Décadence du capitalisme (XIII) : Rejet et régressions

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Dans le précédent article de cette série[1], nous avons mis en évidence que la "théorie de la décadence", qu’une minorité intransigeante avait persisté à défendre malgré le triomphe apparent du capitalisme durant le boom d’après-guerre, avait gagné de nouveaux adhérents, car elle fournissait un cadre historique cohérent aux positions révolutionnaires que cette nouvelle génération avait acquises d’une façon plus ou moins intuitive: l’opposition aux syndicats et au réformisme, le rejet des luttes de libération nationale et des alliances avec la bourgeoisie, la compréhension que les pays prétendument "socialistes" étaient une forme de capitalisme d'État et ainsi de suite.

À la fin des années 1960 et au début des années 1970, la crise ouverte du capitalisme ne faisait que commencer; au cours des quatre décennies suivantes, il est apparu de plus en plus clairement qu’elle était insurmontable. De ce fait, on aurait pu s’attendre à ce que la majorité des éléments attirés par l'internationalisme au cours de cette période soient plus facilement convaincus du fait que le capitalisme était vraiment un système social obsolète et décadent. Non seulement cela n’a pas été le cas mais on pourrait même parler d'un rejet persistant de cette théorie de la décadence – et c’est particulièrement vrai pour les nouvelles générations de révolutionnaires qui ont commencé à surgir au cours de la première décennie du 21e siècle – et, simultanément, d’une tendance à la remettre en question, voire à la rejeter ouvertement, de la part de beaucoup d’éléments qui y adhéraient auparavant.

L’attraction de l’anarchisme

En ce qui concerne le rejet de la part des nouvelles générations de révolutionnaires, nous parlons essentiellement des éléments internationalistes influencés par les différentes sortes d’anarchisme. L’anarchisme a connu un renouveau important au cours des années 2000, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi il a eu une telle attraction sur de jeunes camarades désireux de combattre le capitalisme mais profondément critiques envers la gauche "officielle", dont une partie a vu comme une catastrophe l’effondrement du "socialisme existant réellement" dans le bloc de l’Est. Ainsi, la nouvelle génération se tourne souvent vers l’anarchisme parce qu’elle le voit comme un courant qui n’a pas trahi la cause du socialisme comme l’ont fait les courants social-démocrate, stalinien et trotskiste.

L’analyse des raisons pour lesquelles, dans les pays capitalistes centraux en particulier, tant d'éléments de la nouvelle génération ont été attirés par les différents courants de l’anarchisme et non par la Gauche communiste, qui constitue certainement le plus cohérent des courants politiques restés loyaux aux principes prolétariens après la terrible défaite de la période qui va de la fin des années 1920 à la fin des années 1960, prendrait un article à lui tout seul. Le problème de l’organisation des révolutionnaires – la question du "parti" - qui a toujours été une pomme de discorde entre les marxistes et les éléments révolutionnaires de l’anarchisme, constitue certainement un élément central. Mais dans cet article, notre préoccupation principale est la question spécifique de la décadence du capitalisme. Pourquoi la majorité des anarchistes, y compris ceux qui s’opposent authentiquement aux pratiques réformistes et défendent la nécessité d’une révolution internationale, rejettent-ils cette notion de façon si véhémente?

Il est vrai que certains des meilleurs éléments du courant anarchiste n’ont pas toujours eu cette réaction. Dans un article précédent de cette série[2], nous avons montré comment face à la crise économique mondiale et à la poussée vers la seconde guerre impérialiste mondiale, des camarades anarchistes comme Maximoff n’ont eu aucune difficulté à expliquer ces phénomènes comme des expressions d’un rapport social devenu une entrave au progrès de l’humanité, d’un mode de production en déclin.

Mais ce point de vue a toujours été minoritaire au sein du mouvement anarchiste. À un niveau plus profond, bien que beaucoup d’anarchistes reconnaissent que la contribution de Marx à la compréhension de l’économie politique est irremplaçable, leur point de vue sur la méthode historique qui sous-tend la critique du capital par Marx est bien plus sévère. Depuis Bakounine, il y a toujours eu chez les anarchistes une forte tendance à considérer le "matérialisme historique" (ou, si l’on préfère, la démarche matérialiste vis-à-vis de l’histoire) comme une forme de déterminisme rigide qui sous-estime et déprécie l’élément subjectif dans la révolution. Bakounine en particulier considérait que c’était un prétexte pour une pratique fondamentalement réformiste de la part du "parti de Marx", qui défendait à l’époque que le capitalisme n’avait pas encore épuisé son utilité historique pour l’humanité, que la révolution communiste n’était pas encore à l’ordre du jour et que la classe ouvrière devait développer ses forces et prendre confiance en elle-même dans le cadre de la société bourgeoise; ce point de vue était la base de la défense par Marx du travail syndical et de la constitution de partis ouvriers qui devaient, entre autres choses, participer aux élections bourgeoises. Pour Bakounine, le capitalisme avait toujours été mûr pour la révolution. Par extension, si les marxistes de l’époque historique actuelle défendent que les anciennes tactiques ne sont plus valables, cette position est souvent ridiculisée par les anarchistes d’aujourd’hui comme étant une justification rétrospective des erreurs de Marx et une façon d’éviter la conclusion désagréable que les anarchistes ont toujours eu raison.

Nous ne faisons qu’effleurer la question ici; nous y reviendrons plus loin en traitant une version plus élaborée de cette argumentation défendue par le groupe Aufheben dans une série d’articles critiquant la notion de décadence et que beaucoup dans le milieu communiste libertaire considèrent comme étant le dernier mot sur la question. Mais il y a d’autres éléments à examiner dans le fait que la génération actuelle rejette ce qui est pour nous la pierre de touche théorique d’une plateforme révolutionnaire aujourd’hui et qui sont moins liés à la tradition anarchiste.

Le paradoxe auquel nous sommes confrontés est le suivant: tandis que, pour nous, le capitalisme semble se décomposer de plus en plus, au point que nous pouvons parler de phase finale de son déclin, pour beaucoup d’autres, la capacité du capitalisme à prolonger ce processus de déclin constitue la preuve que le concept même de déclin est réfuté. En d’autres termes, plus un capitalisme, sénile depuis longtemps, approche de sa fin catastrophique, plus certains révolutionnaires le considèrent capable de se renouveler quasiment sans fin.

Il est tentant de faire un peu de psychologie ici. Nous avons déjà noté[3] que la perspective de sa propre fin constitue un élément du rejet par la bourgeoisie non seulement du marxisme mais même de ses propres tentatives pour appréhender de façon scientifique le problème de la valeur, une fois qu’il est apparu clairement que le comprendre impliquait aussi la compréhension du caractère transitoire du système capitaliste et de sa condamnation à périr de ses propres contradictions internes. Il serait étonnant que cette idéologie du déni n’affecte pas aussi ceux qui cherchent à rompre avec la vision bourgeoise du monde. En fait, puisque cette fuite de la réalité par la bourgeoisie grandit désespérément au fur et à mesure qu’elle s’approche de sa véritable fin, on peut s’attendre à voir ce mécanisme de défense pénétrer toutes les couches de la société, y compris la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires. Après tout, qu’est ce qui est plus terrifiant, plus susceptible de susciter une réaction de fuite ou de se cacher la tête dans le sable que la possibilité réelle d’un capitalisme agonisant nous écrasant tous dans les affres de ses derniers moments?

Mais le problème est plus complexe. D’abord il est connecté à la façon dont la crise a évolué au cours des quarante dernières années, qui a rendu le diagnostic de la véritable gravité de la maladie mortelle du capitalisme plus difficile.

Comme nous l’avons noté, les premières décennies qui ont suivi 1914 étaient une preuve très claire du fait que le capitalisme était en déclin. Ce n’est que lorsque le boom d’après-guerre s’est vraiment déployé dans les années 1950 et 1960 qu’un certain nombre d’éléments du mouvement politique prolétarien ont commencé à exprimer de profonds doutes envers l’idée que le capitalisme était dans sa phase de décadence. Le retour de la crise – et de la lutte de classe – à la fin des années 1960 a permis de voir la nature passagère de ce boom et de redécouvrir les fondements de la critique marxiste de l’économie politique. Mais tandis que la nature "permanente" de la crise depuis la fin des années 1960 et, par-dessus tout, l’explosion plus récente de toutes les contradictions qui s’étaient accumulées au cours de cette période (la "crise de la dette") ont confirmé cette analyse au niveau fondamental, la longueur de la crise a aussi témoigné de l’extraordinaire capacité du capitalisme à s’adapter et à survivre, même si c’était en trichant avec ses propres lois et en accumulant des problèmes encore plus dévastateurs pour lui-même à long terme. Le CCI a certainement, en certaines occasions, sous-estimé ces capacités: certains des articles publiés dans les années 1980 – décennie au cours de laquelle le chômage massif a de nouveau fait partie de la vie quotidienne – ne prévoyaient pas le "boom" (ou plutôt les booms, puisqu’il y a eu aussi de nombreuses récessions) des années 1990 et 2000, et il est certain que nous n’avions pas prévu la possibilité qu’un pays comme la Chine s'industrialise au rythme frénétique qu’on a connu au cours des années 2000 grosso modo. Pour une génération élevée dans de telles conditions où le consumérisme rampant et éhonté des pays développés fait paraître la société de consommation des années 1950 et 1960 surannée en comparaison, il est compréhensible que parler de déclin du capitalisme puisse paraître quelque peu dépassé. L’idéologie officielle des années 1990 et des premières années 2000 était que le capitalisme avait triomphé sur toute la ligne et que le néo-libéralisme et la mondialisation ouvraient la porte à une nouvelle ère de prospérité sans précédent. En Grande-Bretagne, par exemple, le porte-parole économique du gouvernement de Tony Blair, Gordon Brown, proclamait, dans son discours sur le budget en 2005, que le Royaume-Uni connaissait la période de croissance économique la plus longue depuis les premiers relevés qui commencèrent en 1701. Il n’est pas surprenant que des versions "radicales" de ces idées soient reprises,  même parmi des défenseurs de la révolution. Après tout, la classe dominante elle-même continue de se quereller sur la question de savoir si elle s’est débarrassée en fin de compte du cycle "expansion-récession". Beaucoup de "pro-révolutionnaires", qui sont capables de citer Marx sur les crises périodiques du 19e siècle et d’expliquer que même s’il peut encore y avoir des crises périodiques, celles-ci servent à nettoyer l’économie de ses branches mortes et à apporter un regain de croissance, se sont fait écho de cette problématique.

Régressions à partir de la cohérence de la gauche italienne

Tout cela est très compréhensible, mais on peut peut-être moins le pardonner quand cela vient des rangs de la Gauche communiste, qui avait déjà une certaine connaissance du caractère maladif de la croissance capitaliste à l’époque de son déclin. Et pourtant, depuis les années 1970, nous avons connu une série de défections vis-à-vis de la théorie de la décadence dans les rangs de la Gauche communiste, et dans le CCI en particulier, s’accompagnant souvent de sévères crises organisationnelles.

Ce n’est pas le lieu d’analyser l’origine de ces crises. Nous pouvons dire que les crises dans les organisations politiques du prolétariat constituent un moment inévitable de leur vie, comme un coup d’œil rapide à l’histoire du Parti bolchevique ou des gauches allemande et italienne le confirme. Les organisations révolutionnaires sont une partie de la classe ouvrière, qui est une classe constamment soumise à l’immense pression de l’idéologie dominante. L’avant-garde ne peut échapper à cette pression et est contrainte de mener un combat permanent contre elle. Les crises organisationnelles éclatent en général à un moment où une partie voire l'ensemble de l’organisation est confrontée – ou succombe – à une dose particulièrement forte d’idéologie dominante. Très souvent, ces convulsions sont initiées ou exacerbées par la nécessité de faire face à de nouvelles situations ou à des crises plus larges dans la société.

Les crises du CCI ont presque toujours été centrées sur des questions d’organisation et de comportement politique. Mais il est également notable que pratiquement toutes les scissions importantes dans nos rangs ont mis en question également notre vision de l’époque historique.

Le GCI : le progrès est-il un mythe bourgeois?

En 1987, dans la Revue internationale n° 48, nous avons commencé la publication d’une nouvelle série intitulée "Comprendre la décadence du capitalisme". C’était une réponse au fait que, de plus en plus, des éléments à l’intérieur ou autour du mouvement révolutionnaire étaient en train de changer d’avis sur la notion de décadence. Le premier des trois articles de la série[4] était une réponse aux positions du Groupe communiste internationaliste (GCI) qui était à l’origine une scission du CCI à la fin des années 1970. Certains des éléments qui avaient initialement formé le GCI se voyaient comme des continuateurs du travail de la Fraction italienne de la Gauche communiste, s’opposant à ce qu’ils considéraient comme des déviations conseillistes du CCI. Mais à la suite de nouvelles scissions au sein du GCI lui-même, le groupe évolua vers ce que l’article de la Revue internationale qualifiait de "bordiguisme anarcho-punk": une étrange combinaison de concepts tirés du bordiguisme tels que "l’invariance" du marxisme et une régression vers une vision volontariste à la Bakounine. Ces deux éléments menèrent le GCI à s’opposer de façon véhémente à l’idée que le capitalisme avait connu une phase ascendante et une phase décadente, principalement dans l’article "Théories de la décadence ou décadence de la théorie?" (Le Communiste n° 23, 1985).

L’article de la Revue internationale réfute un certain nombre d’accusations portées par le GCI. Il critique le sectarisme grossier du GCI qui mettait dans le même sac les groupes défendant l’idée que le capitalisme était décadent et les Témoins de Jéhovah, la secte Moon ou les néo-nazis; le GCI montrait son ignorance quand il déclarait que le concept de décadence était né après la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 et que "certains produits de la victoire de la contre-révolution se mirent à théoriser une ‘longue période’ de stagnation et de ‘déclin’"; surtout, l’article montre que ce qui sous-tend "l’anti-décadence" du GCI, c’est un abandon de l’analyse matérialiste de l’histoire en faveur de l’idéalisme anarchiste.

Ce que le GCI rejette vraiment dans le concept de décadence, c’est l’idée que le capitalisme ait été autrefois un système ascendant, qu’il ait joué un rôle progressiste pour l’humanité: en fait le GCI rejette la notion même de progrès historique. Pour lui, c’est de la simple idéologie pour justifier la mission "civilisatrice" du capitalisme: "La bourgeoisie présente tous les modes de production qui l’ont précédée comme ‘barbares’ et ‘sauvages’ et deviendraient, avec l’évolution historique, progressivement ‘civilisés’. Le mode de production capitaliste est évidemment l’incarnation finale et la plus haute de la Civilisation et du Progrès. La vision évolutionniste correspond donc à ‘l’être social capitaliste’ et ce n’est pas pour rien que cette vision a été appliquée à toutes les sciences (c’est-à-dire toutes les interprétations partielles de la réalité du point de vue bourgeois): les sciences de la nature (Darwin), la démographie (Malthus), la logique, l’histoire, la philosophie (Hegel)…" (Ibid.)

Mais ce n’est pas parce que la bourgeoisie a une certaine vision du progrès où tout culmine dans la domination du capital que tout concept de progrès est faux: c’est précisément la raison pour laquelle Marx n’a pas rejeté les découvertes de Darwin mais les a considérées – en les interprétant correctement et en utilisant une vision dialectique plutôt que linéaire – comme un argument supplémentaire en faveur de sa vision de l’histoire.

Cela ne veut pas dire non plus que la vision marxiste du progrès historique signifie l’adhésion et l’alignement sur la classe dominante, comme le GCI le proclame: "Les décadentistes sont donc pour l’esclavage jusqu’à une certaine date, pour le féodalisme jusqu’à une autre… pour le capitalisme jusqu’en 1914! Ainsi, à cause de leur culte du progrès, ils s’opposent à chaque étape à la guerre de classe menée par les exploités, s’opposent aux mouvements communistes qui ont eu le malheur d’éclater dans la ‘mauvaise période’." (Ibid.) Le mouvement marxiste au 19e siècle, tout en reconnaissant généralement que le capitalisme n’avait pas encore créé les conditions de la révolution communiste, a toujours considéré son rôle comme étant de défendre de façon intransigeante les intérêts de classe du prolétariat au sein de la société bourgeoise et il a reconnu "rétrospectivement" l’importance absolument vitale des révoltes des exploités dans les sociétés de classes précédentes, tout en considérant que ces révoltes ne pouvaient aboutir à la société communiste.

On rencontre souvent le radicalisme superficiel du GCI chez ceux qui épousent ouvertement les conceptions anarchistes et il leur a même parfois fourni une justification semi-marxiste plus "élaborée" pour maintenir leurs vieux préjugés. Alors que les anarchistes peuvent reconnaître à Marx certaines contributions théoriques (critique de l’économie politique, concept d’aliénation, etc.), ils ne tolèrent pas sa pratique politique qui était de construire des partis ouvriers participant au parlement, de développer des syndicats et même, dans certains cas, de soutenir des mouvements nationaux. Selon eux, toutes ces pratiques (à l’exception peut-être du développement de syndicats) étaient déjà bourgeoises (ou autoritaires) à l’époque et elles sont toujours bourgeoises (ou autoritaires) aujourd’hui.

Dans la pratique cependant, ce rejet général de toute une partie du passé du mouvement ouvrier n’est pas une garantie de la radicalité des positions aujourd’hui. Comme le conclut le deuxième article de la série: "… pour les marxistes, les formes de lutte du prolétariat dépendent des conditions objectives dans lesquelles celle-ci se déroule et non des principes abstraits de révolte éternelle. C'est seulement en se fondant sur l'analyse objective du rapport de forces entre les classes envisagé dans sa dynamique historique que l'on peut fonder la validité ou non d'une stratégie, d'une forme de combat. En dehors de cette base matérialiste, toute prise de position sur les moyens de la lutte prolétarienne repose sur du sable mouvant; c'est la porte ouverte au déboussolement dès que les formes superficielles de la ‘révolte éternelle’ - la violence, l'anti-légalité - font leur apparition"[5]. L’article en veut pour preuve le flirt du GCI avec le Sentier lumineux au Pérou. C’est une position idéologique que le GCI a reprise dans des déclarations plus récentes sur la violence du Jihad en Irak.[6]

PI : l’accusation de "productivisme"

La série publiée dans les années 1980 contenait également une réponse à un autre groupe né d’une scission du CCI en 1985: la Fraction Externe du CCI (FECCI) qui publiait la revue Perspective Internationaliste (PI). La FECCI,  proclamant faussement avoir été exclue du CCI et dédiant une grande partie de ses premières polémiques à apporter la "preuve" de la "dégénérescence du CCI" et même de son "stalinisme", était née en déclarant qu’elle avait l’intention de défendre la plateforme du CCI à l’encontre du CCI lui-même – d’où son nom. Ce nom de ‘FECCI’ fut finalement abandonné et le groupe adopta le titre de sa publication. Contrairement au GCI, cependant, PI n’a jamais dit qu’il rejetait la notion même d’ascendance et de décadence du capitalisme: il a expliqué qu’il voulait approfondir et clarifier ces concepts. C’est certainement un projet louable. Le problème est que ses innovations théoriques ajoutent peu de chose qui soit vraiment profond et servent principalement à diluer l’analyse de base.

D’une part, PI a de plus en plus développé une périodisation "parallèle" du capitalisme, basée sur ce qu’il appelle la transition de la domination formelle à la domination réelle du capital qui, dans la version de PI, correspond plus ou moins au même cadre historique que celui du changement "traditionnel" du capitalisme passant à sa période de déclin dans la première partie du 20e siècle. Dans la vision de PI, la pénétration globale croissante de la loi de la valeur dans tous les domaines de la vie économique et sociale constitue la domination réelle du capital, et c’est cela qui nous fournit la clé pour comprendre les frontières de classe que le CCI avait basées auparavant sur la notion de décadence: la banqueroute du travail syndical, du parlementarisme et du soutien à la libération nationale, etc.

Il est certain que l’émergence réelle du capitalisme comme une économie mondiale, sa "domination" effective sur le globe correspondent à l’ouverture de la période de décadence; et que, comme le souligne PI, cette période a été marquée par une pénétration croissante de la loi de la valeur dans quasiment tous les recoins de l’activité humaine. Mais comme nous le défendons dans notre article de la Revue internationale n° 60[7], la définition que donne PI de la transition entre la domination formelle et la domination réelle part d’un concept élaboré par Marx et l’élargit au-delà de la signification spécifique que ce dernier lui attribuait. Pour Marx, la transition en question concernait le passage de la période de la manufacture – quand le travail artisanal était regroupé par des capitalistes individuels sans véritablement transformer les anciennes méthodes de production – à celui du système d’usines, basé sur le travailleur collectif. Dans son essence, ce changement avait déjà eu lieu à l’époque de Marx, quand le capitalisme ne "dominait" encore qu’une petite partie de la planète: son expansion ultérieure allait se baser sur la "domination réelle" du processus de production. Notre article montrait que le point de vue des bordiguistes de Communisme ou Civilisation était plus conséquent quand il défendait la possibilité du communisme dès 1848, puisque, pour ce groupe, cette date marquait en fait la transition à la domination réelle.

Mais PI développait un autre argument dans sa mise en question du concept de décadence hérité du CCI: l'accusation de "productivisme". Dans l’une de ses premières salves (PI n° 28, automne 1995), Mac Intosh affirmait que tous les groupes la Gauche communiste, depuis Bilan jusqu’aux groupes existants tels que le CCI ou le BIPR, souffraient de la même maladie: ils étaient "désespérément et inextricablement empêtrés dans le productivisme qui est le cheval de Troie du capital dans le camp du marxisme. Ce productivisme fait du développement de la technologie et des forces productives l’étalon du progrès historique et social; dans cette optique théorique, tant qu’un mode de production assure le développement technologique, on doit le considérer comme historiquement progressiste." La brochure du CCI, La décadence du capitalisme[8], fit particulièrement l’objet de critiques. Rejetant l’idée de Trotsky, exprimée dans le document programmatique de 1938: Programme de Transition - L’agonie du capitalisme et les tâches de la Quatrième Internationale[9], selon laquelle les forces productives de l’humanité avaient cessé de croître, notre brochure définissait la décadence comme une période au cours de laquelle les rapports de production agissaient comme une entrave au développement des forces productives mais non comme une barrière absolue, et menait une sorte d’expérience intellectuelle en cherchant à montrer combien le capitalisme aurait pu se développer s’il n’avait pas été limité par ses contradictions internes.

Mac Intosh se focalisa sur ce passage et le contredit par différents chiffres qui indiquaient, à son avis, des taux de croissance si formidables à l’époque de la décadence que toute notion de décadence vue comme ralentissement du développement des forces productives devait être remplacée par l’idée que c’était précisément la croissance du système qui était profondément inhumaine – comme en témoigne, par exemple, le développement de la crise écologique.

D’autres membres de PI poursuivirent dans le même sens, par exemple dans l’article: "For a Non-productivist Understanding of Capitalist Decadence" par E.R. dans PI n° 44[10]. Mais il y avait déjà eu une réponse assez profonde à Mac Intosh dans le n° 29 de PI[11] par M. Lazare (ML). Si l’on ne tient pas compte de la caricature occasionnelle des prétendues caricatures du CCI, cet article montre bien comment la critique du productivisme par Mac Intosh est elle-même prise dans une logique productiviste[12]. D’abord il met en question l’utilisation par Mac Intosh des chiffres prétendant montrer que le capital avait crû d’un facteur 30 entre 1900 et 1980. ML montre que ce chiffre est bien moins impressionnant si on le rapporte à un taux annuel qui nous donne une croissance moyenne de 4,36% par an. Mais, surtout, il défend l’idée que si nous parlons en termes quantitatifs, malgré les taux de croissance impressionnants que le capitalisme en déclin a pu connaître, quand on regarde le gigantesque gaspillage de forces productives qu’entraînent la bureaucratie, les armements, la publicité, la finance, une multitude de "services" inutiles ainsi que la crise économique quasi-permanente ou récurrente, l’expansion à proprement parler de l’activité productrice réelle aurait pu être alors bien plus grande. En ce sens, l’idée que le capitalisme est une entrave qui freine mais ne bloque pas totalement le développement des forces productives, même en termes capitalistes, reste totalement valable. Comme Marx l’a écrit, le capital est la contradiction vivante et "la véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même" (Livre III du Capital[13]).

Cependant, et de façon tout à fait correcte, ML ne s’arrête pas là. La question de la "qualité" du développement des forces productives dans la période de décadence se pose dès qu’on fait entrer des facteurs comme le gaspillage et la guerre dans l’équation. Contrairement à certaines insinuations de ML, la vision que le CCI a de la décadence n’a jamais été purement quantitative, mais a toujours pris en compte le "coût" humain de la survie prolongée du système. Et il n’y a rien dans notre vision de la décadence excluant l’idée, également mise en avant par ML, que nous avons besoin d’une conception bien plus profonde de ce que signifie exactement le développement des forces productives. Les forces productives ne sont pas intrinsèquement du capital – illusion entretenue à la fois par les primitivistes qui considèrent le progrès technologique comme la source de tous les maux et par les staliniens qui mesurent le progrès vers le "communisme" à l’aune du ciment et de l’acier. À la base des forces productives de l’humanité, il y a sa puissance créatrice, et le mouvement vers le communisme ne peut se mesurer qu’en fonction du degré de libération des capacités de créativité humaine. L’accumulation du capital – "la production pour la production" -  a constitué une étape dans ce sens, mais une fois qu’elle eut établi les prérequis pour une société communiste, elle a cessé de jouer un rôle progressiste. En ce sens, loin d’être gouvernée par une vision productiviste, la Gauche communiste italienne fut l’une des premières à critiquer ouvertement cette vision, puisqu’elle rejetait les hymnes de Trotsky sur les miracles de la production "socialiste" dans l’URSS stalinienne et qu’elle insistait sur le fait que les intérêts de la classe ouvrière (même dans un "État prolétarien") étaient nécessairement antagoniques aux besoins de l’accumulation (ML note aussi cela, contrairement aux accusations portées par Mac Intosh à la tradition de la Gauche communiste).

Pour Marx, et pour nous, la "mission progressiste" du capital se mesure au degré de sa contribution à la libération de la puissance créatrice de l’homme, vers une société où la mesure des richesses n’est plus le temps de travail mais le temps libre. Le capitalisme a constitué une étape inévitable vers cet horizon, mais sa décadence se signale précisément par le fait que ce potentiel ne peut être réalisé qu’en abolissant les lois du capital.

Il est crucial d’envisager ce problème dans toute sa dimension historique, qui embrasse aussi bien le futur que le passé. Les tentatives du capital pour maintenir l’accumulation dans le carcan imposé par ses limites globales créent une situation où ce n'est pas seulement le potentiel de l’humanité qui est ainsi emprisonné, c’est aussi la survie de l'humanité elle-même qui est menacée au fur et à mesure que les contradictions des rapports sociaux capitalistes s’expriment de plus en plus violemment, entraînant la société à sa ruine. C’est sûrement ce à quoi Marx fait allusion dans les Grundrisse quand il parle du développement comme déclin[14].

Une illustration actuelle: la Chine, dont les taux de croissance vertigineux obsèdent tant les anciens inconditionnels de la théorie de la décadence. Le capital chinois a-t-il développé les forces productives? Selon ses propres critères, oui, mais quel est le contexte historique global dans lequel cela a lieu? Il est certainement vrai que l’expansion du capital chinois a accru la taille du prolétariat industriel mondial, mais cela s’est produit à travers un vaste processus de désindustrialisation à l’Ouest et la perte de beaucoup de secteurs centraux de la classe ouvrière dans les pays d’origine du capital, allant de pair avec la perte d’une grande partie de ses traditions de lutte. En même temps, le coût écologique du "miracle" chinois est gigantesque. Les besoins de la Chine en matières premières pour sa croissance industrielle amènent au pillage accéléré des ressources mondiales et toute la production qui en découle porte avec elle une grande augmentation de la pollution globale. Au niveau économique, tandis que la Chine dépend entièrement du marché occidental de consommation. Tant du point de vue du marché intérieur que de celui des exportations, les perspectives économiques, à terme, de l'économie chinoise sont à la baisse, Ttout comme le sont celles de l'Europe et des Etats-Unis. La seule différence c'est que ce pays part de plus haut [15]. Mais il pourrait bien perdre son avance, ou du moins une partie de celle-ci si, à son tour, il devait être ébranlé par des faillites en série[16]. Tôt au tard la Chine ne pourra que s'inscrire pleinement dans la dynamique récessioniste de l'économie mondiale.

Marx, à la fin du 19e siècle, voyait des raisons d’espérer que le développement capitaliste ne serait pas nécessaire en Russie, car il pouvait voir que, à l’échelle mondiale, les conditions du communisme étaient déjà en train d’être réunies. Cela n’est-il pas encore plus vrai aujourd’hui?

Des hésitations dans le BIPR?

En 2003-04, nous avons commencé une nouvelle série d’articles sur la décadence, en réponse à un certain nombre de charges contre ce concept mais, en particulier, à cause de signes alarmants de la part du Bureau international pour le Parti révolutionnaire (BIPR) – maintenant Tendance communiste internationaliste (TCI) – qui avait généralement fondé ses positions sur une notion de décadence, et semblait à présent être aussi influencé par les pressions "anti-décadentistes" prédominantes.

Dans une prise de position "Éléments de réflexion sur les crises du CCI" de février 2002 et publiée dans la revue Internationalist Communist n° 21, le concept de décadence est critiqué ainsi: "aussi universel que confus", "étranger à la critique de l’économie politique", " étranger à la méthode et à l’arsenal de la critique de l’économie politique". On nous demande aussi: "Quel rôle joue donc le concept de décadence sur le terrain de la critique de l’économie politique militante, c’est à dire de l’analyse approfondie des phénomènes et des dynamiques du capitalisme dans la période que nous vivons? Aucun. Au point que le mot lui-même n’apparaît jamais dans les trois volumes qui composent le Capital."[17]

Une contribution publiée en italien dans Prometeo n° 8, Série VI (décembre 2003) et en français sur le site, "Pour une définition du concept de décadence"[18] contenait toute une série d’affirmations inquiétantes.

La théorie de la décadence, apparemment, est considérée comme une notion fataliste de la trajectoire du capitalisme et du rôle des révolutionnaires: "L'ambiguïté réside dans le fait que l'idée de décadence ou de déclin progressif du mode de production capitaliste, provient d'une sorte de processus d'autodestruction inéluctable dépendant de son essence propre. (…) [la] disparition et [la] destruction de la forme économique capitaliste [serait] un événement historiquement daté, économiquement inéluctable et socialement prédéterminé. Outre une approche infantile et idéaliste, cela finit par avoir des répercussions négatives sur le plan politique, générant l’hypothèse que pour voir la mort du capitalisme, il suffit de s’asseoir sur la berge, ou, au mieux, d’intervenir dans une situation de crise, et seulement celle-ci, les instruments subjectifs de la lutte de classe sont perçus comme le dernier coup de pouce d’un processus irréversible."

La décadence ne semble plus aboutir à l’alternative "socialisme ou barbarie" puisque le capitalisme est capable de se renouveler sans fin: "L’aspect contradictoire de la forme capitaliste, les crises économiques qui en dérivent, le renouvellement du processus d’accumulation qui est momentanément interrompu par les crises mais qui reçoit de nouvelles forces à travers la destruction de capitaux et des moyens de production excédentaires, ne mettent pas automatiquement en cause sa disparition. Ou bien c’est le facteur subjectif qui intervient, dont la lutte de classe est l’axe matériel et historique, et les crises la prémisse économique déterminante, ou bien, le système économique se reproduit, rééditant à un niveau supérieur toutes ses contradictions, sans pour cela créer les conditions de sa propre destruction."

Comme dans la prise de position de 2002, ce nouvel article défendait l’idée que le concept de décadence n’avait pas grand-chose à voir avec une critique sérieuse de l’économie politique: il n’était considéré comme utile que si l’on pouvait le "prouver" économiquement en examinant les tendances du taux de profit: "La théorie évolutionniste suivant laquelle le capitalisme se caractérise par une phase progressiste et décadente ne vaut rien, si l’on n’en donne pas une explication économique cohérente. (…) La recherche sur la décadence conduit soit à identifier les mécanismes qui président au ralentissement du processus de valorisation du capital avec toutes les conséquences que cela comporte, soit à demeurer dans une fausse perspective, vainement prophétique (…) Mais l’énumération des phénomènes économiques et sociaux une fois identifiés et décrits, ne peut être considérée elle-même comme la démonstration de la phase de décadence du capitalisme; en effet, ces phénomènes n’en sont que les effets et la cause première qui les impose, réside dans la loi de la crise des profits."

Les deux articles de la Revue internationale en réponse[19] montraient que si le Parti communiste internationaliste (PCInt) - Battaglia comunista, la section du BIPR/TCI en Italie - qui a écrit la contribution d’origine, avait toujours été assez inconséquent dans son adhésion à la notion de décadence; celui-ci traduisait ici une réelle régression vers la vision bordiguiste qui avait été l’un des éléments conduisant à la scission de 1952 du PCInt. Bordiga – dont la position était fortement combattue par Damen comme nous l’avons vu dans un article précédent de cette série[20] - affirmait que la "théorie de la courbe descendante" était fataliste tout en niant toute limite objective à la croissance du capital. Quant à l’idée de prouver "économiquement" la décadence, la reconnaissance que 1914 avait ouvert une nouvelle phase qualitative dans la vie du capital avait été défendue par des marxistes comme Lénine, Luxemburg et la Gauche communiste, avant tout sur la base de facteurs sociaux, politiques et militaires – comme tout bon médecin, ils avaient diagnostiqué la maladie à partir de ses symptômes les plus évidents, avant tout la guerre mondiale et la révolution mondiale.[21]

Nous ne savons pas comment la discussion s’est déroulée dans le BIPR/TCI suite à la publication de cet article par Battaglia comunista.[22] En tous cas, il reste que les deux articles que nous venons de mentionner sont le reflet d’un rejet plus général de la cohérence de la gauche italienne, ils sont l'expression de cette tendance au sein d'un des groupes les plus solides de cette tradition.

La régression vis-à-vis de la théorie de la décadence de la part d’éléments de la Gauche communiste peut être vue comme une libération par rapport à un dogmatisme rigide et une ouverture vers un enrichissement théorique. Mais alors que nous sommes les derniers à rejeter la nécessité d’élucider et d’approfondir toute la question de l’ascendance et du déclin du capitalisme[23], il nous semble que ce à quoi nous sommes principalement confrontés ici, c’est à un recul par rapport à la clarté de la tradition marxiste et à une concession envers le poids énorme de l’idéologie bourgeoise, qui se fonde nécessairement sur la foi dans la nature éternelle et auto-renouvelable de cet ordre social.

Aufheben. C’est le capital qui est "objectiviste", pas le marxisme

Comme nous l’avons dit au début de cet article, ce problème – l’incapacité de voir le capitalisme comme une forme transitoire d’organisation sociale qui a déjà montré son obsolescence – domine particulièrement dans la nouvelle génération de minorités politisées fortement influencées par l’anarchisme. Mais, comme tel, l’anarchisme n’a pas grand-chose à proposer au niveau théorique, surtout quand il s’agit de la critique de l’économie politique, et a l’habitude d’emprunter au marxisme s’il veut se donner une apparence de véritable profondeur. Dans une certaine mesure, c'est le rôle du groupe Aufheben dans le milieu communiste libertaire en Grande-Bretagne et internationalement. Beaucoup attendent impatiemment la parution annuelle de la revue Aufheben qui propose des analyses solides sur les questions de l’heure, du point de vue du "marxisme autonomiste". La série sur la décadence en particulier ("Decadence: The Theory of Decline or the Decline of Theory?" - Décadence: la théorie du déclin ou le déclin de la théorie? – qui a commencé dans le n° 2 d’Aufheben, été 1993) est considérée par beaucoup comme la réfutation définitive du concept de déclin du capitalisme qui serait un héritage de la Deuxième Internationale, exprimant un point de vue "objectiviste" sur la dynamique du capitalisme qui sous-estime totalement la dimension subjective de la lutte de classe.

"Pour les social-démocrates de gauche, insister sur le fait que le capitalisme est en déclin, qu’il approche de son effondrement, est considéré comme essentiel. Le sens du "marxisme" est de s’inscrire dans l’idée que le capitalisme est en banqueroute et que l’action révolutionnaire est donc nécessaire. Les marxistes s’engagent donc dans l’action révolutionnaire mais, comme nous l’avons vu, parce que le centre d’attention porte sur les contradictions objectives du système et que l’action subjective révolutionnaire est une réaction à celles-ci, ils n’ont rien à voir avec les véritables prérequis nécessaires à la fin du capitalisme – le développement concret du sujet révolutionnaire. Il semblait aux membres les plus révolutionnaires du mouvement comme Lénine et Luxemburg qu’une position révolutionnaire était une position croyant dans l’effondrement alors que la théorie de l’effondrement avait en fait permis l’adoption d’une position réformiste au début de la Deuxième Internationale. La question, c’est que la théorie du déclin du capitalisme en tant que théorie de son effondrement du fait de ses propres contradictions objectives implique un état d’esprit essentiellement contemplatif face au caractère objectif du capitalisme tandis que ce qui est vraiment requis pour la révolution, c’est de rompre avec cette attitude contemplative."[24]

Aufheben considère que les trotskystes comme les communistes de gauche d’aujourd’hui sont les héritiers de cette tradition social-démocrate (de gauche): "Notre critique est que leur théorie contemple le développement du capitalisme; les conséquences pratiques sont que les trotskystes courent après tout ce qui bouge afin de recruter pour leur confrontation finale tandis que les communistes de gauche se tiennent à l’écart en attendant le pur exemple d’action révolutionnaire des ouvriers. Derrière cette opposition apparente dans la façon de voir la lutte, ils partagent une conception de l’effondrement du capitalisme qui signifie qu’ils n’apprennent pas du mouvement réel. Bien qu’ils prennent des positions qui glissent vers l’idée de l’inévitabilité du socialisme, en général pour les théoriciens de la décadence cet avènement n’est pas inévitable – nous ne devons pas tous sortir au pub – mais le capitalisme s’effondrera. Cette théorie peut ainsi s’accompagner de la construction d’une organisation léniniste maintenant ou bien, comme pour Mattick, on peut attendre le moment de l’effondrement quand il sera possible de créer une véritable organisation révolutionnaire. La théorie du déclin et de la Crise est détenue et comprise par le parti, le prolétariat doit se mettre derrière sa bannière. Ça veut dire "Nous comprenons l’Histoire, suivez-nous". La théorie du déclin va très bien avec la théorie léniniste de la conscience qui, bien sûr, s’est beaucoup inspirée de Kautsky qui a terminé son commentaire sur le Programme d’Erfurt par la prévision que les classes moyennes allaient s’engager "dans le Parti socialiste et, main dans la main avec le prolétariat qui avance irrésistiblement, suivront sa bannière jusqu’à la victoire et au triomphe".

Comme on peut le voir de cette affirmation selon laquelle la théorie de la décadence amène logiquement à la théorie "léniniste" de la conscience de classe, la vision globale d’Aufheben  a été influencée par Socialisme ou Barbarie (S ou B), dont l’abandon de la théorie marxiste de la crise dans les années 1960 a été examiné dans un article précédent de cette série[25]) et plus encore par l’autonomisme italien[26]. Ces deux courants partageaient la critique d’un "objectivisme" de Marx, en faisant une lecture d’après laquelle l’étude constante des lois économiques du capital minimiserait l’impact de la lutte de classe sur l’organisation de la société capitaliste et ne parviendrait pas à saisir l’importance de l’expérience subjective de la classe ouvrière face à son exploitation. En même temps, Aufheben est conscient que la théorie de l’aliénation de Marx est fondée, précisément, sur la subjectivité et critique Paul Cardan/Cornelius Castoriadis (le principal théoricien de S ou B) pour avoir érigé une critique de Marx ne prenant pas en compte cet élément-clé de sa pensée: "La "contradiction fondamentale" de S ou B est de ne pas saisir pleinement le radicalisme de la critique de l’aliénation par Marx. En d’autres termes, il présentait comme une innovation ce qui était en réalité un appauvrissement de la critique de Marx."[27]

Les autonomes sont aussi allés au-delà de l’idée superficielle de Cardan selon laquelle Marx avait écrit "un ouvrage monumental [Le Capital] analysant le développement du capitalisme, ouvrage d’où la lutte des classes est totalement absente."[28] Le livre de Harry Cleaver, Reading Capital Politically, publié en 1979 et qui s’identifie explicitement à la tradition du "marxisme autonomiste", démontre très bien que, dans la démarche de Marx, le capital est défini comme un rapport social et, comme tel, inclut nécessairement la résistance du prolétariat à l’exploitation qui, à son tour, modifie la façon dont le capital s’organise. C’était évident par exemple dans la lutte pour la réduction du temps de travail, dans le passage de l’extraction de la plus-value absolue à la plus-value relative (au 19e siècle) et dans le besoin croissant du système d’une planification de l'État pour faire face au danger prolétarien (au 20e siècle).

Ceci apporte un correctif valable à une vision mécaniste "kautskyste", qui s’est vraiment développée à l’époque de la Deuxième Internationale et selon laquelle les lois inexorables de l’économie capitaliste garantissaient plus ou moins que le pouvoir tomberait "comme un fruit mûr" dans les mains d’un parti social-démocrate bien organisé. De plus, souligne Cleaver, cette démarche qui sous-estime réellement le développement subjectif de la conscience de classe n’épargne pas une sorte d’ultra-léninisme qui intercale le parti comme seul élément de subjectivité, comme dans la fameuse formule de Trotsky selon laquelle "La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire" (Programme de Transition - L’agonie du capitalisme et les tâches de la Quatrième Internationale[29]). Le parti est vraiment un facteur subjectif mais sa capacité à grandir et à influencer le mouvement de la classe dépend d’un développement bien plus grand de la conscience et du combat prolétariens.

Il est également juste que la bourgeoisie a besoin de tenir compte de la lutte de la classe ouvrière dans ses efforts pour gérer la société – pas seulement sur le plan économique mais aussi aux niveaux politique et militaire. Et les analyses du CCI de la situation mondiale prennent assurément en compte cet aspect. On peut donner plusieurs exemples: quand nous interprétons le choix des équipes politiques qui doivent diriger l'État "démocratique", nous considérons toujours la lutte de classe comme un élément central; c’est pourquoi au cours des années 1980 nous écrivions que la bourgeoisie préférait maintenir les partis de gauche dans l’opposition pour mieux affronter les réactions prolétariennes face aux mesures d’austérité; de même, la stratégie de privatisation n’a pas seulement une fonction économique dictée par les lois abstraites de l’économie (généralisant la sanction du marché à chaque étape du processus du travail) mais, aussi, une fonction sociale ayant pour but de fragmenter la réponse du prolétariat aux attaques contre ses conditions de vie, qui n’apparaissent plus comme émanant d’un seul patron, l'État capitaliste. Sur un plan plus historique, nous avons toujours défendu que la lutte de classe, qu’elle soit ouverte ou potentielle, joue un rôle crucial dans la détermination du cours historique vers la guerre ou vers la révolution. Nous donnons ces exemples pour montrer qu’il n’y a pas de lien logique entre le fait de défendre une théorie du déclin du capitalisme et la négation du facteur subjectif de la classe pour déterminer la dynamique générale de la société capitaliste.

Mais les autonomes perdent complètement la tête quand ils concluent que la crise économique, qui a refait surface à la fin des années 1960, était elle-même un produit de la lutte de classe. Même si, à certains moments, les luttes ouvrières peuvent exacerber les difficultés économiques de la bourgeoisie et faire barrage à ses "solutions", nous ne savons que trop bien à quel point la crise économique peut atteindre des proportions catastrophiques dans des phases où la lutte de classe connaît un profond reflux. La Grande Dépression des années 1930 en est le plus clair exemple. Cette vision selon laquelle les luttes ouvrières provoquent la crise économique pouvait sembler  plausible dans les années 1970 vu la concomitance des deux phénomènes, mais Aufheben lui-même en voit les limites dans l'article de la série sur la décadence consacré notamment aux autonomes: "La théorie de la crise provoquée par la lutte de classe a quelque peu déraillé dans les années 1980 car, alors que dans les années 1970 la rupture des lois objectives du capital sautait aux yeux, avec le succès partiel du capital le sujet qui émergeait a été repoussé. Durant les années 1980, nous avons vu les lois objectives du capital donner libre cours à leur folie furieuse dans notre vie. Une théorie qui faisait le lien entre les manifestations de la crise et le comportement concret de la classe trouvait peu de luttes offensives sur lesquelles s’appuyer et, pourtant, la crise a continué. Cette théorie est devenue moins appropriée aux conditions."[30]

Alors que reste-t-il de l’équation entre la théorie de la décadence et "l’objectivisme"? Plus haut, nous avons mentionné qu’Aufheben avait critiqué à juste raison Cardan parce qu’il ignorait les véritables implications de la théorie de l’aliénation de Marx. Malheureusement, Aufheben commet la même erreur quand il amalgame la théorie du déclin du capitalisme avec la vision "objectiviste" du capital comme n'étant rien d’autre qu’une machine réglée comme une horloge, par des lois inhumaines. Mais, pour le marxisme, le capital n’est pas quelque chose qui plane au-dessus de l’humanité comme Dieu; ou, plutôt, comme Dieu, il est engendré par l’activité humaine. Cependant, c’est une activité aliénée, ce qui veut dire qu’il devient indépendant de ses créateurs – en fin de compte tant de la bourgeoisie que du prolétariat, puisque tous deux sont menés par les lois abstraites du marché vers l’abîme du désastre économique et social. Cet objectivisme du capital est précisément ce que la révolution prolétarienne veut abolir, non en humanisant ses lois mais en les remplaçant par la subordination consciente de la production aux besoins humains.

Dans World Revolution n° 168 (octobre 1993)[31], nous avions publié une réponse au premier article d’Aufheben sur la décadence. L’argument central de cette réponse est qu’en critiquant la théorie de la décadence, Aufheben rejetait toute la démarche de Marx vis-à-vis de l’histoire. En particulier, en portant l’accusation d’ "objectivisme", il ignorait l’avancée cruciale faite par le marxisme rejetant à la fois la méthode matérialiste vulgaire et la méthode idéaliste et surmontant ainsi la dichotomie entre l’objectif et le subjectif, entre la liberté et la nécessité[32].

Il est intéressant de noter que, dans ses premiers articles sur la décadence, Aufheben ne reconnait pas seulement l’inadéquation de l’explication de la crise par les autonomes: dans une introduction très critique de la série publiée en ligne sur libcom.org[33], il admet qu’il n’a pas réussi à saisir de façon précise la relation entre les facteurs objectifs et subjectifs chez un certain nombre de penseurs marxistes (y compris Rosa Luxemburg qui défendait clairement la notion de déclin du capitalisme) et admet que la critique que nous avions portée sur un certain nombre d’aspects de cette question-clé était tout à fait valable. Après la publication du troisième article, il a réalisé que toute la série faisait fausse route et, pour cette raison, il l’a abandonnée. Cette autocritique n’est pas particulièrement connue tandis que la série d’origine continue de servir de référence comme étant le dernier mot contre la théorie de la décadence.

Cet auto-examen ne peut qu’être bienvenu mais nous ne sommes pas convaincus que ses résultats aient été particulièrement positifs. L’indication la plus évidente étant que, précisément dans une période où l’impasse économique à laquelle ce système est confronté paraît de plus en plus évidente, les dernières publications du groupe montrent qu’il s’est engagé dans une montagne de travaux qui ont accouché d’une souris: la "crise de la dette" qui a éclaté en 2007 n’est pas, selon lui, l’expression d’un problème sous-jacent du processus d’accumulation mais provient fondamentalement des erreurs du secteur financier. De plus, celle-ci pourrait très facilement mener à un nouveau et vaste "redressement" du même type que ceux qui l’ont précédé dans les années 1990 et dans les années 2000[34]. Nous n’avons pas la place de développer plus longuement cette question ici, mais il semble que l’anti-décadentisme est en train d’atteindre la phase finale de son déclin.

Nous arrêterons ici cette polémique mais le débat sur cette question doit se poursuivre. Il est rendu d’autant plus urgent qu'un nombre croissant de personnes, et par-dessus tout la nouvelle génération, est de plus en plus conscient du fait que le capitalisme n’a vraiment pas d’avenir et que la crise est vraiment une crise terminale. C’est une question qui doit de plus en plus être débattue dans les batailles de classe et les révoltes sociales que la crise provoque sur toute la planète. Il est plus que jamais vital de fournir un cadre théorique clair pour comprendre la nature historique de l’impasse dans laquelle se trouve le système capitaliste, d’insister sur le fait que c’est un mode de production hors de contrôle et qui va à son autodestruction, et donc de souligner l’impossibilité de toutes les solutions réformistes ayant pour but de rendre le capital plus humain ou plus démocratique. Bref, de démontrer que l’alternative "socialisme ou barbarie", annoncée fortement et clairement par les révolutionnaires en 1914, est plus valable aujourd’hui que jamais. Cet appel n’a rien à voir avec un plaidoyer pour l’acceptation passive de la voie suivie par la société. Au contraire, c’est un appel à ce que le prolétariat agisse, devienne de plus en plus conscient et ouvre la voie à un avenir communiste qui est possible, nécessaire, mais en aucune façon garanti.

Gerrard (printemps 2012)


[3] "Quelle méthode scientifique pour comprendre l'ordre social existant, les conditions et moyens de son dépassement" https://fr.internationalism.org/node/3485

[10] internationalist-perspective.org/IP/ip-archive/ip_44_decadence-2.html  en français : « Une contribution au débat sur la décadence" qui comporte quelques variations par rapport à la version anglaise, internationalist-perspective.org/PI/pi-archives/pi_44_decadence-2.html.

[11] internationalist-perspective.org/IP/ip-archive/ip_29_decadence.html. L’article n’est pas publié en français sur le web.

[12] Mac Intosh n’est ni le premier ni le dernier des anciens membres du CCI à être si ébloui par les taux de croissance du capitalisme qu’il finit par mettre en question ou par abandonner le concept de décadence du capitalisme. À la fin des années 1990, dans le sillage d’une grave crise centrée une fois de plus sur la question de l’organisation, un certain nombre d’anciens membres du CCI ont constitué le Cercle de Paris, parmi lesquels RV, rédacteur de la brochure La décadence du capitalisme et des articles de réponse à la critique par le GCI du « décadentisme". Bien que la question de la décadence n’ait jamais été un objet de débat dans la crise interne, le Cercle de Paris publia rapidement un texte important rejetant le concept de décadence – son argument essentiel portant sur le développement considérable des forces productives depuis 1914 et surtout depuis 1955.(cercledeparis.free.fr/indexORIGINAL.html)

[13] Le Capital, Livre III, Troisième section, Éd. La Pléiade, p. 1032

[14] Lire à ce propos notre article "L'étude du Capital et des fondements du communisme" de la série "Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessite matérielle" (https://fr.internationalism.org/rinte75/communisme.htm).

[15] En fait une estimation du FMI prévoit que "l'économie chinoise pourrait voir sa croissance divisée par deux si la crise de la zone euro s'aggrave". (Les Echos. www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/0201894521951-...).

[16] Pour maintenir sa croissance, malgré le ralentissement de la conjoncture économique mondiale, la Chine a misé sur son marché intérieur à travers un endettement renforcé des administrations locales. Mais, ici aussi, il n'y a pas de miracle possible. On ne peut pas s'endetter sans fin sans créer des risques de faillite, en l'occurrence des banques commerciales chinoise. Or, justement, "Pour éviter des défauts de paiements en cascade", celles-ci ont "repoussé dans le temps les échéances d'une grande partie des titres de la dette des collectivités locales, ou s'apprêtent à le faire" (Les Echos).

[21] L’article de la Revue internationale n° 120 dénonce aussi les affirmations hypocrites d’un groupe d’éléments exclus du CCI pour leur comportement inacceptable: la « Fraction interne du CCI", qui avait publié un article flagorneur sur la contribution de Battaglia comunista. Ayant attaqué le CCI pour avoir « abandonné" le concept de décadence à travers la théorie de la décomposition (qui n’est aucunement en dehors du concept de décadence), le projet politique de cette « fraction" - celui d’attaquer le CCI tout en flattant le BIPR – se démasquait très clairement dans cet article.

[22] Il semblerait que l’article de Prometeo n°8 était un document de discussion et non une prise de position du BIPR ou de l’un de ses affiliés, ce qui rend le titre de notre réponse (« Battaglia comunista abandonne le concept marxiste de décadence") en quelque sorte inadapté.

[23] Par exemple, le débat sur la base économique du boom d’après-guerre (https://fr.internationalism.org/rint133/les_causes_de_la_periode_de_prosperite_consecutive_a_la_seconde_guerre_mondiale.html et les articles dans les numéros suivants) et la reconnaissance que la décadence a une histoire, menant au concept de décomposition en tant que stade final du déclin du capitalisme.

[24] https://libcom.org/library/decadence-aufheben-2 (toutes les citations sont traduites de l’anglais par nous)

[28] Cornelius Castoriadis. Brochure n°10. Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne. Chap. II : « La perspective révolutionnaire dans le marxisme traditionnel".

[32] Voir aussi l’article de cette série dans la Revue internationale n° 141 https://fr.internationalism.org/rint140/la_theorie_du_declin_du_capitalisme_et_la_lutte_contre_le_revisionnisme.html , qui contient une critique de l’idée d’Aufheben selon laquelle la notion de décadence trouve son origine dans la Deuxième Internationale.

[33] https://libcom.org/article/aufheben-decadence. Dans cette introduction, Aufheben dit clairement qu’au début, les écrits du CCI avaient constitué un point de référence important pour le groupe. Cependant, il dit aussi que notre démarche dogmatique et sectaire à son égard (par exemple lors d’une réunion à Londres  sur l'avenir de l'Union européenne) l’avait convaincu du fait qu’il n’était pas possible de discuter avec nous. Il est vrai que le CCI a eu, dans une certaine mesure, une démarche sectaire envers Aufheben – ce qui se reflète dans notre article de 1993, par exemple lorsque nous écrivons, à la fin, que ce serait mieux que le groupe disparaisse.

[34] Voici les derniers paragraphes d'un article datant de 2011: « il n’y a pas grand-chose qui suggère que nous soyons entrés dans une longue descente ou que le capitalisme soit maintenant embourbé dans la stagnation sinon la crise financière elle-même. En fait, la reprise rapide des profits et la confiance de la plus grande partie de la bourgeoisie dans les perspectives à long terme d’une accumulation renouvelée du capital semblent suggérer l’inverse. Mais si le capitalisme dans son ensemble est encore au milieu du chemin d’un long redressement, avec historiquement de hauts taux de profit, comment expliquer la crise financière imprévue de 2007-2008?

Comme nous l’avons depuis longtemps défendu contre l’orthodoxie « stagnationniste", la théorie du « redressement" s’est avérée correcte en comprenant que la restructuration de l’accumulation globale du capital qui a eu lieu au cours de la dernière décennie, en particulier par l’intégration dans l’économie mondiale de la Chine et de l’Asie, a mené à la restauration des taux de profit et, en conséquence, à un redressement économique soutenu. Mais comme nous le reconnaissons aujourd’hui, le problème est que la théorie du redressement n’a pas réussi à saisir de façon adéquate l’importance de l’émergence des banques et de la finance au niveau global, ni le rôle qu’elles ont joué dans cette restructuration.

Ainsi, afin de surmonter les limites des théories « stagnationniste" et « redressementiste" sur la crise, il était nécessaire d’examiner les rapports entre l’émergence et le développement des secteurs bancaire et financier au niveau global et la restructuration de la véritable accumulation du capital qui a eu lieu au cours des trente dernières années. Sur la base de cet examen, nous avons pu conclure que la crise financière de 2007-08 n’avait pas eu lieu par hasard à cause d’une politique erronée ni que c’était une crise du système financier qui ne faisait que refléter une crise sous-jacente de stagnation de la réelle accumulation du capital. Mais, au contraire, la cause sous-jacente de la crise financière était une trop grande fourniture de capital-monnaie empruntable au sein du système bancaire et financier dans son ensemble qui s’est développée à la fin des années 1990. Ceci à son tour était le résultat de développements dans l’accumulation réelle de capital – comme la montée de la Chine, le décollage de la « nouvelle économie" et la liquidation continue de la « vieille économie" - qui ont été centraux pour soutenir la longue montée.

De cela, nous pourrions tenter de conclure que la nature et la signification de la crise financière ne sont pas à un tournant décisif menant à une descente économique ou à la fin du néolibéralisme comme beaucoup l’ont supposé mais, plutôt, un point d’inflexion indiquant une nouvelle phase à long terme. La signification de cette phase et les implications que cela a pour le développement futur du capitalisme et de la lutte contre lui sont une question que nous n’avons pas la place de traiter ici." Aufheben n° 19,  « Return of the crisis: Part 2 - the nature and significance of the crisis", https://libcom.org/article/return-crisis-part-2-nature-and-significance-crisis


 

Questions théoriques: 

Rubrique: 

Décadence du capitalisme