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Nous publions ci-dessous des extraits d’une lettre de lecteur qui aborde différentes questions : le rôle des syndicats, celui des gauchistes de "Lutte Ouvrière" et pour finir la situation en Pologne et la nature de Solidarnosc. C’est la partie traitant de cette dernière question, suivie de notre réponse que nous publions ici.
(...) Au sujet du syndicalisme, je ne sais quelle est votre position vis-à-vis de Solidarité (je ne suis pas lecteur de RI depuis assez longtemps) mais j’ai lu dernièrement deux ouvrages qui m’ont quelque peu éclairé sur la question : le livre de Lech Walesa : "Un chemin d’espoir" et celui d’Adam Michnik "Penser la Pologne". Ce dernier surtout est important, car œuvre d’un penseur attentif et modéré. Il met l’accent sur deux thèmes importants:
Mais Lech Walesa et Michnik mettent nettement en garde et définissent parfaitement les limites de leur action. Solidarité n’a jamais postulé la destruction de l’Etat ni même du communisme. Solidarité a voulu s’imposer comme mouvement de défense des ouvriers et non comme mouvement politique d’opposition.
Aujourd’hui la situation est plus claire encore. Solidarité est un appareil syndical énorme, qui va se bureaucratisant et qui défend le gouvernement en place, même si cela doit être demain contre les ouvriers. Mazowiecki veut faire de la Pologne un pays libéral-capitaliste-démocratique. Grâce à l’ère Gorbatchev, il semble avoir les mains libres. Le syndicat semble le soutenir. (...)
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NOTRE REPONSE
Nous ne pouvons qu’encourager l’attitude qui est la tienne de recherche des positions de classe et de dénonciation des syndicats qui, comme tu le dis, "baladent les ouvriers... refusent l’extension", comme à Peugeot par exemple, dénonciation que tu appliques aussi justement à LO qui ne rate pas une occasion, en fait, de soutenir les syndicats, ce que tu appelles le "traquenard syndical".
Tu te poses cependant des questions concernant le syndicat Solidarité en Pologne et l’action d’éléments comme Walesa, président de Solidarité, et Michnik, l’un des fondateurs du KOR.
Tu penses que Solidarité aurait été "une impulsion formidable" ; il aurait permis "d’élargir le cadre des revendications aux 21 propositions finalement signées" ; son seul souci aurait été de "s’imposer comme mouvement de défense des ouvriers et non comme mouvement politique d’opposition" ; Solidarnosc, aujourd’hui, irait "se bureaucratisant et défend le gouvernement en place, même si cela doit être demain contre les ouvriers.".
Nous allons rappeler brièvement notre position sur des questions aussi essentielles, et nous renvoyons à d’autres articles de notre presse[1], pour de plus amples développements.
Rappelons d’abord une vérité générale: en aucun cas, on ne peut juger les gens d’après ce qu’ils disent d’eux-mêmes et ce qu’ils disent faire, mais sur ce qu’ils font pratiquement. Mais, au cas particulier, même certains dires de Solidarité sont très clairs, dès 1980:
Et de fait, depuis ses débuts, l’attitude du syndicat Solidarité n’a pas varié. Elle a toujours constitué un barrage directement élevé contre les luttes ouvrières. Rappelons les faits : dans ses luttes, en juillet-août 1980, à partir de revendications alimentaires face à la pénurie, la classe ouvrière a été rapidement amenée à s’organiser de manière autonome, en assemblées générales souveraines, nommant et contrôlant de façon permanente les membres révocables des comités de grève qu’elle envoyait aux délibérations rendues publiques par voie de haut-parleurs et qui étaient les organes exécutifs des décisions de l’assemblée.
Une des revendications majeures mises en avant dans les assemblées était la dissolution du carcan que constituaient les syndicats officiels, ces milices de l’Etat dans les usines, dont la tâche principale était la surveillance des quotas de production des ouvriers.
Dans les débats permanents que suscitait le mouvement, s’exprimaient des positions diverses comme celle des membres de l’opposition pro-occidentale du KOR et aussi celle des partisans d’un "syndicalisme libre”. Cette dernière idée a connu un rapide succès dans les assemblées car les ouvriers voyaient, dans le "syndicalisme libre", la possibilité de manifester leur liberté face au pouvoir stalinien. Ils exprimaient par là le poids important des illusions démocratiques qui pèsent sur eux. C’est dans ces conditions que les Walesa et consorts sont parvenus à placer, comme première revendication, la constitution de "nouveaux syndicats libres et indépendants". Ainsi, le piège principal se mettait en place.
En acceptant le principe de nouveaux syndicats, les ouvriers laissaient se créer une brèche qui signifiait l’acceptation d’une délégation de pouvoir à une minorité agissante, la création d’une structure hiérarchisée qu’ils n’allaient plus contrôler, extérieure à eux et qui les privait de leur force essentielle : leur propre organisation, leur propre unité basée sur les AG souveraines et les comités de grève élus et révocables.
Très rapidement, de publique, la négociation entre le MKS et l’Etat, qui aboutit aux accords de Gdansk de fin août 80, devint secrète et échappa au contrôle des assemblées générales pour devenir une affaire de "spécialistes de la conciliation". C’est le KOR, conseiller de Solidarité qui, au moment de l’établissement par le comité inter-entreprises de Gdansk de la liste des revendications, met en garde les ouvriers contre "des revendications qui, soit acculent le pouvoir à la violence, soit entraînent sa décomposition. Il faut leur laisser une porte de sortie"! Et pourquoi ? Parce que "s’élever contre la hausse des prix porterait un coup au fonctionnement de l’économie" ! Ce sont là les déclarations du KOR.
Ces spécialistes syndicaux avec en tête Walesa, passèrent rapidement d’un langage combatif à des discours de plus en plus "responsables", jusqu’à accepter, avec la reprise du travail, un accroissement de la productivité pour "réparer le mal causé par la grève". Ils se plaçaient ainsi résolument du point de vue de la défense du capital national (ce qui ne doit pas nous surprendre de la part d’un syndicat) et c’est pour cela qu’ils réclamaient aux ouvriers la délégation de pouvoir. Le nouveau syndicat sera désormais l’organe qui négociera avec les autorités, usine par usine, secteur par secteur, ville par ville, avec toujours comme objectif : faire reprendre le travail. Et cela n’a cessé depuis. Voilà comment, grâce à Solidarnosc, tout un mouvement, puissant jusqu’à août 80, a été affaibli et comment le nouveau syndicat a livré les ouvriers pieds et poings liés à la répression.
La leçon est claire : partout, quel que soit le degré d’illusions qu’il est capable de semer, l’appareil syndical est contraint d’exercer la même fonction : au service de l’Etat, contre le prolétariat. Toute forme syndicale aujourd’hui ne peut aboutir qu’à cela. C’est depuis sa naissance que Solidarité est cela. Son attitude "bureaucratique" d’aujourd’hui était inscrite dans sa nature anti-ouvrière, dès sa naissance et a toujours été sa pratique. Quelle que soit l’image qu’il puisse offrir, qu’il adopte un langage radical pour mieux contenir la pression ouvrière ou qu’il prône ouvertement "les sacrifices nécessaires face aux réalités de l’économie nationale", tout syndicat met en œuvre, toujours et partout, la même pratique qui s’oppose directement, non seulement aux intérêts mais aux pratiques mêmes de la classe ouvrière en lutte. En cela, un Walesa n’est pas différent d’un Krasucki, d’un Kaspar ou d’un Blondel.
Dans les régimes staliniens ou "démocratiques", toute forme syndicale ne peut jamais correspondre à l’expression du mouvement ouvrier, mais toujours au besoin de la classe bourgeoise, d’essayer de contrecarrer un mouvement qui le menace.
A.B.
[1] "Revue Internationale" n°s 23, 24, 27, 28 et 29. "Révolution Internationale" n°s 179,180,181...
Pour la bourgeoisie "démocratique" des pays occidentaux, les années 80 se sont terminées dans une sorte d’apothéose. Tous ses médias aux ordres, la presse, la télévision, n’ont pas de mots assez enthousiastes pour chanter le triomphe de la "démocratie" et de la "liberté" dans les pays de l’Est, et surtout pour célébrer "la mort du communisme". Certes, les idéologues appointés de la bourgeoisie sont prêts à reconnaître qu’ici non plus les choses ne sont pas parfaites, mais c’est pour ajouter immédiatement que le capitalisme constitue de toute façon "le seul type de société viable". C’est évidemment la classe ouvrière que visent avant tout ces campagnes. Il faut que les ouvriers se persuadent qu’il est inutile de rêver à une autre société, que leurs combats actuels ne peuvent avoir d’autre objet, d’autre perspective, que de s’aménager, sous la houlette bienveillante des syndicats, une petite place dans un capitalisme éternel. Ce faisant, il faut aussi que la classe ouvrière perde de vue les leçons de l’expérience de ses luttes passées, et particulièrement celle des dix dernières années, qu’elle oublie toutes les avancées auxquelles elle est parvenue au cours de cette période. C’est pour cela qu’au terme de la décennie 80, il revient aux révolutionnaires de rappeler à leur classe ces enseignements.
Quels étaient les enjeux auxquels était confrontée la classe ouvrière au cours de la décennie qui vient de s’achever?
Ces enjeux étaient considérables. La classe ouvrière se devait de faire face à une énorme aggravation de la crise mondiale du capitalisme, une crise qui, depuis maintenant plus de 20 ans, témoigne de la faillite historique de ce système. Elle se devait en particulier d’opposer sa propre réponse de classe à la réponse de la bourgeoisie face à l’effondrement de son économie, l’intensification des attaques anti-ouvrières, l’aiguisement des rivalités et des tensions impérialistes. Et le bilan global que l’on peut établir de la décennie écoulée, c’est que la classe ouvrière a su apporter cette réponse sur son propre terrain.
D’entrée, les années 80 ont mis en évidence la nature des enjeux de la période historique présente. Quelques jours avant le début de cette décennie, l’invasion de l’Afghanistan Car les troupes de l’URSS avait indiqué quelle réponse la bourgeoisie propose à la crise mondiale : la guerre impérialiste généralisée. Immédiatement, en effet, il en avait résulté une aggravation incroyable des tensions entre les grandes puissances, le bloc américain se proposant de répliquer à cette avancée de son adversaire en mettant en œuvre des moyens militaires à la hauteur de sa puissance économique. Mais, très rapidement, ces tensions devaient être mises momentanément en sourdine face au danger que représentait pour la bourgeoisie le développement de la lutte de classe. Les formidables combats ouvriers de Pologne, durant l’été 80, des combats où, spontanément et en quelques jours, la classe ouvrière s’était dotée d’une arme essentielle dans la période historique actuelle : la grève de masse, ont contraint es gouvernements des deux grands blocs à manifester leur solidarité anti-ouvrière par-dessus leurs rivalités impérialistes. C’est de façon concertée que l’Est et l’Ouest ont organisé toute une série de manœuvres visant à empêcher une réelle solidarité de la part des ouvriers des autres pays à l’égard de leurs frères de classe de Pologne. En même temps, sur place, toutes les forces capitalistes du monde, chacune à sa façon (intimidation de la part de l’URSS, soutien à la constitution du syndicat Solidarnosc de la part des pays occidentaux, etc.) apportaient un appui systématique à la bourgeoisie polonaise lui permettant de dévoyer les luttes avant de déchaîner une répression impitoyable, en décembre 81.
Après cette répression, la bourgeoisie avait mis à profit la défaite subie par la classe ouvrière pour provoquer en son sein le désarroi et la démoralisation ainsi qu’un recul de ses combats. Son objectif était de renverser la situation qui avait prévalu depuis la fin des années 60 où, face aux premières atteintes de la crise économique, le prolétariat avait ressurgi sur la scène historique (mai 68 en France, automne "chaud" italien en 69, hiver 70 en Pologne,...) après plusieurs décennies de contre-révolution, barrant de ce fait le chemin à une troisième guerre mondiale. Pour parvenir à ses fins, la bourgeoisie n’avait pas ménagé ses efforts. D’une part, elle avait poursuivi dans les principaux pays du bloc occidental (notamment aux USA en 81 et en Allemagne en 83) la mise en place de sa politique de "gauche dans l’opposition" inaugurée en 79 en Grande-Bretagne et destinée à saper de l’intérieur la combativité ouvrière. D’autre part, elle avait habilement partagé le travail entre ses différences forces politiques pour entraîner les ouvriers sur le terrain pourri du pacifisme : il revenait à la droite de mener une campagne belliciste intensive (Reagan était parti en croisade contre T'Empire du Mal", c’est-à-dire l’URSS) alors que les forces de gauche mobilisaient pour la "défense de la Paix", essayant de détourner les ouvriers du seul terrain où ils pouvaient effectivement s’opposer à la guerre mondiale : le combat de classe contre le capitalisme. Enfin, durant toute cette période, la bourgeoisie s’était lancée dans une course aux armements sans précédent (déploiement des "euromissiles" en Europe occidentale, programme de "guerre des étoiles", etc.) qui ne pouvait qu’aggraver la brutalité des attaques subies par la classe ouvrière au moment même où de développait à l’échelle mondiale la récession la plus profonde depuis 1929. Mais dès l’automne 83, avec les grèves massives du secteur public en Belgique, le prolétariat a fait la preuve que la bourgeoisie avait échoué dans sa tentative de le paralyser. Les luttes qui se sont déroulées à partir de ce moment ont confirmé que le cours historique était toujours aux affrontements de classe et non à la guerre impérialiste. Elles faisaient la preuve qu’après une courte période où les syndicats avaient réussi à redorer leur blason, grâce en particulier à la création puis à l’interdiction du syndicat "indépendant" Solidarnosc en Pologne, ils n’étaient plus en mesure d’enrayer la perte de leur influence dans la classe ouvrière, l’affaiblissement de leur capacité à entraver ses combats. En même temps, ces luttes, du fait notamment qu’elles ont dû se confronter à tout un éventail de manœuvres politiques de la bourgeoisie, allaient constituer une expérience d’une valeur inestimable pour l’ensemble de la classe ouvrière mondiale.
Durant la seconde partie de l’année 83 et au cours de toute l’année 84, la classe ouvrière a développé des combats d’une ampleur et d’une simultanéité inconnues par le passé. En quelques mois, après les grèves de Belgique, ce sont les Pays- Bas, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Etats- Unis, la Suède, l’Espagne et l’Italie (pour ne citer que les pays les plus significatifs) qui sont tour à tour le théâtre de luttes ouvrières importantes. Dans certains de ces pays, comme la Belgique, les Pays-Bas (où le mouvement de grève est le plus important depuis le début du siècle) et la Grande- Bretagne, il s’agit de luttes extrêmement massives concernant des centaines de milliers d’ouvriers. Dans la plupart d’entre eux, ce sont plusieurs secteurs vitaux qui sont touchés simultanément ou successivement (secteur public et mines en Belgique, secteur public et docks aux Pays-Bas, chantiers navals, imprimerie et métallurgie en Allemagne, automobile, sidérurgie et mines en France, mines, docks et automobile en
Grande-Bretagne, sidérurgie et chantiers navals en Espagne). Enfin, un nombre significatif de ces luttes (surtout celles de 83) surgissent spontanément et obligent les syndicats à courir derrière pour ne pas en perdre le contrôle. Elles illustrent la tendance générale à l’affaiblissement de la capacité d’encadrement de la classe ouvrière par les syndicats, tendance qui se manifeste également par la chute spectaculaire de leurs effectifs (que les "spécialistes” bourgeois présentent évidemment comme une "crise de la classe ouvrière").
La bourgeoisie prend conscience immédiatement du danger. En particulier, elle organise un black-out total sur ces mouvements sociaux : c’est ainsi, par exemple, que les grèves du secteur public, en Belgique, n’ont eu droit aux honneurs de la presse française que plusieurs semaines après leur début parce que... plusieurs dizaines de détenus s’étaient évadés à cause de la grève des gardiens de prison.
Mais la riposte capitaliste ne se limite évidemment pas au black-out. C’est tout un dispositif qui est mis en place par la classe dominante afin de contrer la lutte ouvrière.
D’une part, les campagnes pacifistes redoublent d’intensité en même temps que toutes sortes de scandales sont exhibées afin de créer des diversions (comme si le scandale principal n’était pas la misère intenable, la barbarie sans limites que le capitalisme moribond impose à la classe ouvrière et à l’ensemble de l’Humanité !). Mais c’est maintenant de façon beaucoup plus directe, sur son propre terrain que le prolétariat est attaqué.
Ainsi, face à la combativité ouvrière, la bourgeoisie n’hésite pas à déchaîner la répression, non pas seulement dans la toute jeune "démocratie" espagnole (où les affrontements avec la police sont quotidiens lors de la grève des chantiers navals de 84), mais aussi dans le pays "le plus démocratique du monde”, la Grande-Bretagne, où le mythe du "gentil bobby" est mis à mal par les 3 morts, les centaines de blessés et d’arrestations qui marquent la grève des mineurs de 84-85. Cette répression n’a pas pour seul objectif d’intimider les ouvriers. Elle est adroitement utilisée par toutes les forces bourgeoises, de droite et de gauche, pour créer des abcès de fixation visant à détourner les ouvriers en lutte de leurs revendications initiales et d’épuiser leur combativité dans des escarmouches sans fin. C’est ainsi qu’en Grande-Bretagne, par exemple, le NUM (syndicat des mineurs), en organisant des piquets de grève qui se heurtent régulièrement à la police, enferme les ouvriers des mines dans la prison du corporatisme, tout en se créant une image de "radicalisme" qui lui permet de mieux contrôler la classe ouvrière.
En fait, au cours de cette période, les syndicats constituent une nouvelle fois, partout dans le monde, l’instrument essentiel de la bourgeoisie visant à défaire les luttes ouvrières. Organisation de "journées d’"action" démobilisatrices, convocation de manifestations-enterrements, mise en avant de revendications étrangères au terrain de classe prolétarien, telles que la "défense des syndicats" ou de l’économie nationale ("produisons français", "non au charbon étranger", etc.) : ce sont là quelques-uns des procédés employés par ces zélés défenseurs de l’ordre capitaliste pour saboter le combat ouvrier. Mais là où ils se montrent les plus dangereux, c’est lorsqu’ils reprennent à leur compte les besoins réels de la lutte, tels que la classe ouvrière les ressent de plus en plus clairement, afin de les dénaturer complètement. C’est ainsi que la solidarité de classe avec les ouvriers en lutte prend, avec les syndicats, la forme, non de l’élargissement du combat, mais de l’organisation de quêtes conduisant les ouvriers des autres secteurs à se donner l’illusion qu’ils "font quelque chose" en même temps qu’elles poussent les premiers à s’enfermer durant des semaines et des mois dans un combat isolé et, de ce fait, sans espoir. De même, les appels à T'extension" lancés par les syndicats n’ont pas d’autre objectif que l’isolement des luttes. Comme on a pu le voir lors de la grève des mineurs en Grande-Bretagne (et en de nombreuses autres occasions), les syndicats sont prêts à organiser l’"extension", y compris par des moyens "musclés” (tels que les "piquets volants”), dès lors qu’il s’agit d’une extension dans l’entreprise ou dans le secteur. Ainsi, ils éloignent les ouvriers de la véritable extension qui est une extension géographique, tous secteurs confondus.
Après la poussée impétueuse des luttes ouvrières pu cours des années 83 et 84, l’ensemble des manœuvres bourgeoises, de même qu’une politique capitaliste de dispersion des attaques économiques, visant à disperser les luttes elles-mêmes, avait réussi a provoquer un certain répit du combat ouvrier. En outre, dans plusieurs pays, là où les syndicats s’étaient le plus discrédités par leurs manœuvres de la période précédente (notamment en France où ils payaient le gouvernement d’union de la gauche entre 81 et 84), ces derniers mettaient à profit ce discrédit pour détourner les ouvriers de la lutte avec... des appels répétés à celle-ci. Mais ce répit ne pouvait être que de courte durée car l’aggravation de la crise contraignait la bourgeoisie à porter des attaques de plus en plus frontales alors que la classe ouvrière avait transformé le répit de ses luttes ouvertes en un moment de réflexion sur ses expériences passées. Dès le printemps 86, en Belgique, la classe ouvrière répondait aux plans d’austérité par une série de luttes encore plus massives que celles de 83 et qui paralysaient pratiquement le pays pendant plus d’un mois. Dès lors était posée à la classe ouvrière la perspective générale de ses combats à venir. Non plus une simple extension des luttes, que la bourgeoisie pouvait défaire en isolant les ouvriers dans chacun des secteurs concernés, mais l’unification de celles-ci, unification qui comporte en particulier leur prise en main consciente par les ouvriers, en dehors du contrôle syndical.
Les combats massifs du printemps 86 en Belgique, qui avaient mobilisé près d’un million de travailleurs (plus de 10% de la population totale du pays), s’inscrivaient dans un vaste mouvement de luttes de grande ampleur dans de nombreux pays :
"En moins d’un an, effet, outre des mouvements importants dans une multitude de pays dans le monde entier, allant des USA (sidérurgie, employés municipaux de Philadelphie et Detroit durant l’été 86) à la Yougoslavie (vagues de grèves sans précédent au printemps 87), en passant par le Brésil (plus d’un million et demi d’ouvriers de nombreux secteurs en grève en octobre 86 et nouvelle vague massive en avril-mai 87), l’Afrique du Sud (grèves dans les mines et les chemins de fer), le Mexique (manifestations massives de plusieurs secteurs en appui aux électriciens en grève), la Suède (des dizaines de milliers de grévistes à l’automne 86) et la Grèce (près de 2 millions d’ouvriers en grève en janvier 87), on a pu assister à quatre mouvements majeurs très significatifs affectant le cœur du prolétariat mondial: l’Europe occidentale. Il s’agit:
L’ensemble de ces mouvements confirme donc que la 3eme vague de luttes ouvrières depuis la reprise historique de la fin des années 60, et qui avait débuté à l’automne 83... en Belgique, a une toute autre durée, ampleur et profondeur que la 2 (78-80), et que le piétinement qu’elle avait connu en 85... ne remettait pas en cause sa dynamique d’ensemble. " (Résolution sur la situation internationale du 7eme congrès du CCI, Revue Internationale n°51)
Ainsi se confirmait, dans la seconde moitié des années 80, toute l’importance historique des combats de classe qui avaient débuté en 83, lesquels, désormais, mettaient à l’ordre du jour l’exigence de l’unification. Depuis, cette exigence, qui représente un pas considérable dans le développement de la lutte ouvrière, n’a pu se réaliser véritablement. Cependant, de nombreuses luttes ont manifesté des avancées vers cette perspective. Il en a été ainsi, par exemple, de la grève à la SNCF où les assemblées générales, qui constituent une des bases essentielles de toute démarche vers l’unification, se sont tenues de façon quotidienne, de même que dans les luttes de l’enseignement en Italie au printemps 87, où les "Cobas" (Comités de base) ont constitué, avant qu’ils ne deviennent le champ clos des manœuvres des gauchistes, un réel effort de la classe dans le sens d’une prise en main de son combat. Sur un autre plan, les luttes en Grande-Bretagne du début 88, dans la santé et dans l’automobile, ont témoigné d’une prise de conscience de la nécessité de la solidarité active, dans le combat, des divers secteurs en lutte. De même, les grèves de la fin 87 en Allemagne, au cœur d’un des centres industriels les plus importants du monde, la Ruhr, avaient exprimé une tendance similaire lorsque des dizaines de milliers d’ouvriers de cette zone étaient entrés en lutte en solidarité avec leurs camarades de Krupp.
Face à cette exigence et à ces tendances, la bourgeoisie n’est évidemment pas restée inactive. Au fur et à mesure que se radicalisait la lutte ouvrière, elle déployait de nouvelles facettes de sa politique visant à contrer les combats et la prise de conscience du prolétariat. A côté des syndicats classiques, dont le discrédit aux yeux des ouvriers ne cessait de croître, elle a mis en place de façon de plus en plus fréquente la carte du "syndicalisme de base" ou "de combat" qui, grâce à ses "critiques" des centrales officielles, a pour fonction de ramener dans le giron du syndicalisme les ouvriers qui sont dégoûtés par la politique de ces centrales. Et lorsque le syndicalisme de base (promu en général par les groupes gauchistes) ne suffisait plus, ce sont les "coordinations" (contrôlées par les mêmes gauchistes) qui ont pris la relève (notamment en France et en Italie, là où le syndicalisme rencontrait la plus grande méfiance). Du fait que ces organes prétendent tirer leur légitimité des assemblées générales, qu’ils se présentent comme étrangers au syndicalisme, ils ont constitué dans différents mouvements (SNCF en 86 et hôpitaux en 88, en France ; chemins de fer en Italie, en 87-88) d’utiles compléments à celui-ci, préparant le terrain à son retour (comme on l’a vu en France, après la grève de la santé). De tels organes constituent à deux titres un moyen de dévoiement des nécessités de la lutte de classe dans la perspective de son unification. En se prétendant "issus de la base", ils prennent les devants d’une réelle prise en main de la lutte par les assemblées générales. En proposant une centralisation prématurée du combat, alors que les conditions d’une telle centralisation, la prise en mains et l’extension géographique des luttes, n’existent pas encore, ils participent activement à son enfermement corporatiste.
Cependant, même si cet ensemble de manœuvres est parvenu, jusqu’à présent, à barrer à la classe ouvrière le chemin de l’unification de ses combats, le simple fait que la bourgeoisie ait été conduite à faire appel à de tels organes, de même qu’aux groupes gauchistes, illustre les réelles avancées qui se sont produites dans la lutte et la conscience du prolétariat tout au long des années 80. En particulier, ces années resteront marquées par une usure sans précédent dans l’histoire de l’arme principale du capitalisme contre la classe ouvrière: les syndicats.
Aujourd’hui, l’utilisation par les campagnes bourgeoises de l’agonie du stalinisme, le nouveau souffle des illusions démocratiques et réformistes qu’elle engendre, permettent un retour de ces mêmes syndicats au sein des luttes ouvrières, un retour momentané mais puissant. La classe ouvrière pourra d’autant mieux et rapidement redresser la situation, qu’elle saura garder en tête et faire vivre dans les luttes que les attaques capitalistes la contraindront à développer, tous les précieux enseignements des combats qu’elle a menés au cours des années 80. Il appartient aux révolutionnaires de participer pleinement à cet effort du prolétariat.
FM (17-12-89)
Pendant 50 ans, les trotskystes se sont fait les rabatteurs zélés de cet ennemi de toujours de la classe ouvrière qu’est le stalinisme. Que ce soit dans leur défense -"critique" mais indéfectible- de l’État stalinien d’URSS, au nom de laquelle ils ont joué les sergents-recruteurs de l’embrigadement des ouvriers dans l’anti-fascisme durant la deuxième guerre mondiale, et ont depuis lors appelé à la défense du camp impérialiste russe contre son rival occidental dans les zones d’affrontements entre les deux blocs. Que ce soit dans la fidélité avec laquelle ils ont apporté dans tous les pays leur soutien "critique" aux partis staliniens, s’efforçant de les présenter aux ouvriers qui s’en détournaient de plus en plus comme des "partis malgré tout ouvriers".
Aujourd’hui que le stalinisme s’effondre, et avec lui le bloc impérialiste russe, il faut bien que les trotskystes s’adaptent à la nouvelle situation. Et on peut leur faire confiance : si aujourd’hui le stalinisme ne peut plus à l’évidence prétendre jouer le rôle d’efficace moyen d’encadrement de la classe ouvrière qui a été le sien durant des décennies, les trotskystes entendent ne pas rester pour autant sur la touche. Fidèles à ce qui est leur fonction de toujours : jouer les rabatteurs des armes anti-ouvrières déployées par la classe dominante, les voilà qui, ni une ni deux, se mettent immédiatement au service des campagnes idéologiques de l’heure de la bourgeoisie.
L’exemple le plus répugnant de la capacité d’adaptation de ces chiens de garde de l’ordre bourgeois est certainement donné par "Lutte Ouvrière".
C’est en adoptant un discours particulièrement radical que LO développe sa propagande sur les événements à l’Est. En apparence, elle semble même détoner vis-à-vis de la "Gorbimania" en vogue dans la plupart des discours bourgeois aujourd’hui : ainsi LO n’a pas de mots assez durs contre Solidarnosc, LO multiplie les mises en garde vis-à-vis de Gorbatchev, LO s’alarme longuement des attaques anti-ouvrières qui se préparent derrière les convulsions actuelles à l’Est. Mais c’est pour tenir un discours qui vient insidieusement entretenir les campagnes actuelles de la bourgeoisie. Car ce que LO reproche à Gorbatchev, c’est ni plus ni moins que son intention inavouée de "brader les acquis d’Octobre 17" ! "Le socialisme de marché des réformateurs -explique LO dans sa brochure "Où va l’URSS de la perestroïka ?"- n’est rien d’autre qu’un programme de retour au capitalisme" et d’ajouter : "Évidemment, dans cette éventualité, il ne resterait plus rien des acquis de la révolution prolétarienne de 1917'. Autrement dit et jusqu’à nouvel ordre, l’URSS n’est pas un pays capitaliste et il y a des acquis prolétariens à défendre dans le système stalinien en URSS ! Ce faisant, LO est tout à fait fidèle à l’orthodoxie trotskyste sur la défense de l’URSS et au programme trotskyste pour qui "le socialisme" c’est "les nationalisations", "la propriété d’État des moyens de production", "le monopole du commerce extérieur" et "la planification", c’est-à-dire un programme de capitalisme d’État correspondant au modèle stalinien, et où ne réside pas plus d’"acquis ouvrier" que dans les nationalisations, les planifications ou autres moyens de contrôle de l’État sur l’économie qui existent dans les pays occidentaux.
Mais surtout, la bourgeoisie ne peut pas rêver aujourd’hui meilleur soutien à sa campagne actuelle d’identification du stalinisme au communisme et à l’utilisation qu’elle fait de l’effondrement du stalinisme pour inculquer l’idée que c’est le communisme qui fait faillite et avec lui tout espoir de révolution prolétarienne. Alors que, ces dernières années, le mythe de l’URSS "socialiste" et l’idée même d’une "différence de nature" entre les pays de l’Est et ceux d’Europe occidentale avaient pris, sous les effets de la crise mondiale du capitalisme, un sérieux coup dans l’aile, la bourgeoisie se sert des événements actuels pour redonner force à ce mensonge et s’en servir pour déboussoler la classe ouvrière, dénaturer à ses yeux les objectifs de son combat, lui enlever toute perspective. Et elle peut compter sur les trotskystes pour lui donner un coup de main dans cette entreprise. Sans avoir l’air d’y toucher, LO vient ainsi cautionner toute la campagne de la classe dominante, fournissant des arguments pseudo-théoriques et une coloration pseudo-révolutionnaire à l’idée qu’il y a quand même quelque part une continuité entre la révolution prolétarienne et les régimes staliniens et que ces derniers représentent en dernière instance un "modèle" et une "boussole" pour les luttes ouvrières.
Mais LO ne se contente pas de participer aux efforts de toute la bourgeoisie pour dénaturer aux yeux de la classe ouvrière sa perspective révolutionnaire. Elle est partie prenante également (au même titre d’ailleurs que sa consœur la LCR), de l’offensive bourgeoise qui cherche à entraîner les ouvriers sur le terrain pourri de la défense de la démocratie, des syndicats, des "libertés” et d’une manière générale de tous les attributs de la dictature bourgeoise à l’occidentale.
Ainsi, après avoir expliqué que les "réformateurs” en URSS menacent les fameux "acquis d’Octobre", LO explique (dans la même brochure déjà citée) que les réformes ont quand même du bon pour la classe ouvrière. Tiens donc ! Écoutons LO : "Le processus de libéralisation du régime engagé par Gorbatchev donne à la classe ouvrière la possibilité de devenir une véritable force politique indépendante, et c’est là où réside le seul aspect positif de la situation, mais il est de taille" (...) "Si la démocratisation de l’URSS se réalisait avec la participation pleinement consciente de la classe ouvrière, non seulement elle irait jusqu’au bout de ses possibilités, mais elle prendrait un tout autre cours que celui engagé par Gorbatchev". Lequel donc ? LO répond : "S’il s’avérait que la classe ouvrière soviétique profite des actuelles libertés politiques pour s’exprimer et défendre la propriété collective des moyens de production contre toutes les tentatives de retour à la propriété privée et qu’elle le fasse en tant que force indépendante et pas derrière les bureaucrates conservateurs, cela voudrait dire qu’elle reste attachée aux acquis d’Octobre 1917, donc que ceux-ci sont encore vivaces et vivants". En un mot, selon LO, la classe ouvrière n’aurait que des amis parmi les fractions de la bourgeoisie qui s’opposent en URSS ! Les uns -les conservateurs- seraient ses alliés objectifs parce que attachés aux fameux "acquis" du capitalisme d’État stalinien, les autres -les réformateurs- le seraient aussi parce que... ils donneraient à la classe ouvrière les moyens de défendre le programme... des premiers ! Magnifique gymnastique de la part de "Lutte Ouvrière", dont il y aurait de quoi rire si ce n’était pas un scénario dramatique pour la classe ouvrière que ces charognards n’étaient pas en train de nous concocter. D’ailleurs, c’est avec encore moins d’ambiguïté que LO encourage la classe ouvrière d’Allemagne de l’Est et de Tchécoslovaquie à s’engager dans le même piège en se laissant entraîner dans la défense d’une fraction de la bourgeoisie contre une autre, lorsqu’elle s’écrie, à propos de l’agitation démocratique en Tchécoslovaquie qui réclame des élections libres et une nouvelle constitution :"Eh bien, il faut souhaiter que le mouvement contamine les travailleurs qui ont commencé à se manifester, qu’il contribue à leur faire prendre conscience de leur force".
Ce discours de valorisation des thèmes "démocratiques" ne s’adresse d’ailleurs pas qu’aux ouvriers de l’Est, mais bien surtout à la classe ouvrière d’ici. En cautionnant ainsi le mouvement de démocratisation, le soi-disant "vent de liberté" venu de l’Est et en lui donnant une coloration pseudo ouvrière, LO ne fait que participer aux efforts de la classe dominante pour tenter de faire abandonner à la classe ouvrière son terrain de classe et de la faire adhérer à la défense de la démocratie bourgeoise, présentée comme "le bien le plus précieux”. Comme par hasard les thèmes de la "démocratie" et de la "liberté" font ces derniers temps, toutes les "unes” de LO qui les met désormais à toutes les sauces, qu’il s’agisse de parler de la situation en Europe de l’Est, du foulard islamique, des grèves à Peugeot ou de la montée de Le Pen...
La classe ouvrière n’a rien à gagner dans ce programme de défense de la démocratie que lui propose LO, pas plus ici en Occident que dans les pays de l’Est. Sa "force indépendante", dont LO a plein la bouche, passe uniquement par le rejet tant du miroir aux alouettes démocratique que par celui du mythe des "acquis d’Octobre", elle se situe, ici comme là-bas, dans sa capacité à rester résolument sur son terrain de classe, sur son terrain de résistance de classe à l’exploitation capitaliste.
Les trotskystes de LO sont certes contraints à de difficiles exercices de funambulisme pour continuer à jouer leur rôle anti-ouvrier dans la situation présente. Mais au-delà de leurs hésitations entre le soutien aux réformateurs et autres démocrates et la défense de la vieille garde stalinienne, ils confirment qu’ils ont choisi leur camp depuis longtemps : c’est celui de la bourgeoisie.
PE