“La grève la plus longue de l’histoire de la SNCF”. Tel est désormais le titre officiel de ce mouvement mené par les cheminots, en décembre et janvier. Même combativité et détermination du côté des agents de la RATP, mobilisés eux aussi sans relâche durant des semaines.
Et ils ne furent pas seuls. En ces mois de décembre et janvier, plusieurs journées d’action ont vu se rassembler des centaines de milliers de manifestants pour s’opposer à cette impitoyable “réforme” des retraites, devenue le symbole de la dégradation continue de nos conditions d’existence, à nous tous, les exploités, travailleurs du public ou du privé, précaires ou en CDI, jeunes ou vieux.
Après des années d’atonie, ce mouvement social sonne le réveil de la combativité du prolétariat en France. La classe ouvrière a commencé à relever la tête. En se battant pour leur dignité et en se serrant les coudes, entre les différents secteurs, entre les différentes générations, les travailleurs ont pu constater qu’ils pouvaient lutter ensemble, unis et solidaires. La renaissance de ce sentiment d’appartenir à une même classe, de tous être frappés par la même exploitation, les mêmes attaques iniques des gouvernements successifs, de pouvoir enfin se rassembler dans la rue avec les mêmes mots d’ordre, les mêmes revendications, d’exprimer par des pancartes, des slogans, dans les discussions sur le pavé, ce besoin et cette envie d’être solidaires dans la lutte… tout cela représente la victoire essentielle de ce mouvement. Ce n’est qu’une petite graine, fragile, mais elle est une promesse pour l’avenir.
Malgré l’ampleur de cette mobilisation, le gouvernement a néanmoins pu rester “droit dans ses bottes”. Après des semaines de grève, après des manifestations hebdomadaires rassemblant des centaines de milliers de personnes et une immense détermination, ce mouvement n’est en effet pas parvenu à instaurer un rapport de force favorable aux travailleurs.
Or, avec l’aggravation de la crise économique mondiale et la course permanente aux profits, le gouvernement va attaquer encore et encore. Pour freiner ces attaques à venir, les prochaines luttes devront donc aller plus loin, en s’inspirant notamment de la dernière victoire du prolétariat en France, celle de 2006. Le Président Chirac et le gouvernement Villepin avaient en effet dû retirer leur Contrat Première Embauche. Pourquoi ? Qu’ont-ils perçu dans ce mouvement qui les a tant inquiétés ?
À l’époque, les étudiants comprennent vite que ce “Contrat Poubelle Embauche” va imposer une nouvelle aggravation de la précarité et de la pauvreté à tous les jeunes travailleurs. Indignés par cet avenir insupportable, ils se mobilisent massivement. Ils organisent alors eux-mêmes, dans toutes les universités, et sans aucun syndicat, des assemblées générales massives, ouvertes à tous les travailleurs, actifs ou retraités. Leurs AG, qui se tiennent dans les amphithéâtres des universités, sont la force du mouvement, le poumon de la lutte. C’est dans ces AG que se discutent presque chaque jour les actions à mener, les moyens de coordonner la lutte d’une université à l’autre, d’organiser les manifestations chaque samedi afin que le maximum de travailleurs puisse y participer. C’est grâce aux débats intenses en leur sein, que les étudiants (pour la plupart des jeunes travailleurs précaires) décident d’aller chercher la solidarité des salariés en envoyant des délégations massives dans les gares, les dépôts de la RATP, dans certaines usines (comme à Citroën). Semaine après semaine, le mouvement ne cesse de s’amplifier avec des manifestations hebdomadaires de plus en plus importantes. Les syndicats (et notamment la CGT) ne sont pas à la tête des cortèges. Ce ne sont pas eux qui organisent ce mouvement massif. Les ballons de la CGT sont même refoulés par les étudiants à la queue des manifestations.
Si le gouvernement a fini par reculer, c’est parce qu’il a perçu le danger de cette dynamique ; il lui fallait arrêter ce processus à l’œuvre, stopper ces jeunes travailleurs précaires, encore scolarisés, entraînant les salariés dans leur lutte et dans leurs AG, mettre fin au développement de cette solidarité symbolisée par ce slogan “Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade”. Le mouvement du printemps 2006 fut ainsi un gigantesque camouflet à un autre slogan, celui de la bourgeoisie, et lancé par l’ex-Premier ministre Raffarin : “Ce n’est pas la rue qui gouverne !”
Pour le moment, la classe ouvrière est incapable de s’élever à un tel niveau dans la lutte. Mais les étudiants d’hier sont les salariés d’aujourd’hui. Ils doivent se souvenir et transmettre cette expérience à leurs camarades de travail, aux plus jeunes comme aux plus vieux.
Les plus vieux, justement, portent en leur mémoire une immense expérience ouvrière, celle de Mai 68. Ce mouvement montre la capacité des travailleurs à étendre leur lutte, de proche en proche, d’usine en usine, de ville en ville. Il faut que les ouvriers aujourd’hui à la retraite racontent cette page de l’Histoire. À partir de 1967, la situation économique se détériore sérieusement en France, poussant le prolétariat à entrer en lutte. Dès le début 1967, se produisent des affrontements importants à Bordeaux (à l’usine d’aviation Dassault), à Besançon et dans la région lyonnaise (grève avec occupation à Rhodia, grève à Berliet), dans les mines de Lorraine, dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, à Caen… Ces grèves préfigurent ce qui va se passer à partir du milieu du mois de mai 1968 dans tout le pays. On ne peut pas dire que l’orage ait éclaté dans un ciel d’azur. Entre le 22 mars et le 13 mai 1968, la répression féroce des étudiants mobilise de manière croissante la classe ouvrière portée par ses élans instinctifs de solidarité. Le 14 mai, à Nantes, de jeunes ouvriers lancent un mouvement de grève. Le 15 mai, le mouvement gagne l’usine Renault de Cléon, en Normandie ainsi que deux autres usines de la région. Le 16 mai, les autres usines Renault entrent dans le mouvement : drapeau rouge sur Flins, Sandouville et le Mans. L’entrée de Renault-Billancourt dans la lutte est alors un signal : c’est la plus grande usine de France (35 000 travailleurs) et depuis longtemps. Existe alors un adage : “Quand Renault éternue, la France s’enrhume”. Le 17 mai, la grève commence à toucher toute la France. C’est un mouvement totalement spontané. Partout, les jeunes ouvriers sont devant. Il n’y a pas de revendications précises : c’est un ras-le-bol qui s’exprime. Le 13 mai, une grande manifestation rassemble 9 millions de personnes dans la rue. C’est un véritable raz de marée ! Le 18 mai, il y a un million de travailleurs en grève à midi. Le 22 mai, il y en a 8 millions. C’est alors la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Tous les secteurs sont concernés : industrie, transports, énergie, postes et télécommunications, enseignement, administrations, médias, laboratoires de recherche, etc. Au cours de cette période, les facultés occupées, certains bâtiments publics comme le Théâtre de l’Odéon à Paris, les rues, les lieux de travail deviennent des lieux de discussion politique permanente. “On se parle et on s’écoute” devient un slogan.
Le même besoin de solidarité anime aujourd’hui la classe ouvrière. Combien de fois a-t-on pu entendre dans les cortèges des mots d’ordre tels que : “c’est tous ensemble que nous devons lutter”, ou bien “ce n’est pas seulement pour nous que nous nous battons, mais pour tous les autres secteurs et les générations à venir”. L’enthousiasme de se retrouver tous ensemble dans la rue chaque semaine en manifestant, d’être unis et solidaires, au-delà des secteurs et des corporations, en témoigne. Après une décennie d’atonie sociale, le mouvement actuel ne pouvait être qu’un premier petit pas sur la longue route qui mène vers les luttes massives. Pour réaliser les pas suivants, pour parvenir à construire un rapport de force face au gouvernement, et freiner ses attaques, il faudra éviter le piège de la grève “par procuration” et parvenir à étendre le mouvement dès le début à tous les secteurs, en prenant nos luttes en main, en nous auto-organisant, en nous regroupant dans des assemblées générales, massives, souveraines et autonomes, pour y débattre et prendre ensemble les décisions, pour lutter en tant que classe. Le mouvement actuel, malgré toutes ses faiblesses, porte les germes de cette dynamique future, car il a remis au-devant de la scène sociale le fait que les travailleurs subissent tous la même exploitation, les mêmes attaques et, surtout, qu’ils peuvent mener ensemble une lutte animée par le besoin d’unité et de solidarité.
Plus que jamais, l’avenir appartient à la lutte de classe !
Claudine, 13 janvier 2020
Le mouvement contre la réforme des retraites a été mené de bout en bout sous le contrôle des syndicats. Ce sont eux qui ont appelé à la grève, eux qui ont choisi et organisé les journées d’action, eux qui ont dirigé les rares assemblées générales. Et ce sont eux qui nous ont menés volontairement à la défaite. Il ne faut pas être naïf, le gouvernement et les syndicats se sont concertés durant 2 ans… pour se préparer et parvenir à faire passer cette réforme !
Le gouvernement devait se donner toutes les garanties pour que cette attaque de grande ampleur, annoncée par Macron en 2017 comme un véritable “big bang”, ne provoque pas une riposte massive de toute la classe ouvrière. Philippe s’est donc appuyé sur la collaboration des “partenaires sociaux” que sont les syndicats pour saboter l’inévitable explosion de colère de l’ensemble des travailleurs.
Cette attaque générale contre toute la classe ouvrière ne pouvait en effet que déclencher une réaction d’indignation et de colère spontanée dans un secteur particulièrement combatif, celui des transports. Pour les cheminots, “trop, c’est trop” : après avoir mené plusieurs mouvements ces dernières années, notamment la “grève perlée” de 2018, contre la dégradation de leurs conditions de travail, contre la remise en cause de leur statut, et où ils n’avaient rien obtenu, l’attaque contre leur régime de retraite ne pouvait déboucher que sur une volonté de repartir en lutte de façon encore plus déterminée avec le mot d’ordre : “Maintenant ça suffit ! On ne lâchera rien !”. Cette combativité dans le secteur des transports risquait de déboucher sur une explosion incontrôlable avec le danger de faire tache d’huile du fait que l’attaque générale contre les retraites a soulevé une colère générale de toute la classe ouvrière.
La classe dominante dispose de multiples moyens pour “tâter le pouls” du mécontentement social (dans un pays où Macron, le “Président des riches”, est devenu l’homme le plus détesté dans la majorité de la population) : sondages d’opinion, enquêtes de police pour “prendre la température” des secteurs “à risque”, et en premier lieu la classe ouvrière. Mais l’instrument le plus important de ce “thermomètre social” est constitué par l’appareil syndical qui est bien plus efficace encore que les sociologues des instituts de sondage ou que les fonctionnaires de police. En effet, cet appareil a comme fonction d’être l’instrument par excellence d’encadrement des exploités au service de la défense des intérêts du Capital. L’appareil syndical de l’État capitaliste dispose d’une expérience de près d’un siècle. Il est particulièrement sensible à l’état d’esprit des travailleurs, à leur volonté et à leur capacité d’engager des combats contre la bourgeoisie. Ce sont les forces d’encadrement de la classe ouvrière qui sont chargées d’avertir en permanence les patrons et le gouvernement du danger représenté par la lutte de classe. C’est d’ailleurs à cela que servent les rencontres et concertations périodiques entre les dirigeants syndicaux et le patronat ou le gouvernement : élaborer ensemble, main dans la main, la meilleure stratégie permettant au gouvernement et au patronat de porter ses attaques contre la classe ouvrière avec le maximum d’efficacité.
Les syndicats ont parfaitement compris que la classe ouvrière en France n’était plus disposée à courber encore l’échine et à encaisser sans broncher de nouvelles attaques. La classe dominante sait également que le prolétariat n’a aujourd’hui plus la moindre illusion sur une possible “sortie du tunnel” : tous les travailleurs ont maintenant conscience que “ça va être de pire en pire” et qu’ils n’auront pas d’autre choix que de se battre pied à pied tous ensemble pour défendre leurs conditions de vie et l’avenir de leurs enfants. Ainsi, la côte de popularité du mouvement des Gilets jaunes contre “la vie chère” et la misère, il y a tout juste un an, a été un bon indicateur de la colère qui grondait dans les entrailles de la société : 80 % de la population disaient soutenir, comprendre ou avoir de la sympathie pour ce raz-de-marée anti-Macron (même si la classe ouvrière ne se reconnaissait pas dans les méthodes de contestation (1) de ce mouvement interclassiste initié par les petits patrons asphyxiés par les taxes sur le carburant). La bourgeoisie, avait donc parfaitement perçu, ces deux dernières années, une véritable montée de la combativité ouvrière. La ténacité des urgentistes ou des postiers, en grève durant des mois, en était aussi un indice. La multiplication des luttes dans les secteurs de la grande distribution, des chauffeurs de bus ou dans l’aviation en était un autre.
Face à l’accumulation de mécontentement des exploités, la bourgeoisie française devait donc “accompagner” l’application de la réforme des retraites d’un “pare-feu” pour canaliser, encadrer, diviser, épuiser la riposte inévitable du prolétariat.
Haïs aujourd’hui au sein des cortèges des manifestants pour avoir “poignardé le mouvement dans le dos”, la CFDT et l’UNSA ont parfaitement joué leur rôle de “syndicats responsables et réformistes”. Ce fut une vraie pièce de théâtre (2) :
– Acte 1 : la CFDT tricote un texte avec le gouvernement durant 2 ans en affirmant qu’elle veut un régime universel “juste et équilibré” mais qu’elle refuse la notion d’ “âge pivot”, véritable provocation qui n’a pour raison d’être que de focaliser sur elle toute la colère et ainsi détourner l’attention du sujet véritable, l’attaque générale contre les retraites ; le gouvernement réfléchit.
– Acte 2 : le 11 décembre, le gouvernement annonce officiellement… roulement de tambours… que l’âge pivot sera finalement dans la réforme ; la CFDT est vent debout, parce que la “ligne rouge” a été franchie, et rejoint le “front syndical”, tout l’espace médiatique est occupé par ce “débat” : âge pivot ou pas. Les gens de théâtre appellent ce moment “jouer la grande scène du II”.
– Acte 3 : finalement, ô grande surprise, le vendredi 10 janvier, à Matignon, le gouvernement recule sur “l’âge pivot” ; la CFDT et l’UNSA crient à la victoire et quittent le mouvement.
Les spectateurs repartent avec dans leur poche le “système de retraite à points”, c’est-à-dire des années de travail en plus et une pension de retraite rabotée.
Il y a 25 ans, le gouvernement Juppé avait usé peu ou prou de la même stratégie : mener une attaque générale contre la classe (la réforme de la Sécurité sociale qui signifiait une dégradation de l’accès aux soins pour tous) et une attaque spécifique contre un secteur particulier (la réforme du régime spécial des cheminots, qui leur imposait de travailler 8 ans de plus !). Après un mois de grève, avec des cheminots ultras-combatifs à la pointe du mouvement, Juppé avait reculé et les syndicats avaient crié à la victoire… le statut des cheminots était sauvé. Ce secteur, véritable “locomotive” de la contestation sociale, rentrait donc en gare, en reprenant le travail et en sonnant ainsi la fin du voyage, celle du mouvement, pour tous. Ainsi le gouvernement pouvait maintenir sa réforme de la sécurité sociale.
Cette manœuvre, éculée, semble moins bien fonctionner aujourd’hui. Personne ne crie victoire, mis à part la CFDT et l’UNSA, donc. Tout le monde dénonce ce piège pour ce qu’il est : une fumisterie, un stratagème pour faire passer la pilule. Même dans la presse, le secret est éventé.
Si donc, malgré leur détermination, les centaines de milliers de manifestants cessent aujourd’hui peu à peu le combat sans que le gouvernement ait retiré son attaque générale contre les retraites, c’est que la manœuvre était plus ample et complexe. Aux côtés des syndicats “réformistes”, les “radicaux”, la CGT, FO et Solidaires, ont tenu leur rôle pour isoler et épuiser les grévistes. Compte-tenu du niveau de colère et de combativité de notre classe, cette usure programmée a simplement été plus longue que prévue. Il a même fallu tout le savoir-faire de ces spécialistes du sabotage des luttes pour parvenir à leurs fins.
Dès la rentrée de septembre, la campagne sur la réforme des retraites est officiellement lancée. FO, Solidaires et la CGT font feu de tout bois. Comment ? Par la multiplication des journées d’action sectorielles. À chaque boîte, sa journée de grève et ses revendications spécifiques. “Chacun pour soi, les syndicats pour tous”. Le but est d’épuiser les velléités de luttes avant de lancer un mouvement plus ample et sous contrôle.
Seulement, cette dispersion organisée est très critiquée. Dans les manifestations, les ouvriers qui expriment leur mécontentement face à cette division ne sont pas rares, ils veulent que les syndicats rassemblent car “on est tous dans la même galère, il faut qu’on se batte tous ensemble”. L’annonce, le 20 septembre, de la grande manifestation unitaire du 5 décembre répond à cette poussée. Là encore, rien n’est laissé au hasard : cette date est choisie parce qu’elle est suffisamment lointaine (plus de deux mois) pour poursuivre, durant tout ce laps de temps, l’éparpillement et l’épuisement. Elle est aussi juste avant les fêtes de fin d’année et la fameuse trêve des confiseurs, propice à rendre tout blocage des transports impopulaire et à isoler les plus combatifs.
Durant les mois d’octobre et de novembre, les syndicats “radicaux” poursuivent leur travail de sape par leurs grèves isolées et sectorielles. Alors que la colère ouvrière est palpable, dans de multiples secteurs, ils se gardent bien de proposer des AG ouvertes et rassemblant largement, d’unifier les entreprises et les secteurs entre eux par l’envoi de délégations massives pour discuter et étendre la grève. Rien de tout cela ! Juste des grèves et des actions isolées en attendant la promesse de la grande manifestation du 5 décembre. Mais cette stratégie d’épuisement et de démoralisation est une nouvelle fois insuffisante. La classe ouvrière continue de pousser, et la combativité de monter.
Le 16 octobre, les cheminots arrêtent brutalement le travail suite à un accident ferroviaire dans les Ardennes. Spontanément, en utilisant leurs téléphones, ils se préviennent les uns les autres et étendent ainsi la grève à toute une partie de la SNCF. Les agents d’Île-de-France se montrent particulièrement combatifs. Les lignes de RER sont bloquées. Les syndicats prennent le train en marche et chapeautent cette grève en appelant au “droit de retrait”. En d’autres termes : ils collent à la mobilisation qui se met en marche. La bourgeoisie goûtera peu cette autonomie ouvrière et cette dynamique de prise en main et d’extension de la lutte, au point que gouvernement et patronat dénoncent l’illégalité de cette “grève sauvage” et menacent de sanctions les grévistes. Ce qui permettra aux syndicats de reprendre définitivement le contrôle de la situation en s’érigeant comme protecteurs des grévistes et défenseurs du droit de grève. Durant ce mois d’octobre, la SNCF va en fait connaître un certain nombre de grèves sauvages, notamment dans le centre de maintenance de Châtillon où, sans l’avis des syndicats, 200 ouvriers sur 700 se regroupent pour se dresser contre des mesures qui aggravent les conditions de travail, mesures qui sont vite retirées afin de stopper la grève immédiatement et ainsi éviter que le mouvement ne soit connu et ne donne des idées aux travailleurs. (3)
Les syndicats sont donc avertis, ils doivent se montrer plus combatifs et coller au mouvement afin d’en avoir le parfait contrôle. Le 9 novembre, la CGT rejoint l’UNSA-ferroviaire (4) et Sud/Solidaires, dans l’appel à la grève reconductible du 5 décembre. Elle annonce que cette action sera aussi menée à la SNCF. Puis la CFDT-cheminots annonce être aussi du mouvement. (5)
Mais derrière le “front syndical” et les discours sur l’unité de tous les secteurs, ils poursuivent tous dans les coulisses leur même travail de sape et de division. Leur sabotage de l’unité du mouvement dans le secteur hospitalier est particulièrement caractéristique : depuis le mois de mars, les syndicats et leurs “collectifs inter-urgences” mènent des actions ultra-corporatistes, séparant la contestation des urgentistes de tous les autres services hospitaliers. Mais sous la pression grandissante de la volonté de “se battre tous ensemble”, ils changent de discours et appellent à deux manifestations “unitaires”, les 14 et 30 novembre, unitaires à… la fonction hospitalière ! Cela afin de mieux séparer cette lutte du mouvement général contre la réforme des retraites, au nom de la “spécificité des hôpitaux” (et donc surtout mieux diviser). Cette décision syndicale engendrera une véritable bronca au sein des AG des agents hospitaliers et nombre d’entre eux se mobiliseront tout de même, hors des consignes syndicales, le 5 décembre.
Lors des grandes manifestations de décembre, le besoin de solidarité entre les secteurs et les générations, de se battre tous ensemble, est repris par les slogans crachés par les haut-parleurs des camionnettes syndicales. Pour en faire quoi ? Rien. Juste répéter ces slogans en boucle lors de chaque journée d’action. Mais concrètement, chaque secteur est appelé à défiler dans son pré-carré syndical, parfois même délimité, parqué, coupé des autres, par une corde et un “service d’ordre”, l’ordre syndical. Aucun grand rassemblement pour discuter en fin de manifestation, alors que nombre de travailleurs en ont exprimé le souhait. Les syndicats et les flics dispersent les foules. Le temps presse : les cars doivent partir.
En cette mi-décembre, les cheminots de la SNCF et de la RATP en grève ont conscience que, s’ils restent isolés, le mouvement est voué à la défaite. Alors que font les syndicats ? Ils organisent un simulacre d’extension : quelques représentants CGT partent à la rencontre de quelques autres représentants CGT d’une autre entreprise.
Lors des manifestations du samedi, officiellement organisées par les syndicats afin de permettre aux salariés du privé de participer au mouvement, la CGT, FO et Solidaires ne font aucun effort de mobilisation en direction des entreprises. Au contraire, tout leur discours focalise sur le courage des cheminots “qui se battent pour nous tous”, sur la force de blocage de ce secteur (sous-entendant que les autres travailleurs sont impuissants) et la nécessité de les soutenir en… alimentant les caisses de solidarité organisées surtout par la CGT en lieu et place de la solidarité active des travailleurs dans la lutte et l’extension du mouvement (même s’il était compréhensible que tout le monde éprouve le besoin d’aider les cheminots financièrement du fait de leur perte d’un mois de salaire !). Tout au long de décembre, les syndicats cultivent la grève par procuration !
Ainsi, seuls en grève “illimitée”, les cheminots sont encouragés à tenir, “coûte que coûte” durant les 15 jours des fêtes de fin d’année avec le mot d’ordre : pas de trêve des confiseurs !
Mais là encore, les médias qui dénoncent “la prise en otage des familles qui veulent simplement se réunir pour Noël”, ces deux semaines de “trêve” durant lesquelles les cheminots se battent seuls, ne suffisent pas à épuiser la colère et la combativité générale, ni à rendre la grève “impopulaire”.
Le 9 janvier, la nouvelle journée de mobilisation multisectorielle voit à nouveau des centaines de milliers de manifestants affluer, toujours aussi déterminés à refuser la réforme.
Le 10 janvier, Phillipe négocie avec les syndicats et annonce “un dialogue constructif et des avancées”, promettant de demander dès le lendemain au Président Macron s’il est possible de retirer “l’âge pivot”. Tous les syndicats saluent cette victoire, cette grande victoire pour la CFDT et l’UNSA, ce petit pas en avant pour la CGT, FO et Solidaire montrant que le gouvernement commencerait à reculer sous la pression de la rue et des grévistes du secteur des transports.
Le lendemain donc, nouvelle manifestation. Ce samedi 11 janvier, à Marseille, les syndicats organisent des animations en fin de manifestation, pour rendre impossible toute discussion. À Paris, ils laissent le champ libre aux policiers pour gazer une nouvelle fois, disperser, et même tabasser des manifestants. Il ne faut pas que ces derniers puissent débattre. Mais surtout, l’affluence ce jour-là est en très nette baisse, les trains commencent à reprendre les voies, l’usure se fait sentir, l’ambiance au sein des cortèges moins massifs est moins combative. Le coup d’estocade peut être porté. Philippe annonce le retrait de “l’âge pivot”… temporairement. Le timing est parfait.
Alors maintenant que le mouvement s’essouffle, que les grévistes cheminots n’en peuvent plus, financièrement exsangues, qu’ils reprennent peu à peu le travail, que font les syndicats “radicaux” ? Ils en appellent bien sûr à l’extension du mouvement qui est dans une dynamique de reflux, haranguant le privé de “prendre le relais”, dénonçant la “lâcheté de la grève par procuration” ! Il fallait entendre Monsieur Mélenchon, le 9 janvier, sur toutes les chaînes, lancer : “La grève par procuration, ça commence à bien faire, il faut que tout le monde s’y mette !”.
Maintenant, ils n’ont que les mots “assemblées générales souveraines” à la bouche pour faire croire qu’ils ne sont que les porte-paroles des ouvriers et que si certains continuent à s’épuiser seuls à être en grève, ils n’y peuvent rien, “c’est l’AG et la base qui décident si les cheminots veulent perdre encore des jours de salaire” (dixit le dirigeant de la CGT, Philippe Martinez sur les plateaux télé).
Maintenant, ils multiplient les actions pour mieux constater que les ouvriers ne veulent pas renforcer et généraliser la mobilisation et donc mettre sur leur dos la défaite ! Cette semaine, ce ne sont pas moins de trois journées d’action, les 14, 15 et 16 janvier, auxquelles les syndicats appellent alors même que les cheminots reprennent le travail progressivement.
Maintenant, le meneur de la CGT, Monsieur Martinez, faisant écho à celui du Parti La France Insoumise de Monsieur Mélenchon, est sur tous les plateaux, toutes les radios, et au milieu des grévistes pour dénoncer les violences policières… qui durent depuis des mois ! Alors que les syndicats (CGT en tête) ont laissé faire jusqu’à présent les tabassages de manifestants, les dispersions des fins de manifestations à coup de grenades lacrymogènes, sans broncher et sans protester. Il a fallu que Mélenchon se mette à appeler à la démission du Préfet de police de Paris pour que les syndicats se mettent aussi à crier à hue et à dia contre la répression des grévistes.
Maintenant, tous les syndicats vont jouer le jeu des négociations avec le gouvernement pour la “prise en compte de la pénibilité”, nouvelle étape pour un émiettement corporatiste du mouvement alors que tout le monde travaille sous pression et que l’exploitation est pénible pour tous ! Ce “volet des négociations” est sérieusement à l’étude avec un unique objectif : diviser, voire mettre en concurrence les ouvriers dans des négociations perdues d’avance, branche par branche, pour déterminer si tel travail est plus “pénible” que tel autre. Le “front syndical” fera sans doute belle figure lorsque la CGT-cheminots et la CFDT-Carrefour se tireront la bourre pour savoir qui a le travail le plus “pénible” !
Les syndicats avaient fait le même coup lors de la grève des cheminots de l’hiver 1986 en appelant à l’extension de la grève, à la fin du mouvement, alors que les cheminots commençaient à reprendre le travail. (6) En fait, ce que cherchent ces pompiers sociaux professionnels, c’est l’extension et le renforcement de la défaite pour couper l’herbe sous le pied et tenter de casser les reins de la classe ouvrière. Ceci afin de donner toutes les garanties au gouvernement pour que cette réforme puisse passer au Parlement sans difficultés (et ainsi permettre au gouvernement de faire passer d’autres attaques) !
Non, la classe ouvrière n’a pas à se laisser culpabiliser par les syndicats !
Non, ceux qui reprennent le travail ne sont pas des briseurs de grève !
Non, les secteurs qui ne sont pas rentrés en lutte n’ont pas manqué de courage et de solidarité !
Ce sont les syndicats, main dans la main avec le gouvernement, qui ont planifié et orchestré cette défaite !
Ce sont les syndicats, main dans la main avec le gouvernement, qui ont empêché toute unité possible, toute extension réelle du mouvement !
La classe ouvrière, au contraire, doit être consciente du pas qu’elle a fait. Après dix années d’atonie, suite au long mouvement appelé par tous les syndicats unis, épuisant et impuissant, de 2010, les travailleurs ont commencé à redresser la tête, à vouloir lutter ensemble, à vouloir s’unir, à se reconnaître comme des frères de classe. Ces derniers mois ont été animés par le développement de la solidarité entre les secteurs et entre les générations !
Voilà la victoire de ce mouvement car le vrai gain de la lutte, c’est la lutte elle-même où toutes les catégories professionnelles, toutes les générations se sont enfin retrouvées ensemble dans un même combat de rue contre une réforme qui est une attaque contre tous les exploités ! Et voilà ce que vont s’évertuer à vouloir effacer le gouvernement et les syndicats dans les semaines et les mois à venir.
À nous de nous rassembler pour débattre, discuter, tirer les leçons, pour ne pas oublier et, lors des luttes de demain, être encore plus nombreux et plus forts en commençant à comprendre et à déjouer les syndicats, ces professionnels… de la défaite. Ils seront toujours les derniers remparts de l’État dans les rangs ouvriers pour la défense de l’ordre capitaliste !
Léa, 14 janvier 2020
(1) L’occupation des ronds-points, l’agitation ostentatoire des symboles républicains et nationalistes tels que les drapeaux tricolores ou La Marseillaise.
(2) Cf. nos tracts dans lesquels nous annoncions la manœuvre dès le début du mois de décembre.
(3) La déclaration des ouvriers de Châtillon a été publiée dans le RI n° 479. En voici un très court extrait : “Nous agents grévistes du matériel au Technicentre de Châtillon, sur le réseau TGV Atlantique, avons cessé le travail massivement depuis lundi 21 octobre au soir, sans se concerter ou être encadrés par les syndicats. (…) Notre colère est réelle et profonde, nous sommes déterminés à nous battre jusqu’au bout de nos revendications, pour le respect et la dignité. …) Marre des réorganisations, des bas salaires, des suppressions d’emplois et des sous-effectifs ! Nous appelons l’ensemble des cheminots à relever la tête avec nous, car la situation aujourd’hui à Châtillon est en réalité le reflet d’une politique nationale”.
(4) … alors que l’UNSA des autres secteurs n’appelle pas à faire grève ! En fait, là aussi, l’UNSA-ferroviaire est contrainte de coller à la combativité du secteur sous peine d’être complètement discréditée.
(5) … alors qu’au niveau national, la CFDT n’appelle pas plus à la grève !
(6) Nous republions ci-contre un article tirant les leçons de cette lutte : “SNCF décembre 1986 : Les ouvriers peuvent se battre sans les syndicats”.
Après l’assassinat ciblé par les États-Unis du stratège militaire iranien de premier plan, Qassem Soleimani, les discussions dans de nombreuses capitales du monde, en particulier en Europe occidentale (qu’elles aient ou non exprimé un soutien explicite à l’action américaine) ont porté sur la nécessité d’éviter une “escalade” des tensions militaires au Moyen-Orient. Commentant la nature limitée de la réponse initiale de l’Iran (une attaque de missiles sur des bases aériennes américaines en Irak qui semble avoir causé peu de dommages ou de pertes humaines), les mêmes voix ont poussé un soupir de soulagement, espérant que l’Iran allait maintenant annoncer une désescalade.
Mais la montée des confrontations militaires au Moyen-Orient (et la contribution particulière des États-Unis à celle-ci) a des racines plus profondes et plus larges que l’impasse actuelle entre l’Iran et le gouvernement Trump. Déjà à l’époque de la guerre froide, cette région stratégiquement vitale avait été le théâtre d’un certain nombre de guerres par procuration entre les blocs américain et russe, notamment les guerres arabo-israéliennes de 1967 et 1973 et les “guerres civiles” qui ont déchiré le Liban et l’Afghanistan, de même que la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980. Avec l’effondrement du bloc russe, les États-Unis ont cherché à s’imposer comme la seule superpuissance mondiale, exigeant de leurs anciens partenaires du bloc occidental qu’ils se joignent à la première guerre du “nouvel ordre mondial” de Bush Senior contre l’Irak de Saddam en 1991. Mais ce nouvel ordre mondial s’est vite révélé être une illusion. Au lieu de parvenir à une nouvelle stabilité mondiale (qui serait bien sûr dominée par les États-Unis), chaque nouvelle aventure militaire américaine ne faisait qu’accélérer le glissement vers le chaos : l’état actuel des deux pays qu’ils ont envahis au début du nouveau siècle, l’Afghanistan et l’Irak, en fournit de nombreuses preuves. Sous Obama, les revirements des États-Unis dans ces pays et la nécessité de “pivoter” vers l’Extrême-Orient pour faire face au défi croissant de la Chine, ont encore souligné l’affaiblissement de l’emprise de l’impérialisme américain sur le Moyen-Orient. En Syrie, il a dû céder de plus en plus de terrain à la Russie de Poutine, qui a maintenant formé une alliance avec la Turquie (membre de l’OTAN) pour disperser les forces kurdes qui détenaient auparavant le nord de la Syrie avec le soutien des États-Unis. (1) Mais si les États-Unis ont battu en retraite, ils ont continué à insister sur le fait qu’ils ne se sont en aucun cas retirés de la région. Ils ont plutôt réorienté leur stratégie vers un soutien sans faille à leurs deux alliés les plus fiables dans la région : Israël et l’Arabie saoudite. Sous Trump, ils ont pratiquement abandonné toute prétention à jouer le rôle d’arbitre entre Israël et les Palestiniens, soutenant sans hésiter les mouvements ouvertement annexionnistes de Netanyahou. De même, ils n’ont aucun scrupule à soutenir le régime saoudien qui mène une guerre brutale au Yémen et qui assassine effrontément des porte-parole de l’opposition comme le journaliste Jamal Khashoggi, tué et démembré à l’ambassade saoudienne à Istanbul. Surtout, ils ont accentué la pression sur leur principal ennemi dans la région, l’Iran.
L’Iran est une épine dans le pied des États-Unis depuis la soi-disant révolution islamique qui a renversé le Shah, fortement pro-américain, en 1979. Dans les années 1980, ils ont soutenu la guerre de Saddam contre l’Iran afin d’affaiblir le nouveau régime. Mais le renversement de Saddam en 2003 a ouvert une grande partie de l’Irak à l’influence iranienne : le gouvernement irakien de Bagdad, dominé par les chiites, est étroitement lié au régime de Téhéran. Cela a fortement accru les ambitions impérialistes de l’Iran dans tout le Moyen-Orient : il a établi une sorte “d’État dans l’État” via le Hezbollah au Liban et constitue le principal soutien des forces houtistes qui combattent l’Arabie saoudite et ses mandataires au Yémen. Et Soleimani a été le principal architecte de l’impérialisme iranien dans ces aventures et d’autres encore.
La décision de Trump d’entériner l’assassinat de Soleimani n’était donc pas basée sur un simple caprice de ce président américain, certes imprévisible, mais fait partie d’une stratégie impérialiste soutenue par une partie considérable de la bourgeoisie américaine, même si la poursuite de sa logique a certainement accentué les divisions au sein de l’appareil politico-militaire de la classe dirigeante américaine. Elle a fâché ceux qui ont soutenu l’approche plus conciliante d’Obama envers l’Iran, telle qu’elle est incarnée dans l’accord sur le programme nucléaire iranien, l’un des premiers accords diplomatiques à être abandonnés par Trump lorsqu’il est devenu président. Cette tentative de jeter des ponts avec l’Iran a également été l’approche des principales puissances européennes, y compris la Grande-Bretagne, qui ont de nouveau exprimé leurs doutes sur la politique de Trump après l’assassinat de Soleimani.
Ces critiques bourgeoises contre Trump ont déploré de ne pouvoir percevoir la vision à long terme derrière l’assassinat de Soleimani, à laquelle visiblement Trump n’avait pas réfléchi. Elles continuent à affirmer leur engagement en faveur de solutions rationnelles, politiques et diplomatiques aux conflits et rivalités guerrières qui se répandent dans le monde entier. Mais le glissement du capitalisme vers le militarisme n’est pas le produit de Trump ou d’autres mauvais dirigeants, mais de l’impasse historique du système capitaliste ; ces factions bourgeoises “responsables” ne sont pas moins dépendantes de la machine militaire que Trump et d’autres populistes (la guerre des drones au Moyen-Orient et dans les régions avoisinantes a été initiée sous Obama).
L’administration de Trump est fondée sur la reconnaissance que l’ancien ordre des alliances militaires disciplinées, qui a prévalu pendant la guerre froide, et le projet de nouvel ordre mondial post-1989, sont tous deux morts et que la véritable dynamique dans le monde depuis 1989 est le “chacun pour soi” : c’est la véritable signification du slogan de Trump : “America First”. Ceci est l’expression, au niveau des relations internationales, de la décomposition sous-jacente de la société capitaliste elle-même, de la phase finale du déclin du capitalisme en tant que mode de production, déclin qui a d’abord été clairement signalé par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Dans ce contexte, les États-Unis ne sont plus le “gendarme du monde”, mais le principal facteur de la descente dans le chaos. C’est pourquoi le “coup de dés” qui se joue derrière l’assassinat de Soleimani, indépendamment des fantasmes subjectifs de Trump ou de ses acolytes et partisans, ne peut avoir qu’un seul résultat : l’escalade de la barbarie militaire, que celle-ci se produise ou non à court ou à long terme. Comme le cauchemar en Syrie l’illustre de façon frappante, la première victime de cette escalade sera la masse de la population, le “dommage collatéral” du militarisme. En ce sens, qu’il soit intentionnel ou non, l’abattage de l’avion ukrainien au-dessus de Téhéran le même jour que la frappe de missiles iraniens contre des bases aériennes américaines démontre le coût humain réel de ces affrontements militaires.
L’aile gauche de la machine politique capitaliste (les démocrates et les “sociaux-démocrates” aux États-Unis, les corbynistes au Royaume-Uni, les trotskystes partout) ont leur propre programme lorsqu’ils attribuent la montée des tensions au Moyen-Orient à Trump ou à l’impérialisme américain. Cela découle de l’idée que les États-Unis ou les puissances occidentales sont les seuls impérialistes, et qu’ils sont opposés à des pays non-impérialistes ou même anti-impérialistes comme la Russie, la Chine ou l’Iran. Ceci est un mensonge : à notre époque, tous les pays sont impérialistes, des plus grands et des plus influents aux plus petits et aux moins grandes puissances mondiales. L’Iran, pas moins qu’Israël, ont leurs propres motivations impérialistes, qui s’expriment dans leurs tentatives d’utiliser des forces indirectes pour devenir la puissance dominante au Moyen-Orient. Et derrière elles se cachent les plus grands États impérialistes que sont la Russie et la Chine. En revanche, les exploités du capital, quel que soit l’État-nation qui préside à leur exploitation, n’ont aucun intérêt à s’identifier aux aventures impérialistes de leur propre classe dirigeante. La gauche, tout en appelant à la défense des nations dites “opprimées”, prétend également être du côté des exploités et des opprimés dans ces pays, où le long règne de l’économie de guerre ainsi que l’impact de la crise économique mondiale (à laquelle on peut ajouter le poids des sanctions américaines dans un pays comme l’Iran) (2) a certainement conduit à une accumulation massive de mécontentement social et d’opposition aux régimes existants dans tout le Moyen-Orient. Les révoltes populaires dans des pays comme le Liban, l’Irak et l’Iran au cours des deux dernières années en sont la preuve. Mais alors que les gauchistes clament leur soutien à ces mouvements, ils minent réellement la possibilité d’un mouvement de classe indépendant émergeant dans ces pays, parce qu’ils refusent de critiquer les faiblesses de ces révoltes où les différents intérêts de classe sont fusionnés. En effet, avec leur soutien au “nationalisme des opprimés”, les gauchistes ne peuvent que renforcer davantage la tendance de ces révoltes à prendre une direction nationaliste (comme avec les slogans anti-iraniens scandés lors des manifestations en Irak, ou le fait d’agiter le drapeau libanais comme une fausse solution aux divisions sectaires au Liban). Et maintenant que les régimes en Iran et en Irak cherchent pour l’instant à noyer le mécontentement envers le régime dans une campagne hystérique d’unité nationale anti-américaine, la gauche, en se faisant l’écho des slogans anti-américains, se révèle être une “meneuse de claques” de l’effort de guerre des ayatollahs. C’est une des ironies de la situation que l’assassinat de Soleimani par les États-Unis permette au régime de Téhéran de mettre en place des campagnes pour renforcer sa crédibilité en tant que défenseur des “intérêts nationaux” iraniens. Pourtant, malgré les images très médiatisées de centaines de milliers de personnes dans les rues pleurant Soleimani, nous doutons que les exploités et les opprimés d’Iran et d’Irak aient été entièrement pris dans la nasse de l’union nationale : il s’agit après tout du même Soleimani dont les forces d’élite ont été en première ligne de la répression impitoyable des protestations contre le régime, qui a laissé des centaines de cadavres dans les rues. Les manifestations antigouvernementales qui ont éclaté dans tout l’Iran immédiatement après que les autorités ont admis avoir abattu l’avion de ligne ukrainien montrent que “l’Union sacrée” promue par le régime après l’assassinat de Soleimani n’a pas de réelle solidité. La classe ouvrière en Iran a mené des luttes courageuses au cours des deux dernières années, révélant une fois de plus qu’elle a le potentiel (comme nous l’avons vu à certains moments en 1978-79) de fournir une direction à la masse de la population, d’intégrer son mécontentement dans un mouvement authentiquement prolétarien. Mais pour que cela se produise, les travailleurs d’Iran, d’Irak et d’autres pays en première ligne du conflit impérialiste devront développer leur capacité d’éviter tous les pièges tendus sur leur chemin, que ce soit sous la forme de nationalisme ou d’illusions dans la pretendue supériorité de “la démocratie occidentale”.
Et ils ne pourront pas faire ce pas en avant vital sans la solidarité active de la classe ouvrière internationale, surtout dans les pays centraux du système. Les luttes actuelles de la classe ouvrière en France indiquent que ce n’est pas un espoir perdu.
Contre l’escalade de la barbarie militaire, la seule voie pour l’humanité réside dans l’escalade de la lutte de classe internationale contre le capital, contre ses rivalités nationales, sa répression et ses guerres.
Amos, 12 janvier 2020
(1) Le “retournement de veste” de la Turquie d’Erdogan fonctionne cependant dans les deux sens, comme la plupart des alliances aujourd’hui : au Moyen-Orient, elle s’est tournée vers la Russie contre les États-Unis, mais en Libye, elle a envoyé des troupes pour soutenir le gouvernement d’entente nationale reconnu par l’ONU, contre les forces de Khalifa Haftar, qui sont soutenues par la Russie…
(2) Il faut également rappeler que le même Trump qui déclare hypocritement son soutien aux manifestations de la population iranienne contre la pauvreté et le chômage menace maintenant de rendre leurs conditions de vie encore plus désespérées en infligeant des sanctions économiques encore plus lourdes à l’Iran. Non moins hypocrite est la prétention de Trump de soutenir les manifestations qui ont suivi la chute de l’avion ukrainien, une tentative d’instrumentaliser la bévue de l’Iran et de répandre des illusions dans les scrupules moraux des puissances occidentales.
Dans son roman de 1957, Le Dernier Rivage, adapté au cinéma quelques années plus tard, Nevil Shute imaginait l’Australie comme le dernier endroit sur Terre où les humains avaient survécu après qu’une guerre nucléaire avait détruit l’hémisphère nord. C’était un court répit puisque la radioactivité mortelle se déplaçait vers le sud et l’histoire décrivait comment les différents personnages abordaient la mort de la planète ainsi que leur propre tragédie.
Aujourd’hui, au lieu d’abriter les derniers soubresauts de la civilisation décrit par Shute, le continent australien est un précurseur et un microcosme (un microcosme particulièrement significatif, aussi grand que l’Europe entière ou les États-Unis) d’une Terre transformée en désert par la soif avide et insatiable du capitalisme pour le profit. Tout ce qui est en lien avec le changement climatique d’origine anthropique, le réchauffement global et l’incapacité totale du capitalisme ne serait-ce que de commencer à faire face à cette menace mortelle pour l’humanité, tout comme les solutions bidon proposées notamment par les Verts, se manifeste aujourd’hui en Australie.
Nous pourrions mentionner de nombreux chiffres détaillés, des graphiques, la hausse des températures, les échelles, l’ampleur et l’étendue des incendies faisant rage actuellement à travers l’Australie. Nous pourrions encore signaler le nombre de maisons perdues, de morts et de malades occasionnés, mais il est suffisant ici de dire que tout cela atteint un niveau record et s’accroît davantage chaque jour dans des endroits toujours plus nombreux du continent, qu’à certains endroits les niveaux de pollution de l’air sont plus élevés que ceux de Pékin ou de Delhi. Dans la capitale de la Nouvelle-Galles du Sud, la pollution est onze fois supérieure à la normale. Dans la populeuse Sydney, les alarmes incendie se déclenchent, les ferries et les autres moyens de transport sont à l’arrêt, les écoles fermées. Les personnes souffrant de maladies respiratoires sévères engorgent hôpitaux et cabinets médicaux, et personne n’est averti que les masques de protection à la pékinoise qui font leur apparition sont plus qu’inutiles. Des gens rapportent que la fumée s’introduit même à l’intérieur de leur maison et ils s’inquiètent à raison des effets immédiats et à long terme sur leur santé. Les conditions deviennent de plus en plus dangereuses pour les pompiers, dont 85 % sont des volontaires (suite à la dernière vague de suppression d’emplois à temps plein de pompiers), et en raison des courtes pauses dans leur activité ils font face à l’épuisement, à l’intoxication par la fumée et au danger d’accident mortel.
Bien sûr, il y a toujours eu des incendies de brousse en Australie, mais l’ampleur, la durée et l’intensité de ces derniers événements les placent à un niveau inédit et dangereux. Tout comme “il y a toujours eu des feux de brousse”, il y a toujours eu des changements climatiques et des fluctuations du dipôle de l’océan Indien, qui affecte les phénomènes météorologiques en Australie et au-delà, réchauffant le sud-est tout en accroissant la pluviométrie en Afrique dans ce cas. Mais comme d’autres phénomènes météorologiques au niveau mondial (par exemple, El Niño), ils se distordent et s’intensifient jusqu’à atteindre des niveaux “sans précédent” selon les experts. Ceci est causé par l’accroissement du réchauffement global provoqué par les effets de l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre.
Aussi graves qu’ils soient, ce ne sont pas seulement les incendies de brousse et les pénuries d’eau qui témoignent des dangers à court et long termes pour la population en Australie et au-delà. La déforestation est en train de créer de plus en plus de déserts de poussière. L’Australie n’a rien à envier aux autorités brésiliennes ni aux autres complices de l’exploitation impitoyable des sols et de son ampleur. De vastes étendues, aussi loin que le regard peut porter, ont été privées de toute forme de végétation. Quant aux emblématiques koalas, ils ont été décimés bien avant ces incendies. Les immenses plaines créées pour l’agriculture intensive requièrent de grandes quantités d’eau et des tonnes d’engrais. Elles sont dénudées de toute pousse, laissant peu d’humidité dans le sol, ce qui de plus réduit la formation de nuages au-dessus d’elles. Comme ces plaines se dessèchent sous la chaleur, il ne reste qu’une terre aride se décomposant en poussière, balayée par le vent et arrosée de pesticides, une préoccupation supplémentaire pour les populations avoisinantes. Comme au Brésil de Bolsonaro, les défrichements illégaux et les déforestations ont été tolérés, voire encouragés par les diverses autorités australiennes. Tout ceci dans l’intérêt du capitalisme et de son inéluctable course aux profits. Étant donné les avertissements des experts sur les futurs développements climatiques, et que rien ne va changer concernant le besoin de profit du capitalisme, combien de temps encore de vastes zones d’Australie demeureront habitables pour les générations futures ?
Le gouvernement de coalition dirigé par “l’homme du peuple”, le Premier ministre Scott Morrison, contrairement à son prédécesseur, Tony Abbot, accepte l’idée que le “réchauffement global” existe mais qu’il est “sous contrôle” (comme il l’est en Australie en ce moment !). Sa position et celle de son gouvernement ne sont fondamentalement pas différentes de celle d’Abbot, qui disait que le réchauffement global “était probablement une bonne chose”, qu’il “verdissait la planète et accroissait les rendements agricoles, rendant la vie plus sûre et plus agréable”, et qu’il n’y avait pas beaucoup de chances de le stopper de toute façon. Morrison a gagné l’élection sur cette base : “ne pas avoir peur du charbon”, affirmant qu’il ne placerait pas le changement climatique avant les emplois, que le lien avec les incendies de brousse existait vraiment “parmi beaucoup d’autres facteurs” mais était une “question secondaire” et “au sujet de laquelle il n’y avait pas à s’inquiéter”. Le gouvernement et son secteur de l’énergie n’ont pas de politique cohérente à propos du changement climatique et ils ne sont pas différents de la grande majorité des principales puissances. Ils utilisent actuellement des crédits carbone en lien avec des manipulations comptables afin de prétendre agir en faveur de la réduction des émissions promises par le gouvernement australien. Le gouvernement fédéral détourne le problème vers les autorités locales, étatiques et territoriales, “décentralisant” la question, évitant et sapant ainsi toute forme de responsabilité ou d’approche cohérente. Cette tactique de “décentralisation” est une vieille astuce de l’État démocratique qui facilite aussi le “diviser pour régner”. Pendant ce temps, le parlement de Nouvelle-Galles du Sud essaie de faire passer une loi qui amoindrirait toute considération climatique dans la production de charbon. Les très lucratives exportations de charbon australien s’élèvent à 36 milliards de livres sterling par an selon certains rapports. Sept nouvelles mines à ciel ouvert ont été mises en service dans le Queensland. Fondamentalement, comme tous les gouvernements quelle que soit leur couleur, la réponse du gouvernement australien a été de nier, détourner et obscurcir la question du changement climatique tout en poursuivant rapidement la spoliation du territoire au nom de l’intérêt national et du profit.
Le Verts font plus de bruit autour du changement climatique, mais quand ils en viennent au fond du problème, ils sont clairement à mettre dans le même sac que le gouvernement et ses politiciens. Le “mouvement vert” ressemble beaucoup au mouvement pacifiste. En fait, en Australie, comme dans toutes les principales démocraties, les deux mouvements, leur structure et leur personnel, sont interchangeables et interchangent réellement à certains moments de l’histoire.
La principale similarité entre les deux mouvements est qu’ils existent pour promouvoir et plaider ce que le capitalisme ne peut pas offrir : un système sans profit, sans concurrence et sans guerre. Ils ne représentent pas seulement des diversions à la nécessité pour le prolétariat d’affronter le capitalisme dans son ensemble, ils sont aussi d’importants soutiens pour la perpétuation du système et sont ainsi partiellement responsables des effets cumulatifs de sa décomposition. Pour les Verts, la lutte du travail contre le capital doit être évitée pour que réussissent leurs “réformes”, réformes qui n’ont en réalité aucune chance de réussir puisque le capitalisme est par nature un système d’exploitation destructeur.
Pour les Verts, généralement la situation “requiert l’attention du gouvernement” et “l’intervention” dans le secteur “bancaire”. L’intervention de l’État est aussi requise pour “de nouveaux emplois issus des sources d’énergie neutres en carbone”, et le parlement (les Verts tout comme les pacifistes sont très portés sur le parlement et la démocratie) devrait “sauver le peuple” : c’est le même parlement qui, en réalité, représente les intérêts du capital contre “le peuple” en général et la classe ouvrière en particulier. Pour les Verts, la classe ouvrière devrait soutenir son ennemi, se sacrifier pour lui et renoncer à ses luttes sur son terrain de classe.
Pour certains Verts en Australie, et sans aucun doute ailleurs, les incendies ont été accueillis comme “une dernière piqûre de rappel” (dans une longue série de “dernières piqûres de rappel”). L’idée de ces activistes est qu’étant donné les dommages croissants causés par les incendies et les inondations, les compagnies d’assurance refuseront de couvrir ceux-ci ainsi que d’autres risques critiques associés au réchauffement global et, par conséquent, les banques ne prêteront plus aux entreprises productrices d’énergie fossile et investiront à la place dans des “solutions vertes”.
Le problème fondamental de cette approche est qu’elle est basée sur la supposition que le capitalisme est un système “ouvert à la raison”, qui adoptera une approche logique et fera ce qui est le mieux pour le monde. Toutes les preuves dont nous disposons depuis le début du siècle dernier nous montrent que ce n’est pas le cas, comme illustré par deux Guerres mondiales et de nombreuses guerres irrationnelles et illogiques depuis lors, à mesure que le capitalisme s’enfonce davantage dans le déclin. Peu importe la “radicalité” apparente de ces Verts, leur seul objectif est de faire croire qu’il est possible de réformer le système à travers les compagnies d’assurance, les banques et “l’exploitation verte”. Mais la principale fonction de l’idéologie verte, comme de son jumeau pacifiste, est d’embrouiller et démobiliser la classe ouvrière, de la détourner de sa lutte contre le capital et la ramener vers l’ “intérêt national”.
Ce qui démasque vraiment le mouvement Vert (et cause beaucoup de dissensions internes au sein de ces groupes) est le développement du militarisme et de la guerre. Quand les Verts sont clairement pacifistes, comment abordent-ils la question de la guerre impérialiste ? Compte tenu de leur soutien aux intérêts nationaux, leur approche est celle de l’influent parti écologique en Allemagne qui a soutenu la “guerre contre le terrorisme” de leur État en Afghanistan et ses “expéditions” militaires extérieures. Les Verts en général vont laisser l’appareil militaire et répressif de l’État non seulement intact mais renforcé, agressif et fonctionnant à l’énergie fossile.
Les terrifiants incendies australiens et toutes les magouilles politiciennes autour d’eux sont un exemple supplémentaire de la course du capitalisme dans son ensemble vers la destruction. Le capitalisme n’agit pas pour le bien de l’humanité mais pour l’accumulation du capital et la conquête militaire. La raison n’entre pas en ligne de compte : “Le capital est un rapport mondial entre les classes, basé sur l’exploitation du travail salarié et de la production pour la vente afin de réaliser des profits. La recherche constante de débouchés pour ses produits entraîne une concurrence impitoyable entre les États-nations pour la domination du marché mondial. Et cette concurrence exige que chaque capital national se développe ou meure. Un capitalisme qui ne cherche plus à pénétrer le dernier recoin de la planète et à croître sans limite ne peut exister. De même, le capitalisme est totalement incapable de coopérer à l’échelle mondiale pour répondre à la crise écologique, comme l’a déjà démontré l’échec lamentable des différents sommets et protocoles climatiques”.
De l’ “autre côté” du capital se tient le travail. Ce dernier est déjà monté à l’assaut du ciel autrefois et il lui faudra réitérer ce combat en tant que seule force capable d’offrir une possibilité de se battre face à l’avenir sombre que nous réserve le capitalisme.
Baboon, 28 décembre 2019
Le monde de la politique est chaque jour de plus en plus versatile. Un jour c’est la “taxe plastique”, un autre le mécanisme européen de stabilité. Les différents partis politiques n’hésitent pas à utiliser leurs désaccords pour embrouiller les idées du prolétariat et le détourner des réels problèmes. Tous ont la prétention de parler au nom du “peuple” italien, donc aussi des travailleurs. En réalité, tant l’ancien gouvernement “jaune et vert” (1) que l’actuel gouvernement “jaune et rose”, comme tous ceux qui les ont précédés, ne sont que les défenseurs du capital national et cherchent à tromper les travailleurs avec des mesures présentées comme la panacée pour leurs conditions de vie.
Le gouvernement précédent s’est présenté comme un gouvernement “populaire” en affichant ses mesures censées soulager les problèmes des travailleurs, comme l’introduction de la “quota 100” (2) et du revenu universel dit “de citoyenneté”. Mais quand on y regarde de plus près, ces mesures n’ont rien apporté de vraiment substantiel au prolétariat :
– La “quota 100” ? Ce mécanisme concerne seulement quelques dizaines de milliers de personnes. Ce n’est pas l’abolition de la loi “Fornero” (3) et, de toute façon, ceux qui l’acceptent perdent de l’argent sur leur pension. Il s’agit donc d’une mesure de propagande et non d’une mesure sociale capable de s’attaquer réellement aux problèmes des gens (qui est, en l’occurrence, la possibilité de partir en retraite plus tôt avec une pension qui permet de vivre). On nous a également dit que la retraite anticipée devrait servir à créer de nouveaux emplois pour les jeunes. (4) Les statistiques montrent pourtant que ce n’est pas vrai : pratiquement aucun travailleur qui a pris sa retraite avec la “quota 100” n’a été remplacé, ce qui a également créé des problèmes dans l’administration publique, en particulier dans le domaine de la santé où le manque de personnel oblige les médecins et les infirmiers à effectuer des gardes supplémentaires épuisantes.
– Le revenu de citoyenneté : un bazar qui non seulement n’a pas supprimé la pauvreté (comme Di Maio s’est empressé de le déclarer à grands cris avec tous ses ministres depuis les balcons du palais Chigi), non seulement n’a pas été utilisé pour créer des emplois (5) (sauf pour les postes de navigation), mais a surtout favorisé le recours au travail illégal. Personne ne peut vivre avec 500 € mensuels : celui qui reçoit ce revenu doit le compléter, mais pour l’instant il ne peut le faire qu’avec le travail au noir (pour ne pas perdre le revenu de citoyenneté).
– En revanche, pour financer une partie de ces mesures, on a retiré de l’argent aux retraités : trois milliards en trois ans.
– Le nouveau gouvernement prétend également vouloir résoudre les problèmes sociaux avec des promesses sur la réduction des impôts, la gratuité des crèches, “l’allocation bébé”, etc. Mais en réalité, cette réduction d’impôts s’élève à moins de 40 euros par mois (et seulement pour les travailleurs ayant les revenus les plus faibles). De plus, la gratuité des crèches est également destinée aux personnes aux revenus les plus faibles, si tant est qu’elles puissent trouver une place en crèche.
La situation avec le nouveau gouvernement ne s’améliore pas, loin de là. Le scénario qui se dessine de plus en plus clairement aux yeux de tous est celui d’un effritement progressif de toute la sphère productive italienne. Le nombre de licenciements est impressionnant : Alitalia a supprimé 5 000 emplois ; Unicredit : 8 000 ; Ilva di Taranto : 4 700 ; Whirlpool Campania : 800 ; Embrago à Riva di Chieri : 500 ; Bosch à Bari : 640 ; Pernigotti : 25, Jabil : 350, Conad : 3 105… pour ne citer que les plus connus mais auxquels il faut ajouter des dizaines d’autres petites et moyennes entreprises. Il y a actuellement 160 entreprises en crise avec un total estimé de 400 000 emplois en danger. Le cas d’Unicredit est particulièrement significatif : avec 8 000 licenciements (plus de 6 000 en Italie) et la fermeture de près de 500 agences, Unicredit n’est que la dernière entreprise en faillite dans le secteur bancaire qui, en douze ans, a anéanti pas moins de 74 000 emplois. Dans ce cas, il est facile de voir comment le progrès des technologies numériques (en 2019, 13,7 millions d’Italiens géraient leur argent par le biais de smartphones) ne profite qu’aux entrepreneurs et tout cela au détriment des travailleurs. Si pour certains, il semble se dessiner une conclusion positive, comme pour Almaviva où les 3 000 licenciements ont été révoqués, à la lecture des accords collectifs, on se rend compte que cela ne s’est produit qu’en augmentant l’exploitation de la main d’œuvre : six mois de “Contrat de solidarité” ont été imposés aux travailleurs avec la diminution de 45 % du temps de travail (et des salaires) à Rome, 45 % à Palerme et 35 % à Naples et douze mois supplémentaires de Fonds extraordinaire de garantie des salaires. (6)
Cette situation ne touche pas uniquement l’Italie, mais concerne tous les pays capitalistes. Même la “florissante” Allemagne connaît des licenciements dans tous les secteurs : à la Deutsche Bank, 18 000 emplois doivent être supprimés dans les années à venir ; 5 600 emplois en moins chez T-Systems (la branche informatique de Deutsche Telekom) ; 700 chez Allianz ; Thyssenkrupp doit effectuer 6 000 licenciements dans le monde, dont 4 000 en Allemagne ; Siemens : 2 700 dans le monde dont 1 400 en Allemagne ; Bayer : 12 000 d’ici 2021. En France, le gouvernement Macron s’attaque aux services sociaux, aux retraites, aux soins de santé, etc.
Si les entreprises font faillite ou licencient en masse, ce n’est pas à cause de l’incapacité de leurs dirigeants ou parce que quelqu’un a spéculé ou volé : ce n’est pas la faute du capitaliste individuel si nous nous dirigeons vers une nouvelle récession profonde, c’est une conséquence de l’obsolescence du système capitaliste comme un tout qui ne peut même plus garantir la simple survie de ses exploités.
Que font l’État et les syndicats face à cette ruine ? Si nous considérons le cas de la société sidérurgique ILVA de Tarente, avec ses 4 700 licenciements (impliquant environ 20 000 familles, en considérant également les activités induites par la présence de cette entreprise), le plan de l’État italien a été d’entrer dans le capital de la société franco-indienne qui possède l’entreprise ILVA (ArcelorMittal) avec une injection d’argent frais et… la réduction des licenciements à “seulement” 1 800. En pratique, en acceptant 40 % des licenciements annoncés par l’entreprise, l’État s’adapte face aux besoins d’ArcelorMittal. Le tout accompagné de la promesse d’une reconversion de l’usine sur la base d’une technologie plus propre, visant une fois de plus à poser une fausse alternative entre les emplois et la santé, comme si les travailleurs devaient choisir de mourir du cancer ou simplement de faim.
Et les syndicats dans tout ça ? Que proposent les syndicats pour faire face à la situation ? La réponse de Landini, secrétaire général de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), le syndicat qui se présente comme le plus combatif et le plus à gauche, est vraiment significative. Plutôt que de défendre les conditions des travailleurs en s’attaquant aux licenciements et à la dégradation des conditions de vie, Landini propose “une alliance avec le gouvernement et les entreprises pour empêcher le pays de s’effondrer”, (7) en demandant aux entreprises d’ “abandonner les sirènes de la finance, de redevenir les entrepreneurs innovants et capables qui, avec ceux qui travaillent, ont fait l’Italie”. (8) En pratique, on propose un prétendu pacte social qui ne peut se faire que contre le prolétariat. De plus, l’avertissement sournois sur les “sirènes de la finance” suggère l’idée illusoire que l’investissement du capital sur les marchés spéculatifs est le fait de capitalistes égoïstes et non la recherche de la nécessaire valorisation de chaque capital.
Face à ces attaques généralisées, aidées et encouragées par le syndicat, seule la lutte unie de tous les travailleurs est en mesure de s’y opposer. On ne peut opposer aux attaques concertées des capitalistes, de l’État et des syndicats des luttes séparées, centrées sur les spécificités de sa propre situation, comme les syndicats nous y invitent continuellement. On ne peut pas non plus penser sauver son propre emploi en faisant progresser la rentabilité de son entreprise, sa productivité, son rôle stratégique. La seule règle que le capital connaît est celle de l’extraction maximale de la plus-value du prolétariat et de sa transformation en profit ; quand il échoue, il taille dans le vif et ferme.
Pour éviter que les travailleurs ne commencent à penser par eux-mêmes qu’il est nécessaire de s’unir, le syndicat leur a immédiatement coupé l’herbe sous le pied : “Nous devons penser à une grève générale unifiée”, a dit le secrétaire de la CGIL, Landini, le 20 novembre dernier. Mais un mois plus tard, ils y réfléchissent encore ! Quoi qu’il en soit, nous savons déjà ce que sont les “grèves générales unitaires” des syndicats : des journées de mobilisation isolées, avec les travailleurs défilant chacun derrière leurs banderoles sectorielles, écoutant les bavardages habituels du syndicaliste de service et rentrant ensuite chez soi sans que rien n’ait changé. Ce n’est certainement pas ainsi que se fait l’unité des prolétaires : elle se forge dans des assemblées générales, où ils se rencontrent en tant que membres d’une même classe, où ils confrontent leurs idées pour décider comment donner de la force à la lutte, comment donner de la continuité à la mobilisation, comment étendre la lutte à d’autres secteurs, puisque les attaques ne se limitent pas aux licenciements, mais incluent la précarité croissante du travail, les réductions de salaire, etc.
Si les travailleurs veulent se battre face au capital, contre les appendices du gouvernement bourgeois que sont les syndicats, instruments de contrôle des luttes prolétariennes, il n’y a qu’une seule façon de faire : s’unir pour défendre leurs conditions de travail, sans se perdre derrière les spécificités sectorielles et les manifestations syndicales stériles.
Bien sûr, cette étape est difficile. C’est une vraie montagne. Elle nous oblige à nous reconnaître non plus comme des métallurgistes, des sidérurgistes, des employés de banques, des infirmières, etc., mais comme des prolétaires, comme les véritables producteurs de la richesse sociale, une richesse qui nous est enlevée pour devenir en grande partie du profit pour le capital. Pour y parvenir, les travailleurs les plus conscients doivent répandre l’idée que l’unification des luttes est possible, que l’expérience du mouvement prolétarien le montre, que les travailleurs en France en 1968 ou en Italie en 1969 (l’automne chaud), ou ceux de Pologne en 1980 l’ont fait, que le prolétariat est la principale force sociale de la société quand il est uni, solidaire et organisé. Les travailleurs doivent se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer l’avenir de la lutte de classe.
Elios, 13 décembre 2019
(RZIZ, section en Italie du CCI)
(1) Jusqu’en septembre 2019, le gouvernement de Giuseppe Conte s’appuyait sur une coalition entre la Ligue du Nord (Parti d’extrême droite associé à la couleur verte) et le Mouvement 5 étoiles (Parti attrape-tout associé à la couleur jaune). Depuis la chute de la coalition populiste, le M5S s’est associé au Parti démocrate (Rose) pour se maintenir au gouvernement. (NDT)
(2) Le M5S a présenté la “Quota 100” comme un mécanisme de diminution de l’âge de départ à la retraite. (NDT)
(3) La loi “Fornero” prévoit un âge minimum de 67 ans pour partir à la retraite. (NDT)
(4) Pris d’enthousiasme, Di Maio est même allé jusqu’à dire que pour chaque retraite, trois nouveaux emplois seraient créés ! Après la multiplication des pains et des poissons, voici la multiplication des emplois !
(5) De temps à autre, on nous présente des statistiques selon lesquelles le nombre de personnes ayant un emploi augmente, mais si on regarde les heures travaillées, on constate qu’elles diminuent ; c’est parce que cette augmentation correspond à une augmentation du travail à temps partiel, de sorte qu’à la place d’une personne employée, il y en a désormais deux, mais avec une moitié de salaire.
(6) Ce fond est une prestation pour les travailleurs en situation de chômage technique en Italie. (NDT)
(7) La Repubblica (9 décembre 2019).
(8) L’invitation à considérer les entrepreneurs comme des partenaires, comme des alliés avec lesquels on peut tracer ensemble un chemin commun, plutôt que comme des adversaires, n’échappera à personne. D’autre part, la production par la télévision publique (RAI) de pas moins de cinq fictions sur les grands entrepreneurs italiens (Adriano Olivetti, Enrico Mattei (ENI), Giovanni Borghi (Ignis), Enzo Ferrari et Luisa Spagnoli) va exactement dans le même sens, c’est-à-dire propager l’idée qu’il existe de bons et compétents entrepreneurs et que si les choses tournent mal, c’est à cause de l’incapacité ou de la cupidité de quelques autres.
Il y a trente ans, le mur de Berlin s’effondrait, traduisant la faillite des régimes staliniens honnis. Cet événement devait devenir par la suite le véritable symbole de l’implosion du bloc de l’Est. Cet anniversaire a été l’occasion pour la bourgeoisie, bien qu’elle fasse profil bas aujourd’hui, d’asséner les mêmes mensonges qu’hier.
L’anniversaire de la chute du mur de Berlin s’est déroulé sans flonflons ni trompettes, dans une triste ambiance. Aux antipodes de l’euphorie et de l’immense liesse populaire du 9 novembre 1989, la “grande fête” organisée par la bourgeoisie faisait pâle figure : “les Européens, incorrigibles pessimistes, ont abordé le trentième anniversaire (…) dans une ambiance d’enterrement. Le moral est en berne…” (1) Et comme “signe du manque d’enthousiasme pour ce jubilé, aucun des grands dirigeants occidentaux ne fait le déplacement samedi 9 novembre à Berlin”. (2) Finalement, seule une odieuse propagande bourgeoise servait de décorum à ce rendez-vous sans panache.
Les faits sont têtus et la bourgeoisie ne peut absolument pas pavoiser à l’heure de ce bilan des trente dernières années. Même le monstre stalinien tant détesté autrefois, celui des régimes de l’Est, en vient à susciter parfois une nostalgie désabusée et des doutes de la part de populations des territoires “libérés”, tant la situation s’est dégradée depuis : “Il y a 30 ans, la communication, la solidarité entre les gens étaient bien meilleures. Aujourd’hui, on doit se battre pour tout, pour le travail, pour le loyer, pour le docteur. Avant, le docteur n’était pas un comptable, aujourd’hui, c’est un entrepreneur”, dit Arnaud”. (3)
En effet, l’état de la société reste catastrophique, notamment dans les territoires de l’ex-bloc de l’Est, davantage sinistrés. Les menaces croissantes de la société capitaliste poussent d’autant les populations inquiètes dans les bras des populistes qui prétendent les “protéger”. Bon nombre de ces pays (Hongrie, Pologne, etc.) sont donc très marqués par ces régimes ouvertement à droite, prônant un nationalisme virulent et une “bunkérisation” des frontières. La situation de décomposition et de chaos du monde capitaliste actuel tranche donc de manière radicale avec les grandes promesses mensongères de la bourgeoisie, avec ses discours hypocrites, avec les illusions entretenues au moment de la chute du mur en novembre 1989 où elle promettait un avenir radieux : celui d’une sorte de félicité démocratique pour le monde et la “nation allemande réunifiée”.
Au moment des événements, la perspective d’en finir avec la terreur stalinienne et la pénurie chronique, le vaste soulagement empreint d’illusions des Allemands de l’Est avaient été instrumentalisés à outrance par la bourgeoisie occidentale (en complicité avec celle des “vaincus” de l’Est) pour diviser les ouvriers et diffuser une vaste campagne idéologique mondiale, celle du plus grand mensonge de l’histoire contre le prolétariat : la chute du mur et la faillite du stalinisme signifient “la mort du communisme” !
Aujourd’hui, même si de façon plus sournoise, vu les rancœurs et les colères au sein des populations face aux prétendus “bienfaits de la démocratie”, les médias bourgeois et toute la classe politique nous servent les mêmes discours idéologiques nauséabonds remis au goût du jour : “Même si l’Europe est aujourd’hui en crise sur plusieurs sujets, il ne faut pas oublier que la chute du mur de Berlin a avant tout signé la fin du communisme en tant que régime totalitaire”. (4)
À l’époque, le CCI combattait déjà ce mensonge, cette ignoble idée que le stalinisme équivaut au communisme, matraquée depuis à l’envi : “Crise et faillite du stalinisme sont celles du capitalisme, non du communisme. (…) Il y a aujourd’hui un déchaînement de mensonges à cette occasion, et en premier lieu, le principal et le plus crapuleux d’entre eux : celui prétendant que cette crise, cette faillite, c’est celle du communisme, celle du marxisme ! Démocrates et staliniens se sont toujours retrouvés, au-delà de leurs oppositions, dans une sainte-alliance, dont le premier fondement est de dire aux ouvriers que c’est le socialisme qui, au-delà de ses travers et déformations, règne à l’Est. Pour Marx, Engels, Lénine, Luxemburg, et pour l’ensemble du mouvement marxiste, le communisme a toujours signifié la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, la fin des classes, la fin des frontières, cela n’étant possible qu’à l’échelle mondiale, dans une société où règne l’abondance, “de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins”, où “le règne du gouvernement des hommes cède la place à celui de l’administration des choses”. Prétendre qu’il y aurait quelque chose de “communiste” ou d’engagé sur la voie du “communisme” en URSS et dans les pays de l’Est, alors que règnent en maître exploitation, misère, pénurie généralisée, représente le plus grand mensonge de toute l’histoire de l’humanité, mensonge aussi énorme que prétendre que les rapports entre serfs et seigneurs au Moyen Âge avaient quelque chose de socialiste !” (5)
Toutes les fractions politiques bourgeoises se complaisent dans ce mensonge réitéré, dans une même complicité, pour cette même assimilation grossière du stalinisme au communisme : des démocrates et gauchistes les plus à gauche jusqu’aux partis d’extrême-droite, comme en témoigne, par exemple, l’AfD dans ce slogan insidieux : “Aujourd’hui comme hier : la liberté plutôt que le socialisme”. (6) Trente ans après, la bourgeoisie enfonce donc le même clou contre la conscience ouvrière. Seule la Gauche communiste est capable de le dénoncer encore aujourd’hui !
Peu après la chute du mur de Berlin, dans son discours du 22 novembre 1989 au parlement Européen, le président Mitterrand évoquait de manière vibrante cet événement historique, à proximité de son grand ami, le chancelier Kohl : “la liberté et la démocratie, inséparables l’une de l’autre, remportaient une de leur plus sensible victoire”. Une dizaine de mois plus tard, dans le sillage des “bienfaits” de la chute du mur de Berlin, les chevaliers de la liberté du monde occidental se lançaient dans une croisade sanglante au Moyen-Orient lors de la première guerre du Golfe, sous la houlette des États-Unis. Une guerre dont les 500 000 morts étaient censés apporter, selon le chantre de la Maison-Blanche à l’époque, George Bush (père), “un nouvel ordre mondial” pour “la paix, la prospérité et la démocratie”.
Depuis, la dynamique destructrice du capitalisme témoigne, contrairement à toute cette propagande digne des plus grands charlatans, d’une situation qui s’est fortement dégradée partout et sur tous les plans. Qu’on en juge :
– Le “nouvel ordre mondial” et la “paix” ? Dès la chute du mur de Berlin, une boîte de Pandore s’est ouverte. Ce qui a suivi n’est nullement un “nouvel ordre mondial” mais bien le plus grand chaos de l’histoire. (7) Sur tous les continents et territoires de la planète, le chacun pour soi s’est exacerbé et les conflits guerriers se sont multipliés, généralisés et étendus. Dans les pays de la périphérie du capitalisme, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, comme en Asie, le monde a sombré dans l’instabilité croissante, multipliant les massacres et les effusions de sang. On a surtout vu revenir de véritables scènes de guerre au cœur même de l’Europe et du monde occidental, faits sans précédent depuis 1945. De la guerre en ex-Yougoslavie avec ses charniers, en passant par les conflits en Géorgie, en Ukraine, et surtout la multiplication des attentats depuis la tragédie des tours jumelles aux États-Unis en septembre 2001, la “paix” a surtout été celle des cimetières ! La catastrophe des tours jumelles inaugurait une terreur, une banalisation des scènes de guerre et de barbarie un peu partout au cœur du monde “civilisé” : attentats à Madrid en mars 2004, à Londres en juillet 2005, à Paris dans la salle de concerts du Bataclan en novembre 2015, etc. On pourrait aussi ajouter l’horreur plus récente des ravages de la guerre en Syrie et ses dommages collatéraux, dont les bombardements intensifs rappellent les pires exactions de la Seconde Guerre mondiale. De même celles des massacres et famines au Yémen (avec l’implication des impérialismes occidentaux, comme la France, grande pourvoyeuse d’armes). Notons aussi que la course aux armements redémarre partout de façon terrifiante.
– La “prospérité” ? Depuis trente ans, la situation économique n’a fait globalement que se dégrader sur tous les plans, creusant de manière scandaleuse les inégalités. Depuis la grande secousse financière mondiale de 2008, les prolétaires ont ressenti encore plus fortement dans leur chair le joug de l’exploitation et sa justification par des politiciens bourgeois de plus en plus cyniques : attaques sur le niveau de vie et les salaires, chômage de masse et explosion du travail précaire, dégradation des conditions d’accès aux soins, exclusion accrue… Tout cela, aggravé par les réformes en cours et à venir. Ce à quoi il faut ajouter un pillage systématique des ressources et les agressions contre l’environnement par la recherche de plus en plus effrénée du profit dans un monde en crise. Bref, la logique infernale du capitalisme moribond menace maintenant clairement la survie de la civilisation humaine.
– Plus de “démocratie” ? Depuis trente ans, les États n’ont fait que durcir leur arsenal répressif. La décomposition n’a fait qu’entretenir et favoriser les réflexes nationalistes et xénophobes, les idéologies populistes et le chacun pour soi. La bourgeoisie a surtout profité des attentats meurtriers pour muscler son dispositif juridique et policier, la terreur étatique et la criminalisation des conflits sociaux. La répression brutale et les violences se sont graduellement accentuées à tous les niveaux. Cela signifie que les prétendues “libertés publiques”, tant vantées, laissent davantage transparaître le véritable visage de “l’État démocratique” et sa véritable nature dictatoriale : un appareil monopolisant froidement la violence pour maintenir son ordre contre les exploités. Faut-il également évoquer le grand “élan démocratique” des pays du monde occidental construisant partout de nouveaux murs, dressant des barbelés, blindant les frontières maritimes ou terrestres en laissant sciemment périr les immigrés, comme l’Union européenne en Méditerranée ? L’idée de “démocratie” n’est de toute façon qu’un concept creux dans la mesure où la société reste divisée en classes antagoniques basées sur l’exploitation de la force de travail. Cela n’empêche nullement la bourgeoisie d’adapter ses discours hypocrites pour continuer à nous vanter ses “grands principes”, ses “valeurs” ; cela, pour couvrir et justifier tous ses crimes, afin de mieux dédouaner son système meurtrier et l’exaction des exploiteurs.
Aujourd’hui, alors que ce mode de production en déclin est à l’agonie et qu’il nous entraîne dans l’abîme, la bourgeoisie nous demande de le défendre par son idéologie mystificatrice, celle qui a accompagné les trente ans d’atrocités en tous genres, la “démocratie”. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les insistances du discours de commémoration de la chancelière Angela Merkel, sa mise en garde contre les dangers des “totalitarismes” et les “contestations grandissantes” (notamment du populisme à l’Est) : “les valeurs qui fondent l’Europe, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et la préservation des droits de l’homme ne vont pas de soi” et “doivent toujours être défendues” a-t-elle assuré. Selon toute la bourgeoisie : “si ce trentième anniversaire peut être mis à profit, ce doit être pour tenter de repenser, pour tous ceux qui l’ont adopté, le modèle démocratique…” (8) Obligée de masquer sa faillite, la bourgeoisie a besoin de se crédibiliser à nouveau, de “régénération”, besoin de “repenser” son “modèle démocratique” aux abois, pour… mieux attaquer et museler les exploités !
De ces trente dernières années, depuis la chute du mur de Berlin, le prolétariat doit garder en tête des leçons essentielles :
– le communisme n’est ni “mort” ni en “faillite”. C’est bien le stalinisme, expression politique du capitalisme d’État à l’Est, qui a sombré sous les coups de boutoirs de la crise de ce système en décomposition.
– le prolétariat doit rejeter toutes les campagnes médiatiques mensongères, notamment tous les pièges alimentant les divisions : celle opposant par exemple en Allemagne les “Ossies” aux “Wessies”, mais aussi les pièges opposant les idéologies “populistes” à “l’anti-populisme” et autres idéologies démocratiques.
– la bourgeoisie reste une classe de menteurs, obligée de masquer en permanence sa domination et son exploitation aux prolétaires. Ses promesses, comme celles de 1989-90, ne sont que du vent, des phrases creuses destinées à anesthésier le prolétariat.
– la chute du mur et l’effondrement du bloc de l’Est sont une expression des plus spectaculaires de la crise et de la décomposition du système. Le capitalisme ne peut désormais que nourrir une affreuse spirale destructrice et n’a pas d’autre avenir. Il faut donc le détruire avant qu’il n’engloutisse l’humanité.
Face à toutes les logiques de destruction que nous impose ce système, il n’existe qu’une seule solution : la lutte de classe révolutionnaire, celle d’un combat international de tous les ouvriers, au-delà des divisions, au-delà et contre tous les clivages nationaux, contre l’État bourgeois. Seul le prolétariat international peut offrir cette perspective comme alternative, celle d’une autre société, sans mur ni barbelé, sans classe, sans exploitation : une véritable société communiste.
WH, 3 décembre 2019
1 “Chute du Mur de Berlin : ne nous trompons pas de funérailles [6]”, Le Monde (9 novembre 2019).
2 “ [7]L’Allemagne célèbre la chute du mur de Berlin, il y a 30 ans [7]”, Le Point (9 novembre 2019).
3 “Il y a 30 ans, la chute du Mur de Berlin [8]”, La Dépêche du Midi (9 novembre 2019).
4 “Chute du Mur de Berlin : ne nous trompons pas de funérailles [6]”, Le Monde (9 novembre 2019).
5 “Écroulement du bloc de l’Est : la faillite définitive du stalinisme [9]”, Revue internationale n° 60 (1ᵉʳ trimestre 1990).
6 Alternative für Deutschland est un groupe nationaliste et eurosceptique situé à l’extrême droite. Une très grande partie de l’ex-RDA est sous l’emprise politique de cette formation. Dans plusieurs Länder, c’est presque le plus grand parti politique. Il a remplacé Die Linke (“La Gauche”), qui était en grande partie le successeur de l’ex-SED (“Parti socialiste unifié d’Allemagne” de l’ex-RDA), en sachant capter par sa démagogie toutes les déceptions, les frustrations et les peurs des populations face aux réalités de la crise.
7 “Notes sur l’impérialisme et la décomposition : vers le plus grand chaos de l’histoire [10]”, Revue internationale n° 68 (1ᵉ trimestre 1992).
8 “Chute du Mur de Berlin : ne nous trompons pas de funérailles [6]”, Le Monde (9 novembre 2019).
Liens
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_4_80_bat.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[3] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reforme-des-retraites
[4] https://fr.internationalism.org/tag/5/59/irak
[5] https://fr.internationalism.org/tag/5/42/italie
[6] https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/09/chute-du-mur-de-berlin-ne-nous-trompons-pas-de-funerailles_6018607_3232.html
[7] https://www.lepoint.fr/europe/chute-du-mur-de-berlin-en-pleines-dissensions-l-allemagne-fete-les-30-ans-09-11-2019-2346185_2626.php
[8] https://www.ladepeche.fr/2019/11/09/il-y-a-30-ans-la-chute-du-mur-de-berlin,8532162.php
[9] https://fr.internationalism.org/rinte60/edito.htm
[10] https://fr.internationalism.org/rinte68/impe.htm
[11] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/chute-du-mur-berlin-effondrement-lurss