Soumis par ICConline le
L'immense culte de la personnalité autour de la dépouille du leader du "socialisme du XXIe siècle", Hugo Chavez, vient couronner un long et patient matraquage idéologique au Venezuela et ailleurs, au point où il a été question, comme l'ont fait les staliniens en leur temps avec la dépouille de Lénine, d'embaumer le corps de Chavez1.
Écrit en février peu avant son décès, l'article suivant, rédigé par nos camarades du Venezuela, permet de faire le point sur la dynamique économique et sociale de la "République bolivarienne", dans un cadre intéressant pour la préparation des luttes futures du prolétariat. Même si le contexte a changé, nous publions cette traduction qui met bien en avant la situation de l’après-Chavez et les problèmes que doit affronter la bourgeoisie. Depuis plusieurs mois, malgré les pirouettes des dirigeants concernant la santé de Chavez, tous savaient que ses jours étaient comptés. "L’émotion" suscitée chez "le peuple" à la suite du décès sera d’ailleurs exploitée jusqu’à la nausée pour permettre à la fraction "bolivarienne" (la boli-bourgeoisie, comme on dit avec humour dans le pays) de remporter les élections, mais les problèmes n’ont fait que s’aggraver.
Les fractions de la bourgeoisie vénézuélienne, tels des vautours, aiguisent leurs griffes dans la dispute pour le contrôle de l’État face au retrait imminent d’Hugo Chavez de la présidence, quel que soit l’évolution de la maladie dont il souffre. Ce strident personnage folklorique qui a maintenu intact le capitalisme en le déguisant sous l’appellation du "socialisme du XXIe siècle", a tenu bien ficelés les intérêts divergents des capitalistes pour mieux tromper la classe ouvrière, notamment en administrant la rente pétrolière pour réaliser quelques actions en faveur des pauvres afin de donner le change. Les récentes élections dans ce pays sud-américain ont été, pour la classe ouvrière, en plus de tout le flot de fantaisies et d’illusions exaltant la démocratie bourgeoise, l’occasion d’assister au summum de la vulgarité de la vie politique et de la répugnante "éthique" de ses gouvernants. L’exploitation de l’image d’un Chavez terrassé par la maladie, a mis à nu le cynisme des belligérants de tout bord dans cette lutte électorale. C’est ainsi que les uns et les autres ont tout fait pour attendrir les cœurs des vénézuéliens et amoindrir la colère que les effets de la crise font surgir chez eux, en même temps qu’est encensée, comme le fait la gauche latino-américaine, "la si saine démocratie bolivarienne".
L’absence de Chavez a fait surgir des bagarres intestines et a ouvert une vague d’incertitude au sein de la population : d’un côté, ceux de la fraction soutenant le président malade et inaudible, ont besoin de sa figure pour contrôler les appétits de ceux qui poussent des coudes pour la relève, pendant que la droite n’arrive pas à tirer profit de la situation, tout en se présentant comme la rénovation nécessaire pour le système ; les deux se repaissent du chagrin et vendent de la compassion une bible à la main.
Le chavisme contrôle pratiquement tous les pouvoirs publics et les institutions, ce qui aurait facilité l’élection du candidat, mais il existe un contexte politique, économique et social qui rend difficile pour la majorité chaviste la convocation d’élections de suite. Sur le plan politique, même si l’un des plus visibles continuateurs de la politique du pouvoir chaviste, le vice-président Maduro, s’est vu adoubé par Chavez lors de son départ pour se faire soigner à Cuba, pendant l’absence de celui-ci on a vu comment les militaires, parmi lesquels Chavez s’est formé politiquement, ont mis en avant Diosdado Cabello, président de l’Assemblée Nationale, pour prendre la tête de la "Révolution bolivarienne" sans Chavez. Indépendamment de celui qui sera mis au sommet, après toutes les escarmouches de rigueur, la fraction bourgeoise au pouvoir finira par trouver un accord pour continuer à administrer et à gérer pour que la crise économique mondiale n’entame pas trop leurs profits et qu’elle retombe, évidemment et comme toujours, sur le dos de la classe ouvrière.
Dans leur situation d’orphelins, même si leurs prochains pères sont bien identifiés, les cohortes chavistes durcissent leur politique vis-à-vis des autres fractions bourgeoises avec la volonté de garder leur hégémonie. Et en même temps, ils envoient des messages aux travailleurs pour qu’ils rejoignent les rangs du PSUV (Parti Socialiste Uni de Venezuela) et ses satellites. Par ailleurs, ceux qui se lanceraient dans une mobilisation au milieu de la situation confuse actuelle subiraient la répression immédiate. Le combat parlementaire a pris des allures grotesques et ridicules avec des mises en scène où l’on défend la glorieuse constitution et où l’on évoque la sainteté des hommes illustres vivants ou morts. On menace également, à coup d’investigations pour corruption, d’anciens gouverneurs de l’opposition en accentuant encore plus la décomposition sociale galopante.
La crise à son apogée
Mais le problème le plus grave que la bourgeoisie doit affronter avec ou sans le régime chaviste, comme n’importe quel autre dans le monde, c’est la situation économique. Le chavisme prétend convaincre tout le monde de la viabilité de son projet politique en contournant la crise économique mondiale au moyen de la rente pétrolière comme si c’était un jet continu de dollars inépuisable à la disposition de l’Etat. À cheval sur un populisme effréné, le chavisme s’est lancé bride abattue à la sauvegarde des pauvres et des déclassés, à la conquête d’une clientèle politique dans les immenses bidonvilles qu’il n’a contribué qu’à agrandir, en criant, en braillant là où on veut bien l’entendre, qu’avec la manne pétrolière et avec une nouvelle constitution approuvée par un vote obligatoirement enthousiaste, il édifierait un socialisme aux contours incertains. Voilà un exemple de sa logorrhée attrape-couillons. Ainsi, avec un tel aplomb mystificateur, et l’incommensurable contribution des syndicats, le chavisme essaye de bloquer toute amélioration des conditions de vie du prolétariat vénézuélien. Sur ce terrain, le chavisme, sa suite ou la très hypothétique alternance de droite, sont très jaloux à l’heure de sauvegarder le taux de profit des capitalistes. Depuis 1998, l’année où Chavez a pris la tête de l’État, jusqu’en 2010, le salaire réel dans le secteur privé s’est dévalué de 31%. Et aujourd’hui le tableau économique est très grave. En 2012, on a dépassé tous les records avec des chiffres qui mettent en évidence que l’économie du Venezuela est aussi malade, sinon plus, que son président : haut déficit fiscal (18% du PIB), dû aux dépenses publiques démesurés (51% du PIB) ; importations les plus élevés des seize dernières années (59% par rapport aux exportations) ; 22% d’inflation, la plus élevée de la région... Les dépenses de l’Etat ont été couvertes, en plus de la rente pétrolière, par l’augmentation de la dette ; celle-ci a atteint 50% du PIB alors qu’elle était de 35% en 1998 ; on couvre aussi cette dette en faisant tourner la planche à billets, un argent qui n’est soutenu par la moindre richesse, ce qui a entraîné les niveaux d’inflation les plus élevés de la région ces dernières années.
À cause de la méfiance généralisée dans les Etats, incapables de solder leurs dettes souveraines, la Chine, qui a octroyé des prêts importants à l’Etat vénézuélien ces dernières années, ne veut plus désormais en octroyer d’autres à une économie qui ressemble à un puits sans fond ; les doutes sur la santé, pas seulement celle de Chavez, mais de l’économie vénézuélienne rendent plus difficile et coûteux le placement des obligations d’Etat sur le marché dont la prime de risque a atteint 13,6%. Cela préoccupe autant la majorité chaviste au pouvoir que les opposants. La bourgeoisie de la région est préoccupée par le Venezuela dont elle espère que la situation politique se stabilise, surtout les dirigeants des pays de l’ALBA2 et ceux qui sont bénéficiaires de rabais sur la facture pétrolière. Évidemment les représentants de "l’Empire" (les États-Unis), néanmoins client principal des exportations pétrolières, demandent que l’on respecte la constitution et la démocratie ; le Brésil (pays avec lequel le Venezuela est pas mal endetté) et la Colombie attendent de leur côté une issue stable. Tous seraient affectés par une situation prolongée de l’incertitude qui règne au Venezuela.
Seule la lutte prolétarienne a de l’avenir
Sans la force médiatique braillarde de son président "socialiste", la bourgeoisie craint les conséquences des mesures draconiennes que l’aggravation de la crise économique mondiale lui exige de prendre pour essayer d’éviter la possible banqueroute des finances publiques, tout en évitant la colère des travailleurs qui pourra s’exprimer dans des mobilisations qui ne pourront que déstabiliser une situation sociale déjà bien fragile. Les dénommées "Missions", fers de lance de la politique chaviste pour pallier aux conditions dramatiques de pauvreté dans lesquelles vivent de larges couches de la population et qui sont une des bases électorales du chavisme, vont réduire leurs moyens en mettant ainsi à nu le grand mensonge des soi-disant réussites du "socialisme du XXIe siècle". Et ce sont les travailleurs qui subiront le plus les attaques de la bourgeoisie. Ce sont les ouvriers, véritables otages captifs pour les impôts, qui ont sur leur dos les lourdes charges de l’appareil d’État vénézuélien, avec les programmes "anticrise". Et loin d’être bénéficiaires des dépenses sociales de santé, d’éducation et de logement, ils ont surtout eu des réductions progressives de leurs salaires à tel point que 60% des ouvriers sont payés avec le salaire minimum mensuel (autour de 321 dollars-US, qui se réduisent à 100 si l’on considère le taux de change non officiel). Dans ces conditions, les travailleurs ont devant eux la nécessité de retrouver leurs liens d’unité et de solidarité qui leur permettront de récupérer leur identité de classe en entreprenant des luttes pour une amélioration de leurs conditions de vie. Au milieu du tintamarre sentimental et de la mystification du projet chaviste, la classe ouvrière commence déjà à faire montre de sa combativité et de sa confiance en ses propres forces pour combattre son ennemi, quel que soit le camouflage avec lequel il se présente dans ce pays caribéen. Les syndicats de tout poil montrent bien, par réaction, le changement : ils commencent à préparer leurs manœuvres les plus sophistiquées pour essayer d’encadrer la révolte sociale émergeante pour la canaliser vers la défense d’une prétendue révolution qui n’a bénéficié qu’à la bourgeoisie et qui n’a fortifié que le capitalisme.
Les minorités les plus conscientes de la classe prolétarienne ont la responsabilité de montrer à cette classe à laquelle elles appartiennent qu’autant le "socialisme bolivarien" de la gauche que la "démocratie sociale" de la droite, sont les deux faces d’un même monstre décadent qui doivent être affrontés théoriquement et politiquement pour ouvrir la voie vers l’émancipation de la classe ouvrière et le communisme.
Pedro/Cadinov (25 février)
1 En fait, ce projet aurait pu se réaliser si le corps n’avait pas été trop abîmé quand cela s’est décidé.
2 Alliance bolivarienne pour les Amériques. Il s’agit d’une organisation politique et économique, fondée par Hugo Chavez et Fidel Castro en 2005, visant à servir les intérêts impérialistes de plusieurs pays plus ou moins en opposition avec les Etats-Unis. L’Iran et la Russie, notamment, ont un statut de membres de l’ALBA. [NdT]