Brève chronologie des événements de la lutte contre la réforme des retraites (suite et fin)

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La première partie de cette chronologie détaillait les événements qui se sont déroulés entre le 23 mars et le 19 octobre. Elle s'achevait provisoirement par ces quelques phrases :

"Le mouvement se développe comme une lame de fond depuis 7 mois. La colère est immense. Les revendications contre la réforme des retraites tendent à passer au second plan : les médias reconnaissent que le mouvement se "politisent". C'est toute la misère, la précarité, l'exploitation, etc. qui sont ouvertement rejetées. La solidarité entre les différents secteurs, aussi, s'accroît. Mais, pour l'instant, la classe ouvrière ne parvient pas à prendre réellement en mains SES luttes. Elle le souhaite de plus en plus, elle s'y essaye de-ci de-là par des tentatives minoritaires, elle se méfie de façon croissante de l'intersyndicale, mais elle ne parvient pas encore réellement à s'organiser collectivement à travers des Assemblées Générales autonomes et souveraines, et donc en dehors des syndicats. C'est pourtant de telles AG qui avaient constituées le cœur du mouvement contre le CPE en 2006 et qui lui avaient donné sa force. La classe ouvrière semble encore manqué de confiance en elle. Le déroulement à venir de la lutte va nous dire si elle va parvenir à dépasser cette difficulté cette fois-ci. Ce sera sinon pour la prochaine fois ! Le présent est riche de promesses pour l'avenir des luttes."

Alors, comment à finalement évolué le mouvement ?

A partir du 19 octobre…

La question du blocage des raffineries occupe, à partir de la mi-octobre, tous les esprits.

Les médias et les politiques braquent leurs projecteurs sur la pénurie d'essence, sur la "galère des automobilistes" et le bras de fer entre les bloqueurs et les forces de l'ordre. Dans toutes les AG (syndicales ou non), les débats ne tournent plus que presque exclusivement autour de "comment aider les travailleurs des raffineries ?", "comment exprimer notre solidarité ?", "que pouvons-nous bloquer à notre tour ?"… Et dans les faits, quelques dizaines de travailleurs de tous secteurs, de chômeurs, de précaires, de retraités se rendent effectivement chaque jour devant les portes des 12 raffineries paralysées, pour "faire nombre" face aux CRS, apporter des paniers-repas aux grévistes, un peu d'argent et de chaleur morale.

Cet élan de solidarité est un élément important, il révèle une nouvelle fois la nature profonde de la classe ouvrière.

Néanmoins, malgré la détermination et les bonnes intentions des grévistes et de leurs soutiens, de façon plus générale, ces blocages participent non au développement du mouvement de lutte mais à sa décrue. Pourquoi ?

Ces blocages ont été initiés et sont contrôlés entièrement, de bout en bout, par la CGT (principal syndicat français). Il n'y a pratiquement aucune AG permettant aux travailleurs des raffineries de discuter collectivement. Et quand une assemblée a tout de même lieu, elle n'est pas ouverte aux autres travailleurs ; ces "étrangers" venus participer aux piquets ne sont pas invités à venir discuter et encore moins participer aux décisions. L'entrée leur est même interdite ! La CGT veut bien de la solidarité… platonique… point barre ! En fait, sous couvert d'une action "forte et radicale", la CGT organise l'isolement des travailleurs très combatifs de ce secteur de la raffinerie.

Les piquets restent d'ailleurs "fixes" et non pas "volants" : il serait pourtant bien plus efficace pour entraîner un maximum de travailleurs dans la lutte d'organiser des "piquets volants", allant d'entreprises en entreprises, pour créer des débats, des AG spontanées… C'est exactement ce genre d'extension dont les syndicats ne veulent pas !

21 octobre

A la veille des vacances de la Toussaint, les principaux syndicats lycéens et étudiants (l’UNL, la Fidl et l’Unef), appellent à manifester. Il faut dire que la colère de la jeunesse est de plus en plus forte. Et ils sont effectivement plusieurs milliers à descendre dans la rue ce jour-là.

Du 22 au 27 octobre

Le texte de loi sur les retraites franchit toutes les étapes de la "démocratie", du sénat à l'assemblée.

28 octobre

Nouvelle journée de mobilisation appelée par l'intersyndicale. 1,2 millions de participants, prêt de trois fois moins que la manifestation précédente du 19 octobre. La décrue est brutale et la résignation commence à regagner du terrain.

De plus, cette journée d'action se déroule en plein milieu des vacances scolaires. Les lycéens qui avaient commencé à se joindre au mouvement (et qui ont été partout violemment réprimés1) sont donc très largement absents.

Jusqu'à lors, les syndicats avaient tout fait pour, soit réduire le nombre des AG, soit les fermer aux autres secteurs. Mais maintenant que le mouvement commence son reflux, ils tentent d'organiser des "rencontres nationales" des différentes Interprofessionnelles de l'hexagone. L'appel de ces "Syndicalistes unitaires" ose même affirmer :

"La lutte contre la réforme des retraites arrive à un moment décisif. Alors que le gouvernement et les médias nous annoncent la fin de la mobilisation, des actions de blocage et de solidarité sont menées dans tout le pays, dans un cadre interprofessionnel, souvent organisées à partir d’Assemblées Générales interpros. Cependant, au-delà de cette structuration au niveau local, il n’y a pas ou très peu de communication entre les AG Interprofessionnelles, de façon à se coordonner à une échelle plus large. Or, si nous voulons donner un coup d’arrêt à la politique gouvernementale, il faudra se structurer davantage et coordonner nos actions. Il s’agit pour les travailleurs, chômeurs, jeunes et retraités mobilisés de se doter d’un outil pour organiser leur propre lutte au-delà de l’échelle locale. C’est pourquoi l’Assemblée générale de Tours, réunie le 28 octobre 2010, se propose d’organiser et d’accueillir une rencontre interprofessionnelle de mandatés des Assemblées Générales qui se tiennent dans tout le pays."2

Il s'agit là d'une mascarade. Ceux-là même qui n'ont eu de cesse de nous diviser, appellent maintenant, après la bataille, à "structurer davantage et coordonner nos actions". Eux qui nous ont dépossédé intentionnellement de NOTRE lutte, appellent maintenant les travailleurs, après la bataille, à "organiser leur propre lutte". Des participants d'interpro non-syndicales (telle que celle de la Gare de l'Est – Paris) et des militants du CCI se sont rendus à cette "rencontre nationale". Tous soulignent la manipulation syndicale, le verrouillage des débats et l'impossibilité de mettre en question le bilan de l'action de l'intersyndicale. Le NPA et Alternative Libertaire (deux groupes gauchistes, l'un 'trotskiste', l'autre 'anarchiste'), semblent très actifs au sein de cette coordination nationale.

6 novembre

Nouvelle journée de mobilisation : 1,2 million de manifestants battent une nouvelle fois le pavé. Cela fait maintenant huit mois que ce type de manifestations se succèdent les unes aux autres. Pourtant, plus personne ne croit plus à la possibilité d'un quelconque retrait, même partiel, de l'attaque. Preuve en est de la profondeur de la colère ! Les travailleurs ne luttent pas contre cette attaque mais pour exprimer leur raz le bol généralisé face à leur paupérisation.

10 novembre

La loi est votée et promulguée. L'intersyndicale appelle immédiatement à une nouvelle mobilisation le… 23 novembre ! Et encore, pour être bien sûre d'enterrer définitivement ce mouvement, l'intersyndicale propose une journée d' "actions multiformes". Concrètement, aucune consigne nationale n'est donnée. Chaque département, chaque section syndicale, chaque secteur fait le «type  d'actions » qu'il lui plaît.

23 novembre

Quelques milliers de personnes seulement manifestent. A Paris, les syndicats orchestrent une "action symbolique" : faire le tour plusieurs fois du Palais Brongniard, siège de la Bourse avec le slogan « Encerclons le Capital ». Le but est atteint : c'est un fiasco décourageant. Cette journée est même rebaptisée "la manifestation pour rien". Dans ces conditions, la présence de 10 000 manifestants à Toulouse dénote que la colère gronde toujours. Ce qui est prometteur pour l'avenir et les luttes futures. La classe ouvrière ne sort pas abattue, rincée, épuisée de ce long mouvement. Au contraire, l'état d'esprit dominant semble être "on va voir ce qu'on va voir la prochaine fois".

Conclusion

Ce mouvement contre la réforme des retraites, avec ses manifestations massives, est donc terminé. Mais le processus de réflexion, lui, ne fait que commencer.

Cette lutte est en apparence une défaite, le gouvernement n'a pas reculé. Mais en fait, il est un pas en avant supplémentaire pour notre classe. Les minorités qui ont émergé et qui ont essayé de se regrouper, de discuter en AG Interpro ou en assemblée populaire de rue, ces minorités qui ont essayé de prendre en main leurs luttes en se méfiant comme de la peste des syndicats, révèlent le questionnement qui mûrit en profondeur dans toutes les têtes ouvrières.

Cette réflexion va continuer de faire son chemin et elle portera, à terme, ses fruits.

Il ne s'agit pas là d'un appel à attendre, les bras croisés, que le fruit mûr tombe de l'arbre. Tous ceux qui ont conscience que l'avenir va être fait d'attaques ignobles du capital, d'une paupérisation croissante et de luttes nécessaires, doivent œuvrer à préparer les futurs combats. Nous devons continuer à débattre, à discuter, à tirer les leçons de ce mouvement et à les diffuser le plus largement possible. Ceux qui ont commencé à tisser des liens de confiance et de fraternité dans ce mouvement, au sein des cortèges et des AG, doivent essayer de continuer de se voir (en Cercles de discussion, Comités de lutte, Assemblées Populaires ou "lieux de parole"…) car des questions restent entières :

  • Quelle est la place du "blocage économique" dans la lutte de classe ?

  • Quelle est la différence entre la violence de l'Etat et celle des travailleurs en lutte ?

  • Comment faire face à la répression ?

  • Comment prendre en main nos luttes ? Comment nous organiser ?

  • Qu'est-ce qu'une AG syndicale et une AG souveraine ?

  • Etc., etc.,…

CCI (le 6 décembre)

Annexe

Une partie de ceux qui se réunissaient au sein de l'AG "Gare de l'Est – Ile de France"3 continuent de se voir et essayent de tirer un bilan général du mouvement. Ils ont par exemple produit et distribué ainsi le texte ci-dessous :

Ils préparent 2012
Préparons la Grève de masse

Des travailleurs et précaires de l'AG interpro Gare de l'Est et IDF

Depuis le début septembre, nous avons été des millions à manifester et des milliers à entrer grève reconductible dans certains secteurs (raffineries, transports, éducation, lycées, facs...) ou à participer à des blocages.

Nous aurions « gagné la bataille de l’opinion »

Le gouvernement, lui, a gagné la bataille des retraites

Aujourd'hui, ils nous annoncent tous que la lutte est terminée. Nous aurions « gagné la bataille de l’opinion ». Tout serait joué et, résignés, on n'aurait plus qu'à attendre 2012. Comme si, maintenant, la seule issue serait les élections. Il n’est pas question d’attendre 2012, pour « l’alternance ». Aujourd’hui, ce sont les partis de gauches qui mènent les attaques, en Grèce comme en Espagne, contre les travailleurs. Il n’y a rien de bon à attendre des prochaines élections.

La crise du capitalisme est toujours là

Les attaques continuent et se feront plus violentes

Nous devons nous préparer dès maintenant à faire face aux prochaines attaques et à celles qui se poursuivent comme les milliers de licenciements et les suppressions de postes L’attaque sur les retraites est l’arbre qui cache la forêt. Aussi demander le retrait ne pouvait être que l’exigence minimale. Cela n’aurait pu suffire. Depuis le début de la crise, c’est ce gouvernement au service du patronat qui mène détruit nos conditions de vie et de travail alors qu’il verse des milliards aux banques et au privé.

Pendant que des centaines de milliers de vieux travailleurs survivent avec moins de 700 euros par mois, et des centaines de milliers de jeunes vivotent avec le RSA, quand ils l’ont, faute de travail. Pour des millions d’entre nous, le problème crucial, c’est déjà de pouvoir manger, se loger et se soigner. Avec l’aggravation de la crise, ce qui guette la majorité d’entre nous, c’est la paupérisation.

Parler dans ces conditions de « pérennité des retraites » comme le fait l’intersyndicale alors que le capitalisme en pleine putréfaction remet en cause toutes nos conditions de vie et de travail, c’est nous désarmer face à la bourgeoisie.

La classe capitaliste mène une guerre sociale contre les travailleurs de tous les pays

C’est à l’échelle internationale que les capitalistes mènent les attaques contre les classes ouvrières. C’est donc les trusts financiers et industriels (BNP, AXA, Renault…) qui nous pillent et veulent nous écraser. En Grèce, il n’y a presque plus remboursement des frais médicaux. En Angleterre ce sont plus de 500.000 licenciements de fonctionnaires. En Espagne c’est la casse des contrats de travail.

Comme nous, les travailleurs de Grèce d’Espagne, d’Angleterre, du Portugal sont confrontés aux mêmes attaques et luttent pour se défendre, même si nous n’avons pas toujours pas fait reculer nos gouvernements et patronat respectifs.

Pour autant, nous sommes encore des centaines de milliers à ne pas accepter cette issue et à garder en nous une profonde colère, une révolte intacte. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi notre combativité et notre mobilisation n'ont pas pu faire plier les patrons et leur Etat ?

Pour faire reculer ce gouvernement et les capitalistes, nous devons mener une lutte de classe

Il aurait fallu, dès le départ, s’appuyer sur les secteurs en grève, ne pas limiter le mouvement à la seule revendication sur les retraites alors que les licenciements, les suppressions de postes, la casse des services publics, les bas salaires continuent dans le même temps. C'est cela qui aurait pu permettre d’entrainer d’autres travailleurs dans la lutte et d’étendre le mouvement gréviste et de l’unifier.

Seule une grève de masse qui s’organise à l’échelle locale et se coordonne nationalement, au travers de comités de grève, d’assemblées générales interprofessionnelles, de comités de lutte, pour que nous décidions nous-mêmes des revendications et des moyens d’action tout en contrôlant le mouvement, peut avoir une chance de gagner.

Laisser la direction des luttes à l’intersyndicale…

A aucun moment, l'intersyndicale n’a tenté de mener cette politique. Bien au contraire elle appelé à deux nouvelles journée d’action le 28 octobre et 6 novembre, alors que les secteurs en grève reconductible s’essoufflaient. Limiter le mouvement de grève reconductible à quelques secteurs et aux seules retraites ne pouvait qu’entraver le mouvement gréviste. Voilà pourquoi, nous n’avons pas été en mesure de faire reculer le gouvernement.

Nous ne pouvions rien attendre d’autre de la part d’un Chérèque (CFDT) qui défendait les 42 annuités, ou encore d’un Thibault (CGT) qui n’a jamais revendiqué le retrait de la loi ? Et ce n’est certainement pas le faux radicalisme d’un Mailly (FO), serrant la main d’Aubry en manif, alors que le PS vient de voter les 42 annuités qui ouvre une autre voie. Quant à Solidaires/Sud-Rail, il ne proposait que de suivre la CGT. Aucun d’entre eux ne voulait l’organisation indépendante des travailleurs pour que nous nous défendions et passions à l’offensive.

Aussi se sont-ils mis à la tête des luttes et ont enfourché le cheval de la grève reconductible pour éviter de se faire déborder. Ils ne voulaient pas faire reculer ce gouvernement. Tout au long du mouvement l’intersyndical cherchait seulement à apparaître comme un interlocuteur responsable auprès du gouvernement et du patronat afin de « faire entendre le point de vue des organisations syndicales dans la perspective de définir un ensemble de mesures justes et efficaces pour assurer la pérennité du système de retraites par répartition. » dans le cadre « d’un large débat public et une véritable concertation en amont ».

Mais quel dialogue peut avoir l’intersyndicale avec ce gouvernement qui matraque les infirmiers anesthésistes, les lycéens, déloge les travailleurs des raffineries et expulse les Roms et les travailleurs sans papiers, si ce n’est de négocier des reculs comme en 2003, 2007 et 2009. Cela fait des années qu’ils ont fait le choix de collaborer avec le patronat et leur Etat pour gérer la crise.

c’est finir à la soupe populaire

Empêcher la misère généralisée dans laquelle les classes dirigeantes veulent nous plonger, dépend de notre capacité à mener une lutte de classe pour nous accaparer les richesses produites et les moyens de production afin de subvenir aux besoins de toute la population au lieux de ceux d’une petite minorité.

Nous ne devrons pas hésiter à remettre en cause la propriété privée industrielle, financière et la grande propriété foncière. Pour nous engager dans cette voie, nous ne devons avoir confiance que dans notre propre force. Et certainement pas dans les partis de la gauche (PS, PCF, PG…) qui n’ont jamais remis en cause la propriété privée et dont les homologues mènent actuellement l’offensive contre les travailleurs en Espagne et en Grèce.

Dans cette lutte, les travailleurs doivent défendre les intérêts de tous les exploités y compris les petits paysans, marins pêcheurs, petits artisans, petits commerçants, qui sont jetés dans la misère avec la crise du capitalisme. Que nous soyons salariés, chômeurs, précaires, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non et ce cela quelque soit notre nationalité, nous sommes tous dans le même bateau.

 

 


1 Lire par exemple le témoignage d'un de nos lecteurs qui a vécu de l'intérieur les charges et les coups des CRS à Lyon.

2 www.syndicalistesunitaires.org/Appel-a-une-rencontre

3 Pour les contacter : [email protected]

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