Soumis par Révolution Inte... le
“Ce sont les plus grandes manifestations de salariés depuis une vingtaine d’années”, a déclaré triomphalement le secrétaire général de la CFDT, Chérèque, en évoquant les quelque 200 cortèges organisés le 29 janvier dernier en France, à l’appel de huit centrales syndicales. De fait, cette journée de grève (avec un taux de grévistes allant souvent de 35 à 60 % dans certains secteurs, notamment, dans l’éducation nationale) et de manifestations ont mis dans la rue en France entre 1 million (selon la préfecture de police) et 2,5 millions de personnes (selon le syndicat CGT). Une fois de plus, la réalité se situe vraisemblablement entre les deux.
Cette mobilisation importante a démontré clairement l’accumulation d’un ras-le-bol, d’une exaspération, d’une colère face à la détérioration générale des conditions de vie et de travail. Elle est le révélateur d’une inquiétude profonde face à la crise et à l’avenir que réserve le capitalisme. Elle démontrait aussi une réelle combativité. Cela faisait très longtemps que salariés du secteur public et du secteur privé ne s’étaient pas retrouvés ensemble sur le pavé ; de plus, toutes les générations ouvrières étaient présentes : lycéens, étudiants, salariés, retraités. Dans le secteur privé surtout, beaucoup déclaraient participer à une manifestation pour la première fois. Y compris dans des professions jusqu’ici qualifiées de “représentantes des classes moyennes” par les médias telles que des ingénieurs, des informaticiens, des cadres commerciaux, des employés de banque… Tous se sentent attaqués de la même façon au niveau de la baisse du pouvoir d’achat, de la précarité de l’emploi, des conditions de travail de plus en plus insupportables, de l’inquiétude par rapport à l’avenir de leurs enfants ; tous sont en train de ressentir dans leur chair la faillite ouverte du capitalisme. On pourrait s’étonner que l’ensemble des syndicats, professionnels du sabotage et de la division des luttes depuis des lustres aient appelé ensemble à un tel rassemblement unitaire. Cela n’a pourtant rien de mystérieux : ils ne pouvaient pas faire autrement que de prendre les devants de la montée grandissante de la colère sociale pour occuper le terrain sous peine de se discréditer et de se déconsidérer totalement aux yeux des salariés. Cela fait des mois que la crise s’aggrave, que la grogne sociale s’exprime et qu’elle s’accentue de jour en jour sans que la gauche et les syndicats ne lèvent le petit doigt. S’ils le font aujourd’hui, c’est qu’ils sont poussés par la nécessité. Comme l’exprimait un article du Monde daté du 25 novembre , “Hôpitaux, universités, école, justice : les foyers de tension sont nombreux. Attisés à la fois par la crise économique qui bouche l’horizon et par la montée d’un anti-sarkozysme qui se nourrit de toutes sortes d’ingrédients (…) Les syndicats en sont conscients. Ils vont tenter de canaliser le mécontentement au cours d’une journée d’action le 29 janvier.” Un article de Marianne du 24 janvier, intitulé “Ca sent la poudre”, allait dans le même sens en rapportant les propos d’un conseiller de l’Elysée constatant que “les centrales syndicales ont bordé l’événement : “c’est une seule journée, n’est ce pas ? Une vraie grève, c’est quand on ne sait pas comment ça s’arrête”. Mais le chroniqueur de Marianne, plus lucide ajoutait : “Le matin du 30 janvier, veut-on se persuader, les trains et les métros circuleront de nouveau, les salariés reprendront le chemin du boulot, les lycéens celui de leurs cours, et la vie reprendra son chemin, comme si de rien n’était. Mais en matière sociale, il est difficile de déterminer d’où vient le coup de grisou…” “Canaliser le mécontentement”, “border le terrain social”, c’est précisément le boulot pour lequel la bourgeoisie finance les syndicats, et c’est ce qu’ils ont fait pour pouvoir poursuivre leur sabotage des luttes dans le futur. Alors qu’il y avait déjà une multitude de grèves avant cette journée de manifestation, elles ont continué dans certaines entreprises “comme si de rien n’était”, revenant à leur cloisonnement et à leur isolement initiaux entretenus par les syndicats (Faurecia, Renault Sandouville, et toutes les usines où ont été annoncés des plans de licenciements ou des fermetures de sites).
Ainsi, cette journée a permis aux syndicats de tenter de redorer leur blason à peu de frais, son succès étant présenté par les médias comme le produit de l’unité syndicale. Sachant que leur journée d’action était populaire auprès de plus de 70 % des sondés, ils se sont gardés de paralyser totalement les transports notamment en région parisienne (même si le RER ne circulait pratiquement pas et si dans certaines villes comme Marseille, le métro ne fonctionnait pas) pour ne pas la rendre impopulaire tout en saucissonnant comme d’habitude les cortèges par syndicats, par entreprises et par corporations.
Cette journée d’action n’a permis qu’une chose : laisser échapper un peu de vapeur pour empêcher la cocotte-minute sociale d’exploser de façon incontrôlée. Et pour cela, les syndicats avaient un défouloir tout trouvé faisant l’unanimité : l’anti-sarkozysme. Le slogan le plus populaire dans les manifs étant cette invective : “casse-toi, pauv’con !” Et cela a permis aussi aux ténors du PS, de reprendre place dans les cortèges de manifestants.
Le succès syndical du 29 janvier n’est pourtant qu’un gigantesque trompe-l’œil. L’ampleur de cette mobilisation dans une période où il est devenu plus difficile et plus coûteux de se mobiliser est non seulement révélateur d’un malaise profond mais d’une maturation réelle. A la télévision, un manifestant à Clermont-Ferrand déclarait “Le système a atteint ses limites”, et les nombreuses discussions au cours de ces manifestations qu’ont pu avoir les militants du CCI ont démontré l’existence d’une soif de discussion et qu’une réflexion en profondeur sur l’impasse du capitalisme est à l’œuvre au sein de la classe ouvrière.
Wim (30 janvier)