Soumis par CCI le
LE CONTENU
Devant le constat du rôle ouvertement anti-ouvrier des syndicats, les grèves sauvages, anti-syndicales se sont multipliées dans tous les pays. Elles expriment dans la pratique l'antagonisme prolétariat‑syndicats et traduisent une conscience de plus en plus claire de la nature capitaliste de ces organes. Mais quel est leur contenu ?
Le fait que le capitalisme ne soit plus en mesure d'accorder des aménagements véritables de l'exploitation du travail, a réduit les luttes prolétariennes à un combat de résistance contre l'attaque permanente du capital sur les conditions d'existence des travailleurs.
Nous avons montré, avec les exemples de 1936 et 1968 en France, comment le capital est contraint de reprendre immédiatement n'importe quelle amélioration que les luttes généralisées aient pu lui arracher. Mais 1936 et 1968, où l'on voit des augmentations de salaires être rattrapées postérieurement par des hausses de prix sont des exceptions correspondant à des luttes d'une particulière grande ampleur. La situation normale, celle qui caractérise le capitalisme actuel, ce n'est pas celle où les prix courent derrière les hausses de salaire, mais l'inverse.
Ce n'est pas le capital qui essaie de récupérer en permanence ce que les travailleurs lui arrachent, mais les travailleurs qui, par leurs luttes, tentent de résister à l'intensification de leur exploitation.
Mais ce qui caractérise le contenu des luttes ouvrières dans le capitalisme décadent, ce n'est pas le fait qu'elles soient des luttes de résistance en soi (ceci est commun à toutes les luttes prolétariennes depuis que les ouvriers affrontent leurs exploiteurs), mais :
- le fait qu'elles ne puissent plus être que des luttes de résistance (sans espoir de nouvelles conquêtes comme au XIXè siècle) ;
- le fait qu'elles tendent à mettre immédiatement en question les conditions mêmes d'existence du système d'exploitation ;
- à devenir ouvertement révolutionnaires.
La résistance ouvrière dans le capitalisme décadent ne peut plus échapper à l'alternative suivante :
- soit accepter, sous la pression de toutes les forces de conservation du système, l'enfermement dans le domaine strictement économique, et, dès lors, être condamnée à l'impasse totale, le capital ne pouvant plus rien accorder de réel dans ce domaine, ( impasse qui engendre par elle-même le terrain le plus fertile pour le développement dans les rangs prolétariens des meilleures armes de la bourgeoisie contre la résistance ouvrière : l'économisme, le localisme le plus étroit, l'illusion autogestionnaire, etc.) ... avec toujours au bout la défaite et la démoralisation.
- soit s'affirmer conséquente avec elle-même, décidée, et dès lors, elle est immédiatement contrainte de déborder le cadre strictement économique pour faire apparaître sa nature politique en développant la solidarité de classe et affrontant les fondements mêmes de la légalité bourgeoise (en commençant par les représentants au sein de l'usine : les syndicats).
Il n'y a plus de terrain de conciliation possible entre le capital et la force de travail. L'antagonisme originel est, dans la décadence capitaliste, constamment poussé à ses dernières limites. C'est pourquoi toute lutte ouvrière véritable se pose inévitablement et de façon immédiate en lutte politique et RÉVOLUTIONNAIRE.
Par ailleurs, ce contenu révolutionnaire éclate avec plus ou moins d'ampleur, suivant que :
- la lutte répond à une situation de crise plus ou moins approfondie ;
- les conditions politiques auxquelles les travailleurs s'affrontent contiennent plus ou moins d"'amortisseurs sociaux" (syndicats, partis "ouvriers", libéralisme politique, etc.). Dans les pays où ces "amortisseurs" font défaut ou sont trop rigides pour remplir ce rôle, les luttes ouvrières, tout en étant moins fréquentes, prennent beaucoup plus rapidement une tournure ouvertement politique.
C'est ainsi que dans des pays tels que l'Espagne franquiste ou dans les pays de l'Est, les grèves ouvrières ont si souvent pris la forme de luttes insurrectionnelles embrasant des villes entières et se transformant en affrontements généralisés avec les forces de l'État (Vigo, Pampelune, Vitoria, en Espagne ; Gdansk, Szczecin, en Pologne 1970, sont parmi les exemples les plus connue).
Mais quelles que soient les circonstances précises, quelle que soit l'intensité des combats, la résistance ouvrière à notre époque ne peut plus s'affirmer sans faire éclater sa substance révolutionnaire.
C'est cette nouvelle caractéristique de la lutte ouvrière qui a amené les révolutionnaires dès la première Guerre Mondiale, à proclamer désuète la vieille distinction social-démocrate entre "programme minimum" défini par un ensemble de réformes à obtenir au sein du capitalisme et le "programme maximum" (la révolution communiste). Désormais, seul le "programme maximum" pouvait exprimer les intérêts de la classe ouvrière.
Lorsque la possibilité d'obtenir des réformes sous le capitalisme devient une utopie, seul ce qui est révolutionnaire est ouvrier. SEUL CE QUI CONDUIT VERS LA RÉVOLUTION PEUT ÊTRE AUTHENTIQUEMENT PROLÉTARIEN.
Est-ce à dire que la classe ouvrière doit abandonner ses luttes économiques comme le lui conseillent, depuis Proudhon, tous ceux qui considèrent, 'soi-disant au nom de la "Révolution totale", les luttes économiques comme des actions mesquines, intégrées à la vie et la sauvegarde du capital t
Cela n'a aucun sens du point de vue de la classe révolutionnaire. Le prolétariat est une classe, c'est-à-dire, un ensemble d'hommes défini suivant des critères ÉCONOMIQUES (position qu'ils occupent dans le processus de production). De ce fait, préconiser qu'il abandonne ses luttes économiques c'est, dans les faits, concrètement, lui demander : soit d'abandonner tout combat pour rester passif face à son exploitation, soit, de se plonger dans de quelconques luttes a-classistes (coopératives, féminisme, écologie, régionalisme, antiracisme, etc.), se dissolvant dans une masse hétéroclite et invertébrée d'"hommes de bonne volonté" et autres avides de "justice humaniste". Dans les deux cas, cela revient au vieux cri de la bourgeoisie aux prolétaires : "Abandonnez la lutte de classe !"
Seuls ceux qui n'ont jamais compris pourquoi et comment la classe ouvrière est la force révolutionnaire de notre époque peuvent aboutir à une telle conclusion. Si la classe ouvrière est la seule capable de concevoir et de réaliser le projet de la société communiste ce, n'est pas parce qu'elle serait douée d'un goût particulièrement prononcé pour les idées et les entreprises "généreuses". Tout comme les autres classes révolutionnaires de l'histoire, le prolétariat n'est amené à agir pour la destruction du système dominant que parce que la défense de ses intérêts immédiats l'y contraint objectivement. Et comme pour toute classe, ces intérêts ont des fondements économiques. C'est parce que la destruction du système capitaliste est le seul moyen de parer à une situation de permanente dégradation de ses conditions d'existence que la classe ouvrière fait de ses luttes pour l'aménagement de sa situation économique, un combat pour la destruction du système lui-même.
La lutte révolutionnaire du prolétariat n'est donc pas la négation du caractère économique de sa lutte mais l'aboutissement d'une compréhension globale de la réalité de ce combat. En embrassant consciemment le caractère politique de sa lutte économique quotidienne, en l'exacerbant jusqu'à la destruction définitive de l'État capitaliste et l'instauration de la société communiste, le prolétariat n'abandonne pas la défense de ses intérêts économiques : il ne fait qu'en assumer toute la réalité et toutes les conséquences.
Tant que le prolétariat 'existera, c'est-à-dire, tant qu'existeront les classes, y compris au lendemain de la prise du pouvoir révolutionnaire, le combat ouvrier gardera un fondement économique. Les fondements économiques de l'action historique des hommes ne disparaîtront qu'avec l'épanouissement de la société communiste, c'est-à-dire, avec la disparition des classes et, par là, du prolétariat. En attendant, c'est inévitablement au travers de sa résistance immédiate à l'exploitation capitaliste que la classe ouvrière forge les armes de son combat révolutionnaire. C'est elle qui lui permet et la contraint à s'unifier comme classe et c'est donc dans son feu qu'il peut faire sienne la conscience de la nécessité et de la possibilité de la révolution communiste.
Ce que le prolétariat doit abandonner ce n'est pas le caractère économique de sa lutte (cela lui est d'ailleurs impossible tant qu'il se bat en tant que classe), mais toutes les illusions sur d'éventuelles possibilités de mener à bien le défense de ses intérêts, même les plus immédiats, sans sortir du cadre strictement économique et sans assumer consciemment le caractère politique, global et révolutionnaire de sa lutte. Devant l'inévitable échec immédiat de ses luttes revendicatives dans le capitalisme décadent, ce que la classe ouvrière doit conclure ce n'est pas que ces luttes soient inutiles, mais que le seul moyen de les rendre utiles pour la cause prolétarienne c'est de les concevoir et les transformer consciemment en moments d'apprentissage et de préparation de combats plus généralisés, plus organisés et plus conscients de l'inévitabilité de l'affrontement final avec le système d'exploitation. Dans l'ère du capitalisme en déclin et de la mise à l'ordre du jour de la révolution communiste, l'efficacité des luttes immédiates de la classe ouvrière ne peut plus être ni envisagée ni mesurée en termes immédiats. Elle ne peut plus être conçue qu'en fonction de la perspective mondiale et historique de la révolution communiste.
LES FORMES D'ORGANISATION
Avec la perte des syndicats, il se pose à la classe ouvrière le problème de se doter d'une NOUVELLE forme d'organisation. Mais ce n'est pas chose simple dans le capitalisme décadent.
La grande force des syndicats vient de leur capacité à se faire reconnaître comme le seul cadre possible pour la lutte. Ainsi, patronat et gouvernement n'acceptent pas d'autre "interlocuteur" que les syndicats. Tous les jours, inlassablement, par voie de tracts, presse, radio et télévision, etc. le capital répète systématiquement au prolétaire : "Votre organisation, ce sont les centrales syndicales". Tout est mis en oeuvre pour renforcer cette capacité mystificatrice des appareils syndicaux.
L'opération n'a pas toujours le succès escompté : ‑"Dans un pays où le matraquage sur la représentativité des syndicats est aussi violent qu'en France, il n'y a pas plus d'un ouvrier sur cinq qui ressente le besoin de se syndiquer. Il faut de plus en plus souvent la collaboration des organisations "gauchistes" pour maintenir auprès des travailleurs les plus combatifs la crédibilité de ces appareils du capital.
Soumis sans relâche à pareille opération mystificatrice, les travailleurs des pays à forte "liberté syndicale" ont le plus grand mal à envisager la possibilité d'organiser leurs luttes en dehors des appareils traditionnels. Il faut une situation particulièrement insupportable pour qu'ils trouvent la force de s'opposer, ouvertement, à l'immense machine de l'État avec ses partis et ses syndicats. Car c'est bien cela qui caractérise et rend si difficile la lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent : en s'opposant aux syndicats, la classe ouvrière ne se heurte pas seulement à une poignée de bureaucrates syndicaux ; c'est l'État capitaliste lui-même qu'elle affronte. Mais le fait même de cette difficulté rend plus significatif tout surgissement de la classe en dehors des syndicats. Il donne toute son importance à la question des formes d'organisation extra syndicalistes.
Le problème des FORMES d'organisation de la lutte ouvrière n'est pas un problème indépendant ou séparé de celui du contenu de cette lutte. Il y a une interrelation étroite entre le contenu révolutionnaire que tendent à prendre immédiatement les luttes prolétariennes dans la décadence capitaliste, et les formes d'organisation que la classe se donne.
PENDANT LA LUTTE
Au cours de ses plus grandes luttes révolutionnaires de ce siècle, le prolétariat s'est donné une nouvelle forme d'organisation adaptée à sa tâche révolutionnaire : les Soviets ou Conseils Ouvriers, assemblées de délégués, mandatés par les assemblées générales de travailleurs. Ces organes de centralisation et d'unification de la classe sont le lieu où se forgent, au feu de la lutte, les forces matérielles et théoriques de l'attaque contre l'État. Mais par leur forme même, ils ont une particularité majeure. Du fait qu'ils sont des assemblées de délégués élus par de multiples assemblées générales quasi permanentes, leur existence est entièrement dépendante de l'existence d'une lutte généralisée. Si la classe n'est pas en lutte dans l'ensemble des usines, s'il n'y a pas d'assemblées générales des travailleurs dans tous les lieux où ils combattent, les Conseils ne peuvent pas exister.
Leur existence ne peut devenir permanente que lorsque la lutte ouverte et généralisée devient elle-même permanente, c'est-à-dire pendant le processus révolutionnaire : les conseils ouvriers sont l'organe spécifique du pouvoir prolétarien.
Comment s'organise donc la classe ouvrière su cours des luttes où, tout en se heurtant à l'État et à ses appendices syndicaux, elle n'est pas pour autant parvenue à un stade insurrectionnel généralisé ?
L'expérience de milliers de grèves sauvages depuis plus d'un demi siècle a donné une réponse claire à cette question. Aux quatre coins de la planète, dans les conditions historiques et géographiques les plus variées, les grèves anti-syndicales prennent spontanément une forme d'organisation particulièrement simple : les assemblées générales de grévistes coordonnées entre elles par des comités de délégués élus et responsables en permanence devant elles.
On retrouve les mêmes fondements organisationnels qui servent de base aux Conseils révolutionnaires. Formes et contenu sont liés dans le capitalisme décadent, de même que le contenu des grèves conséquentes porte en lui le germe de celui des grandes luttes révolutionnaires, de même, leurs formes d'organisation laissent paraître de façon embryonnaire celle des organes de la révolution.
EN DEHORS DES LUTTES
Face à la mort des formes syndicales, la classe ouvrière a, par sa propre expérience, résolu dans la pratique la question des formes d'organisation qu'elle doit se donner pour mener à bien ses luttes ouvertes. Mais les syndicats ne constituaient pas uniquement des formes d'organisation pour la lutte ouverte. Organisations PERMANENTES, ils étaient aussi une forme d'organisation pour les travailleurs en dehors des périodes de lutte. Avec le parti de masse, ils constituaient de véritables pôles permanents de regroupement de la classe. Avec leur disparition comme instruments prolétariens, il se pose à la classe le problème de savoir si elle peut s'organiser en tant que classe en dehors des périodes de lutte et comment.
Lorsque la lutte cesse, après une grève sauvage par exemple, les comités de grève disparaissent avec les assemblées générales. Les travailleurs tendent à redevenir une masse d'individus atomisés et vaincus, acceptant de plus ou moins bon gré la représentativité des syndicats. Ce retour à la passivité peut prendre plus ou moins de temps, mais s'il n'y a pas de nouvelle lutte ouverte, il est toujours inéluctable. Pour éviter un tel retour, il est fréquent qu'au lendemain d'une lutte, les travailleurs les plus combatifs tentent de rester organisés, de créer une organisation PERMANENTE qui permette de regrouper la classe en dehors de ses combats. L'échec a systématiquement sanctionné ces tentatives
- Soit l'organisation créée se dissout au bout de peu de temps d'existence sous l'effet de la démoralisation due à l'incapacité de regrouper l'ensemble des travailleurs ; ce fut le cas des AAU en Allemagne après les luttes de 1919-23 par exemple, ou de la plupart des comités d'action qui tentèrent de subsister en France après mai 1968[1]
- Soit elle subsiste et se transforme en un nouveau syndicat. Ce retour au syndicalisme se fait dans certains cas sous les formes les plus grossières, les animateurs des dits noyaux préconisant tout simplement la formation d'un nouveau syndicat, plus "radical", "moins bureaucratique", "plus démocratique", etc. (ce fut le cas, par exemple, du comité de grève que les trotskystes essayèrent de faire subsister au lendemain de la grève de Renault en France en 1947, tout comme celui des "Comisiones Obreras" en Espagne, devenues, dès la fin des années 60, une véritable structure syndicale nationale, instrument des partis bourgeois de l'opposition "démocratique".
Mais, avec l'usure croissante de la mystification syndicale, le retour aux pratiques syndicalistes tend de plus en plus à se faire sous le couvert de formes plus ambiguës, plus "confusionnistes" qui se drapent de tout un langage "anti-syndicaliste".
Au cours des luttes ouvertes, surtout celles qui se heurtent de front aux appareils syndicaux, l'impossibilité de séparer la lutte économique immédiate de la lutte historique révolutionnaire, apparaît dans toute son évidence. Au lendemain de ces luttes, il est courant que l'idée d'essayer d"'inventer" une nouvelle forme d'organisation permanente, qui, tout comme l'assemblée des grévistes, ne soit "ni uniquement économique, ni uniquement politique", prenne corps parmi certains travailleurs. Mais il ne suffit pas de "vouloir" que cela soit possible pour qu'il en soit ainsi dans les faits. En voulant garder des syndicats deux de leurs caractéristiques principales : être une organisation unitaire (c'est-à-dire capable de regrouper l'ensemble des travailleurs) et permanente (c'est-à-dire, existant en dehors des périodes de lutte ouverte), ces tentatives aboutissent toutes, à plus ou moins court terme, à un échec sanctionné par le retour inévitable au crétinisme syndicaliste. Au fur et à mesure que l'enthousiasme de la lutte ouverte s'éteint, l'organisation, impuissante devant la démobilisation des travailleurs, tombe progressivement dans la préoccupation de trouver des revendications "concrètes", "réalistes" qu'on cherche à inventer pour "remobiliser les masses". Elle arrive vite à la simple surenchère sur les revendications des centrales syndicales (36 heures par semaine au lieu de 40, 200 francs d'augmentation au lieu de 100, des "revendications qualitatives" au lieu de "quantitatives", etc.) pour plonger dans la mythologie des "victoires immédiates" -les idées révolutionnaires générales paraissant, de plus en plus, "trop abstraites pour être comprises par les travailleurs".
De politique, l'organisation ne fait que rechercher des moyens pour se distinguer des organisations syndicales classiques et de leurs partis : un langage qui se veut plus à gauche, plus "radical" et des gadgets politiques : les "revendications impossibles" ou la sinistre plaisanterie de l'autogestion. Ainsi, en peu de temps, l'organisation qui se voulait n'être "ni un syndicat, ni une organisation politique" n'accouchera que d'un... syndicat plus "politisé", un syndicat gauchiste, généralement très minoritaire et plus que confus, dont la seule particularité réelle est celle de refuser de se reconnaître comme ce qu'il est : un syndicat. Certains courants gauchistes se sont développés en spécialistes de l'animation de ce genre de pratique : ''Autonomia Operaia" en Italie, "Plataformas anti-capitalistas" en Espagne, sont probablement les exemples les plus typiques de ce syndicalisme honteux.
Pourquoi tous ces échecs ?
Que ce soient les unions (A.A.U.) en Allemagne entre 1919 et 23, ou les Comités d'Action en France en 1968-69, les C.U.B. (Comités Unitaires de Base) et les "Assemblées Autonomes" en Italie, ou les Commissions Ouvrières en Espagne, il s'agit toujours à l'origine de cercles d'ouvriers formés par les travailleurs les plus combatifs.
Tous ces cercles expriment la tendance générale de la classe vers l'organisation. Mais, contrairement à ce que pensent les gauchistes qui se sont attachés à vouloir inventer de nouvelles formes d'organisation de la classe (des "Cahiers de Mai" en France aux "Assemblées Autonomes" en Italie actuellement) il n'y a pas quinze formes d'organisation possibles pour le prolétariat. Une forme d'organisation doit inévitablement être adaptée au but qu'elle poursuit. A chaque but il correspond une forme d'organisation la plus adaptée, la plus efficace. Or, la classe ne poursuit pas quinze buts. Elle en a un : lutter contre l'exploitation qu'elle subit ; en combattre aussi bien les effets que la cause.
Le prolétariat ne dispose pour ce combat que de deux armes :
- sa conscience
- son unité.
Aussi, lorsqu'en dehors des luttes ouvertes, des travailleurs se regroupent afin de contribuer au combat général de leur classe, ils ne peuvent se donner que deux types de tâches principales :
- contribuer à l'approfondissement et à la généralisation de la conscience révolutionnaire de la classe ;
- contribuer à son unification.
Les formes d'organisation de la classe sont donc inévitablement marquées par la nécessité de remplir ces deux tâches. Mais c'est ici que surgissent les problèmes : ces deux tâches sont deux aspects d'une même tâche générale, deux contributions à un même combat. Mais elles n'en ont pas moins des caractéristiques contradictoires :
Pour pouvoir UNIFIER la classe, il faut une organisation à laquelle n'importe quel prolétaire puisse adhérer indépendamment de ses idées politiques, par 1e simple fait qu'il est ouvrier.
Mais, pour ÉLEVER LE NIVEAU DE CONSCIENCE de l'ensemble des travailleurs, il faut que ceux qui sont les plus avancés ne restent pas les bras croisés à attendre que ça se développe tout seul. C'est leur devoir de diffuser leurs convictions, de faire de la propagande, d'intervenir avec leurs positions politiques parmi le reste de leur classe. Tant que la classe ouvrière existera comme classe exploitée (et lorsqu'elle ne sera plus exploitée, elle ne sera plus une classe) il subsistera en son sein des différences immenses quant à la conscience et à la volonté révolutionnaire de ses membres. Au cours des luttes tous les prolétaires tendent, de par la situation même qu'ils occupent au sein de la production, vers la conscience révolutionnaire. Mais tous n'évoluent pas au même rythme. Il existe toujours des individus et des fractions de la classe plus décidés, plus conscients de la nécessité et des moyens de l'action révolutionnaire, et d'autres plus craintifs, plus hésitants, plus sensibles à l'idéologie de la classe dominante. C'est au cours du long processus des luttes de la classe que la conscience révolutionnaire se généralise. L'intervention des éléments les plus avancés est alors un facteur actif de ce processus. Mais ce travail exige un accord politique important entre ceux qui le font. Et, par ailleurs, il ne peut être fait que de façon organisée. Aussi, l'organisation qui se donne cette tache ne peut être formée que par des individus d'accord sur une PLATEFORME POLITIQUE. Si une telle organisation acceptait en son sein toutes les convictions politiques existant dans la classe, c'est-à-dire, si elle refusait de se donner cette plateforme politique qui doit tendre à résumer les acquis de deux siècles d'expérience de lutte prolétarienne, elle deviendrait incapable d'accomplir sa tache. Sans critères politiques stricts d'adhésion, elle est condamnée à devenir une source de confusion.
S'unifier, d'une part, élever son niveau de conscience d'autre part, ce sont là, deux tâches dont la classe doit s'acquitter de façon organisée. Mais elle ne peut le faire avec un seul type d'organisation. C'est pourquoi elle s'est toujours donnée deux formes fondamentales d'organisation
- les organisations UNITAIRES, ayant pour tâche de regrouper tous les travailleurs indépendamment de leur idées politiques (c'étaient les syndicats dans le capitalisme ascendant, ce sont les Conseils et les assemblées générales dans le capitalisme décadent,) ;
- les organisations POLITIQUES, fondées sur une plateforme politique et sans critère social d'adhésion (partis et groupes politiques).
La grande majorité des tentatives de créer des organisations unitaires de la classe en dehors des luttes ouvertes sont caractérisées par la volonté plus ou moins affirmée de créer une organisation qui soit simultanément UNITAIRE et POLITIQUE, c'est à dire une organisation qui soit en même temps ouverte à tous les travailleurs et qui se donne pour tache de défendre des positions politiques au sein de la classe, en particulier à l'égard des syndicats.
Et c'est là, la première raison de leur échec systématique. On a vu pourquoi une organisation politique ne peut pas être "ouverte" ‑comme une organisation unitaire‑ sans devenir une source de confusion.
Mais les fondements de ces échecs trouvent leur source surtout dans une impossibilité générale à laquelle se heurte la classe ouvrière dans le capitalisme décadent : celle de s'organiser de façon unitaire en dehors des périodes de lutte ouverte.
Les syndicats ouvriers pouvaient être au XIXe siècle des organisations permanentes et unitaires de la classe du fait de leur fonction : la lutte systématique pour des réformes pouvait et devait être une tâche permanente. Autour d'elle les travailleurs pouvaient effectivement se regrouper et créer un véritable lieu vivant de formation de la conscience de classe, car elle se traduisait régulièrement par des résultats concrets. Mais lorsque cette lutte est devenue impossible et inefficace, lorsque la résistance ouvrière ne peut plus s'exprimer que dans et par la lutte ouverte, il ne reste aucun axe capable de permettre le regroupement général de la classe en dehors de la lutte. Des masses ne peuvent s'organiser longtemps autour d'une activité sans efficacité immédiate.
La seule activité qui peut engendrer une organisation stable sur un terrain de classe en dehors des périodes de lutte est une activité qui ne peut être conçue à court terme, une activité qui doit se placer au niveau du combat historique et global de la classe et qui n'est autre que celle de l'organisation politique prolétarienne, tirant les leçons de l'expérience historique ouvrière, se réappropriant le programme communiste et faisant un travail d'intervention politique systématique. Or, c'est là une tache de minorités qui ne peut en aucun cas constituer une base réelle de regroupement général, unitaire de la classe.
Coincés entre l'incapacité à devenir une organisation unitaire de la classe et celle de devenir une véritable organisation politique sans devoir abandonner toute prétention à être unitaire, ces tentatives d'organisations unitaires et permanentes sont ainsi condamnées soit à se dissoudre soit à se maintenir en vie en adoptant la seule activité qui puisse leur donner une illusion d'existence : devenir des syndicats.
Les noyaux ouvriers qui se forment en dehors des périodes de lutte ouverte ne peuvent être au mieux que des lieux, des cercles provisoires où les travailleurs commencent l'approfondissement de leur conscience de classe. Toute tentative de les figer en essayant de les transformer en ce qu'ils ne peuvent pas être : des organisations stables, ne peut aboutir qu'aux impasses que nous avons vues.
L'INTERVENTION DES RÉVOLUTIONNAIRES
Les syndicats sont appelés à jouer dans les années à venir un rôle primordial sur la scène politique de la lutte des classes. Ils sont le principal rempart derrière lequel le capital peut se protéger contre l'assaut prolétarien. Pour le prolétariat, ils sont le premier ennemi à abattre, la première barrière à faire éclater. C'est pourquoi, leur dénonciation est une des premières taches de l'intervention des révolutionnaires. Les communistes doivent expliquer une et mille fois aux travailleurs que ceux qui aujourd'hui sont en tète de leurs cortèges syndicaux et prennent tant de soin à les encadrer d'un service d'ordre à brassard rouge, sont les mêmes qui demain prendront les armes contre eux. Ils ont à dénoncer tout aussi inlassablement ceux qui, sous prétexte de "double nature des syndicats", "fronts uniques ouvriers" et autres "appuis critiques", s'escriment à présenter ces organes du capital comme des organisations ouvrières : les gauchistes, les autogestionnaires et autres rabatteurs de gibier du capitalisme décadent.
Contrairement à ceux qui voient dans l'invention et la mise en avant de revendications "plus radicales", "plus irréalisables", ou "plus transitoires" une carotte pour encourager le prolétariat à "passer des luttes économiques aux luttes politiques", les communistes ne défendent pas des revendications particulières. Ils font leurs toutes les revendications de la classe du moment qu'elles expriment la RÉSISTANCE du prolétariat à l'aggravation de son exploitation. Leur tâche est de montrer que dans le capitalisme décadent il ne peut plus y avoir de satisfaction durable par le capital de revendications représentant de véritables améliorations de la condition ouvrière, qu'il ne peut plus y avoir de lutte contre les effets de l'exploitation qui ne soit lutte contre les causes de l'exploitation ; qu'il n'y a d'autre victoire réelle dans les luttes revendicatives que celle d'acquérir les moyens de la lutte pour la destruction définitive du système lui-même.
La dénonciation des syndicats va inévitablement de pair avec la défense des formes d'organisation propres à la lutte prolétarienne dans le capitalisme décadent : conseils, comités d'usine, assemblées générales.
Mais par elles-mêmes les formes d'organisation de la classe ne peuvent en aucun cas être une condition SUFFISANTE pour garantir à la lutte ouvrière une réelle autonomie de classe. La bourgeoisie sait parfaitement récupérer les formes d'organisation que peut se donner le prolétariat dans son combat, et les mettre à son service. Qui plus est, en faisant de la question des formes d'organisation un problème en soi, en polarisant les préoccupations des travailleurs sur cette question, elle se donne un moyen d'escamoter le problème du contenu de la lutte, et par ailleurs de bloquer, de figer à un stade particulièrement faible le processus révolutionnaire. Les formes d'organisation sont une condition nécessaire du développement de ce processus, mais, d'une part, leur surgissement est beaucoup plus le produit spontané de l'action des masses qu'un résultat de l'intervention des révolutionnaires, et d'autre part, une fois ces formes apparues, la continuation du processus révolutionnaire ne se fait plus à leur niveau mais à celui du CONTENU de la lutte. C'est sur ce dernier terrain que l'intervention des révolutionnaires est une véritable nécessité.
A chaque étape franchie par le combat prolétarien les révolutionnaires devront dénoncer ceux qui, présentant ces avances comme des victoires définitives, tenteront d'entraver le développement du processus révolutionnaire.
A chaque étape de la lutte, les révolutionnaires mettent en avant les perspectives historiques et le caractère mondial du combat prolétarien.
La destruction des syndicats n'est qu'un aspect de la destruction globale de l'État capitaliste. Les travailleurs ne pourront développer leur lutte qu'en assumant globalement son véritable contenu, celui du combat historique pour la révolution communiste mondiale.
CCI – mai 1985
[1] Il est fréquent que cette dissolution se produise au travers de tout un processus de décomposition aux formes les plus lamentables. Au fur et à mesure que le noyau de départ voit le nombre de ses membres se réduire jusqu'à ne plus constituer qu'une poignée d'individus isolés, le désespoir le gagne et le précipite dans un activisme affolé qui aboutit souvent à la théorisation d'actions de type individuel : le sabotage, le terrorisme ou même des expériences de "transformation immédiate et locale de la vie quotidienne"... L'Italie qui connut en 1969 les luttes anti-syndicales les plus généralisées parmi les pays occidentaux fut prolixe en prototypes de ces décompositions.