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Ebola n’est pas seulement un problème médical, c’est avant tout une question sociale, le produit d’un système doté de la technologie et du savoir-faire scientifique nécessaire pour considérablement réduire les souffrances causées par les épidémies, mais incapable d’atteindre cet objectif.
L’humanité est capable de surmonter les flambées explosives des épidémies les plus contagieuses
Au cours de l’histoire, l’humanité a régulièrement été confrontée à l’apparition de maladies contagieuses décimant la population mondiale. Mais l’évolution du savoir a rendu progressivement l’humanité plus apte à diminuer leurs effets dévastateurs et le nombre de victimes.
La première pandémie massive et de dimension planétaire connue est “la Peste Noire”, qui toucha l’Europe principalement entre les années 1346 et 1353. Elle fut une des épidémies les plus dévastatrices, causant la mort d’environ 30 à 60 % de la population européenne, soit environ 25 millions de victimes (et probablement autant en Asie). L’humanité fit reculer l’épidémie grâce aux mesures de quarantaine. Au xixe siècle, en 1826, éclatait une épidémie de choléra en Europe qui infecta des dizaines de milliers de personnes en Grande-Bretagne. Au début, on pensait qu’elle était causée par l’exposition aux déchets en décomposition. Mais, en utilisant des méthodes de recherche simples, un groupe de médecins montra que c’était l’eau souillée qui permettait à la maladie de se propager. A Hambourg, ville connaissant alors une forte croissance démographique, le choléra frappa de nouveau pendant dix semaines, paralysant complètement le commerce et les échanges ; 8600 personnes moururent.
En 1892, Engels estimait que “les attaques répétées du choléra (…) et autres épidémies [avaient] convaincu la bourgeoisie anglaise de la nécessité urgente de procéder à l’assainissement des villes et des cités” (). Finalement, la science finit par découvrir que le choléra était transmis par l’eau polluée et par l’exposition aux matières fécales d’une personne infectée.
Au cours du xix siècle, la médecine accomplit d’énormes progrès. Le développement des vaccins et, plus important encore, la mise en place de mesures sanitaires environnementales, associés à une meilleure compréhension des maladies infectieuses (épidémiologie), ont constitué des armes irremplaçables dans le combat pour la santé humaine : “Les abus les plus criants décrits dans ce livre ont, soit disparu, soit sont devenus moins visibles” ().
Dans la première moitié du xx siècle, le développement de la science continua, entraînant des progrès considérables. La découverte des antibiotiques, l’introduction d’une vaccination efficace contre un nombre croissant de maladies ont entraîné une diminution spectaculaire du nombre de victimes. Ainsi, il y a soixante ans, la bourgeoisie était convaincue que la lutte à l’échelle mondiale contre les maladies infectieuses était sur le point de triompher.
Un nouveau foyer de pandémies dans la décadence du capitalisme
Cependant, avec l’aggravation des contradictions du système capitaliste débutait sa période de décadence, la crise historique du système bourgeois. Les conditions étaient mûres pour l’éclatement de deux guerres mondiales et un nombre conséquent de guerres locales. Cela a eu un impact dramatique sur la santé publique. La Première Guerre mondiale en particulier provoqua une grave pandémie.
La guerre avait conduit à la complète dévastation de régions entières en Europe, au déplacement de millions de gens, au transport massif de troupes de soldats à travers toutes les régions du monde… En d’autres termes : la création d’un énorme chaos et une régression majeure des conditions sanitaires et d’hygiène.
Une nouvelle souche du virus de la grippe – surnommée Grippe espagnole en raison des règles de censure en temps de guerre – est devenue très contagieuse à l’automne 1918 en France. Des paysans chinois, envoyés par bateau du nord de la Chine vers la France, travaillant juste derrière le front dans des conditions déplorables, à la limite de la famine, infectèrent les soldats des tranchées. La grippe se répandit rapidement vers les Etats-Unis et dans certaines parties de l’Asie. La grippe tua environ 50 millions de personnes à travers le monde, se classant comme l’une des épidémies les plus meurtrières de l’Histoire. La bourgeoisie a toujours nié ou minimisé les liens entre les conditions créées par la guerre et le nombre phénoménal de morts dus à la grippe.
L’aggravation des conditions de vie au cours de la décomposition
Les progrès de la science médicale et des systèmes de santé réalisés depuis le milieu du xixee siècle n’ont jamais été étendus et mis en pratique dans tous les pays du monde. Dans les pays dits “en voie de développement”, l’accès à ces améliorations est impossible pour la grande majorité des ouvriers et paysans. Et cela n’a jamais changé depuis. Les signaux d’alarme insistants au sujet des maladies contagieuses dans ces régions du monde ont jeté une ombre de doute sur la propagande au sujet du “futur radieux” et la “bonne santé” du système actuel.
Pour le marxisme, cela n’a rien d’étonnant. Ces maladies sont l’expression du fait que le système capitaliste est en train de pourrir sur pied, à cause de l’impasse dans laquelle se trouvent les deux principales classes de la société : la bourgeoisie et le prolétariat. Comme le prolétariat n’est pas encore capable d’affirmer sa perspective révolutionnaire, les contradictions du capitalisme en décomposition ne peuvent que s’aggraver toujours plus.
La phase de décomposition, qui a commencé à la fin des années 1980, favorise le développement du “chacun pour soi”, détruit la cohésion sociale et amène à un délitement moral toujours croissant. La décomposition est marquée par la tendance au chaos complet dans tous les coins du monde. Non seulement le capitalisme en décomposition ne parvient pas à enrayer les maladies, mais, de plus, il tend à les aggraver et même à les provoquer :
– environ 3,3 milliards de personnes dans les pays “en voie de développement” n’ont pas accès à l’eau potable.
– près de 2,5 milliards de personnes (plus du tiers de la population mondiale) n’ont pas accès à un équipement sanitaire de base.
– chaque année, 250 millions de personnes s’empoisonnent avec de l’eau contaminée, ce qui entraîne un décès dans plus de trois millions de cas ().
L’apparition de nouvelles maladies infectieuses et la résurgence d’anciennes maladies dans différentes régions du monde, jusque-là épargnées, ont précipité une nouvelle crise sanitaire, qui menace de réduire à néant tous les progrès accomplis auparavant, comme le reconnaît la bourgeoisie. Les maladies comme le choléra, qui étaient jusque-là cantonnées dans des zones limitées, se répandent maintenant dans des régions que l’on croyait à l’abri. Alors que quelques maladies sont complètement éradiquées, d’autres, telles que la malaria et la tuberculose, qui ont toujours fait partie des plus grands ennemis “naturels” de l’humanité, sont de retour avec une férocité accrue, causant des millions de morts chaque année.
C’est la décomposition de la société qui est clairement responsable de la débandade des services médicaux. Le SRAS, par exemple, était l’une des pandémies les plus dangereuses avant l’éruption d’Ebola. On pense que le SRAS est passé d’une espèce biologique à l’autre dans une région démunie de la Chine du Sud où les gens vivent entassés avec leurs animaux dans des conditions qui rappellent le Moyen-Age. Ces conditions de vie sont à l’origine de beaucoup des plus sérieuses épidémies de grippe dans le monde. “Le “succès” du marché mondial dans la décadence ne réside pas dans la prévention de l’apparition de la maladie mais dans le fait d’avoir favorisé son extension mondiale” ().
Les conditions de la décomposition en Afrique
C’est en Afrique que la descente dans la barbarie militariste est le plus clairement prononcée. Au travers des conflits continuels, de la fragmentation des Etats capitalistes, de l’instabilité des frontières, du rôle des clans et des seigneurs de guerre, il est possible de voir les conflits meurtriers et le chaos se répandre sur le continent et cela nous donne une idée de ce que le capitalisme en décomposition réserve dans l’avenir à l’humanité ().
Ces dernières années, sur les trois pays les plus touchés par Ebola (Liberia, Sierra Leone, Guinée), deux ont été ravagés par la guerre civile et des massacres ethniques. Entre 1989 et 2003, les infrastructures du Liberia ont été dévastées par deux guerres civiles. Le Sierra Leone a été la proie d’une guerre civile de onze ans.
De plus, les programmes d’exploitation, par des entreprises étrangères qui extraient le pétrole, le gaz ou du minerai sans la moindre précaution pour trouver de nouvelles ressources économiques, ont conduit à une déforestation massive et à la destruction de l’habitat local et des infrastructures naturelles. La rupture de la cohésion sociale a gravement touché les moyens de subsistance de la population rurale. Les peuples autochtones ont été obligés de quitter leur terre pour aller s’agglutiner dans des bidonvilles urbains.
Parmi ces trois pays, le Liberia est le moins développé économiquement et l’un des plus pauvres du monde. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 1,3 million de personnes au Liberia vivent dans une extrême pauvreté. Au Sierra Leone, 70 % de la population vivent dans le dénuement. La moitié de la population des trois pays subit une misère extrême, manquant de l’hygiène la plus élémentaire telle que l’accès à l’eau potable.
La déforestation inexorable a également conduit à un changement radical dans les conditions climatiques des pays de l’Afrique de l’Ouest et centrale. L’augmentation des précipitations exceptionnelles est à craindre dans l’avenir. Des changements soudains avec le passage d’une atmosphère sèche à une atmosphère humide favorisent l’éclosion du virus Ebola. L’effet combiné de l’exploitation par des compagnies étrangères, le changement radical des phénomènes climatiques et la crise économique mondiale ont créé les conditions pour la présente catastrophe sanitaire.
L’impact dévastateur d’Ebola
Le déclenchement de la fièvre Ebola au cours de cette année n’était pas le premier. Il y a eu des épidémies répétées à peu près tous les ans depuis sa découverte en 1976 au centre de l’Afrique. Ebola est principalement une maladie rurale, où la nourriture issue de la chasse collective est consommée en commun ; les gens sont exposés à des animaux infectés et le manque d’eau potable favorise la propagation de l’infection. Les conditions d’isolement qui existent dans les zones rurales limitent le nombre de personnes infectées, tuant quelques centaines de personnes.
Cette année, le virus Ebola se propage pour la première fois vers des zones fortement peuplées de la côte ouest-africaine. Dans ces régions, non seulement les conditions sanitaires, mais aussi la situation des soins de santé sont désastreux, ce qui entraîne une augmentation de la vulnérabilité des communautés alentour au virus.
Le virus a complètement débordé les capacités des systèmes locaux de santé, qui passent leur temps à courir après lui pour le contrôler. Après la mort de 60 travailleurs de la santé par l’épidémie d’Ebola, un certain vent de panique a soufflé. Comme le dit Joseph Fair () : “beaucoup ont abandonné le navire”. Après que la maladie eut tué près de mille personnes et en ait infecté près de deux mille, l’OMS a déclaré, le 8 août 2014 : “l’épidémie d’Ebola est une urgence de santé publique internationale.” Le système de santé publique à Monrovia est en voie d’effondrement total. Les unités de soins les plus élémentaires, incluant les médicaments contre la malaria pour les enfants et les soins aux femmes enceintes, ont été fermées. Le 19 août, le quartier de West Point a été mis en quarantaine, piégeant environ 75 000 personnes, transformant le quartier en un immense cimetière. Ils peuvent mourir, du moment qu’ils meurent entre eux ! La quarantaine, qui a causé la mort de centaines de personnes, pas seulement à cause d’Ebola, mais aussi par la malaria (qui touche les enfants) et à cause du manque de nourriture et d’eau potable, a été levée après dix jours. Les gens sont partis en masse, sans demander leur reste.
Le cynisme de la bourgeoisie mondiale
Jusqu’à présent, il n’y a eu que peu d’aide de la part des pays développés. Outre la mobilisation de quelques centaines de médecins et d’infirmières bénévoles dévouées, la plus grande partie de l’aide a consisté en dons de matériel, d’équipements pour le personnel de santé. La contribution des Etats-Unis, pour les neuf derniers mois, se chiffre par exemple à peine à 100 millions. Cela contraste terriblement avec les milliards mis à disposition par les puissances impérialistes et leurs alliés parmi les monarchies du Golfe, pour la nouvelle guerre en Syrie et en Irak, sans parler des centaines de milliards gaspillés dans les guerres en Libye, en Irak et en Afghanistan. Malgré tout, Obama a décrété que l’épidémie d’Ebola constituait “une priorité pour la sécurité nationale”, car elle pourrait déclencher la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest, ce qui entraînerait “de graves conséquences sur l’économie, la politique et la sécurité.” Et avec cela, il s’est contenté d’envoyer… trois mille soldats !
L’IRC (International Rescue Committee), constate que, sur les 1500 nouveaux médicaments mis à disposition entre 1974 et 2004, seulement dix concernent les maladies tropicales. Pour ce qui concerne le virus Ebola, pratiquement aucune recherche n’a été effectuée depuis 1976. Les maladies tropicales vont donc continuer à affecter plus d’un milliard de personnes dans le monde et à tuer jusqu’à 500 000 personnes par an. John Ashton, de la Faculté de Santé publique de Londres, a ainsi caractérisé la situation : “une banqueroute morale du capitalisme agissant en l’absence d’un cadre éthique et social.” Le journal New Yorker a déclaré sans ambages : “les maladies qui touchent principalement les populations pauvres des pays pauvres ne sont pas une priorité pour la recherche, car ces marchés ne sont pas solvables.”
Par contre, comme toujours, les Etats les plus “anti-racistes” sont tout-à-fait prêts à utiliser la peur des voyageurs africains, à attiser les sentiments xénophobes parmi la population européenne. Les fractions dominantes de la classe dirigeante utilisent à leur profit le climat de peur et de panique :
– pour inciter les gens à oublier les plus grandes menaces auxquelles nous faisons face aujourd’hui, telles que la guerre ou les catastrophes nucléaires ;
– pour encourager la population des pays centraux à rechercher la protection de l’Etat bourgeois ;
– pour bloquer par tous les moyens possibles l’arrivée de gens venant d’Afrique à la recherche d’un refuge dans les pays centraux.
L’épidémie d’Ebola est le produit d’une aggravation des contradictions du capitalisme qui, depuis un siècle, “a apporté seulement plus de misère et de destruction sous toutes leurs formes. Face à la décomposition avancée de son système, la classe dominante n’a rien d’autre à offrir que des mensonges idéologiques et la répression” ().
Zyart, 5 novembre 2014
() Préface de La situation de la classe laborieuse en Angleterre.
() Idem.
() Selon les données officielles disponibles sur la Toile.
() “SRAS : le symptôme de la décomposition de la société”, World Revolution, mai 2003.
() “La propagation de la guerre montre l’impasse où se trouve le capitalisme”, World Revolution, mai 2013.
() Virologiste américain, travaillant avec l’Institut Mérieux, attaché au ministère de la Santé du Sierra Leone depuis 10 ans
() “SRAS : c’est le capitalisme qui est responsable de l’épidémie”, World Revolution, mai 2003.