Soumis par Internationalisme le
Le triple attentat du 24 avril à Dahab, station balnéaire égyptienne au plus haut de la fréquentation touristique, faisant près de 30 morts et 150 blessés, est venu rappeler aux populations du monde que nul n’est à l’abri de la fureur terroriste et guerrière qui gagne la planète. Et ce ne sont pas les "condamnations unanimes" et les déclarations hypocrites des hommes d’Etat chez qui cet attentat "soulève des sentiments d’horreur et d’indignation" ou qui rejettent cet acte de "violence odieux" qui vont y changer quelque chose.
Au contraire, cette attaque visant des innocents venus passer quelques jours de vacances a constitué pour eux une nouvelle occasion, derrière leurs larmes de crocodile, de réaffirmer leur "combat contre le terrorisme", c’est-à-dire la continuation et la perspective d’autres massacres, à plus grande échelle.
On peut aujourd’hui mesurer l’efficacité de cette prétendue "lutte sans merci" contre le "fléau terroriste", pour la "paix et la stabilité", menée par les grandes puissances, Etats-Unis en tête, à l’aune de la barbarie qui a littéralement explosé dans de nombreuses régions du monde. Jamais les foyers de tensions guerrières, d’affrontements militaires, d’attentats aveugles à répétition, dans lesquels les puissances grandes et moins grandes ont une responsabilité directe, n’ont été aussi présents, de l’Afrique à l’Asie en passant par le Moyen-Orient, menaçant sans cesse de gagner de l’ampleur.
L’échec de l’offensive militaire et politique des Etats-Unis
La guerre en Afghanistan et celle en Irak ont consisté en une suite de désastres avec pour résultat l’extension du chaos et l’impossibilité d’un retour à une quelconque stabilité dans ces pays, de même qu'une instabilité grandissante dans les zones géographiques alentour.
Concernant l’Irak, sa dévastation et les horreurs qui s’y déroulent quotidiennement parlent d’elles-mêmes et ne font qu'annoncer la poursuite.d'un enfoncement dans l’enfer des affrontements armés ouverts ou larvés. Nous ne reviendrons pas ici sur la situation de ce pays dont nous avons traité en détail le mois dernier (voir RI n° 367).
En Afghanistan, dont l’invasion par les troupes de la coalition américaine avait été "légitimée" par la lutte contre le terrorisme incarné par Ben Laden, suite aux attentats du 11 septembre sur les Twin Towers, c’est le marasme le plus complet. Le gouvernement de Kaboul est l’objet d’attaques incessantes et la capitale est régulièrement sous le feu de tirs de roquettes provenant des différentes cliques pachtounes et afghanes en lutte pour le pouvoir. Dans le Sud et l’Est du pays, les taliban ont repris du terrain à coups d’attentats et d’opérations commando. Aussi, les Etats-Unis ont-ils été contraints de mettre sur pied, ce mois-ci, une nouvelle opération de police militaire, appelée "Mountain Lion", forte de 2500 hommes soutenus par une aviation particulièrement impressionnante. Il est clairement établi que les objectifs de cette opération sont d’opérer des destructions massives équivalentes à celles de 2001 et 2002. Cependant, les médias voudraient en masquer l’importance à l’instar du département d’Etat américain qui souligne le caractère surtout "psychologique" de cette nouvelle offensive car il s’agirait d’abord " "d'impressionner les néo-talibans et de stopper l'impression qu'ils ont le dessus", aussi bien aux yeux de la population afghane qu'il s'agit de "rassurer" que de l'opinion publique internationale" (Le Monde du 13 avril). C’est ce qui s’appelle de la dissuasion psychologique massive.
Au Moyen-Orient, c’est un enfoncement dans une barbarie encore aggravée qui s'annonce. Non seulement les Etats-Unis ont été incapables d’imposer un consensus entre Israël et l’Autorité palestinienne, mais leur impuissance à modérer la politique agressive et provocatrice de Sharon a poussé à la crise politique tant dans les territoires occupés qu’en Israël même. Ainsi, les différentes fractions politiques israéliennes se déchirent à qui mieux mieux. Mais c’est surtout du côté palestinien que l’échec est le plus retentissant avec l’arrivée en force du Hamas, fraction palestinienne particulièrement rétrograde et radicalement anti-israélienne, et de surcroît opposée au Fatah. Ainsi, c’est à l’arme à feu que les deux camps palestiniens règlent leurs comptes dans la bande de Gaza, véritable cocotte-minute de 1 600 000 habitants (la plus grande concentration humaine au monde) dont 60% de réfugiés, de plus en plus réduits à la misère par l’arrêt de l’Aide internationale et à l’oisiveté par les barrages et les filtrages de l’armée israélienne empêchant la population d’aller travailler en Israël.
La construction par l’Etat israélien du "mur de l’apartheid" en Cisjordanie ne peut qu’attiser encore plus les tensions et pousser à une radicalisation vers le terrorisme une population palestinienne pressurée, méprisée et de plus en plus embrigadée derrière les groupes islamistes. Lorsque le mur sera achevé, 38 villages regroupant 49 400 Palestiniens seront enclavés et 230 000 résidents palestinien de Jérusalem vont se trouver du côté israélien de la ligne de séparation. Globalement, cette construction va aboutir à un enclavement de la population dans une série de "bantoustans" isolés les uns des autres.
L’offensive de l’Iran, véritable épine dans le pied de l’impérialisme américain
Engagé depuis juin 2003, le bras de fer entre l’Iran et les grandes puissances sur le sujet de la maîtrise du nucléaire par Téhéran s’était particulièrement durci l’été dernier pour atteindre aujourd’hui un point culminant. En effet, avec l’ultimatum lancé par le Conseil de sécurité des Nations Unies intimant à l’Iran la cessation, avant le 28 avril, de toute activité d’enrichissement d’uranium et le refus de ce pays de s’y soumettre, les tensions diplomatiques se sont brutalement exacerbées. Dans un contexte international où la folie guerrière du monde capitaliste ne cesse de s’étaler au grand jour et dans une région de la planète où les tueries quotidiennes font rage, l’épreuve de force ouverte entre l’Etat iranien et les Nations-Unies est lourde de périls. Elle contient le risque d’une nouvelle extension et aggravation de la barbarie.
Il est évident que l’Iran fait son possible pour se doter de l’arme nucléaire, et cela depuis 2000. Les discours de ses dirigeants sur l’utilisation exclusivement "pacifique" et "civile" de ses capacités de produire du nucléaire sont des mensonges purs et simples. Anciennement tête de pont du bloc américain puis relégué au rang de puissance faisant figure d’arriérée dans les années qui ont suivi le règne de Khomeiny, saigné en vie humaines et sur le plan économique par la guerre contre l’Irak au milieu des années 1980, ce pays a progressivement repris du poil de la bête dans les années 1990. Bénéficiant de l’aide militaire russe et de l’affaiblissement de l’Irak (son rival historique pour le contrôle du Golfe persique) suite à la première Guerre du Golfe et aux attaques répétées des Etats-Unis contre Bagdad, jusqu’à l’offensive américaine définitivement destructrice de 2003, l’Iran veut aujourd’hui clairement s’afficher comme la puissance régionale avec laquelle il faut de nouveau compter. Ses atouts ne sont pas négligeables. Cela explique les déclarations de plus en plus provocatrices et méprisantes, de la part des gouvernants iraniens, à l'encontre des Nations-Unies, et surtout des Etats-Unis.
L’Etat iranien, avec le retour au pouvoir de la fraction la plus réactionnaire et la plus islamiste, se présente comme un Etat fort et stable, alors qu’autour de lui, en Irak comme en Afghanistan, c’est le chaos qui règne en maître. Cette situation lui permet d’opérer une offensive idéologique pro-arabe pour se faire valoir comme le fer de lance d’une identité pan-islamique "indépendante" (au contraire de l’Arabie Saoudite présenté comme étant à la solde des Etats-Unis) à travers son discours anti-israélien et son opposition ouverte à l’Amérique.
L’incapacité de Washington à faire régner la pax americana en Irak et en Afghanistan vient donner du grain à moudre à cette propagande anti-américaine et donner du crédit aux déclarations iraniennes suggérant l’inanité des menaces de la Maison Blanche.
La situation en Irak elle-même n’a pu que renforcer les velléités militaires de l’Iran. Outre l’échec évident de Bush, la présence dans la population et au sein du gouvernement irakien d’une forte prédominance de la confession chiite, comme en Iran, est venue stimuler les appétits impérialistes iraniens stimulés par la perspective d'une plus grande influence, à la fois dans ce pays et dans le Golfe persique.
Mais ce sont également les dissensions patentes entre les différents pays participants au Conseil de Sécurité des Nations Unies qui font les choux gras de l’Etat iranien. Ainsi, bien que l’ensemble de ces pays se déclarent "opposés" à la perspective d’un Iran doté de l’arme nucléaire, les divisions ouvertes entre eux constituent un levier supplémentaire permettant à Téhéran de pouvoir hausser le ton face à la première puissance mondiale. Si les Etats-Unis et la Grande-Bretagne réagissent en brandissant la menace d'une intervention, on voit par contre la France se déclarer contre toute intervention militaire en Iran. De leur côté, la Chine et la Russie, tout comme l’Allemagne (qui opère actuellement un rapprochement circonstanciel avec la Russie), sont irréductiblement contre toute mesure de rétorsion qui serait imposée à l’Iran, et encore plus de façon militaire. Il faut se rappeler que ces deux pays, Moscou en tête, ont fourni du matériel à l’Iran pour qu’il puisse développer son arsenal nucléaire.
Devant cette situation, l’administration Bush est dans une situation difficile. La provocation iranienne la contraint à réagir. Cependant, quelle que soit l’option militaire que les Etats-Unis seraient amenés à retenir, a priori celle de frappes aériennes ciblées (sur des cibles mal identifiées et souvent au cœur des grandes villes), une intervention sans risque sur le plan intérieur. Cette nouvelle phase de la guerre au Moyen-Orient est à même d'attiser le sentiment anti-guerre qui se développe au sein de la population américaine de plus en plus opposée à la guerre en Irak.
Mais c’est également à une radicalisation des pays arabes et de tous les groupes islamistes que l’Amérique devrait faire face, sans compter avec des vagues d’attentats dont l’Iran a clairement exprimé la menace à de nombreuses reprises.
Quelle que soit l’issue de la "crise iranienne", il n’est de toute façon pas douteux qu’elle débouchera sur une aggravation des tensions guerrières, entre les pays du Moyen-Orient et les Etats-Unis, mais aussi entre la première puissance mondiale et ses rivaux des pays développés, qui n’attendent qu’un nouveau faux pas de la Maison Blanche pour "marquer des points" contre elle en la désignant comme fauteur de guerre. Quant au sort des populations qui seront, comme tant d'autres avant elles, décimées par la guerre, c'est le dernier des soucis de tous ces brigands impérialistes, petits ou grands.
Mulan / 25.4.06