Soumis par Revue Internationale le
Nous voulons montrer dans cet article :
- que le prolétariat doit considérer d'un oeil différent les différentes couches de la population agricole et s'appuyer sur les ouvriers agricoles et les paysans pauvres
- que la question paysanne s'est aggravée avec la décadence du capitalisme, ce qui laisse un legs très lourd au prolétariat
- que toutes les tentatives de "réformes agraires" sont des mystifications bourgeoises; que seule la révolution prolétarienne mondiale est la SEULE et VRAIE solution à la misère croissante dans les campagnes du Tiers-Monde.
QU’EST CE QUE LA PAYSANNERIE ?
A la différence des sociologues qui parlent de manière indifférenciée de la paysannerie comme d'une catégorie sociale homogène, les marxistes ont toujours montré son hétérogénéité. Ils ont démontré l'existence à la campagne de différentes classes sociales antagoniques, et à l'intérieur de celles-ci de strates produites par le régime juridique de la propriété foncière ou la possession de moyens de production. C'est en étudiant les clivages de classe existant au sein des campagnes et dans les différentes aires géographiques que le marxisme peut saisir les contradictions sociales explosives qui règnent à la campagne et saisir leurs liens avec la lutte du prolétariat industriel.
Il est d'autant plus nécessaire de définir les classes sociales à la campagne, que consciemment la bourgeoisie occulte leur existence. Pour elle, les ouvriers agricoles, les sans-travail, les paysans sans terre qui s'entassent dans les villages, c'est du pareil au même. Un fermier capitaliste est pour elle identique à un fermier du tiers-monde; un capitaliste de plantation sera défini comme "exploitant agricole" au même titre que le petit paysan disposant tout juste d'un lopin de terre.
En second lieu, il faut bien prendre soin de distinguer la population rurale (l'ensemble des classes vivant à la campagne) de la population agricole (ensemble des classes vivant de l'agriculture). Il est évident qu'un ouvrier vivant et travaillant à la campagne n'est pas un paysan, et inversement, un paysan travaillant et vivant à la ville ou dans un gros bourg n'est pas ni commerçant, ni ouvrier. Il existe une différence qualitative entre la campagne industrialisée des pays hautement développés et la campagne sans industrie des pays du tiers-monde.
En troisième lieu, on doit mettre en évidence le fait que la population agricole ne recouvre pas la population active. Si 50% de la population allemande ou japonaise travaille ce chiffre tombe souvent à moins de 30% dans les pays sous-développés. Il faut insister aussi sur le fait que dans ces derniers, le chômage et le sous-emploi touchent de 20 à 40% de la population agricole.
Toutes ces précisions sont d'autant plus nécessaires que la bourgeoisie, par tous les moyens (idéologiques, statistiques) cache l'existence des classes à la campagne et donc les antagonismes de classes sous la catégorie fourre-tout : "paysannerie".
Il n'existe pas de paysannerie en soi, mais un prolétariat rural d'un côté et différentes couches sociales du paysannat de l'autre côté depuis le grand propriétaire jusqu'au sans-travail.
LES OUVRIERS AGRICOLES
Les ouvriers agricoles ne font pas partie de la paysannerie, même si bien souvent, ils peuvent en partager les préjugés et l'idéologie. Ils sont un détachement du prolétariat à la campagne et leurs intérêts de classe ne se distinguent en rien de ce ceux du prolétariat tout entier. Ils constituent sans doute la catégorie la plus exploitée de la classe ouvrière par leurs salaires extrêmement bas et la précarité de leurs conditions d'existence qui les mettent à la merci des propriétaires fonciers : chômage, violence de ces derniers qui bien souvent disposent de véritables armées privées pour les mettre à raison en cas de révolte, comme c'est le cas en Amérique Latine. Le fait que, bien souvent, à l'exception des pays industrialisés et des régions de plantations, ils soient faiblement concentrés et minoritaires au sein des campagnes souligne leur dramatique isolement du reste du prolétariat. Ce sera précisément une tâche du prolétariat urbain de porter la lutte de classe à la campagne et de s'appuyer solidement sur les prolétaires ruraux. Cette tâche sera néanmoins difficile, compte tenu de l'éparpillement, et dans la majorité des cas, de la faiblesse numérique de ces ouvriers : bien souvent, ils ne dépassent guère le chiffre de 10 à 20% de la population agricole dans l'ensemble du monde.
Cependant, le principal obstacle à l'union du prolétariat urbain et rural réside dans la perméabilité des couches sociales à la campagne; souvent des ouvriers agricoles sont propriétaires d'un lopin de terre qui leur permet de survivre du point de vue alimentaire; fréquent peut-être aussi le cas de paysans-ouvriers qui font une double journée de travail. Bien souvent encore, dans le tiers-monde, une masse énorme de sans-travail ne vend qu'une partie de l'année sa force de travail. Nous verrons plus loin que les réformes agraires opérées dans les pays de l'Est et du tiers-monde, donnant des lots de terre aux ouvriers agricoles ont souvent occulté leur différenciation d'avec la paysannerie et atténué ainsi momentanément les clivages sociaux.
L'existence de grands domaines non cultivés ou sous-utilisés dans les pays du tiers-monde peut pousser les ouvriers agricoles à les occuper en période révolutionnaire. Dans ce cas, comme le montre l'exemple de la Russie en 1917-18, ils cessent d'être des ouvriers agricoles. En opérant le partage des terres, ils deviennent alors des petits exploiteurs agricoles, avec tous les privilèges que cela implique. L'existence d'une idéologie "partageuse" (on se partage les terres entre tous) est un frein dans la prise de conscience de classe des ouvriers. Elle permet toutes les manœuvres des fractions bourgeoises de gauche qui se font les porte-parole de la petite propriété.
Tout autre est le cas des ouvriers agricoles des pays développés. La disparition progressive des journaliers agricoles et la concentration des ouvriers dans de vastes usines (ou coopératives) alimentaires, dans des unités mécanisées, ont simplifié favorablement la situation. Les ouvriers effectuent un travail associé, sont de véritables ouvriers d'industrie, pour lesquels le partage des terres et des usines agricoles n'a aucun sens. C’est pourquoi, étrangers à l'idéologie "partageuse" ils s’intégreront sans problème dans la lutte révolutionnaire qui secouera les pays développés.
Le poids du passé, l'archaïsme des structures agraires rendent par contre extrêmement hétérogène e paysannat qui coexiste avec les ouvriers agricoles.
LES DIFFERENTES CATEGORIES DE PAYSANS
Elles sont délimitées en fonction de 3 critères :
- les structures juridiques : possession ou non possession de la terre; propriété pleine ou usufruit de la terre (fermage et métayage); coopératives agricoles
- la taille des exploitations : grande, moyenne ou petite
- l'importance de la capitalisation et la mécanisation des exploitations.
C'est en fonction de ces critères que l'on pourra limiter les clivages de classes existant dans les campagnes. Il est bien évident que la domination du capitalisme, même formelle, à la campagne, fait passer au premier plan pour cette délimitation, le critère économique au détriment du critère juridique. Ce qui prime du point de vue du capital, c’est moins la propriété juridique que la possession des moyens de production et du capital permettant de mettre en exploitation la force de travail et la terre. De plus, dans les pays industriels, la question de la taille de l'exploitation a perdu beaucoup de son importance: à la culture extensive a succédé la culture intensive, à la "faim de terre", la faim de capital.
Pour définir les classes à la campagne, il faudra essentiellement tenir compte de deux critères
- le revenu du "paysan",
- sa place dans les rapports de production selon qu'il se trouve en situation d'exploiteur de la
force de travail ou non, de dépendance absolue ou non vis à vis du capitaliste ou du propriétaire foncier,
Enfin, les différenciations géographiques doivent nécessairement être prises en considération. Il n'y a aucune mesure entre le petit propriétaire de la Beauce ou du Middle West et le petit propriétaire du Cameroun.
LA BOURGEOISIE RURALE
L'une des grandes mystifications développées par la bourgeoisie consiste très souvent à considérer purement et simplement les grands propriétaires fonciers ou les fermiers capitalistes comme ... des "paysans". Non moins pernicieuse est l'idée que dans les pays du tiers-monde, de l'Asie à l'Amérique Latine, les "latifundiaires", les "aghas" musulmans ou les "zamindar" indiens seraient des ... féodaux comme il en existait au Moyen-Age.
A cela on peut répondre
1) Si jadis, sous l'Ancien Régime, les "riches laboureurs" de la fable pouvaient être considérés comme une couche supérieure de la paysannerie, l'emprise de la bourgeoisie sur la terre et sa domination sur cette couche dès l'aube de l'essor capitaliste ont définitivement créé dans les pays même les plus arriérés une bourgeoisie agraire organiquement reliée à l'ensemble de cette classe par le triomphe économique et politique des nouveaux rapports de production. Elle est une bourgeoisie, non en fonction d'un formalisme juridique, ou du degré de ses revenus, mais par sa possession des moyens de production (terre, capital technique) et l'exploitation capitaliste de la force de travail (salariat en argent ou en nature), et enfin, par son insertion dans le marché capitaliste (produire pour vendre).
2) Ce ne sont pas les titres nobiliaires, ni la dimension et l'origine féodale des grands domaines (latifundia), ni même la domination quasi féodale des grands propriétaires sur des paysans encore soumis à des corvées et à des rapports de servage (Moyen-Orient, les pays les plus arriérés d'Amérique Latine) qui définissent et délimitent aujourd'hui les rapports de production dans les zones les plus arriérées, mais le marché mondial. La pénétration du capitalisme, la nature capitaliste de l'Etat soumis aux lois du capital tendent à transformer en bourgeois les anciens féodaux. Qu'ils soient latifundiaires, usuriers ou chefs de tribus, le capital en les intégrant dans le marché et surtout au sein de l'Etat, les a progressivement lié à l'ensemble de la classe dominante capitaliste. Qu'ils circulent à cheval ou en voiture, qu'ils soient en "boubous" ou en costume de ville, ils sont irréversiblement devenus partie intégrante de la bourgeoisie, à laquelle ils participent par l'appropriation de la rente foncière et par le profit des marchandises agricoles qu'ils écoulent sur le marché capitaliste.
C'est cette vision mondiale qui permet de déterminer qu'il ne peut y avoir en aucun cas une classe "féodale réactionnaire" et une "classe bourgeoise progressiste" dans les pays les plus arriérés. Il s'agit d'une seule et même classe réactionnaire dans la décadence capitaliste : la classe dominant les exploités !
3) Il ne s'agit pas, bien sûr, de nier l'existence de restes de modes de production antérieurs au capitalisme. Au 20ème siècle, on peut voir co-exister en Océanie, par exemple, aussi bien les plantations les plus modernes que des tribus cultivant la terre avec des outils de l'âge de pierre. Cette réalité qui est le produit même de la perpétuation du système capitaliste devenu stérile, ne contredit pas la domination mondiale du capital dans tous les pays. C'est essentiellement dans la sphère de la circulation des marchandises (échange) que le capital s'est imposé partout. Même les grands "féodaux" de l'Asie doivent écouler leur production sur un marché capitaliste.
4) La théorie qui parle aujourd'hui de possibilité de révolutions"anti-féodales" bourgeoises, en se basant sur l'existence de vestiges de modes de production non capitalistes, rappelle étrangement la vieille conception du "développement inégal" chère ,à feu Staline, voire celle de la "révolution par étapes".
Une telle théorie n'est pas neutre; elle part d’une vision nationale et donc nationaliste, des rapports de production dominants; elle est le cache-sexe de tous les mouvements bourgeois tiers-mondistes trotskystes, etc. qui affirment que l'ennemi du prolétariat agricole et des paysans pauvres dans les pays sous-développés, c'est ... le"féodal".
LA PETITE BOURGEOISIE
A cette catégorie appartiennent les petits paysans, petits propriétaires indépendants ou non (exploitant ou non la force de travail), petits fermiers et métayers des pays développés. L'hétérogénéité de cette couche est le produit historique de l'interpénétration des rapports précapitalistes avec le capitalisme moderne. Elle trouve sa source dans les structures juridiques, économiques, géographiques les plus diversifiées. On pourrait même affirmer que cette situation complexe détermine l'existence de véritables "sous-classes à l'intérieur de cette petite bourgeoisie. Toutes se trouvent dans un état de dépendance vis à vis du marché, mais d'inégale indépendance par rapport au capital. Deux couches principales peuvent ainsi se dégager
- les exploitants agricoles à leur compte, véritables artisans puisqu'ils sont possesseurs de leurs moyens de production (terre, tracteurs, bâtiments). A l'intérieur de cette couche se délimitent les exploitants qui achètent la force de travail, et ceux dont la main d’œuvre est purement familiale.
- les exploitants dépendants ne possédant pas la terre dont ils sont les locataires (usufruitiers: métayers et fermiers). Ces deux couches s'opposent puisque les premiers ne disposent pas de leurs moyens de travail qu'ils louent, alors que les seconds possèdent nécessairement leurs outils de travail, mais l'évolution du capitalisme a transformé les fermiers peu à peu en petits capitalistes qui se différencient eux-mêmes selon la grandeur de leur capital. Quant aux métayers, héritage précapitaliste en voie de disparition dans les pays développés comme la France, l'Italie, etc., ils sont directement soumis à l'arbitraire du propriétaire et aux aléas de leur récolte, compte tenu du fait que leur mode d'exploitation est primitif et qu'ils doivent donner en nature une partie déterminée de leur récolte comme loyer de la location de terre et d'outils.
C'est dire toute la complexité du problème et l'extraordinaire difficulté du prolétariat à intervenir dans ces couches.
En fait, c'est la force même
du prolétariat, sa division inébranlable qui sera à même de créer des clivages
au sein de la petite bourgeoisie agricole.
Dans les pays sous-développés, un prolétariat décidé peut entraîner derrière
lui ces couches petites bourgeoises que la crise jette dans le paupérisme absolu. Dans les pays développés, le prolétariat
s'affrontera à l'hostilité la plus vive de ces couches qui s'identifient à la
propriété privée. Dans le meilleur des
cas, si la révolution internationale s'étend rapidement, le prolétariat pourra
compter au moins sur la "neutralité" résignée de ces couches
particulièrement rétrogrades.
LES PAYSANS PAUVRES ET SANS TERRE
Dans le tiers-monde, ils constituent une véritable couche de miséreux et de crève-la-faim, vivant dans des conditions inhumaines. Qu'ils soient métayers dans les pays musulmans, petits propriétaires végétant sur un maigre lopin de terre (microfundia), ou sans terre, proie des usuriers, vagabonds ou entassés dans des villages-bidonvilles, tous vivent la même situation de misère absolue, sans espoir de s'intégrer dans la société capitaliste où ils vivent en marge. Bien souvent, ils sont à la fois petits propriétaires, ouvriers agricoles, métayers et fermiers quand une partie de leur terre a été hypothéquée. Selon les statistiques officielles, 900 millions d'hommes sont définis comme paysan sans terre. Leur situation se rapproche de celle des sans-travail, puisque la majorité d'entre eux ne travaille que 80 jours par an en moyenne, entre 20 et 40% de la population agricole du tiers-monde. En proie aux famines, aux violences des propriétaires fonciers, ils vivent dans un état d'apathie profonde jalonnée de révoltes brutales et sans espoir, écrasées férocement. C'est cette couche majoritaire dans les campagnes arriérées qui illustre de façon frappante qu'ils n'ont que leurs chaînes à perdre, et un monde à gagner lors de la révolution prolétarienne.
Cependant, leur adhésion à la révolution prolétarienne sera fonction de l'esprit de décision du prolétariat. La situation de vagabonds, voire du lumpenprolétariat en ont fait dans le passé, et peuvent en faire aujourd'hui, des instruments des propriétaires fonciers ou de mouvements capitalistes d'Etat ("libération nationale"), des mercenaires utilisés contre les ouvriers.
Si cette couche, hybride, dont l'unité est la misère absolue, n'a rien à perdre, elle ne pourra être gagnée par la flamme révolutionnaire que si le prolétariat lutte sans merci contre la bourgeoisie rurale en la réduisant à néant.
LE POIDS DE LA DECADENCE
1) Le marxisme et la question paysanne au 19e siècle
Si à la veille de la "révolution industrielle", la paysannerie représentait encore plus de 90% de la population mondiale, le développement du capitalisme s'est traduit par une prolétarisation considérable des paysans jetés brutalement dans les nouveaux bagnes industriels. Toute l'histoire du capitalisme depuis ses origines est celle d'une expropriation violente des petits propriétaires agricoles par le capitalisme agricole, paysans sans terre contraints au vagabondage afin de les transformer brutalement en prolétaires. L'accumulation primitive en Angleterre étudiée par Marx dans le Capital en est l'exemple le plus cruel.
La mécanisation de l'agriculture au 19ème siècle en Europe occidentale, signe d'une capitalisation croissante de la terre, n'a fait que précipiter ce phénomène en ne laissant aux paysans pauvres que le choix entre mourir lentement asphyxiés par la concurrence de l'agriculture capitalisée (ce fut le cas des paysans irlandais qui laissèrent un million de morts lors de la grande famine de 1847) ou devenir des prolétaires d'usines. Ce que le capitalisme avait obtenu à ses débuts par la violence physique, il l'obtenait dorénavant par la violence de ses lois économiques : trouver une force de travail abondante et bon marché pour la pressurer impitoyablement dans les nouveaux centres industriels.
Le second avantage pour le capitalisme de cette expropriation n'était pas moindre. En concentrant et remembrant les terres, le capital pouvait produire des aliments bon marché susceptibles autant de répondre à la brutale croissance démographique que de faire pression sur les salaires, en réduisant le coût de production des biens nécessaires de la reproduction de la force de travail.
Sur le plan théorique, Marx, lorsqu'il mit en relief les lois auxquelles était soumis le capitalisme, divisait la société en trois grandes classes sur le plan économique : la bourgeoisie, le prolétariat, et la classe des grands propriétaires agricoles (landlords) accaparant la rente foncière. Sur le plan politique, il dégageait deux classes historiques fondamentales : l'ancienne classe révolutionnaire (la bourgeoisie) et son fossoyeur, le prolétariat.
Cependant, à la fin du siècle dernier, si le capitalisme dominait l'ensemble du monde, on était loin d'une intégration des paysans au niveau mondial dans la production, et cela même en Europe. Kautsky, étudiant d'ailleurs uniquement le cas de l'agriculture européenne et américaine, pensait que la tendance générale du développement capitaliste allait dans le sens de la disparition de la petite propriété au profit de la grande, et donc de l'industrialisation de l'agriculture. Il soulignait la prolétarisation des paysans transformés en ouvriers agricoles en Allemagne[1]
Cette vision optimiste d'une fusion entre industrie et agriculture, sur la "résolution pacifique" par le capital du problème paysan et agraire reposait en fait sur la croyance en une impossibilité d'une décadence du capitalisme et sur l'espoir (inavoué encore chez Kautsky) réactionnaire d'une croissance harmonieuse et infini de ce système.
La décadence du capitalisme n'a fait que pousser à son comble le problème paysan et agraire. Ce n'est pas, si l'on prend un point de vue mondial, le développement de l'agriculture moderne qui s'est réalisé, mais son sous-développement. La paysannerie, comme il y a un siècle constitue toujours la majorité de la population mondiale.
2) Développement et sous-développement dans le tiers-monde
Ces pays représentent 69% de la population mondiale et n'entrent que pour 15,4% du PNB mondial[2]. Ils ne produisent que 7% de la production industrielle mondiale et leur taux d'analphabétisme est d'environ 75%. Leur part dans le commerce international n'a fait que continuer à diminuer passant de 31,2% en 1948 à 17% en 1972[3].
Mondialement la population agricole n'a pas diminué depuis la seconde guerre mondiale mais elle a augmenté en absolu. Elle passe de 700 millions d'hommes en 1950 à 750 en 1960, pour atteindre sans doute -par déduction statistique- environ 950 millions d'actifs agricoles. Si l'on considère que le nombre d'actifs considérés comme tel, selon ces "critères capitalistes" est de 1,7 milliard, on a une idée du poids écrasant de la population agricole. Quant à la part active de cette population, elle a à peine diminué : 60% de la population active en 1950; 57% en 1960; peut-être 55% en 1980. (Tous ces chiffres prennent uniquement en considération l'ensemble du monde).
Bien entendu ces chiffres sont incertains faute de statistiques sérieuses, non manipulées par les économistes bourgeois.
Dans la réalité, 66% de la
population mondiale semble vivre à la campagne dont l'immense majorité, à
l'exception du monde industriel, est constituée de paysans pauvres avec ou sans
terre.
Non seulement, le capitalisme ne peut intégrer les paysans dans l'industrie, mais il les fait croupir dans la misère la plus absolue. Sur 60 millions de décès annuels, en majorité dans le tiers-monde, 20 millions sont dus à la faim ou à ce que les économistes appellent pudiquement "malnutrition" L'immense majorité de la population ne dépasse pas l'âge de 40 ans, et la moitié des enfants meurt avant un an. Officiellement, 900 millions de paysans sont considérés comme vivant au seuil de la pauvreté absolue, et peut-être plus puisque les chômeurs (les paysans du tiers-monde trouvent souvent un appoint comme ouvriers agricoles) ne sont pas comptabilisés (cf. R.Fabre. "Paysans sans terre")
Cette misère absolue, les famines menaçantes comme au Sahel et en Asie, condamnent d'autant plus le capitalisme que les possibilités existent aujourd'hui de nourrir bien au-delà des besoins toute la population mondiale :
- un tiers seulement de la surface agricole utile mondiale est cultivée
- la surproduction agricole des pays développés par rapport aux marchés solvables entraîne une gigantesque sous-production par rapport aux besoins vitaux; les USA préfèrent transformer leurs excédents en alcool, et même diminuer la surface de blé cultivée plutôt que de voir la chute des cours
- le développement constant de l'économie de guerre, en développant toujours plus les stocks stratégiques en vue de la guerre mondiale, entraîne une réduction constante de la consommation de produits vivriers.
Les menaces de faim sont aujourd'hui tout aussi réelles qu'elles l'étaient dans les économies antérieures : la production agricole par habitant est intérieure au niveau de 1940 (cf. R.Fabre, "Paysans sans terre"). Signe de l'anarchie totale du système capitaliste, la plupart des anciens pays agricoles producteurs du tiers-monde sont devenus depuis la seconde guerre mondiale importateurs : l'Iran, par exemple, importe 40% de ses produits alimentaires consommés. Contrairement aux encenseurs du capital qui parlent sans rire de "pays en voie de développement", la cause en est, non l'arriération du tiers-monde, mais l'existence du capitalisme qui a pénétré partout dans le monde.
3) Pénétration du capitalisme
Plus aucune région du monde, même en Afrique ou en Asie, ne vit en état d'autarcie et d'autosubsistance, à l'exception des tribus primitives d'Amazonie et d'Afrique Centrale qui font les délices des ethnologues. Par la violence, par l'emprise croissante de l'Etat, le capital a pénétré toutes les campagnes à l'aide de l'économie de traite, soumettant les paysans à l'échange et par l'imposition de l'impôt. Désormais, chaque paysan producteur, même le plus arriéré, vend une partie toujours croissante de sa production pour le marché.
Le capitalisme a imposé partout la culture de produits agricoles destinés non à la consommation locale mais à l'exportation sur le marché mondial. La polyculture traditionnelle répondant à l'autosubsistance a été démantelée au profit de la monoculture, que ce soit dans les grandes plantations ou les petites exploitations agricoles.
Cependant, si les produits agricoles circulent comme marchandises, le capitalisme n'a pas pu et ne peut socialiser l'agriculture, développer une fusion entre la ville et la campagne.
C'est pourquoi l'immense majorité de la population agricole cultive toujours dans des conditions moyenâgeuses :
- sans tracteurs, voire sans charrue et sans outils,
- sans engrais, ni pesticides, etc.,
- en sous-utilisant la terre cultivée au rythme des saisons,
- en sous-employant les bras disponibles,
- en étant soumise à un état de surmortalité ou d'épuisement physique faisant chuter les rendements agricoles.
Par ses lois juridiques et économiques, le capitalisme a achevé sa domination formelle des campagnes, mais il n'a pu les intégrer réellement dans l'économie capitaliste.
On pourrait cependant objecter à cela la réelle prolétarisation des paysans d'Europe et d'Amérique, surtout depuis la seconde guerre mondiale, avec la période de reconstruction. Il est vrai que la population agricole active ne représente plus aux USA en en Grande-Bretagne que 3% de la population active totale; en France, pays de petits paysans, que 10%; en RFA 7%; en RDA 10%; en Tchécoslovaquie 14%, etc.. Il est vrai aussi que la production agricole de ces pays s'est considérablement modernisée par l’utilisation de machines et d'engrais modernes. Mais on ne saurait en aucun cas tirer du cas européen une généralisation à l'ensemble du monde. Plus des 2/3 du paysannat mondial vit encore dans des conditions moyenâgeuses et n'a bénéficié aucunement de la "manne" de la reconstruction.
LA DANSE MACABRE DE LA SURPRODUCTION ET DE LA SOUS-PRODUCTION AGRICOLE
Cette domination mondiale du capitalisme s'est accompagnée d'une véritable régression des forces productives dans l'agriculture. Là où elles se sont développées, c'est uniquement dans les secteurs agroalimentaires destinés non au marché intérieur mais au marché mondial. C'est pourquoi la crise du capitalisme se traduit sur le plan de la production alimentaire par :
- l'impossibilité d'écouler les stocks agricoles sur le marché saturé en corrélation avec la chute de la production industrielle,
- l'impossibilité de développer la production agricole en raison du manque de capital dans les pays sous-développés et du surplus de capital dans les pays industrialisés.
Même si, par hypothèse, on
envisageait dans le tiers-monde un développement considérable de la production
agricole, celle-ci se heurterait aux lois du capitalisme. Elle entraînerait un effondrement des cours
mondiaux agricoles, du profit capitaliste, et en fin de compte, de la production
mondiale agroalimentaire.
D'un autre côté, la faible
productivité dans les campagnes arriérées où s'entassent des millions d'hommes
sous-employés, sans moyens techniques modernes, rend nécessairement non
rentable cette agriculture. Pour donner
un exemple : la culture de 1’hectare de riz demande plus de 100 jours de
travail en Asie, tandis que celle de 1’hectare de blé aux USA ne demande qu'un
jour de travail, et ce pour le même rendement (cf. J.Klatsmann, "Nourrir 10 milliards
d'hommes ?". Ed. PUF 1975).
Enfin, le capitalisme d'Etat,
en prélevant une partie croissante du produit agricole, diminue la part
revenant à la subsistance du paysan producteur.
D'où la situation absurde et générale de la quasi totalité des pays
agricoles du tiers-monde obligés d'importer de plus en plus des produits
alimentaires de base, pour limiter les famines.
Le résultat, l'endettement, ne fait que pousser encore plus à la
désagrégation de cette agriculture arriérée.
De par les lois capitalistes, il est plus avantageux à l'Etat
capitaliste d'acheter une tonne de blé produite à bas prix en Europe ou en
Australie, qu’au propriétaire foncier ou au petit paysan dont le rendement est
au moins 100 fois plus faible.
Tous ces facteurs montrent quelle est la voie du capitalisme mondial : dislocation de l'agriculture, chute de la production alimentaire, exacerbation des antagonismes sociaux à la campagne et à la ville, où s'entassent toujours plus les sans-travail chassés de la terre par la faim et la misère.
A cette misère sans nom, on a prétendu opposer le "bilan positif" des "réformes agraires" accomplies dans différents pays du tiers-monde.
LA MYSTIFICATION DES REFORMES AGRAIRES
Lorsque la révolution bourgeoise en France éclata, en 1789, elle expropria les seigneurs et démantela les biens communaux villageois, amenant le triomphe de la propriété privée. Elle libéra le paysan des corvées et redevances féodales, le transforma en "citoyen", c'est à dire en petit propriétaire capable de produire pour vendre "librement", d'échanger ses produits avec la ville, brisant juridiquement le cadre autarcique dans lequel croupissait la communauté villageoise. La bourgeoisie trouvait ainsi la possibilité d'acheter "librement" la terre, avec en prime, une base sociale solide pour sa révolution.
Cependant, la tendance naturelle du capitalisme ne pouvait être de développer la petite propriété et de parcellariser l'exploitation de la terre. Comme le montre l'exemple de l'Angleterre et des Etats-Unis où le capitalisme s'est développé de la façon la plus classique, le but du capitalisme est fondamentalement la concentration de la terre et des instruments de production agricoles, et non leur démembrement. Sa domination à la campagne passe par l'existence de grands domaines de cultures extensives d'abord, puis intensives par le développement du capital technique. Pour répondre aux besoins de l'industrie naissante, il doit non seulement exproprier le paysan et le soumettre au travail salarié, mais encore développer la productivité par la concentration des terres et des machines. Le but de toute agriculture capitaliste est en effet, de produire pour le marché mondial, et non pour le marché national trop étroit malgré des fortes concentrations de population.
Cela entraîne donc remembrement et non partage des terres, exode rural et non fixation d'une masse de producteurs agricoles excédentaires. Tournée directement vers le marché, l'agriculture capitaliste connaît inévitablement les crises de surproduction déterminées par le degré de solvabilité de l'ensemble du marché mondial. La crise avec la diminution de la demande solvable n'a fait qu'exacerber cette tendance. Aujourd'hui, les grands pays capitalistes agricoles doivent pousser leurs exploitants à diminuer leur production et les surfaces cultivées pour ne pas occasionner une chute catastrophique des cours des grands produits agricoles de base. A la surproduction succède la sous-production par rapport aux capacités réelles de production de la grande agriculture mécanisée capable de nourrir, selon les spécialistes bourgeois eux-mêmes, à elle seule l'ensemble de l'humanité. Et pourtant la moitié de l'humanité vit à la limite des famines, 100 millions de chinois sont menacés de mourir de faim. Dans les pays du tiers-monde, en dépit du fait qu'en 30 ans la population a fait plus que doubler, la production alimentaire par tête diminue régulièrement. Condamnation sans appel du capitalisme qui pousse l'humanité vers sa perte !
Face à une telle situation, déjà existante au 19éme siècle mais exacerbée par la décadence du capitalisme, idéologues bourgeois, agronomes, tiers-mondistes, gauchistes, n'ont pas manqué, pour préconiser, qui la "collectivisation", qui la "réforme agraire", qui la "révolution verte" ou "blanche" selon les goûts de chacun. Sur tous les tons, ils ont chanté les "communes populaires" chinoises, "l'agriculture collectivisée" à Cuba, "la révolution bourgeoise" en Algérie, où la terre des colons a été expropriée et partagée. Il n'est pas un pays du tiers-monde qui n'ait prétendu et prétende avoir réalisé sa "révolution" ou sa "réforme" agraire et n'ait trouvé toute une meute de supporters gauchistes et "progressistes" pour psalmodier alléluia ou hosanna.
LES CAUSES DES
"REFORMES AGRAIRES" DANS LE TIERS MONDE ET DANS LE BLOC RUSSE.
Comme nous l'avons vu, la clef des contradictions insolubles du capitalisme se trouve dans le marché mondial et la concurrence entre les multiples fractions du capital mondial pour le conquérir et se le partager.
Dans le Tiers-Monde, la colonisation par les grands pays industriels a eu un double but : en premier lieu, non seulement trouver des débouchés à leurs produits industriels, mais réaliser leurs surplus agricoles que leur marché intérieur était trop étroit pour absorber. En second lieu, par un contrôle militaire, politique et économique, empêcher que puisse se développer une économie nationale capable de concurrencer l'industrie et l'agriculture des métropoles. C'est pourquoi le capital des pays industrialisés a laissé l'économie agricole des pays colonisés en état de léthargie, à la seule exception des grandes plantations ou des grands domaines dont la production était orientée vers le marché mondial et la métropole et qui, pour des raisons climatiques fournissaient des denrées non cultivables en Europe. Le perfectionnement de la division internationale du travail délimitant pays industriels et pays agricoles a achevé de donner leur physionomie d'arriération aux pays colonisés : Ceylan pour le thé; la Malaisie pour l'hévéa; la Colombie pour le café; le Sénégal pour 1 'arachide, etc.
Cette division internationale s'est accompagnée nécessairement de la monoculture au détriment de la polyculture de subsistance. En détruisant peu à peu l'économie naturelle, elle a intégré progressivement une fraction croissante de petits paysans dans le marché, en les contraignant de cultiver les cultures obligatoires, voire en les soumettant à de véritables corvées sur les plantations ou les domaines coloniaux. En concentrant la terre, en se l'appropriant, en forçant le petit paysan à abandonner ses terres aux mains des usuriers et des grands propriétaires par l'impôt forcé ou par la force, la culture d'autosubsistance s'est rapidement effondrée occasionnant des famines qui, comme en Chine, en Inde, en Afrique, laissaient des millions de cadavres.
Les innombrables révoltes paysannes qui ont éclaté de l'Inde (Cipayes et tenanciers) à la Chine (Taïping) jusqu'au Mexique avec Zapata ont montré la situation explosive que créait le capitalisme mondial dans 1es zones arriérées précapitalistes .
Elles ont montré autant la vanité pour les paysans de compter sur une bourgeoisie nationale "progressiste et antiféodale" toujours alliée aux grands propriétaires fonciers, que l'impossibilité d'améliorer leur sort dans le cadre d'un capitalisme fut-il en apparence le plus "libéral" et "démocratique". C'est ce que montrent les révoltes paysannes du Mexique au début de ce siècle où le paysannat fut le jouet des différentes fractions bourgeoises pro-anglaises ou pro-américaines.
Face à cette révolte permanente menaçant d'ébranler la cohésion de la société (mais dans un sens révolutionnaire en l'absence d'une révolution prolétarienne), la bourgeoisie comprit qu'à défaut de supprimer les causes de la révolte, elle pouvait du moins en atténuer les effets, par des concessions. Au risque de diminuer la productivité agricole, elle officialisa le partage des terres au Mexique, espérant s'attacher les paysans pauvres et sans terre qui se retrouvaient avec un lot de terre ou élargissaient leur champ.
Mais c'est surtout après la deuxième guerre mondiale que la question va se poser dans les ex-colonies proclamées "indépendantes", ou les semi-colonies. Les tensions interimpérialistes, l'avancée du bloc russe par le biais des "luttes de libération nationale" vont contraindre le bloc américain à prendre une attitude "réaliste", particulièrement en Amérique Latine, où sa politique au Guatemala et surtout à Cuba s'était révélée désastreuse. Tout le programme de Kennedy élaboré en 1961 à Punta del Este et pompeusement nommé "Alliance pour le progrès" ne visait qu'à contraindre les bourgeoisies locales à adopter des mesures de "réformes agraires", pour éviter de nouveaux Cuba. De 1964 à 1969 au Pérou, on redistribua 600 000 ha; au Chili de 1964 à 1967, 1 050 000 ha furent expropriés pour être redistribués; 8 000 000 ha entre 67 et 72[4]. Dans d'autres pays, des mesures similaires furent prises.
Au Maghreb, l'appropriation
par l'Etat des terres des colons permit de lotir des paysans sans terre ou
microfundiaire qui furent organisés de force en coopératives
"autogérées". On pourrait
multiplier les exemples dans l'ensemble du Tiers-Monde.
Dans le bloc russe, pour des raisons politiques aussi, l'URSS poussa au lendemain de la guerre au démembrement des grands domaines et redistribua les terres appartenant aux nationaux allemands et aux grands propriétaires fonciers.
Toutes ces mesures visaient à limiter les tensions agraires et à s'attacher une fraction de la paysannerie pauvre, et surtout moyenne, quitte à sacrifier, dans les cas extrêmes, la bourgeoisie rurale. Cependant, a surtout prévalu la nécessité économique pour le capital national de freiner la chute vertigineuse de la production agricole sur une immense majorité de petites exploitations ou tenures microscopiques, coexistant avec d'immenses latifundias dont une infime partie est cultivée. Autant dire que dans ces conditions la productivité agricole, et la capacité de concurrence sont quasi nulles. Si l'on ajoute que mondialement la population est passée de 3 milliards d'hommes en 1965 à 4,2 en 1980, on aura une idée de l'entassement ou plutôt du pourrissement sur place de myriades de paysans pauvres sur quelques hectares et même ares, à côté de latifundias de 100 000 ha à peine défrichées. Dans cette situation, les petites parcelles concédées pour l'exploitation sont plus productives en fournissant parfois l'essentiel d'une production agricole nationale; même sans engrais et machines, elles sont plus intensément cultivées avec une main d’œuvre pléthorique. Les différents pays capitalistes arriérés qui ont partagé une partie des grands domaines et créé des "'coopératives" de paysans rêvaient ainsi d'augmenter la production agricole autant pour des raisons sociales qu’économiques. Chaque pays du tiers monde peu industrialisé tentait de dégager des surplus agricoles pour l'exportation sur le marché mondial. Et l'imposition de cultures forcées, l'impôt, en échange de ce "cadeau" de la terre, soumettait plus que jamais le petit paysan, fermier ou propriétaire, aux lois du marché et à ses fluctuations.
Une autre méthode a consisté à racheter les terres expropriées aux latifundiaires, pour les capitaliser.; celles-ci se trouvaient ainsi dorénavant cultivées de façon capitaliste par l'Etat ou le capital industriel, et transformaient en prolétaires des paysans. Une grande majorité d'entre eux n’eurent plus que le choix de fuir vers la ville, s'entassant dans de monstrueuses métropoles-bidonvilles regroupant, comme au Mexique, jusqu'au tiers de la population du pays.
LES RESULTATS
Du point de vue capitaliste, le seul résultat "positif" a été de développer dans certains pays, en Inde particulièrement, une couche de "koulaks", paysans moyens qui se sont enrichis et forment à la campagne un tampon social entre grands propriétaires et paysans parcellaires. Attachés par ce biais à la bourgeoisie, ils ne forment cependant qu'une couche très mince compte tenu de l'arriération et du pourrissement de l'économie.
Dans la réalité, les "riches" se sont enrichis, et les "pauvres" appauvris; les contrastes entre les classes se sont accrus. Le partage successoral des parcelles s'est perpétué, en dépit des quelques hectares concédés; la productivité a continué de s 'effondrer.
Sa chute s'est même accélérée dans les grandes propriétés ex-coloniales partagées, faute de machines et d'engrais: les campagnes algériennes ont aujourd'hui 40% de chômeurs. Là où la terre a été capitalisée et cultivée mécaniquement, la masse des sans-travail s'est gonflée démesurément.
Là où la propriété privée a été transmise aux mains de l'Etat, comme dans le bloc russe, si le chômage a officiellement disparu dans les campagnes, la productivité s'est effondrée : un cultivateur américain de blé produit 13 fois plus qu'un cultivateur russe.
Sachant que, du point de vue économique, la bourgeoisie ne pourrait pas grand chose, elle a prétendu par la bouche de ses agronomes que la "révolution verte" allait au moins, à défaut d'augmenter la productivité, assurer l'alimentation de l'humanité par des plantes à plus fort rendement et plus nutritives. On fit ainsi grand battage dans les années 60-70 sur les blés et maïs hybrides. Les famines en Afrique et Asie montrent éloquemment le résultat ... Seule la bourgeoisie rurale du tiers monde, disposant de capital, de machines, et d'engrais a pu en profiter et y a trouvé là son compte ; autant dire une minorité infinitésimale.
- Ainsi , la décadence du capitalisme a rendu encore plus lourde et difficile la question paysanne. Le legs terrible du capitalisme au prolétariat, c'est la destruction des forces productives à la campagne ou leur complète inutilisation; la misère pour des milliards d'hommes.
- Il serait faux de considérer seulement les effets négatifs de cette misère. Celle-ci est lourde de potentialités révolutionnaires dans les campagnes
- - Le prolétariat saura les utiliser, s’il est capable d’agir de façon autonome, avec la plus grande décision, sans abandonner son programme.
Ce ne sont pas les
révolutions bourgeoises qui sont à l’ordre du jour. Dans les villes, comme dans
les campagnes, le seul espoir des milliards d’être paupérisés, misérables,
réside dans le triomphe mondial de la révolution prolétarienne.
Chardin