Balkans, Moyen-Orient : derrière les accords de paix, toujours la guerre impérialiste

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Poignée de main historique, et généreusement médiatisée, entre Yasser Arafat, président de l'OLP, et Yitzhak Rabin, premier ministre israélien. Après 45 ans de guerres entre Israël et ses voisins arabes, et notamment palestiniens, c'est un événement considérable auquel Clinton, l'orga­nisateur de la cérémonie, a voulu donner valeur de symbole : la seule paix possible est la « Pax americana ». Il faut dire que le président américain avait bien besoin d'un tel succès après toutes les déconve­nues enregistrées depuis son arri­vée. Et la kermesse qu'il a organisée dans sa propre maison (blanche) ne visait pas seulement à redresser une popularité en chute libre aux Etats-Unis mômes. Le message délivré le 13 septembre par les fastes de Washington s'adressait au monde entier. Il s'agissait d'affirmer bien fort à tous les pays que les Etats-Unis restent bien le « gendarme du monde » seul capable de garantir la stabilité de la planète. Une telle action d'éclat était d'autant plus néces­saire que depuis l'annonce par Bush, en 1989, de l'ouverture d'un « nouvel ordre mondial » sous l'égide de l'im­périalisme américain, la situation n'a fait que s'aggraver partout et dans tous les domaines. A la place des bienfaits auxquels la fin de « l'Empire du Mal » devait ouvrir la porte : prospérité, paix, ordre, droit des peuples et des personnes, nous avons eu toujours plus de convul­sions économiques, de famines, de guerres, de chaos, de massacres, de tortures, de barbarie. Au lieu d'une affirmation accrue de l'autorité de la «première démocratie du monde» comme garant de l'ordre planétaire, nous avons assisté à une perte accélérée de cette autorité, à une contestation croissante de celle-ci de la part de pays de plus en plus nombreux, y compris parmi les alliés les plus proche. Avec l'image des effusions entre les vieux ennemis «r héréditaires » du Moyen-Orient sous la bénédiction paternelle du président américain (qu'il puisse être leur fils ne fait que renforcer l'impact du tableau), ce dernier prétend inaugurer un nouveau « nouvel ordre mondial » (puisque celui de Bush est parti aux poubelles de l'histoire). Mais rien n'y fera, pas plus les gestes symboliques que les discours ampoulés, pas plus les cérémonies fastueuses que les caméras de télévision : comme toujours dans le capitalisme décadent, les discours et les accords de paix ne font que pré­parer de nouvelles guerres et encore plus de barbarie.

Les accords de Washington du 13 sep­tembre 1993 ont éclipsé de leur éclat un autre « processus de paix » qui s'est ouvert durant l'été : les négociations de Genève sur l'avenir de la Bosnie. En réalité, ces négociations, leur contexte diplomatique, de même que les gesticu­lations militaires qui les ont entourées, constituent une des clés des enjeu En même temps qu'à l'intérieur de cha­que nation les bourgeoisies fourbissent leurs armes contre la classe ouvrière, au plan international, les querelles et les heurts se multiplient. «L'entente entre les peuples », dont le modèle devait être celle entre grands pays capitalistes, cède le pas à une guerre économique sans merci, aveu d'un « chacun pour soi » débridé, qui est la tendance de fond du capitalisme actuel. Le marché mondial est depuis longtemps saturé. Il est devenu trop étroit pour permettre le fonction­nement normal de l'accumulation du capital, l'élargissement de la production et de la consommation nécessaire à la réalisation du profit, moteur de ce sys­tème.

Mais à la différence des dirigeants d'une simple entreprise capitaliste qui, lorsqu'il y a faillite, mettent la clé sous la porte, procèdent à une liquidation et vont chercher ailleurs la manne qui leur a fait défaut, la classe capitaliste dans son ensemble ne peut pas prononcer sa propre faillite et procéder à la liquida­tion du mode de production capitaliste. Ce serait prononcer sa propre dispari­tion, ce qu'aucune classe exploiteuse n'est en mesure de faire. La classe do­minante ne va pas se retirer de la scène sociale sur la pointe des pieds en disant « j'ai fait mon temps ». Elle défend bec et ongles et jusqu'à la dernière énergie ses intérêts et ses privilèges.

C'est à la classe ouvrière que revient la tâche de détruire le capitalisme. De par sa place dans les rapports de production capitaliste, elle est la seule force capable d'enrayer la machine infernale du capi­talisme décadent. Ne disposant d'aucun pouvoir économique dans la société, sans intérêt particulier à défendre, classe qui, collectivement, n'a que sa force de travail à vendre au capitalisme.

Ex-Yougoslavie : l'échec de la puissance américaine

A l'heure où ces lignes sont écrites, il n'y a pas eu d'accord définitif entre les trois parties (Serbes, Croates et Musulmans) qui s'affrontent autour des dé­pouilles de feu la République de Bosnie-Herzégovine. Le plan de partage de ce pays remis le 20 août aux participants est encore en discussion sur les détails du tracé des nouvelles frontières. Cependant, les véritables enjeux de ces né­gociations, de même que de la guerre qui continue de ravager une partie de l'ex-Yougoslavie, apparaissent claire­ment aux yeux de ceux qui refusent de se laisser manipuler par les campagnes d'intoxication des différents camps et des différentes puissances.

En premier lieu, il est évident que la guerre dans l'ex-Yougoslavie n'est pas seulement une affaire interne avec pour cause unique les déchirements entre dif­férentes ethnies. Depuis longtemps, les Balkans sont devenus un terrain d'affrontements privilégié entre puissances impérialistes. Et le nom de Sarajevo lui-même n'a pas attendu les années 1992-93 pour devenir tristement célèbre : ce nom est associé, depuis près de 80 ans aux  origines  de  la  première  guerre mondiale. Cette fois encore, dès le début de l'éclatement de la Yougoslavie, en 1991, les grandes puissances sont apparues comme des acteurs de premier plan de la tragédie endurée par les populations de cette région. D'entrée de jeu, le ferme soutien de l'Allemagne à l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie a contribué à mettre de l'huile sur le feu des affrontements, de même d'ailleurs que le soutien à la Serbie des autres puissances telles la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la Russie. Sans revenir sur les analyses amplement développées dans cette même Revue, il importe de mettre en relief l'antagonisme entre les intérêts de la première puissance européenne, qui voyait dans une Slovénie et une Croatie indépendantes et alliées le moyen de s'ouvrir une porte vers la Méditerranée, et les intérêts des autres puissances, qui sont totalement opposées à un tel déploiement de l'impérialisme allemand.

Par la suite, lorsque la Bosnie elle-même a revendiqué son indépendance, la puissance américaine s'est empressée de lui apporter son soutien : ce changement d'attitude par rapport à celle adoptée envers la Slovénie et la Croatie était significatif de la stratégie de l'impérialisme US : ne pouvant faire de la Serbie un allié fiable dans la zone des Balkans, dans la mesure où ce pays avait déjà des attaches anciennes et solides avec des pays comme la Russie ([1]) et la France, cet impérialisme visait à faire de la Bosnie son point d'appui dans la région, notamment sur les arrières d'une Croatie pro-allemande. Le ferme soutien à la Bosnie a été un des thèmes de la campagne du candidat Clinton. Le même,  devenu président, a commencé avec la même politique : « Tout le poids de la diplomatie américaine doit être engagé » derrière cet objectif avait-il déclaré en février 1993. En mai, Warren Christopher, secrétaire d'Etat, propose aux  européens deux mesures pour stopper l'avance serbe en Bosnie-Herzégovine : levée de l'embargo sur les armes pour ce dernier pays et utilisation de frappes aériennes contre les positions serbes. Les Etats-Unis proposent comme « solution » du conflit des Balkans le moyen par lequel ils avaient « résolu » la crise du Golfe : le gros bâton, et no­tamment l'utilisation de la puissance de feu aérienne qui a le grand avantage de mettre en évidence leur énorme supé­riorité militaire. La France et la Grande-Bretagne, c'est-à-dire les deux pays les plus engagés sur le terrain dans le cadre de la FORPRONU, refusent catégori­quement. A la fin du même mois, l'ac­cord de Washington entre les Etats-Unis et les pays européens, avalise, malgré les déclarations triomphalistes de Clin­ton, la position de ces derniers sur la Bosnie : ne pas riposter à l'offensive serbe visant à démembrer ce pays, limi­ter l'intervention des forces de l'ONU ou, éventuellement, de l'OTAN à des objectifs uniquement « humanitaires ».

Ainsi, il devenait clair que la première puissance mondiale changeait son fusil d'épaule et abandonnait la carte jouée depuis l'année précédente avec force campagnes médiatiques sur la défense des « droits de l'homme » et la dénon­ciation de la « purification ethnique ». C'était la reconnaissance d'un échec dont les Etats-Unis faisaient porter (non sans raison) la responsabilité aux pays européens. Ce constat d'impuissance était encore réitéré le 21 juillet par W. Christopher qui déclarait : « Les Etats-Unis font tout ce qu'ils peuvent, compte tenu de leurs intérêts natio­naux. » après avoir qualifié de « tragi­que, tragique » la situation à Sarajevo.

Cependant, dix jours plus tard, alors qu'avait débuté la conférence de Genève sur la Bosnie, la diplomatie américaine reprend brusquement son gros bâton ; ses différents responsables martèlent à nouveau, et avec encore plus de force qu'en mai, le thème des frappes aérien­nes contre les Serbes : « Nous pensons que la moment de l'action est venu (...) le seul espoir réaliste de parvenir à un règlement politique raisonnable est de mettre la puissance aérienne [celle de l'OTAN] au service de la diplomatie » (Christopher dans une lettre à Boutros-Ghali du 1er août). «Les Etats-Unis n'allaient pas rester à regarder sans rien faire alors que Sarajevo est mise à genoux » (le même au Caire, le jour suivant). En même temps, les 2 et 9 août, sont convoquées à l'initiative des Etats-Unis deux réunions du Conseil de l'OTAN. Cette puissance demande à ses «alliés» d'autoriser et de mettre en oeuvre ces frappes aériennes. Après de nombreuses heures de résistance, menée principalement par la France (avec l'ac­cord de la Grande-Bretagne), le principe de telles frappes est accepté à la condi­tion (dont ne voulaient pas au départ les américains)... que la demande en soit faite par le Secrétaire général de l'ONU, lequel s'est toujours opposé au principe des frappes aériennes. La nouvelle of­fensive américaine a tourné court.

Sur le terrain, les forces serbes desser­rent leur pression sur Sarajevo et cèdent à la FORPRONU les hauteurs stratégiques surplombant la ville qu'ils avaient prises aux Musulmans quelques jours auparavant. Mais si les Etats-Unis attri­buent ce recul serbe à la décision de l'OTAN, le général Belge commandant la FORPRONU en Bosnie y voit « un exemple de ce qu'on peut accomplir par la négociation » alors que son adjoint, le général britannique Hayes, déclare : « A quoi le président Clinton veut-il en venir ? [...] la force aérienne ne mettra pas en échec les Serbes ». C'est un véri­table affront à la puissance américaine et un sabotage en règle de sa diplomatie. Et le pire pour les Etats-Unis c'est que ce sabotage est cautionné, sinon encou­ragé, par la Grande-Bretagne, c'est-à-dire par leur plus fidèle allié.

Cela dit, il est fort peu probable que les Etats-Unis aient sérieusement envisagé, en dépit de leurs discours tonitruants, de faire donner la force aérienne contre les Serbes au cours de l'été. De toutes fa­çons, les jeux étaient faits : la perspective d'une Bosnie unitaire et pluriethnique, telle qu'elle avait été défendue tant par la diplomatie américaine que par les Musulmans, était définitivement passée à la trappe dès lors que le territoire de la république bosniaque était pour la plus grande partie entre les mains des mili­ces serbes et croates, les musulmans n'en conservant qu'un cinquième alors qu'ils représentaient près de la moitié de la population avant la guerre.

En réalité, l'objectif des gesticulations des Etats-Unis au cours de l'été était déjà bien loin de celui que s'était donné la diplomatie de ce pays à l'origine du conflit. Il s'agissait uniquement pour elle de s'éviter l'humiliation suprême, la chute de Sarajevo, et surtout de s'inviter dans une pièce dont le scénario lui avait échappé depuis longtemps. Alors que le dernier acte de la tragédie bosniaque est en train de se jouer à Genève, il importait que la puissance américaine y fasse une apparition comme « guest star », même à titre de mouche du co­che, puisque le premier rôle lui avait été interdit depuis longtemps. Et finale­ment, sa contribution à l'épilogue aura consisté à « convaincre » ses protégés Musulmans, moyennant quelques me­naces contre les Serbes, d'accepter leur capitulation le plus vite possible car plus la guerre se prolonge en Bosnie, plus elle met en évidence l'impuissance de la première puissance mondiale.

Le caractère piteux et velléitaire de la prestation du géant américain face au conflit en Bosnie apparaît encore plus crûment si on la compare à sa « gestion » de la crise et de la guerre du Golfe en 1990-91. Lors de cette der­nière, il avait tenu intégralement ses promesses auprès de ses protégés, l'Arabie Saoudite et le Koweït. Cette fois-ci, il n'a rien pu faire pour son pro­tégé bosniaque : sa contribution à la « solution » du conflit s'est résumée à lui forcer la main pour lui faire accepter l'inacceptable. Dans le contexte de la crise du Golfe, cela aurait consisté, après plusieurs mois de gesticulations, à faire pression sur les autorités du Ko­weït pour qu'elles consentent à céder à Saddam Hussein la plus grande partie de leur territoire ! Mais il est un élé­ment peut être encore plus grave : alors qu'en 1990-91, les Etats-Unis avaient réussi à entraîner dans leur aventure la totalité des pays occidentaux (même si certains, comme la France ou l'Allema­gne, traînaient leurs guêtres), ils se sont heurtés, en Bosnie, à l'hostilité de ces mêmes pays, y compris à celle de la fi­dèle Albion.

La faillite patente de la diplomatie américaine dans le conflit en Bosnie constitue un coup sévère à l'autorité d'une puissance qui prétend jouer le rôle de « gendarme du monde ». Quel con­fiance pourront avoir à l'égard d'une telle puissance les pays qu'elle est sen­sée « protéger » ? Quelle crainte peut-elle inspirer à ceux qui songent à la narguer ? C'est justement en tant que moyen de restaurer cette autorité que l'accord de Washington du 13 septembre prend toute sa signification.

Moyen-Orient : l'accord de paix ne met pas fin à la guerre

S'il fallait une seule preuve du cynisme dont est capable la bourgeoisie, l'évolu­tion récente de la situation au Moyen-Orient suffirait amplement. Aujour­d'hui, les médias nous invitent à verser une larme d'émotion devant la poignée de main historique de la Maison Blan­che. Elles se gardent bien de nous rap­peler comment elle a été préparée, il y a moins de deux mois.

Fin juillet 1993 : l'Etat d'Israël déchaîne un enfer de feu et de fer sur des dizaines de villages du Liban. C'est l'action mili­taire la plus importante et meurtrière depuis l'opération « Paix en Galilée » de 1982. Des centaines de morts, surtout des civils, sinon des milliers Près d'un demi million de réfugiés sur les routes. Et c'est très officiellement que cette belle « Démocratie », dirigée de surcroît par un gouvernement « socialiste », a justifié en ces termes son action : terro­riser les populations civiles du Liban afin qu'elles fassent pression auprès du gouvernement pour que ce dernier brise le Hezbollah. Une nouvelle fois, les po­pulations civiles sont les otages des me­nées impérialistes. Mais le cynisme bourgeois ne s'arrête pas là. En réalité, au delà de la question du Hezbollah, le­quel, dès la fin des hostilités, a repris ses actions militaires contre les troupes israéliennes occupant le Sud Liban, l'of­fensive militaire israélienne n'était pas autre chose que la préparation de la tou­chante cérémonie de Washington, une préparation mise en oeuvre autant par l'Etat d'Israël que par son grand proxé­nète, les Etats-Unis.

Du côté d'Israël, il importait que les né­gociations de paix et les propositions que cet Etat s'apprêtait à faire à l'OLP n'apparaissent pas comme un signe de faiblesse de sa part. Les bombes et les obus qui ont détruit les villages du Li­ban étaient porteurs d'un message des­tiné aux différents Etats arabes : « inutile de compter sur notre faiblesse, nous ne céderons que ce qui nous arran­gera». Le message s'adressait notam­ment à la Syrie (dont l'autorisation est nécessaire aux activités du Hezbollah) et qui, depuis des décennies, rêve de récu­pérer le Golan annexé par Israël à la suite de la guerre de 1967.

Du côté des Etats-Unis, il s'agissait, à travers les exploits militaires de son affidé, de signifier que cette puissance restait bien la patronne du Moyen-Orient malgré les difficultés qu'elle pouvait connaître par ailleurs. Le message s'adressait aux Etats arabes qui pour­raient être tentés de jouer une autre par­tition que celle qu'ils ont reçue de Washington. Par exemple, il était bon d'avertir la Jordanie qu'il ne faudrait pas qu'elle recommence à faire des infidélités comme au moment de la guerre du Golfe. Et surtout, il fallait rappeler à la Syrie qu'elle devait sa mainmise sur le Liban à la « bonté » américaine, suite à la guerre du Golfe, et à ce dernier Etat que ses attaches historiques avec la France étaient bien de l'histoire an­cienne. Le message s'adressait aussi à l'Iran, parrain du Hezbollah, et qui tente aujourd'hui une ouverture diplomatique en direction de la France et de l'Alle­magne. En conséquence, la mise en garde des Etats-Unis s'adressait à toutes les puissances qui pourraient songer à braconner dans sa chasse gardée du Moyen-Orient.

Enfin, il fallait montrer au monde entier que la première puissance mondiale avait encore les moyens de dispenser à sa guise autant la foudre que les colom­bes et qu'il fallait, en conséquence, la respecter. C'était bien le sens du mes­sage de W. Christopher lors de sa tour­née au Moyen-Orient, début août, juste après l'offensive israélienne : « les af­frontements présents illustrent la néces­sité et l'urgence de la conclusion d'un accord de paix entre les différents Etats concernés ». C'est la méthode classique des racketteurs qui viennent proposer une « protection » au boutiquier dont ils ont cassé la vitrine.

Ainsi, comme toujours dans le capita­lisme décadent, il n'existe pas de diffé­rence de fond entre la guerre et la paix : c'est par la guerre, par les massacres et la barbarie que les brigands impérialis­tes préparent leurs accords de paix. Et ces derniers ne sont jamais qu'un moyen, qu'une étape dans la préparation de nouvelles guerres encore plus meur­trières et barbares.

Vers toujours plus de guerres

Les négociations et les accords qui sont intervenus au cours de l'été, tant à Ge­nève qu'à Washington, ne doivent pas laisser la moindre place au doute : il n'y aura pas plus « d'ordre mondial » avec Clinton qu'avec Bush.

Dans l'ex-Yougoslavie, même si les né­gociations de Genève sur la Bosnie aboutissent (pour le moment la guerre se poursuit, notamment entre les Musul­mans et les Croates), cela ne signifiera pas pour autant la fin des affrontements. On connaît déjà les nouveaux champs de bataille : la Macédoine revendiquée presque ouvertement par la Grèce, le Kosovo peuplé principalement d'Alba­nais qui sont tentés par un rattachement à une « Grande Albanie », la Krajina, cette province située sur le territoire de l'ancienne république fédérée de Croa­tie, aujourd'hui entre les mains des Serbes et qui coupe en deux le littoral croate de Dalmatie. Et l'on sait égale­ment que dans ces conflits qui couvent, les grandes puissances ne joueront nul­lement le rôle de modérateurs ; au con­traire, comme elles l'ont fait jusqu'à pré­sent, elles s'appliqueront à jeter de l'huile sur le feu.

Au Moyen-Orient, si la mode est au­jourd'hui à la paix, cela ne saurait du­rer : les modes passent vite et les sour­ces de conflits ne manquent pas. L'OLP, nouveau flic des territoires auxquels Is­raël a «consenti» l'autonomie, doit faire face à la concurrence du mouve­ment intégriste Hamas. L'organisation de Yasser Arafat est elle-même divisée : ses différentes factions, qui sont entre­ tenues par les différents Etats arabes, ne pourront que s'entre-déchirer en même temps que s'aiguiseront les conflits entre ces mêmes Etats du fait de la disparition de ce qui limitait les affrontements entre eux, le soutien à la « cause palesti­nienne » contre Israël. Par ailleurs, les bonnes dispositions affichées, avec un sourire un peu forcé, par la Syrie à l'égard de l'accord de Washington n'ont pas résolu la question du Golan. L'Irak reste encore au ban des nations. Les na­tionalistes Kurdes n'ont pas renoncé à | leurs revendications en Irak et en Turquie... Et tous ces foyers ne font qu'attiser les ardeurs de pyromane des grandes puissances toujours prêtes à se découvrir une cause « humanitaire » qui, comme par hasard, correspond à leurs intérêts impérialistes.

Mais les sources de conflits ne se locali­sent pas aux seules régions des Balkans et du Moyen-Orient.

Dans le Caucase, en Asie centrale, la Russie, en faisant valoir ses appétits im­périalistes (évidemment beaucoup plus restreints que par le passé) ne fait qu'ajouter au chaos des anciennes ré­ publiques qui constituaient l'URSS et aiguiser les déchirements ethniques (Abkhazes contre Géorgiens, Arméniens contre Azéris, etc.). Et cela ne permet en aucune façon d'atténuer le chaos politique qui règne aussi à l'inté­rieur de ses frontières, comme on peut le voir avec les affrontements actuels entre Eltsine et le Parlement russe.

En Afrique, la guerre est déclarée entre les anciens alliés de l'ex-bloc occidental : « Si nous voulons prendre la tête de l'évolution mondiale (...) nous devons être prêts à investir autant en Afrique que dans d'autres régions du monde » (Clinton, cité par « Jeune Afri­que ») ; « Depuis la fin de la guerre froide, nous n'avons plus à nous aligner sur la France en Afrique » (un diplomate américain dans le même magazine).  En  d'autres  termes : « Si   la France nous taille des croupières dans  les Balkans, nous ne nous gênerons pas pour aller chasser sur ses terres afri­caines ». Au Libéria, au Rwanda, au Togo, au Cameroun, au Congo, en An­gola, les Etats-Unis et la France s'af­frontent  déjà  par  politiciens  ou  par guérillas interposés. En Somalie, c'est l'Italie qui se retrouve aujourd'hui en première ligne du front anti-américain (mais la France n'est pas loin), et cela dans le cadre d'une opération « humanitaire » sous le drapeau de l'ONU, symbole de la paix.

Et cette liste est loin d'être exhaustive ou définitive. S'ils éloignaient la menace d'une troisième guerre mondiale, l'effondrement du bloc de l'Est en 1989 et la disparition du bloc occidental qui de­vait en résulter nécessairement, ont ou­vert une véritable boîte de pandore. Dé­sormais, la loi du « chacun pour soi » tend à régner de plus en plus même si de nouvelles alliances se dessinent dans la perspective, encore lointaine sinon inaccessible, d'un futur partage du monde entre deux nouveaux blocs. Mais ces alliances elles-mêmes sont en per­manence ébranlées dans la mesure où, avec la disparition de la menace de «l'Empire du Mal», aucun pays ne trouve son intérêt dans l'accroissement de la puissance de ses alliés plus forts. Lorsqu'un ami a des bras trop musclés, il risque de m'étouffer en m'embrassant. Ainsi, la France n'était nullement inté­ressée à voir sa comparse germanique devenir, en mettant la main sur la Slo­vénie et le Croatie, une puissance médi­terranéenne. Plus significatif encore, la Grande-Bretagne, pourtant l'allié histo­rique des Etats-Unis, n'avait aucune envie de favoriser le jeu de cette puis­sance dans les Balkans et en Méditerra­née qu'elle considère un peu, grâce à ses positions à Gibraltar, Malte et Chypre, comme une « Mare nostrum ».

En fait, nous assistons à un véritable renversement de la dynamique des ten­sions impérialistes. Dans le passé, avec le partage du monde en deux blocs, tout ce qui pouvait renforcer la tête de bloc face à l'adversaire était bon pour ses seconds couteaux. Aujourd'hui, ce qui ren­force la puissance la plus forte risque de se révéler mauvais pour ses alliés plus faibles.

C'est pour cela que l'échec des Etats-Unis dans les Balkans, qui doit beau­coup à la trahison de leur « ami » britannique, ne saurait être compris comme le simple résultat d'une politique erronée de l'équipe Clinton. C'est à une sorte de quadrature du cercle qu'est con­frontée celle-ci : plus les Etats-Unis voudront faire preuve d'autorité afin de resserrer les boulons, plus leurs « alliés » seront tentés de se dégager de leur tutelle étouffante. En particulier, si l'étalage et l'utilisation de sa supériorité militaire massive constitue la carte maî­tresse de l'impérialisme américain, c'est aussi une carte qui tend à se retourner contre ses propres intérêts, notamment en favorisant une indiscipline encore plus grande de ses « alliés ». Cepen­dant, même si la force brute n'est plus capable de faire régner « l'ordre mon­dial », il n'existe pas, dans un système qui s'enfonce dans une crise irrémédia­ble, d'autre moyen non plus et, de ce fait, elle sera de plus en plus utilisée.

Cette absurdité est un symbole tragique de ce qu'est devenu le monde capita­liste : un monde en putréfaction qui sombre dans une barbarie croissante avec toujours plus de chaos, de guerres et de massacres.

FM, 27 septembre 1993


[1] Le fait que la Russie soit devenue aujourd'hui un des meilleurs alliés des Etats-Unis n'élimine pas les divergences d'intérêts qui peuvent exister entre les deux pays. En particulier, la Russie n'est nullement intéressée à une alliance directe entre les Etats-Unis f et la Serbie, alliance qui ne pourrait se faire que par dessus sa propre tête. Les Etats-Unis, en faisant la promotion de leur ressortissant d'origine Serbe, Panic, ont bien essayé de s'attacher directement la Ser­bie. Mais l'échec de Panic aux élections pour la pré­sidence de ce pays a marqué un coup d'arrêt à cette entreprise américaine.

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