Soumis par CCI le
Il y a bientôt cinq années que la guerre impérialiste sévit en Europe, avec toutes ses manifestations de misère, de massacres et de dévastation.
Sur les fronts russe, français, italien, des dizaines de milliers d'ouvriers et de paysans sont en train de s'entre-égorger pour les intérêts exclusifs d'un capitalisme sordide et sanglant qui n'obéit qu'à ses lois : le profit, l'accumulation.
Dans le cours de cinq années de guerre, la dernière, celle de la libération de tous les peuples, vous diton, bien des programmes trompeurs, pas mal d'illusions ont disparu, faisant tomber le masque derrière lequel se cachait l'odieux visage du capitalisme international.
Dans chaque pays, on vous a mobilisés sur des idéologies différentes mais ayant le même but, le même résultat, vous jeter dans le carnage les uns contre les autres, frères contre frères de misère, ouvriers contre ouvriers.
Le fascisme, le national-socialisme revendiquent l'espace vital pour leurs masses exploitées, ne faisant que cacher leur volonté farouche de s'arracher eux-mêmes de la crise profonde qui les minait par la base.
Le bloc des anglo-russo-américains voulait, paraît il, vous délivrer du fascisme pour vous rendre vos libertés, vos droits. Mais ces promesses n'étaient que l'appât pour vous faire participer à la guerre, pour éliminer, après l'avoir enfanté, le grand concurrent impérialiste : le fascisme (...)
La Charte de l'Atlantique, le plan de la nouvelle Europe n'étaient que les rideaux derrière lesquels se cachait la vraie signification du conflit : la guerre de brigandage avec son triste cortège de destructions et de massacres dont la classe ouvrière subit toutes les terribles conséquences.
Prolétaires,
On vous dit, on voudrait vous faire croire que cette guerre n'est pas comme toutes les autres. On vous trompe. Tant qu'il y aura des exploiteurs et des exploités, le capitalisme c'est la guerre, la guerre c'est le capitalisme.
La Révolution de 1917 en Russie fut une révolution prolétarienne. Elle fut la preuve éclatante de la capacité politique du prolétariat de s'ériger en classe dominante et de s'orienter vers l'organisation de la société communiste. Elle fut la réponse des masses travailleuses à la guerre impérialiste de 191418.
Mais les dirigeants de l'Etat russe ont, depuis, abandonné les principes de cette Révolution, transformé vos partis communistes en partis nationalistes, dissous l'Internationale Communiste, aidé le capitalisme international à vous jeter dans le carnage.
Si, en Russie, on était resté fidèle au programme de la Révolution et de l'internationalisme, si on avait appelé constamment les masses prolétariennes à unifier leurs luttes contre le capitalisme, si on n'avait pas participé à la mascarade, la Société Des Nations, il aurait été impossible à l'impérialisme de déclencher la guerre.
En participant à la guerre impérialiste avec un groupe de puissances capitalistes, l'Etat russe a trahi les ouvriers russes et le prolétariat international.
Prolétaires d'Allemagne,
Votre bourgeoisie comptait sur vous, sur votre endurance et sur votre force productive afin de prendre une place d'impérialisme pour dominer le bassin industriel et agraire d'Europe. Après avoir fait de l'Allemagne une caserne, après vous avoir fait travailler pendant quatre années à un rythme forcené pour préparer les engins de guerre, on vous a jetés dans tous les pays d'Europe pour apporter partout, comme dans chaque conflit impérialiste, la ruine et la dislocation.
Le plan de votre impérialisme a été déjoué par les lois du développement du capitalisme international qui avait depuis 1900 achevé toute possibilité d'épanouissement de la forme impérialiste de domination et, encore plus, de toute expression nationaliste.
La crise profonde qui mine le monde et particulièrement l'Europe est la crise mortelle et insoluble de la société capitaliste.
Seul le prolétariat, au travers de sa révolution communiste, pourra éliminer les causes de la détresse, de la misère des masses travailleuses, des ouvriers.
Ouvriers et soldats,
Le sort de votre bourgeoisie est désormais réglé sur le terrain des compétitions impérialistes. Mais le capitalisme international ne peut pas arrêter la guerre, car c'est sa dernière, son unique possibilité de survivance.
Vos traditions révolutionnaires sont profondément enracinées dans les luttes de classe du passé. En 1918, avec vos chefs prolétariens Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, en 1923, malgré l'opportunisme déjà surgissant dans l'IC, vous avez gravé dans l'Histoire votre volonté et votre puissance révolutionnaire.
Le national-socialisme de Hitler et l'opportunisme de la Troisième Internationale vous ont fait croire que votre sort était lié à la lutte contre le Traité de Versailles. Cette fausse lutte ne pouvait que vous rattacher au programme de votre capitalisme qui se traduisait par un esprit de revanche et la préparation de la guerre actuelle.
Vos intérêts de prolétaires sont uniquement liés aux intérêts de tous les exploités d'Europe et du monde entier.
Vous occupez une place primordiale pour imposer la fin du monstrueux carnage. En suivant l'exemple du prolétariat italien, vous devez engager la lutte contre la production de guerre, vous devez refuser de vous battre contre vos frères ouvriers. Votre révolte doit être une manifestation de lutte de classe. Elle doit se traduire dans les grèves et les agitations de masses. Comme en 1918, le sort de la révolution prolétarienne est soumis à votre capacité de briser les chaînes qui vous attachent à la monstrueuse machine de l'impérialisme allemand.
Ouvriers, travailleurs en Allemagne,
On vous a déportés pour vous faire construire des engins de destruction. Pour chaque ouvrier qui arrive, c'est un ouvrier allemand qui part pour le front.
Quelle que soit votre nationalité, vous êtes des exploités. Votre seul ennemi est le capitalisme allemand et international, vos camarades sont les ouvriers allemands et du monde entier.
Vous portez en vous les traditions et les expériences des luttes de classes de votre pays et du monde entier. Vous n'êtes pas des "étrangers".
Vos revendications, vos intérêts sont identiques à ceux de vos camarades allemands. En participant à la lutte de classe dans l'usine, sur les lieux de travail, vous contribuerez efficacement à briser le cours de la guerre impérialiste.
Ouvriers français,
Lors des grèves de 1936, tous les partis ont manoeuvré pour transformer vos justes et légitimes revendications de classe en une manifestation d'adhésion à la guerre qui se préparait. L'ère de prospérité que les démagogues du Front Populaire vous présentaient comme un plein épanouissement n'était en réalité que la crise profonde du capitalisme français.
Vos éphémères améliorations de vie et de travail n'étaient pas la conséquence d'une reprise économique, mais étaient dictées par la nécessité de la mise en marche de l'industrie de guerre.
L'invasion de la France a été exploitée par tous les responsables du conflit, de gauche et de droite, pour entretenir dans vos esprits une volonté de revanche et de haine contre les prolétariats allemand et italien, qui comme vous, n'ont aucune responsabilité dans le déclenchement de la guerre et, comme vous, subissent les terribles conséquences d'une boucherie voulue et préparée par tous les Etats capitalistes.
Le gouvernement Pétain-Laval vous parle de révolution nationale. C'est la tromperie la plus vulgaire. La méthode la plus réactionnaire pour vous faire subir sans broncher le poids de la défaite militaire au bénéfice exclusif du capitalisme.
Le Comité d'Alger vous fait miroiter le retour à l'abondance, à la prospérité d'avant-guerre. Quelle que soit la couleur ou la forme du gouvernement de demain, les masses travailleuses de France et des autres pays d'Europe, ont à payer un lourd tribut de guerre aux impérialistes anglo-russes-américains, en sus des ruines et des destructions causées par les deux armées en lutte.
Prolétaires français,
Trop parmi vous sont portés à croire, à espérer le bien-être importé par les armées, qu'elles soient anglaises, américaines ou russes.
Les intrigues et les contrastes qui se manifestent déjà au sein de cette "trinité" de larrons au sujet du partage de demain font pressentir que les conditions qui seront imposées au prolétariat seront dures si vous n'empruntez pas le chemin de la lutte de classe.
Trop parmi vous se font les auxiliaires du capitalisme en participant à la guerre des partisans, expression du nationalisme le plus exacerbé.
Vos ennemis ne sont ni le soldat allemand ni le soldat anglais ou américain, mais leur capitalisme qui les pousse à la guerre et à la tuerie, à la mort. Votre ennemi, c'est votre capitalisme, qu'il soit représenté par Laval ou par De Gaulle. Votre liberté n'est liée ni au sort ni aux traditions de votre classe dominante, mais à votre indépendance en tant que classe prolétarienne.
Vous êtes les fils de la Commune de Paris, et c'est seulement en vous inspirant d'elle et de ses principes que vous parviendrez à rompre les liens d'esclavage qui vous lient à l'appareil périmé de la domination capitaliste : les Tables de 1789 et les lois de la Révolution bourgeoise.
Prolétaires de Russie,
En 1917, avec votre parti bolchevik et Lénine, vous renversiez le régime capitaliste pour instaurer la première République des Soviets. Votre geste magnifique de classe ouvrant la période historique de la lutte décisive entre les deux sociétés opposées ; l'ancienne, la bourgeoisie, destinée à disparaître sous le poids de ses contradictions ; la nouvelle, le prolétariat s'érigeant en classe dominante pour se diriger vers la société sans classe, le communisme.
A cette époque aussi, la guerre impérialiste battait son plein. Des millions d'ouvriers tombaient sur les champs de batailles du capitalisme. A l'exemple de votre lutte décisive jaillissait au sein des masses ouvrières la volonté d'en finir avec l'inutile massacre. En brisant le cours de la guerre, votre Révolution devenait le programme, le drapeau de la lutte des exploités du monde. Le capitalisme, "rongé" par la crise économique aggravée par la guerre, tremblait face au mouvement prolétarien qui déferlait sur toute l'Europe.
Cernés par les armées blanches et celles du capitalisme international qui voulait vous avoir par la famine, vous avez réussi à vous dégager de l'étreinte contre-révolutionnaire ; grâce à l'apport héroïque du prolétariat européen et international qui, empruntant le chemin de la lutte des classes, empêchait la bourgeoisie coalisée d'intervenir contre la révolution prolétarienne.
L'enseignement était décisif, désormais la lutte des classes se développera sur le terrain international, le prolétariat formera son PC et son Internationale sur le programme raffermi par votre Révolution communiste. La bourgeoisie s'orientera vers la répression du mouvement ouvrier et vers la corruption de votre révolution et de votre pouvoir.
La guerre impérialiste actuelle vous trouve non pas avec le prolétariat mais contre lui. Vos alliés ne sont plus la Constitution soviétique de 1917, mais la patrie "socialiste". Vous n'avez plus de camarades comme Lénine et ses compagnons, mais des maréchaux bottés, gradés, comme dans tous les pays capitalistes, emblèmes d'un capitalisme sanglant, massacreur du prolétariat.
On vous dit qu'il n'y a pas de capitalisme chez vous mais votre exploitation est semblable à tous les prolétaires, et votre force de travail disparaît dans le gouffre de la guerre et dans les caisses du capitalisme international. Votre liberté est celle de vous faire tuer pour aider l'impérialisme à survivre. Votre parti de classe a disparu, vos soviets sont effacés, vos syndicats sont des casernes, vos liens avec le prolétariat international sont brisés.
Camarades, ouvriers de Russie,
Chez vous comme partout ailleurs, le capitalisme a semé la ruine et la misère. Les masses prolétariennes d'Europe, comme vous en 1917, attendent le moment favorable pour s'insurger contre les effroyables conditions d'existence imposées par la guerre. Comme vous, elles se dirigeront contre tous les responsables de ce terrible massacre, qu'ils soient fascistes, démocratiques ou russes. Comme vous elles essaient d'abattre le sanglant régime d'oppression qu'est le capitalisme.
Leur drapeau sera votre drapeau de 1917. Leur programme sera votre programme, que vos dirigeants actuels vous ont arraché : la Révolution communiste.
Votre Etat est coalisé avec les forces de la contre-révolution capitaliste. Vous serez solidaires, vous fraterniserez avec vos camarades de lutte ; vos frères ; vous lutterez à leurs côtés pour rétablir en Russie et dans les autres pays les conditions pour la victoire de la révolution mondiale.
Soldats anglais et américains,
Votre impérialisme ne fait que développer son plan de colonisation et d'esclavage de tous les peuples pour essayer de se sauver de la grave crise qui enveloppe toute la société.
Déjà, avant la guerre, malgré la domination coloniale et l'enrichissement de votre bourgeoisie, vous avez subi le chômage et la misère, les sans-travail ont été des millions.
Contre vos grèves pour des revendications légitimes, votre bourgeoisie n'a pas hésité à employer le moyen le plus barbare de répression : les gaz.
Les ouvriers d'Allemagne, de France, d'Italie et d'Espagne ont des comptes à régler avec leur propre bourgeoisie, responsable au même titre que la vôtre de l'immonde massacre.
On voudra vous faire jouer le rôle de gendarmes, vous jeter contre les masses prolétariennes en révolte.
Vous refuserez de tirer, vous fraterniserez avec les soldats et les travailleurs d'Europe.
Ces luttes sont vos luttes de classe.
Prolétaires d'Europe,
Vous êtes cernés par un monde d'ennemis. Tous les partis, tous les programmes ont sombré dans la guerre ; tous jouissent de vos souffrances, tous unis pour sauver de son écroulement la société capitaliste.
Toute la bande de racailles au service de la haute finance de Hitler à Churchill, de Laval à Pétain, de Staline à Roosevelt, de Mussolini à Bonomi, est sur le plan de la collaboration avec l'Etat bourgeois pour vous prêcher l'ordre, le travail, la discipline, la patrie, qui se traduisent dans la perpétuité de votre esclavage.
Malgré la trahison des dirigeants de l'Etat russe, les schémas, les thèses, les prévisions de Marx et Lénine trouvent dans la haute trahison de la situation actuelle leur confirmation éclatante.
Jamais la division entre exploités et exploiteurs n'a été aussi nette, si profonde. Jamais la nécessité d'en finir avec un régime de misère et de sang n'a été si impérieuse.
Avec la tuerie des fronts, avec les massacres de l'aviation, avec les cinq années de restrictions, la famine fait son apparition. La guerre déferle sur le continent, le capitalisme ne sait pas, ne peut pas finir cette guerre.
Ce n'est pas en aidant l'un ou l'autre groupe des deux formes de domination capitaliste, que vous abrégerez le combat. Cette fois, c'est le prolétariat italien qui vous a tracé le chemin de la lutte, de la révolte contre la guerre.
Comme Lénine l'a fait en 1917, il n'y a pas d'autre alternative, d'autre chemin à suivre en dehors de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile[1].
Tant qu'il y aura le régime capitaliste, il n'y aura pour le prolétariat ni pain, ni paix, ni liberté.
Prolétaires communistes,
Il y a beaucoup de partis, trop de partis. Mais tous, jusqu'aux groupuscules du trotskisme, ont sombré dans la contre-révolution.
Un seul parti manque : le parti politique de la classe prolétarienne.
La Gauche Communiste seule est restée avec le prolétariat, fidèle au programme du marxisme, à la Révolution communiste. Ce n'est uniquement que sur ce programme qu'il sera possible de redonner au prolétariat ses organisations, ses armes aptes à pouvoir le conduire à la victoire. Ces armes sont le nouveau Parti Communiste, la nouvelle Internationale.
Contre tout opportunisme, contre tout compromis sur le terrain de la lutte des classes, la Fraction vous appelle à unir votre effort pour aider le prolétariat à se dégager de l'étau capitaliste. Contre les forces coalisées du capitalisme doit s'ériger la force invincible de la classe prolétarienne.
Ouvriers et soldats de tous les pays !
C'est à vous seuls qu'il appartient d'arrêter le terrible massacre sans précédent dans l'histoire.
Ouvriers, arrêtez dans tous les pays la production destinée à tuer vos frères, vos femmes, vos enfants.
Soldats, cessez le feu, baissez les armes !
Fraternisez au-dessus des frontières artificielles du capitalisme.
Unissez-vous sur le front international de classe.
VIVE LA FRATERNISATION DE TOUS LES EXPLOITES !
A BAS LA GUERRE IMPERIALISTE !
[1] Ce mot d'ordre de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile fut le mot d'ordre lancé par les révolutionnaires lors de la première guerre mondiale. Il était fondé sur le fait que le prolétariat, s'il avait été trahi et berné idéologiquement par les directions des partis de la seconde Internationale, n'avait pas été battu physiquement par la bourgeoisie, et conservait encore presque intact l'ensemble de ses forces vives. Il n'en était pas de même en 1939, et encore moins en 1944. Aussi, cet appel des révolutionnaires de l'époque fut une erreur, car c'est un prolétariat exsangue, dont la conscience et les organisations de classe avaient été détruites de fond en comble, qui sortaient de la guerre. Cependant cette erreur de jugement sur les capacités du prolétariat de l'époque n'enlève rien au caractère indéfectiblement prolétarien du manifeste que nous publions ci-dessus.