Soumis par Révolution Inte... le
Différents camarades et groupes nous ont envoyé des informations et des commentaires sur cette lutte qui vient de se dérouler. Nous les remercions profondément pour cette collaboration et les encourageons à la poursuivre. Nous savons tous que les médias ne sont pas neutres et servent effrontément leurs maîtres : l’État et le capital, tantôt en exerçant un black-out total sur les luttes ouvrières – en particulier celles qui montrent des tendances intéressantes de solidarité, d’auto-organisation, de combativité…, et tantôt en organisant de scandaleuses campagnes de calomnie comme on l’a vu récemment lors de la grève du métro à Madrid. Il est donc de la plus grande importance que les minorités avancées de la classe effectuent une tâche d’information rapide sur les luttes ouvrières.
Il ne s’agit pas de “s’encourager” en ne mettant en avant que ce qui est positif. La classe ouvrière n’a pas besoin de petites tapes dans le dos. Nous avons besoin d’informations véridiques sans craindre d’exprimer les faiblesses, les obstacles et les difficultés.
Pour en revenir aux luttes au Panama, nous voudrions souligner que malgré les faiblesses et limites encore très grandes qu’ont aujourd’hui les luttes ouvrières, nous voyons toutefois un élément très positif : les luttes se développent avec une certaine coïncidence dans les pays dits “riches” (Grande-Bretagne, Grèce, France, Chine, Espagne…) comme dans les pays “pauvres” (Roumanie, Panama, Bangladesh, Inde…), montrant que, bien qu’il faille encore vaincre d’énormes obstacles pour réaliser pleinement l’unité internationale du prolétariat en brisant notamment les divisions entre travailleurs des pays “riches” et des pays “pauvres” qui ont tant été utilisées par les classes dominantes (1), celle-ci se cherche.
La grève a éclaté à partir du 1er juillet dans la province bananière de Bocas de Toro, limitrophe avec le Costa Rica. Elle exigeait d’une part le paiement des salaires en suspens et, d’autre part, s’opposait au problème politique posé par la nouvelle loi promue par le gouvernement Martinelli, dite Loi 30, qui “restreint le droit de grève et les négociations collectives, habilite l’embauche de “briseurs de grève” et accorde l’immunité à la police en lui accordant des droits par-dessus la Constitution panaméenne” (2). Cette Loi 30 inclut également des articles qui annulent le versement automatique des quote-parts syndicales de la part des patrons. Elle s’accompagne en outre de mesures répressives comme l’officialisation du mouchardage, un décret du ministère de la Sécurité publique légalisant la figure de l’“agent caché” qui a les mains libres pour épier et accuser quiconque “effectue des activités contre la Sécurité nationale, les biens de l’État, la coexistence sociale, c’est-à-dire que quiconque est susceptible d’être dénoncé”.
L’agitation provoquée par ces mesures a poussé plus de 10 000 personnes à manifester le 29 juin dans la ville de Panama. Mais la combativité des travailleurs bananiers a rapidement occupé le premier plan de la situation sociale. La grève s’est rapidement étendue à toute la province. “Plus de quarante piquets ont bloqué dès le 1er juillet les vingt points d’accès à Bocas de Toro, rassemblant une énorme adhésion populaire, des groupes d’indigènes de toutes les propriétés de la région se sont rapidement joints à la lutte entamée par le syndicat de bananiers, s’ajoutant aux blocages organisés par les travailleurs et à l’occupation de l’aéroport, qui a été complètement bloqué”. Les travailleurs se réunirent à entrée des principales villes de la province, puis partirent en manifestation en appelant tout le monde à s’unir à la lutte. Ces actions ont rapidement trouvé un écho, la solidarité de la population s’est exprimée clairement avec des manifestations et des assemblées quotidiennes d’appui. Face aux brutales attaques policières, des barricades ont été levées tant dans les avenues urbaines que sur les routes rurales. Malgré les pressions des autorités, les parents ont décidé de ne pas envoyer leurs enfants à l’école et, dans la foulée, les étudiants du secondaire se sont solidarisés avec la lutte en paralysant totalement les centres éducatifs.
“Outre les groupes d’indigènes et de voisins, à la grève des bananiers s’unirent rapidement celle des enseignants et celle des travailleurs de la construction qui œuvrent à l’extension du Canal de Panama, mobilisés contre des coupes sur les salaires et le licenciement des principaux dirigeants ouvriers. Les étudiants de l’Université de Panama se sont aussi manifestés, bloquant la voie Transísmica en soutien à la lutte des bananiers et contre la Loi 30, devant faire face là aussi à une répression brutale qui s’est achevée par la détention de 157 étudiants du Collège des arts et métiers qui participaient au blocage de la voie Transísmica aux côtés des étudiants de l’Université de Panama”.
Le gouvernement a déchaîné une répression sauvage. Elle fut particulièrement barbare dans la ville de Changuinola, centre de la grève dans les bananeraies. Selon différentes sources, il y a eu six morts et des centaines de blessés, victimes des tirs du corps anti-mutineries directement envoyé par le Président de la République. Ils ont utilisé des pastilles qui ont provoqué de graves dommages aux yeux de nombreux manifestants. Selon un témoignage, “Des enfants sont morts asphyxiés par les gaz lacrymogènes lancés dans des zones résidentielles. Ils ont été victimes de problèmes respiratoires, disent les autorités qui ne les comptabilisent donc pas comme victimes de la brutalité policière”, ce qui augmenterait le nombre de morts. Un autre témoignage indique que “la police est allée chercher des blessés dans les maisons et les hôpitaux pour les emprisonner. Sans le moindre mandat judiciaire, ils ont effectué des perquisitions dans les résidences et jusqu’à la Maison Cural, se livrant à des arrestations. Ils ont torturé, frappé, humilié, insulté…”
Les syndicats poignardent les travailleurs dans le dos
Face à cette brutale répression, les chefs syndicaux ont immédiatement offert leur rameau d’olivier au gouvernement. Des négociations entre délégués gouvernementaux et le syndicat, Sitraibana (3) se sont ouvertes le 11. Le syndicat a appelé à la reprise du travail au terme d’un accord dont l’unique revendication satisfaite était le retrait de la Loi 30 qui annulait le versement des quotes-parts patronales aux syndicats ! Sans la moindre pudeur, le syndicat n’a vu que ses intérêts particuliers et a méprisé les revendications ouvrières et la violente attaque représentée par la Loi 30 !
Certains secteurs ouvriers ont rejeté le retour au travail et se sont maintenus en grève jusqu’au 14 juillet, les manifestations quotidiennes de toute la population n’ont pas été annulées et, le 18 juillet, il y a eu des manifestations dans tout le pays en signe de deuil pour les travailleurs assassinés.
Pour calmer les esprits, “Martinelli et compagnie sont intervenus à Bocas de Toro comme s’ils étaient encore en campagne électorale, faisant des cadeaux, de fausses promesses et de feintes excuses, sans reconnaître l’ampleur de la responsabilité du Gouvernement dans ce massacre contre le peuple. Les médias n’ont pas diffusé non plus les multiples démonstrations de protestation de la population à ce qui a été, sans le moindre doute, une offense à la dignité du peuple”.
Aussi, le président a organisé une Commission d’enquête, composée de délégués gouvernementaux, patronaux, religieux et syndicaux, pour “faire la lumière sur ce qui s’est passé dans la province de Bocas de Toro entre les 5 et 13 juillet 2010” et une Table de concertation pour “analyser les conditions de travail des travailleurs dans les bananeraies” qui, comme le dit un des messages que nous avons reçus “est une commission entre moi et moi”.
En combinant la carotte et le bâton, la répression féroce et des shows de dialogue et d’action parlementaire, la bourgeoisie panaméenne semble être sortie victorieuse de ce conflit, en durcissant et en dégradant les conditions de vie ouvrière et en renforçant la répression et l’arbitraire patronal. Des syndicats dissidents ont promis une “grève générale” sans en fixer de date.
Quelques enseignements
Le contrôle syndical de la lutte s’achève en livrant les travailleurs pieds et poings liés. Au début, le Sitraibana s’est montré très combatif et toutes les organisations de gauche et syndicales le citaient comme un “exemple”. Cette réputation “radicale” a permis à ses chefs d’effectuer un virage à 180º et pactiser avec le gouvernement un “accord” qui a démobilisé les travailleurs malgré quelques résistances qui se sont manifestées. Ceci nous montre que les travailleurs, syndiqués ou non-syndiqués, ont besoin de contrôler collectivement leur lutte en l’arrachant des mains trompeuses des syndicats, ont besoin d’assemblées massives ouvertes aux autres travailleurs qui suivent au jour le jour l’évolution de la lutte, les négociations, les actions à mener, etc. Ces mesures sont vitales pour que la solidarité, la camaraderie, la force collective, l’héroïsme et la conscience qui se développe dans la lutte ne soient pas gaspillés et perdus, provoquant désillusions et démoralisation.
Dans cette lutte a aussi beaucoup pesé le fait que la province de Bocas de Toro est un des territoires les plus misérables du pays, peuplé de nombreuses tribus indigènes opprimées et appauvries, ce qui a contribué à la dévoyer d’une lutte authentiquement prolétarienne et autonome. La grève a été le signal d’un important mouvement de mécontentement populaire. Ceci est positif quand le prolétariat parvient à canaliser ce mécontentement vers son propre terrain de classe contre le capital et l’État. C’est toutefois négatif et affaiblit le prolétariat ainsi que la libération même de ces couches sociales si – comme c’est arrivé lors de cette lutte – c’est la mobilisation interclassiste qui prend le dessus, pour “le rétablissement des libertés démocratiques attaquées par la Loi 30”, pour “la mise en oeuvre par le gouvernement central d’investissements dans la province abandonnée”, pour “la reconnaissance des droits ancestraux des peuples indigènes”.
Quand la lutte tombe dans ce bourbier populaire, seul le capital sort gagnant. Celui-ci ne présente jamais ses intérêts pour ce qu’ils sont – des intérêts égoïstes au détriment de la grande majorité – mais les revêt toujours des déguisements trompeurs du “peuple”, de “la citoyenneté”, des “droits sociaux” et autres sornettes vides de sens. Ces tromperies font perdre au prolétariat son identité et son autonomie de classe, et ainsi parviennent à le mettre en échec, lui et l’ensemble de la population opprimée.
CCI (27 juillet 2010)
1) Nous saluons chaleureusement le Forum ESPAREVOL (en espagnol), qui réalise un effort important pour rassembler nouvelles et communiqués sur les luttes ouvrières. Voir http ://esparevol.forumotion.net/noticias-informaciones-y-comunicados-obreros-f9/
2) Les citations viennent d’informations reçues de différents camarades.
3) Sitraibana : Syndicat de travailleurs de l’industrie bananière.