"Solidaires": Un syndicat de "contestation"… anti-prolétarien!

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En juillet 2021, à grands renforts de publicité dans les différents médias, de l’Humanité à Mediapart en passant par Le Monde diplomatique, sortait un livre de deux universitaires, Sophie Béroud et Martin Thibault : En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation.

L’objectif d’une telle entreprise est d’orienter le syndicat Solidaires sur une ligne visant à l’impliquer dans des luttes posant des questions sociétales, comme le mouvement des gilets jaunes, à partir du constat selon lequel l’enfermement dans un travail d’entreprise décourage les jeunes n’ayant pas de culture politique et abandonnant, après quelques années de militantisme, le travail syndical. Les auteurs de ce texte sont allés enquêter sur le terrain à la rencontre de ces jeunes qui ne veulent plus s’investir dans Solidaires mais qui, pour certains, ont retrouvé sur les ronds-points une ambiance qui n’existait pas dans le syndicat.

Ce travail des deux auteurs universitaires faisait suite à une demande des instances dirigeantes de Solidaires qui avaient du mal à rajeunir son personnel syndical. Sur la base d’une enquête et d’une analyse de l’évolution de SUD/Solidaires, en lien avec les autres organisations syndicales, les auteurs proposent toute une réflexion pour que Solidaires évolue dans une démarche qui se veut être une défense des travailleurs en lien avec la transformation de la société. Pour les auteurs, il s’agit de renouer avec un syndicalisme de contestation (autogestionnaire, démocratique, fédéraliste) à l’image de ce que fût la CFDT après 68 où des militants d’extrême gauche, anarchistes, maoïstes, trotskistes, sont entrés en force, et qui par la suite, en 1988, ont été poussés vers la sortie par une direction qui était plus dans la ligne d’un syndicat de « concertation ». Suite au soutien de Nicole Notat, alors secrétaire générale de la CFDT, au plan Juppé qui, en 1995, avait fait descendre dans la rue des millions de travailleurs, des vagues de militants démissionnent pour rejoindre Solidaires et créer de nouvelles sections syndicales. Se positionnant sur un terrain plus radical, beaucoup de jeunes travailleurs combatifs vont y adhérer pensant trouver là un syndicat qui répondrait à leur attente, à leur envie de lutter. Mais, pour nos deux universitaires, Solidaires prend le tournant d’un syndicat de négociations en 2008, s’institutionnalisant à la faveur de la loi sur la représentativité syndicale. À partir de ce moment-là, le syndicat va connaître une lente érosion, les jeunes ouvriers s’en détournant de plus en plus, d’autres démissionnant ou rejoignant le mouvement des gilets jaunes.

Les syndicats contre la classe ouvrière

Les syndicats sont un rempart contre toute tentative du prolétariat de s’unifier en tant que classe. La bourgeoisie a très bien compris le rôle qu’ils peuvent jouer pour saboter toute capacité de la classe ouvrière à développer son combat contre le capitalisme. C’est en ce sens que l’État bourgeois a besoin d’avoir des syndicats plus ou moins radicaux pour diviser et répondre à toute tentative d’auto-organisation, à prendre ses luttes en main et à prendre conscience qu’elle est une classe en recouvrant son identité. C’est pourquoi les syndicats se partagent le travail : certains se disant « réformistes » alors que d’autres se présentent comme plus « radicaux », voire « contestataires », « révolutionnaires », comme Solidaires. C’est pour répondre à ce besoin que Solidaires a été créé au moment du « tournant réformiste » de la CFDT à la fin des années 1980. Pour l’extrême gauche, maoïstes, trotskistes, libertaires, la CGT stalinienne leur interdisait de mener leurs actions « autogestionnaires », « démocratiques », « fédéralistes ». C’est en ce sens que l’extrême gauche allait trouver dans la CFDT les structures lui permettant d’agir. La grève autogestionnaire de LIP fut d’ailleurs leur haut fait d’arme, cette « expérience » se terminant par une démoralisation et un désarroi chez les ouvriers illusionnés par le fait de reprendre l’usine à leur compte, et ainsi n’aboutir à rien d’autres qu’une auto-exploitation.

Les années qui suivirent la création de Solidaires sont marquées par la caution et sa participation à l’ensemble du travail de sabotage de tous les autres syndicats, chacun jouant sa partition afin d’assurer pleinement leur rôle d’encadrement de la classe ouvrière, couvrant ainsi toutes les expressions de combativité ouvrière, en particulier pour Solidaires en ciblant les jeunes générations.

Leur impact plus grand dans les années 2000, en grande partie dans la fonction publique, et plus particulièrement à la SNCF, secteur très combatif, concurrençant la CGT dans un de ses fiefs, montre que Solidaires a su attirer vers lui ces jeunes ouvriers de plus en plus réticents à suivre un syndicat qui ne leur laissait aucune initiative, où tout était décidé au sein de la direction. Solidaires apparaissait ainsi plus démocratique, moins bureaucratique, plus combatif, laissant plus de champ d’action. Or, c’était un piège qui a démoralisé tous ces jeunes prolétaires qui croyaient qu’en militant au sein de ce syndicat ils pourraient faire avancer les choses. Ils se sont heurtés aux mêmes pratiques syndicales.

Dans une situation de grande difficulté de la classe ouvrière, dont l’expression la plus significative est la perte de son identité, les syndicats ont été l’arme la plus efficace de la bourgeoisie pour éviter que la classe puisse reprendre confiance en elle afin de s’approprier les armes qui lui sont propres : les assemblées générales unissant l’ensemble des prolétaires et prenant les décisions nécessaires au développement de son combat, comme celles des étudiants prolétaires lors du mouvement contre le CPE en 2006. Solidaires avec les autres syndicats, la CGT en tête, organisent sans cesse des simulacres d’assemblées générales où les pontes de ces organisations prennent successivement la parole, empêchant toute prise de parole sérieuse et de décision de la part des ouvriers. C’est ce qu’on a vu lors du grand mouvement contre la réforme des retraites fin 2019/début 2020, où les syndicats ont tout fait pour encadrer et saboter une reprise de la combativité ouvrière après 10 ans d’atonie, à l’image du sabotage de Solidaires lors de la grève dans les technicentres de la SNCF en octobre 2019. Solidaires ayant été surpris par la grève de Châtillon, s’est positionné en « fer de lance » de la lutte dans la suite du mouvement, mais pour mieux l’isoler. Après avoir joué les fiers-à-bras en posant une sorte d’ultimatum à la direction (« On a donné à la direction jusqu’à 18 heures pour répondre à nos revendications »), Solidaires a appelé à la reprise du travail : « On joue le jeu [du dialogue social]. En attendant, le travail reprend, les rames vont sortir » (information AFP du 31 octobre 2019). La direction a repris la balle au bond en programmant une réunion avec les syndicats, et Solidaires a cessé d’évoquer la possibilité d’une grève… pour « jouer le jeu du dialogue social ». Et comme le rapporte le journal Libération du 31 octobre 2019 : « On ne pourra pas dire que l’on ne donne pas de porte de sortie de conflit à la direction ».

Solidaires : courroie de transmission de l’extrême-gauche du capital

Alors que la crise du capitalisme connaît une nouvelle aggravation, alors que l’inflation dégrade les conditions de vie de la classe ouvrière, et ce dans un contexte de guerre impérialiste aux portes des plus grandes concentrations ouvrières d’Europe, la bourgeoisie sait très bien qu’elle doit se préparer à faire face aux tensions sociales de plus en plus fortes, comme nous le montre « l’été de la colère » au Royaume-Uni. Toute la stratégie de la bourgeoisie est de préparer le terrain pour éviter que son ennemi de classe ne retrouve son identité, ouvrant la voie à la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société. Les syndicats peuvent s’appuyer, maintenant, sur une force politique, la NUPES, rassemblement de forces de gauche allant du PS à la France insoumise en passant par le PC, pour entraîner le prolétariat dans la défense « d’un État démocratique au service des travailleurs ».

Ayant été rédigé avant l’éclatement de la guerre en Ukraine et l’aggravation de la crise, c’est dans ce cadre que le livre est une réponse de la bourgeoisie à ce futur qui se prépare. Pour ses auteurs, Solidaires doit apporter sa petite contribution en se présentant comme un outil voulant, par rapport aux autres organisations syndicales, donner une touche plus combative, plus contestataire, avec un projet « anti-capitaliste », voire « révolutionnaire » face au projet « réformiste » de la NUPES. Et quel est ce projet ? Celui que l’on connaît : un capitalisme à la sauce stalinienne tel que le proposent ATTAC et le NPA ou le capitalisme autogestionnaire des libertaires. Un projet au sein duquel la défense de la démocratie est élevée comme un étendard contre les « hordes fascistes », avec le sempiternel mot d’ordre du PC en 1936 « faire payer les riches » relooké aujourd’hui par taxer les profits des grandes entreprises qui font des (super) bénéfices. Finalement un projet qui n’a rien de fondamentalement différent de ce que la NUPES et les autres syndicats proposent, si ce n’est que tout cela est ficelé avec un langage plus radical, resservi à chaque élection présidentielle par un « candidat ouvrier » issu du NPA. La cible ce sont, en particulier, les jeunes prolétaires. D’ailleurs nos auteurs s’insurgent lorsqu’un de ceux-ci refuse de participer à la farce électorale.

Leur sale boulot ne s’arrête pas à faire la promotion des mots d’ordre classiques de la gauche et de l’extrême gauche, à diviser la classe ouvrière derrière les différentes sections syndicales (SUD-Rail, SUD-santé et autres), comme le font d’ailleurs les autres syndicats, mais, comme le proposent les auteurs de ce livre, à s’investir dans des mouvements qui sont en fait étrangers aux luttes du prolétariat dirigées contre les effets de l’exploitation. Car il s’agit de dissoudre la classe dans des luttes parcellaires, le féminisme, l’écologisme ou autres luttes antiracistes, jusqu’à promouvoir le mouvement interclassiste des gilets jaunes où la spontanéité, le caractère démocratique, populaire et collectif seraient une source d’inspiration, ce qui colle très bien à la campagne médiatique de la bourgeoisie présentant ce mouvement comme une nouvelle forme de la lutte de classe.

Pour couronner le tout, Solidaires fait la promotion de son internationalisme frauduleux en envoyant un convoi « solidaire » pour soutenir les syndicats ukrainiens qui combattent l’armée de Poutine, une propagande nationaliste de sergents recruteurs comme l’avaient fait leurs ancêtres appelant les ouvriers à s’entre-tuer sur les champs de bataille lors de la Première Guerre mondiale au nom de l’union sacrée, ou lors de la Deuxième Guerre mondiale au nom de la défense de la démocratie face au fascisme.

André, 29 septembre 2022

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"En luttes! Les possibles d’un syndicalisme de contestation" de Sophie Béroud et Martin Thibault