Soumis par ICConline le
En octobre, le CCI a organisé à proximité de Lille un week-end de discussions destiné à ses contacts et lecteurs. Ces réunions se distinguent de nos traditionnelles réunions publiques et permanences par trois éléments essentiels. D'abord, il ne s'agit pas en soi de réunions du CCI mais de réunions organisées par le CCI afin que les participants développent des discussions. C'est ainsi que souvent, par exemple, et ce fut le cas ici, les discussions sont introduites par des participants qui sont volontaires pour le faire. De même, les sujets abordés sont proposés par les participants potentiels en amont de la rencontre.
Ensuite, ces réunions se distinguent par le temps qu'elles laissent à la discussion. En général, deux sujets sont abordés chacun sur une demi-journée, et le temps est laissé pour prolonger les discussions dans les moments conviviaux qui suivent.
Car, et c'est là leur troisième aspect singulier, le but de ces rencontres est aussi de rapprocher les personnes qui partagent les même préoccupations et les mêmes questionnements, à défaut de partager les mêmes positions. C'est pourquoi nous organisons aussi des moments de rencontre plus informels, notamment des repas qui prolongent et offrent un cadre différent à la discussion.
A Lille, nous avions choisi de répartir les deux discussions sur un week-end, le samedi après-midi et le dimanche matin, afin que, grâce à la restauration et l'hébergement sur place, le maximum de temps soit laissé aux échanges entre participants. Nous souhaitions également permettre à des personnes plus éloignées géographiquement de pouvoir nous rejoindre avec le moins de désagrément possible.
C'est finalement une trentaine de participants qui participèrent à la rencontre, venant de toute la France (Lille bien sûr, Paris, Rouen, Nantes, Toulouse, Marseille, Lyon), de Belgique et de Hollande.
Nous reviendrons ultérieurement sur la discussion du samedi après-midi à Lille, consacrée à Darwin, au darwinisme, aux instincts sociaux et à la nature humaine. Cette discussion très riche s'est prolongée jusque tard dans la soirée et continuait même au petit-déjeuner du dimanche matin !
Nous voulons dans le cadre de cet article, nous pencher sur la discussion du dimanche matin consacrée à l'écologie et à la capacité du capitalisme à éviter les catastrophes liées au réchauffement climatique, à la pollution, etc.
L'introduction de la discussion
Cette session a été introduite par un sympathisant du CCI. Son exposé, très clair, a posé d'emblée les questions essentielles auxquelles la discussion allait devoir tenter d'apporter des réponses. D'abord, les faits parlent d'eux-mêmes : « Les niveaux atmosphériques en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4) ont atteint le niveau le plus élevé depuis 650 000 ans, ce qui implique que la température moyenne sur terre devrait augmenter les cent prochaines années entre 1,1 et 6,4 degrés Celsius avec toutes les catastrophes qui en découleront. Pour le moment, la pire des sécheresses de ces 10 dernières années sévit dans sept pays de l’Afrique de l’Est, tels l’Ethiopie, le Kenya et la Somalie. Des dizaines de milliers d’animaux périssent à cause du manque d’eau. 23 millions d’êtres humains sont en danger par le fait qu’à cause de récoltes ratées répétées, ils n’ont plus de réserves de nourriture. A titre de comparaison, la sécheresse de 1984 en Ethiopie a entraîné la mort de 250 000 à 1 million de morts. Avec la hausse des températures liées aux changements climatiques, ces phénomènes devraient continuellement augmenter dans le futur. Une espèce sur six de mammifères européenne est menacée d’extinction et toutes les espèces marines pêchées pourraient s’effondrer vers 2050. La réduction du nombre des abeilles, des chauves-souris et d’autres espèces butineuses cruciales met en danger les espèces agricoles et les écosystèmes en Amérique du Nord. Ce n’est donc pas un hasard si l’année 2010 est placée sous le signe de la biodiversité, on devrait plutôt dire « bio-homogénéité » ? La pollution a également un impact direct. Ainsi, la pollution de l’air dans les villes est la cause de 2 millions de décès prématurés par an. Ensuite, il y a la misère et la guerre : 2,5 milliards d’êtres humains sur un total de près de 7 milliards vivent avec moins de 2 dollars par jour et nous pouvons affirmer que, depuis la seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu un moment sur terre sans guerre, des guerres qui ont d’ailleurs eu un impact gigantesque sur la situation écologique de la planète. »
Tous les discours, les sommets et les accords passés n'ont pas permis d'inverser la tendance. Pour cela, il faudrait au moins, selon le camarade, que tous les États se rangent derrière la même politique de « développement durable ». Est-ce possible dans le capitalisme ?
L'exposé apporte une réponse : « La conférence qui aura lieu à Copenhague devrait mener à une meilleure coopération entre les États dans leur lutte contre la décadence écologique. Mais, sont-ils capables de coopérer ? Sont-ils capables de pousser collectivement le marché mondial dans une direction durable ? Raisonnons dans le cadre des frontières du système. Imaginons que le capitalisme accumule du capital d’une manière écologiquement responsable, on serait alors confronté à un capitalisme écologiquement durable. Toutefois, pour transformer ce capitalisme en une société ‘verte’, des changements profonds s’imposent dans l’industrie, les infrastructures, l’aménagement du territoire... qui exigeront d’énormes investissements en recherche, en technologie, en forces de travail... Si de tels investissements ne sont pas rentables suffisamment à court terme, l’ensemble de l’économie ne se risquera pas à franchir le pas vers la durabilité. Sur un marché sursaturé, avec une concurrence impitoyable, la menace de la faillite plane constamment. C’est alors l’État qui doit intervenir avec des primes, des législations contraignantes, afin de pousser le marché dans un sens ‘vert’.
Une telle logique perd cependant de vue que le capitalisme est divisé en économies nationales qui se concurrencent mutuellement pour s’approprier une partie aussi grande que possible du marché mondial. Par ailleurs, l’État ne se positionne pas au-dessus du marché ‘libre’ mais est une partie intégrante du système. En conséquence, les conflits d’intérêts entre États sont permanents, tant sur le plan économique que stratégique. C’est cette concurrence qui rend l’avènement d’un monde durable impossible. Ceci est apparu clairement lorsque G. W. Bush, lors d’un discours (juin 2001), a rejeté le traité de Kyoto pour deux raisons : (1°) cela aurait un impact négatif sur l’économie américaine, avec pour conséquences le licenciement d’ouvriers et des hausses de prix pour les consommateurs ; (2°) le traité n’impose rien à la Chine et l’Inde, deux des principaux responsables du réchauffement climatique. Nous pouvons même nous demander si le traité de Kyoto a vraiment pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou si ce n’est pas plutôt une forme de guerre visant à limiter le développement économique de certains États à travers des lois et des interdictions, et à maintenir ou au contraire faire évoluer certains rapports impérialistes. »
Mais au-delà de ces aspects importants dans la compréhension de la question, le camarade estime qu'une autre question mérite d'être évoquée, en lien avec une certaine « privatisation de la nature ». Certains théoriciens bourgeois estiment en effet que la solution se trouve justement dans une meilleure intégration de l'environnement aux lois capitalistes. Il suffirait de comptabiliser les coûts indirects de la pollution (maladies des riverains, dégâts causés à la fertilité des sols, etc.) pour en faire la base du « prix de la pollution », que chaque activité polluante devrait alors payer. Les mécanismes du marché ainsi engagés permettraient de réduire l'impact négatif de la pollution sur l'homme et la nature.
Cette théorie soulève évidemment des questions : « La nature est-elle vraiment une marchandise ? La nature est-elle un marché encore à exploiter ? Et son intégration dans le marché, qui constitue en fait une privatisation, est-elle vraiment aussi inéluctable que les économistes le prétendent ? Les forêts destinées à l’industrie du bois font incontestablement déjà partie de l’économie capitaliste. La plupart de ces forêts sont caractérisées par une division et une simplification extrêmes de ce qu’une forêt était avant. Il en va de même de l’agriculture moderne, où les champs gigantesques de maïs, de riz, de canne à sucre constituent la norme. Même si des végétaux y poussent, ces monocultures sont en fait des déserts : aucune autre plante, aucun autre animal ne peut y vivre. Ces végétaux agricoles ne sont-ils pas aussi des exemples d’intégration de la nature dans le marché ? De plus, le marché discernera-t-il les bonnes priorités ? Pourra-t-il protéger une espèce d’oiseaux menacée (et très rentable) par la disparition de son habitat précisément à cause de l’extension du secteur agricole ? Les nombreuses règles et lois que l’État impose au marché soulignent combien artificielle et forcée est la mise en accord des « besoins écologiques, sociaux et économiques ». La pression sur ces nécessités et besoins est constante. Non, la privatisation constante et l’intégration de la nature dans le marché mondial n’auront selon moi aucun effet positif sur elle, mais elles la soumettront encore plus à la véritable force motrice du capitalisme : l’accumulation du capital. C’est cette recherche de profit qui a poussé le capitalisme à conquérir le monde et à exercer une pression constante sur l’écosystème. La soif de bénéfices toujours plus importants dans un monde aux ressources limitées constitue une contradiction fondamentale du capitalisme, qui s’exprime tout particulièrement dans la phase de décadence de la société. C’est aussi cette contradiction qui rend tout développement durable au sein des frontières du capitalisme impossible. »
C'est sur cette conclusion que la discussion s'est engagée. Elle fut très riche et marquée par la participation de la plupart des personnes présentes. L’ensemble des interventions a souligné un accord avec l’exposé introductif et avec les orientations dégagées.
La discussion
Il a d'abord été soulevé que la manière dont la bourgeoisie répond au problème écologique montre très bien qu’elle ne peut se soustraire aux exigences de son mode de production. En créant un « droit à polluer », elle fait immédiatement de la nature une marchandise, dont le prix est fixé sur un marché où elle peut être achetée et vendue. Cette « cotation en bourse » de la pollution s'exonère de prendre en compte que la nature n’est pas la propriété de l’homme.
De la même façon, la toute récente taxe carbone ne répond pas à la problématique de la pollution et du réchauffement climatique. Elle permet surtout de remettre de l’argent dans les caisses des États plus ou moins au bord de la banqueroute.
Ensuite, la question a été posée de savoir le degré de conscience et de sincérité de la bourgeoisie par rapport au désastre écologique. Après tout, son sort est lié à celui de l'humanité, dont la survie est mise en jeu ici. La discussion a permis de mettre en avant que globalement, la bourgeoisie se moque des dégâts causés par son économie, même si au sein de celle-ci il existe des personnes plus sensibilisées. Mais même ces personnes, réellement conscientes du danger couru et sincères dans leur volonté d'y trouver une solution, sont instrumentalisées par toutes les campagnes sur la possibilité de mettre en place un système « propre ». Leur sincérité est même dangereuse car elle donne du crédit aux solutions qu'elles proposent, qui sont évidemment totalement inefficaces.
Cependant, il faut insister sur le fait que de façon générale, il n’y a pas de prise de conscience réelle du problème écologique par la bourgeoisie, il y a plutôt beaucoup d'illusions, même les plus extrêmes : l'écologie pourrait être un nouveau marché qui, tout en sauvant la planète, sauverait aussi l'économie !
Au-delà des illusions, il y a aussi le cynisme d'une classe aveuglée, symbolisé par les rejets massifs des déchets polluants et sensibles dans la mer ou dans des zones reculées de la planète, ou son recyclage dans l'armement.
Toutefois, la bourgeoisie n'est plus totalement inconsciente quand c'est le profit qui est en jeu. Par exemple, elle a parfaitement conscience de l’épuisement de certaines de ses ressources comme le pétrole et elle se prépare à cette adaptation nécessaire, même si les solutions les plus probables sont aussi les plus polluantes (le charbon, par exemple).
Finalement, on peut comparer l’attitude de la bourgeoisie avec celle qu’elle a vis-à-vis de la crise économique : une des causes de la crise financière est l’économie de casino. La bourgeoise tente alors de « moraliser » son système et on voit concrètement que c’est impossible. C’est la même impossibilité pour la question d’une production propre.
La discussion a ensuite continué sur la question de la classe ouvrière. Un axe essentiel de la campagne idéologique sur l'écologie passe par l’individualisation du problème et la culpabilisation individuelle qui en découle en faisant croire entre autres que si tout le monde y met du sien cela ira mieux ; voire même que les comportements individuels sont essentiellement les seuls à modifier. La discussion a mis en avant que l’éthique individuelle qui est en nous fait qu’en tant qu’être humain nous n'avons pas envie de dégrader notre environnement proche : même si nous avons conscience de notre responsabilité limitée, nous n'allons pas jeter nos déchets dans la nature, par exemple. C’est en même temps pour cela que la campagne de la bourgeoisie a un impact certain.
Le catastrophisme sur les dégâts utilisé par certaines fractions de la bourgeoisie tend à rendre encore plus désemparés, voire désespérés les individus, se traduisant en fait par le renforcement de la chape de plomb qui pèse sur la classe ouvrière. Le poids de cette culpabilisation d’ailleurs est d’autant plus fort que le niveau de la lutte de classe est actuellement faible. Il y a une fonction idéologique fondamentale dans cette culpabilisation quotidienne qui joue sur le même ressort que celui de la religion pesant d’un grand poids sur les individus. Après les curés rouges, nous voyons arriver les « curés verts » !
Il apparaît de plus en plus clairement qu’on ne pourra pas se sortir de ce désastre écologique sans remettre en cause le système. Le danger de la prise de conscience de cela par la classe ouvrière fait peur à la bourgeoise, même s’il ne faut pas se faire d’illusion sur le fait que le danger écologique suffise à la prise de conscience de la classe. La question de l’écologie pose le problème à l’échelle de la planète en même temps que celui de ce qu’on produit et pourquoi. Cela amène à la question de quels sont les besoins humains planétaires et de comment ils se posent par rapport aux besoins particuliers : c’est une question que devra résoudre de toute façon le prolétariat. Le capitalisme a développé le marché mondial et c’est sur cette base que les forces productives se développeront dans le communisme. La science aujourd’hui est l’otage du capitalisme. Demain, elle devra être une aide pour dépasser l’irrationalité et les contradictions du système.
D’autre part, il faut rétablir la réalité par rapport aux écrits du marxisme sur la question du rapport avec la nature, que la contre-révolution stalinienne a obscurci. Au début de la révolution en Russie, la question était vue différemment qu’en 1923-1924. Tout développement productif était envisagé dans ses impacts avec le milieu naturel, la révolution avait changé la réflexion sur le lien entre l’homme et la nature. 90 ans de « marxisme productiviste », comme la bourgeoisie aime présenter le stalisnime, a dénaturé la conception matérialiste de ce rapport. L’homme n’est pas en dehors de la nature comme veut le faire croire le capitalisme. Les « écolos » qui font un faux procès au marxisme « productiviste » et qui veulent donner une valeur à la nature sont à l’opposé de la conception marxiste. Nous devons restaurer les idées marxistes relatives au rapport de l’homme avec la nature.
Finalement, il y a une impossibilité pour la bourgeoisie de mettre en accord les trois aspects écologiques, sociaux et économiques des besoins humains. Dès lors, elle élabore ses campagnes de façon à cacher cette impossibilité. Des exemples ont été donnés, comme le « referendum » organisé au sujet de la desserte du port d'Anvers. Le choix était laissé entre un tunnel sous la ville et les installations industrielles ou un immense viaduc au-dessus. En d'autres termes, la présence du trafic n'est pas mise en question, c'est seulement le moindre mal qu'il convient de mesurer... et de choisir.
De même, l'idéologie de la décroissance se développe. Il s'agit de faire croire que la diminution de la consommation amènerait à supprimer le problème environnemental. C'est juste oublier que cette idée est en contradiction directe avec le mode de production capitaliste !
Et le plus grand danger est bien dans ce mode de production dont une des caractéristiques, accentuée par la période, est sa totale irrationalité. Ce dernier aspect, et non un des moindres, a été illustré par différents exemples concrets qui montrent clairement en quoi cette irrationalité amène inexorablement à une aggravation du désastre écologique. L'élevage des porcs en est une illustration flagrante : les bêtes sont élevées en Asie, abattues en Europe du sud pour être vendues en Europe du Nord. Les kilomètres parcourus dans le processus de fabrication d'une marchandise jusqu'à sa vente répondent à des « logiques » industrielles qui ignorent l'impact environnemental. A l'inverse, la réponse de certains passe par une concentration extrême du processus (des tours d'élevages immenses au-dessus de l'eau dans le port d'Anvers, qui prévoient même l'utilisation des déchets pour la nourriture des poissons), mais là encore, l'objectif reste la réduction maximale des coûts, et non celle de la pollution.
Cette irrationalité est une entrave à la mise en oeuvre de solutions techniques qui existent aujourd'hui. De manière plus générale, aujourd’hui l’influence de l’homme sur la nature se caractérise par un mode de production en décomposition ce qui ne fait qu’augmenter dangereusement les dégâts de ce système sur la nature, dégâts déjà dénoncés par Marx à l’époque du développement explosif du capitalisme. Mais aujourd’hui, il y a urgence, l’avenir de l’humanité et peut-être de la vie sur terre est en jeu ! Le capitalisme a une technologie très avancée mais est un mode de production qui entrave le développement des techniques qui pourraient répondre en partie au problème.
C'est sur cette conviction largement partagée, qui pose aussi l'enjeu de la responsabilité des révolutionnaires et de tous ceux qui sont conscients de la nécessité de mettre fin au capitalisme, que s'est achevée cette session de discussion. Bien évidemment, il s'agissait d'une étape dans la réflexion qui doit maintenant continuer.
GD (18 novembre)