Soumis par Révolution Inte... le
En France, la recherche d’un nouveau gouvernement et l’arrivée de Michel Barnier à Matignon a ressemblé à une série Netflix avec rebondissements et dramatisation. Castets, Cazeneuve, Bertrand… derrière les têtes d’affiche de ce mauvais divertissement, la bourgeoisie a déchaîné sa propagande en faveur de la « démocratie » bourgeoise.
Des difficultés croissantes pour maîtriser le jeu politique
Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, il y a deux mois déjà, la fragmentation de l’appareil politique bourgeois en trois blocs rivaux se révèle tous les jours un peu plus incontrôlable, chaque bloc se déchirant d’ailleurs dans des luttes intestines pour faire valoir les intérêts de telle clique ou de tel leader. Avec la montée du populisme et les difficultés pour y faire face, l’instabilité politique de la bourgeoisie française est l’expression concrète de l’aggravation de la décomposition de la société capitaliste sur tous les continents.
Si l’été olympique et son chauvinisme débridé ont pu être mis à profit pour retarder les échéances ministérielles et parlementaires, la réalité a aussitôt repris ses droits : une foire d’empoigne où chacun revendique son droit d’être calife à la place du calife.
Contrer la montée en puissance du Rassemblement national (RN) était un objectif prioritaire de la bourgeoisie depuis 2017 avec l’élection de Macron. Rien n’y a fait. Le résultat des dernières élections européennes, étape majeure pour la potentielle accession au pouvoir du RN en 2027, a confirmé la progression et l’ancrage du parti de Marine Le Pen.
Mais la dissolution surprise et kamikaze de l’Assemblée nationale, supposée prendre de court la concurrence et particulièrement la fraction populiste, a abouti à offrir un boulevard au RN, bousculant toute la classe politique et amenant certains leaders de droite, comme Ciotti, à aller à la soupe lepéniste. Cette stratégie d’un président apprenti sorcier se la jouant solo est déjà en soi un signe explicite d’une faiblesse de fond dans la vie politique de la bourgeoisie, y compris au plus haut sommet de l’État !
Les reports de voix et la réaction « républicaine » de toute la gauche, extrême gauche comprise, et de la droite libérale, lors des élections législatives, a permis de freiner a minima la vague populiste et ses conséquences chaotiques pour le capital national, empêchant le RN d’empocher une majorité absolue à l’Assemblée. Mais son poids croissant dans la vie politique se confirme et le RN aura de nombreuses cartes en main pour jouer les troubles-fête à l’Assemblée.
Depuis lors, le jeu politique de Macron et ses tergiversations, accompagnées de la spirale médiatique infernale pour la nomination du Premier ministre, se sont enfin terminées avec la nomination de Michel Barnier, membre du parti de droite Les Républicains (LR) et ancien ministre sous François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy... Le penchant du futur gouvernement vers une droite traditionnelle, pourrie jusqu’à la moelle, annonce de prochains soubresauts politiques et une stabilité parlementaire déjà compromise avant même la nomination du nouveau gouvernement.
Mais la bourgeoisie a encore la capacité de retourner ses propres difficultés, sa propre fragilisation contre la classe ouvrière, au nom de la défense de la « démocratie » et des urnes, comme si le terrain électoral était une clé de voûte du rapport de force fondamental entre les classes, comme si la défense de nos conditions de vie et notre avenir en dépendaient…
En réalité, le terrain électoral est un cirque, une mascarade, comme le montre, au passage, la nomination d’un Premier ministre issu d’un camp qui a lamentablement échoué dans les urnes. Quel que soit le résultat, nous avons tout à perdre : notre lucidité sur la réalité de la crise, sur les enjeux, sur le fait que nous sommes une classe exploitée et non les citoyens d’un État exploiteur, perdre notre conscience et notre combativité pour mener une véritable lutte contre la bourgeoisie et son État.
La gauche est toujours le meilleur rempart de l’État bourgeois
Au sein des forces politiques bourgeoises, ses fractions de gauche sont les plus à même de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, dévoyer notre réflexion et questionnement sur le terrain pourri du parlementarisme, de la défense de la « démocratie » face au danger du populisme, de l’extrême droite ou du « fascisme » et maintenant du « coup de force de Macron ».
Outre la permanence d’une participation aux élections bourgeoises depuis des décennies (1974 pour Lutte Ouvrière par exemple), la gauche persiste et signe dans son travail de sape de la conscience ouvrière, y compris pendant les luttes ! Au moment de la lutte contre la réforme des retraites, l’ex-NUPES avait tout fait pour que le mouvement social cherche à faire pression sur le parlement, contribuant à renforcer la stérilisation syndicale des journées d’action et s’opposant de fait à l’extension et à l’auto-organisation de la lutte, seules à même de créer un véritable rapport de force avec la classe dominante. C’est encore le cas aujourd’hui avec l’alliance du Nouveau Front populaire (NFP), s’estimant grand gagnant des élections législatives et clamant qu’avec lui aux commandes, cette fameuse réforme des retraites serait abrogée, les salaires revalorisés, la fonction publique (enseignement, santé...) refinancée. En clair, avec la gauche au pouvoir, demain on rase gratis !
Mais la gauche au pouvoir, la classe ouvrière l’a déjà expérimentée dans sa chair : cette gauche devait « changer la vie » en 1981 avec Mitterrand au pouvoir. Ce fut surtout le « tournant de la rigueur » dès 1983 et les attaques contre nos conditions de vie, en employant sans état d’âme, ses forces de l’ordre « démocratiques ». Rebelote en 2012 avec François Hollande au pouvoir : loi « Travail », chômage, hausse des impôts, opérations militaires à répétition…
Plus récemment, d’autres expériences de la gauche prétendument radicale au pouvoir ont vu le jour. Le mouvement Siriza en Grèce promettait début 2015 « d’en finir avec l’austérité » et de rejeter le mémorandum des créanciers de la BCE… Il le signe dès juillet 2015 et l’austérité est alors menée par une « gauche réaliste qui n’a pas le choix », imposant sa poigne de fer avec des sanglots dans la voix…
En Espagne, le parti Podemos en 2014 se proposait aussi de monter « à l’assaut du ciel » en reprenant la formule de Marx au moment de la Commune de Paris, et d’être dans la continuité de la lutte des Indignés de 2011 : lutte contre la corruption, demandes de transparence, fin des politiques d’austérité... Là encore, l’échec patent du miroir aux alouettes serait le fruit d’un « tsunami réactionnaire » en Europe et des campagnes menées par la « droite médiatique ».
Pourtant, à chaque fois, la classe ouvrière est appelée à faire confiance à de « nouvelles gauches », ayant fait mea culpa, plus radicales les unes que les autres, appelée à les suivre sur le terrain électoral, anti-populiste ou même antifasciste. Tout cela pour mieux lui faire oublier ses propres luttes, son histoire, son expérience, lui faire oublier sa combativité, dévoyer sa réflexion pour une véritable prise en main de la solidarité, de l’extension de la lutte à d’autres secteurs, de ses assemblées générales ouvertes et souveraines.
L’objectif majeur du NFP, face à « l’autoritarisme de Macron », son « déni démocratique », est d’appeler tous les jeunes, tous les exploités, à la mobilisation démocratique pour imposer le résultat des urnes, le respect du « choix » des électeurs, appeler même à la destitution du Président, soutenir et imposer le travail parlementaire du NFP qui pourrait alors obtenir ce que les luttes n’ont pas pu. La pseudo-radicalité de la fraction LFI, les propositions d’un SMIC à 1 600 €, d’une abrogation de la réforme des retraites, d’une augmentation des dépenses publiques ne peuvent agir que comme repoussoir aux yeux de toutes les fractions bourgeoises, cristalliser des motions de censure à répétition de tous les autres concurrents politiques. La gauche le sait et se conforte dans ce jeu oppositionnel et radical particulièrement efficace pour maintenir la classe ouvrière dans les illusions électorales et la seule perspective de « dégager Macron », éjectant d’emblée toute remise en cause globale d’un système social putride, le capitalisme mondial ! Les cris d’orfraie de la gauche ont de fait permis l’élection de Macron par deux fois, permis d’assurer les bons reports de vote pour la droite et les macronistes aux dernières élections législatives.
Le populisme est stigmatisé par la gauche, pour mieux pousser la classe ouvrière à légitimer les institutions démocratiques bourgeoises et son jeu d’opposition ou d’appui à telle ou telle fraction bourgeoise.
À ce titre, la bourgeoisie peut à nouveau compter sur les partis gauchistes, trotskistes en tête, qui se sont encore partagés le sale boulot :
– le NPA-Anticapitaliste participant directement au NFP aux côtés du PS et des écologistes, appelait à se battre contre « la république autoritaire de Macron » et le « fascisme ».
– Plus subtilement, Révolution Permanente, LO et consorts dénoncent le « réformisme » de la gauche et des syndicats, rejettent la perspective d’un bloc électoral… pour mieux légitimer ce même objectif démocratique « en exigeant la suppression d’institutions réactionnaires comme la Présidence de la République et le Sénat, dans la perspective d’une République ouvrière et d’un gouvernement de ceux qui n’ont vraiment jamais été au pouvoir et pourraient transformer la société, les travailleuses et travailleurs ».
Face à ces campagnes et les confrontations démocratiques qui vont inéluctablement se poursuivre sur fond d’escarmouches ministérielles et parlementaires, l’aggravation de la crise économique et l’annonce de mesures d’austérité drastiques que devront assumer un ou de multiples gouvernements, pour les mois à venir, vont frapper de plein fouet la classe ouvrière qui devra réagir.
Stopio, 7 septembre 2024