Soumis par Révolution Inte... le
La répression de la classe ouvrière caractérise tous les régimes capitalistes ("démocratie" ou "dictature") : c'est toujours par la terreur que la classe bourgeoise impose son ordre social à la classe exploitée. En Russie, la structure criminelle du système social, économique et politique explique la permanence et la brutalité de la répression que subit la classe ouvrière de la part de l'État. Toute l'économie est quadrillée par les "monopoles" contrôlés par le clan des "hommes en uniforme" qui s'accaparent les grandes sociétés ainsi que les postes de gouverneurs des régions. L'économie est asservie dans l'unique but de produire un maximum de revenus à la camarilla de la classe dominante. La plupart des patrons et des bureaucrates d'État, gangsters membres de l'ex-KGB, savent, parce qu'ils peuvent perdre leur position du jour au lendemain au gré de la lutte à mort entre fractions, que leur temps au pouvoir est compté. C'est pourquoi, afin de se faire un maximum d'argent en un minimum de temps, ils usent de tous les moyens possibles pour tirer un maximum de profit de la classe ouvrière, depuis le légalisme du "droit du travail" révisé en 2001 qui rend pour ainsi dire illégal tout mouvement de grève de plus de 24 heures, la condamnation systématique des grèves par les cours de justice jusqu'à la violence de la police ou des milices armés contre les ouvriers combatifs.
Salut à la riposte de la classe ouvrière !
Bravant cette répression, les luttes ouvrières qui ont surgi lors de la dernière période font voler en éclats le mythe entretenu par les médias d'une majorité satisfaite de sa situation et toute entière derrière un Poutine adulé. "Si le mois de novembre doit rester dans les mémoires, ce ne sera pas en raison de la campagne électorale ou des intrigues politiques au Kremlin, mais à cause du surgissements des luttes ouvrières."[1]
Une vague de grèves, première manifestation de la combativité ouvrière depuis près d'une décennie, a, depuis le printemps, balayé le pays de la Sibérie Orientale au Caucase, touchant de multiples secteurs tels la région du pétrole de Khanty-Mansiysk dans le Grand Nord, des chantiers de construction en Tchétchénie, une usine de la filière bois à Novgorod, un hôpital dans la région de Tchita, le service de maintenance des logements à Saratov, les fast-food à Irkoutsk, l'usine automobile General Motors-AvtoVAZ à Togliatti, ou encore une grosse usine métallurgique en Carélie. Le renforcement des mesures répressives au cours de l'été pour endiguer la montée des luttes est largement resté sans effets.
En novembre, les dockers du port de Tuapse en Mer Noire (les 4-7 novembre), puis ceux du port de St-Pétersbourg (13-17 novembre) sont entrés en grève alors que les ouvriers des Postes cessaient le travail pour la première fois depuis 2001 (le 26 octobre), de même ceux du GouP TEK (secteur de l'énergie). Les conducteurs des Chemins de fer russes (R.ZH.) menacent de faire grève pour la première fois depuis 1988. "La grande vague de grèves qui a déferlé sur la Russie ne se calme pas. D'une entreprise à l'autre, les arrêts de travail succèdent aux blocages, tandis que certaines sociétés qui travaillent encore sont menacées de grèves (...) L'automne de cette année 2007, que le pouvoir en pleine campagne des législatives tente de présenter comme l'aboutissement du processus de stabilisation et d'une ère de prospérité, a été marqué par la montée en puissance de la "conscience prolétaire"."[2] Si pour le moment les grèves restent limitées à une entreprise ou une région particulière, elles manifestent la riposte de la classe ouvrière à la dégradation galopante de ses conditions de vie. Les inégalités insupportables dans la société, le luxe le plus insolent étalé par les oligarques et les managers d'entreprises alors que la majorité des ouvriers peine à s'offrir trois repas par jour, exacerbent le mécontentement. Surtout, si la question des salaires se trouve au cœur des luttes et forme l'aiguillon de la combativité ouvrière, c'est parce que les salaires sont dévorés par le développement faramineux de l'inflation et l'augmentation de 50 à 70 % des prix alimentaires, alors même qu'une nouvelle hausse de 50 % est attendue au cours de l'hiver !
Face à cette situation, la Fédération des syndicats indépendants de Russie, héritière de l'ancienne confédération soviétique et pro-gouvernementale, par définition hostile à toute lutte, est trop discréditée pour jouer efficacement son rôle d'encadrement de la lutte du prolétariat au profit de la classe dominante. Elle est même vue "comme l'adversaire le plus énergique du mouvement des ouvriers" [3]. C'est pourquoi, avec l'aide de centrales occidentales, une partie de la bourgeoisie russe cherche à exploiter les illusions existant chez les ouvriers sur les syndicats "libres" et "de lutte" pour que se développent de nouvelles structures comme le syndicat cheminot RPLBJ, la confédération Zachita Truda ou le Syndicat interrégional des travailleurs de l'automobile, fondé à l'initiative du Comité syndical de Ford et regroupant des syndicats indépendants de plusieurs grandes entreprises.
C'est celui-ci qu'on a vu à l'œuvre dans la grève de l'usine Ford à Saint-Pétersbourg, en novembre-décembre, où la majorité des 2200 ouvriers s'est mobilisée pour une augmentation de 30 % des salaires [4]. Cette lutte a contribué à rompre le black-out sur les luttes ouvrières en Russie.
La direction a d'abord organisé le lock-out de l'usine avec l'aide des OMON [5]. Sous l'impulsion du syndicat, les ouvriers se sont massés quotidiennement par centaines dans un piquet aux portes de l'entreprise sans autre perspective que de "tenir" face à la direction refusant toute négociation. Après un mois, la grève s'effilochant, les ouvriers, épuisés, ont dû reprendre sans rien avoir obtenu, en se pliant aux conditions de la direction : la promesse de négociations après la cessation de la grève.
C'est en isolant ainsi les ouvriers sur "leur" usine et en restreignant les expressions de solidarité des autres secteurs à l'envoi de messages de sympathie et au soutien financier à la caisse de grève que ces nouveaux syndicats indépendants ont infligé cette dure défaite aux ouvriers.
Toute l'expérience de la classe ouvrière depuis des décennies montre qu'il n'existe pas de syndicalisme au service de la lutte ouvrière, qu'il est une arme de la classe dominante et les syndicats des organes de l'Etat capitaliste dont la fonction est de contrecarrer les besoins d'unité, de solidarité, d'extension et, dans l'avenir, d'internationalisation de la lutte ouvrière. Ce qui importe pour la classe ouvrière ce n'est pas de reconstruire de nouveaux syndicats. Son avenir, elle devra le forger en développant la confiance en ses propres forces et ses propres moyens de lutte, les seuls qui lui permettent de construire un rapport de force en sa faveur face à la bourgeoisie : les assemblées générales et la lutte unie et solidaire de toute la classe ouvrière.
Igor (25 janvier)
[1]) Moscow Times, 06.12.07.
[2]) Vremia Novostieï, cité par Courrier international n° 892.
[3]) Moscow Times, 29.11.07
[4]) Les salaires sont de 550 euros en moyenne.
[5]) Police anti-émeutes.