Soumis par Révolution Inte... le
Le 28 octobre 2016, une réunion organisée dans les locaux de l’association marseillaise Mille Bâbords pour discuter d’un texte sur le racialisme, Jusqu’ici tout va bien ?, était interrompue par l’intrusion d’une trentaine de personnes se réclamant du “racialisme” et se proclamant “racisées”. Nous renvoyons au récit d’un participant(1) pour plus de détails et une excellente description des faits.
L’agression par un groupe de “racisés” d’une réunion de discussion à Marseille
Le choix du lieu comme l’intitulé de la réunion montraient clairement une volonté de discussion, de clarification, de débat ; il existe depuis quelques temps des éléments au sein de l’association Mille Bâbords qui cherchent à discuter des positions révolutionnaires et ce avec une ouverture politique. La réunion, comme le montre le point d’interrogation dans le titre du texte en discussion, ne demandait qu’à débattre. Il est d’autant plus scandaleux que cette volonté de discussion dans un cadre pacifique se soit heurtée à une clique maniant de préférence la rhétorique de la matraque et de la bombe lacrymogène, qui n’est absolument pas venue pour discuter mais pour interdire toute discussion. Le fait qu’il n’y a pas eu de résistance violente de la part des participants à la discussion a quelque peu désarmé les auteurs de l’assaut : ils étaient bien seuls dans leur “rage” politique stérile et réactionnaire. Cette agression, toute proportion gardée au vu du contexte, peut être comparée à celle des fascistes ou des staliniens qui dans les années 1930 ne cherchaient qu’à casser les réunions de leurs opposants. Il s’agissait clairement d’une tentative de pogrom contre des camarades défendant la lutte de classe et la clarification comme moyen de la lutte politique. Cela le CCI l’a condamnée sans ambiguïté.(2) Ajoutons que le fait de venir pour casser une réunion de discussion ne démontre qu'une chose : ils n'ont rien à raconter ! Du reste, le caractère pitoyable des participants à cette agression ressort clairement du témoignage déjà cité : la plupart d’entre eux ne savaient même pas ce qu’ils faisaient là !
Qu’est-ce que le “racialisme” ?
Houria Bouteldja a sorti en 2016 un ouvrage qui a fait un peu de bruit médiatique, Les Blancs, les Juifs et nous, qui condense en fait toute l’idéologie des “racisés” et notamment celle du Parti des indigènes de la République (PIR), telle qu’on a pu l’entendre développée dans divers entretiens par son auteure – laquelle est par ailleurs la porte-parole du PIR. L’ensemble du livre tourne autour de l’idée que les descendants d’immigrés en France, du fait de leurs origines, seraient victimes d’un “racisme institutionnel”, lequel aboutirait à véritablement constituer des “rapports sociaux racistes”. Les “premiers concernés” donc seraient “racisés”, autrement dit on leur appliquerait directement le concept de “race” du fait de leurs origines et ils subiraient de ce fait une oppression d’essence différente et notablement pire que les prolétaires “blancs”, qui en fait trouveraient leur compte dans l’affaire puisqu’ils ne se trouveraient pas tout en bas de l’échelle sociale et toucheraient même un “salaire de la blanchité”, une sorte d’avantage naturel lié à leur statut de “blanc”. Il y aurait donc une complicité objective entre prolétaires “blancs” et bourgeoisie, complicité qui trouverait sa transcription au niveau impérialiste par le soutien (ou du moins l’incapacité à s’opposer) des prolétaires blancs à la politique impérialiste de leur État. D’où le soutien des “racisés” aux nations et aux “peuples” du Tiers-monde qui s’opposent aux États “blancs” et aux luttes de décolonisation (Bouteldja, par exemple, soutient très clairement l’indépendance de l’Algérie, le PIR est un fervent défenseur du nationalisme palestinien) et de libération nationale.
Le “racialisme” se targue d’être l’expression des “premiers concernés”, c’est-à-dire de tous ceux qui subissent quotidiennement le racisme, et cette expression, dès qu’elle est contestée, apparaît niée alors qu’elle serait indéniable.
Il est clair que le racisme existe dans le capitalisme, comme produit de l’esclavage, de l’exploitation et de la concurrence ; cependant, pour le racialisme, le racisme n’est pas la conséquence de l'exploitation liée au système, il en devient la cause même. La base de l'exploitation ne serait donc plus l'opposition capital/Travail, mais celle entre la "race blanche dominatrice" et les autres de couleur. En fin de compte, une vision totalement symétrique à celle de idéologie d'extrême-droite des suprémacistes blancs, que l'on peut trouver, par exemple, en Amérique du Nord. Dans le même ordre d’idée, d’autre part, les “racisés” militent pour des réunions en “non-mixité”, dans le but que les “premiers concernés” puissent parler eux-mêmes et sans obstacle de leur “oppression”. Le modèle de cette conception est le féminisme, où les réunions interdites aux hommes permettraient aux femmes de parler plus librement de leurs problèmes.
Un certain nombre de groupes politiques ont pris, directement ou pas, fait et cause pour ces thèses “racialistes” ; le plus éminent est le NPA qui défend les idées principales de cette mouvance, à travers son soutien à “l’antiracisme” et aux luttes en “non-mixité”, “qui font partie des outils de prise de conscience et d’émancipation collective”(3), “la non-mixité choisie et temporaire est une stratégie de résistance politique à des dominations structurelles telles que le racisme ou le sexisme”.
Le groupe Alternative Libertaire (AL) a publié en 2013 un texte intitulé : Non-mixité : un outil d’émancipation, qui rejoint les mêmes thématiques au travers du féminisme. On est bien en face de la même logique de division en groupes “concernés”, que l’on retrouve dans d’autres articles d'AL. Il n’est de toute façon guère étonnant de retrouver des groupes comme le NPA et AL dans le cousinage idéologique du “racialisme” : ils ont toujours cultivé l’art d’entraîner la classe ouvrière (seule classe révolutionnaire dans le capitalisme) sur des terrains interclassistes et des luttes parcellaires, c’est-à-dire la défense de groupes particuliers ayant soi-disant des intérêts propres et insolubles dans le combat prolétarien. Le féminisme, comme l’antiracisme, comme la défense des “jeunes” n’ont d’autre horizon que la défense de l'État démocratique, comme si la logique de classe propre au capitalisme ne traversait pas ces groupes particuliers. Le capitalisme est un système d’exploitation ; il divise l’humanité en classes et en nations, il s’appuie sur des rapports sociaux de production fait de concurrence et de recherche de profit, il jette les individus les uns contre les autres. De-là naissent mille haines, mille horreurs insoutenables : les pauvres sont méprisés et ghettoïsés, les femmes sont les prolétaires des hommes, les noirs sont traités comme des esclaves, les vieux sont parqués dans des mouroirs, les handicapés sont considérés comme d’inutiles sous-hommes,... La liste de ces atrocités est sans fin et chacune d’entre-elles doit susciter l’indignation et l’envie d’abattre ce vieux monde, chacune peut être la source d’une réflexion plus ample sur les racines profondes de cette barbarie généralisée. La lutte prolétarienne est le combat des opprimés unis et solidaires contre tous les affres du capitalisme, une lutte pour l’émancipation non pas de tel ou tel groupe particulier mais de toute l’humanité. C’est l’exact opposé du racialisme qui isole l’une des horreurs (réelle) de ce monde pour en faire une lutte particulière ; pire même, elle enferme ses victimes dans une lutte contre tous les autres, une lutte des noirs contre les blancs. Cette idéologie, loin de combattre le capitalisme, perpétue en réalité ce système et ses horreurs ! Elle n’est que la caricature de toutes les positions inter-classistes de la mouvance gauchiste. Le PIR a ainsi été fondé par Sadri Khiari, dirigeant tunisien de la IVe Internationale, réfugié en France depuis 2003 ; la filiation de l’idéologie “racialiste” avec l’extrême-Gauche trotskyste et anarchiste est donc claire ; Khiari a développé le concept de “races sociales” contre la classique conception de lutte de classe basée sur les rapports sociaux de production. Il s’agit de transformer une des bases politiques du mouvement prolétarien (la lutte de classe) en une idéologie de la division : chacun dans son coin, on se défendrait mieux ! Voilà qui, dans la période que nous connaissons aujourd’hui, en rejoint pleinement les plus visibles manifestations conservatrices : le repli sur soi, sur la famille, sur la religion, sur l’“identité”, sur le “local”, le “chacun pour soi”. Toutes sont des expressions de la période de sénilité sociale du capitalisme que nous vivons. Et vu la nature de l'intervention des “racisés” contre le local de Mille Bâbords et la réunion qui s’y tenait, nous pouvons même parler d'une mentalité de pogrom !
Ce “chacun pour soi” est en totale contradiction avec l’histoire de la lutte de classe et du combat du prolétariat pour la défense de ses intérêts et son émancipation. La classe ouvrière dans son ensemble n’avait pas à la fin du XIXe siècle des conditions de vie et de travail différentes de celles des esclaves, bien au contraire : elles étaient, pourrait-on dire, pires, notamment aux États-Unis, où au tournant du XXe siècle l’usine tuait pratiquement les ouvriers. Prolétaires noirs et blancs se retrouvaient côte à côte dans la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail, malgré les obstacles : l’État, les autorités et lois locales, le syndicalisme de collaboration personnifié par l’AFL, tous s’opposaient aux luttes unissant les ouvriers sans distinction de condition ou de couleur de peau. Mais un syndicat de lutte comme les IWW admettait tous les ouvriers et ouvrières, sans distinction. On comprend aisément quel outil de division représentait pour la bourgeoisie la séparation des sexes et des “races” : “L’IWW prenait son slogan, “Un seul grand syndicat”, très au sérieux. Les femmes, les étrangers et les travailleurs noirs, c’est-à-dire les travailleurs les moins qualifiés, étaient intégrés lorsqu’un syndicat IWW se créait dans une mine ou une usine. Lorsque la confrérie des Travailleurs du bois fut créée en Louisiane et qu’elle invita Bill Haywood à prendre la parole (en 1912, peu après la victoire des grévistes à Lawrence), celui-ci fut surpris de constater l’absence de Noirs dans l’assemblée. On lui répondit que la loi de Louisiane interdisait la mixité raciale dans les réunions. Haywood s’adressa alors en ces termes à la convention : “Vous travaillez ensemble dans les usines. Parfois un Noir et un Blanc se mettent ensemble pour abattre un même arbre. Aujourd’hui, vous vous êtes constitués en convention pour discuter des conditions dans lesquelles vous travaillez. (…) Pourquoi ne pas admettre cette réalité et inviter les Noirs à cette convention ? Si cela va à l’encontre de la loi, c’est justement le moment de la briser”.(4)
Or voilà que le “racialisme”, au lieu de combattre ces divisions, non seulement les entérine, mais prétend leur donner un fondement : les “rapports sociaux de races”. On retrouve donc là une très vieille tactique de la bourgeoisie pour empêcher l’unité de la classe ouvrière, le fondement de sa force, détruire sa capacité à établir un rapport de force contre la classe dominante et à remettre sa domination en question. Et on voit que le mouvement ouvrier, depuis bien longtemps, s’est opposé à cette stratégie de division.
Aux origines du “racialisme”
Le livre de Bouteldja tire une partie de ses formules et de son inspiration de l’héritage de Malcolm X. Cet Américain a toujours défendu une vision politique fondamentalement anti-ouvrière : son soutien à la religion (musulmane en l’occurrence) en atteste, tout comme sa défense de l’idée que les “Noirs” doivent s’organiser indépendamment des “Blancs”. À côté de cette référence, et sans le dire explicitement, ce livre tire beaucoup de sa substance du Stalinisme. On le voit à travers son soutien aux luttes de libération nationale et au nationalisme tiers-mondiste, notamment le soutien à l’indépendance de l’Algérie et de la Palestine, repris de Frantz Fanon, à travers une vision de l’impérialisme qui n’est jamais clairement expliquée mais n’a rien à voir avec celle développée par le marxisme, et est une très classique vision stalinienne selon laquelle l’impérialisme, c’est d’abord les États-Unis et ensuite Israël. Mais on le voit aussi parce que les thèses développées dans ce livre trouvent leur source dans la IIIe Internationale stalinisée, qui défendait déjà en 1929 une certaine forme d’apartheid, mais à l’envers : la “République Noire”. “Dans le reste du monde, l’un des partis les plus secoués est le Parti communiste d’Afrique du Sud, où l’élimination de la vieille direction de Sidney Bunting, un Blanc, champion de toujours de l’africanisation, se fait au nom de… l’africanisation ! A la fin de 1929, l’exécutif de la Comintern exige la dissolution de la LAR (League of American Rights) qui regroupe les organisations noires pour la défense de l’égalité des droits et interdit au CPSA [Communist Party of South Africa] tout contact avec l’ANC [African National Congress, organisation de défense des droits des Noirs]. Boukharine et le dirigeant noir d’Afrique du Sud La Guma se mettent d’accord pour établir que le but immédiat de la lutte révolutionnaire en Afrique du Sud doit être la création d’une “république noire, indépendante et démocratique”. Cette position n’a guère que des adversaires dans le CPSA, même chez les Noirs. (…) Dans son travail Le Communisme et le nationalisme noir, George Padmore, au lendemain de sa rupture, déchaîne toutes les ressources de son ironie contre ce projet, sorti, dit-il, de l’imagination de Kuusinen et également patronné par Boukharine, d’une “République noire” en Amérique du Nord, dans la ceinture noire qui va de la Virginie occidentale au Texas, avec l’espoir de satisfaire ainsi ce “sionisme noir” qui avait répondu avec enthousiasme aux promesses de Marcus Garvey pour le “retour à l’Afrique”. Les meilleurs militants noirs, assure-t-il, ont été exclus pour s’être opposés à cette revendication d’une “réserve indigène”, un Bantouland avant la lettre. Cette proposition d’apartheid revendiquée par les victimes, rapidement retirée, a eu, selon Padmore, le temps de provoquer l’effondrement durable du PC en Afrique du Sud”.(5) Comme on le voit, les idées de Bouteldja d’“ indépendance nationale” sur la base des “premiers concernés” et des “racisés” ont une longue histoire, mais leur source d'inspiration n’est rien d’autre que la contre-révolution stalinienne !
Le racialisme au service de la bourgeoisie
Le concept de “races sociales” mis en avant par le “racialisme”, outre qu’il fait appel à une vision proprement bourgeoise de la “race” qui n’a absolument rien de scientifique et n’est qu’une division artificielle de l’humanité, essaie de nous faire croire que le racisme générerait une oppression spécifique de ceux qui en seraient victimes. Cette “oppression” n’est pas clairement identifiable, et en tout état de cause on ne voit pas pourquoi elle ne s’appliquerait pas à TOUS les membres de ladite “race sociale”, dont une partie (les bourgeois “noirs”) ne sont ni exploités, ni opprimés !
A côté de cela, Bouteldja fait dans son livre montre d’un mépris affiché pour les “prolos blancs”, qui bénéficieraient du “privilège” d’être “blancs” : “Vous avez peur mais vous tenez à votre confort. C’est là votre dilemme. Vous ne voulez pas renoncer à l’infinité des privilèges de la domination coloniale. Vos privilèges sont matériels, statutaires, institutionnels, politiques, symboliques. A niveau social équivalant, il vaut toujours mieux être blanc”. “Qu’est-ce qui pourrait vous faire renoncer à la défense de vos intérêts de race qui vous consolent de votre déclassement et grâce auxquels vous avez la satisfaction de (nous) dominer ?” Outre que visiblement Bouteldja ne s’adresse en fait qu’à la petite-bourgeoisie, qui a en effet très peur du “déclassement” (ce qui n’est pas le cas de la classe ouvrière, qui est déjà en bas de l’échelle du monde capitaliste) on ne saurait être plus clair sur l’idée que les ouvriers “blancs” profiteraient de l’oppression de leurs frères de classe “noirs”. On peut effectivement toujours trouver plus opprimé que soi, mais cela ne change rien à ce qu’écrivait Marx dans le Manifeste Communiste : “A mesure que grandit la bourgeoisie, c'est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu'à la condition de trouver du travail et qui n'en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre ; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. (…) Les intérêts, les conditions d'existence au sein du prolétariat, s'égalisent de plus en plus, à mesure que la machine efface toute différence dans le travail et réduit presque partout le salaire à un niveau également bas.” Ce n’est pas la couleur qui détermine l’exploitation, mais bel et bien la place qu’on occupe dans les rapports de production capitalistes. Pour le Capital, l’enjeu est toujours de payer le capital variable (la main-d’œuvre) le moins cher possible, puisque c’est là-dessus qu’il réalise son profit. Et s’il peut utiliser la couleur de peau, le sexe, le handicap, la jeunesse, l’inexpérience, n’importe quel moyen quel qu’il soit pour payer un prolétaire moins cher qu’un autre, il le fera. Il n’y a pas que les Noirs et les immigrés qui sont discriminés par le Capital : il y a aussi les jeunes, les vieux, les handicapés, les femmes, les illettrés, les non-diplômés, les pauvres, les chômeurs, bref, tous ceux qui sont isolés et n’ont donc pas les moyens de se défendre face aux capitalistes et à l’État. Ce qui fera reculer la bourgeoisie, c’est l’unité des prolétaires contre ces divisions, ce que les exploités ont toujours compris : “Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. Cette union est facilitée par l'accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact. Or, il suffit de cette prise de contact pour centraliser les nombreuses luttes locales, qui partout revêtent le même caractère, en une lutte nationale, en une lutte de classes”.(6)
Sven, 9 décembre 2017
2 Voir notre communiqué : Communiqué de solidarité face à la violence haineuse des racialistes fanatiques.
4 Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours.
5 Pierre Broué, Histoire de l’Internationale Communiste.
6 Karl Marx, Manifeste Communiste.