Soumis par Révolution Inte... le
Cet article a été écrit en janvier dernier à l’occasion de réactions du PCI face à la guerre du Kippour.
Pendant longtemps la gauche italienne a constitué l’une des rares tendances qui a lutté avec acharnement pour préserver certains acquis du marxisme révolutionnaire face aux trotskystes et anarchistes de tout poil. Alors que la gauche allemande se dissolvait en divers courants confus, la gauche italienne des années trente, groupée autour de la revue "BILAN", tirait les leçons de la vague révolutionnaire de l9l7-2l et du processus contre-révolutionnaire : condamnation de toute espèce de frontisme, non-défense de l’URSS, dénonciation du caractère contre-révolutionnaire des luttes de libération nationale.
Nous reviendrons un jour sur la véritable histoire de la gauche. Disons simplement ici que depuis l943, date de sa fondation, le prétendu "PARTI COMMUNISTE INTERNATIONALISTE", créé en pleine période de contre-révolution[l], n’a cessé de dégénérer et d’abandonner les positions de classe que le courant dont il se réclamait défendait dans les années 30.
L’une des preuves les plus flagrantes de cette dégénérescence se trouve dans son soutien aux luttes de libération nationale, biais par lequel il rejoint le cloaque nauséabond où s’agitent les trotskystes et autres maoïstes. Nous verrons plus loin que cette position est sous-tendue par la fumeuse théorie de l’"Invariance du marxisme" de l847 à nos jours et le refus de reconnaitre la crise historique mondiale du capitalisme, ce qui les amène à déclarer que le capitalisme est encore "révolutionnaire dans certaines aires géo-historiques". Nous verrons ainsi que le mythe de l’invariance n’est pas seulement une farce idéologique, mais qu’il conduit à des positions contre-révolutionnaires.
LE PCI ET LA GUERRE DU KIPPOUR
Nous accordons bien volontiers à "Programme Communiste" (n°6l) que la question nationale "permet de vérifier si l’on sait assimiler la méthode matérialiste et la théorie révolutionnaire". C’est l’objet de cet article. Après la fin de la guerre du Kippour, le PCI a rappelé sa position théorique sur les luttes nationales et "les droits des peuples"; ou plutôt, il a ressorti un texte de l953 ("Les révolutions multiples") accompagné d’un extrait de la critique de Lénine à la brochure de Rosa Luxembourg ("La crise de la Social-Démocratie"). ("Le Prolétaire", n° l64.)
On aurait pu espérer qu’avec la guerre du Moyen-Orient certains éléments du PCI commencent à douter de l’analyse des guerres de libération nationale que leur "parti" s’obstine à "répéter".
Jamais, en effet, un conflit n’aura montré avec une telle évidence le caractère contre-révolutionnaire et inter-impérialiste de ces guerres. C’est au nom de la délivrance des territoires occupés, de la "défense de la patrie" que les bourgeoisies du Moyen-Orient ont assassiné des milliers de prolétaires juif et arabes. Jamais les petites nations ou "nationalités" n’auront autant servi de pions sur l’échiquier mondial où s’affrontent USA et URSS, à la recherche de nouvelles positions • Les rivalités nationales des petits pays sont apparus sous leur vrai jour : des moments du conflit inter-impérialiste que se livrent les grands impérialismes. Quant aux ouvriers et paysans palestiniens, la "cause sacrée" de cette guerre, ils avaient eu l’intelligence qui fait défaut au génial "parti historique" auto-proclamé de ne pas participer à cette guerre où ils ne pouvaient que servir de chair à canon (à l’exception de quelques fedayin téléguidés par les Etats arabes). Gageons que la constitution d’un Etat palestinien au Moyen Orient permettra au capitalisme mondial de mieux fractionner le prolétariat de cette région de mieux museler le prolétariat palestinien déjà faible.
Mais "Le Prolétaire" (n° l60) n’a voulu voir dans cette guerre qu’une "farce sanglante", une comedia dell’arte où "russes et américains ont fait semblant d’être prêts à en venir aux mains". Le PCI ne semble avoir trouvé dans ce conflit qui décimait les rangs du prolétariat que l’occasion de tremper sa plume dans l’encrier du moralisme le plus plat : "le nième conflit du Moyen-Orient passera à la postérité comme un moment de cynisme bourgeois… cynisme de l’Egypte… cynisme d’Israël… cynisme de différents Etats arabes… cynisme des Etats Européens… cynisme des super-grands…", "C’est le triomphe des Metternich modernes, l’âge d’or de la nouvelle Sainte-Alliance à deux (Kossyguine et Kissinger)."
Admirons le grand art avec lequel le PCI évite de prendre une position de classe.
Mais au moins, se dira le naïf lecteur du "Prolétaire", ils vont reconnaitre que les seules victimes de cette guerre, ce sont les prolétaires. Même pas ! "Quand la nouvelle guerre a éclaté entre arabes et israéliens, nous avons écrit -ce n’était pas un pronostic difficile pour des marxistes (sic)- que les véritables victimes (souligné par le "Prolétaire") en seraient les feddayin. " (NB, les "fedayin" même pas les travailleurs palestiniens !)
Toutes ces pitreries et jongleries de petits littérateurs n’arrivent pas à dissimuler une profonde indifférence à l’égard du prolétariat de ces pays, un extraordinaire "indifférentisme", pour reprendre l’expression chère au PCI. Leur solidarité ne va pas aux Palestiniens (encore que le terme ne veuille rien dire en bon vieux langage marxiste), pas plus aux ouvriers arabes et juifs tués ou mutilés à vie : non, ils versent des larmes sur les membres d’un organe militaire bourgeois milice du capital palestinien naissant : les commandos de fedayin. On ne peut plus nettement choisir son camp.
Poursuivant ce brillant exercice de style, dans le même numéro, "Le Prolétaire" affirme que les USA et l’URSS sont intervenus pour défendre leur "condominium sur la terre entière" De deux choses l’une : ou bien "Le Prolétaire" a "oublié" ses critiques de la théorie de l’ultra-impérialisme de Kautsky, ou bien tout ceci n’est que poudre aux yeux pour éviter de prendre position.
Derrière les clichés journalistiques du "Prolétaire», il y a la volonté de ne pas prendre une position sans ambigüité. Lénine, le Lénine révolutionnaire de l9l4, dont fait semblant de se revendiquer "le Prolétaire", n’hésitait pas à appeler à la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et à féliciter -en totale contradiction avec ses positions sur la question nationale- les socialistes serbes d’avoir refusé de défendre la "patrie nationale serbe" naissante. Il fustigeait tous les centristes qui refusaient de mettre en avant le programme révolutionnaire de la classe, tout en tenant de vagues propos internationalistes. Lénine a su alors montrer que la révolution (en l4 comme aujourd’hui) ne tolère pas les demi-positions.
Même si cette position est théorique, sans effet immédiat -et c’est toujours le cas en dehors des périodes révolutionnaires- une telle position de PRINCIPE à l’effet PRATIQUE de constituer une frontière de classe entre les éléments prolétariens et les éléments bourgeois.
Cette absence de position prolétarienne, ou plutôt cette volonté marquée de faire alliance avec la bourgeoisie palestinienne range une fois de plus le PCI dans le parti des gauchistes, souteneurs "critiques" professionnels.
Les épigones de la gauche italienne, regroupés dans le PCI feraient bien de méditer ce qu’écrivait le courant dont ils se réclament sur les "luttes de libération nationales" :
- "Les soubresauts nationalistes, les gestes terroristes de représentants des nationalités opprimées expriment aujourd’hui l’impuissance du "prolétariat et l’approche de la guerre. Il serait faux de voir dans ces mouvements un apport à la révolution prolétarienne, car ils ne peuvent s’épanouir qu’à la faveur de l’écrasement des ouvriers et donc en connexion avec les mouvements d’impérialismes opposés". "BILA.N" (n°l4).
OU MENE L'INVARIANCE
Le PCI se croit encore, pour certaines aires géo-historiques, en l848. Il reprend à la lettre déformée la nécessité de soutenir certaines « révolutions démocratiques bourgeoises". Comme le disait Lénine contre Kautsky, l’une des méthodes les plus sournoises de l’opportunisme consiste à, répéter une position valable dans le passé sans tenir compte du changement de période. Ici, c’est de la même chose qu’il s’agit : on fait croire au lecteur que la Palestine de l973, c’est l’Allemagne de l848.
Cette conception parfaitement idéaliste de l’Invariance qui efface les différences de périodes historiques, entraine plusieurs conséquences :
- on affirme que, dans certaines aires, le capitalisme demeure révolutionnaire, alors que dans d’autres il serait sénile. Ce faisant, on nie son caractère mondial depuis le début du siècle.
- il s’ensuit que, toujours dans ces mêmes aires, la révolution bourgeoise est à l’ordre du jour (ou la "révolution double" si le prolétariat peut en prendre la tête). D’où le soutien aux "révoltes des peuples de couleur (?), et le dépit très amusant de nos invariants de ne pas voir surgir des "jacobins" sans-culotte de ces « révolutions".
- on abandonne ainsi le terrain de classe du prolétariat MONDIAL et on nie l’antagonisme fondamental et irréconciliable qui oppose au cours de la décadence du mode de production capitaliste, les deux seules classes décisives de la société : bourgeoisie et prolétariat.
l) Caractère révolutionnaire des luttes de libération nationale?
Les conséquences contre-révolutionnaires de la théorie de l’Invariance apparaissent très nettement dans le numéro l64 du "Prolétaire" cité plus haut même s’il affirme d’un côté, que le capitalisme est "réactionnaire depuis l848", il déclare qu’il faut soutenir son développement dans tout pays arriéré. Ceci tant pour la "formation de nouvelles aires où seront à l’ordre du jour les revendications socialistes" que par "les coups que ces insurrections et ces révoltes portent à l’impérialisme euro-américain". (nous soulignons)
Voilà qui devrait réjouir les tiers-mondistes en tout genre à la recherche de révoltes paysannes. Pour le PCI il ne semble exister qu’un impérialisme : "l’euro-américain", ce qui nie les rivalités inter-impérialistes entre chacune des nations européennes et américaine et oublie dans les faits l’existence d’un impérialisme russe ou chinois. ("L’anti-impérialisme" du PCI est ici à sens unique !). L’affaiblissement d’un impérialisme ne peut qu’entrainer, à une époque où l’impérialisme est devenu un système mondial, le renforcement d’un impérialisme rival ne serait-ce que par la vente fructueuse d’armement qui entraine d’ailleurs la dépendance du pays révolté à l’égard de l’impérialisme "ami". Fondamentalement l’impérialisme mondial ne peut être affaibli, il ne peut être que détruit par le prolétariat mondial.
Quant à l’idée de soutenir la "formation de nouvelles aires où seront à l’ordre du jour des revendications socialistes" elle nous laisse rêveurs. Après le socialisme en un seul pays, voici le "socialisme dans une seule aire" (et de surcroît dans une aire arriérée !). Depuis quand les "revendications (!) socialistes" se posent-elles donc au niveau d’aires géographiques ?
Logique avec sa position, le PCI peut alors se permettre les déclarations les plus incroyables qui feraient frémir même un Trotsky des années 30 :
- "Les révolutions multiples contiennent l’affirmation la plus vigoureuse de la valeur révolutionnaire, même d’un "Bloc des Quatre Classes" en Chine et même du stalinisme en "Russie. C’est là le courage (sic) de la vraie Gauche Communiste…"
Si la révolution bourgeoise est encore progressiste il faut la soutenir.
Voilà ce qu’implique cette stupéfiante déclaration. Si chaque aire doit parcourir le même cycle que l’aire euro-américaine, alors, il faut adopter dans chaque pays concerné l’attitude du mouvement ouvrier au siècle dernier : soutenir ce qu’il y a de révolutionnaire dans la bourgeoisie.
En fait, à la base de la conception du "Prolétaire" il y a l’idée que le développement des forces productives à l’échelle nationale reste progressiste.
Ce faisant, il nie qu’il y ait une coupure entre la période d’avant et d’après la constitution du marché mondial. Pour le PCI la nation n’est pas un héritage barbare et décadent qui s’oppose au seul progrès historique désormais à l’ordre du jour, le développement MONDIAL des forces productives -elle est un cadre adéquat, "révolutionnaire" pour le développement des forces productives. Suivant une telle logique, le PCI aurait dû soutenir le capital russe progressif pendant les deux guerres mondiales impérialistes. Quand on se rappelle le VRAI courage de la gauche italienne en l9l4-l8 et en l939-45, on voit comment nos "invariants" renient le meilleur de l’esprit de leurs prédécesseurs.
Depuis l9l4 le conflit mondial inter-impérialiste a montré que le marché mondial est constitué, le problème n’est plus d’aider le capitalisme à se développer, mais de l’abattre définitivement.
C’est cette vision de changement de période qu’avait le Premier Congrès de l’I.C. lorsqu’il affirmait qu’on était entré dans une ère de guerres, de crises et de révolutions.
L’alternative était désormais : Socialisme ou barbarie.
Désormais, le rétrécissement des marchés extérieurs par rapport aux nécessités croissantes de réalisation de la plus-value entraine des rivalités, des conflits incessants entre puissances impérialistes. Désormais, l’impérialisme est un système mondial qui s’impose à tous les Etats nationaux. Dans un marché mondial pressuré par le capital, chaque nation est obligée d’être impérialiste par rapport aux autres nations pour survivre : le dernier exemple de cela, c’est le conflit entre le Sud-Viet-Nam et la Chine pour la possession des îles Paracels où l’on espère trouver du pétrole. Derrière chaque guerre, entre grands, entre petits se profile l’antagonisme entre les forces productives mondiales et le capitalisme forcément national. Toute vision qui reste enfermée dans le cadre national est incapable de comprendre la nature du capitalisme actuel.
Or justement, pour le PCI(tout comme pour les trotskystes) le capital n’existe pas vraiment comme système mondial et chaque nation poursuit son propre cours comme un atome indépendant dont on pourrait déterminer isolément la juvénilité ou la sénilité. A qui fera-t-on croire que ce bidonville qu’est l’inde est ''juvénile" par opposition aux USA "séniles" ?
Le PCI prétend aussi que les luttes "révolutionnaires nationales" permettent un développement des forces productives dans les pays où elles ont lieu. C’est vrai. Mais il n’en découle pas que ces luttes soient pour autant révolutionnaires.
Faisons d’abord remarquer que les pays ou se sont déroulées de prétendues "révolutions démocratiques bourgeoises" ne se développent que par le secteur lourd de l’armement (Chine), ou croupissent dans leur misère paysanne (Cuba et son économie sucrière). Si le PCI était logique il devrait soutenir également les pays totalement dépendants de l’impérialisme USA comme le Brésil ou la Corée du Sud où les taux de croissance atteignent 20%. Ou pourquoi ne soutient-il pas le capital Français ou Italien qui ont prolétarisé des millions de paysans depuis l945 ?
Aucun système et encore moins le capitalisme, ne vit sans permettre d’une façon ou d’une autre un certain développement des forces productives. Ceci est évident pour sa phase historique ascendante, mais se vérifie aussi au cours de sa décadence. C’est seulement au cours des grandes crises ouvertes qu’il se produit de véritables BLOCAGES de ce développement. Ce qui change radicalement d’une période à une autre, ce qui rend un système historiquement sénile, ce n’est pas une impossible stagnation permanente du développement des forces productives, mais le bouleversement définitif de la relation qui lie l’ensemble des rapports de production qui le constituent avec le processus de développement des forces productives. Tant que ces rapports de production sont LES SEULS COMPATIBLES avec le degré de développement des forces productives, le système vit sa phase ascendante. La décadence, la mise à l’ordre du jour de l’avènement d’une société nouvelle, commence avec la transformation de ces rapports en FREINS, ENTRAVES à la croissance des forces productives.
Attribuer un caractère progressiste au capitalisme dans telle ou telle région parce qu’il y développe des forces productives est donc absurde, non seulement parce que le capital ne peut être jugé que d’un point de vue MONDIAL[2] mais aussi parce que EN LUI-MEME aucun développement ne possède une signification historique.
Le développement qu'on· pu connaitre les économies du Tiers Monde perd toute signification progressiste dans le cadre historique mondial au sein duquel il se déroule. Si le Tiers-Monde crève de quelque chose ce n’est pas du manque de nations souveraines mais bien de la subsistance des nations dans le monde. C’est l’incapacité de l’humanité à détruire le cadre national (ce cadre économique créé par le capital et dont deux guerres mondiales ont montré, dans la plus horrible barbarie, la définitive obsolescence) qui a engendré le Tiers Monde. C’est parce que le développement des forces productives est mondialement entravé depuis plus d’un demi-siècle dans les carcans nationaux que les "nations souveraines" du Tiers-Monde s’enfoncent toujours plus dans leur arriération.
"Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt", dit un proverbe chinois. Quand le cadre national plonge dans la misère la plus horrible les deux tiers de l’humanité, le PCI nous fait remarquer que dans tel coin du tiers-monde le "cadre national" a tout de même permis la construction de quelques usines et que c’est très important, etc., etc. Bref, c’est dans la partie du monde qui justement subit le plus cruellement l’absurdité des nations que les nationalismes seraient "progressistes" !
De deux choses l’une : ou bien l’on affirme comme l’IC en l9l9 que nous sommes entrés dans l’ère de la révolution prolétarienne et l’on ne peut soutenir les guerres nationales -ou bien on verse dans le sentimentalisme poujadiste des défenseurs des "petites" nations contre les ''grandes". C’est ce dernier choix que fait le PCI qui, s’en prenant aux révolutionnaires, affirme que le non-soutien aux luttes nationales est : "une vision idéaliste qui converge en fait, involontairement avec le social pacifisme et le social-chauvinisme, sinon dans le soutien de l’ordre établi, du moins dans le messianisme de grande nation qui condamne les peuples des colonies et des semi-colonies, à l’immobilité dans l’attente de la révolution prolétarienne dans les métropoles". ("Le Prolétaire" n°l64)
"Grande nation" , "petite nation", "peuples", voilà les piteux discours que tient la pure et dure invariance de l’opportunisme ! Seuls des petits bourgeois qui ne se sentent pas organiquement fraction d’une classe mondiale peuvent, à l’heure du massacre des prolétaires par le capital, nous servir de tels bavardages. Seuls des gens pénétrés d’égocentrisme, de culpabilité "nationale", d’identification à leur pays ou aire, peuvent sombrer dans ce mépris du prolétariat mondial.
2) Le PCI et le Chili
Si les révolutions démocratiques sont encore à l’ordre du jour à l’époque du capitalisme mondialement décadent, on comprend que le PCI se fasse le conseiller de la bourgeoisie "démocratique" du Tiers-monde, à qui il reproche d’être trop "girondine" et pas assez "jacobine". Nos Daniel Guérin bordiguistes en viennent à rêver d’une révolution sans-culotte :"Ni potences, ni guillotines, ni canons pour accompagner la marche rien moins que théorique de la bourgeoisie progressiste" (n° l58).
Le PCI en arrive à jouer le rôle du trotskiste Pablo conseillant Ben Bella en Algérie. Ainsi, ils écrivent : "Un gouvernement qui prétend faire œuvre révolutionnaire sans mettre hors la loi les partis incarnant le passé et le présent (parce que naturellement, Allende représente l’avenir –(NdR) qu’il faut révolutionner, prépare le terrain à sa propre destruction". (n° l58)
Le résultat, c’est qu’on laisse supposer qu’Allende, cet homme de la bourgeoisie, aurait pu révolutionner quelque chose. Comme si Allende n’était pas l’instrument d’une politique de la bourgeoisie, destinée à mettra au pas le prolétariat chilien, que la crise économique rendait de plus en plus remuant, par des "méthodes de gauche" ; comme si Allende n’avait pas constamment employé la violence de classe contre le prolétariat chilien et les ouvriers agricoles ; comme si les différences entre les méthodes de Pinochet et celles d’Allende cachaient autre chose qu’une inévitable continuité dans le but de classe : la défense du capital national face à l’étranger et aux classes exploitées.
Mais le clou de l’analyse du "Prolétaire" sur le Chili et les "Révolutions multiples", c’est l’accusation de "girondisme" lancée à Allende :
- "Un régime statistiquement (?) "Populaire (?) et même plébéien (? ?), mais organiquement incapable de faire preuve d’une audace sans culotte (!), un régime qui écarte la violence (et la répression anti-ouvrière ?) avec pour seul résultat de subir la violence, qui fuit les mesures despotiques pour capituler devant le despotisme, qui en n’attaquant pas s’interdit même de se défendre, qui vénère la loi et l’ordre et les retrouve devant lui sur la gueule des canons et des mitrailleuses, qui ne prêche la paix que pour récolter la guerre" ("Le Prolétaire", n° l58)
Les prolétaires chiliens n’ont plus qu’à supplier le PCI d’envoyer à ce qui reste de l’U.P. un audacieux Robespierre, muni des principes tactiques invariants.
Ces jacobins qui se piquent de marxisme, parlent de "régime" là où il y a dictature de la bourgeoisie, se gargarisent de "statistiques" et de "peuple", là où il y a des classes. Derrière tout cela, il y a en fait une admiration inavouée pour le "régime" "populaire" d’Allende, et en dernier lieu une apologie des fronts interclassistes. Toute l’histoire du mouvement révolutionnaire est là pour montrer que lorsque de pseudo marxistes commencent à parler de "peuple ", de "plèbe" ils sont inévitablement amenés à remplacer l’analyse de classe par le populisme le plus éhonté et se retrouvent nécessairement dans le camp de l’ennemi.
3) Abandon du terrain de classe
Dans la même lignée de l’invariance de l’opportunisme, se trouve la théorie des "peuples de couleur" propagée par les petits intellectuels bourgeois "blancs" pour soulager leur constipation de citoyens "riches" et par les intellectuels bourgeois "noirs" pour mystifier les ouvriers de la même couleur qu’eux. Démagogiquement, on substitue la guerre des races à la guerre des classes. On comprend que le PCI reproche aux révolutionnaires "le simplisme grossier de ceux qui réduisent toute lutte de classe au binôme, toujours et toujours répété de deux classes conventionnelles[3] qui seraient les seules à agir"
Eh bien, oui, nous nous réclamons de ce simplisme grossier sur l’arène mondiale où se joue le sort de la société humaine, il ne peut y avoir en fait que deux classes décisives en présence. Ce sont les deux classes "conventionnelles" de Marx : bourgeoisie et prolétariat.
Nous ne nions pas qu’il y en ait d’autres mais elles ne sont pas des SUJETS déterminants ; elles se rangent derrière la bourgeoisie ou sont neutralisées puis lentement intégrées au prolétariat.
Toute cette rhétorique sur les "binômes" et "conventions " ne peut avoir comme but que de mettre en valeur la petite bourgeoisie.
Le PCI a tout renié du passé révolutiorulaire de la gauche italienne qui l’avait amené à réviser les positions contre-révolutionnaires de Lénine sur la question nationale. Aujourd’hui, il réclame avec la meute des gauchistes des Allende "jacobins", se pâme devant l’embrigadement des jeunes chômeurs palestiniens dans l’appareil militaire du capital (fameux "fedayin"), aperçoit des couleurs là où il y a des classes et braille fièrement que Stalinisme et Bloc des Quatre Classes sont révolutionnaires. A l’heure où le capitalisme mondial, putréfié, craquant de toutes parts, n’a plus qu’une seule solution : des massacres sans cesse plus sanglants et la destruction de l’humanité, les petits écrivains du "Prolétaire" réclament des mouvements "audacieux", "despotiques" de "jacobins" et de "sans-culotte".
Voilà où mène l’incompréhension théorique de la période historique, incompréhension fondée sur une invariance mythique d •un programme intégral qui n’a jamais existé.
A force de répéter invariablement les mêmes erreurs, on devient intégralement contre-révolutionnaire.
Et, à force d’être con, on devient odieux.
Chardin.
[l] C’est de lui qu’est issu, après la scission de l952 le P.C.I., regroupé autour du "Prolétaire" et "Programa Communista"
[2] Il est, à notre époque aussi absurde de parler de "capitalisme progressiste" pour une nation ou même une région du monde que d’affirmer que le féodalisme était un système progressiste en l780 parce que dans telle ou telle baronnie du royaume de France les défrichements de terres et les techniques de production connaissaient encore quelques développements.
[3] Il faut se rendre compte (ainsi parle toujours l’opportunisme NDR) que, dans les pays d’Outre-mer, vivent d'immenses collectivités de race jaune, noire, olivâtre (sic), dont les peuples ( !) réveillés par le fracas du machinisme, semblent ouvrir le cycle d’une lutte patriotique (!) et d’indépendance et de libération nationale comr.le celle dont s’enivraient (sic) nos grands-parents…" (texte de l953, repris dans le "Prolétaire" N°l65).