Soumis par Révolution Inte... le
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article d’Internacionalismo, section au Pérou du CCI, paru pendant la campagne pour les élections présidentielles marquées par le contexte de la pandémie de Covid-19.
Une fois de plus, la bourgeoisie péruvienne a mis en marche un processus électoral. Un processus marqué par le conflit social et politique de l’année dernière, qui s’est terminé par de violentes protestations de la population à Lima, après que le Congrès a approuvé la vacance de Martin Vizcarra, suivie de la démission de son successeur, Manuel Merino (qui n’a pas tenu plus d’une semaine au pouvoir). Ces luttes étaient des luttes interclassistes sur le terrain mystificateur des « revendications citoyennes ». Mais, à la fin, il y a eu les manifestations de travailleurs du secteur agro-industriel, qui, elles, se situaient sur un terrain de classe.
Ces événements ont eu pour cadre général l’aggravation de la pandémie, qui a renforcé la perception dans la société de l’incapacité de la classe dirigeante, non seulement à gérer de manière responsable la pandémie, mais aussi à organiser ses propres forces politiques. […]
Alors que les fractions de la bourgeoisie se préparent pour le deuxième tour, le nombre de morts de Covid-19 ne fait qu’augmenter. Comme d’autres bourgeoisies dans le monde, la bourgeoisie péruvienne ne cache pas son véritable intérêt : tenter d’assurer les conditions politiques minimales nécessaires au bon fonctionnement de la production et du capital.
Pendant ce temps, le nombre de décès causés par le Covid-19 dans le pays s’élève à 165 608 personnes à cette date. (1) Il ne faut pas oublier qu’en août de l’année dernière, le Pérou est devenu l’un des pays du monde où le nombre de décès par million d’habitants est le plus élevé.
Mais cette situation est-elle seulement le résultat de la négligence de la bourgeoisie péruvienne ? Dans notre « Rapport sur la pandémie de Covid-19 et la période de décomposition capitaliste » de juillet 2020, nous avons clairement indiqué que cette pandémie représente non seulement la crise la plus importante depuis que le système est entré dans sa dernière phase de déclin historique, celle de la décomposition sociale, inaugurée par l’effondrement du bloc de l’Est en 1989, mais qu’elle traduit « toute une série d’éléments de chaos qui représentent la putréfaction généralisée du système capitaliste ». […]
En ce sens, les crises politiques récurrentes qu’a connues le pays, notamment dans le contexte de la pandémie, le manque de coordination institutionnelle allant jusqu’à l’utilisation des effets de la pandémie comme arme de confrontation entre les fractions de la bourgeoisie, chacune cherchant à affaiblir ou à discréditer l’adversaire, le faible investissement dans la santé depuis des décennies, un système de santé déficitaire en médecins et en lits, entre autres aspects, ont retardé ou rendu inefficaces les mesures nécessaires pour combattre le virus.
Le chaos que le monde, et particulièrement le Pérou, connaissent aujourd’hui avec la pandémie est le résultat d’un abandon progressif de la population, en particulier sur le plan sanitaire, exprimant un aspect caractéristique de la décomposition capitaliste, qui est « la perte croissante de contrôle des moyens que la bourgeoisie elle-même s’était donnés jusqu’à aujourd’hui pour limiter et canaliser les effets du déclin historique de son mode de production ». Il est clair que ce n’est pas la bourgeoisie d’un pays ou d’un autre, ou une certaine fraction de celle-ci, mais le capitalisme, en tant que système politique et social qui fait passer ses intérêts économiques, sa volonté de se perpétuer et d’accumuler pour le profit, bien avant les conditions de vie de la population.
Fuerza Popular et Perú Libre sont tous deux les gardiens du capital contre les travailleurs. (2) Malgré le taux d’abstention le plus élevé de ces vingt dernières années (selon l’Office National des processus électoraux, 7,1 millions de personnes ne sont pas allés voter), la bourgeoisie péruvienne marque un point, puisqu’elle a réussi à mobiliser plus de 18 millions d’électeurs. Elle a réussi à éteindre momentanément le conflit social et même à mettre la question de la pandémie au second plan, afin de concentrer tout son appareil de communication pour alimenter sa propagande autour des attentes électorales parmi la population.
Cela ne signifie pas pour autant qu’elle a réussi à inverser les confrontations en son sein, l’érosion de ses forces et le rejet par la population de ses anciennes forces politiques. C’est dans ce contexte que la candidature de Pedro Castillo, issu d’un parti socialiste de gauche, surfe sur la vague du discrédit des vieux partis et du chaos provoqué par la pandémie. Ce candidat a réussi à capitaliser politiquement de situations telles que la pauvreté, qui, en 2020, a atteint 30,1 %, c’est-à-dire le niveau d’il y a une décennie. Il a ainsi accru son audience dans certaines provinces du pays et dans le secteur de l’éducation, étant l’un des principaux leaders syndicaux de la grève des enseignants de 2017. Il a relié à lui d’autres personnalités, comme Vladimir Cerrón, fondateur du parti Perú Libre, se définissant comme « marxiste-léniniste-mariatéguiste », (3) qui a été accusé par d’autres fractions de la bourgeoisie d’avoir des liens avec Sentier lumineux […]. En 2019, il a participé à l’événement « Rencontre latino-américaine des gouvernements locaux et de la démocratie participative », à l’invitation de Nicolás Maduro, au cours de laquelle il a déclaré : « Les États-Unis veulent briser l’unité latino-américaine, la démocratie, nous sommes ici pour coordonner les efforts et l’en empêcher […]». La campagne de Castillo s’est attachée à le présenter comme un candidat contre la corruption, dont l’objectif principal est de fermer la voie au retour du Fujimorisme, en plus de réaliser les grandes revendications des enseignants et des paysans : contrôler les importations « pour arrêter la concurrence déloyale des importations qui affectent l’industrie nationale », une nouvelle réforme agraire, discuter d’une nouvelle réforme politique, rediscuter les conditions dans lesquelles les entreprises étrangères opèrent dans le secteur minier, convoquer un référendum pour élaborer une nouvelle Constitution, car il considère que l’actuelle est une « Constitution de la dictature » qui a « une matrice coloniale et ignore les institutions politiques et culturelles des peuples indigènes et des communautés paysannes », et inclure dans le système politique la révocation du président et des parlementaires. Il a également critiqué les médias, tout cela indique qu’il cherche à être perçu comme quelqu’un qui accordera à la population les avantages économiques et sociaux historiquement refusés.
De l’autre côté, il y a la candidate du parti Fuerza Popular, Keiko Fujimori, fille de l’ancien président Alberto Fujimori, lequel purge une peine de 25 ans de prison pour corruption et violation des droits de l’homme. Cette candidate est accusée de crimes liés à l’affaire « Lava Jato » pour avoir reçu des pots-de-vin lors de ses précédentes campagnes présidentielles, pour lesquelles le procureur général de l’affaire a demandé 30 ans de prison à son encontre. Ce parti-là est un parti de droite, continuateur de l’idéologie fujimoriste, « anti-communiste » et conservateur.
Voilà les forces politiques qui s’affrontent et qui représentent le pire du passé politique du Pérou, où règnent en maître la corruption et la violence, un résultat évident de la décomposition croissante du système, et, plus particulièrement, de la façon dont cette phase historique affecte les forces de la bourgeoisie comme classe dominante, caractérisée par la tendance croissante à perdre le contrôle politique de ses propres forces, devenue une tendance dominante de l’évolution sociale et politique. (4) Le fait que la bourgeoisie se trouve prise dans un réseau interminable et inextricable de corruption, de pots-de-vin et de chantage, qui a pris corps dans toutes ses institutions, l’oblige à manipuler jusqu’à l’absurde les lois mêmes qu’elle a créées pour réglementer son système politique, ce qui rend plus difficile l’établissement de conditions garantissant un certain niveau de gouvernabilité et de stabilité politique.
C’est un réel danger pour le prolétariat péruvien d’être entraîné dans la pourriture représentée par ces fractions en guerre, c’est-à-dire de devenir la proie de la bipolarisation dans la confrontation entre factions bourgeoises que les deux parties tentent de creuser, en présentant les choses comme une lutte entre « démocratie et communisme », en disant qu’il faut protéger les « acquis de la démocratie et de l’économie » face à « l’autoritarisme communiste », alors que les deux côtés ne représentent que les intérêts de la classe exploiteuse. Ces deux candidats, une fois élu président, développeront la même répression contre la classe ouvrière. L’un comme l’autre ouvriront un nouveau chapitre de violence politique et sociale, parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent échapper à la tendance, ouverte avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, au développement des formes d’État totalitaires, à semer un climat de haine, de règlements de compte et de chaos dans la population, dont ces mêmes factions sont porteuses, et qui frappe aussi au sein des couches les plus appauvries de la population et d’une classe moyenne en ruine.
Nous, travailleurs, ne devons pas tomber dans le piège tendu de cette confrontation, ni prendre parti pour l’une ou l’autre des fractions bourgeoises participant à ce cirque électoral. Défendre les institutions bourgeoises, leur idéologie et leurs mécanismes politiques, c’est défendre nos exploiteurs et nos bourreaux. La position marxiste que nous, militants de la Gauche communiste, défendons, s’est ainsi concrétisée dans la plateforme de notre organisation : « Au moment où la tâche fondamentale du prolétariat est de détruire les institutions étatiques bourgeoises et donc le parlement, où il doit établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société capitaliste ; sa participation aux institutions parlementaires et électorales conduit, quelles que soient les intentions de ceux qui la préconisent, à maquiller avec une apparence de vitalité ces institutions moribondes ». […] Que ce soit par la « démocratie directe », par une « plus grande participation des citoyens aux décisions politiques », toutes ont abouti à des formules qui ont servi à imposer aux travailleurs tout le poids de la crise économique, en exigeant les plus grands sacrifices, comme c’est le cas aujourd’hui avec la pandémie. Bien qu’à l’heure actuelle, nous ne soyons pas confrontés à d’importantes mobilisations de notre classe, et qu’un moment décisif de la lutte des classes ne soit pas proche, depuis des décennies, les conditions sont réunies pour que le prolétariat réalise une véritable révolution, qui détruise à la racine l’exploitation capitaliste. Tel est le véritable objectif du mouvement ouvrier, et non de servir sur un plateau d’argent à la bourgeoisie ce qui nous a tellement coûté de construire, en participant à leurs processus électoraux. La voie à suivre est celle des luttes contre la dégradation de nos conditions de vie, pour donner le sens politique que ces luttes contiennent, pour renforcer notre autonomie et notre identité de classe, en défendant nos intérêts de travailleurs au niveau international.
Internacionalismo, section au Pérou du CCI (3 juin 2021)
1) Un mois plus tard, ce chiffre s’éléve à plus de 193 000 morts alors que la bourgeoisie parle de décrue depuis 15 jours.
2) Le 11 avril a eu lieu le premier tour de l’élection présidentielle au Pérou. Deux candidats sont restés en lice : l’une d’extrême droite, Keiko Fujimori, (Fuerza Popular) et l’autre d’extrême gauche, Pedro Castillo, (Pérou Libre). Ce dernier l’a finalement emporté, à l’issue d’un second tour serré (Note du traducteur).
3) José Carlos Mariátegui (1894-1930), un des fondateurs du parti socialiste péruvien devenu plus tard parti communiste et théoricien d’un « socialisme adapté au monde latino-américain », mêlant indigénisme et production nationale basée sur l’agriculture, en particulier à la société péruvienne qui pourrait passer notamment directement d’un mode féodal au « socialisme » à partir du collectivisme traditionnel comme le pratiquaient les Amérindiens (Note du traducteur).
4) Lire nos “Thèses sur la décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme”, Revue internationale n° 107 (4e trimestre 2011).