Soumis par Révolution Inte... le
Au milieu des flots de propagande déversés aujourd'hui par les gouvernements et les partis politiques à propos des préparatifs de guerre au Moyen-Orient, deux thèmes se distinguent particulièrement. Le premier attribue la responsabilité essentielle d'une telle guerre aux "Etats voyous", tel l'Irak, désignés comme des menaces pour la paix et la sécurité mondiale. L'autre thème met en cause, au contraire, de "mauvais" pays capitalistes, la première puissance mondiale en particulier, laquelle n'aurait dans cette affaire d'autre objectif que de s'accaparer les revenus de la vente du pétrole irakien. Face à ces campagnes, il appartient aux révolutionnaires de défendre la position internationaliste du prolétariat en débusquant les mensonges dont nous abreuvent les différents camps bourgeois en présence.
Depuis la Première Guerre mondiale, la bourgeoisie a toujours pris un soin particulier à masquer les causes réelles de la guerre. Si bien que les fondements de ce fléau auquel le 20e siècle doit en bonne partie d'avoir été le siècle le plus barbare de l'histoire de l'humanité demeurent complètement incompréhensibles aux grandes masses de la population, totalement mystifiées par un discours dégageant le capitalisme et la bourgeoisie comme un tout de leurs responsabilités dans cette situation. C'est le propre de la bourgeoisie, en tant que classe dominante d'un système entré en décadence depuis maintenant un siècle et qui, dans son agonie, entraîne l'humanité vers le néant, de faire passer pour des vertus les pires monstruosités en les drapant du voile idéologique de la défense de la "civilisation", de la "démocratie", des "droits de l'homme", du "droit international", de la "lutte contre le terrorisme". Sa préoccupation est de cacher ce fait que les conflits qui ont ensanglanté la planète depuis un siècle ont tous été, sans exception, des conflits impérialistes, c'est-à-dire l'expression au plus haut niveau des antagonismes entre fractions rivales de la bourgeoisie mondiale.
Tous les pays et toutes les guerres sont impérialistes
Le mobile réel de la Première Guerre mondiale n'était
autre que le repartage du marché mondial. Pour des pays comme
la France et surtout la Grande-Bretagne dont l'économie pouvait
bénéficier d'un empire colonial, il s'agissait de défendre
un statu quo à leur avantage contre la volonté de l'Allemagne
en particulier, moins bien lotie sur ce plan, de vouloir le remettre
en cause. C'est ce dernier pays qui a poussé à la guerre
alors que le manque de débouchés résultant de sa
situation géopolitique et la crise de surproduction en développement
handicapaient de façon croissante sa capacité à
écouler une production industrielle importante. Tous les belligérants,
y compris les vainqueurs à l'exception des Etats-Unis, ont sur
le plan économique été des perdants de cette guerre.
En fait, si les Etats-Unis ont pu acquérir à travers elle
une position dominante au niveau mondial, c'est parce que, éloignés
du terrain des opérations, ils ont eu à fournir un effort
de guerre relativement moins important que les puissances européennes
et ont été épargnés par les destructions
massives.
La Seconde Guerre mondiale est elle aussi le produit des mêmes
contradictions et l'enjeu des tueries est de nouveau le repartage du
monde. C'est ce que traduit clairement le slogan de Hitler pour justifier
la politique expansionniste de l'Allemagne : "Exporter ou mourir".
Les destructions occasionnées par le second conflit mondial ont
impliqué, de façon plus nette encore que le premier, un
recul de l'économie mondiale, avec des répercussions sur
tous les protagonistes, même si encore une fois les Etats-Unis
s'en sont mieux sortis que les autres. En fait, ceux-ci ont, à
cette occasion, encore renforcé leur position de première
puissance mondiale, fondamentalement grâce aux positions stratégiques
qu'ils venaient d'acquérir, notamment suite à la défaite
de l'Allemagne et du Japon mais aussi suite à la ruine des principaux
pays d'Europe. De même, c'est également grâce à
la défaite de l'Allemagne que la Russie put occuper elle aussi
des zones stratégiques essentielles, dont une partie de l'Europe,
lui permettant ainsi de se hisser au rang de seconde puissance mondiale,
à la tête du bloc impérialiste rival des Etats-Unis.
Et pourtant la Russie était alors, et restera, un pays dont l'économie
a plus à voir avec celle des pays sous-développés
que celle des grands pays industrialisés. Ainsi la Seconde Guerre
mondiale illustre clairement cette tendance, qui s'accentue au sein
de la décadence du capitalisme, selon laquelle les gains de la
guerre s'expriment en terme de positions stratégiques payées
au prix fort sur le plan économique. La conquête de telles
positions tend à devenir essentiellement un but en soi, contrairement
au passé où elle constituait surtout un moyen de conquêtes
à caractère économique. A mesure que se prolonge
la période de décadence du capitalisme, la guerre prend
un caractère de plus en plus irrationnel sur le plan économique
même (sans parler pour l'humanité !), pour le capital comme
un tout, mais aussi pour chaque capital national pris séparément.
C'est ce que montrent les quatre décennies du face à face
entre le bloc de l'Est et celui de l'Ouest avec son cortège de
guerres locales, la plupart du temps pour des objectifs strictement
stratégiques ayant englouti en pure perte des sommes considérables
(et fait plus de morts que la Seconde Guerre mondiale). L'URSS, économiquement
plus faible que ses rivaux du bloc occidental, ne pouvait plus supporter
le coût de l'effort de guerre, si bien qu'elle n'a pas résisté
à l'aggravation de la crise économique et s'est effondrée.
Tout ce qui précède n'enlève rien au fait que ce
sont toujours les déterminations économiques qui constituent
le moteur de la guerre. En effet, c'est l'aggravation de la crise économique
qui pousse chaque bourgeoisie nationale à vouloir résoudre
les contradictions qui en découlent dans la fuite en avant dans
le militarisme et vers la guerre. Bien qu'une telle politique constitue
à son tour un facteur d'aggravation de la crise, aucun pays ne
peut y échapper sous peine de présenter une vulnérabilité
accrue face aux appétits impérialistes des autres nations.
Ainsi, si au début du 20e siècle, la guerre est conçue
par ses protagonistes comme un moyen de repartage des marchés,
elle s'est progressivement imposée à leur conscience comme
étant désormais le moyen de défendre son rang dans
l'arène impérialiste mondiale. C'est ce qu'a montré
de manière éclatante la guerre du Vietnam entre 1962 et
1975 où l'absence totale d'objectif économique n'a pas
empêché une implication massive et terriblement coûteuse
de la part des Etats-Unis. De même, toute la période écoulée
depuis la fin des blocs constitue une illustration frappante de ce fait.
En effet que ce soit en Irak en 1991, en Yougoslavie, en Afghanistan,
aucune des opérations militaires, pour ne citer que les principales,
des Etats-Unis et de leurs "alliés", n'a en aucune
façon permis une rentabilisation ultérieure (évanoui
le bluff de la reconstruction de la Yougoslavie !) mais le fait réel
de dépenses énormes sur fond de relance de la course aux
armements. En revanche, toutes ces opérations participaient d'un
enjeu stratégique qui constitue la toile de fond à la
préparation d'une nouvelle guerre en Irak.
L'importance stratégique de l'Irak
La fin des blocs en 1990 inaugure un accroissement considérable
des conflits et du chaos à l'échelle de la planète.
La dynamique et l'enjeu de ceux-ci se résume de la sorte : "Face
à un monde dominé par le 'chacun pour soi', où
notamment les anciens vassaux du gendarme américain aspirent
à se dégager le plus possible de la pesante tutelle de
ce gendarme qu'ils avaient dû supporter face à la menace
du bloc adverse, le seul moyen décisif pour les Etats-Unis d'imposer
leur autorité est de s'appuyer sur l'instrument pour lequel ils
disposent d'une supériorité écrasante sur tous
les autres Etats : la force militaire. Ce faisant, les Etats-Unis sont
pris dans une contradiction :
- d'une part, s'ils renoncent à la mise en œuvre ou à
l'étalage de leur supériorité militaire, cela ne
peut qu'encourager les pays qui contestent leur autorité à
aller encore plus loin dans cette contestation ;
- d'autre part, lorsqu'ils font usage de la force brute, même,
et surtout, quand ce moyen aboutit momentanément à faire
ravaler les velléités de leurs opposants, cela ne peut
que pousser ces derniers à saisir la moindre occasion pour prendre
leur revanche et tenter de se dégager de l'emprise américaine."
(Résolution du 12e congrès du CCI, Revue Internationale
n°90).
Une telle analyse permet de comprendre non seulement les raisons de
la première guerre du Golfe en 1991 mais aussi pourquoi, depuis
lors, les Etats-Unis se trouvent contraints de renouveler et amplifier
les démonstrations de force face à celles, aussi de plus
en plus téméraires, lancées contre leur autorité.
Les interventions militaires américaines n'ont cependant pas
pour fonction unique de rappeler de façon menaçante qui
est le seul gendarme du monde et qui, seul, a les moyens de l'être.
A travers elles, ce sont aussi un ensemble de positions stratégiques
que conquièrent les Etats-Unis. L'Irak constitue en l'occurrence
un maillon d'importance au sein d'une stratégie d'encerclement
des puissances européennes occidentales visant notamment à
bloquer l'avancée impérialiste de l'Allemagne, leur plus
dangereux rival impérialiste, vers les territoires slaves et
orientaux. Une telle importance se trouve encore accrue du fait des
réserves pétrolières de son sous-sol, et plus globalement
de celui du Moyen-Orient dont dépend en grande partie l'économie
du Japon mais aussi de certains pays européens. Si les Etats-Unis
parvenaient à un contrôle absolu sur les fournitures de
l'Europe ou du Japon en hydrocarbures, cela voudrait dire qu'ils seraient
en mesure d'exercer le plus puissant des chantages sur ces contrées
en cas de crise internationale grave : ils n'auraient même pas
besoin de les menacer de leurs armes pour soumettre ces pays à
leur volonté.
Pour prendre la mesure de l'évolution de la contestation de l'autorité
des Etats-Unis par leurs anciens alliés depuis la disparition
des blocs, il suffit de se remémorer les timides tentatives effectuées
en 1990 par l'Allemagne et la France visant à "saboter la
guerre" en dépêchant en Irak leurs propres conciliateurs
en vue de faire reculer Saddam Hussein. On était alors loin des
déclarations tonitruantes actuelles de la part de l'Allemagne
et de la France contre la politique américaine. Plus spectaculaire
encore, et également significative de la situation actuelle,
est l'attitude de la Corée du Nord qui, en paroles et en actes,
défie ouvertement l'autorité américaine non seulement
en remettant en cause unilatéralement les accords qui lui interdisent
la poursuite de son programme nucléaire mais aussi en accusant
publiquement les Etats-Unis d'être à l'origine d'une telle
mesure discriminatoire à son encontre. Sachant les Etats-Unis
occupés par d'autres problèmes, il s'agit pour la Corée
de profiter de la situation afin de renégocier avec l'Oncle Sam,
à des meilleures conditions, le respect des accords aujourd'hui
dénoncés avec force publicité. Néanmoins,
il y a tout lieu de penser qu'elle a été poussée
dans cette démarche par d'autres puissances régionales,
elles aussi intéressées à pouvoir défier
l'autorité américaine. Ainsi, dans le sillage des déclarations
de Pyongyang, la Chine et la Russie se sont précipitées
pour déclarer qu'il ne fallait pas dramatiser la situation et
qu'elles-mêmes prenaient en charge son règlement pacifique.
Et dans le même temps la Russie mettait de nouveau à profit
l'étroitesse de la marge de manœuvre actuelle des Etats-Unis
en déclarant ouvertement qu'elle va aider l'Iran dans la poursuite
de son programme nucléaire, lequel pourtant a déjà
valu à ce pays des menaces explicites de représailles
de la part des Etats-Unis.
Jamais à la veille d'une intervention militaire programmée
des Etats-Unis, on n'avait assisté à une telle contestation
de leur leadership mondial. Ce fait a toute son importance dans la mesure
où il pourrait avoir des incidences, non pas sur la capacité
des Etats-Unis à renverser militairement Saddam Hussein, même
à eux seuls, mais sur les implications d'une telle intervention
et surtout de ses suites. En effet, l'hostilité qu'elle suscite
dans le monde est aussi présente dans la population américaine
où elle pourrait prendre un nouvel élan s'il devait y
avoir des morts du côté américain. Comme la bourgeoisie
américaine l'a clairement annoncé, son intention est de
prendre pied en Irak et d'administrer le pays. Il y a là le risque
d'un enlisement dans un environnement qui sera d'autant plus agressif
que l'opposition à l'intervention américaine aura dès
le départ suscité une forte hostilité, tant dans
la région que dans le monde.
La bourgeoisie américaine est parfaitement consciente des difficultés
qui sont devant elle. Il s'est d'ailleurs exprimé en son sein
des divergences portant non pas sur la nécessité de poursuivre
l'offensive mais sur la meilleure manière de le faire en évitant
de se retrouver isolés sur la scène internationale. C'est
d'ailleurs la prise en compte de ce facteur qui a amené les Etats-Unis
à changer leur fusil d'épaule à l'automne dernier
en tentant de faire parrainer par l'ONU une intervention militaire en
Irak (voir à ce propos notre article "Menaces de guerre
contre l'Irak" dans la Revue Internationale n°111).
La détermination de fer qu'ils ont jusqu'à présent
affichée en faveur d'une telle intervention les autorise à
présent difficilement à reculer maintenant pour tenter
de se créer des conditions plus favorables. C'est une des raisons
pour laquelle ils tentent d'obtenir un départ "négocié"
de Saddam Hussein, lui proposant, à lui et à sa famille,
un sauf-conduit en déclarant renonçer par avance à
toute poursuite contre sa personne. Une telle issue serait tout bénéfice
pour les Etats-Unis qui ne manqueraient pas d'en attribuer les mérites
à leur fermeté et leur permettrait d'entrer en Irak à
moindre risque.
En dépit de leur hostilité actuelle affichée à
l'encontre de la politique américaine, on ne sait pas encore
quelle sera l'attitude de pays comme la France face à l'entrée
en guerre des Etats-Unis. Il est possible que certains opéreront
une volte face, en prétextant par exemple telle trouvaille de
dernière minute à charge de Saddam Hussein faite par les
inspecteurs en désarmement. S'ils participaient alors à
la guerre, ce serait non pas par allégeance aux Etats-Unis mais
parce que ce serait la condition pour continuer à pouvoir jouer
un rôle dans la région, voire un moyen de contrecarrer
les plans américains sur place. C'est d'ailleurs pour cette première
raison que la Grande-Bretagne a répondu présent depuis
le début, et non pas pour honorer une alliance "historique"
avec les Etats-Unis qui a fait long feu comme on l'a vu en Yougoslavie
depuis le début des années 1990.
Le rôle des fausses explications à la guerre
Partout dans le monde, la thèse de l'administration américaine
selon laquelle le renversement de Saddam Hussein se justifie par la
menace que représente son programme de fabrication d'armes de
destruction massive perd, jour après jour, de sa crédibilité.
Même aux Etats-Unis, où la population ne s'est pourtant
pas encore totalement remise de l'accès de patriotisme suscité
à dessein suite à l'attentat du 11 septembre, elle rencontre
un scepticisme croissant.
Et c'est là qu'intervient le mythe mensonger du pacifisme. Il
a pour fonction de canaliser la protestation contre la guerre sur un
terrain permettant d'éviter qu'elle ne débouche sur une
remise en cause radicale du système. Pour sauver la mise au capitalisme,
le pacifisme est capable de mettre en cause la responsabilité
de fractions "inadaptées" de la bourgeoisie, de condamner
de prétendues "aberrations du système", qu'il
suffirait de corriger. C'est fondamentalement d'une telle stratégie
idéologique de la bourgeoisie que relève l'explication
suivant laquelle la guerre préparée par le gouvernement
américain serait une "guerre pour le pétrole".
Un élu de Californie déclarait lors de la manifestation
pacifiste du 19 janvier dernier à San Francisco : "La Corée
du Nord possède l'arme nucléaire, mais l'on n'y va pas.
L'Irak ne l'a pas, mais l'on s'y précipite. La différence
? Voyons … Le pétrole !" En d'autres termes, ce qui
intéresserait fondamentalement les Etats-Unis conduits par un
président lui-même lié aux pétroliers américains,
c'est de faire main basse sur les réserves de pétrole
de l'Irak pour s'approprier les profits faciles de sa vente.
Une telle explication est totalement en contradiction avec la réalité
même des précédents conflits en Afghanistan, en
Yougoslavie et même en Irak en 1991 qui, on l'a vu, ont coûté
énormément et n'ont pas permis aux vainqueurs de se payer
en nature, que ce soit avec du pétrole ou autre chose. Elle vise
en fait à masquer la réalité de la dynamique actuelle
d'une spirale infernale mue par les forces aveugles du capitalisme en
crise et qui entraînent tous les pays dans la guerre. Si aucun
pays n'échappe à cette course folle, ce sont néanmoins
les grandes puissances qui sont à l'offensive, soit de façon
conventionnelle, soit par la manipulation du terrorisme, et qui détiennent
entre leurs mains des moyens de destruction capables de créer
des dommages croissants et irréparables à la civilisation.
Luc (23 janvier)