisme », Revue internationale n°165, (deuxième trimestre 2020).
– « Pandémie et développement de la décomposition », Revue internationale n°167, (deuxième semestre 2021).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_4.6.23_v2.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/interventions
[3] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[4] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-classe-monde-2022-2023
[5] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reforme-des-retraites
[6] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-russe
[7] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/coronavirus
[8] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/covid-19
[9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/grippe-espagnole