La terreur meurtrière en Norvège, une expression de la décomposition sociale

Afficher une version adaptée à l'édition sur imprimante

La réaction naturelle la plus immédiate aux meurtres perpétrés par Anders Behring Breivik est un sentiment d’horreur. L’attentat et le meurtre de 77 personnes (dont 55 adolescents) ont provoqué des expressions de répulsion de la part des principaux médias et des politiciens à travers le monde. Mais alors que les différentes parties de la classe dominante s’unissaient dans leur condamnation de cet exemple particulier de terrorisme, elles ont fourni différentes explications sur ce qui s’était passé.

Il ne s'agit pas seulement d'un tueur psychopathe

La réponse de la droite a été de décrire Breivik comme un malade mental, comme un monstre et un maniaque, un psychopathe et un suppôt de Satan. Enfin, il a été présenté comme un individu dont il fallait expliquer la psychologie et la morale. L’idée que sa folie soit séparée de toute réalité sociale doit être rejetée. L’aliénation de Breivik et sa haine envers le reste de l’humanité est certainement exceptionnelle. Tuer plusieurs douzaines de jeunes gens de sang-froid parce qu’il croyait que seule la déportation forcée des musulmans d’Europe pouvait rectifier les erreurs de la société montre clairement une personnalité avec des problèmes profonds. Mais aucun individu n’agit isolément dans la société dans laquelle il a grandi. Pour prendre l’aspect le plus significatif : nous vivons dans un monde où chaque fraction de la classe capitaliste participe à une campagne perpétuelle tentant d’inciter aux divisions raciales et religieuses. Depuis les groupes fascistes qui prêchent ouvertement la haine des autres races et la violence contre les minorités, jusqu'aux insistances des gauchistes sur les méfaits de l'ultra-libéralisme pour susciter le besoin de nous tous d’être loyaux envers une identité ethnique, la bourgeoisie a créé un réseau idéologique utilisant les mots-clés d’assimilation et de séparatisme, de nationalisme et de multiculturalisme, pour soutenir l’idée que l’humanité est divisée selon des frontières raciales plutôt que de classe.

La différence d'appréciation entre un membre du parti anti-immigrant suédois disant des attaques en Norvège que  « la faute en incombait au multiculturalisme de la société » et David Cameron disant que le « multiculturalisme avait failli » n’est pas bien grande. Lorsque la gauche a appelé à la défense du statu quo au nom de la défense de ce même multiculturalisme, l’entourloupe a été complète.

Breivik a semblé avoir passé beaucoup de temps à surfer sur la nébuleuse Internet et s’être immergé dans certaines de ses plages les plus aventureusement délirantes. Il a été clairement exposé à toutes sortes d’expressions de la désintégration de la solidarité humaine la plus élémentaire. Ses actions ont démontré l’aliénation la plus extrême, mais cela doit être compris comme la plus proche de la base des divisions raciales et religieuses mises en avant par l’idéologie bourgeoise, qui est supposée être « normale » et faisant seulement partie du « sens commun ».

En particulier, la propagande qui décrit les musulmans comme une menace omni-présente n’est que la dernière expression en vogue de la stratégie du « bouc-émissaire » si répandu dans le monde capitaliste. Depuis des décennies, celle-ci a nourri la cause de l’anti-sémitisme, ou la description caricaturale des immigrants à peau noire venant d’Afrique et des Caraïbes « menacer » la civilisation, ou encore l’arrivée de groupes parlant une langue différente ou pratiquant une religion différente ayant un pouvoir de briser l’ordre social. A travers l’Europe, il existe un consensus parmi les partis politiques bourgeois et dans les médias capitalistes pour dire que l’immigration est une menace en soi. Les mensonges changent, et la propagande peut être plus ou moins sophistiquée, mais le capitalisme a trouvé ainsi une voie pour pointer de façon constante le danger de « l’autre », de l’étranger. Cette idéologie peut avoir un impact sur certaines personnalités fragiles ; en ce sens, Breivik n’était pas du tout un cas unique.

 Le capitalisme pousse à vivre dans un monde irrationnel

 Pour la gauche, Breivik est considéré comme un ultra-traditionnaliste chrétien, comme une évidence du danger de l’extrémisme fasciste et raciste grandissant, comme un produit de l’islamophobie. Elle met en avant des explications psychologiques. D’après les termes du Socialist Worker du 30 juillet 2011 : « Ces meurtres ne sont pas l’œuvre d’un psychopathe – elles sont celles des actions d’un homme suivant la logique d’une idéologie raciste qui diabolise les musulmans. » Suivant cette « logique », « Breivik voulait déclencher une guerre entre races et pensait que les conditions s’y prêtaient. » Cela s'inscrit en effet dans une certaine logique, mais c’est la logique de l’irrationnel. Contre ces explications psychologiques de la gauche, il est nécessaire de rétablir l’évidence – les attaques en Norvège n’étaient pas celles d’un être rationnel. Comment pouvait-il « déclencher une guerre entre races » en s'attaquant d'abord à ceux dans lequel « coule un sang norvégien » ? Les actions de Breivik n’étaient pas rationnelles, mais cela pose la question de comparer son comportement avec celui du reste des hommes politiques bourgeois. Par exemple, de nombreux groupes palestiniens ont depuis des décennies cru qu’attaquer Israël provoquerait une réponse qui persuaderait finalement les Etats arabes dans la région de déployer leurs forces militaires contre l’Etat juif. Cela n’est pas rationnel, cela sonne comme le Livre des Révélations, mais c’est de la politique. En économie, pendant un siècle des experts auront apporté des solutions à la crise permanente du capitalisme qui ne cesse pas, sans jamais être découragés par l’économie capitaliste, tellement ils baignent dans l’idéologie dominante. Aux Etats-Unis, ce ne sont pas seulement le Tea Party et les marges fondamentalistes du camp républicain, mais toute une série d’idéologies religieuses, créationnistes et autres qui pèse de tout leur poids sur le fonctionnement de la bourgeoisie et sur les consciences du reste de la population.

Où que l’on regarde, le capitalisme, automatiquement dirigé vers la recherche du profit, le Graal de sa quête, connaît de plus en plus le frisson du culte de l’irraisonné. La gauche peut penser que le capitalisme contemporain subsiste sur une base rationnelle, mais l’expérience présente de la société moderne révèle une décomposition aggravée, une partie de celle-ci qui s’exprime dans une irrationalité grandissante où les intérêts matériels ne sont plus le seul guide de son comportement.

Dans le cas de Breivik, il est bien sûr possible qu’il soit un pion inconscient dans une stratégie plus vaste, mais les expériences de Columbine, de Virginia Tech et de tous les autres massacres perpétrés par des individus isolés montre qu’on n’a pas besoin d’un motif politique pour commencer à tuer au hasard n’importe lesquels de nos semblables.

Ce à quoi nous assistons avec des événements comme ces massacres en Norvège est quelque chose qui démontre, à de nombreux niveaux, la décomposition de la société capitaliste. On peut constater la profondeur de l’aliénation du comportement d’un seul individu, qui hélas n’est pas si inhabituel. On y voit l’attaque consciente de la bourgeoisie pour annihiler la solidarité de base et pour fomenter la haine. Le comportement irrationnel marque les groupes comme les individus. La classe dominante encourage les divisions : la culture capitaliste promeut et renforce la peur des autres. De nombreux commentateurs ont montré en exemple la réponse du Premier ministre norvégien, en particulier la façon dont il a spécifiquement dit qu’il ne se servirait pas des ces attaques pour renforcer l’appareil répressif de l’Etat. Il n’a pas besoin de le faire. Au nom de l’opposition à ces récentes atrocités, toute une campagne appelant à l’union nationale norvégienne s’est développée. C’est une des forces de la démocratie bourgeoise. La réalité de la société de classes est capable faire croire qu'elle peut mettre aussi bien une partie de la société comme son ensemble sous la « protection » de l’Etat capitaliste. En tant que classe, la bourgeoisie est toujours à même de se servir de l’évidence de la désintégration sociale contre le développement potentiel de la classe ouvrière vers une réelle unité et une réelle solidarité de classe.

Dans les premiers moments de ces événements en Norvège, la plupart des médias ont essayé de nous convaincre qu'Al-Qaïda¨ pouvait être désigné comme à l'origine de ces attaques, mais ils n'ont eu aucun problème pour changer de direction quand il s’est avéré qu'il s'agissait d’un terroriste « natif du pays ». Ce talent pour la propagande est une des quelques armes dont la bourgeoisie dispose contre nous, au même titre que celle de l'utilisation de la terreur capitaliste.

Barrow (02 août)