Soumis par Revue Internationale le
Le texte d'Internationalisme n°36 (juillet 1948) publié ci-dessous est une critique des faiblesses politiques et organisationnelles du Parti Communiste Internationaliste à ses débuts. Nous avons déjà réédité à plusieurs reprises des articles polémiques d'Internationalisme contre le PCI (Voir les Revues Internationales n°32, 33, 34 notamment). Le texte ci-dessous, en passant en revue l'ensemble des positions du PCI à son 2ème Congrès, permet de donner une idée précise de ce qu'étaient les orientations de ce groupe. Les faiblesses critiquées à l'époque existent encore aujourd'hui -flou sur les questions nationale et syndicale, sur le rôle, la fonction et le fonctionnement de 1'organisation révolutionnaire, absence de perspectives claires sur la période, etc.- et n'ont fait que s'accentuer jusqu'à provoquer la dislocation quasi-totale du principal continuateur du PCI, Programme Communiste, 1'an dernier (Voir la Revue Internationale n°32). Elles ne sont pour autant pas les faiblesses du seul PCI-Programme Communiste et ces questions doivent être abordées par 1 'ensemble des groupes révolutionnaires. C'est pourquoi nous republions ce texte à 1'occasion de la discussion suscitée par 1' "Adresse aux groupes politiques prolétariens" (Revue Internationale n°35) que le CCI a lancée face à la crise et à la dispersion actuelles du milieu révolutionnaire (Voir l'article de réponse aux réponses à 'adresse dans ce numéro). L'avant-propos, extrait de la réédition précédente de ce texte, fait allusion à plusieurs textes : nous n'en republions ici qu'un seul ; les autres textes se trouvent dans le Bulletin d'Etudes et de Discussion de Révolution Internationale n°7, juin 1974.
AVANT-PROPOS
Les textes que nous publions plus loin sont des controverses souvent passionnés qui ont agité les extraits ([1]) et des articles parus dans "Internationalisme", organe du groupe Gauche Communiste de France. Ces textes, qui datent de près de 30 ans, totalement inconnus pour la grande majorité des militants, présentent cependant un grand intérêt aujourd'hui encore.
La lutte révolutionnaire du prolétariat pour son un mouvement historique. Une fois surgies, on ne saurait concevoir les luttes comme un commencement nouveau telle que le prétendent tant de groupes qui viennent de surgir ([2]) , mais seulement comme leur continuation et leur dépassement. L'histoire de la lutte révolutionnaire n'est pas une addition de moments morts mais tout un mouvement vivant qui se poursuit et se continue contenant en lui son"passé". Il ne saurait y avoir de dépassement sans contenir les acquis des expériences passées. En publiant ces écrits vieux de 30 ans, nous entendons contribuer à une meilleure connaissance d'une période particulièrement obscure et ignorée, celle qui suit la 2ème guerre mondiale, et les débats et controverse souvent passionné qui ont agité les faibles groupes révolutionnaires d'alors. Si la proche perspective est aujourd'hui tout autre qu'alors, les problèmes soulevés dans la discussion, leur compréhension et solution demeurent toujours au centre de la préoccupation des groupes et militants révolutionnaires d'aujourd'hui. Tels sont : les problèmes de l'analyse de la période historique que nous vivons, les guerres impérialistes, la nature et la fonction des syndicats, les mouvements dits de libération nationale, le parlementarisme, les problèmes de la révolution prolétarienne, les tâches des révolutionnaires, les rapports Parti Classe, et tout particulièrement celui du moment historique de la constitution du Parti
LA GAUCHE ITALIENNE : MYTHE ET REALITE
Le PCI (Programme Communiste) prétend être la continuation organique ininterrompue de la Gauche Italienne, continuation à la fois organisationnel et politique. C’est là un mythe. Seule l’ignorance de la plupart des propres membres du PCI et le silence prudent des autres lui donnent force et un semblant de vérité. Une fois exclue du PC, la Gauche Italienne se constitue en Fraction à l’étranger (Pantin 1929). Jusqu'en 43-45, la Fraction à l'étranger sera la seule organisation de la Gauche Italienne. En Italie même ne subsistera aucun groupe organisé et les anciens militants seront dispersés et réduits par la répression à une inactivité totale. Quand en 43-45 se constitue en Italie le PCI, cela se fait indépendamment de la Fraction et séparément d'elle - aussi bien sur le plan organisationnel que politique. Le PCI ne s'est d'ailleurs jamais réclamé comme continuité organique de la Fraction et est toujours ambigu quant à considérer la Fraction comme une expression et continuité de la Gauche Italienne. Il s'ensuit que la continuité organique tant réclamée a existé avec un trou d'interruption de près de 20 ans (et quels 20 ans !) , ou bien qu'elle n'a jamais existé et n'est qu'un mythe qu'elle entretient pour des raisons de convenance particulière et de mystification.
L'activité de la Fraction Italienne jusqu'à sa dissolution en 1945 constitue une très importante contribution au développement de la théorie communiste, de même que ses prises de position politiques face aux événements sont profondément enracinées sur le terrain de la classe révolutionnaire et c'est autour de la Fraction Italienne que vont se former des groupes en Belgique et en France pour constituer la Gauche Communiste Internationale.
Il est nécessaire de prendre connaissance des positions de la GCI, de lire leurs textes, et tout particulièrement la revue BILAN, même dans leur forme de "balbutiement" (comme ils le disaient eux-mêmes) pour se rendre compte et mesurer tout le recul et régression que représentent les positions politiques actuelles du PCI par rapport à la GCI.
LA CRISE ET LA FIN DE LA "GAUCHE COMMUNISTE INTERNATIONALE".
La GCI ne représente pas, en vérité, tout le courant de la Gauche Communiste issu de la 3ème Internationale, mais seulement une de ses branches ; les autres branches sont la Gauche Allemande, la Gauche Hollandaise et aussi la Gauche Anglaise. Mais elle se présente d'une façon plus homogène, plus organisée et dans une certaine mesure plus cohérente. Cela lui permettra de résister plus longtemps à la pression terrible qu'exercent sur les révolutionnaires les défaites successives du prolétariat, la dégénérescence de l'I.C, le triomphe de la contre-révolution stalinienne en Russie et l'ouverture d'un cours de réaction généralisée et enfin la guerre impérialiste. Subissant cette écrasante pression des événements, la GCI s'efforce de dégager les enseignements, afin qu'ils puissent servir de matériaux programmatiques pour et dans la reprise de la lutte de classe du prolétariat. Un tel travail pour si grand qu'ait été l'effort et le mérite de la GCI, n'allait pas sans défaillances et vacillations.
Dans une période générale de recul, chaque nouvel événement devait produire une nouvelle réduction numérique de l'organisation, et provoquer de graves perturbations politiques. Aucun groupe révolutionnaire ne peut prétendre être à l'abri et présenter une garantie à l'influence pernicieuse des événements. Pas plus que d'autres, la GCI n'y a échappé. La guerre d'Espagne a été une première secousse, provoquant discussion et scission, l'approche et l'éclatement de la seconde guerre mondiale a profondément ébranlé la GCI, provoquant des divergences gui allèrent se creusant, ouvrant une crise profonde en son sein. Les textes que nous publions ci-dessous donnent une idée assez exacte des divergences qui opposaient les tendances, et qui devaient aboutir à la dissolution des Fractions et leur absorption par le nouveau Parti créé en Italie d'une part, et au surgissement de la Gauche Communiste de France et sa séparation d'avec la GCI d'autre part.
LA DISSOLUTION DES FRACTIONS.
Les deux premiers textes portent essentiellement sur la question de la dissolution de la Fraction Italienne. C'est alors une question centrale, non seulement parce que la dissolution signifiait un arrêt brusque de clarification nécessaire des problèmes débattus mais aussi parce que cela constituait un abandon de positions défendues de façon acharnée par la Fraction durant toute son existence, et touchant à la conception même du Parti et impliquant une analyse fausse de la période et de la perspective.
L'existence du Parti est étroitement liée et conditionnée par la période et l'état de la lutte de classe du prolétariat. Autant dans une période de développement des luttes la classe sécrète en son sein l'organisation politique : le Parti ([3]) organe de mobilisation politique de la classe, autant les défaites décisives ouvrant une longue période de recul entraînent inévitablement la disparition ou la dégénérescence du Parti. Dans de telles périodes, quand la contre-révolution a eu raison de la classe et de ses organisations, vouloir reconstituer le Parti à nouveau relève d'une conception volontariste et mène à l'aventurisme et au pire opportunisme. C'est contre une telle conception volontariste de construction artificielle, préconisée par Trotski que la Gauche Communiste a livré, dans les années 30, les plus violentes batailles.
La proclamation du PCI en Italie s'est faite sans s'embarrasser d'aucune analyse du moment ni de la perspective. Tout comme les trotskystes, cela fut un acte de pur volontarisme. Mais plus fondamental encore est le fait que la constitution du nouveau Parti, le PCI d'Italie, s'est faite sans aucun lien ni organisationnel, ni politique, avec la Fraction Italienne de la Gauche Communiste. La Fraction est cet organisme révolutionnaire vivant qui surgit et subsiste une fois que l'ancien Parti a été happé dans l'engrenage de la contre-révolution et détruit comme organisation de classe.
La Fraction ne saurait "se dissoudre" pour renter ensuite et individuellement dans un Parti, constitué à part et indépendamment d'elle. Ceci est par définition impossible et politiquement inconcevable. La dissolution de la Fraction Italienne et l'entrée de ses membres dans le PC d'Italie, formé hors et indépendamment d'elle, constituaient le pire liquidationnisme et un suicide politique. On comprend que la GCF se soit catégoriquement refusée à s'associer à une telle politique et qu'elle l'ait critiquée violemment.
La continuité organique de la Fraction n'existe pas aujourd'hui. Elle a été coupée, interrompue par cinquante ans de réaction. Cependant, la question de la dissolution garde tout son intérêt pour les révolutionnaires qui surgissent aujourd'hui. Ces groupes sont le produit et l'expression de la nouvelle période que nous vivons de reprise de luttes de classe. Ils sont donc les noyaux du futur Parti. Ce futur Parti ne sera pas un surgissement spontané du néant mais bien le résultat du développement et de l'accentuation de la lutte de classe et de l'oeuvre de groupes révolutionnaires existants. On ne saurait parler de la dissolution de ces groupes précédant un hypothétique Parti, sorti on ne sait trop d'où. Une telle vision enlève toute signification et toute valeur à l'activité de ces groupes. Au contraire, on doit voir dans l'existence et l'activité de ces groupes les matériaux avec lesquels se construira le futur Parti. Leur dissolution et la constitution du Parti ne sont pas des actes séparés dans le temps mais un acte simultané. On peut, avec plus de raisons, parler de leur transformation en Parti que de leur "dissolution" parce qu'ils sont des éléments constitutifs du futur Parti. Loin d'être prétention et auto flatterie, cette vision donne le sens et la gravité de la responsabilité que portent les groupes et leur activité, et qu'ils doivent savoir assumer pleinement. Toute autre vision est bavardage et dilettantisme.
Le PCI prétend à une continuité invariante de son programme et de ses positions. Sa pratique politique serait irréprochable et est donnée en exemple de pureté révolutionnaire. La lecture des textes que nous publions fait table rase de cette légende. C'est avec surprise et étonnement que beaucoup de lecteurs apprendront la véritable histoire et la somme de confusions et d'erreurs sur lesquelles se constitue le PCI. De la proclamation du Parti à l'analyse de la période de l'après-guerre, des élucubrations sur l'économie de guerre à la participation au Comité anti-fasciste à Bruxelles, de la participation aux élections à la prise de position sur la question des syndicats, tout annonce un éclectisme et un opportunisme politique. Cela donne toute la mesure qui sépare le PCI de la Fraction et l'énorme régression du premier par rapport à la seconde. C'est avec intérêt qu'on lira les critiques acerbes qu'en fait INTERNATIONALISME. On doit constater que ces critiques se sont avérées pleinement justifiées et restent valables aussi aujourd'hui en face des erreurs invariables du PCI.
Juan.
LE DEUXIEME CONGRES DU P.C.I. EN ITALIE (1948)
Sur la base de divers compte-rendus, écrits et oraux, on peut se faire une idée assez précise de ce qu'a été le Congrès du PCI d'Italie,
Nous avons d'abord celui publié dans notre dernier Internationalisme, qui donne une idée assez complète des débats du Congrès.
Dans la Battaglia Communista) organe du PCI d'Italie et dans Internationalisme, organe de la fraction belge, nous trouvons des articles traitant des travaux du Congrès.
Enfin la réunion publique organisée par la fraction française.
L'impression générale qui se dégage est comme l'a écrit le camarade Bernard en tête de son article, que cela " aurait pu ne pas être un Congrès car les problèmes traités l'ont été d'une manière plutôt étriquée ".
Pour s'en convaincre, il suffit de lire la presse du PCI d'Italie, et de ses sections en Belgique et en France. Le délégué de France a dit dans son compte-rendu oral :"Le Congrès n'a traité d'aucun des problèmes fondamentaux n'a fait aucune analyse poussée de l'évolution actuelle du capitalisme et de ses perspectives. De tout son ordre du jour, il n'a discuté que les possibilités d'action du parti dans la situation présente"
De son côté, la fraction belge, dans son dernier bulletin, consacre au Congrès un article d'une petite page ronéotypée dans lequel elle se contente de donner "résumées grosso modo les deux tendances qui se révélèrent au Congrès" et de conclure que celui-ci a décidé "d'entreprendre une discussion approfondie sur l'analyse du capitalisme dans son stade actuel".
Que nous sommes loin des fanfaronnades qui accompagnèrent la formation du Parti en 1945, des salutations enthousiastes et grandiloquentes sur la " reconstruction du premier Parti de classe dans le monde par le prolétariat italien", et de tout le bluff qui a continué pendant deux années autour de l1 activité et des succès de masses de ce Parti.
Aujourd'hui, le résultat de trois années d'activisme a ramené les camarades à plus de modestie et à des réflexions plutôt amères malgré certains jeunes néophytes comme la déléguée française qui ne peut terminer son compte-rendu sans finir, comme c'est la tradition en Russie, par cette phrase : " Et nous disons merci au PCI d'Italie".
LE RECRUTEMENT: OBJECTIF NUMERO UN DU PARTI
Pendant la première période, le Parti s'est laissé griser par son recrutement. A ce recrutement il a sacrifié la clarté des positions politiques, évitant de pousser trop à fond les problèmes pour ne pas "gêner"la campagne de recrutement et ne pas "troubler" les adhérents déjà acquis. Farouchement et catégoriquement il a tenu a ne pas porter, ni devant les ouvriers ni devant les membres du Parti ni devant la Conférence constitutive de fin 1945, la discussion sur la lamentable expérience de la participation d'une de ses sections et des camarades, futurs dirigeants du Parti, au Comité de Coalition Antifasciste italien de Bruxelles. Expérience qui a duré depuis la libération jusqu'à la fin de la guerre et que ces camarades continuèrent à revendiquer comme politique juste et révolutionnaire. Toujours pour ne pas "gêner" le recrutement et peut-être aussi parce qu'on a soi-même partagé cette conception (ce qui serait plus grave), on flatte les ouvriers qui faisaient partie de ces organismes militaires qu'étaient les diverses formations armées de la Résistance. A leur sujet, la plateforme du Parti adoptée à 3a Conférence de 1945 dit :
" En ce qui concerne la lutte partisane et patriotique contre les allemands et les fascistes, le Parti dénonce la manoeuvre de la bourgeoisie internationale et nationale qui avec sa propagande pour la renaissance d'un militarisme d'Etat officiel (propagande qu'elle sait vide de sens) vise à dissoudre et à liquider les organisations volontaires de cette lutte qui dans beaucoup de pays ont déjà été attaquées par la répression armée".
Et tout en mettant en garde contre les illusions suscitées par ces organisations parmi les ouvriers, la plateforme les caractérise ainsi : " ces mouvements qui n'ont pas une organisation politique suffisante (à part d'être "partisane et patriotique", que fallait-il donc de plus au PCI ?) expriment tout au plus la tendance des groupes prolétariens locaux à s 'organiser et à s 'armer pour conquérir et conserver le contrôle des situations locales et donc du pouvoir".
Ainsi, pour ne pas risquer sa popularité et les possibilités de son recrutement, le parti s'est gardé de les dénoncer pour ce qu'elles étaient réellement, et pour le rôle qu'elles jouaient, et a préféré flatter les ouvriers de "ces tendances qui constituent un fait historique de premier ordre".
Tout aussi bien que sur cette question, le PCI n'a pas eu le souci de pousser plus à fond l'analyse de l'évolution du capitalisme moderne.
Nous trouvons, bien sûr, et même très couramment, l'affirmation que le capitalisme évolue vers une forme nouvelle, le capitalisme d'Etat, mais le Parti n'avait pas pour autant une idée précise de ce qu'est exactement le capitalisme d'Etat, ce que cela signifie historiquement et de ce que cela comporte comme transformations profondes des structures du système capitaliste.
Dans le § 14 où est traité le problème du capitalisme d'Etat, la plateforme parle de "ré accumulation des richesses entre les mains des entrepreneurs et des bureaucrates d'Etat qui ont leurs intérêts liés à ces derniers ". N'ayant vu dans le capitalisme d'Etat que l'unité de classe des Etats avec les entrepreneurs privés face au prolétariat, mais n'ayant pas vu ce qui les oppose et distingue les premiers des seconds, la plateforme dénonce "des mots d'ordre ineptes de socialisation des monopoles qui ne servent qu'à travestir ce renforcement". Dans les nationalisations qui sont la structure économique du capitalisme d'Etat, la plateforme ne voit rien d'autre qu'une manoeuvre "des puissants monopoles industriels et bancaires "qui" feront payer à la collectivité le passif de la reconstruction de leurs entreprises".
Avec une telle analyse du capitalisme moderne et de ses tendances, qui n'allait pas plus loin que celle déjà énoncée en 1920, il était normal qu'on reprenne sur le plan de la politique, sans rien changer, les positions essentielles de la IIIème Internationale d'il y a 25 ans : le parlementarisme révolutionnaire et la politique syndicale.
Quels en étaient les résultats ? Après près de trois ans, le Parti enregistre la perte de la moitié de ses adhérents. Des groupes entiers de militants se sont détachés, les uns. pour former le groupe trotskyste POI, les autres la Fédération autonome de Turin, la majorité dans l'indifférence et le dégoût de toute activité militante.
Nous avons, en somme, la reproduction de ce qui s'est passé pour les partis trotskystes dans les autres pays. Le Parti n'a pas renforcé ses positions parmi les ouvriers. La fuite de la recherche théorique, l'imprécision et l'équivoque de ses positions ne lui ont pas davantage gardé ses militants. Dans son objectif numéro un qui était de recruter à tout prix, le renforcement numérique, le Parti enregistre aujourd'hui un fiasco, un échec cuisant qu'il n'était pas difficile de prévoir et de lui prédire.
UN PARTI SANS CADRES
Mais il y a encore une chose plus grave que la défection de la moitié des membres, c'est le niveau idéologique extrêmement bas des militants restant dans le Parti. Bernard nous parle de la " fonction scénique" de la majorité des délégués au Congrès, de leur non-participation aux débats. Frédéric disait que les délégués ouvriers estimaient que les analyses théoriques générales les dépassaient et ne pouvaient être leur fait, que ce travail incombe aux intellectuels.
Vercesi exprime cette vérité : " Pour courir derrière des chimères, le travail d'éducation des militants qui est dans un état déplorable a été négligé ". Encore que Vercesi porte une bonne part de responsabilité pour cet état déplorable auquel il a contribué pendant trois années par son refus de porter publiquement la discussion, de crainte de "troubler" les militants.
C'est le trait typique de toutes ces formations artificielles qui se proclament pompeusement partis, de ne pas comprendre que le fondement subjectif du nouveau parti ne se trouve pas dans le volontarisme mais dans l'assimilation véritable par les militants de l'expérience passée et dans la solution des problèmes contre lesquels l'ancien parti s'est heurté et s'est brisé. Avoir voulu agir sur la base de la répétition d'anciennes formules et positions, fussent-elles celles des Thèses de Rome, sans tenir compte des changements fondamentaux apportés par les 25 dernières années, c'était accrocher l'action dans le vide, user en vain les énergies et gaspiller des forces et un temps précieux qui devait et pouvait utilement servir à la formation des cadres pour le parti et la lutte à venir.
L'absence des cadres et la négligence de leur formation, voilà le plus clair du bilan révélé par le Congrès du PCI.
EXISTE-T-IL UN PARTI EN ITALIE?
Numériquement très réduit par la perte de la moitié de ses membres, absence de cadres, "manque complet d'une analyse de l'évolution du capitalisme moderne"(Vercesi), voilà pour ce qui est des conditions subjectives. Quant aux conditions objectives, période de concentration du capitalisme qui " a été conditionnée par la défaite internationale que le prolétariat a subie et par la destruction de celui-ci comme classe ". (Document de la CE à la suite du Congrès. Voir "Nos directives de marche" dans la Battaglia Communista du 3/10 juillet). Que reste-t-il donc des conditions nécessaires justifiant la construction du Parti ? Rien, strictement rien, sinon le volontarisme et le bluff, familiers aux trotskystes.
Au Congrès, le rapporteur Damen a essayé de justifier la proclamation du Parti. Nous laissons de coté l'argument qui veut que les ouvriers italiens soient "politiquement plus sains"'que ceux des autres pays. De tels arguments ne montrent rien d'autre que la persistance des sentiments nationalistes même chez des militants très avancés. L'ouverture d'un cours révolutionnaire ne peut que se faire à l'échelle internationale, de même la brisure avec l'idéologie capitaliste ne peut être une manifestation isolée du prolétariat révolutionnaire d'Italie en or d'un seul pays. Le patriotisme du prolétariat révolutionnaire d'Italie n'a pas plus de valeur que le patriotisme du socialisme en un seul pays. Cet argument donc mis à part, Damen justifie la proclamation du Parti par le fait qu'une fraction n'aurait pu servir de pôle d'attraction pour les ouvriers^ ce qui est vrai pour une période où les conditions pour la polarisation du prolétariat autour d'un programme révolutionnaire sont présentes, mais qui n'est absolument pas le cas en Italie, ni nulle part ailleurs.
Finalement, Damen énonce que la fraction n'a de raison d'être que tant qu'il s'agit "d'opposition et de résistance idéologique à 1'opportunisme dans le Parti jusqu'au moment de la lutte ouverte qui ne peut être menée que par un organisme politique qui ait les caractéristiques et les tâches du Parti?
Le même thème, nous l'avons entendu développé dans la réunion de la FFGC. Que de chemin à rebours parcouru depuis le Congrès de la Fraction Italienne de 1935 ! C'est là un argument type du trostkysme qui, pendant les années d'avant-guerre soutenait contre nous la thèse qu'avec la mort de l'ancien Parti, la condition est donnée pour la proclamation du nouveau Parti. Alors que c'est le contraire qui est vrai, la mort de ' l'ancien Parti ou son passage à l'ennemi de classe signifiant précisément l'absence de conditions pour l'existence du parti révolutionnaire. Ce Parti étant conditionné par une orientation révolutionnaire se manifestant dans le prolétariat.
Quand les camarades Vercesi et Daniels, au Congrès, nient que le PCI puisse réellement jouer un rôle de Parti, ils ne font que reprendre la thèse que nous avons développée depuis 1945 sur l'absence de conditions de constitution du Parti, et du même coup, ils reconnaissent implicitement que le PCI ne remplit pas davantage les tâches d'une fraction, c'est-à-dire l'élaboration programmatique et la formation de cadres. Nous n'avons ici rien d'autre que la traduction en italien des artifices et du comportement des trotskystes dans les autres pays.
Pour Damen, le Parti est un fait, "un coin enfoncé dans la crise du capitalisme". Si cela peut le consoler, nous lui apprendrons toutefois que les trotskystes ne voient pas différemment leur parti dans les autres pays.
Pour Vercesi n'existent ni le "coin enfoncé", ni "la brisure, même minime du capitalisme", ni le parti qui n'est qu'une fraction élargie.
Malheureusement dirons-nous, il n'existe en Italie ni parti, ni fraction élargie, ni influence sur les masses, ni formation de cadres. L'activité menée par le PCI tendant à compromettre l'immédiat de l'un et l'avenir de l'autre.
LA VERIFICATION DES PERSPECTIVES
Une orientation vers la fondation du parti pouvait avoir sa raison d'être dans la période de 1943 à 1945 qui s'ouvrait avec les événements de juillet 43 en Italie, la chute de Mussolini, le mécontentement grandissant en Allemagne, et qui permettait aux militants révolutionnaires d1 espérer un développement d'un cours de brisure avec la guerre impérialiste et la transformation de celle-ci en un vaste mouvement de crise sociale. L'erreur fondamentale des militants du PCI et surtout de ses sections en France et en Belgique fut de persister dans cette perspective après la fin des hostilités alors que les impérialismes russe et américain sont parvenus à occuper l'Allemagne, à disperser à travers le monde et à encadrer dans les camps de prisonniers les millions d'ouvriers allemands, en un mot à contrôler ce foyer capital de révolte et centre de la révolution européenne.
Mais loin de comprendre que la cessation de la guerre sans mouvement de révolte signifiait une défaite consommée par le prolétariat, une nouvelle période de recul ouvrant avec elle le cours vers la nouvelle guerre impérialiste, la GCI, au contraire, échafaudait des théories sur l'ouverture d'un cours de luttes de classes, voyait dans la fin de la guerre la condition de la reprise des luttes révolutionnaires où comme elle l'écrivait en corrigeant Lénine " la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile commence après la fin de la guerre".
Toute l'orientation de la GCI était basée sur cette perspective, et tous les événements étaient examinés sous cet angle. Ainsi, on prenait les événements sanglants d'Algérie, de Grèce, du Proche-Orient pour des prémisses de la crise révolutionnaire, on saluait les grèves économiques comme les mouvements de radicalisation des masses, on soutenait à fond le mouvement et l'action syndicale dont on se donnait pour tâche de conquérir la direction, enfin on préconisait comme tâche immédiate la construction dans tous les pays du Parti de classe. En même temps on se faisait des gorges chaudes, on raillait ces "pessimistes" que nous étions, ces "docteurs et théoriciens en chambre" pour qui on affichait un hautain mépris.
Aujourd'hui toute cette perspective est par terre. Et Vercesi est absolument dans le vrai, et ne fait que reprendre la critique que nous formulions contre le PCI quand il déclare : "L’interprétation que la guerre aurait ouvert un cycle révolutionnaire s’est révélée complètement fausse"'.
Si l'activité révolutionnaire n'a de valeur que pour autant qu'elle est fondée sur des précisions basées sur une analyse exacte de la situation et du cours, la reconnaissance par le Congrès du non fondé de la perspective signifie la condamnation implicite et l'écroulement de toute la politique et l'activité passée du Parti, basée sur cette perspective.
Toutefois, nous devons mettre en garde contre l'orientation exprimée par la tendance Vercesi postulant son analyse sur les "capacités de renaissance de l’économie capitaliste au travers du système de planification, de la disparition de crises cycliques et de la concurrence à l’intérieur des Etats". Cette conception n'est pas nouvelle; elle se rattache à la vieille théorie de renforcement économique du capitalisme, théorie dite de l'économie de guerre, et que nous avons à maintes reprises, avant et pendant la guerre, eu l'occasion d'analyser et de combattre.
Aujourd'hui, un nombre croissant de militants du PCI a ressenti et compris la stérilité d'un activisme en l'absence d'une analyse de la situation. Bien que cela vienne avec un retard de trois années, nous considérons ce fait comme le seul résultat positif qui s'est manifesté dans le Congrès. Nous souscrivons entièrement à l'idée de Daniels quand il déclare : " Les armes que possède le mouvement sont vieilles de 25 ans et toutes émoussées. Le capitalisme a transformé entre temps toute sa structure et toutes ses méthodes de lutte; le Parti de classe doit en faire autant s1il veut être un jour le guide de la classe ouvrière, et en préparer le réveil".
LA VIE INTERIEURE DU PARTI DISCIPLINE OU CONSCIENCE DES MILITANTS
Nous avons à plusieurs reprises, critiqué la tendance à la bureaucratisation dans le PCI d'Italie. Faisant allusion à cette critique, la déléguée française, dans son compte-rendu, de répliquer : "assistaient au Congrès et à ses débats souvent passionné pouvaient se rendre compte de la démocratie qui règne dans le Parti, et de la gratuité de l1accusation de bureaucratisation".
On pourrait avec autant de raison citer en exemple les assises des partis trotskystes et même des partis socialistes. Là aussi, on discute " librement" et passionnément. Ce qui importe n'est pas la plus ou moins grande démocratie dans les Congrès, mais de savoir sur quoi est basée l'activité des militants, sur la trique de la "discipline librement consentie" ou sur la conviction des positions et la plus grande conscience des militants ? La camarade citait le cas où le PCI excluait des militants pour divergences politique, et elle ajoutait : "comme tout Parti qui se respecte". En effet, le nombre des exclusions prononcées par le PCI est frappant, mais il faut ajouter qu'au grand jamais ces exclusions ne sont faites après les discussions dans l'ensemble du Parti, seule méthode qui aurait permis à ces crises d'être un moment de clarification des idées pour tous les militants, mais sont toujours prononcées par la direction.
Le Congrès a, par exemple, révélé l'existence de divergences profondes dans le Parti, mais en vain cherchera-t-on dans la presse du Parti et cela même dans les semaines précédent le Congrès la moindre discussion et controverse. Cela aurait évidemment risqué de troubler les membres, et porter atteinte au prestige et partant, à la discipline. On préfère non moins évidemment venir au Congrès pour constater, comme Vercesi : " II y a des délégués parlementaristes, d'autres favorables à une espèce de compromis avec le centrisme (stalinisme). La majorité est sans idées claires et suit des voies différentes selon les zones".
Plus catégorique et plus cinglant encore est Daniels, parlant pour ce qui concerne le Congrès lui-même. Il constate : " Il y a une tendance au Congrès à passer sous silence les erreurs du passé et à renoncer à discuter les problèmes qui peuvent provoquer d'amples débats, au travers desquels le Parti pourrait vraiment renaître à une vie nouvelle et mettre à nu tout ce qui, sous l'excuse de la défense des positions traditionnelles, cache d'opportunisme et empêche une claire élaboration idéologique et une conséquente assimilation de la part des militants".
C'est ainsi qu'on doit comprendre la vie intérieure saine de l'organisation et fonder la force, l'efficacité de l'activité de chacun des membres sur la continuelle et plus ample confrontation des idées, suscitée et entretenue par toute la vie du Parti.
Par contre, quand Maffi, grand chef du Parti, déclare s'être "abstenu de traiter tel problème" parce que " je savais que cette discussion aurait pu empoisonner le Parti", nous disons que ce souci manifeste incontestablement et au plus haut point la tendance à l'ossification et à la bureaucratisation de la vie intérieure de l'organisation.
Et c'est parce que c'est cette dernière conception qui prévaut dans le PCI que nous avons pu assister à cette fin absurde du Congrès dont nous parle Bernard, où "Vercesi s'est en quelque sorte excusé d'avoir été un trouble-fête et d'avoir amené le trouble parmi les militants". 'Parce que, en fin de compte, les uns pas plus que les autres n'admettent l'existence des tendances et des fractions au sein du Parti : pour les uns comme pour les autres, le Parti reste une organisation monolithique, homogène et monopoliste
LA QUESTION DE LA PARTICIPATION AUX ELECTIONS
Une des questions qui a provoqué les débats les plus orageux fut celle de la participation aux élections. Bien sur, personne ne préconise une politique de parlementarisme actif. Cela ressort moins d'une certitude de l'inutilité de l'action parlementaire que du fait que les forces présentes du Parti ne lui donnent aucune possibilité d'avoir réellement des élus. Aussi peut-on se permettre d'économiser un débat qui, de toute façon, ne serait que théorique, et comme tout débat théorique ne peut que "troubler inutilement le Parti". C'est pour la même raison que le Parti aux dernières élections pouvait se payer à bon marché d'être révolutionnaire à l'extrême, au point d'inviter les électeurs à ne pas voter, même pour lui. Mais nous connaissons déjà le cas d'un élu au conseil municipal qui a finalement trouvé de bonnes raisons pour garder son mandat d'élu. Après tout, la justification définitive de tout parlementarisme se trouve dans ces arguments théoriques donnés par Damen, pour justifier la participation du PCI à la campagne électorale. Damen dit : " Si la bourgeoisie est contrainte (?) d'adopter un moyen de lutte qui peut être exploité utilement par le parti de classe pour être retourné contre elle, l'avant-garde révolutionnaire ne peut renoncer à l'utiliser et à s'infiltrer dans la composition électorale".
Aucun trotskyste ne manquerait de souscrire à cette argumentation. C'est du pur et du pire Lénine de la Maladie Infantile du Communisme. La vérité est que le prolétariat ne peut utiliser pour sa lutte émancipatrice « le moyen de lutte politique» propre à la bourgeoisie et destinée à son asservissement. Il en était tout autrement à une période antérieure d'avant 1914 quand le prolétariat ne pouvait pas encore poser comme objectif concret immédiat, la transformation révolutionnaire de la société, d'où découlait la nécessité de lutter sur le terrain même du capitalisme pour lui arracher le maximum de réformes. Le parlementarisme révolutionnaire en tant qu'activité réelle n'a, en fait, jamais existé pour la simple raison que l'action révolutionnaire du prolétariat quand elle se présente à lui, suppose sa mobilisation de classe sur un plan extra-capitaliste, et non la prise des positions à l'intérieur de la société capitaliste, ce que Damen a appelle " l'utilisation" et " l'infiltration" intérieure.
La politique du parlementarisme révolutionnaire a largement contribué à corrompre les partis de la IIIème Internationale, et les fractions parlementaires ont servi de forteresses de l'opportunisme, aussi bien dans les partis de la IIIème qu'autrefois dans les partis de la IIème Internationale. Mais le participationniste croit avoir trouvé un argument impressionnant en déclarant : "Le problème abstentionniste est désormais dépassé, car il n'avait de raison d'être que dans une période ou une précision de principe, face au courant parlementaire du vieux parti socialiste, était nécessaire. Aujourd'hui où il n'y a plus de doute possible sur le caractère nettement antiparlementaire du PCI, celui-ci peut adopter cette méthode de lutte". Voilà un raisonnement pour le moins astucieux : dans le vieux parti parlementaire nous devions être antiparlementaires mais maintenant, puisque notre parti est antiparlementaire, alors nous pouvons faire du parlementarisme. Nous ne doutons pas que cette argumentation puisse impressionner les patriotes du parti qui, pas un instant, n'osent mettre en doute son infaillibilité révolutionnaire, garantie a priori et à jamais.
Ceux par contre, qui ont connu l'IC pour y avoir milité ou simplement pour avoir étudié son histoire, seront probablement moins enclins à ouvrir un tel crédit à n'importe quel parti, fût-il même le Parti de Damen et de Maffi.
Croit-on vraiment que le Parti Bolchevik et l'IC dans ses premières années, étaient moins sincèrement révolutionnaires que le PCI d'Italie ? Ils offraient au moins autant de garantie, ne serait-ce que par le fait qu'ils exprimaient les positions programmatiques les plus avancées du prolétariat de l'époque alors que le PCI d'Italie, d'après ses propres aveux, retarde notablement. Cependant, toutes les précautions prises par l'IC (lire les thèses du 11° Congrès sur le parlementarisme révolutionnaire) n'ont pas empêché cette politique de devenir un levier de l'opportunisme. C'est que la dégénérescence du Parti n'est pas uniquement fonction de la situation générale et de rapports de forces entre classes, mais est encore fonction de la politique pratiquée par le Parti. Le prolétariat a trop payé durant ces derniers 25 ans pour que les militants d'avant-garde oublient cette vérité première.
A quel point est savonneuse la pente participationniste, nous le constatons par les résultats obtenus, auxquels on se réfère volontairement à chaque instant pour prouver la force et l'influence du parti.'
Le rapporteur au Congrès n'a pas manqué de citer que dans telle région, la liste du Parti aux dernières élections, a obtenu quatre fois plus de voix. Comme si on pouvait parler de force et d'influence du Parti alors que la vente de la presse baisse, que l'organisation a perdu la moitié de ses membres, et que le niveau idéologique des membres, de l'aveu même des responsables, est "lamentable". En entendant Damen parler des victoires du Parti, on ne peut manquer de penser qu'il y a des victoires qui sont les pires des défaites.
Peut-être ne serait-il pas inutile, pour calmer un peu la fièvre des participationnistes, de leur citer l'exemple du parti trotskyste en France qui en 1946 avait également obtenu un succès groupant sur ses listes près de 70.000 voix.
Cela n'a pas empêché ce parti de voir la masse de ses électeurs fondre comme neige au soleil aux élections suivantes, et un an après, voir fondre ses propres rangs. Une bonne partie de ses militants poussant la logique à aller vers les masses à fond, a fini par aller au Rassemblement Démocratique Révolutionnaire où le nombre est plus grand et où leurs paroles peuvent avoir plus d'écho.
Car c'est exactement ainsi que raisonne le camarade Damen : "En participant aux élections" dit-il aux anti-participationnistes le parti a pu pénétrer dans les grandes masses, porter la nouvelle parole, essayer de donner corps aux vagues aspirations de sortir des chemins battus". Pris par un noble sentiment de semer la bonne parole, l'idée ne lui vient pas à l'esprit que pour lever, la semence doit être faite en terrain approprié, sinon ce n'est qu'un gaspillage de grains et d'énergies. Le révolutionnaire n'a pas à s'inspirer des missionnaires de l'Armée du Salut allant prêcher la parole divine dans les bordels. La conscience socialiste ne s'acquiert pas dans n'importe quelles conditions, elle n'est pas le fait de l'action volontariste, mais présuppose une tendance de détachement des ouvriers d'avec l'idéologie bourgeoise, et ce n'est sûrement pas les campagnes électorales, moments de choix de l'abrutissement des ouvriers qui offrent cette condition.
Il y a longtemps qu'il a été mis en évidence que les racines psychologiques de l'opportunisme sont, aussi paradoxal que cela puisse paraître, son impatience d'agir, son incapacité d'accepter le temps de recul et d'attente. Il lui faut immédiatement " pénétrer dans les masses, porter la nouvelle parole". Il ne prend pas le temps de regarder où il met les pieds. Il est impatient de planter le drapeau du socialisme, oubliant dans sa précipitation que ce drapeau n'a de valeur que pour autant qu'il est planté sur un terrain de classe du prolétariat et non quand il est jeté sur le premier tas de fumier du capitalisme.
Malgré l'orthodoxie léniniste, la trique de la discipline et les succès enregistrés, la résistance des militants contre la politique de la participation augmentait sans cesse. Cela prouve que le PCI d'Italie repose sur des éléments de base très sains. Mais malgré les vives critiques, le Congrès n'a pas résolu la question. Le compromis accepté de renoncer à la participation aux élections de Novembre laisse cependant la question de principe ouverte. Le culte de l'unité et de " ne troublons pas les membres de base" ont prévalu sur la clarté et l'intransigeance des positions. Ce n'est qu'un recul pour mieux sauter. Les militants révolutionnaires ne sauraient se contenter longtemps de ces demi-mesures. Avec ou sans 1 *assentiment des chefs de file, ils devront liquider ces " vieilles armes émoussées " ou se liquider eux-mêmes en tant que révolutionnaires.
LE PROBLEME SYNDICAL
C’est assurément la position prise sur le problème syndical qui présente le fait saillant du Congrès.
Quelle était la position antérieure du PCI ? La plus platement orthodoxe, une copie conforme des thèses de l'IC.
" Le travail au sein des organisations économiques syndicales des travailleurs, en vue de leur développement et de leur renforcement, est une des premières tâches politiques du Parti."
" Le parti aspire à la reconstruction d'une confédération syndicale unitaire, indépendante des commissions d'Etat et agissant avec les méthodes de la lutte de classe et de l'action directe contre le patronat, depuis les revendications locales et de catégories jusqu'aux revendications générales de classes ... Les Communistes ne proposent et ne provoquent la scission des syndicats du fait que les organismes de direction seraient conquis ou détenus par d'autres partis " (Plateforme du PCI - 1946).
C'est sur cette base qu'a été fondé le travail dans les syndicats et allant jusqu'à la participation, là où cela a été possible, surtout en province et dans les petits syndicats, dans les commissions et directions syndicales. Il a soutenu sans réserves les luttes revendicatives économiques considérant ces luttes comme " une des premières tâches politiques du Parti".
Cette conception fut longtemps un principe pour la GCI. Une des raisons de l'hostilité de la GCI à notre égard était notre position antisyndicale. Nous ne pouvons donc qu'exprimer notre satisfaction de voir le PCI abandonner aujourd'hui la plus grande partie de ses vieilles positions concernant l'organisation syndicale, et les revendications économiques.
Nous ne pouvons que souscrire à cette définition:
" Le Parti affirme catégoriquement que le syndicat actuel est un organe fondamental de l'Etat capitaliste y ayant pour but d’emprisonner le prolétariat dans le mécanisme productif de la collectivité nationale " ou encore " la classe ouvrière, au cours de son attaque révolutionnaire3 devra détruire le syndicat comme un des mécanismes les plus sensibles de la domination de classe du capitalisme". Nous souscrivons d'autant plus volontiers que nous retrouvons là, non seulement les idées que nous avons défendues depuis longtemps, mais la reproduction jusqu'à nos propres termes et expressions ([4]).
Remarquons cependant que dans la question syndicale, comme dans bien d'autres questions, le PCI a laissé une fois de plus une petite fenêtre ouverte permettant à l'occasion la repénétration de ces mêmes idées qu'on vient de rejeter par la porte.
Par exemple quand le PCI déclare "son indifférence concernant la question formelle de l'adhésion ou non du travailleur au syndicat", il ne fait que prendre une position passive qui cache mal son attachement affectif au syndicat. Dire que "ce serait pêcher par abstraction que propager le mot d'ordre de la sortie des syndicats; mot d'ordre concevable seulement quand les situations historiques poseront les conditions objectives pour le sabotage du syndicat", c'est chercher des prétextes sophistiqués pour ne pas choquer les sentiments arriérés des masses. Si on est convaincu que le syndicat est et ne peut désormais être qu'un organisme d'Etat capitaliste, avec la fonction d'emprisonner les ouvriers au service de la conservation du régime capitaliste, on ne peut rester "indifférent" au fait que l'ouvrier en fait ou non partie organiquement, pas plus que nous ne restons indifférents au fait que les ouvriers fassent ou non partie des maquis, des comités de libération nationale, des partis ou toutes autres formations politiques du capitalisme.
Il n'est jamais venu à l'esprit d'un militant sérieux que l'abandon par les ouvriers des formations politiques du capitalisme dépend de ce qu'il lancera ou non le mot d'ordre. Il sait parfaitement que cela sera le résultat des conditions objectives; mais cependant cela ne l'empêche pas, mais au contraire, exige de lui de faire de la propagande et d'appeler les ouvriers à déserter ces organisations de la bourgeoisie. La désertion des organisations du capitalisme n'est pas seulement une manifestation mais également une condition de la prise de conscience des ouvriers. Et cela reste valable aussi bien pour les organisations syndicales que pour les organisations politiques. De toutes façons, l'indifférence en matière de positions politiques n'est que le camouflage d'un acquiescement effectif et honteux.
Mais il y a mieux. Le PCI dénonce les syndicats mais préconise le rassemblement des ouvriers dans la fraction syndicale. Qu'est-ce donc que cette fraction syndicale ?
" C'est -dit d'abord le document de la CE déjà cité- le réseau des groupes d'usines du parti qui agissant sur la base unitaire de son programme etc ...constituent la fraction syndicale".
On serait tenté de croire à la première lecture qu'il s'agit tout simplement de cellules du Parti, mais à examiner de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit de toute autre chose. Premièrement, on comprend difficilement pourquoi l'ensemble des cellules d'usines se constitueraient en un organisme à part, séparant et divisant l'unité du Parti en deux : d'un côté les ouvriers groupés à part dans les cellules d'usines et d'un autre côté les non-ouvriers groupés on ne sait exactement où, mais également à part.
Deuxièmement, la gauche italienne s'est toujours opposée dans l'IC à l'introduction de cette structure des cellules d'usines, voyant en elles une tendance à l'ouvriérisme et un moyen bureaucratique d'étouffer la vie idéologique du Parti ([5]). Il serait vraiment surprenant que le PCI rompe aujourd'hui avec cette position traditionnelle et plus que jamais valable. Troisièmement, quelles peuvent donc être les tâches spécifiques des membres ouvriers du Parti distinctes des taches de l'ensemble du Parti, et finalement on ne comprend pas que cet organisme centralisé, unifié sur le plan de l'ensemble du pays, constituerait et porterait précisément le nom de ... fraction syndicale.
En vérité la fraction syndicale n'est pas les cellules d'usines du Parti, mais bien une organisation séparée, distincte du Parti créée par celui-ci et dirigée par lui. Certainement le Parti ne se fait pas trop d'illusions sur l'ampleur que peut prendre cette organisation dans l'immédiat : " dans la situation actuelle, c'est la réduction de la fraction syndicale aux seuls membres du parti et_ à quelques sympathisants, agissant dans l'usine ou dans le syndicat, qui se vérifiera le plus souvent". Mais ce n'est pas pour cela que le Parti crée cette organisation; il la destine à une fonction bien plus importante :
" II ne dépend pas d’un effort volontariste du Parti mais de l'évolution de la situation générale et de la dynamique des luttes sociales, que des prolétaires, syndiqués ou non, inscrits ou non à d'autres partis, se rassemblent autour de nos groupes d'usine".
De ces textes, il ressort clairement que la fraction syndicale a une double fonction. Dans l'immédiat " agissant dans l'usine ou dans le syndicat", et de servir dès à présent de noyaux autour desquels se rassembleront demain les ouvriers de toutes les tendances, de tous les partis, en quelques sorte des embryons de soviets.
Il est à remarquer que le PCI qui craint de "pêcher par abstraction" en préconisant la désertion des syndicats en l'absence des conditions objectives nécessaires, ne craint cependant pas le péché de bluff en constituant aujourd'hui les embryons de futurs soviets.
D'une part, le parti a renoncé à son action dans les syndicats et à l'illusion de pouvoir agir, actuellement, dans les masses, d'autre part il reprend la même action syndicale et le travail des masses, non directement mais par l'intermédiaire d'une organisation spéciale créée à cette fin :1a fraction syndicale. Aussi ne pourrait-on rien lui reprocher, chacun a son compte et tout le monde est content.
Ainsi le pas en avant fait dans la question a été immédiatement suivi de deux pas en arrière ([6])
Finalement l'erreur d'hier a été doublée d'une confusion d'aujourd'hui. En ajoutant la confusion nouvelle à l'erreur passée, ça ne fait toujours qu'une confusion dans l'erreur et on n'a pas avancé d'un iota.
CONCLUSIONS
Nous venons de faire l'examen des travaux du P.C.I. Si on ne peut pas parler de son apport dans la clarification des problèmes fondamentaux de l'époque, de l'avis même de ses partisans on peut constater que le plus clair de son travail consistait dans le bouleversement total qu'il a apporté dans les positions et l'orientation prises à sa Conférence constitutive.
On trouverait difficilement un autre exemple dans les annales des groupes politiques, où une plateforme constitutive se trouve être aussi profondément malmenée et infirmée, dans un laps de temps aussi court.
Notre époque peut avec raison être caractérisée par ces changements brusques et la rapidité de son cours. Mais on ne saurait attribuer à cela le vieillissement surprenant de la Plateforme du P.C.I. car elle était déjà hors du cours et frappée de sénilité à sa naissance. Cette constatation faite par les délégués eux-mêmes au Congrès n'est pas le fait du hasard. Elle a ses racines, entre autre, dans la suffisance et la prétention de détenir seule la vérité révolutionnaire, haussant les épaules à la seule idée de pouvoir apprendre quelque chose dans la confrontation d'idées avec d'autres groupes révolutionnaires dans les divers pays.
Deux ans et demi ont suffi pour ne laisser subsister intactes aucune des pages de la Plateforme de Décembre 1945. C'est une leçon sévère mais qui pourrait être salutaire si les camarades de la CCI comprennent et acceptent cette leçon. A cette seule condition l'expérience pourrait ne pas avoir été vaine.
Pour finir, et dans la mesure où il nous est possible et permis de juger de loin et de formuler un avis, nous estimons prématurée la conclusion tirée par le camarade Bernard qui dit" "pour les militants sincèrement révolutionnaires il n'y a pas d'autre voie que la scission et la création d'un nouveau regroupement politique qui ait comme tâche fondamentale la recherche et la formulation des bases idéologiques pour la formation future du vrai parti de classe". Nous ne méconnaissons pas les immenses difficultés auxquelles peuvent se heurter ces camarades dans l'atmosphère qui règne dans le PCI. Mais il est incontestable que le PCI d'Italie reste à ce jour la principale organisation révolutionnaire prolétarienne et probablement la plus avancée en Italie. Tout comme après la Conférence de 1945 nous estimons qu'en son sein sont rassemblés un grand nombre de militants révolutionnaires sains, et de ce fait cette organisation ne peut être considérée comme perdue d'avance pour le prolétariat.
En 1945 nous écrivions que derrière le patriotisme et l'apparence d'unité existent des divergences réelles qui ne manqueront pas de se manifester et de se cristalliser en tendances opportunistes et révolutionnaires. Aider à cette cristallisation, contribuer à dégager les énergies révolutionnaires afin qu'elles puissent trouver leur maturation et leur expression la plus avancée, tel nous paraît être encore aujourd'hui la tâche la plus urgente du révolutionnaire sincère.
(Bulletin de Mai 1948 sur le Congrès du P.C.I. d'Italie).
[1] Faute de place, nous ne pouvons pas publier toujours des articles in extenso. Nous savons combien cela est insatisfaisant, souvent gênant, comportant le risque de la déformation et nous sommes les premiers à le déplorer. Nous nous efforcerons autant que possible de 1'éviter, la meilleure solution étant certainement la publication d'un recueil des principaux articles de cette revue. Un souhait à réaliser.
[2] Voir cette "théorisation" chez les dissidents bordiguistes et situationnistes comme le"Mouvement Communiste", "Négation", et tout particulièrement dans "Invariance" n°2 nouvelle série.
[3] Il est peut-être nécessaire d'insister sur une autre erreur couramment commise et qui consiste à lier l'existence du Parti à la période révolutionnaire et insurrectionnelle. Cette "idée" qui ne conçoit 1 'existence du Parti qu'uniquement en période de révolution est source de bien des confusions.
a) Elle confond le Parti avec les Conseils. Ces derniers parce qu'ils sont 1'organisation spécifique de la classe pour la conduite de la révolution et la prise du pouvoir - ce qui n'est pas la fonction du Parti - ne peuvent apparaître et exister qu'uniquement dans la révolution.
b) Une telle idée reviendrait à dire qu'il n'a jamais existé dans l'histoire de Parti de la classe ouvrière. Ce qui est une pure absurdité.
c) C'est ignorer les raisons du surgissement du Parti dans la classe et ses fonctions, dont une principale est d'être un facteur actif dans le processus de prise de conscience de la classe.
d) "L'organisation des ouvriers en classe donc en Parti" (Marx) signifie un caractère constant, de 1'existence du Parti, que seule une période de défaite et de réaction profonde vient à mettre en question.
Une période de reprise et de développement des luttes de classe du prolétariat ouvre le processus de la reconstruction du Parti. Ne pas le comprendre c'est maintenir les pieds sur les freins au moment où la route amorce une longue montée.
[4] Voir notamment nos thèses sur les problèmes actuels du mouvement ouvrier. INTERNATIONALISME n°31, Février 1948.
[5] Voir par exemple l'article "LÀ NATURE DU PARTI" publié par Bordiga en 1924.
[6] Pour qu'on ne nous accuse pas de déformation intentionnelle de la pensée du PCI, nous citerons l'explication donnée par la Fraction Belge sur ce point : "s'il y a des ouvriers qui ne veulent pas adhérer au Parti, encadrer ceux-ci dans les fractions syndicales du Parti, qui seront peut-être aussi demain les bases pour la création de nouveaux syndicats".