Soumis par Révolution Inte... le
Depuis le mois de juin, un des Etats les plus pauvres du Mexique, celui d’Oaxaca, connaît une situation sociale particulièrement dramatique (voir RI n° 373 et 374). Les derniers évènements ont eu pour épilogue une répression féroce orchestrée par l’Etat mexicain qui a envoyé le 27 octobre dernier les FPF (Forces de la Police Fédérale) à la rescousse des milices du gouverneur Ulizes Ruiz confronté à une forte agitation de la population. Depuis une quinzaine de jours, on compte des dizaines de morts et des centaines d’emprisonnement. Voilà le vrai visage de la démocratie bourgeoise : assassinats et répression de masse ! Mais, pour que cette réponse de la classe dominante puisse avoir lieu, il a fallu auparavant que d'autres forces bourgeoises lui aient ouvert la voie. Syndicalistes, gauchistes et populistes de tous poils se sont ainsi mis à l’œuvre, sous prétexte de "soutien" au mouvement des enseignants, afin de pourrir la réflexion qui pouvait se mener au sein de ce mouvement. Parti initialement sur des revendications salariales et l’amélioration des conditions de travail des enseignants d’Oaxaca, le mouvement a été rapidement détourné sur des revendications populistes et interclassistes, se fixant non plus sur la défense des intérêts ouvriers mais sur celui de la défense de la démocratie et de l’opposition au gouverneur Ruiz. Dans cette entreprise de sabotage du mouvement des enseignants, on a vu se précipiter tout ce que le pays compte de groupes et groupuscules prêts à "soutenir" le mouvement comme la corde soutient un pendu. C’est ce travail de sape qui a permis d’ouvrir le temps de la répression contre le mouvement.
Nous reprenons ci-dessous un article de Revolucion Mundial qui dénonce le travail de sabotage que, parmi d’autres, les groupes trotskistes ont mené pendant le mouvement.
Les groupes trotskistes voudraient nous faire croire qu’on se trouverait dans une situation révolutionnaire, avec des soviets, un double pouvoir (caractéristiques de la révolution prolétarienne) et presque en situation de prise du pouvoir par les travailleurs. Il est, bien sûr, regrettable que ce ne soit pas le cas, mais en mettant cela en avant, ces groupes ont semé la confusion et ont poussé les travailleurs à faire confiance à des actions clairement éloignées de leur terrain de classe.
Voici une affirmation mise en avant dans un tract du groupe trotskiste El Militante 1: “La décomposition sans précédent de l’appareil d’Etat est l’un des symptômes les plus clairs du fait que nous nous trouvons aux portes d’un processus ouvertement révolutionnaire. L’élément le plus important (…) est la disposition des masses pour la lutte et la volonté de mener cette lutte jusqu’au bout. Il ne manque que cette volonté de lutte soit dirigée vers la prise du pouvoir par les travailleurs et la destruction totale de l’appareil d’Etat bourgeois; c’est pour cela que le programme, la stratégie et la tactique qui seront décidés par la Convención Nacional Democrática (CND) 2 seront déterminantes pour le futur mouvement”.
Il est d’abord nécessaire de clarifier une chose : le développement d’une grande combativité ne veut pas dire qu’au sein de la classe il y ait une conscience claire sur ce qu’on doit faire et vers où l'on va. Combativité et conscience ne vont pas forcément de pair dans le développement des luttes. C’est pour cela qu’il y a beaucoup d’expressions combatives qui finissent en révoltes sans lendemain. La combativité et la conscience ont tendance à se rejoindre au fur et à mesure qu’une situation révolutionnaire mondiale commence à poindre à l’horizon. La révolution est une œuvre consciente avant tout. Mais il faut surtout bien souligner que cette "volonté de lutte" dont parle El Militante est totalement soumise aux orientations d’une fraction de la bourgeoisie, parce que la CND est un défenseur de la démocratie, de l’Etat et, bien évidemment, elle ne mettra jamais en question le moindre aspect de la dictature du capital sur le travail.
Les travailleurs et les masses non exploiteuses prises dans la nasse des illusions du cirque électoral, ont beaucoup de difficultés pour voir clairement quelle direction prendre, par où il faut aller. Ainsi, lorsque El Militante affirme que "nous nous trouvons aux portes d’un processus ouvertement révolutionnaire", il cherche à mystifier les travailleurs en leur donnant de faux espoirs, pour ainsi les désarmer et les mettre sous contrôle de la fraction de la bourgeoisie représentée par Obrador, le PRD et la CND.
Face à ces évènements, un groupe trotskiste, la Ligue des travailleurs pour le Socialisme-A Contre-courant (LIT-CC), dans son journal Estrategia Obrera nº 53 (16-09-2006) joue son rôle d’instrument de la confusion. Tout en semblant dénoncer le PRD, il ne fait qu’apporter de l’eau au moulin de la bourgeoisie : "…la combinaison d’une forte crise au sommet, l’existence d’un mouvement démocratique de masse et la commune d’Oaxaca, ouvrent une situation prérévolutionnaire, qui pourrait être le préambule de la deuxième révolution mexicaine, ouvrière et socialiste."
L’expression "Commune d’Oaxaca" est typique de ces phrases démagogiques dont le seul but est de créer la confusion chez les travailleurs. C’est un mensonge. D’abord parce que ce qui se passe à Oaxaca est l’expression d’une masse qui n’est pas dirigée par le prolétariat, mais à laquelle c’est lui qui est soumis aussi bien sur les objectifs que dans les décisions prises. Mais, surtout, parce que si la Commune de Paris a légué une leçon au mouvement ouvrier, une leçon que le marxisme a toujours défendue, c’est bien qu’il ne s’agit pas de "conquérir" la machine étatique mais de la détruire de fond en comble. Demander la destitution du gouverneur Ulises Ruiz est non seulement aux antipodes de la destruction de l’Etat mais représente surtout une manœuvre pour détourner la lutte des travailleurs vers un objectif bourgeois. Aussi, prétendre qu’à Oaxaca, il y aurait eu une "Commune" est une manière sournoise de faire passer pour prolétarien un mouvement qui a migré entiérement en dehors du terrain de la classe ouvrière.
La prétendue "Révolution mexicaine" relève de la même falsification de l’histoire du mouvement ouvrier. Les références à Lénine, pour caractériser une situation révolutionnaire, disant que "ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner", n’ont rien à voir avec ce qu’on est en train de vivre à Oaxaca. Dans cette région existait effectivement un processus de radicalisation des masses, mais qui a été détourné vers des actions stériles et désespérées de défense des objectifs bourgeois de l’APPO, sans autre objectif que de sortir du gouvernorat le satrape Ulises Ruiz.
Pour un autre groupe trotskiste, Germinal (Espagne), l’APPO n'est rien de moins que "l’embryon du possible Etat ouvrier 3, l’organe de nature soviétique le plus développé qu’on a pu voir depuis des décennies sur toute la planète" (13 septembre 2006). Une telle affirmation est une véritable épine dans le pied des ouvriers d’Oaxaca. Il s’agit d’une déformation délibérée pour faire en sorte que les travailleurs voient un soviet là où il n’y a qu’un vulgaire front interclassiste. Un soviet, ou conseil ouvrier, est une organisation qui germe dans une période prérévolutionnaire ou directement révolutionnaire, où participent tous les travailleurs, avec des assemblées qui sont l’âme et la vie de l’insurrection, avec des délégués élus et révocables. Dans l’APPO se sont enkystés des "leaders" dont la proximité avec les structures du pouvoir sont bien connues (comme les porte-parole de l’APPO : Rogelio Pensamiento, bien connu pour ses liens avec l’encadrement du PRI, l’ex-député du PRD, Flavio Sosa ou le syndicaliste du SNTE, Rueda Pacheco, dont on sait très bien qu’il a reçu pendant longtemps des "soutiens économiques" de la part du gouvernement d’Ulises Ruíz lui-même). Si, en plus, on regarde la composition de ce prétendu "soviet", on constate sur le premier compte-rendu de l’APPO que celle-ci s’est constituée avec 79 organisations "citoyennes", 5 syndicats et 10 représentants des écoles et de parents d'élèves. Cet amalgame permet l’expression de tout, excepté celle de l’indépendance et de l’autonomie du prolétariat.
Les décisions de ce pseudo “soviet” ou de cette prétendue “commune” dont parlent les trotskistes ne se distinguent pas, dans la pratique, de celles prises par n’importe quel organe préoccupé par la bonne marche des affaires capitalistes. Le groupe Germinal lui-même le fait remarquer pour l’applaudir des deux mains : "Une police municipale propre a été créée (le ‘corps de topiles’)" et "le 3 septembre, en même temps qu’il a été approuvé de convoquer à la constitution d’assemblées populaires dans tous les états du Mexique, il a été décidé : (…) que dans les ordonnances on envisage la réactivation de l’économie, de la sécurité citoyenne, de la propreté et de l’embellissement de la ville, une ordonnance pour le transport urbain et suburbain, une ordonnance pour attirer le tourisme et une autre pour la vie en commun harmonieuse". Voilà les faits qui leur font affirmer que c’est l'organe prolétarien "le plus développé qu’on a pu voir depuis des décennies sur toute la planète", autrement dit, la défense pure et simple d’un meilleur fonctionnement économique, politique et social du capitalisme !
Le soulèvement à Oaxaca était on ne peut plus justifié, les instituteurs se trouvent dans une misère noire, la même que des millions de leurs frères de classe dans le reste du pays et du monde entier, mais leur colère a été récupérée et dévoyée par la bourgeoisie. Voilà pourquoi l’APPO n’est pas un exemple de ce qu’il faut faire, mais de ce qu’il ne faut surtout pas imiter. La question vitale de l'autonomie de la lutte du prolétariat est toujours un problème qui reste à résoudre.
Marsan (10 octobre 2006)
1 Ce groupe se dit être la "voix marxiste des travailleurs", ce qui ne l’empêche pas de se proclamer courant "cofondateur du Parti de la Révolution Démocratique", le PRD de Lopez-Obrador.
2 La Convention National Démocratique, coalition de la gauche mexicaine qui ne reconnaît qu’Obrador comme président "légitime", et qui, à l'initiative de ce dernier, organise régulièrement des grands rassemblements à Mexico (comme le 1er décembre pour contrer l'investiture "officielle" de Calderon) afin de maintenir la "pression populaire".
3 Ajoutons au passage que pour le CCI "Etat ouvrier" est un contresens. Les ouvriers devront détruire l’Etat et ce n’est pas en y ajoutant le qualificatif "ouvrier" qu’on va changer sa nature. Voir à ce sujet notre brochure L’État de la période de transition.